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Introduction
Qu’est-ce que la générosité ?
La générosité est la disposition de cœur qui conduit à donner ou à se donner, ainsi que l’acte, ou les actes, qui concrétisent cette disposition. Il y a générosité lorsqu’un don exprime une largesse et qu’il est librement consenti, dans le souci de l’autre. Une personne est généreuse de cœur ou dans ses jugements si elle fait une large part à autrui. Un acte est généreux si, par-delà tout calcul, il privilégie l’autre. Il le sera aussi s’il dépasse la mesure de ce qui, dans une situation donnée, est considéré comme normalement requis ou attendu.
La générosité, pour exister, doit exprimer une liberté : c’est ce qu’exprime le mot proche, de « libéralité ». Donner par contrainte extérieure n’est pas faire acte de générosité, même si le don est important. Il faut un minimum de choix personnel pour qu’il y ait générosité. La générosité peut cependant procéder d’un sens du devoir, ou d’une obligation intérieure, pour peu que le don qui en résulte exprime un choix assumé.
La générosité, pour subsister comme telle, doit être orientée vers l’autre. Un don effectué comme un investissement personnel, ou dans le but d’en obtenir un retour, n’est pas une générosité. La générosité requiert une dimension de gratuité, même si un retour peut en résulter. La générosité peut être motivée par le souci de la justice. Mais les deux ne se confondent pas. La justice vise à attribuer à chacun ce qui lui revient, ou qui lui est dû. La générosité donne ce qui appartient à celui qui donne, ou qui manque à celui qui reçoit. « Il faut être juste avant d’être généreux, comme on a des chemises avant d’avoir des dentelles.1 » La justice a un aspect objectif, universel et réfléchi ; elle s’impose à tous. La générosité est plus subjective, plus singulière, plus spontanée ; elle doit procéder d’une libre décision. La générosité est souvent une expression de l’amour. Mais on peut être généreux sans aimer : par refus de l’injustice, par dégoût du malheur, par mauvaise conscience. Certains se demandent si l’on peut qualifier de générosité les actes accomplis en faveur de ceux que l’on aime déjà : aimer ses enfants, ses amis, est-ce être généreux ? Tout le monde n’est-il pas capable de générosité, quand il est porté vers l’autre dans la joie et la plénitude qu’apporte l’amour ? Ces questionnements traduisent le fait que l’amour contient, en lui-même, toutes les vertus : être parfait dans l’amour, c’est être parfait dans toutes les vertus. La générosité est ainsi contenue dans l’amour : le don fait partie de l’amour au point qu’il semble que là où il y a amour, on
1 Nicolas DE CHAMFORT, cité in COMTE-SPONVILLE, Petit traité des grandes vertus, Presses Universitaires de France, 1995, p.114. Plusieurs points discutés renvoient au développement de COMTE-
SPONVILLE.
n’a plus à souligner la générosité. Par contre, sans générosité, l’amour s’affaiblit et s’étiole. L’amour, pour exister, a besoin de s’exprimer par le don, et il s’y renouvelle. La générosité a donc sa place dans l’amour, en tant que « supplément d’âme » et que langage relationnel. Dieu, dans sa grâce, préserve pour ceux qui l’aiment, des espaces pour la générosité. S’il nous demande de l’aimer de tout notre cœur, il ne prescrit pas toutes les modalités de cet amour. Il y a place, ainsi, pour de libres expressions de l’amour, pour un langage de générosité envers Dieu et le prochain qui s’oppose à un service calculateur et minimaliste (2 Cor. 8 : 1-5). Mais cette libre expression de l’amour pour Dieu et le prochain se vit toujours dans l’humilité et la conscience que la générosité de Dieu est absolument première et englobante : nous ne pouvons offrir que ce que nous avons d’abord reçu (1 Chr. 29 : 14). Il y a place, aussi, pour une générosité du peuple de Dieu qui dépasse les comportements personnels. Certaines lois instituées par Dieu pour Israël, en faveur des plus faibles, sont très généreuses, au regard des pratiques des autres peuples contemporains. Si Dieu invite l’individu à la générosité, il veut aussi que son peuple, en tant que peuple, soit généreux.
Une théologie de la générosité ?
Sur quelles bases se fonde la générosité, comme valeur ?
Dans un horizon occidental sans référence à Dieu, l’une des clés qui permet de fonder la générosité est
qu’elle manifeste une forme plus élevée de liberté que l’égoïsme centré sur soi, et qu’elle permet ainsi à chacun de se réaliser de manière plus complète. C’est au nom de cette liberté et de cet accomplissement que l’on invite à la générosité. Le fondement de la générosité réside alors en ce que la liberté est plus belle et plus riche quand elle est ouverte sur autrui. Il y a là une fragilité incontestable : pour qui déciderait que la liberté est plus belle et plus riche lorsque l’on s’occupe principalement de soi-même, la générosité perd tout fondement. Les cultures communautaires valorisent la générosité mutuelle et y ont recours, pour permettre de multiples formes de solidarité. Il leur faut veiller, dans cette orientation particulière, à préserver la liberté et la gratuité de la générosité, sans en attendre obligatoirement un retour.
