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L’apport de l’Ancien Testament

La générosité est l’une des premières notes de la Bible, qui la situe d’abord du côté de Dieu. Le récit des origines du monde célèbre la profusion et la gratuité de la création de Dieu. La bénédiction que prononce Dieu sur la création achevée dit l’intention qui soustend ses actes créateurs, tous orientés vers le bienfait des êtres créés (Gen. 1 : 22, 28 ; 2 : 3). Dès l’origine, l’homme jouit d’un espace magnifiquement pourvu : le Jardin des délices est planté en sa faveur et pour sa joie, tous les arbres et les fruits sont généreusement mis à sa disposition (Gen. 2 : 8, 16). La méditation sur l’œuvre de Dieu s’accompagne d’émerveillement pour cette générosité. Éblouissement devant la profusion de la création : « Que tes œuvres sont en grand nombre, ô Éternel ! » (Ps. 104 : 24). Reconnaissance pour l’abondance de bénédictions qu’apporte la providence du Seigneur, lorsqu’il visite la terre (Ps. 65 : 10-14). Confusion devant l’attention imméritée accordée par Dieu à l’homme au sein de la création : « Qu’est-ce que l’homme pour

que tu te souviennes de lui, et le fils de l’homme, pour que tu prennes garde à lui ? » (Ps. 8 : 5). Le cri s’élève, reconnaissant : « N’oublie aucun de ses bienfaits ! » (Ps. 103 : 2). L’histoire heurtée de l’humanité fait éclater, en contraste, la surabondance de la générosité de Dieu, qui se révèle, assurément, « riche en bonté et en fidélité » (Exode 34 : 6). Lorsqu’Israël se rappelle son histoire, c’est avec une confusion mêlée d’émerveillement pour la fidèle générosité de Dieu à son égard (Néh. 9). L’abondance et la largesse caractérisent les dons de Dieu envers les siens : abondance de joie devant sa face (Ps. 16 : 11), en sa maison (Ps. 36 : 8). Pour qui a recours à lui, la rédemption est accordée, en abondance aussi (Ps. 130 : 7) ! Lorsque le Seigneur bénit, c’est selon une mesure qu’il désire généreuse (Mal. 3 : 10). Il ne se contente pas de donner, il promet de multiplier ses faveurs (Ps. 115 : 14), ainsi que son peuple, « comme les étoiles du ciel » (Gen. 15 : 5 ; Deut. 7 : 13). L’annonce de la nouvelle création emprunte les mêmes accents, et plus encore : la nouvelle Jérusalem est chantée comme un lieu où l’on savourera la surabondance de la gloire de Dieu, où l’on goûtera la paix comme un fleuve, où la gloire des nations ressemblera à un torrent débordant (Ésaïe 66 : 10-12).

A. Israël, entre reconnaissance et devoir

L’histoire biblique de la rédemption s’ouvre par la grâce de la vie maintenue malgré la rébellion humaine (Gen. 3-11), et par la promesse de Dieu faite à Abraham de le bénir et de faire de sa descendance une source de bénédiction pour toutes les nations (Gen. 12 : 1-3). Dieu inscrit sa générosité dans un dessein, qu’il énonce clairement et poursuit activement. Cette promesse est portée par la générosité : Dieu prend l’initiative de se faire connaître à Abraham (Gen. 12 : 1-3). Abraham, seul, deviendra père d’une multitude (Gen. 15 : 1-6 ; Ésaïe 51 : 1-2). À cette promesse s’ajoute celle d’un pays, alors qu’Abraham n’est encore qu’un immigrant sur la terre où il réside (Gen. 12 : 7 ; 15 : 7, 18-21 ; 28 : 4). Après l’exode et le désert, le peuple d’Israël prend possession du pays, son héritage filial (Deut. 4 : 21 ; 12 : 9, cf. Exode 4 : 22). Ce pays est un signe de la générosité de Dieu : il est pur don, immérité (Deut. 7 : 7). Israël le mesure à chaque fois qu’il se remémore l’histoire de ses ancêtres, nomades, puis maltraités en Égypte (Deut. 26 : 5-9). Ce don s’inscrit dans une relation d’alliance, où le pays bénéficie ou pâtit de l’attitude spirituelle d’Israël (Deut. 28 : 4-5, 17-18), tout en étant luimême un enjeu d’obéissance et de confiance : il faut s’attendre à Dieu avec foi pour laisser la terre en repos une année sur sept, et plus encore lorsque suit immédiatement l’année du jubilé où il faut restituer à leur famille d’origine toutes les terres acquises (Lév. 25 : 4, 11) ! Dans cette relation d’alliance, le pays appartient

à Dieu tout en étant donné en héritage à son peuple (Lév. 25 : 23). Le rapport d’Israël à son pays possède donc deux facettes. D’un côté, le pays est un don de la générosité divine, source de reconnaissance envers Dieu et de droits pour ceux qui bénéficient de cette générosité. D’un autre côté, le pays est la propriété du Seigneur, source de devoirs à l’égard de Dieu et du prochain2 . Ainsi a-t-on pu distinguer « le pays promis » (don) et la « terre de Yahvé » (appartenance)3 . Par Israël, Dieu enseigne des principes de vie voulus pour sa création, appliqués à une société qui reste marquée par le péché. Dans ces dispositions que Dieu donne à son peuple sont aussi préfigurées la rédemption et la nouvelle création. L’application de ces principes à d’autres situations doit tenir compte de ces caractéristiques particulières d’Israël, et effectuer des transpositions pertinentes qui intègrent la différence des contextes et des situations. En relation avec une théologie de la générosité, on relèvera qu’Israël, au temps de la loi mosaïque, est surtout un pays agraire : la générosité de Dieu se manifeste essentiellement par les produits du sol. On intégrera également qu’Israël, en tant que peuple de Dieu, est une nation, dont les lois civiles font partie des commandements de Dieu au même titre que les lois cultuelles.

