Mémoire.Roman.Bihr.2015/2016

Page 1



ROMAN BIHR

QUAI TAILLE-PIERRE, 27

travail de fin d’étude dirigé par

Eric Van Essche

2015-2016



Remerciements

Je remercie d’abord mon promoteur, Eric Van Essche de m’avoir permis d’effectuer ce mémoire sous sa direction et de m’avoir dirigé vers les bonnes sources pour mener à bien mon travail. Merci à Quentin Wilbaux qui, avant d’avoir accepté d’être mon lecteur externe, a suivi mon travail lorsque j’étais encore étudiant à Tournai. Merci aussi à Marie-Clotilde Roose qui m’a fait découvrir Gaston Bachelard.

Merci à mon oncle Olivier et ma Tante Valérie pour le temps et l’attention qu’ils ont porté aux multiples relectures de mon travail.

Enfin, merci à mes amis et à mes parents pour leur soutien sans failles.





Préambule

Un mémoire pour développer un sujet, lever, soulever, une problématique. Deux visages partageant le même corps se rejoignent. L’idée de mettre en parallèle le questionnement sensible et le questionnement physique. Le sensible appartient à l’idée profonde. Le physique en un second temps use de l’apprentissage du sensible. Le questionnement sensible est outil du questionnement physique. Le corps est le sujet qui unit. Nous mettons nos sens au service d’émotions ressenties et inversement. Dans un premier temps, l’émotion au service des sens. Pourquoi l’émotion sert les sens ? Comment ? Un instinct, un instant, puis un autre. L’environnement rêvé transite de l’imaginaire à la réalité. Une envie imagée. Miroir d’un état passé. Un reflet sombre et doux. Une 9


matière impalpable. L’instant est bref mais il suffit. Suffit à quoi ? Déranger, puis ranger, éveiller puis veiller. Si l’idée est un réveil, l’émotion en est l’origine. Moteur de recherche, nous souhaitons comprendre comment l’esprit rationnel organise, à des fins physiques, le monde des émotions qui le traversent. Ecrire autour d’un sujet, oui, mais comment se fait-il qu’un sujet suscite l’envie chez nous, de le développer ? Il y a là une envie qui n’est pas superflue. Le temps est important et écrire en prend beaucoup. Lire aussi, un acte poussé par l’envie. Un plaisir, d’autant plus que l’on se forme, que le travail se forme, par un dialogue, un échange. Avant d’écrire un mémoire, il nous est demandé de comprendre que l’étude sur le point d’être entamée doit signifier quelque chose. Etudier l’architecture signifie quelque chose, initie quelque chose. Les choses grandissent, prennent forme au fil du temps. L’élève se modèle. Le temps du mémoire, le travail de fin d’étude, est

10


un medium d’échange. Le moyen premier offert à son auteur de partager une personnalité en devenir. Quai Taille-Pierre, 27, c’est le titre de mon mémoire mais d’abord l’adresse de ma maison. Une adresse et, alors que l’on ne connait rien de sa situation, une histoire que l’on devine. Une manière de dire que là, quelque chose a eu, a, ou va avoir lieu. Une intrigue autour de laquelle se fonde mon travail. Le quai, terme spécifique, signifie la présence de l’eau, dans la ville. En effet, la maison longe l’Escaut. TaillePierre, pour tailleur de pierre, ou peut-être pierre taillée, ou encore le quai où l’on taille la pierre. Il a bien été question d’y tailler la pierre à une époque. La pierre était acheminée par bateau depuis les carrières de la région. Le matériau brut, porté à quai, était taillé par la main de l’homme puis emmené sur différents chantiers. Les premiers gestes qui ont permis par la suite la construction de monuments de la région, ont été manœuvrés là, quelque part le long de l’eau. Le numéro vingt-sept, précède le

11


vingt-neuf et succède au vingt-cinq. Un nombre parmi tant d’autres qui s’allongent sur la rive gauche de l’Escaut. L’habitat dans lequel j’ai vécu pendant des années et que je continue de voir comme ma maison, devient le lieu de mes recherches. De la maison, toutes les histoires se révèlent bonnes à raconter ou à inventer. Le terme maison, du verbe latin manere qui veut dire rester, là où l’homme décide de s’installer, là où il se fait sédentaire. Un lieu propre à l’expression d’une individualité, personne seule comme l’unité d’une famille. L’individualité, abritée dans la maison, au sein de la société, se situe là. Elle s’installe et devient propriétaire d’une adresse, d’un lieu. On s’y installe, on y pose nos affaires, là elles sont en sécurité. Si la maison est déjà bâtie, on continuera à construire en ses murs. L’histoire se façonne un moment après l’autre comme dans tous lieux que l’homme s’approprie. Pratiquer la maison, l’habitat, est un phénomène plus que répandu, on dira que c’est un acte « banal ». Pourtant ce sont au moins autant d’énigmes que d’habitants. Au sein du foyer, il se passe toujours quelque chose. Quelque chose, la vie courante, qui fait des murs que l’on a choisi 12


pour

abri,

un

cadre

particulier.

Sociologues,

anthropologues, architectes, philosophes mais aussi psychologues, trouveront matière à réfléchir dans les pratiques de l’habitant au sein du milieu qu’il s’approprie. J’ai vu dans le mémoire l’occasion d’un projet qui, en finissant mes études, effectue ses premiers pas. Le choix du Quai Taille-Pierre n’est pas du tout perçu pour moi comme un retour aux sources. J’ai découvert un questionnement qui, s’il était depuis longtemps un sujet de conversation, n’avait encore jamais, avant le début de mes recherches, suscité grand enthousiasme. C’est quand mes idées se sont confondues que je me suis rendu compte de l’évidence. Les thèmes, concepts, auxquels je me suis sensibilisé au fil de mes années d’étude ont trouvé écho. Je lisais il y a peu Histoire d’une maison1 , écrit par Eugène Viollet-Le-Duc, et paru en 1887. J’ai découvert ce récit bien après le début de mon travail. Un jeune homme   Viollet-Le-Duc, Eugène, Histoire d’une maison, J. Hetzel, Paris, 1887. 1

13


qui n’est pas architecte entreprend de construire une maison bourgeoise. Il n’a absolument pas idée de la méthode à suivre, mais sa détermination n’a pas d’égal. Il veut voir ses désirs prendre forme. Le personnage n’a pas connaissance des règles de l’art. Il a une idée de départ qu’il va énoncer avant de rencontrer un architecte avec qui une discussion et un apprentissage vont s’établir. Le récit voit, sous ses lignes, s’ériger le bâtiment en passant par toutes les étapes de la construction, jusqu’à son inauguration. Viollet-Le-Duc écrit pour son temps et les années à venir un guide de la construction. J’ai été sensible à la démarche parce que les moyens littéraires utilisés donnent à tout lecteur les moyens de s’identifier au développement du récit. Récit qui n’est autre que celui de vouloir construire une maison. Un premier rapport entre construction littéraire et architecturale. Le processus de conception puis de réalisation d’un projet d’architecture voit différents personnages se rencontrer. Entre les inconnus, un contrat de confiance s’installe. Entre le client et l’architecte, plus que de la confiance, une intimité. L’un comme l’autre doit 14


communiquer à masque relevé. Lorsque que le contrat de confiance, de fidélité est acté, aucun des deux n’a intérêt à user de faux- semblants. Les désirs du client se font les objectifs de l’architecte. Le maître d’ouvrage est le décideur. Il est celui qui finance, décide des objectifs et fixe les contraintes du projet (délais, coûts, qualité(s),...). L’architecte est le maître d’œuvre. Il réalise la demande du maître d’ouvrage par son interprétation, dans la mesure du possible et en respectant les règles de l’art. Il arrive trop souvent dans la discipline architecturale et chez l’homme qui la pratique de rencontrer des demandes dénuées de toute sensibilité. Le travail de l’architecte en plus d’être médiateur et concepteur, sera de sensibiliser le client à un potentiel insoupçonné. Dans l’exercice du travail de fin d’étude je revêts les deux rôles. J’ai l’intention d’étudier les phénomènes entendus au fil d’un vécu pour entreprendre, par la suite, un projet de réaménagement. L’occasion ici de prendre le temps. D’une part, énoncer les éléments propres au désir 15


de bâtir (domaine spéculatif), d’autre part trouver les outils d’expression qui font le départ de la création (domaine opératif). Il s’agit d’un récit qui donne bien lieu à un événement. L’adresse, image et limite géographique du lieu d’action n’est que l’entrée en matière vers un parcours pour comprendre la nature d’une pulsion créatrice.

16


17


18


« Plutôt que des intentions, je voudrais présenter le paysage d’une recherche et, par cette composition de lieu, indiquer les repères entre lesquels se déroule une action. La marche d’une analyse inscrit ses pas, réguliers ou zigzagants, sur un sol habité depuis longtemps. Certaines seulement de ces présences me sont connues. Beaucoup, sans doute plus déterminantes, demeurent implicites – postulats ou acquis stratifiés en ce paysage qui est mémoire et palimpseste. De cette histoire muette, que dire ?»2

De Certeau, Michel, L’invention du quotidien : 1. Arts de faire, Gallimard, Italie, 1990, p.33. 2

19


20


UNE IMAGE Vue par la fenêtre

« Les questions demeurent des propositions ; des pensées offertes à la méditation, une mise en branle, c’est-à-dire une stimulation et un étonnement en vue d’un éventuel dialogue. »3

1.

Le caractère répétitif de mon quotidien aide à la compréhension du contexte qui m’entoure. Un quotidien si répétitif, accompagné d’une curiosité instinctive – peutêtre de survie - parvient sans doute à faire surgir une suite de singularités portant à la réflexion. Il doit bien en être ainsi puisque j’ai vécu, jusqu’il y a de ça deux ans, au Quai Heidegger, Martin, Remarques sur art – sculpture – espace, Payot & Rivages, Paris, 2009, p.8. 3

21


Taille-Pierres, numéro 27, à Tournai. La vue par la fenêtre de ma cuisine, dans laquelle j’ai manifestement passé beaucoup de temps à penser, m’encourage à écrire à ce sujet. On dit bien qu’une des clés de l’apprentissage est la répétition. Au travers de la fenêtre de ma cuisine, j’ai vu l’extérieur. L’extérieur, encadré par le châssis quadrillé en bois, blanc, est très beau. Il est rectiligne, droit, de belles lignes horizontales. Une route et un trottoir, le rebord de la berge, le garde-fou. Au travers du garde-fou, l’eau, l’Escaut, s’aligne. Puis la berge d’en face, rythmé par ses pierres de couleur grise remonte. Là encore le regard ne peut pas s’empêcher d’aligner. Les plans, premier et second, puis le troisième, se mélangent. La berge remonte toujours. Un second garde-corps, des lignes horizontales, toujours. Le quai d’en face, une route, un trottoir que la perspective bâtarde laisse à peine entrevoir et finalement, grâce à la vue qui s’élargit, les premières lignes verticales. Des immeubles à appartement sur la gauche, des lampadaires sur la droite. Entre deux, un terrain de football à l’état rudimentaire, allongé parallèlement à la berge. La 22


large surface plane installe une distance à la mesure du bâtiment en fond de plan : la caserne militaire. L’édifice dont l’entrée est centrée par rapport au cadre, surplombe le terrain d’au moins quatre mètres. Finalement, le ciel recouvre l’ensemble sur la hauteur restante de fenêtre.

Un environnement fait de plans, presque en deux dimensions, à la manière d’un décor de théâtre. La différence ici, les rôles sont inversés. Le paysage est le sujet de la pièce. Les différents plans du décor, sont les acteurs. Le premier dialogue avec le second, le second avec le troisième. Dans cet ordre, puis dans l’autre. Les yeux du spectateur sont pris par un échange immobile, ou presque. Si le sol est installé, l’eau continue son déplacement. Elle a le rôle principal, celui de metteur en scène. Capable de créer des liens ou de mettre de la distance, elle est une présence. La présence introduit l’idée d’être pensé. Interludes ou variations, les passants, les cyclistes, les motos, les voitures, les bateaux de plaisances ou les péniches. Leurs actes, leurs dialogues, brefs et inattendus, deviennent l’environnement. Ils ajoutent au jeu simple et dramatique des acteurs principaux, l’aspect 23


fugace et volatile que l’on prêtera en temps normal à un courant d’air. Le tout, maintenu dans l’encadrement de la fenêtre, est un tableau vivant.

