Ter de m1 david gerard

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UNIVERSITE CLERMONT-FERRAND II – BLAISE PASCAL

Travail encadré de recherche Encadré par Monsieur Christian GODIN

GERARD David Master 1 « Philosophie et épistémologie »

L'altérité à travers la relation homme-robot

Dossier rendu le 24 septembre 2013


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Table des matières Introduction

p.3

I Le robot dans sa dimension utilitaire 1. Le robot comme objet technique

p.10

2. Le rejet dans la société de la période industrielle

p.13

3. Un monstre qui questionne l'homme

p.16

II La création d'un alter ego 1. La redéfinition de l'homme à partir de la création d'une relation miroir

p.19

2. Le dépassement des limites et la transgression

p.24

3. L'intégration sociale

p.29

III Un idéal messianique 1. Un Autre tendant à la totalité

p.35

2. « Là où croît le péri croît aussi ce qui sauve »

p.37

3. Une nouvelle forme de vie

p.40

Conclusion

p.44

Bibliographie

p.47


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Introduction D'après Jean-Claude Heudin, « la quête d'une altérité artificielle »1 a commencé il y a trois millions d'années, lorsque l'homme, après avoir pu « saisir son reflet à la surface de l'eau »2, a tenté de le reproduire, notamment à travers des fresques et des statuettes. C'est à partir de l'Antiquité grecque que des créatures artificielles automatisées firent leur apparition : Héron d'Alexandrie décrit dans le Pneumatica différents automates tel un oiseau capable de boire un liquide dans une coupe ou de chanter. Ces créatures ont évolué jusqu'à devenir des robots. Toutes ces inventions sont appelées « créatures », dans le sens où elles sont le produit d'une « technè », c'est-à-dire d'un savoir-faire humain, d'un acte de création humain : elles sont en premier lieu un objet. On parle ainsi de créatures « artificielles ». « Ars » signifie en effet, en latin, « composition, assemblage », puis a pris le sens dérivé d' « habileté ». Autrement dit, elles sont techniques et non pas naturelles, l'homme donnant ainsi l'existence à une extension de lui-même, à une cristallisation de sa volonté. L'automate provient du grec αὐτόματος, qui se meut lui-même. Cette créature peut donc se mouvoir mais elle ne fait que suivre un schéma prédéfini par son arrangement mécanique et ne peut pas s'adapter à son environnement. Elle ne répond pas aux stimuli extérieurs, si ce n'est en usant de l'illusion. Le « Turc automate », création de Wolfgang Von Kampelen en 1769, était un joueur d'échec censé rivaliser avec les grands joueurs de son époque tel que Napoléon Ier. Il s'agissait en fait d'une supercherie. L'illusion provenait du joueur humain caché à l'intérieur de l'automate.3 Pour cette raison, l'histoire de l'automate que cela soit dans la Grèce antique ou au siècle des Lumières, tend à se présenter comme une forme d'amusement public. L'automate est plus une curiosité qu'un questionnement, bien qu'il permette lui aussi de comprendre certains aspects de l'homme comme nous l'étudierons lors de cette présente étude. Le robot se positionne différemment du fait de son interaction avec son environnement. Il s'ouvre à l'extériorité, contrairement à l'automate qui, finalement, se situe dans une sphère limitée et fermée sur elle-même. C'est peut-être pour cela que l'automate est une chose que l'on montre, que l'on pose face à un public : un objet. Il est, dans un certain sens, une forme de fixité. La première occurrence du terme robot se trouve dans l'ouvrage R.U.R Rossum's Universal Robots de l'écrivain tchèque Karel Capek en 1921. Le 1 Jean-Claude HEUDIN. Les Créatures artificielles, Des automates aux mondes virtuels, Paris, Odile Jacob, coll. Sciences, 2008, p.17 2 loc. cit. 3 Michel de PRACONTAL. L'Homme artificiel, Golem, robots, clones, cyborgs, Paris, Denoël, coll. Impacts, 2002, pp.40-41


4 terme dérive du tchèque robota signifiant « travail forcé ». La pièce visait à critiquer l'évolution technique à outrance : « […] l'objet était de décrire les risques de déshumanisation de la société entraînée par l'évolution technologique ».1 Les robots, dans cette pièce appartenant au genre de la satyre sociale, sont créés, comme l'étymologie l'indique, pour exécuter tous les travaux forcés que l'homme décide de lui déléguer. Bien que la première utilisation de ce terme renvoie à une forme de robot-esclave, l'idée d'autonomie et d'adaptation à l'environnement est déjà présente étant donné que ces derniers, dans cette même-pièce, se révoltent. Le robot, par son interaction, change les données du problème : il ne s'agit plus d'un être clos dans son intériorité mais au contraire ouvert. Il se trouve être un système usant de rétroaction ou feed-back, terme issu de la cybernétique de Norbert Wiener : « We have decided to call the entire field of control and communication theory, whether in the machine or in the animal, by the name cybernetics, which we form from the Greek χυβερνήτης or steersman. ».2 Cette dernière étudie les interactions dans les systèmes, qu'ils soient naturels ou artificiels, et crée une passerelle entre les deux dimensions en déclarant que ces systèmes sont gouvernés par les mêmes fonctionnements. L'histoire a montré que tout ne pouvait pas se réduire à ces interactions au sein des systèmes. Néanmoins, la cybernétique, en envisageant un fonctionnement parallèle entre l'homme et la machine a participé à l'éclosion de la robotique moderne. La rétroaction est appliquée aux robots. Ceux-ci analysent leur environnement pour en tirer une forme d'expérience, dans le sens où ils s'adaptent aux caractéristiques de l'environnement immédiat à travers la perception sonore, visuelle ou bien encore tactile du monde qui l'entoure. En cela, le robot ouvre la voie à des questionnements sur l'altérité. Il est ouvert à l'extériorité et s'y adapte, ce qui amène à penser la possibilité d'une interaction entre l'homme et le robot. Comme l'écrit Jean-Claude Heudin, l'homme cherche à créer des créatures à son image car il est rongé par la solitude existentielle de sa condition d'être raisonnable : La deuxième explication tient à la solitude de l'homme qui le pousse à créer une espèce d'alter ego capable de lui répondre. C'est l'angoisse pascalienne devant l'espace infini qui offre le spectacle vertigineux de son immensité et de son vide. Cette solitude existe non seulement au niveau de l'espèce mais se retrouve également au niveau des individus. Du mythe de Galatée au cybersexe, des automates aux robots de compagnie, les créatures artificielles sont aussi imaginées comme les compagnons idéaux de cette

1 Cyril FIEVET. Les Robots, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 2002, p.7 2 Norbert WIENER. Cybernetics : or Control and communication in the animal and the machine, Massachusetts, MIT Press, 1965, [1948], p.11


5 solitude.1 Le robot prendrait alors forme humaine afin de répondre à une angoisse existentielle, à un questionnement philosophique. Si la créature artificielle et le robot en particulier, du fait de sa proximité réelle ou supposée avec l'homme, est une question incontournable pour la philosophie d'aujourd'hui, c'est parce que l'homme cherche un interlocuteur. Il cherche une autre forme de vie intelligente avec laquelle il puisse converser mais aussi et surtout arpenter le chemin de l'existence à travers l'immensité de notre univers. La recherche de vie intelligente extra-terrestre, qui reste pour l'instant lettre morte, en est aussi l'illustration. Si l'homme, à travers les autres animaux de cette planète ne trouve pas d'alter ego, s'il n'en trouve pas non plus sous d'autres cieux, alors il ne reste que la possibilité de le créer de toute pièce. Certes, la question du robot est souvent l'objet de railleries sinon d'absence d'intérêt. La recherche en robotique est perçu à la fois comme chimérique mais aussi comme dangereuse. Il est rare qu'elle soit considérée en philosophie comme digne d'intérêt : paradoxale destinée pour un archétype profondément philosophique par la dimension d'étonnement et d'incrédulité qu'il provoque. L'étonnement n'est-il pas à l'origine de la pensée philosophique ? Jean-Claude Heudin dresse la liste des objections de principe que les philosophes font à l'encontre des recherches concernant les créatures artificielles et tente d'y répondre. Il est vrai que l'objet de notre étude est le robot et non la créature artificielle dans son ensemble ; cependant, cette catégorie l'englobe. Nous pouvons ainsi prendre acte de ses réponses pour notre sujet. La première objection est celle de l'argument théologique qui stipule que : « la vie et la conscience sont des attributs des êtres créés par Dieu, aucune machine ne pourra jamais être réellement vivante ou même dotée d'une intelligence comparable à la nôtre. ».2 Il la réfute du fait qu'elle ne repose que sur une connaissance a priori et ne porte en elle aucun argument. La seconde est celle dite technophobique. C'est la plus courante. Les créatures artificielles sont un danger potentiel et leur utilisation n'apporte finalement que peu de progrès réels comparés à leurs conséquences économiques ou sociales.

1 Jean-Claude HEUDIN. Les Créatures artificielles, Des automates aux mondes virtuels, Paris, Odile Jacob, coll. Sciences, 2008, p.423 2 Jean-Claude HEUDIN. Les Créatures artificielles, Des automates aux mondes virtuels, Paris, Odile Jacob, coll. Sciences, 2008, p.426


6 Ces arguments ne sont pas étayés et ne reposent sur aucune étude sérieuse. Ainsi au Japon, le pays des robots par excellence, le niveau de vie est l'un des plus élevés au monde et le taux de chômage l'un des plus bas1 L'objection suivante est celle dite de Hamlet , selon l’appellation que lui donne JeanClaude Heudin qui cite alors Shakespeare. « Il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel, Horatio, que n'en rêvera jamais votre philosophie. ». 2 C'est ici la superficialité des créations humaines qui est critiquée. La recherche en robotique semble être une perte de temps si on la compare avec des problèmes réels qui frappent notre société « comme la faim dans le monde ».3 Le réel ne se situe pas dans les objectifs chimériques de la recherche en robotique et l'obsession de l'avenir qui y semble attachée. Cette objection est rejetée car Jean-Claude Heudin qui l'identifie comme étant une négation des bienfaits que peut apporter le progrès scientifique. L'auteur oppose alors l'équilibre relatif de nos sociétés à des périodes dites « authentiques » alors qu'elles étaient violentes et parfois le siège de traditions sclérosées qui limitaient toute évolution de la pensée. La quatrième objection est celle de Lady Lovelace. L'auteur la résume ainsi : […] comme le moteur analytique de Charles Babbage, les créatures artificielles sont limitées par leur programme. Toutes ces machines ne sont finalement que des automates sans aucune créativité possible.4 Il répond à cette objection en disant qu'elle n'est plus valable à notre époque du fait des découvertes et des avancées liées aux techniques d'apprentissage et d'évolution artificielle. Les études montrent que les créatures artificielles sont « des machines adaptatives et évolutives ».5 L'objection suivante est dite « discrète » et est résumée de la façon suivante : […] le monde réel est continu alors que les ordinateurs fonctionnent uniquement sur un mode binaire. Par conséquent, tous les programmes ne sont tout au plus que des simulations des processus et non les processus eux-mêmes.6 Les phénomènes dans toute leur complexité ne pourraient donc pas être produits par une machine à états finis. Là encore, Jean-Claude Heudin répond aux détracteurs par 1 2 3 4 5 6

loc. cit. loc. cit. loc. cit. ibid. p.427 loc. cit. loc. cit.


7 l'avancée de la technique en disant que cet argument ne tient pas face aux technologies numériques qui permettent de reproduire plus finement les phénomènes visuels et sonores. Par ailleurs, la question n'est pas celle du mimétisme : « […] il ne s'agit pas de se limiter à la reproduction des processus biologiques continus, mais de créer ainsi des processus numériques d'un genre nouveau. ».1 La sixième objection est calculatoire et prétend que nous n'arriverons jamais à surpasser la puissance de calcul du cerveau humain. Il réfute cet argument par l'augmentation constante et massive de la puissance de calcul des machines et évoque la victoire de l'ordinateur Deep Blue contre le champion du monde d'échecs Kasparov en 1997. Quoiqu'il en soit, l'intelligence n'équivaut pas à la puissance de calcul et rend caduque cette objection. L'avant-dernière objection est mathématique et se sert des limitations intrinsèques des systèmes formels démontrées entre-autres par le théorème d'incomplétude de Gödel en 1931. « Les théorèmes de limitation des systèmes formels stipulent que dans toute axiomatique contenant une arithmétique, il existe des théorèmes indémontrables. ».2 Les machines considérées comme des systèmes formels seraient alors intrinsèquement limitées. Jean-Claude Heudin remarque d'une part que rien ne prouve que l'intelligence biologique humaine ou animale ne soit pas elle-même soumise à cette loi. D'autre part, quand bien même une machine ne pourrait pas résoudre tous les problèmes, elle pourrait en résoudre certains, une autre machine résoudrait ce que la première ne pourrait pas et inversement. Il conclut en écrivant que « […] par construction, la limitation tombe donc en pratique. ».3 La huitième et dernière objection concerne la complexité. « Les phénomènes du monde réel, dont la vie et l’intelligence, sont si complexes qu'ils échappent à notre compréhension. Il est donc vain d'essayer de les reproduire sur une machine. ».4 Il y a, selon l'auteur, deux manières de comprendre cette objection. La première est liée à l'objection précédente et prétend que nous ne pouvons pas tout connaître avec notre intellect ce qui ferait de l'intellect humain un système formel limité et les deux objections s'opposeraient alors. Il pense par ailleurs que nous pourrions outrepasser cette limite collectivement ou que des machines que nous produirions pourraient ne pas être touchés par cette limitation. La seconde manière de la comprendre est que la complexité nous cache certains aspects qui nous échappent. Jean-Claude Heudin considère cet argument comme recevable mais le voit comme un « […] plaidoyer pour les recherches sur la complexité et les créatures artificielles »5 pour 1 2 3 4 5