2 Souligné par Christopher WRIGHT, L’éthique de l’Ancien Testament,

Excelsis, 2012, p. 109. 3 Distinction faite par G. VON RAD, dans un article publié en 1943, cité in WRIGHT, op.cit, p. 96. VON RAD lie à cette distinction deux conceptions du pays : l’une « historique », l’autre « cultuelle ». La conception « historique » souligne le privilège du pays ; la conception « cultuelle » fait du pays une source de devoirs envers Dieu et le prochain.

B. Prémices, dîmes et offrandes

La générosité du peuple de Dieu, en reconnaissance pour les bienfaits reçus, prend essentiellement trois formes dans l’Ancien Testament : les prémices, les dîmes et les offrandes (Deut. 12 : 6, 11 ; Néh. 12 : 44). On peut y ajouter la pratique des vœux (Lév. 27). Ces diverses prescriptions peuvent avoir un caractère obligatoire et jouer ainsi un rôle pédagogique, tandis que d’autres font appel à la reconnaissance spontanée du croyant.

Les prémices

Les prémices désignent les premiers-nés des hommes ou du bétail, ainsi que les premiers produits de la terre (Exode 22 : 29 ; Lév. 23 : 10-14 ; Deut. 18 : 4 ; 26 : 2). Certaines offrandes de prémices sont régulées, marquées par le calendrier. D’autres semblent être libres, à l’initiative de celui qui jouit d’un bienfait (Lév. 2 : 12, 14). Parce que le pays et le peuple appartiennent au Seigneur, les prémices lui reviennent de droit (Exode 22 : 29). Mais l’offrande des prémices découle de la conscience, forte, que tout est don de Dieu, et elle vise à entretenir cette conscience et cette reconnaissance. Un texte saisissant indique la profondeur particulière de cette conscience, en Israël. Lorsqu’un Israélite apportait à Dieu les prémices de ses fruits, il était invité à prononcer à haute voix une confession de foi en forme de rappel de l’histoire des patriarches et de l’exode, qui mettait en lumière que tout est don de Dieu (Deut. 26 : 1-11).

Cette « Petite confession de foi d’Israël » est une façon admirable de considérer les bienfaits de Dieu, non seulement dans leur immédiateté, mais comme le signe d’une fidélité. La récolte présente n’est possible que parce que Dieu a réalisé ses promesses, d’une générosité inouïe : il a fait d’un Araméen nomade un peuple qui habite désormais son pays, et d’un peuple oppressé les cultivateurs d’un pays où coulent le lait et le miel. L’offrande devient ainsi l’occasion d’adorer l’Éternel, pour son action dans l’histoire, et pour sa généreuse fidélité. L’offrande des prémices répond aux bienfaits de Dieu, mais le travail humain est inclus dans la reconnaissance : on offre « les prémices de son [ton] travail » (Exode 23 : 16), et certaines prémices prennent la forme de pains ou de gâteaux qu’il a fallu confectionner (Lév. 23 : 17). Les gestes quotidiens qui rendent possibles les récoltes, et ceux qui transforment les produits de la terre sont reconnus, eux aussi, comme dons de Dieu.

Ces offrandes confessent la générosité de Dieu, mais veulent aussi l’honorer comme Seigneur. C’est ce qu’exprime le don de la « première » part des récoltes. On présente la « première gerbe » de blé, anticipation de la récolte à venir (Lév. 23 : 10-15) : Dieu est reconnu dès le premier signe de ses bienfaits ! On attend d’avoir apporté son offrande avant de manger son propre pain (Lév. 23 : 14) : Dieu doit être le premier honoré ! Les prémices offertes sont « ce qu’il y aura de meilleur en huile, en vin nouveau et en blé » (Nomb. 18 : 12-13) : Dieu est gratifié du meilleur ! Et tout cela ouvre à la joie devant Dieu, dans une gratitude qui rejaillit sur le prochain plus vulnérable (Deut. 26 : 11). La perspective est magnifiquement résumée en une formule des

Proverbes : « Honore l’Éternel avec tes biens, et avec les prémices de tout ton revenu » (Prov. 3 : 9). La théologie de la générosité prend ici une élévation spirituelle remarquable, d’autant plus que la consécration systématique des premières parts à Dieu exprime la consécration de toute la vie.

Les dîmes

Si les prémices expriment le souci de toujours donner à Dieu la première part, les dîmes sont une réponse régulière et proportionnée à la générosité divine. Elles sont prescrites par la loi de Dieu, mais ces prescriptions visent à susciter une obéissance motivée par la reconnaissance, à devenir un geste librement assumé.