24


2. « D’une manière générale, nous croyons que la psychologie des émotions esthétiques gagnerait à étudier la zone des rêveries matérielles qui précèdent la contemplation.

On

rêve

avant

de

contempler. Avant d’être un spectacle conscient tout paysage est une expérience onirique. On ne regarde avec une passion esthétique que les paysages qu’on a d’abord vus en rêve. »4 Lire Gaston Bachelard avec l’esprit ouvert, c’est donner raison aux sentiments qui nous traversent.

4

Bachelard, Gaston, L’Eau et les Rêves, Livre de Poche, 1993. 25


J’ai d’abord vu une œuvre de David Claerbout5 lors d’une exposition intitulée l’Illusione della luce au Palazzo Grassi, à Venise, en novembre 20146. Pour se mettre à l’abri d’un déluge de pluie, une équipe d’une quinzaine de travailleurs s’attroupe sous un pont routier. L’œuvre est une image en mouvement, un film composé d’un seul plan et d’une longue séquence. On dirait d’abord le ralenti d’un film comme un autre. Mais l’image est bien trop travaillée, les regards trop intenses, la pluie trop dense. Le réalisateur, effectue un mouvement de droite à gauche. Il balaie l’ensemble du groupe d’hommes. Les travailleurs attendent, et alors que la caméra passe devant eux, ils la suivent du regard. A ce moment, ce n’est plus la quantité de pluie se déversant sur la route qui impressionne mais tous les regards dirigés en un même point. C’est moi, l’observateur, qui suis suivi. Des travailleurs en attente. Pourtant pris sur le fait, on pourrait croire qu’ils prennent la pose pour une photo de promotion. Intense, c’est le mot 5

Claerbout, David, Oil workers returning home from work, caught in torrential rain, 2013. 6 Site du Palazzo Grassi, http://www.palazzograssi.it/it/mostre/passate/ (consultée le 31 juillet 2016) 26


qui revient. Je tombe totalement en arrêt face à l’intensité de l’image. Le lieu et l’objet sont matière à penser. Lorsque l’œuvre m’est apparue, je l’ai découverte comme une curiosité. Puis elle s’est rapidement muée en une présence. Après quelques secondes, mon attitude change, je me pose et prend mes repères. Je trouve un endroit où m’asseoir dans la pièce noire. Regarder le tableau vivant que j’avais devant moi allait créer une forme de confort. Par le regard et l’échange, un lieu s’installe. Je ne reste pas devant pendant des heures. Je suis capable de parler d’un échange parce qu’il me reste toujours quelque chose de ce moment. J’ai donné du temps, de la concentration, et je reçois ce qui sera aujourd’hui un souvenir. Il n’y a pas que l’image que je retiens, il y a aussi l’espace et la sensation d’une odeur, une fraîcheur, l’atmosphère créée.

Un souvenir qui remonte parce que je crois comprendre qu’il est en lien avec un ou plusieurs autres. Peut-être que mon esprit mélange les informations, cela arrive souvent. Mais alors ces informations qui se 27


mélangent partagent une part du sentiment qui surgit. Parmi les autres souvenirs qui répondent, l’un est plus vif, il n’est pas qu’un souvenir, c’est une réalité. La mémoire est, à ce moment, un pont entre deux eaux. Celle d’hier et d’aujourd’hui se rejoignent soudainement. L’intensité devient le lieu de l’échange. Quels sont les éléments qui caractérisent dans ce schéma, mon temps d’arrêt face à l’œuvre ? Hormis la patience de celui qui veut connaître la fin du récit, je n’ai pas la réponse à la question en mots. La réponse est là, en image. Surtout que dans ce cas, le travail de Claerbout nous laisse très rapidement comprendre que la réponse n’est pas à la fin de la séquence. L’intensité révèle des émotions directes animées par l’image. Un moment de vérité. Le tableau en mouvement anime notre imaginaire direct. On peut en parler mais on ne pourra pas retranscrire par écrit le vrai d’une émotion provoquée par une œuvre. Il faut le voir, le sentir. On peut aussi parler de l’aspect technique de la prise. Le travail en amont est dantesque mais la majesté du rendu final reste à mon avis la récompense de tous. Le moment tant attendu. 28


C’est amusant comme les mots utilisés pour décrire des émotions sont souvent des métaphores. Tomber en arrêt par exemple. Tomber dans quoi ? Il suffit de comprendre ce sentiment pour le partager. Et alors qu’on le partage, on mime la scène, on se remémore immédiatement un moment qui nous aurait infligé le même sort. Les images appellent à une rêverie immédiate, constructive, qui au lieu de nous éloigner du présent, nous en donne une part encore plus réelle. Je parle de l’observation d’une œuvre. En parler, réagir, n’est pas surprenant puisque, si l’œuvre exposée a bien un but, c’est de faire parler son spectateur. La mise en scène de l’espace et du sujet est étudiée pour faire du spectateur un personnage actif. C’est le Pensive Spectator, pour reprendre le terme de Raymond Bellour au sujet du cinéma7. L’expression est reprise par Laura Mulvey dans un texte écrit en 2003 intitulé « Stillness in the Moving

7

Bellour Raymond, The Pensive Spectator, in Wide Angle 9, 1987 ; cité in Mulvey, Laura, Stillness in the Moving Image : Ways of Visualising Time and its Passing, in Saving the Image : Art after Film, CCA Glasgow, Manchester Metropolitan University, 2003 29


Image : Ways of Visualising Time and its Passing ». Ellemême parlera de la relation entre l’œuvre, le spectateur et le photographe.

« Dès que vous arrêtez le film, vous commencez à trouver du temps à ajouter à l’image. Vous commencez à réfléchir différemment à propos du film, du cinéma. Vous êtes conduit vers le photogramme – lui-même

un

pas

de

plus

vers

la

photographie. Dans l’image arrêté d’un film (photogramme), la présence du photographe

est

immédiatement

perceptible tandis que d’autres moyens de mise en scène dont le but est de suspendre le temps tendent à disparaître (…) En cela, le photographe a un avantage par rapport aux autres moyens de faire du spectateur de cinéma, aussi pressé soit-il, également un spectateur qui pense . »8

8

Mulvey Laura, ibid., p.80 30


- Un observateur qui prend part à l’œuvre. Soudainement c’est Palomar qui revient. Dans le roman d’Italo Calvino, on suit le récit d’un homme au regard renouvelé. L’attitude surprenante, à « contrecourant », d’un personnage qui prend le temps et qui se voit accorder bien des merveilles. Il prend le temps de voir autrement. Il écrit les lignes d’un parcours vers la sagesse, ou plutôt, celles d’une résistance à l’allure des temps modernes.9

9

Calvino, Italo, Palomar, Point, 2004 31


32


3. « Dans l’Athènes d’aujourd’hui, les transports

en

commun

s’appellent

metaphorai. Pour aller au travail ou rentrer à la maison, on prend une « métaphore » - un bus ou un train. Les récits pourraient également porter ce beau nom : chaque jour, ils traversent et ils organisent des lieux ; ils les sélectionnent et les relient ensemble ; ils en font des phrases et des itinéraires. Ce sont des parcours d’espaces. »10

« Enfermement voyageur. Immobile dans le wagon, voir glisser des choses immobiles. Qu’est-ce qui passe? »11

De Certeau, Michel, L’invention du quotidien : 1. Arts de Faire, Gallimard, Italie, 1990, p. 170. 11 Ibid, p.165. 10

33


- Au départ de Venise pour Bari, la cohue dans la gare et puis, la découverte de mon siège attitré. Mon wagon est calme, tant mieux. Huit heures de trajet, une ligne qui va du Nord au Sud. Huit heures

de

trajet

avec

vue

sur

l’Adriatique. La longueur prend un sens encore plus large lorsque le regard se porte sur un horizon en mouvement. La notion de temps est extensible parce que l’esprit l’est? L’eau joue encore ici son rôle expanseur. Pas de vagues, pas de vent.

Vent de rien. Une surface plane, lisse, qui s’étend, se détend, te détend? Oui, te détend bien, tu en as besoin. C’est beau, c’est joli, l’esprit en a envie alors pourquoi pas. Ce n’est plus en ligne droite que le train avance mais en rond. Lui aussi s’assouplit. Il se détend, prend une autre forme et d’un seul coup, nous 34


voilà à l’eau. Nous, moi et les autres. Qui sont-ils ? Ils sont moi, un train, une forme, un mouvement, un tout. Quelques sens qui s’échangent. A hauteur de Termoli, comme l’impression qu’il n’y a plus que nous et la vue par la fenêtre à notre gauche.

« Immuable le voyageur est casé, numéroté et contrôlé dans le damier du wagon, cette

réalisation parfaite de

l’utopie rationnelle. La surveillance et la nourriture circulent de case en case : « Contrôle des billets »… « Sandwiches ? Bière ? Café ?... ». Seuls les W.C. ouvrent une fuite dans le système clos. (…) Ne voyage qu’une cellule rationalisée. Une bulle

du

pouvoir

panoptique

et

classificateur, un module de l’enfermement qui rend possible la production d’un ordre, une insularité close et autonome, voilà ce

35


qui peut traverser l’espace et se rendre indépendant des enracinements locaux. Au-dedans, l’immobilité d’un ordre. Ici règnent le repos et le rêve. Il n’y a rien à faire, on est dans l’état de raison. Chaque chose y est à sa place comme dans la philosophie du droit de Hegel. Chaque être est

posé

comme

un

caractère

d’imprimerie sur une page militairement rangée.

Cet

ordre,

système

organisationnel, quiétude d’une raison, est pour le wagon comme pour le texte la condition de leur circulation.

Dehors, une autre immobilité, celle des choses régnantes montagnes, verdures, étendues, villages arrêtés, colonnades de buildings, noirs silhouettes urbaines dans le rose du soir, scintillements de lumières nocturnes en une mer d’avant ou d’après nos histoires. Le train généralise la 36


Melencolia

de

Dürer,

expérience

spéculative du monde : être hors de ces choses qui restent là, détachées, absolues, et qui nous quittent sans qu’elles y soient pour rien ; être privé d’elles, surpris de leur éphémère et tranquille étrangeté. Emerveillement dans l’abandonnement. Pourtant celui que provoquent entre leurs masses les modifications de perspective moment après moment ; mutation en trompe-l’œil.