loc. cit. ibid. p.428 loc. cit. loc. cit. ibid. p.429


8 que l'on puisse effectivement résoudre cette difficulté. L'étude de ces différentes objections montre que le regard quelque peu condescendant sur la robotique est issu, soit d'une méconnaissance des avancées réelles de la recherche dans ce domaine ou dans les sciences connexes à savoir les sciences cognitives, l'informatique, l'intelligence artificielle, la vie artificielle ou la biologie, soit de présupposés sociaux ou religieux. Si envisager les créatures artificielles comme objet d'étude valable est possible, celui du robot doit l'être aussi. La spécificité du robot comme nous l'avons dit précédemment, repose sur sa position d'alter ego de l'homme. Cette relation miroir doit être étudiée. Lorsque je m'observe dans le miroir, je me perçois moi-même. Je me reconnais alors en tant qu’individu singulier, en tant qu’altérité effective par rapport à autrui que je perçois en temps normal, ce qui est impossible en dehors de la relation particulière que j'ai avec moi-même lors du phénomène de réflexion dans le miroir. Je perçois ce en quoi je suis différent des autres, ma spécificité. Cependant, tout en m'observant, vient à mon intellect une seconde impression qui est l'étrangeté : celui que j'observe dans le miroir n'est pas moi. Il s'agit d'une double altérité : un autre pour les autres mais aussi un autre pour moi-même. Celui que je perçois n'est qu'un reflet, qui plus est un reflet opposé, l'image étant inversée. Ce double est donc mon inverse. Peut-être me complète-il ? Le miroir possède donc deux sens : le sens de découvrir, de donner à voir ce qui est, mais aussi le sens de dualité, de monde autre que le monde réel. Le robot qui se situe dans une relation miroir par rapport à l'humanité permettrait alors à celle-ci de se comprendre, de se voir telle qu'elle est. Sous un autre angle, le robot est aussi compréhensible en tant que double opposé ; il s'agit d'un alter ego. Il est possible que chaque pas de l'homme depuis ses origines soit accompagné de son double artificiel. L'humain qui se regarde dans le miroir est un individu entier, qui se suffit à lui-même, pourtant son double miroir le suit dans chacun de ses gestes. C'est au sein de cette relation miroir que s'inscrit notre questionnement philosophique. La fondement de cette réflexion est finalement ce flux qui semble relier l'homme au robot. Il faut comprendre ce que le robot apporte à l'homme et a fortiori ce qu'il nous apprend sur l'homme. En quoi le robot, créature artificielle de plus en plus complexe, permet-il une redéfinition de plusieurs concepts fondamentaux tels que l'identité et la vie, en tant qu'il pose sur de nouveaux frais la question de l'altérité ? Il nous faudra comprendre en retraçant la genèse de cette relation ce qui se joue au


9 sein de ce phénomène du miroir. Pour tenter d'élucider cette question nous organiserons notre réflexion selon trois axes. –

Le robot est avant tout un objet technique. La genèse de cette machine est indispensable à la compréhension de la relation fondée sur l'utilité qui unit le robot à l'homme. Comme le reflet du miroir, le robot semble être une opposition, c'est-àdire qu'il est de nature autre. Son omniprésence à l'ère industrielle conduit à la peur, et ainsi au rejet non seulement socialement mais aussi philosophiquement.

La complexification du robot à l'heure actuelle repose sur ce questionnement philosophique en tant qu'il a pu engendrer un retour sur soi. Les robots deviennent ainsi des alter ego, des reflets, que l'homme crée dans le détail à son image. La question qui se pose alors est celle d'un éventuel sujet émergeant de cette mimesis.

Les capacités des robots, souvent bien supérieures aux nôtres, laissent cependant penser à l'apparition d'une nouvelle manière d'être au monde. Cela amène à réfléchir sur notre place dans le monde à partir de l'idée d'un éventuel dépassement de l'homme et d'une nouvelle forme de vie.


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I Le robot dans sa dimension utilitaire 1. Le robot comme objet technique La première image venant à l'esprit lorsque l'on évoque le robot est celle d'un outil, d'une machine qui accomplit une fonction de manière rapide et efficace. Le robot nous sert, le robot exécute des tâches trop exténuantes ou ennuyeuses pour l'homme. L'essor de la robotique industrielle puis de la robotique de service en est l'illustration. Dans ce cas, le robot se limite à accomplir une tâche bien définie et souvent répétitive comme dans le cas des usines automobiles ou des robots aspirateurs. Le robot est alors perçu comme étant inférieur à l'homme, comme un simple objet technique semblable aux autres, certes plus complexe, mais objet utilitaire tout de même. Simondon critique l'idée que la machine pourrait être définie par son utilité. 1 On ne peut ni définir ni catégoriser les machines en se basant uniquement sur la notion d'utilité. La spécificité de la machine pour Simondon se trouve ailleurs. L'objet technique, en effet, est caractérisé par sa cohérence interne. « L'objet technique existe donc comme type spécifique obtenu au terme d'une série convergente. Cette série va du mode abstrait au mode concret : elle tend vers un état qui ferait de l'être technique un système entièrement cohérent avec luimême, entièrement unifié. ».2 Il possède en quelque sorte une justification interne qui ne dépend pas de l'étiquette utilitaire qu'un utilisateur et a fortiori un consommateur lui appose. Simondon explique dans le Mode d'existence des objets techniques que l'objet technique évolue au sein de lignées techniques, dans lesquelles la cohérence interne de l'objet s’accroît : il appelle ce phénomène la concrétisation. L'objet ancien qui n'a pas encore atteint un stade concret est appelé « objet abstrait » par opposition à « objet concret ».3 L'objet abstrait qui était au début organisé selon un mode analytique, chaque partie de l'objet fonctionnant de manière indépendante, passe, au fil de l'évolution de l'objet technique, à un mode synthétique, c'est-à-dire synergique.4 Dans le mode analytique, abstrait, chaque partie de l'objet fonctionne de manière séparée. Souvent, ces unités indépendantes sont contradictoires et le créateur de l'objet est obligé de séparer leurs fonctionnements pour que ces unités ne rentrent pas en conflit entre elles. Au contraire, dans le mode synthétique, concret, toutes les unités sont interdépendantes et synergiques. Le fonctionnement de chaque partie est en synergie avec une 1 Gilbert SIMONDON. Du mode d'existence des objets techniques, Paris, Aubier, coll. Philosophie, 2012, [1958], p.21 2 ibid. pp.26-27 3 ibid. p.56 4 ibid. p.28


11 autre et le système forme un tout cohérent et harmonieux. 1 Pour démontrer ceci, il prend l'exemple des moteurs de voitures au sein desquels les ailettes de refroidissement qui, dans les premiers moteurs, étaient ajoutées sur la culasse de manière géométrique, font, dans les moteurs plus récents, partie intégrante de cette même culasse. Les ailettes ont une double fonction dans le moteur moderne : elles permettent le refroidissement et elles « jouent en plus un rôle mécanique, s'opposant comme des nervures à une déformation de la culasse sous la poussée des gaz »2. On ne peut plus distinguer la culasse et les ailettes car elles ont fusionné pour une plus grande cohérence du système. Au sein de l'objet technique, les fonctions convergent, les diverses unités indépendantes et parfois contradictoires de l'objet abstrait, s'unissent au sein d'un système synergique concret. L'évolution technologique est donc une suite de dépassements de contradictions internes de l’objet.3 Le robot, création mimant l'organisme humain et possédant un système relativement synergique, est-il alors un des objets les plus concrets pour Simondon ? Les choses ne sont pas si simples. Bien que ce dernier donne aux objets techniques un certain droit à une organisation organiciste, il réfute l'idée que l'objet technique puisse être semblable à un organisme vivant. Le vivant et la machine diffèrent chez Simondon, de la même manière que le robot ne peut être assimilé au vivant humain. Alors naît un technicisme intempérant qui n'est qu'une idolâtrie de la machine et, à travers cette idolâtrie, par le moyen d'une identification, une aspiration technocratique au pouvoir inconditionnel. Le désir de puissance consacre la machine comme moyen de suprématie et fait d'elle le philtre moderne. L'homme qui veut dominer ses semblables suscite la machine androïde. Il abdique alors devant elle et lui délègue son humanité. Il cherche à construire la machine à penser, rêvant de pouvoir construire la machine à vouloir, la machine à vivre, pour rester derrière elle sans angoisse, libéré de tout danger, exempt de tout sentiment de faiblesse, et triomphant médiatement par ce qu'il a inventé. Or, dans ce cas, la machine devenue selon l'imagination ce double de l'homme qu'est le robot, dépourvu d'intériorité, représente de façon bien évidente et inévitable un être purement mythique et imaginaire.4 D'une part, l'humain est concret dès le départ, l'objet technique évolue quant à lui vers une concrétisation. D'autre part, la technique est une dimension de médiation entre l'homme et le monde. L'homme se protégerait du monde par l'usage de la technique. Les premiers outils 1 ibid. p.41 2 Gilbert SIMONDON, Du mode d'existence des objets techniques. Aubier, coll. Philosophie, [1958], 2012, pp.24-25 3 ibid. p.41 4 ibid. pp.10-11


12 ont été conçus pour chasser, les premiers vêtements, pour se protéger des températures extrêmes. La technique est donc une sorte de barrière contre les dangers naturels. L'homme ne peut subsister que s'il résiste à la nature, sinon il disparaîtrait. Le monde naturel n'est pas fait pour l'homme. Cette notion de médiation est défendue par Simondon qui rejette l'idée d'un robot autonome, avatar vivant et expérimentant à notre place. Ce dernier écrit d'ailleurs à ce sujet : «[...] le robot n'existe pas, ce n'est pas une machine »1. Pour Simondon, la technique n'est que médiation dans le sens où elle ne peut prétendre ni à l'autonomie ni à l'unité. La technique est un espace intermédiaire, une sorte de zone tampon qui permet d'interagir avec le monde. Cependant, l'homme ne doit pas abdiquer devant cette médiation. Cette dernière doit s'inscrire au sein de l'activité humaine. Si dans la première partie de son ouvrage, Simondon traite de la genèse des objets techniques, dans la troisième partie il la replace dans un système global dans lequel la technique est une phase parmi d'autres, qui ne peut être pensée de manière isolée.2 La technique ne peut amener à l'unité parce que, pour Simondon, cette dernière est le fruit de la séparation de l'unité primitive qu'est la magie en deux branches distinctes que sont la technique – la branche de la localité – et la religion – la branche de la totalité – 3, toutes deux étant complémentaires du fait de leur nature parcellaire. La magie est un stade primitif de relation au monde où l'homme et le monde ne font qu'un, où la dualité sujet-objet n'existe pas.4 Toutes deux issues de la séparation, la technique comme la religion ne sont pas la totalité et ne peuvent permettre d'atteindre l'unité. Chacun des deux domaines traite d'une partie de la réalité : la technique est le domaine du partes extra partes, de la localité. La religion, pour sa part, est le domaine du tout, de la transcendance. Ceci parce qu'avant la dissociation, figure et fond n'étaient pas séparés. Au contraire, le monde post-magique est séparé entre figure et fond, la technique ne traite que des figures et la religion, seulement du fond. La technique se situe toujours en deçà de l'unité, la religion toujours au-delà. Par conséquent, l'absence de totalité qu'est la technique, sa nature médiatrice donc intermédiaire, rend toute idée du robot inenvisageable. Par conséquent, le robot pose problème. Simondon parvient à traiter de l'objet technique, de la machine mais le robot se retrouve jeté hors du système du philosophe comme non-être. Il n'est pas semblable à l'objet technique, il n'est pas semblable à la machine, le robot est différent. Il est impossible à concevoir : une chimère. Il faut cependant préciser que les robots les plus avancés des années 1 2 3 4

ibid. p.11 ibid. p.222 loc. cit. ibid. p.227


13 1950 sont les Tortues de Bristol, qui avaient pour seules capacités d'explorer leur environnement et d'adapter leur comportement en fonction de l'intensité des lumières situées autour d'elles.

2. Le rejet dans la société de la période industrielle Le robot en tant que machine autonome trouve son origine dans le vœu ancien de l'homme d'engendrer une créature artificielle. Cet être autonome, nous le trouvons tant dans les automates de Vaucanson que dans les machines de la révolution industrielle. Le problème est le même : l'idée du surgissement d'un être autonome face à l'homme. Vaucanson qui avait commencé son œuvre de mécaniste par la création de trois automates restés célèbres – le Canard, le Joueur de flûte et le Joueur de tambourin et de galoubet – poursuivit sa carrière en tant qu'ingénieur industriel lorsqu'il mit au point des machines autonomes comme le métier à tisser les façonnés qu'il termina en 1748. Les automates et les métiers à tisser semblent très différents mais le but de Vaucanson est le même dans le deux cas : créer des machines automatiques de plus en plus perfectionnées. Avant de poursuivre, il faut clarifier les termes utilisés. Un automate, du grec αὐτόματος c'est-à-dire « qui se meut par lui-même », est une machine autonome dans son fonctionnement mais qui ne s'adapte pas à son environnement ; le robot, pour sa part, est autonome et peut interagir avec l'environnement. Les automates de Vaucanson ne sont donc pas des robots tout comme ses machines textiles qui ne font que répéter inlassablement le même geste. Cependant, il faut retracer la genèse du robot pour comprendre le problème principal : le rapport particulier qu'il entretient avec son créateur. La volonté d'utiliser la machine comme bon nous semble entraîne nécessairement l'avènement d'une peur liée à cette machine. De la même manière qu'un esclavagiste pourrait avoir nécessairement peur du jour où l'esclave se révoltera. Dans le cas de la machine, cette peur surgit dès que celle-ci sort de son rôle prédéfini, bien qu'il s'agisse le plus souvent d'une peur de l'inconnu. Pour comprendre les racines de cette peur, il faut remonter au XVIIIe siècle. La révolution industrielle, précédant l'apparition de la robotique industrielle a laissé la part belle aux machines automatisées qui ont su exécuter mieux et plus vite les actes de l'homme. Très rapidement, les usines textiles n'ont pu fonctionner sans leur expresse efficacité. L'homme s'est vu remplacé par des machines, des voix se sont levées pour s'opposer à ces intrus, destructeurs de carrières, d'emplois donc destructeurs de vies humaines. Il est, dans ce