I. Les patriarches Les premières mentions de la dîme remontent aux patriarches. Abraham, vainqueur de la coalition qui a attaqué le roi de Sodome, donne la dîme du produit de sa victoire à Melchisédek, sacrificateur du Dieu Très-Haut (Gen. 14 : 18-24). Abraham a reconnu en Melchisédek un prêtre du Dieu unique qui lui est apparu (Gen. 14 : 22, cf. 14 : 19). La dîme qu’il offre est un geste spontané de reconnaissance pour la délivrance reçue du Seigneur. Elle n’est portée par aucune obligation légale et semble être un acte de révérence et de consécration à l’initiative du patriarche4. Cette

4 L’épître aux Hébreux souligne qu’Abraham a « donné » la dîme à

Melchisédek (Héb. 7 : 2,4), puis lorsqu’il développe l’analogie entre

Melchisédek et le sacerdoce lévitique, il parle de Melchisédek qui

« prélève » la dîme sur Abraham (Héb. 7 : 5-6). Ce changement de langage est le fruit d’une lecture qui fait le parallélisme avec la pratique des prêtres qui, en Israël, prélevaient la dîme.

dîme est le premier geste d’Abraham en relation avec le butin conquis : la discussion avec le roi de Sodome sur la destination de ces biens n’intervient que plus tard (14 : 21-24). Le choix du montant peut être motivé, soit par une pratique cultuelle qui semble répandue dans le Proche-Orient ancien, soit par un simple effet du système décimal. Quelques décennies plus tard, Jacob promet à Dieu de lui donner la dîme de tout, si le Seigneur le ramène sain et sauf dans son pays (Gen. 28 : 22). On peut parler de générosité anticipée dans la mesure où il s’agit d’un acte librement choisi. Mais si ce serment se réduit à un simple calcul, sa promesse perd toute valeur de générosité.

II. La loi mosaïque La loi mosaïque institue la pratique de la dîme et en fait une obligation. Les familles d’Israël sont appelées à donner le dixième de leurs récoltes, de leurs fruits, de leur bétail (Lév. 27 : 30-33). Ces dîmes appartiennent de droit au Seigneur : elles appartiennent déjà aux « choses consacrées » à Dieu, avant même d’avoir été données (Lév. 27 : 30). Elles sont le canal principal par lequel est soutenu le service du culte, des lévites et des prêtres (Nomb. 18 : 21-32). Les lévites prélèvent une dîme de la dîme, pour les prêtres (Nomb. 18 : 28-30). Le Deutéronome souligne l’importance d’apporter la dîme au sanctuaire (Deut. 12 : 6-12). Cela souligne l’orientation cultuelle de l’acte. Ce geste est appelé à se vivre dans une joie familialement et socialement partagée, sous la forme d’un repas (Deut. 12 : 17-19 ; 14 : 22-23). Ainsi, le don n’est pas dépossession, mais

rappel joyeux de la bonté de Dieu. Mais, tout en étant vécu dans la joie, il doit manifester le souci d’honorer le Seigneur : pas question de sélectionner le bétail dont on ne voudrait pas, pour l’offrir à Dieu (Lév. 27 : 33) ! La pratique recommandée par le Deutéronome semble être le don en nature : il visualise la bénédiction reçue. Mais des dispositions sont envisagées pour en apporter l’équivalent en argent (Deut. 14 : 24-25). Une fois le royaume consolidé et le service du temple structuré, les dons semblent s’effectuer prioritairement en argent (2 Rois 12 : 5-6, 10-17 ; 2 Chr. 34 : 9-10). Tous les trois ans, la dîme est apportée, non au sanctuaire, mais au lieu même de résidence de chaque famille (Deut. 14 : 28-29). Elle est alors destinée aux lévites, aux orphelins et aux veuves, ainsi qu’aux étrangers, en chaque ville du pays. Il s’agit là d’une dîme que l’on peut qualifier de « dîme sociale ». On imagine que cette « troisième année » n’est pas la même pour tous, et qu’ainsi cette provision en faveur des plus vulnérables est alimentée chaque année. Le peuple dont l’ancêtre est un Araméen nomade ne peut oublier ceux qui, en son sein, n’ont pas de possession propre, ou sont étrangers (Deut. 26 : 12-13). La reconnaissance à Dieu s’exprime en amour du prochain. Concrètement, cette disposition signifie que, chaque année, 2/3 des dîmes sont apportés au sanctuaire, et 1/3 localement5 .

La destination de ces dîmes est de répondre dans la régularité aux besoins structurels du peuple de Dieu,

5 Certains auteurs considèrent que la dîme sociale de la troisième année était une dîme additionnelle, et que les Israélites donnaient donc 20% cette année-là. Cf. Craig BLOMBERG, Ne me donne ni richesse ni pauvreté, Excelsis, 2001, p. 37-39.

en faveur du culte, de l’enseignement de la loi de Dieu, du soutien des prêtres et des lévites, et des familles les plus vulnérables (veuves, orphelins, pauvres, étrangers). Les diverses dîmes peuvent s’échelonner sur l’année. Le repas partagé dans le sanctuaire lors de la remise de la dîme n’épuise pas la totalité des dîmes : les dîmes recueillies sous Ézéchias, lors de la réorganisation du sacerdoce, sont perçues pendant quatre mois, et conduisent à mettre en place toute une intendance pour la gestion du stock recueilli (2 Chr. 31 : 6-11, 14-19). La possibilité de monnayer les dîmes et les prémices, plutôt que de les donner en nature, permet de constituer une réserve financière utilisable tout au long de l’année. On a bien là une gestion de besoins structurels, dans la durée (Nomb. 18 : 21, 24). La loi mosaïque institue-t-elle un « impôt du Temple » ? Cette disposition existe au temps de Jésus (Matt. 17 : 24-27). Certains veulent la lire dans la loi sur le dénombrement (Exode 30 : 11-16), qui conduisait chaque Israélite majeur dénombré, quelle que soit sa situation sociale, à payer un demi-sicle, affecté au service de la tente de la Rencontre. Ce paiement est décrit comme la « rançon » de chaque personne en tant que membre du peuple qui appartient de droit au Seigneur. On rappelle cette appartenance, lors de chaque dénombrement. Mais le texte ne dit pas que le dénombrement est une base sur laquelle se greffe un impôt annuel au temple. Ce n’est que plus tard que le « demi-sicle » deviendra la base d’un impôt sur le temple. On relèvera qu’au temps de Néhémie, dans le cadre des résolutions prises pour l’entretien du culte, le peuple de Juda s’imposera une somme annuelle d’un tiers de sicle par personne pour le service du