Comme

moi,

elles

ne

changent pas de place, mais la vue seule défait et refait continuellement les rapports qu’entretiennent entre eux ces fixes. Entre l’immobilité du dedans et celle du dehors, un quiproquo s’introduit, mince rasoir qui inverse leurs stabilités. Le chiasme est effectué par la vitre et par le rail. Deux thèmes de Jules Verne, ce Victor Hugo du voyage : le hublot du Nautilus, césure transparente entre les sentiments 37


fluctuants

de

l’observateur

et

les

mouvances d’une réalité océanique ; la voie de fer qui d’une ligne droite, coupe l’espace et transforme en vitesse de leur fuite les sereines identités du sol. La vitre est ce qui permet de voir et le rail ce qui permet de traverser. (…)

La glace de verre et la ligne de fer répartissent d’un côté l’intériorité du voyageur, narrateur putatif, et de l’autre la force de l’être, constitué en objet sans discours, puissance d’un silence extérieur. Mais, paradoxe, c’est le silence de ces choses mises à distance, derrière le verre, qui, de loin, fait parler nos mémoires ou tire de l’ombre les rêves de nos secrets. L’isoloir produit des pensées avec des séparations. Le verre et le fer font des spéculatifs ou des gnostiques. Il faut cette coupure pour que naissent, hors de ces choses mais pas sens elles, les paysages 38


inconnus et les étranges fables de nos histoires intérieurs. »12 Ces choses à l’extérieur que l’on regarde depuis l’intérieur. Ici le voyage, la pensée en mouvement. Lieu isolé en déplacement qui donne à voir un paysage en constant changement. Je ne suis pas encore resté huit heures d’affilées devant l’extérieur, de l’autre côté de la fenêtre. Le paysage que je connais change au fil du temps mais ma position est toujours la même. Je me pose la question d’une comparaison entre les pensées dirigées à la vue de l’extérieur de ma cuisine et celles parcourant, en même temps que la machine, un paysage changeant. La maison n’est pas une cellule rationalisée en mouvement. L’intérieur est un propre, il est un lieu personnalisé, reflet de la vie et des usages de ses occupants. Le voyage, alors que le spectateur est bien assis sur son siège, donne à voir et à recevoir foule d’informations que l’on peut traiter en sécurité, à distance et conditionné. Entre le lieu A qui

De Certeau, Michel, L’invention du quotidien : 1. Arts de Faire, Gallimard, Italie, 1990, p.165-167. 12

39


serait le train, et le lieu B qui serai la maison, les émotions se ressemblent. Lieux tous deux propices à une contemplation, efficace et presque immédiate, comme mécanique, qui entraine une réflexion hypnotique. Pourtant, au-dehors de la maison, je vois la ville. Décor aux formes élémentaires et régulières. La vue n’a pas la même prestance qu’un paysage aux airs d’infini. S’il est un voyage, celui-ci est ailleurs.

40


4. Je fais ici un essai d’analyse. Riche de connaissances acquises par mes lectures, j’aborde des notions dites savantes, touchant aux domaines de la philosophie et de la psychologie. Ce sont mes mots que j’utilise. Fidèle à la démarche sensible dans laquelle s’inscrit mon travail, je conserve un propos personnel, instinctif peut-être naïf. Mon regard n’est pas celui d’un érudit en la matière. Un essai d’interprétation d’une science dont je n’ai pas la maîtrise.

Un tableau vivant est un objet complexe, une œuvre qui devient pour celui qui l’observe, plus qu’une image. Au travers des éléments qui constituent le tableau, une présence se manifeste. L’objet est un élément limité, contenu, on ne peut peut-être pas toujours le prendre en main, il peut être grand ou petit, peu importe, il est un tout, une unité contournable.

41


L’objet – l’œuvre – ‘devient’ dans la phrase cidessus, une présence. Je me focalise d’abord sur le devenir de l’objet puis je reviendrai sur la ‘présence’ qui apparaît. La forme (l’objet) définie comme inerte, ne faisant pas partie du monde des vivants, devient. Qu’entend-t-on parlà? Comment est-ce possible? On peut imaginer qu’il y a un mouvement, au sein de l’objet, qui l’anime. L’objet animé répond au regard qu’on lui porte. Le mouvement peut-être physique, réel, ou non, il est de toute façon ressenti. C’est un mouvement d’ordre émotif, un rebondissement.

L’important

vient

du

fait

de

l’observateur, lui qui retient son souffle un instant, lorsque son

attention

passe

d’un

simple

regard

à

une

contemplation. L’observateur contemple parce que sous ses yeux, l’objet A devient A’. Il ne s’agit pas d’une transformation mais plutôt d’une métamorphose. On a le sentiment que c’est la nature même de l’objet qui subit une évolution. Il y a un changement ; mais il ne s’opère pas endehors. En-dedans, c’est l’imaginaire de l’homme, interprète, qui travaille. L’homme interprète parce qu’il traduit ce que la nature lui communique dans un langage qui est le sien. 42


L’objet devient une présence grâce au parcours émotif que mène l’esprit de l’observateur. Au départ inerte, il devient ‘vivant’. Au travers de l’objet de l’observation se révèle un « être » pensé. Le terme présence évoque pour moi deux choses. La première c’est le fait « d’être là » et la seconde c’est « l’être pensé ». La distinction est importante parce que les deux usages du mot présence mènent à deux raisonnements qui s’éloignent puis se rejoignent. La première concerne la posture de l’observateur. Il est conscient de l’échange auquel il participe. Il est là et pas ailleurs. Un environnement limité virtuellement. Il y a l’homme qui observe, le sujet de son attention et l’environnement qui les contient. Une sorte de césure dans le temps. L’environnement, entre imaginaire et réel, devient un laboratoire réflexif. La seconde parle d’une image pensée, préexistante à l’image réelle observée. Je cite un passage, plus haut, de L’Eau et les Rêves (Gaston Bachelard, 1947). On y parle de la contemplation d’un paysage. Nous serions 43


susceptible de contempler une image parce qu’elle répondrait à un désir enfouit. Le rêve, forme de pensée préalable, correspond pour moi à un désir inconscient. La contemplation, est le moment où le désir est révélé par une nature existante. L’être pensé est la forme de désir enfoui en nous, préexistant au phénomène observé qui le fait surgir, et nous permet enfin, d’être là. L’acte simple d’un regard, poussé à la réflexion peut susciter pour n’importe quel homme un éveil en luimême. L’effort réside dans un changement d’état. L’homme doit prendre conscience d’effectuer un exercice intérieur. Il faut accepter l’invitation faite à soi-même pour aller au-delà.

Un acte créatif de premier degré. Un acte créatif issu d’un imaginaire propre à l’homme. Une forme unique, une unité qui n’appartient qu’à l’observateur qui la perçoit ou plutôt la conçoit. Un voyage inattendu qui suscite en nous, éveil en nous, un regard neuf et ancien à la fois. C’est le voir autrement mais aussi, en dialogue avec soi-même, une identification. 44


Dans le langage commun nous nous identifions toujours à quelque chose ou à quelqu’un. Identité et appartenance puis échange ou correspondance. Le sentiment de faire partie d’un tout? Dans le cas de l’objet inerte, on peut le voir, avec soi, dans un environnement commun, dans lequel il y a un échange. Il est toujours question d’un soi, qui grâce au regard porté sur un autre, s’identifie un peu plus, se connaît un peu plus. C’est à la vue de ce qui nous entoure que nous sélectionnons les éléments qui nous définissent. Michel de Certeau parlera dans L’invention du quotidien, tome 1 : arts de faire, du fait d’être capable de se dire habitant de tel ou tel endroit. Il est de coutume, lorsque l’on se présente à un inconnu de rapidement dévoiler nos origines. Ainsi, un habitant de Tournai dira, « je suis tournaisien ». L’environnement dans lequel nous évoluons influe directement sur notre caractère. Il participe à la création d’une identité autre que celle établie dès la naissance par notre ADN. Nous n’en sommes pas pour autant toujours les maîtres. Dans Genius

45


Loci13, Christian Norberg-Schulz nous enseigne au travers d’un apprentissage pratique de ce qu’est le lieu, une forme de décadence (depuis la sortie de l’ouvrage, en 1981, à nos jours).

Une

perte

d’identité

observable

par

les

comportements nouveaux de divers groupes d’hommes et de femmes. Une perte d’identité due à une perte du lieu. Une perte du lieu due à un usage générique, industrialisé, des nouveaux moyens d’habiter de l’homme. Moyens d’habiter sans fond, sans attaches, qui prennent terre et se multiplient aux quatre coins du globe. La recherche de soi, la course au bien-être, des tendances et déviances aussi extrêmes que bénignes, sans doute partageant toutes cette même origine, un esprit désorienté par l’absence de repères qui fondent normalement la nature de l’être.

« Notre existence quotidienne est faite de « phénomènes » concrets : les gens, les animaux, les fleurs, les arbres et les forêts, la pierre, la terre, le bois et l’eau,

13

Norberg-Schulz, Christian, Genius Loci : paysage, ambiance, architecture, Mardaga, 1981. 46


la ville, la rue et les maisons, les portes, les fenêtres et le mobilier ; elle est aussi faite du sol, la lune et les étoiles, des nuages qui bougent, de la nuit et du jour, des saisons qui passent. Mais notre vie comprend aussi des phénomènes plus incorporels, comme les émotions. C’est ça la « donné », le « contenu » de notre existence. »14

Nous créons un paysage en nous, propre de notre sensibilité. L’environnement est un outil manipulé par l’esprit pour lui rendre les traits d’un être personnifié auquel l’habitant peut s’identifier et se dire chez lui. Le paysage n’est pas ici lié au beau mais au propre de ce qui nous entoure. Dans le propre, l’appropriation. C’est l’usage quotidien. On parle de divers types de paysages. Par exemple, en ville, on se réfère parfois au paysage sonore, ses nuisances et accoutumances. Il n’y a pas que technicité rationnelle dans la perception. La raison est un mot, la perception est un parcours entre l’œil et l’esprit. La

14

Ibid, p.21 47


raison se manifeste ou non, elle est une interprétation qui suit. La culture et le langage sont des moyens artificiels qui manifestent la pratique par l’homme de son environnement. Son rôle actif au sein

de l’œuvre

mouvante qui l’entoure. Un choix déterminant, celui de se définir en tant que spectateur actif, ou passif. L’œuvre est une réalité contemplée, issue de la fiction ou non, c’est encore et toujours le trajet de l’esprit qui lui permettra de transgresser la norme. Où et comment définir les limites du réel?

48


5.

-

C’est

l’humidité

terrible

qui

mais

c’est

m’emporte.

Ni

l’architecture ni l’atmosphère sinueuse des calles de Venise ne me prend autant que le climat. C’est physique. J’ai chaud, j’ai froid, je respire, je me noie. Des émotions qui se succèdent au rythme de mes pas et celui des gens. Une présence aussi constante que l’eau dans la ville. La ville dans l’eau.15 Le lieu qui n’est pas connu envoie une émotion où l’équilibre ne trouve pas ses appuis. Sensation dont on veut se dégager. Un inconfort aussi bien en soi qu’à l’extérieur. Une peur? Plutôt un manque de repères. Dans le cas décrit ici, on parle d’un déplacement. L’émotion est contextuelle. Les calles, rues de Venise, sont pour la plupart très étroites. Le déplacement se fait au fil de l’état

15

Le témoignage personnel d’un moment dans la ville italienne. 49


dans lequel on se trouve, entre des murs étroits, en contournant, en évitant les passants par endroits trop nombreux. On peut se permettre de faire un parallèle imagé avec l’eau d’un ruisseau, tenue par ses berges, qui file entre les pierres. Les pierres ne sont pas des obstacles, elles ont leur place au sein de la rivière mais le corps étranger qui descend pour la première fois le courant, et qui ne s’est pas encore fait eau, se presse de rejoindre la berge. Au sein de la métaphore, encore, un outil de transport entre ici, ces lignes, et là, une émotion.

50


Remous.

Recueil d’images, les pages qui suivent rendent compte d’une observation. Des photos prisent au travers de Venise. Pourquoi? Partager un contexte, celui qui permet de penser, réfléchir et écrire. Elles ont toutes en commun le fait d’être prises comme des à-plats.

Murs de la ville, en pierre ou en brique, matériaux pris par le milieu. L’ascension de l’eau fait de ces parois des surfaces qui parlent à travers le temps de la relation d’une ville à son environnement. Remous verticaux, mouvements de l’eau.

Une année passée dans la ville, une année qui laisse des traces. Je suis l’auteur des prochaines photos. Elles ne portent pas de titre mais sont parties d’une sélection que j’ai appelée remous.

51


52


53


54


55


56


57


58


59


60


61


62


63


64


65


66


67


68


69


70


71


72


73


74


75


76


77


78


6.

