Le Brutalisme en question

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Le Brutalisme en question


SOMMAIRE

INTRODUCTION.............................................................................................page 4

1 LE MOUVEMENT BRUTALISTE.................................................................page 7 Origines et fondements....................................................................................page 8 La question de l'image...................................................................................page 14 Ethique et sincérité dans l'acte de bâtir.........................................................page 16 L'apport de Le Corbusier................................................................................page 21 Le Brutalisme International des années 1960/1970.......................................page 25 2 UN FUTUR POUR LE BRUTALISME ?.....................................................page 33 Un mouvement rattaché à une époque..........................................................page 34 Le Brutalisme est mort, vive le Brutalisme.....................................................page 42 3 ETUDES DE CAS......................................................................................page 52 La question de l’héritage : - La démolition du Prentice women hospital de Chicago...............................page 53 - La réhabilitation du Centre National de la Danse à Pantin..........................page 57 L'architecture contemporaine en question : - L'école d'Architecture de Nantes, Anne Lacaton & Jean-Philippe Vassal...page 64

CONCLUSION..............................................................................................page 75

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INTRODUCTION Dans les années 1950, au lendemain de la seconde guerre mondiale, l'Europe est un immense chantier de reconstruction. Les grandes villes ont sévèrement été touchées par les bombardements et les populations sinistrées se comptent par millions. Le problème de la reconstruction des villes et du relogement est donc au cœur de la préoccupation des architectes et cette situation inédite offre à ces derniers un terrain d’expérimentation unique. Les stigmates qu'ont laissé la violence de cette période, tant dans le paysage urbain que dans les esprits, conditionnent évidemment la pensée de l'architecte d'après-guerre. Loin d’une origine cohérente, mais dégageant souvent une connotation négative, l’adoption du terme « Brutalisme » est marquée par un ensemble d’éventualités, de migrations et de changements dans sa signification de son origine à son usage tardif. Le Brutalisme naît sur les ruines à reconstruire. Dans sa recherche sur l’étymologie de ces termes, le critique d'architecture Reyner Banham répertorie un ensemble de possibles sources. Le label « New-Brutalism », introduit initialement par l’architecte Suédois Hans Asplund, aurait été adopté pour décrire l’œuvre des architectes Alison & Peter Smithson [Fig1]. Le « béton brut » de Le Corbusier, « L’art Brut » de Jean Dubuffet, ou encore plus fantaisiste et improbable, le surnom de Peter Smithson « Brutus » lorsqu’il étudiait l’architecture à Londres, sont autant de sources qui consolidèrent le sens du mot. Quelles qu’en soient ses origines, le mot

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« Brutalisme » 1 est employé dans les années 1950 par Alison & Peter Smithson et leurs confrères comme un maître-mot à répandre à travers le monde durant les deux décennies qui suivent. En effet, dès le début, ce terme est ambigu. Reyner Banham se posait déjà la question en 1955 si le New Brutalism était une étiquette servant à décrire des édifices, ou « un programme, une bannière »

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pour une attitude, une éthique ou une

esthétique. Afin de mieux comprendre les raisons et les conséquences de la naissance de ce mouvement architectural, nous tenterons dans une première partie, d'introduire et de définir, ce qu'est le Brutalisme, en nous appuyant bien évidemment sur les écrits de celui qui fut l'unique théoricien de ce mouvement : Reyner Banham et notamment en analysant son ouvrage manifeste The New Brutalism, ethic or aesthetic, publié en 19663. Il sera également intéressant de rechercher, au-delà de cette théorisation, les origines du mouvement en dehors des frontières anglo-saxonnes, notamment en analysant l'œuvre architecturale d'après-guerre de Le Corbusier ainsi que les références artistiques et philosophiques qui ont inspiré le mouvement. Nous verrons également en quoi « L'art brut » de Jean Dubuffet et les expositions Parralel of life and art et This is tomorrow de l'Independant Group Londonien ont contribué à enrichir la pensée brutaliste de l'époque. Dans une seconde partie, il s'agira d'établir une réflexion sur le devenir de ce mouvement. Nous expliquerons que si ce dernier ne peut subsister dans la forme sous laquelle il apparaît dans les années qui

En Anglais, Brutalism. Reyner Banham, « The new brutalism », The architectural review, décembre 1955. 3 Reyner Banham, The New Brutalism, ethic or aesthetic. Architectural Press, 1966. 1 2

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précèdent le premier choc pétrolier de 1973, il laisse néanmoins des traces de survie que nous tenterons de définir. Quel héritage laisse-t-il à l'architecte du XXIe siècle dans sa manière de concevoir et de construire le projet architectural ? Quels sont les protagonistes ? Se revendiquent-ils héritiers du mouvement ? Nous appuierons enfin ce questionnement, dans une troisième partie, par l'étude de trois cas concrets : le cas d'une œuvre Brutaliste conduite à la démolition, celui d'une réhabilitation, puis pour finir, une œuvre contemporaine présentant les aspects manifeste d'une démarche de projet brutaliste.

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1 - LE MOUVEMENT BRUTALISTE

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Origines et fondements La seconde guerre mondiale a donc bouleversé la pensée architecturale, elle change les mentalités et le renouveau de la période de reconstruction voit les principes établis de la modernité évoluer et embrasser une autre philosophie. Le Brutalisme dans son aspect tel que le définit Banham émerge d'un courant contestataire et du mouvement moderne dont les limites commencent à apparaitre. L’élément déclencheur de cette nouvelle pensée vient d'un groupe, d'abord restreint, de jeunes architectes qui, dans un premier temps, remettent en questions les principes de la Charte d'Athènes et soulèvent les déviances qu'elle peut entrainer. Ils pensent également l'architecture dans sa dimension sociale : envisager l'évolution d’une société marquée par l'industrie et le travail en une société dictée par la consommation et la fragmentation sociale. Les modernes d'après-guerre qui se réunissent, et ce depuis 1928 dans les CIAM1 [Fig2] commencent alors à se diviser. Dès 1943, La pensée dictée par la charte d'Athènes et Le Corbusier est remise en cause et c'est en 1956, à Dubrovnik, que le Team X2 (pour le 10ème congrès des CIAM) est fondé [Fig3]. Il n'y a pas de théorie précise et dogmatique des aspirations de Team X en Architecture. Il n'y a d'ailleurs aucune réalisation portant le nom du collectif, celui-ci se qualifiant plus comme un « lieu de

Congres international d'architecture moderne Le Team X est un groupe de jeunes architectes, issus du mouvement moderne, mais qui veulent rompre avec la conception trop rationaliste de leurs ainés. Peu avant le dixième congrès des CIAM, ils élaborent leur théorie à Doorn aux Pays-Bas : le manifeste de Doorn, puis entérinent leur divorce avec les partisans de Le Corbusier lors d'une réunion à Otterlo en 1959 qui dissout définitivement les CIAM. 1 2

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réflexion » sur l'architecture moderne que comme une machine à produire. Néanmoins, les idées de Team X sont claires. Les architectes du groupe affichent une volonté évidente de remettre en question les idées rationalistes et technicistes du mouvement moderne, ils recherchant « dans l’architecture primitive quelques principes fondamentaux de la vie communautaire, pour renouveler leurs conceptions spatiales, afin de mieux répondre aux aspirations humaines et à la vie sociale des habitants. »1 “La lutte héroïque de la première ère du Mouvement Moderne nous a étroitement précédé, ce qui nous donne un sens de responsabilité morale pour nous inventer à notre tour des formes appropriées à l’ère nouvelle d’après guerre. Des formes d’une force équivalente, mais dans une manière différente, répondant aux plus complexes nécessités de notre temps.” Alison & Peter Smithson 2 Les époux Smithson disent ici en substance que Team X ne véhicule pas des idées révolutionnaires mais bel et bien évolutionnaires, pour que le mouvement Moderne puisse enfin s’adapter aux besoins d’une société en mutation. Parmi les membres du Team X qui ont contribué le plus au développement du collectif et à sa réflexion, on compte Jaap Bakema, Georges Candilis, Giancarlo de Carlo, Aldo Van Eyck, Shadrach Woods, et Alison & Peter Smithson. Ce sont ces deux derniers, les époux