Dans la perspective biblique, la générosité se fonde par le fait qu’elle se trouve aux sources mêmes de notre être et de notre existence. Dans la vision du monde créé par Dieu, tout ce qui existe a reçu l’être de la part du Créateur, et ne cesse d’être maintenu par lui. « En lui, nous avons la vie, le mouvement et l’être » (Actes 17 : 28). Tout est générosité ! C’est une source de reconnaissance et d’émerveillement : « Tu es digne, notre Seigneur et notre Dieu, de recevoir la gloire, l’honneur et la puissance ; car tu as créé toutes choses, et c’est par ta volonté qu’elles existent et qu’elles ont été créées » (Apoc. 4 : 11). Cet acte de création est de pure gratuité. Le Dieu Père, Fils et Saint-Esprit possède l’être en surabondance et vit en lui-même une relation ineffable. Aucun manque ! Le seul motif de l’acte de création, si Dieu
possède toute plénitude, est la gratuité, la générosité surabondante ! Dieu a voulu partager quelque chose de la richesse qui était sienne avec d’autres êtres auxquels il donnerait l’existence. C’est la générosité à l’état pur. La générosité dans toute sa gratuité. Dans la perspective de la foi, nous savons que nous n’existons que par la générosité inouïe de notre Créateur. Celle-ci nous configure aussi : créés « en image de Dieu », pour le vis-à-vis avec Dieu, nous ne nous réaliserons que dans l’ouverture, jamais dans l’enfermement égoïste. La générosité est aussi la marque de fabrique du Seigneur. Quand il crée, c’est le foisonnement, la diversité, la richesse ! Le cadre qu’il donne à la vie dans le monde créé n’est pas uniquement fonctionnel, mais riche de beautés, de diversité, d’émerveillements ! Dieu ne se contente pas du nécessaire, il donne en surabondance.
Cette générosité se maintient, alors que l’humanité a choisi l’autonomie par rapport à son créateur. Même rejeté, Dieu continue de faire le choix du don, le choix des autres. Il fait lever son soleil sur les justes, comme sur les injustes (Matt. 5 : 45). Il continue de « rendre témoignage de ce qu’il est par ses bienfaits, en vous donnant du ciel les pluies et les saisons fertiles, et en vous comblant de nourriture et de bonheur dans le cœur » (Actes 14 : 17). La générosité reste la signature de Dieu, alors même qu’il est bafoué et rejeté, alors même que l’humanité utilise cette générosité pour s’affirmer sans lui ou contre lui.
Générosité encore, lorsque Dieu choisit de sauver l’humanité. « Vous connaissez la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ qui, de riche qu’il était s’est fait pauvre,
afin que par sa pauvreté, nous soyons enrichis » (2 Cor. 8 : 9). Le Dieu bafoué par sa créature assume tout ce qui est nécessaire pour sauver l’humanité révoltée contre lui. Générosité du don, générosité de la motivation, générosité de l’acte à accomplir pour le salut, générosité de l’implication totale de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit dans la rédemption. La générosité de Dieu éclate particulièrement dans cette grâce du salut. L’initiative de cette grâce est générosité : Dieu, bafoué, répond au péché de l’homme par une action bienveillante, à grand prix. La substance de la grâce du salut est générosité : Dieu pardonne au coupable, endosse librement sa condamnation, le réhabilite, lui donne un statut filial ! Les bienfaits qui découlent du salut sont générosité : Dieu fait du bien à ceux qui s’approchent de lui, les restaure, les gratifie de dons et de bienfaits, dans une générosité infiniment variée en ses expressions. L’aboutissement du salut est générosité : la nouvelle création accomplit et amplifie ce qui était en promesse dans la première, la grâce « surabonde », la réponse de Dieu au péché dépasse la simple restauration de l’initial. Tout ce que nous sommes, nous le devons, ainsi, à la générosité de Dieu. La générosité n’est ni un à-côté, ni même la « dentelle » qui apporte un « plus » sur le vêtement : elle est la substance, l’étoffe même du vêtement. Elle est une valeur fondatrice, donnée avec l’être même ! « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » (1 Cor. 4 : 7). Voilà pourquoi, dans la perspective chrétienne, on ne peut parler de générosité sans faire une théologie de la générosité. Car c’est en Dieu que la générosité trouve sa source, son fondement, sa fécondité, sa beauté, son exemplarité.