14 contexte particulier de la révolution industrielle, difficile de discerner qui est l'esclave et qui est le maître entre la machine et l'homme. Le problème n'est pas d'automatiser des procédés de fabrication, car il peut s'instaurer une sorte de partenariat entre l'homme et la machine si le travail débouche sur une compréhension du fonctionnement interne de la machine. Contrôler le processus technique et ne pas se laisser déborder par la machine ne passerait pas par exécuter la tâche mais comprendre comment la machine fonctionne. Pouvoir l'utiliser, la réparer, la régler est la voie permettant une harmonie entre l'homme et la machine. Selon Simondon, au sein de l'industrie, la problématique est que celui qui travaillait avec ou sur la machine n'était généralement pas celui qui la réglait.1 On ôte ainsi à l'ouvrier sa tâche initiale donc le geste mais aussi et surtout la compréhension du geste et la réflexion sur l'action en cours. C'est en ceci que l'ouvrier est aliéné : par sa méconnaissance du processus en cours, pas par le processus lui-même. Vaucanson a suivi la voie de l'automatisation totale lors de la création de ses machines textiles. Le métier à tisser automatique fonctionnait tout seul, suivait des programmes interchangeables qui étaient contenus dans des cylindres à trous et qui permettaient de changer le motif à tisser. Ce procédé fut utilisé par Vaucanson lors de l'élaboration de ses automates et de celle de ses métiers à tisser.2 Ces machines, tout comme les boîtes à musique, usaient donc de programmes permettant une forme d'automatisme dans l’exécution des tâches. Le rôle de l'ouvrier sur ces machines ne devaient être que de tourner une manivelle pour y apporter de l'énergie mécanique constante. La machine de Vaucanson, bien que très avancée pour son époque, n'a pas eu le succès escompté par son inventeur. La machine de Jacquard utilisée cinquante ans plus tard eut au contraire un succès immédiat et fut utilisée dans les usines textiles. La différence entre les deux conceptions est importante et bien qu'il s'agisse de machines automatisées et non de robots, cela nous permet de comprendre un aspect essentiel. Ce que visait Vaucanson avec sa machine, c'est un automatisme total – hormis l'apport d'énergie – ; la machine de Jacquard, quant à elle, ménage une place pour l'homme. Comparée à la solution intégrée de Vaucanson, la mécanique de Jacquard est complexe mais elle donne plus de place à l'homme dans le contrôle du processus de tissage. C'est lui qui reste aux commandes et il peut l'incorporer.3 1 ibid. p.338 2 Chantal SPILLEMAECKER, dir. Vaucanson & l'homme artificiel, Des automates aux robots, Grenoble, PUG, 2010, p.40 3 ibid, p.68


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Cette dernière se place donc dans un milieu préexistant et s'y insère. Au contraire, avec la machine de Vaucanson, il faut tout changer pour que la machine puisse être utilisée. Ce qui a permis à la navette de Kay et à la mécanique de Jacquard de pénétrer si rapidement les ateliers et les manufactures, c'est leur souplesse d'utilisation, leur possibilité de se greffer sur des métiers existants sans nécessiter d'investissements financiers trop importants. La navette volante, par exemple, est un sous-ensemble qui vient se fixer au battant du métier et apporter un perfectionnement notable pour un coût modique. De même, la mécanique Jacquard peut s'adapter à un métier classique, se substituant au système manuel de sélection des fils de chaîne. Le métier à tisser de Vaucanson, lui, est entièrement nouveau. Il ne peut pas s'adapter, il ne peut que se substituer en totalité au métier manuel […]1 Socialement, la machine de Jacquard fut mieux acceptée du fait qu'elle permet d'instaurer une forme de relation entre l'homme et la machine, tandis qu'avec la machine de Vaucanson, l'ouvrier est relégué à une tâche secondaire. Économiquement, il était plus facile d'adopter, pour les usines, la machine de Jacquard, du fait qu'elle s'adaptait aux machines existantes et permettait une plus grande souplesse d'utilisation. Nous pouvons conclure, à propos des automates mais aussi des robots, qu'une technique, pour perdurer et se développer, doit multiplier les connexions avec le milieu qui l'entoure comme l'explique Frédéric Kaplan : Alors que les systèmes techniques tendent naturellement vers l'autonomie et l'intégration, leur acceptation sociale et leur diffusion dépendent malgré tout du type d'interface de contrôle qu'ils offrent à l'homme et de leurs relations d’interdépendance avec les dispositifs techniques déjà présents : c'est ce qu'avait compris Jacquard. Ce phénomène est désigné comme processus de symbiose : toute lignée technique doit, pour se diffuser, multiplier les interfaces avec le milieu technique et humain au sein duquel elle se développe.2 Un objet technique serait donc d'autant accepté qu'il développe des liens avec son milieu. De nos jours, le succès rencontré par les smartphones ou les tablettes en est une illustration saisissante : ces objets créent des liens entre les machines permettant le transfert d'informations par internet mais aussi des liens entre utilisateurs à travers les réseaux sociaux. Les smartphones et les tablettes sont truffés d'applications permettant d'interagir avec le 1 ibid, p.43 2 ibid, p.74


16 réseau quelque soit sa nature. La peur de la machine naît donc de l'absence de liens entre l'homme et la machine et entre les hommes eux-mêmes. Finalement, on pourrait penser que le robot est d'autant plus rejeté qu'il ne se situe pas pour le moment dans la sphère privée. Cantonné pour la majeure partie au sein des entreprises, l'homme n'arrive pas à concevoir les liens qu'il pourrait entretenir avec le robot, car ce dernier est trop lointain.

3. Un monstre qui questionne l'homme Cette relation ambiguë à la machine et plus particulièrement au robot se poursuit au XXe siècle. Bien après la révolution industrielle, les usines virent l'apparition des robots à proprement parler. Les machines à vapeur n'étaient pas réellement autonomes et dépendaient d'une action extérieure de manière relativement immédiate. Au contraire, les robots industriels pouvaient être relativement autonomes. Ceci amena plus encore à penser la machine comme dangereuse, intrusive, voire monstrueuse. Ces robots exécutaient avec une rapidité diabolique les tâches demandées, répondaient aux réquisits de l'usage pour lesquels ils étaient fabriqués avec une parfaite disponibilité. Un exemple bien connu est celui du bras robotisé utilisé au sein des usines de fabrication automobiles qui permet l’exécution de tâches difficiles, rapidement, et de manière quasi-ininterrompue. Le robot est donc perçu initialement comme devant être utile, utilisable. Un robot découpé, placé et utilisé où bon nous semble. Pour Simondon, au sein de l'univers primitif magique, les points clefs peuvent être les cimes d'une montagne ou une rivière par exemple. Ces points sont des portes de communication avec la nature qui nous entoure. Ces points ne sont pas des clefs uniquement de manière idéalisée mais aussi de manière concrète : le centre de la forêt est l'essence même de la forêt. De nos jours, la technique permet au contraire de créer des points clefs n'importe où. Nous pouvons de manière relativement contingente créer des lieux de pouvoirs agissant sur la nature en tout lieu. La technique, semblable alors aux points particuliers, focalisateurs d'un monde magique primitif crée un rapport particulier au monde, un rapport d'action et de transformation de l'environnement. Le cas du bras robotisé est une parfaite illustration de cette découpe du robot selon son versant utilitaire où l'acte est isolé, artificialisé et reproduit sans fin par la machine. Loin de penser une unité du robot, l'homme isole ce qui l’intéresse et l'utilise. Comme nous l'avons précédemment expliqué, la technique est le mode de l'action locale et analytique. L'acte humain est schématisé, isolé et reproduit. Pour ce faire, un double robotique d'une partie de l'homme à savoir, ici, le bras, est


17 créé, et exécute les tâches demandées. Ce bras, arraché en un certain sens à l'homme peut interroger, voire déranger. Certes, ce n'est pas l'homme qui est mutilé de cette façon, mais son acte. Cette vision presque macabre du robot est à mettre en parallèle avec la créature de Frankenstein issu de l'ouvrage éponyme dans lequel la créature artificielle est créée de toute pièce par un savant qui assemble diverses parties d'un corps humain pour créer une unité nouvelle : sa créature. Cependant ici, point d'unité, le bras reste un bras isolé. Tandis que Frankenstein est créé pour servir d’altérite au savant, le bras robotisé est un bras esclave de sa fonction initiale, qui, condamné à n'être qu'un ou plusieurs actes déterminés à l'avance, n'a aucune chance d'accéder à l'unité. On ne lui demande pas d'interagir avec nous si ce n'est par le fruit de son action. Cet aspect monstrueux du robot industriel est peut-être ce qui a entraîné cette peur que causèrent les robots à leur apparition. Le bras robotisé évoque un bras humain. C'est de cette ressemblance que naît la vision monstrueuse. Le robot monstrueux est anormal, il est une fonction. Il est certes, contrôlé, asservi, mais il semble trop efficace pour que l'opinion l'accepte. Il est vu comme causant des désastres sociaux car l'homme pense être remplacé à terme par le robot, qui semble plus efficace, entièrement voué à la tâche qui est la sienne. Ce monstre utilitaire peut prendre la forme de l'automate distributeur de billets ou des caisses automatiques des supermarchés, autant d'automates donc de mécanismes complexes chargés d'accomplir une seule tâche répétitive. Initialement, c'est la fonction des robots : se charger du travail pénible, des corvées, comme le montre l'étymologie signifiant « travail forcée. » La destination du robot, à son origine, semble bien n'être que celle de l'esclave. Cependant, ce dernier fait naître la peur d'un retournement. Et si l'esclave devenait le maître ? Lorsque le robot n'est qu'un bras, donc qu'une tâche, la peur reste minime. Mais plus le robot prend forme humaine, pour constituer un être mécanique de plus en plus complexe, capable de remplir de plus en plus de fonctions, plus l’appréhension augmente. Longtemps, le robot a été limité à certaines tâches isolées, à certaines formes simples. L'avancée de la robotique a permis l'apparition de robots plus sophistiqués qui, loin d'être de simples bras automatisés, ont eu accès à d'autres formes de complexités. Néanmoins, l'homme redoute l'arrivée d'un robot alter ego. Dans cette optique, le robot est cantonné à des formes amusantes comme l'est le robot NAO d'Aldebaran Robotics, pour limiter l'appréhension liée à son existence. Les robots de compagnie prennent des formes permettant leur acceptation par leurs créateurs humains. La créature ne doit surtout pas évoquer une forme d'autonomie ou une forme de relation égalitaire entre créateur et créature. Nous sommes partis du problème de la robotique comme volonté d'autonomie. Celle-


18 ci, tracée dès l'ère de la révolution industrielle a fait naître une peur : peur de l'aliénation au robot, peur du monstre, qui ressemble finalement trop à l'homme. Le roboticien Masahiro Mori a formé l'expression Uncanny Valley ou Vallée Dérangeante pour rendre compte de ce phénomène de rejet. Uncanny est la traduction du terme unheimlich utilisé par Freud, qui est traduit en français par « inquiétante étrangeté ». Le terme chez Freud apparaît en 1919 dans un essai qui analyse la réaction à une rupture au sein de l'habitude confortable du quotidien. La Vallée Dérangeante de Masahiro Mori, pour sa part, fait référence à une zone de rejet de l'esprit humain. Tant que le robot est identifiable à un robot mais tente d'agir comme un homme, il amuse et aucune forme de rejet n'apparaît. Le robot NAO entre dans ce cadre. Audelà d'un certain seuil de ressemblance, lorsque le robot commence à prendre forme humaine, comme c'est le cas du clone robotique du docteur Hiroshi Hishiguro, une forme de rejet apparaît du fait que le robot d'apparence humaine agit de manière étrange. Ici, on passe du robot identifiable à un robot, et qui n'est qu'un robot et est jugé comme tel, à un robot humanoïde qui, du fait de sa très grande ressemblance à l'homme est jugé en fonction de son humanité ratée. Ce type de robot est donc un monstre. Cette expérience psychologique met donc en doute la thèse suivante de Canguilhem « Il faut réserver aux seuls êtres organiques la qualification de monstres. Il n'y a pas de monstre minéral. Il n'y a pas de monstre mécanique. »1. S'il est vrai qu'on ne peut pas considérer une télévision ou une voiture comme étant monstrueuses, le cas du robot diffère de par sa proximité avec l'homme. L'inconscient le perçoit. Il perçoit cette étrangeté qui met en branle les certitudes et qui amène les hommes à se demander comment réagir face à cette créature d'un nouveau genre. Le robot force le questionnement, il est philosophique. Le rapport entre l'homme et le robot se hissant au niveau de l'homme pose problème. De simples machines automatisées nous sommes passés en peu de temps à des robots dont la forme rappelle celle d'un homme. Si le robot prend forme humaine et commence à se charger, non plus seulement de tâches simples comme lors de la révolution du textile, mais au contraire de tâches complexes et jusqu'à maintenant seulement dévolues au genre humain, la relation se modifie. La question n'est alors plus simplement de préserver ses avantages sociaux, son emploi, son rythme de vie, mais surtout son humanité et la place spécifique que cette dernière s'est forgée au cours des derniers millénaires.

1 Georges CANGUILHEM. La Connaissance de la vie, Paris, Vrin, coll. Bibliothèque des textes philosophiques, 2009, [1952], p.220


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II La création d'un alter ego 1. La redéfinition de l'homme à partir de la création d'une relation miroir Les œuvres cinématographiques ont tendance à percevoir le robot comme un danger, comme un être apocalyptique qui ne semble apporter à l'homme que la mort. Une première lecture de ces scénarios laisse à penser que le robot est perçu dans ses fictions comme supérieur à l'homme mais en fait, cette vision du robot est une persistance de l'ère industrielle. Le robot est certes plus efficace mais il est vu dans le fond comme inférieur. Il y a un aspect très condescendant dans ces films de science-fiction. En effet, comment pourrions-nous penser supérieur à l'homme un être qui ne se bornerait qu'à détruire et avec lequel il serait impossible d'entrer en communication ? Pour l'Occidental il est difficile d'envisager le robot comme étant une forme d'altérité : le dialogue est impossible. Force est de constater que la perception du robot n'est pas la même suivant les cultures. Comme l'explique Jean-Claude Heudin, les Japonais, que cela soit à travers les mythes, les symboles ou la vie quotidienne, ne perçoivent pas les robots de la même façon que les Occidentaux. Tandis qu'ils sont vus comme la fin de l'humanité en Occident, comme un vecteur apocalyptique en Europe, ils sont considérés au Japon comme des sauveurs, des compagnons. « Au Japon, les robots ne sont pas des esclaves en révolte mais les sauveurs de l'humanité. ».1 Le robot a presque un sens messianique pour un pays, qui, victime de son faible taux de natalité et de son faible taux d'immigration a besoin nécessairement du robot pour persister, les robots permettant d'aider les personnes âgées et de pallier l'absence de personnel dans les métiers difficiles. Le robot est donc vu comme une fin – au sens de destruction – et une fin – au sens d'utilité – en Occident, tandis qu'il est considéré comme un commencement, une promesse au Japon. Jean-Claude Heudin poursuit en évoquant les poupées artificielles japonaises : L'histoire des créatures artificielles nippones est liée au développement du karakuri ningyo, ce que l'on pourrait traduire dans une première approche par poupée automate. Alors que les automates des maîtres horlogers européens du Siècle des Lumières cherchaient essentiellement à émerveiller les princes, les petites poupées automates japonaises étaient conçues comme des divertissements populaires. Elles représentaient un lien entre les forces sacrées et l'humain.2 1 Chantal SPILLEMAECKER, dir. Vaucanson & l'homme artificiel, Des automates aux robots, Grenoble, PUG, 2010, p.80 2 loc. cit.