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Reyner Banham, The New Brutalism, ethic or aesthetic. Architectural Press, 1966. Michael Abrahamson, Brutalism, Clog, 2013

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Smithson1 qui constituent, dans leur association avec Banham, les piliers de la théorisation du mouvement Brutaliste [Fig4]. Le contexte dans lequel évolue Team X, qui est clairement contestataire, n'est pas à écarter de ce qui a déclenché la création du mouvement Brutaliste. Et même si c’est l’architecte Suédois Hans Asplund qui introduit le premier en 1950, le terme « Brutalist » en qualifiant les plans d’un projet de maison de ses confrères, les architectes Bengt Edman et Lennart Holm, de « néo-brutalistes » [Fig5], ce fait se révèle finalement anecdotique dans l’histoire du Brutalisme. C’est effectivement par la suite, avec le contexte politique et social Londonien des années 1950, que tout débute. A cette époque, le London County Council est un des seuls services de construction qui permet aux jeunes architectes Londoniens de trouver commande. Au sein de ce dernier, les considérations

d’esthétique

Marxiste

d’un

groupe

d’étudiants

et

d’architectes, et ce qu’elles induisent en terme d’architecture, divisent considérablement la pensée. Alison & Peter Smithson ainsi que leurs camarades néo-brutalistes se refusent à tout endoctrinement « socialréaliste » des courants « New-Humanist »2 ou encore « New-Empiricist »3 de l'époque dont le crédo ne se traduit que par une imprégnation du sentimentalisme du siècle passé, s’illustrant par une architecture antimoderne : « des maisons de campagne individuelles disposées de façon pittoresque sur le terrain, avec des toits inclinés, des murs en brique ou

Peter Smithson, né à Stockton-on-Tees en Angleterre en 1923 et Alison Margaret Smithson, née à Sheffield en Angleterre également, en 1928, se rencontrent entre 1939 et 1942 lors de leurs études en Ecole d'architecture à l'université de Durham. Ils se marièrent en 1949 peu avant de se mettre à leur compte en 1950, se démarquant très tôt de la voie empruntée par les architectes sortant de l'Architectural association de Londres. 2 Termes créés par Architectural Review et qui illustrent le recul constaté en Suède, puis en Angleterre, vis à vis de l'architecture moderne. 3 Ibid 1

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enduit, des bacs devant les fenêtres, des balcons, des jolies décorations peintes»1 à l’image des ensembles de logements construits par le LCC à Alton East, Roehampton, Londres en 1953 [Fig6]. Ils s’insurgent contre ce qu’ils considèrent comme un retour en arrière et font du terme « New Brutalism » une parodie de ces tendances. Ce que dit Banham concernant la prise de position des néo-brutalistes permet de comprendre leur posture et le pourquoi d’une architecture anti-système qui se révélera si radicale. Reyner Banham l’explique ainsi : « La règle fondamentale de la théorie pittoresque « de respecter partout le génie du lieu » semblait être employée pour excuser et même justifier une remise en question de toutes les valeurs architectoniques réelles par des compromis et une soumission à tout ce que la vie sociale et intellectuelle britannique représente de médiocre et de provincial. »2 Les Brutalistes émergent donc de cette déchéance des valeurs du mouvement moderne dénoncée par l'école Londonienne de l'époque. Il est donc très logique que ce mouvement contestataire ait pour débouchés des mesures radicales dans la production architecturale des leaders du mouvement. La publication de l'article de Reyner Banham dans Architectural review « The New Brutalism », un article précurseur à la théorisation complète du mouvement en 1966 [Fig7], arrive au terme d'un débat de trois années avec les époux Smithson pour parvenir à définir ce qu'est le Brutalisme. Comme l’explique Reyner Banham, le mouvement Brutaliste est difficile à appréhender car c'est un mouvement qui a fait

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Reyner Banham, The New Brutalism, ethic or aesthetic. Architectural Press, 1966. Reyner Banham, The New Brutalism, ethic or aesthetic. Architectural Press, 1966.

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parler de lui avant même d’exister. Banham écrira même : « En décembre 1953, le Brutalisme n'existait donc pas en tant qu'architecture mais la place lui était acquise d'avance ». Ce qui est dès lors étonnant, c'est le manque d'oeuvres bâties pour illustrer un mouvement qui a déjà des fondements idéologiques et théoriques forts. L'opinion vient même à se demander si le Brutalisme ne se résume pas seulement à l'architecture des Smithson1. Mais Banham sait qu'il joue un jeu compliqué. Pour lui, le Brutalisme est un mouvement porté par des architectes qui pour la plupart, n'ont jamais entendu parler de ce dont il s'agit et qui en aucun cas s'en sont autoproclamés protagonistes. Voilà pourquoi cette démarche lui permet aisément d'inclure selon sa volonté n'importe quel architecte dans le pli de sa théorie. Voilà comment il recrute Le Corbusier, puis Louis Kahn, et un bon nombre de sculpteurs, photographes, peintres qui embrassent le qualificatif de Brutalistes sans le vouloir ni le savoir. Ce qui est néanmoins certain, c'est qu'à l'époque, ces derniers ont tous en commun l'idée de faire évoluer les choses. Voilà donc dans quel contexte le mouvement émerge, et non sans essuyer de vives critiques de la part de la presse spécialisée. Mais les brutalistes n’acceptent pas de dire ce que tout le monde a envie d’entendre, ni de construire ce que tout le monde a envie d’habiter. Et c’est au prix d’expérimentations, d’échecs, de critiques impitoyables et surtout d’une volonté « jusqu’au boutiste » que ces audacieux architectes réussissent à faire avancer la réflexion sur l’architecture moderne d’après guerre. Reyner Banham écrit en 1955 : « Ce qui caractérise le néo-

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Edwar J. Armitage, lettre, Architectural Design, Juin 1957

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brutalisme, au bout du compte, en architecture comme en peinture, c’est précisément sa brutalité, son je m’en foutisme, son côté buté. »1 Mais les inspirations des Brutalistes ne sont pas seulement nourries par l’ambition de créer une nouvelle modernité plus éthique et plus radicale. En effet, si ce mouvement se révèle principalement dans le domaine de l'architecture, il est néanmoins indispensable de parler de la référence artistique dont il s'inspire. En 1953, Les époux Smithson rejoignent le collectif Independent Group (IG) créé en 1952 par Reyner Banham2. A l'époque, Peter Smithson enseigne à la Central School of art and crafts de Londres où il y fait la rencontre d'Eduardo Paolozzi. L'Independent group [Fig8] est alors composé de jeunes architectes, artistes et critiques qui ont un but commun : apporter des changements dans la conception trop moderniste de l'art contemporain. Leur idée est d'introduire les notions de la présence de la culture de masse dans l'art ainsi que l'esthétisme de l'objet trouvé « tel quel » (en anglais, as found). Le 11 septembre 1953, cinq3 des membres de l'IG organisent l'exposition Parralel of life and art [Fig9, Fig10] à Londres pour le compte de l'Institute of contemporary art (ICA). L'exposition rassemble dans un environnement particulier qui est celui du petit local de l’IG à Dover street, aménagé pour l’occasion en salle d’exposition, 122 photographies réparties aléatoirement et d'une manière

Reyner Banham, « The new brutalism », The architectural review, décembre 1955. Banham cède sa place en 1955 au critique littéraire Lawrence Alloway pour se consacrer pleinement à son activité de critique d'architecture. 3 Alison & Peter Smithson, l'artiste Nigel Henderson, le sculpteur Eduardo Paolozzi et l'ingénieur Ronald Jenkins, avec le support entre autres de Denys Lasdun, un autre des architectes Brutalistes Londoniens. 1 2