« Le paysage, c'est l'endroit où le ciel et la terre se touchent. »16

Je décris le paysage tel que je le vois. Tel que je le vois, c’est encadré par le châssis d’une fenêtre. Dès lors, c’est d’un paysage dont il est question mais aussi d’un côté et de l’autre de la fenêtre, intérieur et extérieur. Il y a une construction, un assemblage d’éléments, une architecture et une histoire. Un espace abrité et un espace à découvert. Une relation faite de regards et d’émotions pour raconter les limites d’un lieu dans lequel il se passe quelque chose. Il est 9h du matin17, je ressens le lieu comme un tout, fait de trois éléments. La fenêtre et son mur sont une peau. Elle se tend, se détend en fonction des mouvements fluides agissant de part et d’autre de la façade. A l’intérieur

16

Corajoud, Michel, Frémont, Armand. Le paysage, c'est l'endroit où le ciel et la terre se touchent. 2010. 17 Je précise l’heure, le matin le soleil apparaît sur la droite. Il illumine une partie de la pièce. 79


l’espace est chaleureux, il est ample. Il prend de la place lorsqu’il prend de grandes inspirations, qu’il tient longuement. A l’extérieur l’espace est droit et quelque peu distant, il est presque figé et muet, tendu contre la surface du bâtiment. Comme je l’ai dit au départ du récit, quelques événements l’animent mais la vision que j’ai à ce momentlà n’est perturbée par aucun d’eux. Souvent l’extérieur reste absent de toutes intrusions. Dès lors, la vue que je porte au-dehors oscille entre un plan en deux dimensions et une réalité en trois dimensions. Le changement de perception varie au rythme des réflexions et de mon souffle.

80


7. C’est en tenant le regard de l’eau que les premiers stigmates d’une pulsion de désir sont apparus. L’eau est là, présente. Marque d’une présence dans le paysage. Il faut que je revienne sur un élément important. Le fleuve est présent comme matière mais aussi, en dialogue avec la lumière, comme un autre élément, qui se joue des surfaces diffuses et contraste la pièce. Je n’en parle pas dans la description première de la vue par la fenêtre. Je n’en voyais pas l’utilité puisque la description donne à voir l’extérieur, pas l’intérieur. C’est bien d’une vue qu’il s’agit. L’intérieur est mon lieu, là où je réfléchi. L’effet de la lumière sur l’eau. Le reflet, réaction, réflexion de la matière en mouvement. Acte simple mais beau en contact d’une autre surface. Si l’œil est ébloui, la matière de l’espace qui entoure répond. Lumière et mouvement pour animer l’environnement. Comme un appel léger, une demande de regard. Une transgression directe des limites par l’élément dans mon habitat. Mais un accueil immédiat, la question ne se pose pas. La lumière 81


agitée te parle et l’instinct répond, tu regardes l’eau. Elle est miroir. Gaston Bachelard livre son analyse, dans L’Eau et les Rêves18, d’un répertoire littéraire choisi mettant en exergue la dimension onirique et intemporelle de la relation entre l’homme et l’eau. « D’abord, il faut comprendre l’utilité psychologique du miroir des eaux : l’eau sert à naturaliser notre image, à rendre un peu d’innocence et de naturel à l’orgueil de notre intime contemplation. Les miroirs sont des objets trop civilisés, trop maniables, trop géométriques ; ils sont avec trop d’évidence des outils de rêve pour s’adapter d’eux-mêmes à la vie onirique. » 19

18 19

Bachelard, Gaston, L’Eau et les Rêves, Livre Poche, 1993. Ibid, p.31-32. 82


Comprendre la relation de l’homme à l’eau, c’est comprendre la relation de l’eau à l’homme. Une dualité naturelle qui avant de prendre place physique, comme une séparation entre deux lieux terrestres, met l’homme qui voit, face à une réalité aux deux visages. L’environnement reflété, un monde dans un monde. « …mais répétons-le, c’est en se tenant assez longtemps à la surface irisée que nous comprendrons le prix de la profondeur. »20

Voir autrement que par une relation de corps à corps. L’eau comme élément apaisant mais aussi inquiétant. Pour tous, des questions comme celle de savoir comment survivre à un monde submergé sont connues ou familières. Comment vivre avec l’eau? Entendues, vues, revues, elles se résolvent comme on l’a toujours fait, par la logique. On élabore des maisons flottantes, des péniches transformées, des maisons pilotis imitant celles de

20

Ibid, p.31-32. 83


populations sédentaires contraintes à une vie sur l’eau. Le fait est que l’on voit dans l’état actuel une manière de s’adapter à un élément, sans trop avoir à modifier notre quotidien. Le lieu d’habitat est une question ouverte à chacun et l’eau, un milieu non maîtrisé. Autant de possibilités d’habiter que de têtes qui pensent. Inversons la question, comment l’eau s’adapte à l’homme? Comment l’eau vit avec l’homme? Comment l’eau habite avec l’homme? 21 « Prouver que les voix de l’eau sont à peines métaphoriques, que le langage des eaux est une réalité poétique directe, que les ruisseaux et les fleuves sonorisent avec une étrange fidélité les paysages muets, que les eaux bruissantes apprennent aux oiseaux et aux hommes à chanter, à parler, à redire, et qu’il y a en somme continuité entre la parole de l’eau et la parole humaine. »22 21 22

Heidegger, Martin, « Bâtir, Habiter, Penser », 1951. Ibid, p.24 84


Il y a un lien primitif entre l’homme et l’élément. Depuis que l’homme existe, l’eau éveille son sens de la pensée profonde comme superficielle, la pensée qui se perd sur un horizon lointain ou à la vue d’un visage connu dans une flaque. La poésie comme méthode de narration qui rejoint le verbe et l’image dans une substance commune. La poésie elle-même légère ou dure, prend forme et se déforme dans nos esprits. Création rationnellement structurée, elle communique au-delà de la formule, un monde qui se reflète au travers de ses lignes. Art de la parole fluide. Un caractère propre à l’eau, liquide premier.

« La philosophie de Schopenhauer a montré que la contemplation esthétique apaise un instant le malheur des hommes en les détachants du drame de la volonté. Cette séparation de la contemplation et de la volonté efface un caractère que nous voudrions souligner : la volonté de contempler. La contemplation elle aussi 85


détermine une volonté. L’homme veut voir. Voir est un besoin direct. La curiosité dynamise l’esprit humain. Mais dans la nature elle-même, il semble que des forces de vision sont actives. Entre la nature contemplée et la nature contemplative, les relations sont étroites et réciproques. La nature imaginaire réalise l’unité de la natura naturans et de la natura naturata. Quand un poète vit son rêve et ses réactions poétiques, il réalise cette unité naturelle. Il semble alors que la nature contemplée aide à la contemplation, qu’elle contienne déjà des moyens de contemplation. Le poète nous demande de « nous associer d’aussi près que nous le pouvons, ces eaux que nous avons déléguées à la contemplation de ce qui existe.» Mais est-ce le lac, est-ce l’œil qui contemple le mieux ? Le lac, l’étang, l’eau dormante nous arrête vers son bord. Il dit au vouloir : tu n’iras pas plus loin ; tu es rendu au devoir de regarder 86


les choses lointaines, des au-delàs ! Tandis que tu courais, quelque chose ici, déjà, regardait. Le lac est un grand œil tranquille. Le lac prend toute la lumière et en fait un monde. Par lui, déjà, le monde est contemplé, le monde est représenté. Lui aussi peut dire : le monde est ma représentation. Près du lac, on comprend la vieille théorie physiologique de la vision active. Pour la vision active, il semble que l’œil projette de la lumière, qu’il éclaire lui-même ses images. On comprend alors que l’œil ait la volonté de voir ses visions, que la contemplation soit, elle aussi, volonté. »23 On comprend l’eau comme une présence. La présence est une forme d’être pensé. Elle est vivante, l’élément est personnifié. En sa personne elle regarde, et délivre directement ce qu’elle voit. L’homme voit ce que

23

Ibid, p.38. 87


l’eau délivre, on entend par là que c’est l’homme luimême qui donne à vivre le regard de l’eau. La profondeur comme la surface se laisse interpréter. L’eau fait comme don de sa présence au penseur. Libre est l’interprétation du paysage qu’elle dévoile. Une vision qui fait écho dans le cas d’une eau douce, un lac. Une mer ne parle pas de la même manière que le lac. Dans le cas de la mer, c’est avec le ciel que l’eau communique. Elle rend au ciel la part de terre qui lui appartient et donne à l’homme son dû d’humilité. Il n’est pas d’homme qui ait d’yeux à trouver sa place face à l’immensité d’une mer qui s’étend. Ou plutôt à trouver racine. On entend par racine le fait de s’installer, de désigner un lieu, de définir un lieu. Dans ce cas, la vue, l’émotion est un lieu, le paysage est un lieu. Si l’homme définit un lieu comme étant le sien, il se l’approprie. Face à la mer l’homme se laisse envahir. Il n’est pas être à imposer son lieu mais au contraire à accueillir. La présence de l’eau se fait humaine. Une discussion entre homme et marée. L’homme invite l’eau à, elle-même, prendre son lieu au sein du corps. Il ne s’agit plus d’un reflet mais d’une substance, l’élément prit dans

88


son état de matière. Les images que l’eau communique à travers son contrôle sur l’homme incitent à l’aventure.24

24

Hemingway, Ernest, Le vieil homme et la mer, Gallimard, Paris, 1952. 89


8. - Cette flaque ne m’a pas l’air infranchissable. Large d’environ six pieds elle n’en compte que deux de profondeur. Je n’en ferai pas le tour. Un léger saut devrait suffire pour atteindre mon bas de porte. Là où je suis, une question se pose. Je me projette et ferais mieux de ne pas me tromper. Mes chaussures ne sont pas neuves mais quand même, les mouiller ne me tente vraiment pas plus que ça. Il me semble avoir déjà eu à faire à ce genre d’individus, c’est lui ou moi. Il ne fera pas de cadeaux, je me lance.

En 1997, Olafur Eliasson fait irruption en grandes eaux lors de la seconde biennale d’art de Johannesburg. Son œuvre imprévue s’est appelée Erosion. Il libère, en pleine journée, les vannes d’une réserve d’eau située en face du hall dans lequel il devait faire une séance photo. 90


Se déverse alors un torrent dans la ville. En plus de leur étonnement, les habitants se sont vus, durant trois heures, contraints d’adapter leur quotidien en fonction de leur environnement transformé.25

« Les récits sont animés par une contradiction qu’y figure le rapport entre la frontière et le pont, c’est-à-dire entre un espace

(légitime)

et

son

extériorité

(étrangère). »26

La citation ci-dessus amène une autre image. Une image connue qui se fait objet et outil. Une image dans l’image première. Dès le départ, le pont avec le fleuve pour obstacle serait le fond. Le passage se lève maintenant comme un autre moment d’éveil. Je découvre dans les lignes écrites par Michel de Certeau un repère, un appui. Entre là, ici, et là-bas, un questionnement dialectique.

25

Ursprung, Philip, Studio Olafur Eliasson . An Encyclopedia, Taschen, 26 De Certeau, Michel, L’invention du quotidien : 1. Arts de Faire, Gallimard, Italie, 1990, p.185. 91


Vulgairement, « j’y vais, j’y vais pas? ». Il y avait d’abord un tout, objet ressenti, entier en soi - avec soi - avec lequel pourtant une hauteur persiste, une distance. Venu de cette distance, il y a maintenant un au-delà, le départ d’une opérativité, une action qui devient possible. Le manifeste d’un saut entre théorie et praxis. Moins de rêve et plus d’action? Non, je n’enlève pas au domaine pratique l’imaginaire qui l’a vu naître. « Au-delà quoi? ». Je suis épris par la traversée immobile. Un voyage intemporel. Installé, toujours à l’abri, comme spectateur attentif, au sentiment d’être actif. Le doute plane toujours.