20 Il est vrai que l'apport du shintoïsme à la robotique japonaise est important dans le sens où dans cette religion animiste, toute chose, que cela soit un rocher, une source d'eau, un animal ou un homme peut contenir l'esprit d'un kami, un esprit supérieur, nous dirions en Europe, divin. Ceci fait qu'il n'est pas inconcevable pour un Japonais de respecter autant un robot ou une montagne qu'un homme du fait de sa dimension sacrée. Ces éléments participent du divin. La vision japonaise traditionnelle du monde est une vision englobante, holistique. Au contraire, l'Occident mécaniste a perçu le monde comme un monde à disséquer, un monde nécessairement en deçà de l'homme car n'ayant pas d'esprit de raisonnement. Cette idée que le raisonnement humain est l'étalon permettant de juger l’intérêt ou le respect dû à un être que cela soit à des animaux considérés comme n'ayant pas de raison, ou à des robots perçus comme singeant une intelligence qu'ils n'ont qu'artificielle, amène à penser des relations d'altérité, d'égalité qu'à travers le prisme de l’intelligence humaine. Tout ceci nous renvoie à la question de ce qui singularise l'homme par rapport au monde qui l'entoure. Car si on pense le robot comme n'étant pas seulement esclave mais au contraire altérité, comme communicant à l'homme un discours ou un sens, il s'ensuit inévitablement un retour sur soi. Ceci parce que, pour débuter un dialogue, il faut qu'il y ait deux individus situés. Où se place l'homme dans cette relation de dialogue ? Est-elle seulement envisageable ? L'homme rationnel et civilisé ne l'a pas toujours été. Ce dernier possède des racines qui plongent dans le règne animal. Il descend de ces derniers, possède des réactions instinctives mais il n'est pas que cela. Il a toujours été difficile de mettre des bornes à la nature, de catégoriser le vivant de manière arbitraire. C'est pourtant ce que nous faisons pour trouver ce qui fait l'homme. Nous le disons naturel et culturel. La culture permettrait à l'homme ayant des racines naturelles de se hisser hors du monde animal et d'être un homme doué de raison. Cet homme doué de raison est aussi un homme technicien, un homo faber. En effet, l'homme peut difficilement être différencié de la technique. Pour certains, comme LeroiGourhan, l'homme est technicien dès le début de son humanité. Dans un chapitre précédent, on aboutissait à cette impression que l'outil est en quelque sorte exsudé par l'homme au cours de son évolution [...] une impression identique est suscitée par l'analyse du geste technique, plus forte encore, car on y voit l'outil sourdre littéralement de la dent, de l'ongle du primate sans que rien ne marque dans le geste, la rupture décisive.1 1

André LEROI-GOURHAN. Le Geste et la parole, t.2 La Mémoire et les rythmes, Paris, Albin Michel, coll. Sciences d'aujourd'hui, 2003, [1965], pp.40-41


21 La nature de l'homme est indissociable de celle de la technique. Les termes s’entremêlent et il est difficile de faire la part de ce qui revient exclusivement à l'homme et ce qui ne l'est pas. Certains livres mettent d'ailleurs à mal l'idée d'exclusivité du langage et de la technique à la seule humanité.1 Au fil des avancées scientifiques, nous découvrons que l'outil, la culture et le langage ne sont pas le propre de l'homme. La différence est une différence de degré. Les catégories rassurantes des siècles passés laissent la place à de perpétuelles redéfinitions de ce qui fait l'homme, de ce qui le caractérise. Pourquoi ne pas émettre alors à titre d'hypothèse l'idée d'une relation d'égalité entre l'homme et le robot dans le sens où le robot ne ferait pas que nous servir mais serait aussi une source de connaissance, changerait notre rapport au monde et notre rapport à nous-mêmes. Il pourrait s'instaurer entre les deux une relation miroir. La quête du robot est un cheminement vers ce qui caractérise l'homme. En effet, que l'on pense l'homme technicien, naturel, culturel ou les trois à la fois, il faut, pour créer un alter ego, être en mesure de recréer les conditions initiales ayant permis l'éclosion de l'homme. Il nous faut comprendre les lois ayant présidé à la formation de l'homme que l'on connaît aujourd'hui pour tenter de créer un double robotique. C'est ici que réside la quête. L'homme à travers le robot part à la recherche de lui-même. Chaque chose qui semble « naturelle » doit être comprise, disséqué et réintégré au robot. La marche par exemple, comme l'explique Damien Lagauzère est d'une complexité qui nous échappe lorsque nous marchons : Construire un robot humanoïde capable de se déplacer sur deux jambes suppose également de comprendre les différents mécanismes à l’œuvre dans le processus de la marche chez l'homme. Ainsi, ce dernier parvient à se tenir debout parce qu'il est capable de maintenir son centre de gravité dans l'axe de son corps. C'est à ce prix qu'il évite la chute. Or, le moindre mouvement provoque un déplacement du centre de gravité. C'est là qu'intervient l'oreille interne dont le rôle est de signaler tout changement de ce type au cerveau afin qu'il réagisse en conséquence et déclenche toute une série d'actions nous évitant de tomber.2 Outre la marche, le langage, le problème de l'alimentation en énergie et bien sûr la conscience sont des difficultés pour la robotique. Pourtant, la robotique progresse et parvient à comprendre de mieux en mieux ces domaines. 1 Frédéric KAPLAN, Georges CHAPOUTHIER. L'Homme, l'animal et la machine, Paris, CNRS, coll. Biblis, 2013, [2011] 2 Damien LAGAUZERE. Robot : de l'homme artificiel à l'homme synchronique ?, Paris, L'Harmattan, coll. Questions Contemporaines, 2008, p.18


22 Cette quête de l'homme est une profonde recherche de connaissance héritière de la pensée cartésienne. Si la première phase de la robotique, celle d'un robot esclave envisagé sous son aspect utilitaire semble cartésienne car mécaniste, il ne faut pas se méprendre. En effet, la philosophie de Descartes ne peut être réduite à une vision destructrice et avilissante de la nature. La philosophie cartésienne est avant tout une aventure du sujet, une quête de soi et de sa place dans le monde, une compréhension de la puissance de la raison. Or, ne voir que l'utilité et non la fin des choses n'est pas un produit de la raison mais bien plutôt un non-sens. Lorsque Descartes déclare que nous serons « comme maître et possesseur de la nature » c'est dans un sens scientifique et non dans un sens égoïste de domination destructrice. La question est de savoir si la quête de création d'un Autre est possible sachant que celle-ci doit nécessairement passer par une parfaite compréhension de soi. Il est possible que cet objectif soit inatteignable. Pour créer un robot, les chercheurs tentent de découvrir ce qui caractérise l'homme, puis par mimétisme ou contraste tentent de créer le robot. La définition de l'homme est en perpétuel mouvement, les frontières sont perpétuellement repoussées du fait que chez l'animal ou la machine on observe des fonctionnements similaires. L'essence de la vie que le chercheur désire donner au robot est finalement l'essence de l'humanité elle-même, mais plus nous la cherchons plus elle semble s'éloigner. Nous comprenons chaque jour un peu mieux les fonctions d'apprentissage, la mémoire, le fonctionnement du cerveau chez l'homme. Par exemple, pour modéliser un cerveau humain comme le prévoit le projet européen Human Brain Project 1 2, les chercheurs doivent, étape par étape, comprendre le fonctionnement cérébral humain. Ce projet, bénéficiera d'un fond de recherche sur dix ans à hauteur d'1,19 milliards d'euros de fond de recherche de la part de l'Union Européenne dans le cadre du programme européen FET Flagship (Future and Emerging Technologies) qui finance les grands projets d'avenir. Son prédécesseur, le Blue Brain Project3 a permis la modélisation d'une colonne corticale de rat. Les projets se succèdent et s'interconnectent pour espérer comprendre le fonctionnement du cerveau humain. Selon les neuroscientifiques, quatre étapes sont à franchir pour espérer créer un cerveau artificiel4 : –

Tracer la carte complète du cerveau humain : Le projet Connectome5 est mené par le National Institute of Health aux Etats-Unis et permettra de comprendre plus profondément l'organisation interne du cerveau.

1 2 3 4 5

http://www.humanbrainproject.eu/fr consulté le 23/09/2013 http://www.cea.fr/recherche-fondamentale/human-brain-project consulté le 23/09/2013 http://bluebrain.epfl.ch/ consulté le 23/09/2013 « Cerveau artificiel, Sa fabrication a commencé ! », Science et vie, février 2013, n°1145, pp.44-61 http://www.humanconnectomeproject.org/ consulté le 23/09/2013


23 –

Construire un neurone électronique : C'est le projet Synapse1 soutenu par le IBM qui doit permettre de créer un neurone artificiel. Ce type de projet vise à dépasser les anciennes architectures de calcul artificielles qui ne peuvent rivaliser avec l'homme. Certains chercheurs pensent que la seule manière pour atteindre le niveau de l'intelligence humaine est de s'inspirer du fonctionnement particulier des neurones.

Organiser les interconnexions : Le projet Spaun2 de l'université de Waterloo au Canada doit permettre de relier les différents neurones créés pour produire un environnement stable. La chose ne sera pas aisée : au sein d'un cerveau humain, il existe cinquante milliards de neurones reliés par cent mille milliards d'interconnexions.

Alimenter le silicium en information : L'entreprise Google et l'université Stanford ont créé le projet Google X visant à rendre ce cerveau artificiel intelligent en lui permettant d'accéder à un processus d'apprentissage. Google se sert de son immense base de données pour intégrer des connaissances à ses créations artificielles.

Le chemin qui mène à l'élaboration d'un cerveau artificiel est long et il est donc nécessaire avant sa création effective de comprendre en premier lieu le cerveau humain à travers son architecture et ses processus complexes d'apprentissage. Ce lien entre connaissance de l'homme et création artificielle ne date pas d'hier. Vaucanson en créant ses automates découvre l'homme. Jean-Claude Heudin nous apprend que celui-ci, lorsqu'il créa le Joueur de flûte et de galoubet, découvrit certains principes sur la respiration du fait qu'il devait reproduire la façon dont un homme joue de l'instrument et de ce fait, percer au moins en partie le fonctionnement de la respiration humaine lors du jeu de l’instrument : La création de l'automate le conduisit ainsi à de nouvelles connaissances que même une dissection n'aurait pas apportée. C'est justement l'apport de cette approche, par conception et non par réduction, qui fondra, bien plus tard, la légitimité de l'approche de la vie artificielle.3 En cela, le robot a une fonction libératrice car il permet de mieux se connaître. Il nous libère du poids des préjugés sur l'homme ainsi que de l'ignorance de son fonctionnement et de 1 http://www.research.ibm.com/cognitive-computing/neurosynaptic-chips.shtml consulté 2 http://uwaterloo.ca/news/news/waterloo-researchers-create-worlds-largest-functioning-model consulté le 23/09/2013 3 Jean-Claude HEUDIN. Les Créatures artificielles, Des automates aux mondes virtuels, Paris, Odile Jacob, coll. Sciences, 2008, p.57


24 son essence, si essence il y a. Jean-Claude Heudin, poursuit en évoquant la perte des automates de Vaucanson lors d'incendies et de dégradations : Certains y verront peut-être un nouvel exemple de la malédiction divine. Une bien triste fin pour de telles œuvres qui ont marqué indéniablement une étape décisive dans l'histoire des créatures artificielles : celle de l'apogée des automates biomécaniques. Le canard et les deux androïdes de Vaucanson constituaient la preuve que certains processus vitaux ne nécessitaient aucune intervention divine ou surnaturelle.1 Les créations de Vaucanson ont permis à l'époque des Lumières de prendre du recul par rapport aux croyances qui voyaient dans le fonctionnement du corps humain une sorte de miracle impénétrable. Il faut une compréhension intime de l'humain pour créer un double sinon la création serait une illusion de création.