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très dense. Ces photographies, qui étaient classées dans 18 catégories1, étaient un recueil d'images récupérées ou capturées par les membres de l'IG eux même, et qui mettaient en scène des objets et des situations banales de la vie de tous les jours. Le spectateur était alors immergé dans un réseau d'images qui mettaient en confrontation le monde de l'art et celui de la société de consommation, la production de masse et la publicité2. Comme l'indique l'intitulé, le but était de mettre l'homme au centre d'un procédé mêlant l'art et la vie de tous les jours. Cette exposition va emmener l'IG sur deux terrains différents, celui de l'art et de l'architecture. L'art, en introduisant ce que sera bientôt le pop art (popular art), et l'architecture avec l'émergence du mouvement Brutaliste. Mais les travaux d’Independent Group ne sont pas les seuls qui guident les architectes brutalistes. Ces derniers voient entre autres dans les travaux de l’artiste Jean Dubuffet, une référence très intéressante. Ce dernier est le premier théoricien d’un art auquel il donne le nom d’« Art Brut ». Dubuffet recueille les œuvres plastiques de malades mentaux, de prisonniers et autres marginaux de la société3. Il se fait ainsi collectionneur de nombreux objets qu’il considère comme des œuvres d’art et qui sont la production d’artistes méconnus et souvent inspirés d’une profonde souffrance [Fig11]. Ces expressions plastiques servent le propos des

Anatomie, architecture, art, calligraphie, année 1901, paysage, mouvement, nature, primitivisme, échelle humaine, distorsion, tenségrité, football, science-fiction, médecine, géologie, métal, céramique. 2 Reyner Banham, The New Brutalism, ethic or aesthetic. Architectural Press, 1966. 3 Dès 1922, Jean Dubuffet s’intéresse aux travaux du médecin psychiatre Allemand Dr Hans Prinzhorn et de son confrère Suisse le Dr Walter Walter Morgenthaler qui rassemblent les expressions plastiques des malades mentaux internés dans leurs services. En 1949, Dubuffet rédige un traité sur cet art qu’il nomme « L’art Brut préféré aux arts culturels ». 1

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brutalistes dans leur idée de renverser les considérations esthétiques, en affirmant que l’architecture au même titre que l’art ne devait plus être qualifiée de belle au sens classique et conventionnel du terme. La beauté pouvait aussi être celle de la violence ou des émotions véhiculées par une œuvre; qu’elle soit artistique, ou architecturale. L’apport de l’art nourrit ainsi la pensée et la réflexion des architectes du mouvement. Et c’est précisément cette transversalité avec les arts plastiques qui permet aux brutalistes de développer le sens le plus profond de leur conception de l’architecture : celui de la signification de l’image.

La question de l’image Une image est par définition une représentation visuelle et mentale de quelque chose. Elle peut être naturelle ou artificielle, visuelle ou non, tangible ou conceptuelle. Elle peut également entretenir un rapport de ressemblance directe avec son modèle ou au contraire y être liée par un rapport plus symbolique. Pour la sémiologie, l'image est conçue comme produite par un langage spécifique. Selon la grille de lecture du sémiologue américain Charles Sanders Peirce, le sens d'une image se décompose en son référent (l'objet, ce que représente l'image : le réel) son signifiant (le representamen, ce que l'on perçoit de l'image selon les codes cultures qui nous sont propres et les signes que l'on y perçoit), et le signifié

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(l'interprétant, le sens réel de l'image). Une des plus anciennes définitions de l'image est celle de Platon1. Le terme « image » semble donc s'appliquer à tout ce qui est présent dans notre imaginaire et notre environnement visuel [Fig12]. Les 122 photographies de l'exposition Parrallel of life and art sont des images, investies d'une valeur visuelle et d'un ensemble de signes. Ce qui intéresse les Brutalistes, comme peut le définir le philosophe Thomas d'Aquin, ce n'est donc pas la beauté dans l'art au sens classique du terme : le quod visum placet (ce qui plait lorsque l'on voit) mais ce serait plutôt un quod visum perturbat2 (ce qui perturbe lorsque l'on voit), ce que l'image dégage et ce qu'elle implique pour l'Homme. Les Brutalistes se servent de ce concept d'image pour appuyer leur démarche. Selon eux, une œuvre architecturale doit avoir une identité visuelle appréhendable. La forme doit être éloquente du contenu et de la fonction du bâtiment. Ce principe se rapproche étroitement des théories de l'architecture fonctionnaliste de Louis Sullivan et de sa devise Form follows function3 (la forme découle de la fonction). La seule chose est que chez l’architecte Américain, la notion d'image et surtout de « mémorabilité de l'image » n'est pas introduite. Ici, ce n'est pas la fonction qui est au centre du débat, mais plutôt la perceptibilité et la cohérence du bâtiment en tant qu'entité visuelle. Cette autre manière d’aborder le fonctionnalisme s'illustre plus comme une capacité à créer à travers des formes construites des espaces propices au

« J'appelle image d'abord les ombres ensuite les reflets qu'on voit dans les eaux, ou à la surface des corps opaques, polis et brillants et toutes les représentations de ce genre. » 2 Jacques Sbriglio, Le Corbusier et la question du Brutalisme, Parenthèses 2013 3 Sullivan Louis H. - The tall office building artistically considerered - The getty research Institute – 1986 1

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développement et à la vitalité de la société, comme l'illustre la déclaration de TeamX dans Architectural Review 1 : « La

situation

de

l'architecte

moderne

est

aujourd'hui

fondamentalement la même, nous sommes toujours des fonctionnalistes et nous acceptons toujours des responsabilités pour la communauté dans son ensemble, mais aujourd'hui, le mot fonctionnel n'a plus sa signification restreinte de mécanique d'il y a trente ans. Notre fonctionnalisme signifie une acceptation des réalités de la situation, avec toutes leurs contradictions et leurs confusions, et un effort pour en sortir quelque chose. Par conséquent nous devons créer une architecture et un urbanisme qui, à travers des formes construites, puissent donner un sens au changement, à la croissance, au flux, à la vitalité d'une communauté. » On peut ici en déduire que la manipulation de la forme, et donc de l’image qu’elle incarne est donc un outil privilégié de TeamX donc Le changement attendu par TeamX dans sa démarche alternative au modernisme. Reyner Banham trouve ainsi un premier élément de réponse à sa problématique « Ethic or aesthetic ? », cela nous permet de supposer que l’un ne va pas forcément sans l’autre : en effet le sens social de l'architecture du TeamX et par conséquent, des brutalistes est, en substance, clairement démontré, mais l’esthétique joue également un rôle majeur. Ici, il n'est évidemment pas question d'esthétique et de beauté au sens Thomien du terme mais plutôt d'une esthétique de l'image et des signes qu'elle peut évoquer, une sorte d'anti-esthétique qui voudrait dire que ce qui a de l’intérêt n'est pas forcément la chose belle mais la chose qui est capable, comme le dit Le

1

Architectural Review, novembre 1957

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Corbusier, « d'établir des rapports émouvants »1. On peut ainsi envisager l'architecture brutaliste comme nécessairement préoccupée par la question sociale et dont la forme est un outil privilégié pour marquer l'esprit.