sanctuaire (Néh. 10 : 33-34), en plus des prémices et des dîmes (Néh. 10 : 36-40). Il s’agit là de dispositions volontaires, dans le cadre d’un engagement responsable et durable envers la maison de Dieu (Néh. 10 : 1).

III. La dîme, impôt en Israël ? Convient-il d’identifier les dîmes à un impôt en Israël, qui est aussi une nation ? Certes, elles sont obligatoires, demandées à chaque famille, et elles cherchent aussi à répondre à certains besoins sociaux. Mais, comme les prémices, elles sont portées, dans leur intention, par une motivation spirituelle de reconnaissance envers Dieu, qui a tout donné et qui est Seigneur. Les dîmes sont considérées comme « consacrées à l’Éternel » (Lév. 27 : 30). C’est en tant que dîme prélevée « pour l’Éternel » qu’elles sont attribuées aux lévites, et non l’inverse (Nomb. 18 : 24). L’institution de la royauté entraînera d’autres prélèvements, en main-d’œuvre (1 Rois 5 : 27-32 ; 15 : 22 ; 2 Rois 15 : 20), ou en biens (1 Sam. 8 : 15 ; 1 Rois 4 : 7-19 ; 2 Chr. 17 : 5), pour faire face aux nouveaux besoins engendrés par le renforcement de l’État. Cela permet de distinguer un impôt à l’État, avec son aspect obligatoire et contraignant, et les dîmes qui gardent une intentionnalité spirituelle liée au service du culte et du prochain vulnérable.

Les offrandes volontaires

Aux dîmes régulières s’ajoutaient, en Israël, diverses offrandes volontaires (Deut. 12 : 6). Il s’agit là d’offrandes effectuées en toute liberté, sans montant imposé. Certains sacrifices sont désignés ainsi (Lév. 22 : 17-25). Les grandes fêtes donnaient l’occasion de telles offrandes (Deut. 16 : 16-17). Contrairement aux dîmes, structurelles et régulières, les offrandes volontaires sont souvent liées à la réalisation d’un projet particulier, comme la construction du tabernacle (Exode 35 : 2129) ou du temple (1 Chr. 29 ; Esd. 2). Elles consistent en diverses sortes d’objets précieux, de matériaux, de métaux, ou d’ouvrages (Exode 35 : 21-29 ; 1 Chr. 29 : 5-8 ; Esd. 2 : 68-69). Mais elles peuvent aussi se faire en argent (2 Rois 12 : 5). Le premier « tronc » de l’histoire biblique est un coffre placé à l’entrée de la maison de Dieu, recueillant les offrandes pour la réparation du temple (2 Rois 12 : 10-13). On insiste sur le fait que les offrandes volontaires sont effectuées d’un cœur entier, sans contrainte (1 Chr. 29 : 9), dans la conscience que Dieu est source première de tout ce que l’on peut lui offrir (1 Chr. 29 : 14).

Les vœux

Les « vœux » sont une forme particulière d’offrande volontaire, où l’on consacre à Dieu et à son service une personne, un animal ou un bien. Cette forme de don s’exprime par la mise à disposition, temporaire ou définitive, de la personne ou de la chose consacrées. Cette disposition peut être une expression de gratitude pour un bienfait reçu, d’un engagement pris envers Dieu lors d’une demande ou d’une prière particulière, ou plus simplement du don de soi-même à

Dieu. Le dernier chapitre du Lévitique est consacré à cette pratique : il rappelle la haute valeur spirituelle de la consécration (Lév. 27). Hommes, femmes ou enfants peuvent ainsi être mis au service du sanctuaire, pour participer aux tâches qui s’y rapportent. Des animaux, propres ou impropres au culte, peuvent être consacrés à Dieu et à son service, notamment certains animaux domestiques qui ne peuvent être ni sacrifiés ni mangés. Des maisons ou des champs font aussi partie de ce qui peut être mis à la disposition de Dieu. Des critères d’estimation de la valeur du vœu sont établis (Lév. 27), pour en dire l’importance et éviter qu’on ne fasse un vœu à la légère, tout en offrant une solution de recours pour mettre fin à un vœu en cas de nécessité, ou s’il apparaît qu’il était inconsidéré6 .

Le mobile de la consécration fait partie des thèmes bibliques liés à la générosité : donner, c’est d’abord « se donner ». La pratique des vœux rappelle l’utilité de la mise à disposition, pour l’œuvre de Dieu, de personnes, de capacités, de biens, pour un temps défini ou indéfini.