2. Le dépassement des limites et la transgression Cependant, ce n'est pas parce que nous avançons sur un chemin que nous en arriverons nécessairement au bout. Il est possible que la quête du robot soit une boîte de Pandore. Deux obstacles se dressent face aux chercheurs : le premier est celui de l'absence de fin. Il est envisageable que nous ne puissions jamais comprendre certaines choses comme le fonctionnement de la conscience par exemple. Quand bien même le robot semblerait en tout points ressembler, penser, réagir, parler comme un humain, il serait impossible de dire où s'arrête l'imitation et le déterminisme de la programmation et où commence une réelle prise de conscience de soi par la machine. A cet égard, le test du Turing 2, qui envisage de mettre en place une conversation entre un être artificiel et un humain et conclurait sur la perfection de la création si cette dernière arrivait à avoir une discussion avec l'humain, sans que celui-ci ne se doute de quoique ce soit, ne suffit pas. Un être parfaitement programmé au niveau linguistique pourrait arriver à créer l'illusion sans pour autant être doué de conscience. Le second obstacle évoque le récit de la créature de Frankenstein. Il est possible que notre volonté de créer un être parfait, de ce fait supérieur à l'homme, provoque notre propre destruction. Même si comme nous l'avons dit précédemment, il faut sortir du schéma apocalyptique, cela ne veut pas dire pour autant qu'il soit impossible que ces peurs se 1 ibid. p.61 2 Michel de PRACONTAL. L'Homme artificiel, Golem, robots, clones, cyborgs, Paris, Denoël, coll. Impacts, 2002, pp.51-55


25 réalisent. Dans le roman de Mary Shelley, la créature lorsqu'elle advient au monde, ne désire en aucun cas être nuisible. C'est le rejet de la créature par l'homme qui l'amène à son tour à adopter un comportement d'opposition. La créature souffre de sa propre existence. La créature cherche des réponses, elle est seule dans un monde qu'elle ne comprend pas. Elle décide d'aller trouver son créateur pour le questionner car ce dernier est celui qui donne vie et qui donne sens à sa création. « Cependant haï et méprisé comme je l'étais, tous les pays me seraient également hostiles. Je pensais finalement à vous. J'avais appris par vos papiers que vous étiez mon père, mon créateur ; à qui pourrai-je, plus logiquement, m'adresser qu'à celui qui m'avait conféré la vie ? ».1 Elle le trouve finalement mais son créateur la rejette. Dans sa quête de sens, elle se heurte à un refus. Elle ne trouve en lieu et place d'une réponse que l'agressivité et le ressentiment. Dites-vous bien que si je suis malfaisant, c'est uniquement parce que je suis malheureux. Ne suis-je pas repoussé et haï par l'humanité entière? Vous, mon créateur, vous voudriez me supprimer et triompher. Réfléchissez, et dites-moi pourquoi je devrais montrer de la pitié envers autrui, alors que personne n'en a envers moi ?2 Le docteur veut donc annuler son acte, retourner en arrière en supprimant sa créature comme si rien ne s'était passé. Il ne peut assumer l'acte créateur. L'homme n'a pas, dans un sens, la maturité nécessaire pour créer lui-même. Qui pourrait dire si l'homme, par peur, réagissant de manière excessive en rejetant un robot doué de conscience, n'entraînerait pas sa propre perte ? L'homme cherche à se comprendre lui-même pour créer le robot. Les difficultés ne se résument pas uniquement à l'acte de création mais aussi à la relation postérieure à la création qu'entretient le créateur avec sa créature. Entre les deux s'instaure un jeu de miroir où chacun tente de se définir par rapport à l'autre. La créature tente de trouver sa place, l'homme tente de redéfinir la sienne. La place de la créature, son rôle n'est pas forcément définie à l'avance ou celle-ci peut avoir été définie mais être rapidement débordée. Dans le cas du golem, créature présente dans les mythes de la culture juive, la place de la créature est fixée mais celle-ci devient rapidement incontrôlable. Selon certaines versions, le golem est créé par le Maharal de Prague pour protéger la communauté juive. Il est crée à partir d'argile, le mot EMET qui signifie vérité en hébreu est inscrit sur son front et lui donne la vie. Pour le rendre à la terre, 1 Mary W. SHELLEY. Frankenstein ou le Prométhée moderne, trad. CEURVORST, Joe, Paris, J'ai lu, coll. Fantastique, 1994, [1818], p.75 2 ibid. p.184


26 une lettre est effacé de son front, ne laissant que le mot MET qui signifie mort. Cette créature passive et n'étant pas douée de parole donc dépourvue de logos, de souffle divin, n'en reste pas moins dangereuse. Elle est créée par un homme qui outrepasse les limites de sa condition. Cela attire le malheur car le golem devient de plus en plus violent et se met à terroriser la ville entière. Il est incontrôlable car le rabbin n'a pas la compréhension totale de l'acte de création : c'est une création imparfaite puisqu'elle est humaine. D'ailleurs le terme golem signifie « masse informe ; embryon ». Bien que l'homme arrive à créer un corps d'argile comme dans le genèse1, il manque à la créature artificielle le souffle divin, donc l'esprit. Cette créature vide est un ersatz de création. Cette dernière n'a pas de place, elle n'est pas faite pour ce monde du fait qu'elle n'est pas créature de Dieu. De la même manière, la créature de Frankenstein, ne trouve pas sa place dans la société des hommes qui la rejette. Le rejet est ici non pas métaphysique mais social. Le docteur Frankenstein se rend compte bien avant de finir sa création qu'il arpente des sentiers interdits. L'ouvrage de Mary Shelley est clairement un texte mettant en garde contre les dangers de la science comme l'explique Damien Lagauzère. Aux yeux de Shelley, il est clair que la recherche ne peut que consumer celui qui s'y adonne sans retenue et en cela elle se fait l'écho de ceux qui considèrent la science comme potentiellement dangereuse. D'ailleurs Frankenstein apparaît comme étant, d'une certaine manière, rongé, dévoré par sa création avant qu'elle ne soit achevée.2 Il sait qu'il outrepasse sa condition mais il persiste, c'est l'aspect tragique. L'homme comme Icare se brûlant les ailes alors qu'il connaît les risques, persiste dans sa volonté de découvrir, de se faire l'égal de Dieu. De cette curiosité, dans les mythes, naissent les catastrophes. La situation n'est pas sous contrôle car elle n'est tout simplement pas adéquate aux capacités humaines puisqu'elles ne sont pas destinées à l'homme initialement. Il y a une relation asymétrique entre les rêves de l'homme et ses possibilités réelles de réalisation. Ce détournement de la force divine est visible par l'usage de la foudre utilisée par le Dr. Frankenstein pour donner vie à sa créature. Mary Shelley utilise la foudre pour représenter la puissance du ciel, puissance de créer mais aussi puissance de punir. Comme l'explique Damien Lagauzère, dans la poursuite de son ouvrage, Frankenstein s'adonne à l'inceste et il est possible que cette malédiction qui le frappe par l'intermédiaire de la créature soit en fait une punition non pas,en premier lieu, pour avoir créer une créature artificielle, mais pour 1 Bible de Jérusalem, genèse 2:7 2 Damien LAGAUZERE. Robot : de l'homme artificiel à l'homme synchronique ?, Paris, L'Harmattan, coll. Questions Contemporaines, 2008, p.149


27 avoir commis l'inceste. Frankenstein évoque sa cousine en ces termes : « […] la belle et adorée compagne de tous mes travaux et de tous mes plaisirs. ».1 Plus loin, la mère de Frankenstein s'adresse de la façon suivante à ses enfants : « Mes enfants, mon plus ferme espoir de bonheur résidait dans votre future union […] Élisabeth, mon amour, vous devrez me remplacer auprès de mes jeunes enfants. ».2 Enfin : J'aime ma cousine d'un amour sincère et profond. Jamais, aucune femme ne suscita, comme Élisabeth, mon admiration et mon amour le plus ardent. Mes espoirs et mes projets d'avenir sont entièrement fondés dans l'attente de cette union.3 Frankenstein ne commet donc pas uniquement l'acte transgressif de la création mais aussi celui de l'inceste. Le docteur dépasse toutes les limites et se pense tout puissant comme l'illustre l'utilisation de la foudre du ciel pour donner vie à sa création. C'est l'ultime puissance céleste qu'il invoque pour concrétiser ses projets. Si c'est d'abord l'inceste qui est punit, alors dans ce cas, la créature serait non pas cause de sa punition mais vecteur de sa punition. Dieu aurait laissé la création de la créature suivre son cours pour la simple et bonne raison que la créature serait œuvre de Dieu, vecteur indirect de la foudre divine qui aurait donné vie donc donné sens et corps à la créature. Quoiqu'il en soit, les mythes depuis l'Antiquité comme le mythe de Prométhée mettent en garde les hommes contre l'attrait de la création. Prométhée souhaitait créer un être vivant pour rivaliser avec les dieux. Il sculpta donc une créature à partir d'argile et d'eau qui devait être capable d'apprendre et d'utiliser les forces de la nature par elle-même. Athéna fut impressionnée par la sculpture et décida de l'aider en lui permettant de visiter les régions célestes où vivaient les dieux. Prométhée profita de l'occasion et déroba le feu sacré qui donne la vie. Il créa ainsi le premier homme. Afin de le punir, Zeus demande à Héphaïstos de sculpter une autre créature d'argile : Pandore, la première femme. Zeus envoya Pandore à Prométhée pour épouse en lui remettant une boîte contenant tous les maux de la terre.4 Certes, ici c'est un titan qui commet l'acte transgressif mais le titan est aussi inféodé aux dieux. Le mythe doit être transposé à l'homme. Cet acte est singulier du fait que la 1 ibid. pp.150 2 Mary W. SHELLEY. Frankenstein ou le Prométhée moderne, trad. CEURVORST, Joe, Paris, J'ai lu, coll. Fantastique, 1994, [1818], p.46 3 Damien LAGAUZERE. Robot : de l'homme artificiel à l'homme synchronique ?, Paris, L'Harmattan, coll. Questions Contemporaines, 2008, p.151 4 Jean-Claude HEUDIN. Les Créatures artificielles, Des automates aux mondes virtuels, Paris, Odile Jacob, coll. Sciences, 2008, p.26


28 créature humaine en créant un être ou en désirant le faire se substitue à son créateur : l'homme se prend pour Dieu. En ôtant l'aspect religieux de ces mythes, l'avertissement reste toujours valable dans le sens où le principe de la vie – qu'il soit Dieu ou la nature – maîtrise son œuvre consciemment ou inconsciemment d'une manière que l'homme ne maîtrise pas ou du moins pas encore. L'homme tente de faire coïncider son savoir parcellaire à un savoir total. Pour recréer l'acte divin ou naturel il faut connaître la totalité des causes et des effets qui sont en lien avec cet acte. L'acte créateur est certainement le plus problématique. Il est divin car pour l'accomplir et pour l'assumer il faut, sinon l'omniscience, du moins une science très étendue et une grande compréhension des phénomènes engagés et de leur causalité associée. Comme nous l'avons dit, pour créer un robot, il faut parfaitement se comprendre soi-même. Pour créer une conscience, il faut comprendre les rouages de la conscience humaine. En prenant uniquement l'exemple de la conscience, on peut se demander si une conscience artificielle, créée tant bien que mal par l'homme mais possédant des failles du fait de notre méconnaissance de certains paramètres, arriverait à garder une certaine forme d'harmonie. La psychologie et la psychanalyse nous informent déjà de l'aspect précaire de la santé mentale. Toute personne peut, à tout moment, basculer dans une pathologie. Il est très vraisemblable qu'à moyen ou long terme une conscience artificiellement créée par l'homme deviennent folle sans que nous en contrôlions les conséquences. De la même façon, les clones créés par les scientifiques démontrent la difficulté de manipuler la vie. D'une part, une partie des individus clonés ne sont pas viables, d'autre part et contrairement à l'opinion répandue les clones ne sont pas des êtres identiques. En effet, seul l'ADN nucléaire du noyau est cloné puis réintroduit dans une cellule porteuse qui est elle-même porteuse de l'ADN mitochondrial issue uniquement de l'ADN maternel.1. Par ailleurs, comme l'écrit Jean-Claude Heudin : Quoiqu'il en soit, il ne peut de toute façon exister de « clone parfait ». En effet, cela reviendrait à admettre que la seule chose qui importe est le code génétique et que, par conséquent, l'ensemble du processus de développement et les interactions avec l'environnement n'ont aucune action sensible sur un individu, ce qui est bien évidemment totalement faux. Même des jumeaux naturels développent au cours de leur vie des identités et des histoires personnelles très différentes, qui influent largement sur leur développement physique et mental. L'approximation grossière qui revient à réduire un individu à son code génétique est donc fondamentalement une erreur.2 La vie préserve donc sa part d'imprévisibilité en ce sens que même deux jumeaux 1 Jean-Claude HEUDIN. Robots et avatars, Le Rêve de Pygmalion, Paris, Odile Jacob, 2009, pp.90-91 2 loc. cit.


29 monozygotes se différencient. Ceci car les gênes ne s'expriment pas forcément de la même manière. Le vécu au sein d'un environnement modifie l'expression des gênes, cela s'appelle l'épigénétique. L'homme est encore loin de tout contrôler car connaître n'est pas maîtriser. Nous comprenons en partie la génétique mais nous n'avons pas de prise sur l'imprévisibilité liée au mouvement, à la vie vécue, dirons-nous. Nous ne comprenons parfaitement que des processus figés et hors-contexte c'est à dire en mouvement. Le défi contemporain est d'arriver à percer le mystère au sein même de la dynamique du réel. C'est ce que tente de faire la physique quantique.

3. L'intégration sociale L'acte créateur est donc un acte de mise en question de l'homme. Il est l'ultime épreuve de sa puissance réelle ou supposée. Lorsqu'on décide de créer quelque chose, il s'ensuit nécessairement un jugement rétroactif sur la création finale pour mesurer l'adéquation entre la volonté créatrice de départ et son objet effectivement créé. On ne peut se soustraire à la réalité de l'acte de création qui nous met face à nos faiblesses dans le sens de manque de connaissances adéquates à la réalisation du but visé. L'aspect philosophique du robot déjà présent lors de la phase de conception où l'homme doit se questionner lui-même, s'analyser, pour ensuite se projeter dans sa créature, se poursuit lorsque la créature en retour questionne son créateur. Certes, traiter de communication entre l'homme et sa créature peut sembler précipité au vu de l'état actuel de la robotique. Néanmoins, cela dépend du niveau où l'on situe la nature de ce questionnement. Ce dernier peut exister sans qu'il y ait, pour autant, une communication langagière effective. Le robot existe déjà même s'il ne communique pas encore naturellement et de manière fluide avec l'homme. Son existence et son amélioration constante est une réalité qui interroge l'homme par rapport à son but, ses capacités, son rôle. Pourquoi crée t-on un robot et quel est le désir sous-jacent de l'acte créateur ? Quelles sont nos capacités et notre légitimité à tenter de créer une nouvelle forme de vie intelligente au vu de notre difficulté présente à nous gouverner nous-même ? Quel est notre rôle par rapport à cette créature ? Dieu ? Égal ? Bourreau ? Esclave ? Notre remise en question ne se borne pas à la créature elle-même mais aussi à la société dans son ensemble et aux interactions que nous aurons avec nos créatures. La question n'est pas seulement celle de la possibilité, c'est aussi celle de l'éthique. Damien Lagauzère en s'appuyant sur la littérature se