Ethique et sincérité dans l'acte de bâtir Avant

d'explorer

les

démarches

de

projet

des

architectes

Brutalistes, il est important de garder à l'esprit la présence de deux aspects du mouvement. Pour les définir, nous ferons donc la distinction entre l'école des Smithson et leur théorisation au sens rigoureux et éthique du brutalisme, que nous qualifierons de Néo-brutalistes, et celle que nous nommerons Brutalisme International, et qui représente la scène de l'architecture Brutaliste à partir de l'année 1958 et de sa diffusion à travers le monde. Pour analyser cette question, partons des quatre termes2 à l’aide desquels Jürgen Joedicke définit le New-Brutalism : - Responsabilité - Vérité - Objectivité - Rigueur Le terme Responsabilité exprime l'engagement de l'architecte vis à vis de la société. En effet, chez les Smithson, l'aspect social est récurrent dans le

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Le Corbusier, Saugnier (Charles-Edouard Jeanneret et Amédée Ozenfant), Vers une Architecture, Paris G.Crès et Cie, sd. 1923 2 Jürgen Joedicke, Tendances de l'architecture moderne, Eyrolles Paris, 1969

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processus de projet. Le projet du concours de Golden Lane en 1952 [Fig13], ainsi que celui de l'université de Sheffield en 1953 [Fig14-15], présentent tous deux la même préoccupation exacerbée par le système de communication et de circulation dans le bâtiment. Dans celui de Golden Lane, un immeuble de logement collectif, Alison & Peter Smithson prévoient, en analogie avec la rue intérieure de la cité radieuse de Le Corbusier, et dont ils réfutent le manque de lumière, une véritable rue extérieure qui avec des proportions permettant de nourrir la fonction d'une vraie Agora facilitant les rencontres entre voisins, et distribuant les appartements tout en créant le passage à travers l'immeuble. Le principe est poussé à l'extrême dans le projet pour l'université de Sheffield où le système de circulations prend tellement le dessus dans le projet que toute esthétique visuellement compréhensible demeure absente, dans un total anti-formalisme académique. Vérité peut être expliqué par le fait que selon les Brutalistes, un immeuble doit clairement afficher son mode de construction, sa structure, et que celle ci est un élément fondateur de sa spatialité et de sa matérialité. L'objectivité se rapporte au fait que dans une construction, l'architecte brutaliste n'impose pas son mode d'expression formel. C'est la fonction des espaces qui dicte le dessin (cet aspect du Brutalisme étant souvent abandonné dans son expansion internationale, favorisant souvent le formalisme et l'image par rapport au plan même). Mais ce mot traduit également la volonté des Brutalistes de voir le monde avec objectivité, comme le dit Banham, « sans y interposer de catégories politiques fixes, de

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notions

usagées

de

progrès,

ou

de

préférences

esthétiques

préfabriquées ». Architectural Design écrit même en avril 1957 que « Passera à côté de l'essentiel toute discussion sur le brutalisme qui ne tiendra pas compte des ses efforts pour voir objectivement la réalité, les objectifs culturels de la société, ses impulsions, ses méthodes, etc. Le Brutalisme essaie de s'adapter et faire face à une société de production de masse. Des forces confuses et puissantes qui sont à l'oeuvre, il extrait une rude poésie »1 Enfin, la rigueur est celle de l'emploi des matériaux et de leur mise en œuvre. C'est aussi cette rigueur constructive qui va donner la capacité à une construction d'exister et de produire de l'espace. Selon les néobrutalistes, le matériau doit également être utilisé tel quel (en anglais, as found). Le New-Brutalism est donc défini ainsi. Il reste alors à Alison & Peter Smithson le soin délicat d’illustrer ces grands principes énoncés par la construction d’une œuvre manifeste. Le premier bâtiment du monde à porter le qualificatif de brutaliste fut donc l’Ecole secondaire d’Hunstanton dans le Norfolk dont le concours date de 1949, une époque où le terme n’a encore jamais été prononcé. Les Smithson sont alors de très jeunes architectes débutant leur carrière de constructeurs. Le chantier n’est réceptionné qu’en 1954, le retard étant dû à la pénurie d’acier qui sévit à l’époque. Ce qui choqua le plus l’opinion et la critique vis à vis de ce projet,

1

Reyner Banham, The New Brutalism, ethic or aesthetic. Architectural Press, 1966.

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c’est l’attitude qu’adoptèrent les architectes dans leur manière d’employer des matériaux. Nous sommes à un stade ou le Brutalisme n’est pas théorisé et où ce bâtiment fait office de pionnier. La structure d’acier est calculée à l’économie bien qu’elle soit innovante pour l’époque. Celle-ci est laissée entièrement apparente. Les briques qui revêtent les parois intérieures sont les mêmes que celles qui constituent le contreventement de la façade et les dalles de plancher en béton préfabriqué sont laissées brutes en sous face. L’enduit et la peinture sont absents de cette architecture où un certain soin est apporté dans le traitement des gaines et des conduits qui sont laissés apparents. Comme le dit Reyner Banham, aucun mensonge n’est proféré par le biais de ce bâtiment, celui ci n’a rien à cacher, et c’est justement ce qui en fait sa singularité : « Hunstanton est pratiquement le seul bâtiment moderne à être fait de ce dont il a l’air d’être fait » 1 [Fig16, 17, 18] La référence à l’architecture Miesienne est également fortement présente dans le plan et l’image même de ce bâtiment [Fig19-20]. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, les Smithson étant jeunes, leur pensée est encore largement inspirée par des modèles qui sont pour la plupart, des maîtres

du

Mouvement

Moderne.

Mies

Van

Der

Rohe

en

fait

manifestement partie. Mais au delà de cette ressemblance caractéristique avec le minimalisme de l’architecte Allemand, Hunstanton arrive à illustrer une sincérité dans l’emploi des matériaux et des équipements qu’on ne retrouve pas dans l’architecture de ce dernier, qui ne traite pas forcément ses surfaces de manière brute, préférant souvent un plaquage de marbre

1

Reyner Banham, « The new brutalism », The architectural review, décembre 1955.

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par dessus les parois en béton, et ne montre jamais ostensiblement les innervations techniques (électricité, fluides). Dans les années 1950, c’est donc sous cet aspect, celui de la conception éthique du Brutalisme par les Smithson, illustrée par l’œuvre bâtie de l’école d’Hunstanton, qui permet à partir de la théorisation du mouvement, de reconnaître un bâtiment issu du New-Brutalism. Alison & Peter Smithson résument ce manifeste en

ces quelques mots : « Le

Brutalisme tente de faire face à une société de production de masse et fait découler une brutale poésie des confuses et puissantes forces qui sont à l’œuvre. Jusqu’ici, le Brutalisme a été discuté de manière stylistique, alors que son essence est éthique. »1 Pour tenter de synthétiser le manifeste du New-Brutalism et de répondre de manière concise à la question « Qu’est ce que le Brutalisme selon l’école d’Hunstanton ? Et existe-t-il d’autres constructions brutalistes en dehors de l’école d’Hunstanton ? », Michael Abrahamson donne une définition en trois points : 1 - régularité visible du plan. 2 - Exhibition claire de la structure. 3 – Mise en valeur des matériaux pour leur qualités propres, montrés tels quels.

1

Michael Abrahamson, Brutalism, Clog, 2013

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Mais cette rigoureuse définition du New-Brutalism des années 1950 ne fige pourtant pas le mouvement. En effet, certains aspects des principes qui permettent de composer son architecture vont évoluer rapidement, et cela dès le début des années 1960. L’aspect éthique de la conception du Brutalisme même s'il est largement compris par les successeurs des Smithson, ne correspond pas suffisamment pour caractériser l'architecture à plasticité massive que deviendra le mouvement par la suite. Bien que les Smithson avaient réfléchi aux deux aspects de la démarche (une éthique sociale et une esthétique architectonique), l'aspect formel et l'esthétique de la structure et du béton deviendra par la suite un critère fondamental dans le Brutalisme international. Ansi, dans les futurs développements du Brutalisme, au delà des années 1950, il faut donc en exclure la régularité du plan comme qualité première et considérer la question de l’image comme centrale. La synthèse des éléments de la grille de lecture de Michael Abrahamson devient alors celle-ci : 1 – Mémorabilité en tant qu‘image : L’architecture brutaliste est une architecture égocentrique, elle s’impose dans son environnement comme un élément à forte identité visuelle et dont l’image de sa plasticité doit marquer l’esprit comme un objet autonome et puissant. 2 – Exhibition sans fard de la structure : Cette puissance de l’image du bâtiment est obtenue à l’aide de l’exhibition de la matière et de la masse. Les éléments qui s’affichent en façade sont