« On peut prendre pour point de départ la définition donnée par Miller et Johnson- Laird à l’unité de base qu’ils appellent la « région » : c’est, disent-ils, une rencontre entre des programmes d’action. La « région » est donc l’espace créé par une interaction. Il s’ensuit que, dans le même lieu, il y a autant de

92


« régions » qu’il y a d’interactions ou de rencontres entre programmes. »27

Les choses, à leur place, en mouvement ou non, prises dans leur ensemble forment encore ici le lieu - on y revient souvent mais les manières de l’aborder sont nombreuses puisqu’il existe au travers des sentiments qui nous traversent. Il n’est ni quantifiable ni mesurable ni raisonné. Le lieu d’interaction, autrement dit là où elles – les choses – se rencontrent. Compris dans le lieu d’interaction, l’homme, lecteur et interprète puis narrateur. Sans lui, les choses existent, elles sont là. Avec lui, elles interagissent, elles ne sont plus seulement là, elles vont, aussi, là-bas. Il nomme les choses dans leur contexte, il les caractérise. Ce faisant, il crée une narration, un récit, un scénario. Les choses sont toujours dans l’environnement mais

contentes

de

l’interprétation

du

narrateur,

déterminent une suite d’échanges. L’interprète donne à voir, un récit des choses. Leurs manières de se rencontrer, à ses yeux. Autant de rencontres que de récits possibles.

27

Ibid. 93


A chaque narrateur son histoire. La question qui réside est : comment les choses se rencontrent-elles? S’il y a rencontre, il y a limite. Oui puisque rencontrer, c’est aller vers l’autre et par conséquent, aller au-delà d’une frontière aussi immatérielle soit-elle. Tout est constitué de plein, de vide, et de limites que l’on transgresse. Echanges de flux. « Le fleuve, le mur ou l’arbre fait frontière. Il n’a pas le caractère de non-lieu que le tracé cartographique suppose à la limite. Il a le rôle médiateur. Aussi bien la narration le fait parler : « Arrête », dit la forêt d’où vient le loup. « Stop ! » dit le fleuve en montrant son crocodile. Mais cet acteur, du seul fait qu’il est la parole de la limite, crée la communication autant que la séparation ; bien plus, il ne pose un bord qu’en disant ce qui le traverse, venu de l’autre. Il articule. Il est aussi un passage.

94


Dans le récit, la frontière fonctionne comme tiers. »28 Dans l’espace où elle se trouve, changeante, elle est le caractère préexistant qui laisse aux occupants le plaisir d’aller et venir. Une frontière qui se fait le lieu d’une interprétation et porte au regard de l’autre côté en créant un dialogue. Je cherchais l’influence de l’eau sur l’homme. Ici c’est l’influence du fleuve. L’eau n’a comme influence que la limite que l’on lui donne. A différents regards, elle répondra de ses attraits comme de ses réflexions et pensées profondes. Elle est un moyen de faire. Oscillation du quotidien pour un esprit qui divague.

28

Ibid. 95


C’est l’histoire d’une palissade, commentaires de Michel de Certeau à un poème écrit par Morgenstern29 : « Lieu tiers, jeu d’interactions et d’entre-vues, la frontière est comme un vide, sym-bole narratif d’échanges et de rencontres. Passant par là, un architecte se saisit précipitamment de cet « espace entre deux » pour y bâtir une grande maison. Mutation du vide en plein, et de l’entredeux en lieu établi. La suite va de soi. Le Sénat « endossa » le monument – la Loi s’y installe -, et l’architecte s’enfuit en Afri-ouAmérique. »30

29

« Il était une fois une clôture à claire-voie/ avec des espacements pour voir au travers. /Un architecte, qui vit la chose,/ soudain un soir s’en approcha/ et s’empara des espacements/ pour bâtir une vaste demeure./ Alors le Sénat à son tour s’en saisit, / ce pendant que l’architecte s’enfuit/ jusqu’en Afri-ou-Amérique », in Morgenster, Christian, Der Lattenzaun, in Gesammelte Werke, Munich, R. Piper, 1965, p.229., cité par De Certeau, Michel, in L’invetion du quotidien : 1. Arts de faire, Gallimard, Italie, 1990, p.187. 30 De Certeau, Michel, in L’invetion du quotidien : 1. Arts de faire, Gallimard, Italie, 1990, p.188. 96


On évoque l’architecte dans un rôle dramatique et ridicule. Responsable ici d’un désarroi pour le lecteur. Désillusion pour l’architecte, son œuvre rendue réelle aux yeux de la loi, il ne l’a défend plus. Il s’enfuit et laisse à charge d’autrui le changement qu’il a opéré dans un environnement qu’il abandonne tout autant. Il agit avec précipitation, en opportuniste puis se décharge de toute responsabilité. « Remplir et bâtir « l’espace entre deux », c’est la pulsion de l’architecte ; c’est également son illusion car, sans le savoir, il travaille au gel politique des lieux et il ne lui reste, quand il s’aperçoit de l’œuvre faite, qu’à fuir loin des blocs de la loi. »31

- Et si on en était resté là?

31

Ibid. 97


En

effet,

et

si

l’architecte,

conscient

de

l’impulsivité de son geste n’était pas passé à l’acte? Il n’est pas dit qu’il n’ait pas été intéressant. Il s’est peut-être finalement rendu compte que penser le passage valait plus que de le construire. L’idée projetée ne pourrait-elle pas avoir plus lieu d’être virtuellement que réellement? Je veux dire, ne peut-elle pas trouver sa place en tant qu’architecture non construite? Le fait de poser les murs, n’enlève-t-il pas finalement le lieu de pensées rêveuses et créatives? Tant que le pont reste virtuel, il figure, avec la limite comme une idée, un outil à penser. Une fois bâti, l’objet fige le lieu des dialogues. Ils ne sont plus là comme avant. Le passage devenu formel, n’incite plus l’esprit à faire les connections. Le travail fait n’est plus à faire. C’est maintenant l’ouverture au « faire autrement », ou bien, à « ne rien avoir à faire d’autre ».

98


« Le récit au contraire privilégie, par

ses

histoires

d’interaction,

une

« logique de l’ambiguïté ». Il « tourne » la frontière en traversée, et le fleuve en pont. »32 En science, c’est l’hypothèse qui offre au discours l’ouverture du récit. Sortie du raisonnement logique, on se permet des idées probantes ou non, appelées à être expérimentées. L’œuvre écrite ne court pas les mêmes risques que l’œuvre construite et pourtant que je peux comparer le processus créatif de l’architecte et celui de l’écrivain. L’architecte trouve finalement parmi ses nombreux rôles, celui de narrateur, créateur de lien. Mais l’architecture, comme objet fini, je ne la compare pas au livre. On ne demande pas au livre d’abriter la vie d’une famille. Quoi que, le livre abrite la famille dans le sens où il peut préserver son histoire et comme la maison devient un lieu d’échange, il invite des gens (amis ou ennemis, seule la fin de l’histoire le dira) à y entrer. Alors, le mot

32

Ibid. 99


est mal choisi. La maison est le lieu d’une pratique quotidienne, le livre en est le récit, l’auteur emploiera les mots qui conviennent.

« Il y a partout ambiguïté du pont : tour à tour, il soude et il oppose des insularités. Il les distingue et il les menace. Il libère de l’enfermement et il détruit l’autonomie. »33

Par partout, De Certeau entend : dans de nombreux récits. Des insularités qui s’opposent ou se soudent par le biais du pont. On est bien seul à se projeter vers l’autre. Lorsqu’un lieu nous rappelle à nous-même, le préserver devient comme vital. Je dis comme, et c’est encore une fois pour donner une image. Le lieu importe, il est isolé à ce moment, avec nous dedans. On ne peut pourtant pas rester indifférent devant l’appel de l’autre rive. L’eau, le long de la maison, est un élément que l’on tend à franchir, à se voir franchir. Je n’ai pas l’intention de

33

Ibid. 100


revenir sur le sentiment d’aventure incité à la vue d’un horizon lointain porté par la mer. Le saut d’une berge à l’autre est direct. L’œil voit les deux quais comme partie d’un tout malgré la distance par laquelle l’Escaut les sépare.

« Transgression

de

la

limite,

désobéissance à la loi du lieu, il figure le départ, la lésion d’un état, l’ambition d’un pouvoir conquérant, ou la fugue d’un exil, de toute façon la « trahison » d’un ordre. Mais en même temps il dresse un ailleurs qui égare, il laisse ou fait resurgir hors des frontières l’étrangeté qui était contrôlée à l’intérieur, il donne ob-jectivité (c’est-à-dire expression et re-présentation) à l’altérité qui se cachait en deçà des limites, de sorte qu’à retraverser le pont désormais l’ailleurs qu’il avait d’abord cherché en partant et fuit ensuite en rentrant. A l’intérieur des frontières, l’étranger est déjà là, exotisme ou sabbat 101


de la mémoire, inquiétante familiarité. Tout se passe comme si la délimitation même était le pont qui ouvre le dedans à son autre. »34

34

Ibid. 102


9. J’ai surtout parlé, jusque-là, de la nature des pensées extérieures. Les pensées stimulées par ma position de spectateur, vers le dehors.

Ma position quant aux pensées portées vers le dedans n’est pas la même. L’intérieur ne stimule pas mon esprit de la même manière. Comme je l’ai dit plus haut, l’intérieur, est un propre. Le lieu que j’habite et qui m’habite est un ensemble comprenant l’intérieur, la limite (la façade) et l’extérieur. L’espace en-dedans, abrité, est sujet à d’autres réflexions. Il est un lieu personnifié, personnalisé. Une phénoménologie de la maison dévoilera bien des fils, permettant une fois déliés, de nommer des éléments fondamentaux à l’établissement d’un caractère chez un individu. Si la maison est personnalisée, à l’instar du miroir, elle nous reflète. Je repense alors au miroir de l’eau. Contrairement à l’eau, nous n’attendons pas de la maison qu’elle soit calme pour refléter son monde. Si l’eau, même en mouvement, reflète la lumière, la maison est le visage permanent de ses occupants. Les 103


changements, même au sein de la maison, sont toujours les reflets de personnalités en mouvements. « La maison est » comme Bachelard tend à le prouver dans La poétique de l’espace, « une des plus grandes puissances d’intégration pour les pensées, les souvenirs et les rêves de l’homme. ». Centre de stockage pour nos pensées, rêves et souvenirs. Lieu d’expression d’un être qui a besoin de son espace. Avant d’être la maison, ce sont des murs, des portes, des plafonds, des escaliers, des fenêtres… L’individu, avant d’être l’habitant est comme l’aventurier. Il découvre, analyse, repère. Petit à petit, il se fait ami des éléments35 avec lequel il se familiarise, il s’approprie36 l’espace et en fait son habitat. Alors on peut décliner l’observation à tous les lieux de vie de l’homme. Leur définition comme espace habité feront toujours l’objet de deux choses : l’usage et

35

Koolhaas, Rem, Petermann, Stéphann, Rizzoli Usa, 2014 Pirson, Jean-François, Pédagogies de l’espace – Workshops, Cellule architecture – Fédération Wallonie-Bruxelles, Collection Fenêtre sur, 2011, p.93. 36

104


l’appropriation. Je pense que l’un n’est pas l’autre et que l’un ne va pas sans l’autre. On peut faire usage d’une chose, sans se l’approprier et inversement, s’approprier une chose sans en faire usage. Faire les deux, c’est commencer à habiter, la chose, ou le lieu. Pour se faire un aperçu contenu des envolés de l’habiter, je conseille la lecture d’Espèce d’espace, de Georges Perec37. Perec fait le récit de l’habitat par l’usage et l’appropriation. Un habitat décliné sous toutes les formes. Ainsi, on se permet de délier nos mœurs par la lecture d’une psychologie de la page blanche comme de celle du trottoir que l’on pratique tous les jours. Je dis psychologie parce qu’il y a un peu de ça. Le récit est descriptif et s’attache à différentes échelles dans la vie de l’homme. Le tout est ludique, sans prétention. Le départ se fait d’une échelle des plus petites et inattendues pour finir à la plus grande possible. Il est encore ici question de limites, de frontières. Les sujets de ses observations et divagations, prennent pour appuis une région dans laquelle une action se passe. La feuille

37

Perec, Georges, Espèce d’espace, Galilée, Mayenne, 2012. 105


blanche est une région, la chambre en est une autre, la rue, etc… Que se passe-t-il lorsque l’on quitte une maison? Il faut envisager le départ. Vidée de ses biens matériels, la maison conserve les mémoires des usages qui l’ont vu s’animer. L’habitant se souviendra de sa maison. S’il cède sa place à un autre, l’habitant souhaitera voir le nouvel aventurier prendre ses repères, puis jouir, de la même manière, des lieux qui ont bâti une part de lui. Encore aujourd’hui ces murs enferment certains fonds de son identité.