Le retour de l’exil

Le retour de l’exil marque un nouveau départ dans la vie du peuple de Dieu. L’édit de Cyrus suscitera, dans la joie de l’accomplissement des promesses de Dieu, de grands élans de générosité et d’offrandes volon-

6 La valeur s’exprime en « sicle d’argent », ce qui représente un mois de salaire moyen. La différence de valorisation entre hommes et femmes ne dit rien de la valeur des personnes, mais correspond plutôt à la force – souvent physique - utile pour le service du culte.

taires (Esd. 1 : 6 ; 2 : 68-69). Mais les conditions de vie exigeantes des exilés revenus en Juda conduiront au repli sur soi et à l’abandon de la Maison de Dieu : « Ma Maison est en ruine, alors que vous vous empressez chacun pour votre maison » (Aggée 1 : 9). Dieu invite à considérer l’impasse à laquelle conduit une telle contradiction (Aggée 1 : 9, 11), tout en disant qu’il « prendra plaisir » à un changement de priorités de son peuple (Aggée. 1 : 8). Au terme des 90 ans nécessaires à la reconstruction du temple et de Jérusalem, Esdras et Néhémie réorganisent la vie du peuple autour de la loi de Moïse, dans un engagement assumé d’un commun accord. « Nous nous sommes imposés des commandements qui nous obligeaient… » (Néh. 10 : 33). Par rapport au culte, ces engagements impliquent un soutien annuel au service du temple (Néh. 10 : 33), ainsi que le don des prémices et des dîmes de tous les produits du sol (Néh. 10 : 36-40). On entre dans une organisation structurée, basée sur la loi mosaïque, avec des lieux de stockage (Néh. 10 : 40), ainsi qu’un système de collecte des dîmes dans les différents territoires (Néh. 12 : 44-47). Ces dispositions tiendront avec des aléas divers. Malachie devra reprendre son peuple, à nouveau négligent par rapport à Dieu, offrant bêtes chétives, et « frustrant le Seigneur » sur les dîmes et les offrandes (Mal. 1 : 8 ; 3 : 8-9). « Apportez à la maison du trésor toute la dîme, afin qu’il y ait des provisions dans ma Maison ! », demandera le Seigneur, tout en promettant sa bénédiction à ceux qui accepteront le défi de cette priorité (Mal. 3 : 10).

C. La générosité envers le prochain

Si la générosité envers Dieu est demandée, en réponse à celle dont nous sommes l’objet, la générosité envers le prochain est tout aussi fortement enseignée par l’Ancien Testament. Le Décalogue unit les devoirs envers Dieu et ceux envers le prochain. Il en est de même pour ce qui concerne la générosité. Les exhortations à la générosité envers le prochain prennent plusieurs formes. En tant que personne créée en image de Dieu, tout prochain, quel qu’il soit, a de la valeur aux yeux de Dieu. « Opprimer le pauvre, c’est outrager celui qui l’a fait, mais avoir de la compassion pour les indigents, c’est l’honorer. » (Prov. 14 : 31, NEG). L’amour et la compassion de Dieu s’étendent à tous (Ps. 145 : 9). Le reconnaître oblige à avoir des égards et un souci généreux envers tous ceux que Dieu aime, sans considération des différences sociales ou nationales (Prov. 22 : 2 ; Deut. 10 : 18). D’où l’injonction éthique à aimer son prochain comme soi-même (Lév. 19 :18), qui ne peut qu’engendrer une attitude de générosité. Les instructions sur les dîmes et les prémices manifestent cette ouverture : « Tu te réjouiras, avec le Lévite et avec l’immigrant… » (Deut. 26 : 11). La joie pour les bienfaits de Dieu doit être une joie ouverte et partagée. Qu’il s’agisse de prémices, de dîmes ou d’offrandes volontaires, les différentes catégories sociales sont associées (Deut. 14 : 28, 29 ; 16 : 10-15 ; 26 : 11). Dieu luimême oriente ainsi la reconnaissance pour ses dons, non seulement vers le culte et son organisation, mais aussi vers la joie éprouvée et partagée avec d’autres,

particulièrement avec les plus vulnérables, dont il se préoccupe et dont il est le défenseur (Ps. 146 : 9). L’histoire particulière d’Israël, qui a connu l’oppression et la délivrance de l’esclavage, renforce ce souci. « Vous aimerez l’étranger comme vous-mêmes, car vous avez été étrangers dans le pays d’Égypte. Je suis l’Éternel, votre Dieu. » (Lév. 19 : 34 ; Deut. 10 : 17-19). Israël ne doit jamais oublier d’où il vient, et la grâce immense dont il a été bénéficiaire. L’histoire du salut fonde l’injonction à toute une série de dispositions en faveur des plus vulnérables : « Tu te souviendras que tu as été esclave dans le pays d’Égypte, et que l’Éternel, ton Dieu, t’en a libéré ; c’est pourquoi je te donne ces commandements à mettre en pratique » (Deut. 24 :18-22). Il s’agit de générosité, mais aussi de justice et de droit. On garantissait aux personnes dans le besoin la possibilité de glaner les champs au moment de la récolte (Exode 23 : 10-11 ; Lév. 19 : 9-10). Le « pauvre » pouvait se prévaloir de ce droit, et travailler (Ruth). Tous les sept ans, on annulait les dettes (Deut. 15). Lorsque les terres étaient laissées en jachère tous les sept ans, ce qui y poussait était à disposition des pauvres (Exode 23 : 10-11). La générosité s’exprime ici par des lois, qui fondent un droit et assurent une dignité à la personne qui en bénéficie. Les prophètes se sont élevés contre les manquements à respecter ces droits (Amos 4 :1 ; 5 : 12 ; Ésaïe 1 : 17 ; Éz. 22 : 7).