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des éléments architectoniques qui sont la structure même du bâtiment. Aucun bardage ni revêtement ne doit la recouvrir. 3 – Mise en valeur des matériaux tels quels : Les matériaux de la structure doivent être exposés aux yeux de tous et un soin très particulier est ainsi apporté au gros œuvre. Le béton, qu’il soit coulé dans un coffrage bois, ou autre, sur place ou issu d‘éléments préfabriqués, est laissé brut comme surface témoignant de la réelle sincérité des formes. L'apport de Le Corbusier Comme souvent lorsqu'il est question d'architecture du XXe siècle, les travaux de Le Corbusier, sont mis en exergue. La question du Brutalisme n’échappe pas à cette règle alors même que l’œuvre de ce dernier ne peut être qualifiée de Brutaliste. En effet, Le Corbusier a toujours refusé d’être « catalogué » : « Je ne baptise pas les choses que je fais... je ne fais pas du Corbuisme, je ne fais pas d'isme, je fais du travail. »

1

Or, sa recherche constante d'évolution et son questionnement sur ce qu'est l'architecture et ce qu'elle peut apporter aux Hommes incarne l’attente d'un changement radical. De plus, peu d'architectes auront su, à ce point, préciser l'architecture au sens le plus charnel de sa condition : aux formes, à la matière et à la lumière. Des préoccupations à l’évidence proches de

1

Le Corbusier, Entretiens avec Georges Charensol (1962) et Robert Mallet (1951), Frémeaux &

Associés, Vincennes, 2013

24


celles des Brutalistes. Une démarche que l’architecte assume notamment en écrivant : « L’architecture est le jeu, savant, correct et magnifique des volumes sous la lumière. »1 Cette citation pourrait, à elle seule, être un manifeste du brutalisme, car cette manière de faire de l'architecture, en dépit de la connotation violente qu'elle dégage, revient à magnifier les volumes et la matière bruts sous la lumière. C'est ce que semblent rechercher les Brutalistes. Jacques Sbriglio, architecte et auteur d'un ouvrage sur l'aspect Brutaliste dans l'oeuvre de Le Corbusier2, analyse la soudaine évolution du travail de l'architecte après la seconde guerre mondiale, lorsqu'il passe de l'abstraction du purisme au concret et récurrent emploi du béton brut. La planéité de l'architecture Corbuséene telle qu'on la connait pour ses villas des années 1920 (alignement strict des châssis et des vitrages au plan de la paroi en façade, béton lissé et peint) [Fig21] est un principe complètement renversé à partir des années 1950. Jacques Sbriglio qualifie même Le Corbusier d'inquiet3. Ce dernier, dans ses écrits, n'a jamais fait mention du terme « Brutalisme » mais a néanmoins dit ceci : « Depuis la guerre où j'ai eu certaines commandes... j'ai eu l'occasion de faire, d'employer enfin le béton. Par la pauvreté des budgets que j'avais, je n’avais pas un sou, et c'est aux Indes

Le Corbusier, Saugnier (Charles-Edouard Jeanneret et Amédée Ozenfant), Vers une Architecture, Paris G.Crès et Cie, sd. 1923 2 Jacques Sbriglio, Le Corbusier et la question du Brutalisme, Parenthèses 2013 3 « Etymologiquement, l'inquiétude se rapporte au mouvement. Est inquiet ce qui bouge, ce qui se déplace. Une telle mobilité, la capacité de proposer un point de vue qui se décale constamment, prenant ses distances avec le sens commun et les évidences faciles, pourrait bien constituer l'une des caractéristiques les plus fondamentales en architecture. L'architecture est un art inquiet. En dépit de sa prétention constamment réaffirmée d'incarner une stabilité rassurante, elle demeure travaillée par de sourdes tensions ainsi que par des contradictions parfois insolubles. » (Le Corbusier, Entretiens avec Georges Charensol (1962) et Robert Mallet (1951), Frémeaux & Associés, Vincennes, 2013) 1

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surtout que j'ai fait ces premières expériences. J'ai fait du béton brut et à Marseille je l'avais fait également de 47 à 52... ça a révolutionné les gens et j'ai fait naître un romantisme nouveau, c'est le romantisme du mal foutu. »1 [Fig22-23] Cette phrase établit une nouvelle donne. Elle nous dit tout simplement que ce qui est imparfait peut avoir du sens en architecture et que le « brut » et les choses rustiques peuvent développer une esthétique. Il dit également: « J'ai dit à ceux qui grognassaient un peu contre la rudesse de l'exécution : j'aime cette rudesse, c'est cela que j'aime, c'est cela mon apport dans l'architecture moderne, la remise à l'honneur des matériaux primaires, la rudesse de l'exécution conforme au but poursuivi, c'est-à-dire d'abriter les vies de foyers qui sont dans la bagarre quotidienne où le tragique voisine avec les joies. »2 Le Corbusier fait alors du chantier de la reconstruction des grandes villes Françaises

un

terrain

d'expérimentation

sans

précédent

pour

les

expériences visionnaires et utopistes de sa conception sociale de l'architecture3. L’introduction du terme « béton brut » fait de lui, à l'insu de son plein gré, un partenaire indéniable de la théorisation du mouvement faite par Reyner Banham et de son œuvre, une inspiration constante des architectes. A l'époque, la grande différence entre Le Corbusier et les époux Smithson, c'est que Le Corbusier, lui, construit avant d'écrire. Il achève l’Unité d’habitation de Marseille [Fig24] le 14 Octobre 1952, alors

Jacques Sbriglio, Le Corbusier et la question du Brutalisme, Parenthèses 2013 Lettre adressée en 1954 à l'avocat Gabriel Chéreau. 3 Gilles Ragot, EnsapBx-UE 2-4-3, Modernité et condition post-moderne, Evolution de la pratique architecturale de 1945 à nos jours, Séance n°1 : La reconstruction, 2008-2009 1 2

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que l’école d’Hunstanton est en plein chantier. Cette nette avance de l’architecte Franco-Suisse amène donc les Smithson à s'appuyer pendant deux ans sur ses exemples construits en matière d'architecture Brutaliste pour illustrer leurs théories. La critique d'architecture Européenne a les yeux rivés sur Marseille et son paquebot de béton dont l’image se propage très vite à travers les esprits. Les Smithson et Banham en profitent pour se l’approprier et ranger Le Corbusier, pourtant rédacteur de la charte d'Athènes et fervent militant des CIAM, aux côtés des leurs. La raison pour laquelle Banham et les Smithson doivent fare ce genre de concession pour appuyer leur propos, est qu’en 1954, l'école d'Hunstanton est néanmoins livrée mais ne suffit pas aux Brutalistes pour illustrer leurs théories. En effet, bien que le bâtiment soit conçu selon les principes éthiques des Smithson, celui ci, en brique et en verre, et portant très ostensiblement sa référence au minimalisme Miesien, ne véhicule pas le manifeste du béton brut qu'il faut au Brutalisme pour se forger une identité visuelle. Le mot « Brutalisme » circule alors dans le milieu architectural et auprès du grand public Européen sans qu'on soit capable de définir si le Brutalisme correspond à l'architecture de Marseille ou d'Hunstanton. En 1956, Le Corbusier achève les Maisons Jaoul [Fig25] qui viennent marquer la charnière entre ce qui est le Brutalisme des théories des Smithson, et ce qu’il deviendra par la suite. Alison & Peter Smithson cautionnent totalement le référencement des maisons Jaoul au Brutalisme, et l'utilisent même comme illustration pour leur modèle urbain du Cluster city 1 [Fig26]. L'emploi et le mode de mise en œuvre de matériaux « humains » tels que la brique et le béton brut ou encore le bois ajoutés à un budget résolument