106


Le funambule

Le terme m’est venu de Kant. Dans l’un de ses écrits sur l’art, le beau, l’esthétique38, il personnifie la maîtrise artistique dans la pratique du funambule. Transformation un pas après l’autre, métaphore et tension de l’équilibriste. Plus qu’un souci de bien faire, une obligation pour prétendre au statut et s’il n’est pas sécurisé, pour protéger sa vie! « La transformation d’un équilibre donné en un autre équilibre caractériserait l’art. »39

38

Kant, Kritik der Urteilskraft, § 43, in De Certeau, Michel, L’invention du quotidien : 1. Arts de Faire, Gallimard, Italie, 1990, p.113 39 De Certeau, Michel, L’invention du quotidien : 1. Arts de Faire, Gallimard, Italie, 1990, p.114. 107


Il est une manière, un comment faire, que l’ambition révèle, au départ d’un projet. En même temps que les pensées fusent, on se fait le tracé d’une sorte de ligne de conduite. Pourquoi parler d’art ? L’art, c’est ici une manière de faire quelque chose. C’est opérer un changement tout en éveillant l’équilibre de l’objet donné. L’éveil est important parce qu’il met à jour et partage les sensibilités isolées. C’est d’abord en se rendant compte de ce qui nous fait nous sentir bien à un moment précis, que l’on peut ensuite le dire à un ami. « Kant cite l’autorité générale du discours, mais une autorité qui n’est pourtant jamais que locale et concrète : dans

mon

coin,

écrit-il

(in

meien

Gegenden : dans ma région, dans mon « pays »), « l’homme ordinaire » (der gemeine

Mann)

dit

(sagt)

que

les

prestidigitateurs (Taschenpieler) relèvent d’un savoir (vous pouvez le faire si vous savez le truc), tandis que les danseurs de corde (Seiltänzer) relèvent d’un art. 108


Danser sur une corde, c’est de moment en moment maintenir un équilibre en le recréant à chaque pas grâce à de nouvelles interventions ; c’est conserver un rapport qui

n’est

jamais

acquis

et

qu’une

incessante invention renouvelle en ayant l’air de le « garder ». »40 Constamment renouveler un équilibre qui n’est jamais complétement assuré, sinon, c’est la chute ! Faut-il faire de l’art, pour représenter le sensible des pensées qui nous traversent ? Faire le récit d’une image vue depuis une fenêtre a inspiré l’envie d’un projet. Le récit, en lui-même, fait objet du processus de conception. Le réaménagement de la maison ensuite, peutil faire l’objet d’une démarche artistique? On parle en architecture, d’un art de faire, de faire selon les règles de l’art. L’art de faire appel à respecter des valeurs qui font la ligne de conduite vers un projet pleinement abouti.

40

Ibid, p.114 109


Je parlais plus haut d’une architecture en posture délicate lorsque je citais, encore, De Certeau à propos d’un poème de Morgenster. Dans les quelques lignes, l’architecte venait, en comblant le vide entre les planches d’une barrière, « participer au gel politique » du lieu. Un vide symbolique tant il était la porte ouverte à une vue et à un imaginaire au-delà de le frontière dressée par la palissade. L’architecte fige le lieu et, par la même, vient modifier les pensées. On ne voit plus au travers de la palissade. Alors dans le poème de Morgenster, l’architecte n’est pas un artiste, c’est un opportuniste impulsif. Lorsque le travail de l’architecte est terminé, l’équilibre n’est pas transformé, il n’est plus du tout ! Ou plutôt, il est tout autre. Le travail demande une prise de position et c’est bien normal, sinon, on ne fait rien. Que le résultat soit bon ou mauvais, le goût et le jugement interviennent et il ne s’agit pas ici d’en débattre. Je ne sais pas s’il est possible de transformer l’équilibre et le renouveler à chaque instant en architecture. L’habitat ne fait pas appel, tel qu’on l’entend, 110


aux mêmes variables qu’une corde sur laquelle on devrait glisser un pas après l’autre. La pratique du lieu peut, en revanche, entrer dans la démarche. Dès lors, le lieu détermine un environnement propice à cette tension palpable dans l’exercice du funambule. Manipuler l’espace revient à induire un usage. L’architecte est, pour l’habitant, ce qu’est au funambule, son concepteur de corde. L’objectif à venir : définir un lieu d’expression. Avoir conscience de l’équilibre régnant est déjà un outil de conception qui fait la différence. J’espère être capable de poser les limites du cadre dans lequel se produit un travail réfléchi, qui permettra le partage des émotions ambiantes.

111


112


113


114


Cahier des charges

1. Le bâtiment entretient une relation particulière avec son environnement extérieur. Le rapport sensuel qui maintient le dehors et le dedans, dans un tout communiquant, est très important. 2. L’objet à penser, une « machine à prendre le temps », mais aussi un lieu de vie. Un quotidien qui se fait au fil et au regard de l’eau. 3. Si la façade est une frontière inévitable, faire de sa transgression un acte plus évident. Que le transport d’un côté à l’autre soit plus fort. 4. Si j’évoquais brièvement l’effleurement des battements de lumière sur les murs intérieur, c’était pour imager le passage du dehors, en dedans.

Voir

l’extérieur

s’inviter

plus

franchement à l’intérieur et l’intérieur s’ouvrir à l’extérieur. Questionner la frontière entre public et privé.

114


115


116


UN PROJET

400 ans

La maison est située à Tournai. Petite ville de province en Hainaut, riche d’un passé historique et d’un patrimoine médiéval qui fait sa renommée. L’Escaut, l’un des trois grands fleuves belges la traverse. Grâce au fleuve, Tournai n’a jamais connu de grandes périodes de crise économique. L’Escaut entretenait et entretient encore les allées et venues de bateaux de transports de marchandises de moyen gabarit et autres embarcations de plaisance. Sur les quais de la ville, l’activité bat toujours son plein. Les ouvriers ont laissé leur place aux promeneurs et à quelques festivités culturelles récurrentes. Les ateliers, usines et entreprises, lieux de collectivité et de labeur, ont quitté le centre-ville. Les berges sont prises par un champ d’activités nettement plus libérales, les temps ne sont plus les mêmes. Sur les quais on trouve énormément de logements, maisons de maîtres ou d’ouvriers tout comme immeubles à appartements. Les berges sont devenues des

117


lieux de loisirs, même si la voiture de l’habitant occupe une place importante dans l’espace public. L’histoire du numéro 27 débute au 17e siècle. Une congrégation de frères catholiques de l’ordre des Récollets jettent l’ancre au Quai Taille-pierres. Ils y bâtissent un couvent fait de deux ailes : l’une le long de l’eau, l’autre en retrait du quai, à l’arrière de la première. L’ensemble bâti se nommera « le Clos des Récollets ». Les frères occupent les lieux jusqu’à ce qu’une révolution dont je ne connais pas la nature, les contraignent à s’en aller. On ne peut qu’imaginer de loin, les us-et-coutumes adoptés à l’époque. Le Clos, porte bien son nom. Ses occupants y vivaient ensemble, presque en autarcie. Les pratiques et modes de vie adoptés par la communauté me sont inconnus. Les Frères Récollets s’en vont, le bâtiment reste. Plusieurs générations vont passer. L’édifice va subir quelques retouches mais dans l’ensemble, il reste le même. En 1837, les sœurs Clarisse s’installent dans la partie la plus récente et abandonnent le bâti initial. Parmi ses 118


occupants, les derniers en date dont il reste une trace sont des scouts. Sur les murs du grenier, des vestiges qui témoignent de leur présence, des fresques rustres et enfantines. Les dessins devaient décorer et animer l’état vétuste d’un de leurs locaux.41 Des années heureuses, suivies d’un abandon définitif, suite à un incendie criminel le 16 février 1988 vers quatre heure du matin, provoqué par les jeunes scouts chimistes en herbe. Le couvent ne trouve plus preneur. En coup de grâce, il se verra accaparé d’un brevet d’insalubrité par la ville. Ses murs sont solides et tiennent depuis de nombreuses années déjà, lorsqu’une offre de vente se présente. Mon grand-père, l’architecte Robert Schotte, devient le propriétaire avec ma mère pour un tiers de cette aile du couvent. Il projette à l’époque d’y aménager des logements de différents types. Plans, relevés, coupes et dessins sont effectués, mais son projet ne verra pas le jour. Mes parents, prennent le relais en 1996. Ils sont tous les deux designer. En tant que concepteurs, ils sont dotés d’un certain regard et d’une C’est grâce à un témoignage d’un ancien professeur d’éducation physique, Monsieur Doutreligne, que la présence d’une unité scout, dont il a fait partie, m’a été confirmée. 41

119


expérience en aménagement et création d’espace. Après deux années d’un chantier compliqué, nous emménageons au début de l’été 98’ dans la « Maison KC »42. Parallèlement, l’ancien Clos des Récollets a fait l’objet

d’un

classement

au

près

du

Patrimoine

Monumental Belge grâce au travail volontaire et significatif de ma mère. L’ensemble de la charpente, les toitures, façades attenantes et les trottoirs sont protégés. Je fais ici part d’un extrait du livre dirigé par le Ministère de la Culture française :

« Parallèle au quai, vaste et austère bâtiment, probablement construis sur un noyau plus ancien. Façade de onze travées sur deux niveaux dégressifs en moellons, briques et pierres dissimulés par les chaulages

successifs.

42

Soubassement

Au cours des journées passées sur le chantier, le couvent, notre future maison, s’est vue affublée d’un nouveau nom. Comme un nom de code, KC pour cassée parce que l’idée avant d’y emménager n’était que de la rendre salubre. Les raisons étaient à la fois économiques, éthiques et esthétiques. Je pense que mes parents ont eu bien raison ! 120


cimenté.

Au

rez-de-chaussée,

les

percements à cintre de briques proviennent de remaniements du XIXe s. Quatre fenêtres sont

visiblement

inscrites

dans

l’encadrement primitif en arc brisé et matériaux alternés creusés d’un large chanfrein amorti en congé sous l’arc. Petite porte basse à cintre refait ainsi que l’œil-de-bœuf du même matériau qui le surmonte. Entrée moderne sous une fenêtre cintrée en pierre appareillée chanfreinée. A l’étage, petites baies en arc (de briques ?) surbaissé. Petits bois à toutes les fenêtres. Corniche refaite sur encorbellement en briques. Remarquable charpente en chêne bien conservée sous l’ample bâtière aiguë en tuiles enserrée par deux pignons débordants. »43

43

Collectif, Ministère de la Culture française (dir.), Le Patrimoine Monumental de la Belgique : volume 6, Province du Hainaut, Arrondissement de Tournai (T-W), Arrondissement de Mouscron, tome 2 (A-T) 121


Quatre cent, c’est le nombre d’années que le bâtiment a vu s’écouler. Il est important de rendre compte de sa situation dans le temps. C’est aujourd’hui une maison, hier c’était un couvent, que sera-t-il demain ? Des murs chargés d’histoire.

122


123


L’eau avec l’architecture

1. Pourquoi l’eau avec l’architecture? Le quai est un quai, est une rive, a une berge puis trouve un homonyme, en face, parce que l’eau est là. Elle était là avant l’homme et l’homme a construit par la présence de l’eau, pour luimême. On parle d’une adaptation. Le milieu de vie est influencé, défini, par le choix, à un moment, de s’installer au bord du fleuve. L’architecture de la ville est bâtie sur l’eau. Une enceinte après l’autre, l’histoire a étendu son emprise sur le fleuve. « Que l’on détruise la ville!... ». L’eau sera toujours là, plus d’enceintes, plus de murs, plus de limites autres que celles de l’élément dans son environnement et l’homme qui les perçoit. Je donnais, en amont, une image référence : l’imaginaire du pont. Le pont est un geste mais aussi une structure, une surface suspendue, un espace passager. On exerce, en quelque sorte, la pratique architecturale dès l’instant où l’on imagine la traversée. 124


On évalue la distance, le bond, mais aussi la manière de le pratiquer : à pied, à patins à roulettes, en voiture… On construit le passage d’une rive à l’autre.