On relèvera que le langage de l’AT sur la justice peut avoir différentes significations. Au sens le plus large, « pratiquer la justice », c’est vivre selon les commandements de Dieu, mener une existence conforme à ce que Dieu attend (Ps. 106 : 3 ; 119 : 40 ; Prov. 21 : 3 ; Ésaïe 64 : 5). Selon cette perspective, user de générosité envers le prochain

est une façon de « pratiquer la justice », en ce qu’elle correspond à ce que Dieu aime et demande. Mais la justice consiste aussi à traiter une personne selon ses droits (Ps. 82 : 3 ; Jér. 22 : 3 ; Amos 5 : 15 ; Zach. 7 : 9) : une telle action est un devoir à l’égard de toute personne, sans distinction. Elle peut être revendiquée et n’est pas une faveur. La société civile en impose le respect, si besoin par la contrainte. Parce qu’elle est garantie par le droit, cette justice a des effets plus consistants qu’un bienfait reçu par générosité : elle assure une protection durable et reconnue, elle restaure la dignité de la personne. Le vocabulaire biblique permet donc à la fois de décrire la générosité comme l’une des manifestations de la justice, au sens large d’une vie conforme à ce que Dieu attend, et d’affirmer que la justice ne relève pas de la générosité mais du droit, lorsqu’elle est l’affirmation et le respect des prérogatives légitimes d’une personne.

La générosité envers le prochain est, dans tout l’Ancien Testament, la marque d’une piété authentique. Le croyant est invité à ne pas « endurcir son cœur », ni à « fermer sa main » devant les situations de besoin (Deut. 15 : 7). Le témoignage de Job illustre magnifiquement cette attitude qui mêle générosité et souci de la justice (Job 29 : 13-22 ; 31 : 13-28). Le vrai jeûne, selon Dieu, se traduit par une générosité de cœur et d’action envers le prochain : « Voici le jeûne auquel je prends plaisir : Détache les chaînes de la méchanceté, dénoue les liens de la servitude, renvoie libres les opprimés, et que l’on rompe toute espèce de joug. Partage ton pain avec celui qui a faim, et fais entrer dans ta maison les malheureux sans asile. Si tu vois un homme nu, couvre-le, et ne te détourne pas de ton semblable. Alors ta lumière poindra comme l’aurore, et ta guérison germera promptement. Ta justice marchera devant toi, et la gloire de l’Éternel t’accompagnera » (Ésaïe 58 : 6-8, NEG).

D. Une vie généreuse

La générosité se manifeste par certains actes particuliers, mais elle est aussi une attitude qui se concrétise dans la façon dont on vit ses relations, ses engagements. Les exemples ne manquent pas parmi les croyants de l’Ancien Testament. Générosité d’un Abraham qui laisse à son neveu le choix du territoire qu’il préfère (Gen. 13 : 8-9). Générosité d’un Boaz plein de prévenance pour Ruth l’étrangère, et qui « étend son aile » sur elle (Ruth 2 : 14-16 ; 3.18). Générosité d’un Job, disponible pour toutes les personnes en difficulté (Job 31 : 13-22). Générosité d’un Jonathan qui accepte avec grâce le rôle de second, au profit de David, choisi par Dieu (1 Sam. 23 : 17). Générosité d’un David qui, poursuivi par Saül, l’épargne par deux fois. Générosité qui s’engage sans compter dans le projet de construction du temple (1 Chr. 22 : 14). Générosité de la « femme vaillante » dans son implication pour les siens (Prov. 31 : 12-27). Générosité à la tâche, chez ceux qui travaillent « avec ardeur » à la réparation des murailles de Jérusalem (Néh. 3 : 20). Générosité d’un Néhémie qui ne veut pas être à charge à son peuple et assume lui-même les dépenses de sa fonction (Néh. 5 : 18-19). Tous ces exemples invitent à une vie généreuse, qui sait ne pas calculer ses efforts et ses engagements, accepte de s’effacer au profit du bien de l’autre, ne se cantonne pas au service minimum.

E. Dispositions particulières et principes permanents

Comment passer de l’ancienne à la nouvelle alliance ? De manière générale, les croyants qui acceptent l’inspiration et l’autorité de l’Écriture considèrent que les commandements et les prescriptions données à Israël doivent être interprétés comme l’expression de principes exprimant la volonté de Dieu, appliqués à un contexte particulier. L’application à un nouveau contexte sera possible en discernant quel est le principe affirmé et de quelle façon il est appliqué dans son contexte initial, pour explorer, par analogie, les significations possibles de ce principe pour une situation nouvelle. En contextes similaires, les applications pourront être proches ; en contextes plus différenciés, elles laisseront place à une réflexion plus créative, en veillant toutefois à ce que les applications restent balisées par l’ensemble des principes bibliques. La façon dont Jésus et les apôtres transposent et appliquent certaines dispositions de l’Ancien Testament donne de précieuses lignes directrices, pour autant que l’on respecte l’intention avec laquelle ils font référence à l’Ancien Testament.