1

Architectural Design, Mars 1956

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restreint dans un souci de recherche du confort et de la modernité dans l'habitat, permettent aux maisons Jaoul de véhiculer une éthique probrutaliste au-delà de son image. C'est à partir même des maisons Jaoul que l'on voit apparaître certaines des formules tridimensionnelles standardisées du vocabulaire formel que l'on retrouvera dans le brutalisme international : celui des gargouilles abstraites qui émergent des toitures par exemple, même si celles ci sont apparues quelques années avant dans les projets des Indes de Le Corbusier [Fig27]. Mais dans les milieux cultivés de l'Angleterre des années 1950 où persiste cette attitude de sympathie coloniale mélangée à un certain mépris raciste à l’égard des Indiens, l'archaïsme du béton brut d'Ahmedabad ne choque personne car il est réservé aux populations considérées comme « pauvres et incultes » des Indes et ne fait aucun affront aux normes de la pensée architecturale Européenne (et ce, surtout en terme de logement). La société Anglaise cautionnait ainsi l’emploi du béton brut aux Indes. Mais Le Corbusier avait cette capacité de faire passer des messages par l'architecture, par son génie et son engagement. Il est également indispensable de rappeler que dans le contexte de contestation majeure de la jeune génération des années 1950 face aux idées de la Charte d'Athènes et des CIAM, Le Corbusier reste le seul architecte qui eut l'habileté de se sortir d'affaire alors qu'il fut l'un des principaux rédacteurs de la charte. Ses idées sur l'unité d'habitation et l'emploi du béton brut lui permettant de garder sa renommée immaculée même après que Team X déclare désuète la Charte d'Athènes et la trop schématique et fonctionnaliste doctrine des CIAM en terme d'architecture et d'urbanisme.

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Le Brutalisme International des années 1960/1970 Si l’ambition du Brutalisme pour une autre architecture, alliant une nouvelle façon de concevoir et de construire plus en phase avec la réalité contemporaine, n’est ici plus à démontrer, il est en revanche certain que dans les années qui suivent l’émergence du mouvement et qui voient celuici s’étendre en Europe et surtout en Amérique, la situation évolue considérablement. En effet, une fois arrivé sur le nouveau continent, le Brutalisme en tant qu’éthique tend à perdre considérablement de sa signification. L’impulsion de l’élan reconstructeur d’après-guerre qui permet à cette architecture de trouver son sens en Angleterre dans le début des années 1950 ne fait évidemment plus partie du discours. Le Brutalisme correspond plus alors à ce que les institutions publiques recherchent en termes d’image et d’esthétique : une solennité, une rigueur formelle et une robustesse qui traduit la puissance de l’institution 1 . Voilà comment le paysage urbain du continent Américain s’imprègne à son tour, et dans une manière toute autre qu’en Angleterre, d’une architecture brutaliste. Ce mouvement issu du Brutalisme Anglais est alors nommé Brutalisme International. Dans cette rubrique, nous admettrons alors que ce qui qualifie l’architecture que nous allons décrire ci-après, ce n’est pas son essence, mais son apparence, sa surface. Voilà pourquoi à partir de 1960, le corpus brutaliste à travers le monde cesse tout à coup d’être connecté par une philosophie et une éthique commune car il n’est plus brutaliste que par la diffusion d’une image 2 . Ce Brutalisme commence donc son

1 2

Leland Cott, Icon or Eyesore? Part 2: Stakeholder Equilibrium, The Metropolis blog, 11 Juillet 2012. Michael Abrahamson, Brutalism, Clog, 2013

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expansion à travers le monde et il s’adjoint alors à son écriture déjà très codifiée, une strate qui découle du contexte politique, économique et social du pays concerné. En effet l’esthétique brutaliste possède cette capacité de traduire par la forme et par l’espace les besoins symboliques que la société veut faire passer par l’architecture, que ce soit la solidité ou l’inviolabilité d’une banque ou d’une institution, ou la forme inédite et la rigueur géométrique d’un bâtiment universitaire 1 . Voilà comment le Brutalisme International devient l’architecture la plus répandue pour les bâtiments publics des années 1960 et 1970, dans le monde. Il est impossible de répertorier de manière exhaustive l’ensemble des formes de Brutalisme en fonction des pays ou continents dans lesquels elles se sont développées. C’est pourquoi nous nous attacherons essentiellement à développer des exemples issus du continent Américain et particulièrement des Etats Unis et du Brésil pour analyser ce qui constitue l’architecture brutaliste internationale des années 1960 et 1970. Selon l’historien Américain Godfrey Hodgson 2 , le Brutalisme aux Etats-Unis a connu son apogée - mais aussi son déclin – à cause du liberal consensus3. En effet, cette situation politique et économique particulière a été le vecteur de l’appartenance indéniable des constructions de cette époque à une architecture caractéristique de l’institutionnel et de

Leland Cott & Henry Moss, Icon or Eyesore? Part 1 : Introduction, The Metropolis blog, 11 Juillet 2012. Deborah Berke & Steven Harris, Architecture of the everyday, Princeton architectural press, 1997 3 Le Liberal consensus correspond à la période politique et économique d’après guerre aux Etats-Unis (de 1945 à 1968) qui est caractérisée par la rapide expansion des intérêts économiques et de la puissance de l’état Américain dans un contexte de croissance économique très forte. A cette époque, Washington, la capitale politique du pays, développe des moyens sans précédents pour assurer la prospérité du Welfare state face au bloc Soviétique et pour assumer son rôle de gendarme international et de diffuseur du modèle capitaliste. 1 2

30


l’académique pour traduire de manière architectonique la force de l’image de l’état et de la société Américaine. Le Whitney Museum de New York [Fig28], construit en 1966 par Marcel Breuer, en est une illustration éloquente. En effet, cet édifice est la preuve que subsiste dans les années 1960 aux Etats Unis, un Brutalisme dénué de toute la philosophie qui en faisait sa quintessence originelle sur le vieux continent. En effet, malgré son aspect monolithique et monumental, le bâtiment est, selon les considérations brutalistes, d’une malhonnêteté sans nom. Il ment sur la structure mi-béton, mi-acier que constituent les célèbres porte à faux qui sont en réalité dissimulés derrière un plaquage de granit. Et c’est bien cette solution qui confère à la construction cet aspect si uniformément brut. Cette façade en granit plaqué ne peut donc être assimilée à de l’architecture brutaliste telle que l’entendaient les pionniers du mouvement. Ce bâtiment témoigne bien comment l’esprit de l’architecture brutaliste ne s’adapte pas au contexte Américain. Pour Michael Abrahamson 1 , cette situation est même l’illustration de la dégénérescence de cette architecture, aux EtatsUnis, à partir des années 1960. Ceci ne voulant pas pour autant dire que l’architecture du Whitney Museum ne présente pas d’intérêt, il en résulte néanmoins qu’elle illustre la transition manifeste entre deux époques d’un mouvement qui était déjà assez difficile à décrire avant

même qu’il

n’évolue ainsi. En effet, entre l’architecture des Smithson et celle de Marcel Breuer, le Brutalisme évolue et passe d’une philosophie à un style pragmatique. Pour autant, si des architectes comme Marcel Breuer, Paul Rudolph ou encore Louis Kahn se sont emparés de l’esthétique brutaliste pour la diffuser aux Etats-Unis, c’est que celle-ci satisfaisait parfaitement le

1

Michael Abrahamson, Brutalism, Clog, 2013

31


besoin de monumentalité et de solennité qui était nécessaire pour représenter la puissance des institutions Américaines d’après-guerre. Par la suite, la génération des disciples qui succèdera à ces grands maîtres ne fera que s’approprier ce style formel plutôt comme une flèche à leur arc, que comme une fin en soi et c’est ainsi que dans les années 1960-1970, le Brutalisme

devient

presque

un

style

vernaculaire

du

programme

institutionnel libéral Américain, à l’image des universités construites aux Etats-Unis durant cette période et qui appartiennent presque toutes à une architecture d’esthétique brutaliste [Fig29]. Et l’image du Brutalisme qui persiste aujourd’hui est bien celle-ci, celle d’une esthétique, d’un style, plutôt que celle d’une éthique et encore moins celle conçue dans les années 1950 en Angleterre. Dès la fin des années 1970, le Brutalisme amorce sa lente agonie pour ne devenir qu’un formalisme brutal, infligé à l’usager des espaces qu’il génère. L’histoire de l’architecture brutaliste au Brésil est quant à elle, très différente. En effet, depuis les années 1950 le monde observe l’émergence d’un nouveau Brésil qui au même titre que les Etats-Unis, profite du déclin des puissances Européennes pour s’affirmer en tant qu’une nation innovante, constructrice, et rayonnant d’une attraction vertigineuse pour le futur, le progrès et la technique. L’Architecture Brésilienne n’a dès lors de cesse de faire parler d’elle. La génération des architectes qui ont contribué au développement et à la gloire de l’architecture Brésilienne est certes, issue du Mouvement Moderne, mais d’un Mouvement moderne radicalisé et pragmatique qui s’adapte à l’ambition et à la grandeur à laquelle aspire le Brésil à cette époque. Evidemment les travaux des architectes tels que