Je pense alors aux étudiants de Jean-François Pirson qui, dans le cadre d’un workshop donné à plusieurs reprises pour sa pertinence pédagogique, concevaient les structures de ponts en atelier.44 Manière d’expérimenter théorie et pratique dans un laps de temps court. « Ça passe ou ça casse ! ». Les structures étaient toutes soumises à une masse suspendue à la fin du workshop. Exercice repris par ailleurs, par les étudiants d’architecture de deuxième année en 2011 à l’UCL LOCI Tournai. La conception structurelle de pont n’a ici rien à avoir avec un projet pour le réaménagement de l’ancien couvent. J’y pense parce que derrière l’exercice structurel, Jean-François Pirson enseignait à ses étudiants un regard de l’espace qui les entoure. Eveil aux pratiques et mouvements du corps dans

Pirson, Jean-François, Pédagogies de l’espace – Workshops, Cellule architecture – Fédération Wallonie-Bruxelles, Collection Fenêtre sur, 2011 44

125


son environnement. Voir le corps comme outil pour comprendre l’environnement. L’homme, ses perceptions, ses pratiques, sont au centre de l’apprentissage. Le pont, une architecture qui s’élève au-dessus de l’eau. Dans Abitare con l’acqua45, Laura Daglio46 fait l’inventaire d’une pratique architecturale à la surface de l’eau. Dans un dernier chapitre qu’elle nomme l’Occasion manquée du pont habité47, elle parcourt une théorie et une histoire de ponts construits pour la traversée, l’habitat et par la même, le commerce. Les ponts sont des lieux de passages obligés pour relier deux parties d’une ville. La fréquentation est forte et fait le bonheur des commerçants. Finalement des structures à usages multiples. Les ponts habités qui ont existé et ceux qui existent encore, sont des modèles d’un temps où la question d’une relation entre l’homme et l’eau s’est posée. Dans le fond, ces ponts sont ou ont été des objets de performance technique pour Daglio, Laura, Abitare con l’acqua, Maggioli Editore, 2014. Laura Daglio est architecte, docteur et chercheuse en technologie de l’architecture au Département ABC de L’université Polytechnique de Milan 47 Daglio, Laura, Abitare con l’acqua, Maggioli Editore, 2014, p.248. 45 46

126


l’époque qui les a vus s’élever48. La plupart ont été détruits au fil du temps. L’idée aujourd’hui de repenser le pont comme structure habité revient à quelques occasions. On voit l’intérêt de prendre de la hauteur pour créer un nouveau sol. On multiplie la surface exploitable en ville. Les cités se densifient et un exemple qui situe bien cette logique n’est autre que la réhabilitation de la High Line de New York en un parcours végétalisé suspendu. Le pont dans la ville a un usage domestique mais il est aussi, une image politique. L’image de traverser un obstacle et d’en plus, offrir un nouveau sol, donc de nouvelles activités. Rêve d’une vie en hauteur, au-dessus de l’eau? J’ai le sentiment que l’on oublierait presque l’élément. En tout cas on en oublierait sans doute le pont lui-même. Lorsque que l’on habite au-dessus de l’eau, notre regard se porte en surplomb sur une ligne continue. Il n’y a plus l’image d’une traversée. J’ai le sentiment que la position en tant qu’habitant du pont, donne à voir l’extérieur avec encore

Il Ponte dell’Rialto de Venise, ou le non moins célèbre Ponte Vecchio de Florence, continuent toujours de nous impressionner. 48

127


plus de distance. Fait d’une isolation encore plus grande par rapport aux réalités de la ville. On devient l’embarcation à quai, qui attend de prendre le départ.

128


2. L’eau avec l’architecture pour sa symbolique. Les émotions et actions que l’élément induit en l’homme et le lieu qui l’entoure sont nombreuses. Source onirique par excellence, le bassin en architecture revient pour mettre l’homme face à une multitude de songes. J’ai déjà abordé ces dialogues grâce aux textes de Bachelard. Maintenant il est possible de donner, grâce à quelques œuvres d’architectes le visage d’une atmosphère si particulière rendue, entre l’eau et l’architecture. Venise est une ville construite sur l’eau. J’ai passé une année dans la ville italienne. J’y ai vu les constructions, les palais sublimes, les rues étroites. J’y ai entendu le bruit puis le silence. Le quotidien à Venise s’efforce à être le même que dans toute ville du continent. Au bout d’un temps, on se rend compte qu’il faut au moins une ou deux acqua alta, pour se rappeler de la présence de l’eau. Finalement, la ville est bien unique en son genre, adaptée par le génie de l’homme, à l’élément. Pourtant avec du recul, je trouve très peu de moments où j’ai vu la 129


relation entre l’architecture et l’eau dépasser la notion de « réponse à un besoin ». L’eau dans la ville n’est pas là comme une présence poétique ou symbolique. C’est un réseau de circulation. La voie de l’eau est résolue par la pratique de l’homme à différentes fonctions, à la manière des rues d’une ville quelconque. Alors le rêve transmis dans les récits qui la raconte aux oreilles des étrangers fait bien souvent un grand « plouf! ». Heureux celui qui sait attendre et ouvrir les yeux. Il est tout de même possible de rencontrer ici et là des moments de grâce, isolés d’une population touristique de masse. J’ai découvert le travail de Carlo Scarpa durant mon séjour. Au regard de son architecture, j’ai retrouvé l’eau qui dort. L’eau agitée de la ville reste en dehors, on ouvre la porte et on l’oublie. Il fait rentrer dans ses œuvres la profondeur propre au regard du penseur. Je ne reviendrai pas sur les pas d’une phénoménologie entre la discipline et l’élément.

130


131


3.

Dans

les

prochaines

pages,

des

œuvres

architecturales, outils de travail ou matière à penser. Avoir un regard sur une architecture existante est nécessaire à la culture de l’étudiant. Le moyen de découvrir des sensibilités

réalisées.

Ici

l’exemple

de

quelques

constructions donnent à voir. Je ne m’arrête pas seulement sur le travail de Carlo Scarpa. Luis Barragan, Tadao Ando et Louis Kahn interviennent aussi. La liste est exhaustive, je n’ai pas l’intention d’en faire une lecture plus étendue. Les références propres à chaque projet seront à la suite de ces quelques pages illustrées.

132


133


134


135


136


137


138


139


140


141


142


143


144


145


146


147


148


149


150


151


Références

-

p.129 et 131 : Luis Barragan, Las Arboledas, Mexico City, Mexico, 1962.

-

p.133 et 135 : Carlo Scarpa, Querini Stampalia, Venise, 1959.

-

p.137 et 141 : Carlo Scarpa, Tomba Brion, San Vito D’Altivole, 1972.

-

p.143 : Tadao Ando, Naoshima Contemporary Art Museum Annex, Naoshima Island, Japan, 1995.

-

p.145 : Louis Kahn, National assembly of Bangladesh, 1982.

152


153


4. L’architecture et le paysage sont un tout dans l’environnement imaginé, puis réalisé. Des scènes où la contemplation est pensée au préalable dans les dessins de l’architecte. Une atmosphère pré-méditée. L’architecture et l’eau ici sous une forme symbolique et poétique. Chez Scarpa on trouve la profondeur et le sommeil dont parle Barchelard.49 Ici c’est l’architecture qui dort. Les volumes sous l’eau sont comme des corps oubliés. Il dessine une architecture noyée. Même submergée, elle a son importance et sa signification. Chez Barragan, Kahn, et Ando, dans les exemples que je donne, on reste à la surface, en sécurité. On regarde de loin l’eau sombre. Elle est profonde chez Kahn et donne sublime et légèreté à l’architecture. Les masses bâties ont l’air de flotter et n’en sont que plus impressionnantes. Chez Ando l’eau est peu profonde et pourtant sombre. La surface se fait mystérieuse et naturelle lorsqu’elle aurait pu être pleinement artificielle. Elle est aussi là, comme une

49

Bachelard, Gaston, L’Eau et les Rêves, Livre de Poche, 1993. 154


surface que l’on contourne. Barragan assume pleinement un rôle d’architecte/paysagiste. L’architecture construit avec l’eau et la nature un nouvel environnement. Métaphores architecturales du paysage naturel. Ce n’est pas un bassin mais une rivière, un étang, un lac ou encore, une légère chute d’eau.

155


Vu par la fenêtre

L’habitant du quai façonne son quotidien autour de deux offres faites par le fleuve : accompagner le courant, rejoindre l’autre rive. L’eau le contraint, il est bien obligé de faire avec. Prendre le rôle de l’architecte. Maintenant? Être au demeurant l’être raisonné capable de médiations, compromis, dialectique, mesure et créativité pour faire œuvre à partir d’un existant. Le ressenti déjà, est une interprétation. La transformation opérée est l’expression de l’interprétation. Comment vais-je extirper le récit des lignes qui le contient? Est-ce une autre manière de bâtir entre les planches de la palissade? J’aimerais simplement faire de la palissade une échelle.

Il est possible de conserver les qualités de la maison, de les mettre en valeurs et d’en offrir plus encore. Point-là de gourmandise, simple estimation. Au regard de la structure actuelle, un potentiel reste inexploité. Le 156


volume offre un champ d’expérimentation assez large. Certains objectifs sont clairs et permettent de restreindre le champ d’évaluation. D’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un projet comme un autre. J’ai pris du temps pour investir les questions ouvertes par mon usage de l’habitat. Il n’y a pas de demande à laquelle répondre mais un usage nouveau à éveiller.

Les choses sont là et stimulent déjà un monde d’expérience propre. Il faut, dans le projet de réaménagement, d’abord considérer l’équilibre existant. Il y a une transformation à imaginer, et comme je l’ai dit en première partie, un équilibre à entretenir. Je ne suis pas funambule mais concepteur de corde ! Les considérations sensibles énoncées en tant qu’habitant et maître d’ouvrage sont propres à l’usage fait d’un lieu. Je voyais dans mon temps de travail, l’occasion de développer une poétique, un langage harmonieux. Un lieu où récit et bâti se répondent, où les lignes écrites et construites se confondent. Je pense que le récit permet la construction d’un état de conscience. Prendre l’espace 157


offert par la feuille de papier donne déjà matière pour construire le projet.

Je tiens à imager physiquement, en plus de qualifier, les éléments propres au(x) caractère(s). L’origine, lieu architecturé, est la cuisine par laquelle on observe le dehors. A quoi le lieu ressemble-t-il? Je veux adopter différents moyens pour montrer le lieu. La photographie, le dessin, le film, l’enregistrement sonore. Par ces outils, l’imaginaire autour du projet se poursuit. On donne le temps et on en prend, pour s’assurer du bien fait souhaité.

158


159


Croquis

Dans les prochaines pages, quelques croquis sont des interprétations personnelles. La fenêtre de la cuisine sous différents angles et ressentis. L’exercice du dessin est important. Il est un processus, un travail qui donne à dégager les pistes ou à rendre compte d’un événement.

160


161


162


163


164


165


166


167


168


169


170


171


Plans

Mais alors, le projet se résume-t-il à voir et à contempler la vue par la fenêtre? Non.

Je commence par voir la maison libérée de tous les biens matériels qui l’occupent. Plus de traces de l’habitant. Les murs, sols et plafonds sont une présence. Le quai et le fleuve, puis l’autre rive, en sont tant d’autres. Les intentions doivent trouver un chemin fidèle aux flux ambiants. Voir la maison sans artifices est un premier pas.

Plans et coupes permettent de mettre en avant la typologie. On peut y voir l’organisation des différents espaces. Ils sont des documents qui trouvent place ici à titre informatif. Ensuite, lorsque le travail d’aménagement commencera, d’autres documents seront amenés à être produit.