30 questionne à ce sujet : […] nous ne pouvons que nous sentir invités à considérer la manière dont nous allons nous-mêmes accueillir nos créations futures […]. Quoiqu'il en soit, la manière dont nous les traiterons aura des conséquences majeures sur la nature de nos relations futures.1 Cela pose le problème de la cohésion sociale dans son ensemble et du rôle que pourra ou devra tenir chacun. Il poursuit sur une note qui pourrait passer pour plus optimiste en traitant de la possibilité que nous offre la technique de nous améliorer nous-même, donc de créer une société ou du moins des hommes meilleurs : « De plus, notons que grâce à ses progrès techniques et scientifiques, l'homme a quasiment éliminé la sélection naturelle. Or, ces progrès supposent également que l'homme, à titre individuel, puisse se transformer luimême ou sa descendance. »2 Le robot est finalement une recherche de connaissance de soi et pourrait aboutir à une recherche de dépassement de soi. Comprendre le fonctionnement interne de l'homme et la création de substituts robotiques permet en outre de poursuivre le dur labeur de la construction de l'être artificiel qui dure depuis l'Antiquité, il permet aussi par rétroaction d'adapter à l'homme des avancées techniques. C'est ainsi non seulement le robot qui s'inspire de l'homme mais aussi l'homme qui s'inspire du robot. Que cela soit des puces, des électrodes, des prothèses, l'homme peut être augmenté rétroactivement par la robotique. Certes, nous nous éloignons de notre sujet car ces hommes augmentés sont des cyborgs. Toujours est-il que le robot peut non seulement ouvrir la porte à une connaissance de soi mais aussi à une quête d’amélioration de l'homme par la découverte de palliatifs à ses faiblesses. Isaac Asimov, dans Les Robots, évoque la possibilité que les fonctions publiques soient occupées par des robots, qui, encadrés par les trois lois de la robotique, permettraient la mise en œuvre d'une société idéale, non corrompue et pacifique. Si l'on pouvait créer un robot capable de tenir des fonctions publiques, j'imagine qu'il remplirait idéalement les devoirs de sa charge. Selon les lois de la robotique, il serait incapable de causer du préjudice aux humains, il serait incorruptible, inaccessible à la sottise, aux préjugés. Et lorsqu'il aurait fait son temps, il se retirerait, bien que immortel , car il lui serait impossible de blesser des humains en leur laissant savoir qu'ils avaient été

1 Damien LAGAUZERE. Robot : de l'homme artificiel à l'homme synchronique ?, Paris, L'Harmattan, coll. Questions Contemporaines, 2008, pp.161-162 2 ibid. p.163


31 dirigés par un robot. Ce serait l'idéal.1 S'il est vraisemblable que les robots puissent nous gérer mieux que nous nous gérons nous-même, il faut se demander si l'humanité serait encore l'humanité si elle se trouvait privée de son libre-arbitre par ses créatures. La quête d'idéal risque donc de se retourner contre l'homme. A force de chercher à créer un double de lui-même parfait, une sorte de projection idéalisée, la dite projection pourrait à son tour vouloir modifier l'homme pour qu'il réponde aux canons qu'il a lui-même édictés. Nous glissons donc doucement de l'effectivité vers l'idéalité. Cette ingénierie de la vie pourrait être transposé à une ingénierie sociale à grande échelle. Vaucanson après avoir créé ses automates a été en charge des usines textiles de France. Il a voulu, dans le but de bien accomplir ses nouvelles fonctions, user des même méthodes mécanistes qu'il avaient utilisées lors de la création de ses automates. Cela a entraîné la création de son métier à tisser automatisé comme nous l'avons dit précédemment mais aussi la mise en place de méthode de rationalisation de l'organisation et de la production dans les usines textiles. S'en est suivit un mouvement social qui s'opposa à ces nouvelles méthodes. La rationalisation sociale peut entraîner des désastres sociaux. La société occidentale rationnelle a débouché sur la capitalisme qui certes, a permis, de mobiliser des forces et des fonds pour mener à bien de grands projets et a ainsi dynamisé l'économie mais a aussi débouché sur certaines dérives actuelles. La recherche de profit est une forme de rationalisation. Lorsque certains individus usent de tous les procédés possibles et imaginables pour se soustraire à l'impôt c'est à la fois rationnel et à la fois un oubli de certains devoirs sociaux. L'idée ici n'est pas de se poser en moralisateur mais de mettre en lumière le fait que l'application ou l'incarnation de la raison n'équivaut pas invariablement à une amélioration sociale. La dimension sociale du robot doit être pensée car les futurs bouleversements que va créer l'arrivée de ces derniers dans les foyers va nécessairement redessiner les échanges sociaux comme l'ont fait internet et les réseaux sociaux. Les robots n'ont pour le moment, et de manière effective, intégré que les usines mais ils commencent à intégrer l'armée par exemple sous formes de drones comme le Predator américain. Bientôt, ils seront dans les foyers sous forme d'aspirateurs, de compagnons pour les enfants ou les personnes âgées dans les hôpitaux. Il faut nécessairement réfléchir à cette nouvelle forme d'interaction sociale, cette nouvelle altérité. Tant que le robot ne paraissait être qu'une création de « savant fou » dans des laboratoires on pouvait éluder cet aspect mais ce n'est plus possible de nos jours. 1 ibid. p.46


32 Le projet du robot NAO d'Aldebaran Robotics vise à créer un robot de compagnie qui pourrait entre autres communiquer ou donner des cours à un enfant. NAO au niveau linguistique sait déjà comprendre des phrases simples. Au niveau cognitif, il peut reconnaître les visages, les objets, les prendre avec ses mains et les apporter si on lui demande. Il perçoit son environnement immédiat, peut se connecter au réseau. En ce qui concerne l'aspect moteur, il marche et sait se relever s'il tombe. 1 Ces choses peuvent sembler simples mais sont le fruit de longues années d'élaboration et sont la condition à l'arrivée des robots de compagnie dans les foyers du grand public. Ce type de robot ne fait pas que singer l'homme, il peut réellement apporter quelque chose socialement pour les personnes âgées ou pour un enfant unique dont les parents s'absentent. Ces personnes se sentiraient possiblement moins seules. Ils peuvent donc combler un manque affectif et social. Leur création ne vise pas à remplacer l'homme mais à proposer une autre voie. Il peut y avoir l'homme et le robot, il n'y pas nécessairement confrontation sauf dans l'esprit de ceux qui se sentent attaqués dans leur humanité par la simple existence du robot mais cela nous renvoie à notre passage sur la peur. Par ailleurs, certains robots permettent de pallier à l'absence de certains types de personnels comme le personnel médical dans les maisons de retraites. Le robot japonais Ri Man par exemple du laboratoire Riken à Nagoya est un robot aide-soignant capable de porter un malade. Le robot ne vise ici pas à remplacer l'homme. Les enfants peuvent toujours aller voir leurs parents âgées mais quand ils ne sont pas là, une présence persiste qui est celle du robot. Certes, nous pouvons voir cela comme une forme d'infantilisation ou une forme de peur de l'absence qui devrait forcément être comblé. Il est vrai qu'à la manière des caméras de surveillance, le robot comble un vide dans une société qui ne l'accepte plus. Nous sommes dans une époque qui recherche la totalité, l'ubiquité et l'omniscience. Cette époque est celle des réseaux, nous pouvons contacter n'importe qui, n'importe où et de façon quasi-immédiate. Nous désirons voir toujours plus de films, lire toujours plus de livres et les conserver sous format numérique. Cela traduit l'interpénétration des mondes humain et technique, souvent perçu comme un phénomène contemporain. Il semble cependant que ces deux mondes ont toujours été simultanés. La nature de l'homme est inséparable de l'outil. En apparence, les premiers outils étaient issus d'une exsudation de la technique, les techniques étaient quasiment endogènes tandis que celles des siècles derniers étaient exogènes à l'homme. L'outil faisait initialement partie de l'homme, puis il s'en est détaché pour se développer hors de lui. De nos jours, un mouvement inverse de retour vers l'homme se 1 http://www.aldebaran-robotics.com/fr/Decouvrir-NAO/caracteristiques-principales/plateforme-hardware.html consulté 23/09/2013


33 profilerait s'accompagnant d'un choc qui permettrait une nouvelle incorporation, le choc paraissant violent du fait que les deux systèmes se seraient développés de manière autonome. Néanmoins, il faut comprendre que l'homme et l'outil sont un. Ils n'ont jamais été séparés car l'homme agit en usant de la technique comme d'un intermédiaire entre lui et la nature. De la même façon, les langages informatiques utilisé par l'homme et tapés sur l'ordinateur sont incompréhensibles pour la machine qui doit elle-même les transcrire dans un langage compréhensible pour elle à savoir le binaire. Le monde est un empilement de phases intermédiaires et de langage différenciés permettant une équilibre entre des réalités disparates. Si les techniques semblent à une époque de l'histoire être passé d'un mode endogène à un mode exogène c'est qu'on perçoit les choses sur mode biaisé. On pense le corps humain fini et localisé. Il est en fait extensible comme le décrit Frédéric Kaplan : Notre enveloppe corporelle est donc extensible, étirable, changeante. Nous l'étendons au marteau que nous saisissons le temps de planter un clou ; puis une fois l'opération terminée, l'outil redevient un objet extérieur, à portée de main, mais séparé. Notre schéma corporel n'est pas un modèle de notre corps, c'est un espace à géométrie variable. A chaque instant, nous sommes le point de vélocité maximale, l'extrémité du bâton, la pointe de l'épée, l'icône de la souris. C'est avec cette extrémité active que nous agissons, mais aussi que nous sentons, mesurons, éprouvons.1 Ainsi nous nous sommes toujours projetés dans l'outil, notre corps est l'outil lorsque nous l'utilisons. La technique nous permet de ressentir le monde, de le découvrir, de le modifier. Nous pensons que les utopies modernes liées au réseau veulent nous enfermer dans la technique, dans un monde virtuel de la technique mais nous en faisons déjà partie. Nous appartenions déjà à cette technosphère lorsque les hommes préhistoriques utilisaient les premières pierres taillées. Ils étaient ces pierres taillés et ils pensaient à travers ce prisme technique. Leur monde et les possibilités d'actions étaient indissociables de la technique. On pourrait objecter que le marteau est exogène, alors que la modification de notre ADN ou l'implantation durable de puces est une extension persistante. Néanmoins, la technique nous modifie déjà constamment. L'usage de différents vêtements modifie par exemple notre façon de marcher. Tous les objets techniques tant que nous les utilisons ou tant qu'ils font partis de notre environnement immédiat nous modifient en permanence. Dans le film Matrix, lors de la scène de la salle des machines, s'instaure un dialogue entre le personnage principal, Neo et le conseiller Hartman : 1 Chantal SPILLEMAECKER, dir. Vaucanson & l'homme artificiel, Des automates aux robots, Grenoble, PUG, 2010, p.74


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– Le conseiller : Le sort de la ville dépend de ces machines. Elles nous maintiennent en vie, alors que d'autres cherchent à nous tuer. Intéressant, non ? Le pouvoir de donner la vie, et le pouvoir de l'ôter. – Neo : Nous avons le même pouvoir. – Le conseiller : Je suppose que oui, mais...quand je pense à ceux qui sont reliés à la Matrice et que je regarde ces machines, je me dit que d'une certaine manière nous sommes reliés à elles. – Neo : Nous contrôlons ces machines, et non l'inverse. – Le conseiller : Bien entendu c'est impossible. C'est complètement absurde mais c'est à se demander : Qu'est ce que le contrôle ? – Neo : Si on le voulait, on pourrait les arrêter. – Le conseiller : (rires) C'est ça ! Vous avez mis le doigt dessus. C'est ça le contrôle. On pourrait les casser en mille morceaux. Mais il faudrait envisager de se passer de lumière, de chaleur, d'air...1 Dans ce film, les machines ont gagné la guerre contre les humains et ont placé ces derniers dans des cuves en connectant leur cerveau à une réalité virtuelle permettant de faire vivre les hommes dans un monde imaginaire tandis que l’électricité produite par leur corps sert à fournir aux machines de l'énergie. Ce dialogue trace un parallèle entre les humains passifs, toujours connectés à la matrice, et les humains libérés de la matrice qui utilisent des machines pour faire fonctionner la ville humaine, Sion. Cette dernière a été construite par des rebelles qui se sont déconnectés de la matrice pour retrouver leur liberté. Nous serions finalement autant esclaves des machines en les utilisant que ceux qui y sont entièrement connectés. Comme l'explique le conseiller, rejeter les machines c'est rejeter le mode de vie humain par la même occasion. Dans le film, les machines servent même à avoir un air respirable. Cela n'est qu'une métaphore de notre monde réel dans lequel les machines nous sont aussi indispensables que l'air que nous respirons. Nous sommes en tant qu'humains placés au sein d'un écosystème technique dont nous dépendons. La question est alors de savoir ce qu'est ce que le contrôle. Est-ce le pouvoir de l'homme de vérifier le fonctionnement des machines et de les débrancher ? Ou est-ce la dépendance qu'ont créé les machines à notre égard ? Qui contrôle qui ? Notre pouvoir de contrôle sur les objet techniques qui serait cristallisé dans l'acte de détruire notre lien qui nous unit aux machines nous détruirait nousmême ainsi que notre civilisation.