32


Lucio Costa ou Oscar Niemeyer sont l’illustration de nombreuses théories sur la ville moderne, puisque, comme le montre l’exemple de Brasilia [Fig30], elles sont élaborées dans un souci de radicalité et bien souvent sur des territoires vierges dont l’histoire est à écrire de A à Z. Dans les années 1950 au Brésil, un seul courant, auquel Oscar Niemeyer entre autres appartient, dicte la pensée des architectes modernes : le mouvement de l’école « Carioca » dont les précurseurs ne sont autres que des architectes de la génération de Lucio Costa, [Fig31] inspirés par les travaux de Le Corbusier dans les années 1920, est admiré à travers le monde. La renommée de l’architecture Brésilienne prend en effet de l’ampleur en 1943 grâce à l’exposition et à la publication de Brasil Builds [Fig32] par le Museum of modern art (Moma) de New-York. Depuis les années 1920, le développement du modernisme au Brésil s’inscrit dans un contexte particulier qui est celui d’un projet de construction national, ce qui fait de l’architecture Brésilienne, le premier mouvement d’architecture moderne relié à un pays : un véritable style national1. Emerge alors à partir de la fin des années 1950, un courant contestataire de l’école de Carioca qu’on appelle le courant Pauliste 2 duquel se décline rapidement le « Brutalisme Pauliste » qui se distingue par l’usage de formes inédites obtenues grâce à l’emploi d’un béton armé la plupart du temps laissé brut. Le Brutalisme Pauliste se définit alors par une architecture le plus souvent à programmatique publique ou sociale

1 2

Reyner Banham, Guide to modern architecture, Architectural Press, 1962. Arquitectura Paulista, produite par l’école de São Paulo à partir des années 1960.

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dans lesquelles on puise toutes les possibilités de l’usage du béton coffré bois et coulé in-situ pour expérimenter des structures et des formes innovantes. Ruth Verde Zein, architecte et critique d’architecture membre du CICA (International Comitee of Architectural Critics) et qui remporte, en 200, le prix National de thèse doctorale Brésilienne grâce à son étude du mouvement Brutaliste de São Paulo1, donne une explication concise de ce qui caractérise cette architecture : « Le Brutalisme de l’école Pauliste trouve son expression dans une architecture caractérisée par une esthétique monumentale et une structure clairement exposée dans des propositions architectoniques audacieuses. »2 Un bon nombre des architectes Brésiliens passent alors à l’époque, du modernisme « tropical » de l’école Carioca que l’on peut retrouver dans les revues diffusées en Europe et aux Etats Unis, et où l’apparat du béton lissé et blanchi domine, à un Brutalisme Pauliste affirmé 3 . Certains se convertissent, à l’image de Carlos Milan ou Oscar Niemeyer. D’autres encore sont des architectes nés Brutalistes, comme João Batista Vilanova Artigas [Fig33-34] ou Paulo Mendes Da Rocha [Fig35-36] par exemple, dont l’œuvre s’illustre par son incroyable cohérence et sa continuité à travers le temps. Le Brutalisme Pauliste a développé des réponses très intéressantes et adaptées au contexte social et politique du Brésil de cette époque. L’architecte João Batista Vilanova Artigas est l’un des premiers à expérimenter

le

Brutalisme

Pauliste

en

prônant

une

architecture

Ruth Verde Zein, Paulo Mendes da Rocha, BOMB 102/Winter 2008, ARCHITECTURE, New Arts Publications, Inc. 2 Ruth Verde Zein, En Blanco, n°9, 2012 (page 130-132) 3 Ruth Verde Zein, Conceitos, arquitecturabrutalista.com, 2005-2006 1

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socialement responsable ayant la volonté d’établir un nouvel ordre urbain à l’échelle du Brésil moderne. Militant communiste affirmé, Vilanova Artigas établit une critique rigoureuse du style Carioca et de sa publication, Brasil Builds, qui pour lui, n’est que la représentation erronée que se font les capitalistes Américains d’une architecture Brésilienne qui en réalité, doit être le vecteur du rassemblement social et non pas de la gloire d’une nation sur papier glacé 1 . Vilanova Artigas militait ainsi pour que l’architecture moderne Brésilienne s’empare enfin des réels problèmes sociaux de son pays et en particulier celui de la pauvreté et de la fragmentation sociale. Pour lui, ainsi que pour les architectes Paulistes, l’outil qui permet d’obtenir cela est la génération d’espaces couverts souvent démesurés et certes peu fonctionnels, mais qui potentialisent la vie communautaire et les contacts humains, et surtout, permettent une nouvelle expérience spatiale grâce à des superstructures de béton brut. Dans l’œuvre de Paulo Mendes Da Rocha, qui est également une œuvre caractéristique du mouvement Brutaliste Pauliste, plusieurs références se synthétisent de manière à générer l’alchimie de la pensée de l’Architecte. Le mélange d’influences entre les idées révolutionnaires de l’école de São Paulo, celle plus minimalistes du maître moderne Ludwig Mies Van Der Rohe et plus tardivement, de Tadao Ando, mais aussi ses idées s’inspirant de la démarche constructive des Smithson. Tout ceci lié à la poésie singulière qui est propre à l’architecte qu’est Mendes Da Rocha résume la direction de son œuvre2.

2G N.54 João Vilanova Artigas, Paperback
, 2010 Josep Ma. Montaner, Maria Isabel Villac, Mendes da Rocha, Introducciones/Introductions, Barcelona 1996. 1 2

35

GG,


Lorsque Banham parle dans son ouvrage de 1966 des connections du Brutalisme, (son expansion à travers le monde) il ne cite en Amérique du sud qu’un exemple Chilien et ne parle à aucun moment de l’architecture Pauliste. Il n’y a à priori aucun raison pour laquelle Banham ne devrait pas citer le Brutalisme de l’architecture de Sao Paulo, d’autant plus que les périodes qu’il évoque pour parler du Brutalisme en Suisse, en Italie ou au Japon se situent dans la même période que celle de l’apogée du Brutalisme Pauliste. Il s’avère même que Sao Paulo faisait déjà du Brutalisme avant même que celui-ci ne s’étende des Iles Britanniques à l’Europe et aux Etats-Unis. Mais pour Banham, l’architecture Brésilienne est à part, et ce dernier aurait eu du mal à dire que l’architecture Pauliste, malgré son évidente affiliation esthétique au Brutalisme, peut embrasser l’appellation d’architecture brutaliste. Il y a au moins deux bonnes raisons à cela : Ce en quoi le Brutalisme Pauliste diffère de son prédécesseur Britannique, c’est que tout d’abord, il s’inscrit dans un contexte architectural révolutionnaire et non pas évolutionnaire comme le New Brutalism. Deuxièmement, Il se conçoit selon le modèle de la ville moderne des CIAM, alors que le New-Brutalism cherchait justement à le remettre en question. Au même titre que ce qui se produit aux Etats-Unis, la philosophie des Anglo-Saxons a manifestement disparu de ce Brutalisme qui a des préoccupations beaucoup plus liées au contexte social et politique du Brésil des années 1960. Dès sa théorisation du mouvement en 1966, Reyner Banham concéda presque directement après son introduction que le sens du terme

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Brutalisme s’était déjà appauvri1, se transformant des impératifs éthiques des Smithson en un descriptif qui ne traduit plus rien d’autre qu’une esthétique formelle liée à l’emploi du béton brut. Même si on tend à considérer le mouvement comme un style dans une certaine homogénéité, on peut ici affirmer que le Brutalisme se réduit dans les années 1960 et 1970 à travers le monde, à une étiquette esthétique exclusivement associée à ce béton brut, alors qu’initialement il n’était pas prédisposé à se limiter qu’à un unique matériau.