172


Le bâtiment est long d’environ vingt mètres. Les pièces principales s’alignent le long de la façade à quai. Cette façade est orientée Nord-Ouest. Le soleil se levant à l’Est, illumine le quai en matinée puis se dérobe à l’arrière. Justement, derrière la maison, que trouve-t-on? Pas de grande surprise, c’est le jardin. Cela dit, en forme de L, il crée deux espaces distincts.

La vie dans la maison se fait toujours au fil de l’eau. Dans chaque espace, au moins une grande fenêtre offre un panorama en double hauteur.

En effet, des

mezzanines occupent toutes les pièces à vivre, sauf la cuisine. Le plancher en hauteur est dégagé de la façade. Même à l’étage, on profite de l’ouverture apportée par les baies avec ayant un nouveau point de vue.

173


174


175


176


177


178


179


180


181


182


183


184


185


Conclusion

Le projet a commencé dès la première ligne. J’ai consacré mon mémoire au futur réaménagement de ma maison. Le travail ne fait que commencer. Le récit m’a permis de rendre compte des valeurs et attentions prêtées à une architecture familière, une architecture familiale. Faire d’une vie quotidienne l’objet d’un regard nouveau et un défi pour tout le monde. Un regard nouveau, un changement, une transformation, c’est un équilibre mis en défaut. Il se balance de droite à gauche, les ondes font vaciller le navire. Les vacillations ici ne sont pas subies mais entendues et presque attendues. Ecrire au sujet de mouvements intérieurs permet de malaxer la substance. Un premier contrôle pour reprendre l’ascendant sur le courant.

186


The title « Atmosphere » is generated by a question that has interested me for quite some time. And you are unlikely to be surprised when I tell you what it is : what do we mean when we talk about architectural quality? It is a question I have little difficulty in answering. (…) Quality in architecture to me is when a building manages to move me. What on earth is it that moves me? How can I get it into my own work? How could I design something like the room in that photograph (…). »50

Par cette question très simple, Peter Zumthor démarre son allocution. Comment pourrais-je concevoir quelque chose qui me ferais le même effet que cet espace, dans cette photo? Lui, fait référence à une vue de la Broadstreet Station, à Richmond, qu’il affectionne. C’est une question que je me pose aujourd’hui aussi. Ce qui me fait cet effet, j’ai le sentiment ici, de l’avoir parcouru. L’objet de la

50

Zumthor, Peter, Atmosphere, Bïrkhauser, 2006, p.11. 187


réflexion n’est déjà plus le même aujourd’hui que celui du départ. Maintenant, le changement prend forme, riche des notions abordées.

188


189


Bibliographie

190


Livres

AMALDI, Paolo, Espaces, Edition la Vilette, 2007. BACHELARD, Gaston, L’Eau et les rêves, Le livre de Poche, 1993. BACHELARD, Gaston, La poétique de l’espace, Quadrige, 1957. BLOOMER, Jennifer, Architecture and the Text : The (S) crypts of Joyce and Piranesi, Yale University Press, Collection Theoritical perspectives in architectural history and criticism, 1995. BOURRIAU, Christophe, Qu’est-ce que l’imagination ?, Ed. Librairie Philosophique Vrin, Collection, Chemins philosophiques, 2003. BOWIE, Malcolm, Freud, Proust et Lacan, la théorie comme fiction, Denoël, 1988. CALVINO, Italo, Palomar, Points, 2004. CAMUS, Christophe, Lecture sociologique de l’architecture décrite, éditions L’Harmattan, Collection « Logiques Sociales », Paris, 1996. CLÉMENT, Gilles, Manifeste Sens&Tonka, Paris, 2014.

191

du

tiers

paysage,


COLLECTIF, Architecture et Littérature contemporaine, textes réunis par Pierre Hyppolite, Pulim, Presses Universitaires de Limoges, 2011. COLLECTIF, Les Cahiers du Musée national d’art moderne n°41, Nelson Goodman et les langages de l’art. COLLECTIF, Ministère de la Culture française (dir.), Le Patrimoine Monumental de la Belgique : volume 6, Province du Hainaut, Arrondissement de Tournai (T-W), Arrondissement de Mouscron, tome 2 (A-T) CORAJOUD, Michel, Le paysage c’est l’endroit où le ciel et la terre se touchent, Actes Sud, Collection Paysage, 2010. DAGLIO, Laura, Abitare con l’acqua, Maggioli Editore, 2014. DE CERTEAU, Michel, L’invention du quotidien : 1. Arts de faire, Gallimard, 1990. DELEUZE, Gilles, L’image-temps, Minuit Paris, 1985. DURAND, Gilbert, L’imagination symbolique, PUF, Quadrige, 3e édition, 1993. GUILLERME, Jacques, L’art du projet : histoire, technique, architecture, Editions Mardaga, Collection Architecture, 2008.

192


HAMON, Philippe, De l’architecture à l’épistémologie, in Littérature et architecture : tout, partie, dominante, Presses Universitaires de France, Paris, 1992. HEIDEGGER, Martin, Remarques sur art – sculpture – espace, Payot & Rivages, Paris, 2009, p.8. HOLL, Steven, Steven Holl, Editions Arc en rêve centre d’architecture, Bordeaux, 1993. HOLTON, Gerald, L’imagination scientifique, Paris, Gallimard, 1981. KAHN, Louis, Entretiens avec les étudiants, in id., Silence et lumière, Choix de conférences et d’entretiens 1955-197, Paris, 1996. MOORE, Charles, ALLEN, Gerald, L’architecture sensible, Espace, échelle et forme, Dunod, Paris, 1981. MERCIER, Elizabeth, Le Rêve-Eveillé-Dirigé revisité, L’Harmattan, coll. « Psycholo-giques », 2003. NORBERG-SCHULZ, Christian, Genius Loci, Mardaga, 1981. NORBERG-SCHULZ, Christian, L’Art du Lieu : architecture et paysage, permanence et mutations, Le Moniteur, 2000. PALLASMAA, Juhani, Le regard des sens, Editions de Linteau, 1996.

193


PEREC, Georges, Espèces d’espaces, Gallilé, 1974. PIRSON, Jean-François, Pédagogies de l’espace – Workshops, Cellule architecture – Fédération WallonieBruxelles, Collection Fenêtre sur, 2011. PIRSON, Jean-François, La danse de l’arpenteur, Exhibitions International, Essais, 2014. PIRSON, Jean-François, Entre le monde et soi – Pratiques exploratoires de l’espace, Exhibitions International, Essais, 2008 PSARRA, Sophie, Architecture and Narrative Routledge Edition 2009 RICOEUR, Paul, Du texte à l’action, Editions Seuil, Collection Points Essais, 1998 ROGER, Alain, Court traité du paysage, Gallimard, 1997. ROSSI, Aldo, L’architecture de la ville, Infolio, 2016. SARTRE, Jean-Paul, L’imaginaire, Editions Gallimard, Collection Folio, 1986 SECCHI, Bernardo, VIGANO, Paola, Un projet pour le grand Paris et la métropole de l’après Kyoto. La ville poreuse, Métis Presse, 2011. VAN ASSCHE, Christine (dir.), Davide Claerbout : Shape of Time, JRP/Ringier, 2008

194


VAIHINGER, Hans, La philosophie du comme si, Editions Kimé, 2008. VENTURI, Robert, De l’ambiguïté en architecture, Editions Dunod, 1999. VIOLLET-LE-DUC, Eugène, Histoire d’une maison, J. Hetzel, Paris, 1887. VON MONTFRANS, Manet, Georges Perec : la Contrainte Du Réel, Rodopi Vb Editions, Collection Faux titre, 2004. ZUMTHOR, Peter, Atmospherses, Birkhauser, Allemagne, 2006.

Articles

BARTHES, Roland, Le discours de l’histoire, Social Science Information August 1967 6 : 63-75. BELLOUR, Raymond, The Pensive Spectator, in Wide Angle 9, 1987. MULVEY, Laura, Stillness in the Moving Image : Ways of Visualising Time and Its Passing, in Saving the Image : Art after Film, CCA Glasgow, Manchester Metropolitan University, 2003.

195


SERRE, Jean-François, XVII – Le Philosophe et la ville — 1) « Bâtir, habiter, penser » de Heidegger (1951), Site web Uniserre, http://urbainserre.blog.lemonde.fr/2014/01/12/xvii-xvile-philosophe-et-la-ville-1-batir-habiter-penser-deheidegger-1951/ (consulté le 08 août 2016) CLAERBOUT, David, Oil workers from the Shell company of Nigeria returning home from work, caught in torrential rain, Site web de David Claerbout, http://www.davidclaerbout.com/filter/work/Oil-workersfrom-the-Shell-company-of-Nigeria-returning-homefrom (page consultée le 21 juillet 2016)

Revues

Faces, n°68, Analogie, Editions Infolio, 2011. Oase 70, Architecture and Literature Reflections/Imaginations, Nai publishers, 2008. The Embodied Image : Imagination and Imagery in architecture (Architectural Design Primer), John Wiley & Sons, 2011.

196


TFE

LEVY, Déborah, Ut Architectura Fictio (ULB La Cambre Horta, Mémoire de fin d’étude, sous la dir. Du prof. Eric Van Essche, 2010)

Iconographies

ANDO, Tadao, Naoshima Contemporary Art Museum Annex, Naoshima Island, Japan, 1995, Site web Architecture is not just stuff, http://architectureisnotjuststuff.blogspot.be/ (consulté le 07 août 2016) BARRAGAN, Luis, Las Arboledas, Mexico City, Mexico, 1962, -

-

p.131 Site web Pritzker prize, http://www.pritzkerprize.com/1980/works (consulté le 07août 2016) p.133 Site web tumblr, http://arpeggia.tumblr.com/post/81344158110 (consulté en ligne le 07 août 2016)

KAHN, Louis, National assembly of Bangladesh, 1982,

197


Site web wikimedia, https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a8/N ational_Assembly_of_Bangladesh%2C_Jatiyo_Sangsad_ Bhaban%2C_2008%2C_3.JPG (consulté le 07 août 2016) SCARPA, Carlo, Querini Stampalia, Venise, 1959. -

-

p.135 Site web designlifenetwork, http://i2.wp.com/designlifenetwork.com/wpcontent/uploads/2013/12/Carlo-Scarpa-PalazzoQuerini-Stampalia-14.jpg?fit=620%2C620 (consulté le 07 août 2016) p.137 Site web designlifenetwork, http://designlifenetwork.com/wpcontent/uploads/2013/12/Carlo-Scarpa-PalazzoQuerini-Stampalia-13.jpg (consulté le 07 août 2016)

SCARPA, Carlo, Tomba Brion, San Vito D’Altivole, 1972. -

-

-

p.139 Site web Phaidon, http://www.phaidon.com/resource/carlos-scarpabrion-2.jpg (consulté le 07 août 2016) p.141 Site web Flickr, https://www.flickr.com/photos/pivari/832215921 9/in/photostream/ (consulté le 07 août 2016) p.143 Site web architectcouture, https://architectcouture.files.wordpress.com/2011/

198


08/tumblr_l1qjoigjlw1qbq6rto1_5001.jpg (consulté le 07 août 2016)

Sélection de photos personnelles. Remous : -

remous.01 remous.02 remous.03 remous.04 remous.05 remous.06 remous.07 remous.08 remous.09 remous.10 remous.11 remous.12 remous.13

p.53 p.55 p.57 p.59 p.61 p.63 p.65 p.67 p.69 p.71 p.73 p.75 p.77

199


Table des matières

Remerciements

p.5

Préambule

p.9

Une Image

p.21 …

Vue par la fenêtre 1.

2.

p.25

3.

p.33

4.

p.41

5.

p.49 Remous.

p.51

6.

p.79

7.

p.81

8.

p.90

9.

p.103

Le funambule

p.107

Cahier des charges

p.114

200


Un Projet

p.117

400 ans

L’eau avec l’architecture

p.124

1.

2.

p.129

3.

p.132

4.

p.154

Vu par la fenêtre

p.156

Croquis

p.160

Plans

p.172

Conclusion

p.186

Bibliographie

p.190 201


202


203


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.