1 Andy et Lana WACHOWSKI. Matrix, 1999


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III Un idéal messianique 1. Un Autre tendant à la totalité La technique est donc omniprésente, elle nous constitue autant que nous la constituons. Par un jeu d'interdépendances et d'influences réciproques, l'histoire de l'homme et l'histoire de la technique sont liées. A la confluence de ces deux histoires, né l'archétype du robot, qui comme un point de réconciliation permet l'intégration, l'incorporation de cette symbiose. Le réalisme de cette omniprésence de la technique, de ce technosystème, est aujourd'hui visible par les Technologies de l'information et de la communication. Ce monde est constellé de points de connexion à un système globalisé de la même manière que le monde magique chez Simondon était constitué de moments privilégiés et de lieux privilégiés. L'homme de la société magique recherchaient ces points privilégiés qui l' entouraient, et qui constituaient un monde plein de promesses et d'attente. De la même manière que l'homme primitif, trouvait dans le point clef naturel la réponse à ses interrogations et un moyen d'agir sur le monde, l'homme moderne cherche avidement le réseau qui lui permettra d'avoir l'accès à internet, centre névralgique de l'information et qui permet de relier les machines entre elles. Cette globalisation amène à penser l’idéalisation. La connexion totale de la société permet d'accéder à des livres ou des articles en ligne, permet de retrouver son chemin par le GPS, mais peut servir aussi à rendre plus fluide la circulation automobile en alternant automatiquement la circulation en fonction des points d'influences comme visent à le faire les smart cities déjà en construction en Chine, en Corée du Sud, aux Etats-Unis ou bien encore en Europe. Ces cités intelligentes sont des villes entièrement connectées. L'idée est de faire converger les informations vers un ordinateur central ou vers des centres de contrôles annexes. Ce type de ville serait empli de capteurs semblables à des nerfs, les connexions seraient sous les rues, dans le béton des immeubles ou dans les feux-rouges. Elles visent plusieurs buts : lutter contre la criminalité, assurer la santé des personnes, permettre une plus grande cohérence et une plus efficacité commerciale par une meilleure gestion des flux d'information, une meilleure gestion des déchets, en bref : une optimisation à tous les niveaux. Au niveau de la lutte contre la criminalité, la mise en place de caméras permettrait de surveiller les rues et d'alerter automatiquement la police en cas de vol ou d'agression. En ce qui concerne la sécurité des personnes, une mauvaise chute chez soi dans l'escalier ou une crise cardiaque dans la rue mettrait en alerte les systèmes de sécurité et les détecteurs de la ville qui contacteraient les secours. Comme nous l'avons dit au niveau des flux de circulation,


36 l'ordinateur central permettrait de gérer en temps réel via le GPS contenu dans toutes les voitures le trajet et la vitesse pour qu'il n'y ait aucun embouteillage et que le trajet soit rapide. Au niveau écologique ces villes prennent exemple sur les dernières réflexions en urbanisme illustré entre autres par les Smart Grid qui désignent un réseau intelligent d’électricité qui permettrait une gestion plus fine des besoins au sein de ce dernier. Ce n'est qu'en usant de la puissance des réseaux et de l'informatique qu'il est possible pour les entreprises d'énergie de savoir instantanément à quel endroit l'énergie manque et à quel endroit elle est inutilisée. L'optimisation entre utilisation et production permet des économies et contribue à une meilleure gestion énergétique. Ces projets sont à rapprocher des initiatives de certaines villes pour créer la ville de demain. Ainsi, la ville de Levallois utilise la chaleur des eaux usées pour chauffer des bâtiments ou des piscines et celle de Rouen « récupère l'énergie produite par l'incinération des déchets et la réinjecte dans le réseau urbain de chaleur »1. Ces villes peuvent causer un rejet du fait de leur aspect sécuritaire mais il est intéressant de noter l'aspect écologique lié à l'optimisation de la circulation ou des déchets. Les Technologies de l'information et de la communication peuvent permettre instantanément d'avoir un usage plus rationnel des matières premières. Ces villes intelligentes rejoignent notre question en ce sens qu'elles visent l'idéal d'un tout technologique. Dans celles-ci, les robots auraient une grande place, ils pourraient assurer la sécurité ou secourir les personnes. Cela nous rappelle la citation d'Asimov sur le gouvernement des robots. Si nous revenons à notre définition du robot à savoir celle d'une machine automatisée qui interagit avec son environnement dans lequel il s'insère, la ville intelligente elle-même peut être comprise comme un robot. Une ville entièrement automatisée et informatisée et de surcroît connectée au réseau est un gigantesque robot. Le robot n'est pas forcément humanoïde. En cela nous rejoignons la définition du robot proposé par Cyril Fiévet : « [Le robot est] Une créature artificielle, le plus souvent mécanique, autonome ou non, capable de se mouvoir ou de mouvoir l'un ou l'autre des éléments qui la composent, d'effectuer des tâches précises, et reproduisant tout ou partie de caractéristiques humaines ou animales. ».2 Certes, la forme humanoïde est la plus intéressante philosophiquement pour penser le rapport créateur-créature mais il n'en reste pas moins qu'un robot tel qu'une ville intelligente permet de penser le rapport à nos créations. Si les premiers robots industriels n'était qu'une partie d'homme comme un bras, les robots plus récents ont adopté la forme humanoïde. 1 http://lesclesdedemain.lemonde.fr/villes/les-dechets-six-pieds-sous-terre-pour-une-ville-propre-et-durable_a13-2078.html consulté le 23/09/2013 2 Cyril FIEVET. Les Robots, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 2002, p.10


37 Cependant, certains robots prendront certainement une forme plus diffuse. Suivant en cela l'évolution des techniques qui émergent en réseau, le robot transcendant pourrait être à terme une ville ou la planète entière. Il faut donc envisager une forme de robot transcendant sa condition initiale, sortant de la forme figée auquel on le réduit souvent.

2. « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve » L'idée du robot transcendant permet de penser un robot au-delà de l'humain, la créature dépassant son créateur. Loin de renvoyer aux films apocalyptiques, on peut penser ce type de robot comme servant à établir un monde meilleur. Sans renier son libre-arbitre, l'homme pourrait accéder à une société où toutes les tâches non intellectuelles, donc non réellement dévolues à la nature profonde de l'homme si l'on en croit les philosophes antiques, seraient effectuées par des robots. Dans la philosophie platonicienne, nous trouvons une volonté d'élévation à travers le concept de dialectique ascendante qui permet à l'homme de se tourner vers les Idées. La vie bonne serait une vie contemplative. Les Grecs n'avaient pas de robots mais les tâches difficiles étaient assignées aux esclaves. Ces derniers étaient nécessaires au fonctionnement de la société athénienne. Aristote en son temps évoquait dans La Politique, la nécessité des esclaves : Si chaque instrument, en effet, pouvait, sur un ordre reçu, ou même deviné, travailler de lui-même, comme les statues de Dédale, ou les trépieds de Vulcain, « qui se rendaient seuls, dit le poète, aux réunions des dieux »; si les navettes tissaient toutes seules ; si l'archet jouait tout seul de la cithare, les entrepreneurs se passeraient d'ouvriers, et les maîtres, d'esclaves.1 Si la société était robotisée, nous pourrions donc, en théorie, nous passer d'ouvriers et d'esclaves et permettre à l'homme de se consacrer entièrement à la theoria c'est à dire la vie contemplative opposée à la praxis, la vie pratique. Si les navettes tissent toutes seules et les automates jouent de la musique depuis l'époque de Vaucanson, l'homme n'a pas encore été remplacé dans la totalité des activités laborieuses par une créature artificielle. L'homme a détruit l'image de Dieu au cours des derniers siècles, il a érigé la raison, héritage du logos grec, comme norme de la vie bonne. Si la religion n'apporte plus les réponses aux questions existentielles de l'homme, s'il perd le sens de la vie, il ne reste qu'une 1 ARISTOTE. La Politique, 1253b, 1254a


38 alternative : la technique. Si l'homme d'aujourd'hui semble se perdre dans le développement technologique c'est qu'il cherche des réponses. Abandonné par Dieu, l'homme d'aujourd'hui recherche la transcendance par la technique. La technique a un côté messianique car on espère qu'elle pourrait à son paroxysme nous donner une réponse, résoudre des problèmes qui semblent insolubles. L'homme moderne occidental se pense libre, libéré de tout dogme et de toute contrainte car il semble avoir un contrôle sur la nature qui semble devenir total. Cependant, la réalité est toute autre : l'homme ne se supporte pas, il ne supporte pas le monde qu'il a créé. L'ère de l'information nous abreuve ou même nous inonde des images de ce monde pollué, corrompu, perpétuellement en guerre qu'il ne doit qu'à lui. La perte de Dieu le rend orphelin. Sa quête d'alter-ego extra-terrestre à travers le programme SETI ou Search for Extraterrestrial Intelligence n'a donné aucun résultat. Il s'en suit que l'homme est seul et surtout qu'il est l'unique responsable du sort de cette planète, osons le terme : dévastée. Pour cela, le seul espoir semble prendre la forme d'un nouvel accroissement de la technique. Dans certains cas, il semblerait qu'une amélioration technique change vraiment les choses. Prenons l'exemple de la fission qui alimente les centrales à énergie nucléaire contemporaines dont le principe est que le noyau d'un atome fissuré libère de l'énergie. La puissance de production d'énergie des centrales modernes peut aller jusqu'à 1600 Mégawatts environ pour les réacteurs de dernière génération E.P.R.1 ce qui est loin d'être négligeable en comparaison des 1,6 à 3,4 Mégawatts produits par une éolienne. 2 Certes les éoliennes peuvent former des champs. Ainsi en 2009 le parc éolien total s'élevait à 2800 éoliennes produisant 4500 Mégawatts. Cependant, elles ne fonctionnent pas de manière continue. Le rendement est donc forcément inférieur aux réacteurs nucléaires et nécessitent de grands espaces. Néanmoins, le fonctionnement des centrales nucléaires entraîne le rejet de déchets radioactifs. Pour inverser cette tendance à l'augmentation des déchets, certains arguent qu'ils faudrait cesser d'user du nucléaire. D'autres au contraire défendent la thèse inverse qui est de poursuivre sur cette voie mais en passant à l'étape supérieure qui est celle de la fusion nucléaire. Les centrales à fusion doivent reproduire les réactions qui se déroulent au cœur de notre soleil. Dans ces centrales, les atomes ne seraient plus fissurés mais au contraire fusionneraient. Sur le site internet du CEA, le Commissariat à l'Energie Atomique et aux énergies alternatives, nous trouvons cette définition : 1 Jean BUSSAC, Frank CARRÉ, Robert DAUTRAY, Jules HOROWITZ, Jean TEILLAC, « NUCLÉAIRE - Réacteurs nucléaires », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 24 septembre 2013. URL : http://www.universalis-edu.com.sicd.clermont-universite.fr/encyclopedie/nucleaire-reacteurs-nucleaires/ 2 Bruno CHANETZ, Samuel JOAB, « ÉNERGIE ÉOLIENNE ET SOCIÉTÉ », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 24 septembre 2013. URL : http://www.universalis-edu.com.sicd.clermontuniversite.fr/encyclopedie/energie-eolienne-et-societe/


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La réaction de fusion thermonucléaire, consistant en la fusion de deux noyaux atomiques, dégage des quantités d’énergie à l’origine du fonctionnement des étoiles. Maîtriser cette réaction permettrait d’envisager une nouvelle filière énergétique. En plus d’offrir une source d’énergie quasiment inépuisable à l’échelle de l’humanité, l’exploitation industrielle de la fusion présente les avantages suivants : peu de déchets radioactifs ; pas d’émission de CO2 ; « combustible » courant (deutérium, 33 grammes par m3 dans les océans) ou facile à fabriquer (tritium) ; aucun risque d’emballement du réacteur. La fusion nucléaire utiliserait donc un combustible non nocif et très abondant qui est le deutérium contenu dans les océans. Les réactions seraient moins dangereuses et les déchets quasi inexistants comparés aux déchets actuels issus de la fission. Le passage de la fission à la fusion semble donc être un exemple de rationalisation des procédés de production énergétique. Cet argument va dans le sens de ce qui pourrait sembler être une surenchère technologique. Une augmentation constante de la technologie est en certain sens l'attente d'un messie d'un nouveau genre. Ce messie technologique pourrait aussi être le robot qui semble être l'objectivité incarnée dans le monde sensible. Une forme de vie intelligente mais qui se situerait au-delà des émotions et des préjugés pourrait être l'incarnation philosophique cherché par les philosophes grecs. Mais alors, devons-nous penser que l'homme soit incapable d'atteindre un véritable état d'ataraxie ? Cette impossibilité de l'homme à dépasser une certaine limite inhérente à sa condition biologique amène certains courants de pensée à imaginer que le robot pourrait achever une quête que nous sommes incapables d'accomplir. Le transhumanisme souvent décrié en France émet l'hypothèse qu'il faut dépasser l'homme tel que nous le connaissons pour atteindre un nouveau stade. Selon les courants transhumanistes, il peut s'agir d'un hybride homme-machine, un cyborg qui resterait un homme mais serait augmenté par les nouvelles technologies que sont les nanotechnologies, l'informatique, les sciences cognitives ou bien encore la bio-ingénierie. D'autres pensent que le changement proviendra des robots. Ray Kurzweil par exemple part du principe que les ordinateurs évoluent beaucoup plus rapidement que nous. Il s'appuie ce faisant sur la loi de Moore, « […] la densité des circuits augmente à coût constant, ce qui signifie que, pour un même prix, les performances des ordinateurs doublent régulièrement. »1 Cette régularité correspond à une périodicité bisannuelle. Selon lui, l'augmentation constante de la puissance de calcul ainsi que de notre 1 Michel de PRACONTAL. L'Homme artificiel, Golem, robots, clones, cyborgs, Paris, Denoël, coll. Impacts, 2002, p.82


40 connaissance du cerveau humain dans les prochaines décennies, couplées aux découvertes en informatique pourront nous amener à créer une forme de vie artificielle intelligente. Là où sa pensée est originale c'est qu'il part du principe qu'à partir de l'élaboration de la première machine intelligente, il est possible que cette dernière mette au point une seconde génération plus élaborée, qui elle-même mettrait au point la troisième et ainsi de suite. Étant donné que les machines progressent plus vite que nous en terme d'amélioration de la vitesse du traitement de l'information, leur évolution pourrait atteindre une vitesse telle que nous ne pourrions pas suivre le mouvement évolutif et surtout qu'il se créerait un gouffre cognitif entre les machines et les hommes qui n'arriveraient plus à se comprendre ou du moins les volontés et l'intelligence de ces machines nous dépasseraient tellement qu'à un certain point une singularité se créerait. La singularité transhumaniste est le point où il sera impossible pour l'homme de prévoir le futur du monde car nos ressources intellectuelles seront complètement dépassées par la complexité des sciences et techniques des machines. Même leurs buts et leurs rêves s'ils en possèdent seraient indéchiffrables pour nos intellects. Les voies des machines, comme celles de Dieu, seraient alors impénétrables. Ce courant de pensée fait généralement sourire en Europe. Pourtant, il peut servir à se questionner sur une machine, sur un robot transcendant l'homme. Même en mettant de côté le côté social idéaliste qui viserait à laisser les robots contrôler nos sociétés, et en préférant imaginer deux formes de vies cohabitant de manière pacifiques, il est intéressant de se demander s'il est concevable de penser une forme de vie artificielle qui nous transcenderait dans le sens de nous dépasser en de nombreux points.