Il faut reconnaître la singularité de la situation d’Israël, qui est à la fois le peuple de Dieu et une nation dotée de lois civiles et religieuses données par Dieu. Les lois civiles d’Israël ne se transposent pas à l’identique vers nos sociétés civiles à cause du gouffre culturel, sociologique et économique qui les séparent, et du fait que nos sociétés ne sont pas théocratiques. Elles ne se transposent pas telles quelles à l’Église, qui n’est pas une société civile. Par contre, les principes qui

gouvernent les lois civiles données par Dieu à Israël peuvent orienter la réflexion chrétienne sur l’Église et la société, moyennant les adaptations nécessaires aux situations particulières de l’une et de l’autre. Les lois cérémonielles données à Israël sont à considérer à la lumière de leur accomplissement en Christ. Celles qui préfiguraient l’œuvre du Christ n’ont plus à être appliquées, l’ombre ayant fait place à la réalité. (Héb. 7 : 18-19 ; 22-25 ; 8 : 5, 6, 13 ; 9 : 9-11, 23 ; 10 : 4, 9-12). Elles gardent cependant une valeur pédagogique et didactique, et restent porteuses d’enseignements spirituels. L’enseignement de Jésus et des apôtres permet de considérer le système sacrificiel comme désormais aboli (Épître aux Hébreux), et les lois de pureté rituelle externe comme dépassées au profit d’une notion de pureté du cœur débouchant sur une vie sainte (Marc 7 : 14-23 ; Actes 10 : 9-16, 28). Par contre, les attitudes spirituelles requises dans le cadre des différentes lois cérémonielles gardent leur valeur même là où ces lois n’ont plus à être appliquées : la consécration exprimée par les holocaustes reste une attitude spirituelle demandée aux chrétiens, et s’étend à toute la vie, alors même qu’ils n’offrent plus d’holocaustes (Rom. 12 : 1-2) ; de même l’exigence de pureté véhiculée par les lois cérémonielles reste entière pour quiconque veut s’approcher de Dieu, même si celle-ci est désormais de nature morale et spirituelle (Héb. 10 : 22). L’intention et la visée des prescriptions morales données par Dieu à Israël demeurent, quant à elles, pour le peuple de Dieu de la nouvelle alliance. Jésus affirme leur pérennité, et en approfondit la portée (Matt. 5 : 17-48). Il relève que certaines dispositions données par Dieu à Israël prenaient en compte la

dureté du cœur de son peuple et invite ses disciples à revenir à l’intention initiale du Créateur, tout en reconnaissant la nécessité d’une gestion des effets dévastateurs du péché (Matt. 5 : 31-32). L’éthique chrétienne intègre les principes moraux donnés dans l’Ancien Testament comme des expressions de la volonté ou de la patience de Dieu dans ce contexte, tout en les lisant à la lumière de l’Évangile et de la grâce reçue en Jésus-Christ.

Prescriptions visant le prochain

Les prescriptions de l’Ancien Testament relatives à la générosité envers le prochain, et plus particulièrement envers le prochain le plus vulnérable, s’enracinent dans trois types de considérations : le souci de Dieu pour ces personnes, le commandement de l’amour du prochain, un ensemble de dispositions légales en faveur des personnes les plus vulnérables. Les deux premiers sont donnés comme des principes qui demeurent. Le souci de Dieu pour les personnes les plus vulnérables est affirmé, et rappelé à chaque fois qu’Israël l’oublie ou le bafoue (Deut. 10 : 17-18 ; Ps. 146 : 9 ; Ésaïe. 1 : 17 ; Jér. 7 : 5-7 ; Zach. 7 : 9-11 ; Mal. 3 : 5-6). L’injonction à aimer son prochain comme soi-même (Lév. 19 : 18), ainsi que l’étranger (Lév. 19 : 34 ; Deut. 10 : 19) est un principe de conduite donné par Dieu à son peuple, qui se traduit dans de multiples applications, dont la générosité à l’égard de ces personnes. En tant qu’expressions claires de la volonté de Dieu, ces principes doivent être respectés par tous ceux qui se réclament de Dieu, dans les différentes sphères de leur vie et de leur action. Jésus le confirme avec force en refusant toute limitation à la

question : « Qui est mon prochain ? » et en invitant chacun à veiller à être un vrai prochain pour les personnes en besoin qu’il peut rencontrer (Luc 10 : 25-37). Les dispositions légales en faveur des personnes les plus vulnérables sont portées par le souci de Dieu pour ces personnes. Mais ces lois appartiennent à un contexte particulier : pratique de la dîme sociale, droit de glaner, remise des dettes. Leur application à d’autres contextes nécessite un travail de transposition, de réflexion créative. On discernera les principes mis en œuvre : le glanage signifie que l’on accepte de restreindre son profit pour favoriser le droit des plus pauvres ; la remise de dette signifie que chaque personne ou famille doit pouvoir avoir l’occasion d’un nouveau départ. On notera la portée de certaines modalités concrètes : glaner permet au pauvre de subvenir à ses besoins sans recourir à la mendicité, mais en travaillant de ses mains. La restitution des terres agricoles lors du jubilé est une mesure préventive pour éviter l’installation dans la pauvreté, et garantir les moyens de subsistance. Tout cela oriente vers l’identification d’une forme de droit au travail. C’est fort de toutes ces observations que l’on peut tenter des applications à d’autres situations, par d’autres moyens, mais dans le même esprit7 . La prescription de la dîme sociale en Israël (Deut. 14 : 28-29), portée par le souci de Dieu pour les plus démunis et par le commandement de l’amour

7 Voir Timothy KELLER, Pour une vie juste et généreuse, pour une réflexion sur ces pistes concrètes, p. 42-51. KELLER souligne que les applications doivent être tentées avec prudence, et qu’elles seront sujettes à discussion, pouvant se concrétiser de manières différentes selon les options économiques ou politiques des personnes ou des groupes (p.50).

du prochain, signifie très clairement que la libéralité chrétienne n’est pas appelée à se restreindre au seul domaine des besoins du culte et de l’annonce de l’Évangile, mais que le souci du prochain en est une composante légitime, à part entière. L’extension du « prochain » à « l’étranger » pour les Israélites ouvre, par analogie, le champ de la libéralité chrétienne au-delà des frontières de la seule communauté chrétienne (Gal. 6 : 10).