3. Une nouvelle forme de vie Il s'agit ici de penser une forme de vie alternative. Nous rejetons l'idée d'une forme de vie artificielle parce que nous pensons qu'une machine inerte, faite de matériaux ne peut pas être vivante. Ce point est étrange du fait même que bien que nous soyons vivants, nous sommes fait de matière, et nous ne trouvons pas paradoxale l'expression « matière-vivante » comme s'il suffisait d'accoler ensemble deux termes qui semblent contradictoire pour créer une nouvelle substance étant à la fois vivante et à la fois matière. En étant raisonnable, nous pouvons dire que nous ne savons pas quel est le mystère du vivant, pourquoi et comment jaillit la vie à partir de l'inerte. Bien entendu, il existe des théories relatives à l'émergence de la vie organique, la complexité, l'évolution des espèces mais il n'en reste pas moins qu'il est difficile


41 de résoudre le problème du passage de molécules chimiques inertes à celles des microorganismes vivants. Sur le site de La Cité des sciences et de l'Industrie par exemple, dans le cadre d'une exposition sur l'exobiologie qui tentait de répondre à la question « Sommes-nous seuls dans l'univers ? », l'apparition de la vie à partir de l'inerte est résumé sommairement de la façon suivante : Qu'y avait-il juste avant l'apparition de la vie ? De l'eau l'énergie du Soleil et des éclairs, peut-être des terres volcaniques ressemblant à l'Islande... Et tous les atomes nécessaires à la formation des molécules prébiotiques et de la matière vivante : carbone (C), d'hydrogène (H), d'azote (N) et d'oxygène (O) Il y a 4 milliards d'années, ces atomes composaient déjà les molécules de l'atmosphère, capables de réagir entre elles pour former de nouveaux composés. Une chimie foisonnante générant les premières macromolécules, puis des systèmes de plus en plus complexes, aboutissant aux molécules élémentaires du monde vivant. Puis, enfin, à des êtres vivants, capables de transmettre l'information d'une génération à l'autre en se répliquant, capables d'évoluer.1 Certes, il s'agit là d'un site de vulgarisation, visant plus le public en bas âge que les scientifiques de renom, toujours est-il qu'il est symptomatique du problème évoqué à savoir la difficulté posée par l'émergence de la vie à partir de la matière inerte. Les scientifiques savent quelles molécules étaient présentes, quels type de modifications de la matière pouvaient opérer ainsi que la manière dont les espèces ont évoluées. Néanmoins, le point crucial du passage de l'inerte au vivant reste un problème. L'origine de la vie est un sujet délicat comme définir la vie elle-même. Nous faisons fausse route quand pour comprendre le robot, nous posons en référence l'homme. Pour être intelligent, le robot doit penser comme l'homme, pour être vivant il doit être biologique. Il est nécessaire d'oser penser une alternative artificielle pour redéfinir le vivant et l'intelligence. Il est intéressant de se demander s'il peut exister une autre forme de vie, une manière différente d'être vivant, d'être au monde. De la même manière, c'est un défi de penser comment pourrait exister une conscience complètement différente de la notre. Dès 1950, John Von Neumann travaille sur l'autoreproduction des machines. Les questionnements de Von Neumann vont créer une dynamique qui va inspirer les scientifiques à créer un nouveau champ de recherche. A los Alamos en 1987, va se tenir la première conférence Artificial Life qui marquera le point départ de cette entreprise. Il s'agissait de tenter de créer une forme de vie artificielle. A la fin des années 1960, John Horton Conway va se rendre célèbre par la présentation d'un automate cellulaire connu sous le nom de Jeu de la vie. Il s'agit d'un automate cellulaire en deux 1 http://archives.universcience.fr/francais/ala_cite/expositions/vie-extraterrestre/dossier-cnes-exobiologie/laterre-comme-modele/naissance-de-la-vie-1.php consulté le 23/09/2013


42 dimensions où des cellules réparties aléatoirement modifient leur état en fonction de celui des huit cellules voisines. L'état de la cellule suit les trois règles suivantes cité par Jean-Claude Heudin dans son ouvrage sur les créatures artificielles : – Si elle est vivante et qu'elle est entourée par deux cellules vivantes, alors elle conserve son état – Si elle est morte et entourée par trois cellules vivantes, alors elle devient vivante – Dans tous les autres cas , elle meurt.1 L'état mort ou vivant de la cellule est signifié par une couleur, « on affiche les cellules vivantes en noir par exemple et les cellules mortes en blanc ».2 L'intérêt de ceci est qu'à partir de règles pourtant très sommaires, les organismes artificiels se modifient au fil de générations successives. D'une simple case au départ, les organismes prennent diverses formes et semblent se déplacer sur l'écran. Ce jeu a amené certains à se demander si une forme de vie artificielle pouvait se développer dans un monde artificiel. De la même manière, l'autopoïese de Francisco Varela, est une simulation intéressante. Elle tire son nom de la définition de la vie que proposèrent Humberto Maturana et Francisco Varela. Jean-Claude Heudin en donne l'explication suivante : Le terme autopoïese provient du grec autos, qui signifie soi, et poïein, produire. En ce sens, le vivant est donc une structure qui se produit ellemême. Plus précisément, le vivant se définit comme un réseau de processus dynamiques fabriquant ses propres composants et qui construit une barrière topologique.3 Son programme suit lui aussi trois règles simples : « La règle de composition permet la création de nouveaux liens et la concaténation enchaîne les liens existants les uns aux autres. La désintégration des liens en substrats peut se produire soit spontanément, soit à la suite d'une collision avec un substrat. ».4 D'une unique case, l'automate cellulaire se modifie au sein d'un réseau d'interactions et forme petit à petit une sorte de cellule possédant une membrane. Cette dernière se régénère en cas de destruction d'une partie de sa structure. Tout en se modifiant constamment, la cellule garde une unité structurale générale. Ce type d'automate montre que quelques règles simples suffisent à créer des structures complexes. C'est le principe d'émergence : « le tout est 1 Jean-Claude HEUDIN. Les Créatures artificielles, Des automates aux mondes virtuels, Paris, Odile Jacob, coll. Sciences, 2008, p.258 2 loc. cit. 3 ibid. pp.265-266 4 loc. cit.


43 supérieur à la somme des parties ». En effet, il peut émerger d'un fonctionnement initial basique une structure imprévue. C'est ce que prévoient les sciences de la complexité. D'autres scientifiques ont poursuivi cette quête de vie artificielle et sont allés plus loin. Il existe des recherches sur les écosystèmes artificiels ou sur l'évolution artificielle. Elles tentent de comprendre au sein de systèmes plus complexes qu'un simple programme en deux dimensions comment faire émerger la vie dans un système artificiel. Ces recherches se heurtent pour l'instant à notre connaissance peu avancée des systèmes complexes. La vie se découvrira, selon certains chercheurs, à la croisée de l'ordre et du chaos, dans une infime zone de possibilité permettant l'émergence de la vie comme le déclare Christopher Langton, l'un des pères de la vie artificielle : « La vie a émergé dans les océans, donc vous êtes au bord, vivant et appréciant cette énorme pouponnière liquide. Et c'est pourquoi le bord du chaos a pour moi une signification très similaire : parce que je crois que la vie est apparue au bord du chaos. ».1 Les chercheurs en vie artificielle ne pensent donc pas que leurs efforts sont vains mais qu'il faut résoudre certaines difficultés. La première est d'arriver à produire et maintenir une zone propice à l'émergence entre ordre et chaos. La seconde difficulté est liée à la taille de la zone à créer pour voir émerger la vie. Les premiers ordinateurs possédaient une mémoire bien trop faible pour pouvoir générer un écosystème assez grand. Par conséquent, l'évolution des organismes artificiels se heurte rapidement à la taille réduite du système qui empêche les très nombreuses variations et mutations nécessaires à l'émergence d'une forme évoluée. C'est pour cette raison qu'au bout d'un certain temps le système est clos et l'évolution stagne. Ainsi, même s'il est envisageable qu'une forme de vie artificielle éclose, il faut déjà dépasser certaines limites. La limite pourrait donc ne pas être métaphysique mais scientifique ou technique.

1 ibid. p.277


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Conclusion Notre étude nous a permis de mettre en lumière comment le sens du robot s'est déployé au fil du temps. Initialement, il n'était qu'un simple outil. Il ne faisait finalement que remplacer les esclaves antiques et il pouvait être remplacé aisément, ne serait-ce que par son coût modéré. De simple objet technique, il s'est posé en altérité pour l'homme. Il est devenu cet autre, tour à tour monstrueux ou merveilleux. Il a commencé à questionner l'homme quand il est devenu plus élaboré, s'est autonomisé et surtout humanisé. L'homme face à sa solitude existentielle s'est ouvert à cet autre et a engagé une forme de relation. Cette dernière, dont le fil rouge est la recherche scientifique et technique, a permis à l'homme de mieux se comprendre et de produire des robots plus performants et plus complexes. Cet autre esclave est donc devenu cet autre ennemi puis cet autre compagnon. Il a pu être envisagé comme partenaire uniquement lorsque l'homme a entrouvert la possibilité d'une différence. Il est vrai que la culture technophobique est semblable à la xénophobie comme l'écrit Gilbert Simondon dans l'introduction de son ouvrage, Du mode d'existence des objets techniques : « La culture se conduit envers l'objet technique comme envers l'étranger quand il se laisse emporter par la xénophobie primitive. Le misonéisme orienté contre les machines n'est pas tant haine du nouveau que refus de la réalité étrangère. ».1 Une question demeure: la culture a t-elle finalement intégré la technique ou plutôt a telle intégré le robot parce qu'il s'est extirpé de sa condition de robot ? Il est possible que la culture soit toujours méfiante envers la technique mais qu'elle se permette un écart avec le robot. En effet, ce dernier rappelle l'homme, il ouvre la possibilité d'un dialogue, d'une assistance tandis que certains aspects techniques ne peuvent pas sortir de leur condition initiale qui peut être destructrice comme celle d'un fusil d'assaut ou neutre comme une automobile. Le robot commence certes par effrayer dans un premier temps, puis amuser, mais il peut aussi finir par émouvoir. Dans le film de Steven Spielberg, I.A., pour Intelligence Artificielle, un robot très perfectionné semblable en tout point à un humain est adopté par des parents ayant leur enfant dans le coma. Lorsque ce dernier en sort, la situation devient plus complexe et le robot est abandonné. Le film est un drame où le réalisateur tente d'amener le spectateur à prendre en pitié la créature artificielle comme nous le faisons en lisant le Frankenstein de Mary Shelley. Ainsi, il est possible que dans un futur plus ou moins proche, l'apparition de robots semblables aux humains amène à éprouver de l'empathie pour eux. Ce 1 SIMONDON, Gilbert. Du mode d'existence des objets techniques, Paris, Aubier, coll. Philosophie, 2012, [1958], p.9-10


45 jour n'est peut-être pas si loin si l'on en croit une étude réalisée par l’université de Duisbourg qui démontre que des humains éprouvent de l'empathie s'ils observent des robots se faire maltraiter.1 En effet, en voyant des humains ou des robots se faire maltraiter, les mêmes zones cérébrales de compassion s'activent chez les individus participants à l'expérience. L'homme serait-il dès lors prêt à s'ouvrir à cette nouvelle forme d’altérité artificielle ? Cependant, le robot n'est pas seulement un double artificiel de l'homme. Nous avons montré qu'il est difficile de prévoir le futur de cette relation. Si nous nous projetons dans un futur à moyen-terme, il faut se demander la manière dont la robotique va modifier notre rapport au monde. Un robot pourrait avoir un centre logique extrêmement développé, percevoir les sons, les odeurs, le spectre visible pour l'homme mais aussi l'ultraviolet. Son monde perçu ne serait pas identique au notre. Il pourrait possiblement habiter un corps mécanique ou un autre, être à un endroit et quelques instants plus tard à l'autre bout du monde. Il pourrait donc accéder à une forme d'ubiquité impossible pour l'homme bien qu'il essaye de concrétiser ce fantasme par la médiation des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Une conscience artificielle qui pourrait habiter en même temps plusieurs corps remettrait en cause l'identité telle que nous l'appréhendons. C'est donc toute sa perception de l'espace, du temps et même du sujet qui pourrait être différente. Cet être, même si pour l'instant il ne s'agit que d'un exercice de pensée philosophique, est passionnant en cela qu'il remettrait en cause différentes notions qui, pour l'homme, sont fixées depuis des millénaires. Le robot ne changerait pas seulement notre rapport à la technique, il pourrait aussi modifier notre rapport au monde. Son intérêt devient plus global car il se développe en parallèle du développement des nouveaux réseaux techniques. Le robot serait alors le Graal philosophique, la réponse à toute question ? Bien sûr que non. Nous ne prétendons pas déifier le robot mais le placer au sein du questionnement philosophique moderne, du moins en ce qui concerne la philosophie des techniques. Nous avons évoqué les recherches sur la vie artificielle. Si une forme de vie intelligente émerge au sein du numérique, cela voudrait dire que la vie elle-même pourrait se développer quelque soit son support, que l'intelligence ne serait pas limitée aux formes de vie biologique mais pourrait hanter d'autres formes. Dans un sens, cela remettrait en cause les notions d'information ou d'intelligence qui pourraient habiter tout support physique. Nous ne désirons pas tomber dans les utopies technoscientifiques ou dans une forme 1 http://sante.lefigaro.fr/actualite/2013/04/24/20415-robots-ne-laissent-pas-humains-indifferents consulté le 23/09/2013


46 de religion technologique. Au contraire, nous pensons qu'il faut observer avec attention le développement de ces recherches car elles pourraient renouveler les questionnements philosophiques. Pour l'instant, les nouvelles technologies et les recherches en robotique modifient en profondeur notre société en instaurant une société de l'information. Mais qu’en sera t-il demain ? L'émergence d'une forme de vie artificielle amènerait t-elle à l'émergence d'une nouvelle forme de philosophie née du monde de l'information ?


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http://lesclesdedemain.lemonde.fr/villes/les-dechets-six-pieds-sous-terre-pour-une-

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http://archives.universcience.fr/francais/ala_cite/expositions/vie-extraterrestre/dossier-

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http://sante.lefigaro.fr/actualite/2013/04/24/20415-robots-ne-laissent-pas-humains-

indifferents consulté le 23/09/2013

Article de périodique : –

« Cerveau artificiel, Sa fabrication a commencé ! », Science et vie, février 2013,

n°1145, pp.44-61.

Filmographie : –

WACHOWSKI, Andy, Lana. Matrix, 1999.

SPIELBERG, Steven. A.I. Intelligence artificielle, 2001.


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