Dîmes et offrandes

Comment transposer les prescriptions sur les dîmes et les offrandes d’Israël à la nouvelle alliance ?

La nouvelle alliance, avec sa loi « écrite dans les cœurs », donne priorité aux dispositions et aux motivations intérieures par rapport à toute loi imposée de l’extérieur. La théologie de la générosité dans ce cadre nouveau, devra toujours veiller à favoriser les dispositions personnelles de consécration, de reconnaissance, d’amour pour Dieu et pour le prochain (Matt. 23 : 23). Pas question donc pour un groupe, ou une communauté, ou une personnalité en position d’autorité d’imposer unilatéralement une règle obligatoire, ou de recourir à des moyens de pression pour obtenir des dons, même si des dispositions communautaires peuvent être choisies pour faire face à une situation ou pour assurer des solidarités. Pour être authentique, la générosité doit être et rester libre. Dans l’exercice de cette liberté, les motivations spirituelles qui portaient les prescriptions sur la générosité en Israël gardent toute leur pertinence : conscience que tout vient de Dieu, souci d’honorer le Seigneur par nos biens, vision de la générosité comme réponse

à la fidélité de Dieu dans mon histoire, désir que Dieu soit honoré par la première part de nos biens et non gratifié des miettes, amour du prochain, souci des personnes vulnérables. La loi d’Israël intégrait dîmes régulières et offrandes volontaires : la loi « inscrite dans le cœur » gagnera à allier des dispositions de générosité régulière et des gestes de générosité spontanée. On rappellera que la spontanéité d’une générosité ponctuelle n’est pas la seule forme de générosité choisie : décider en son cœur une générosité régulière est un vrai choix, qui peut se faire en toute liberté. On n’opposera donc pas la démarche qui portait les dîmes à celle qui portait les offrandes volontaires pour ne garder que la seconde : l’une et l’autre exprimaient la reconnaissance et la consécration à Dieu.

Sur la base d’une générosité volontaire et non imposée, est-il légitime de parler de pourcentages et de montants ? Un premier aspect de la réponse à cette question dépend de la façon dont on interprète les prescriptions sur la dîme : était-ce simplement une proportion choisie pour faire face de manière suffisante aux besoins du culte et des personnes vulnérables en Israël ? Ou était-ce une pédagogie spirituelle destinée à ouvrir à Dieu et au prochain les biens acquis ou reçus, en reconnaissance et en solidarité ? Dans le premier cas, les besoins commandent la générosité. Dans le second, la générosité s’inscrit au cœur même de la notion de propriété, appelée à toujours rester ouverte à Dieu et au prochain. En faveur de cette deuxième compréhension de la dîme, on relèvera qu’elle reste une proportion symbolique – tout en représentant une part significative ! -, et qu’elle a été donnée, parfois, indépendamment de tout cadre légal ou de tout besoin particulier. La part donnée exprime la

consécration de toute la personne (pars pro toto). Des motivations spirituelles la portent. Tout cela favorise l’interprétation de la dîme comme une pédagogie de l’ouverture de nos biens à Dieu et au prochain, plutôt que comme la simple réponse pratique à des besoins. Consacrer, concrètement, une part de mes revenus à Dieu et à mon prochain, pour exprimer mon appartenance entière au Seigneur et ma solidarité envers les plus fragiles, telle devient alors la signification permanente de la dîme. C’est l’affirmation d’une conception de la propriété qui veut toujours rester ouverte à Dieu et au prochain, et qui le concrétise dans la régularité de la vie.

Cette signification discernée et pratiquée engendre une dynamique de générosité régulière, volontaire et assumée. Cette dynamique ne s’enferme pas dans une loi où tout est écrit d’avance : les offrandes volontaires pratiquées en Israël le disent bien. Certains chrétiens auront à cœur de traduire leur reconnaissance et leur consécration à Dieu en se situant au moins au niveau de ce qui se pratiquait dans l’ancienne alliance, considérant que « les croyants chrétiens du Nouveau Testament ne sont pas moins redevables à Dieu et bénis par Dieu que les croyants de l’Ancien Testament »8 . D’autres, pour préserver le côté volontaire de cette dynamique mise en œuvre, en valoriseront la souplesse, pour n’imposer à personne de s’exposer à la détresse pour soulager les autres (2 Cor. 8 : 13), mais aussi pour choisir de donner largement si l’on a beaucoup reçu (2 Cor. 9 : 8). D’autres encore veilleront à assurer le socle d’une générosité régulière, en y ajoutant d’autres

8 Timothy KELLER, Pour une vie juste et généreuse, Éditions Farel, 2018, p.45, n.3.

générosités selon les besoins qu’ils peuvent prendre à cœur, en cultivant la joie et la reconnaissance de pouvoir donner. D’autres encore choisiront, pour allier générosité et souci de la justice, une « dîme progressive », avec des pourcentages de générosité s’accentuant par tranche de revenus supplémentaires. Tout cela peut se vivre dans la liberté, le choix assumé, la simplicité, en tenant compte des possibilités et des situations. La loi de Dieu, « écrite dans le cœur », est appelée à susciter une dynamique concrète et conséquente de générosité, liée à une conception de nos biens et de nos possessions toujours ouvertes à Dieu et au prochain.

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