1

Reyner Banham, The New Brutalism, ethic or aesthetic. Architectural Press, 1966.

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Fig 1 : Alison & Peter Smithson dans leur atelier. Photographie : Smithson family collection.

Fig 2 : Photographie des participants au CIAM IV à Athènes en 1933. Photographie: Fondation Le Corbusier.

Fig 3 : Photographie des membres du Team X proclamant la mort des CIAM à Otterlo en 1959. Photographie issue de l’ouvrage TEAM10 1953-81 – In Search of a Utopia of the Present.

Fig 4 : Rassemblement de Team X chez l’architecte Aldo van Eyck, 1974. Photographie : Team10online

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Fig 5 : Villa Göth à Kabo, Uppsala, Suède. Bengt Edman et Lennart Holm. Photographie Wikimedia Commons. Fig 7 : Couverture de l’ouvrage « The New-Brutalism, ethic or aesthetic ? » de Reyner Banham.

Fig 6 : Alton East Estate, Roehampton, London, 1970. Photographie Architectural Press Archive/RIBA Library Photographs Collection.

Fig 8 : E.Paolozzi, A&P. Smithson et N Henderson, membres originaux de l’IG. Photographie tirée du catalogue de l’exposition This is Tomorrow, 1956

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En haut : Fig 9-10 : Photographies de l’exposition Parallel of life and art, 1953. Photographies IG. En bas à gauche : Fig 12 : Couverture de l’ouvrage Mythologies de Roland Barthes, qui étudie la mythologie des images et objets du quotidien.1954-1957.

Fig 11 : Le plancher de Jeannot. Photographie Collection Dubuffet. 1971

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Fig 14 : Vue en axonométrie du projet pour l’université de Sheffield, Alison & Peter Smithson, 1953

Ci-dessus: Fig 13 : Vue en perspective des streets in the sky du projet de Golden Lane, Alison & Peter Smithson, 1952

Ci-dessous: Fig 15 : Vue en perspective du projet pour l’université de Sheffield, Alison & Peter Smithson, 1953

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Fig 16 : Photographie de l’école d’Hunstanton, Angleterre, 1954, Alison and Peter Smithson, Photographie : The Charged Void: Architecture, New York, 2001

Fig 17-18 : Photographies intérieures de l’école d’Hunstanton, Angleterre, 1954, Alison and Peter Smithson, Photographie : The Charged Void: Architecture, New York, 2001

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Ci-dessus : Fig 20 : Crown Hall, Ludwig Mies Van Der Rohe, Chicago, Illinois, Etats-Unis. Photographie Hagen Stier

Fig 19 : Photographie de l’école d’Hunstanton, Angleterre, 1954, Alison and Peter Smithson, Photographie : The Charged Void: Architecture, New York, 2001 Ci-dessous: Fig 21 : Villa Savoie, Poissy, Le Corbusier, 1931 Photographie : Wagner Rocha.

Fig 22-23 : Malfaçons des ouvrages de béton de la toiture de l’Unité d’habitation de Marseille, Le Corbusier, 1952. Photographie : Fondation Le Corbusier.

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Fig 24 : Le Corbusier, Unité d’Habitation, Marseille (1952), Photographie: Le Corbusier Le Grand, Phaidon, New York 2008; S. 422

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Fig 25 : Le Corbusier, Maisons Jaoul, neuilly-sur-seine, France, 1951-1955. Maison B. Photographie : Heiser+Heiser.

Fig 26 : Alison & Peter Smithson, Schéma d’exemple utilisant les maisons Jaoul pour la théorie urbaine de Cluster City. Image : Reyner Banham, The New Brutalism, ethic or aesthetic. Architectural Press, 1966


Fig 27 : Le Corbusier, Palace of Assembly, Chandigarh, Inde, 1963. Photographie: Duncid (Flickr)

Fig 28 : Marcel Breuer, Whitney Museum, New-York City, 1966. Photographie: Syracuse University.

Fig 29 : Vue en axonomÊtrie des projets de bâtiments universitaires brutalistes construits aux Etats-Unis. Image: Michael Abrahamson, Brutalism, Clog, 2013

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Fig 30 : Oscar Niemeyer, Congreso Nacional, Brasilia, Brasil, 1960. Photographie : Metronews.

Fig 31 : Lucio Costa, Guinle Park residential buildings, Nova Cintra, Brasil, 1948. Photographie : John Hartmann

Fig 32 : Couverture du catalogue de l’exposition Brazil Builds, Moma, New-York City, 1943

Fig 33 : João Batista Vilanova Artigas, Faculdade de Arquitetura e Urbanismo da Universidade de São Paulo (FAU – USP), 1969. Photographie : Marcos Santos.

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Fig 34 : João Batista Vilanova Artigas, Faculdade de Arquitetura e Urbanismo da Universidade de São Paulo (FAU – USP), Brasil, 1969. Photographie : Marcos Santos.

Fig 35 : Paulo Mendes Da Rocha, Casa Butantã, São Paulo, Brasil, 1966. Photographie : PLOT

Fig 36 : Paulo Mendes Da Rocha, Tour d’appartements, San Jose, Costa Rica. Photgraphie : BrutalismandBooze.

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A présent, nous en savons donc un peu plus sur ce qu’était le Brutalisme, ou plutôt « Les » Brutalismes, puisqu’on distingue à présent le New-Brutalism éthique des années 1950 et le Brutalisme International des années 1960 et 1970. La suite de cette étude portera notre questionnement sur ce qui a provoqué le déclin du mouvement dans la fin des années 1970. Nous tenterons d’expliquer pourquoi il est difficile, voire même impossible de construire comme il y a cinquante ans. Quelles sont donc les raisons pour lesquelles on ne construit plus ce genre d’architecture au XXIe siècle ? Qu’est ce qui a conduit les architectes à renoncer au Brutalisme au profit de la condition post-moderne au début des années 1980 ? Comment s’explique la controverse qui a lieu aujourd’hui au sujet de la conservation de l’héritage construit que nous laissent les architectes brutalistes ? Est il judicieux de conserver un parc d’édifices usés par le temps et décrié par les médias et l’opinion publique, dont la rénovation engagerait un chantier compliqué et couteux ? Enfin, nous chercherons à savoir si, au delà des idées reçues sur le Brutalisme et sa mauvaise réputation auprès de la société, certains architectes persistent à questionner à nouveau son mode opératoire, dans quel but. Sous quels aspects et à travers quelle démarche retrouve-t-on ainsi la référence du Brutalisme dans leur travail ?

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Un mouvement rattaché à une époque Ce qui fait que le Brutalisme correspond inexorablement à une époque qui est celle de l'avant choc pétrolier de 19731 est avant tout que cette architecture est déjà loin des bâtiments aux hautes performances techniques et environnementales qui sont ceux du paysage architectural du XXIe siècle [Fig1]. L’architecture des années 1950 à 1970 ne se préoccupait que très pe u, voire même pas du tout des questions de confort thermique et d’économie d’énergie qui sont au cœur des préoccupations des architectes du XXIe siècle. Le double vitrage et l’isolation thermique sont à l’époque relativement rares. La raison de cette insouciance réside dans le fait que la société de consommation de ces années de croissance folle, qui est caractérisée par une surconsommation de matières fossiles et un manque de recul sur les conséquences climatiques, environnementales et

économiques,

produisait

une

architecture

qui

en

porte

très

ostensiblement la trace. En effet, les effets escomptés par l’architecture brutaliste sont d’importants producteurs de ponts thermiques

2

: En

exploitant le potentiel visuel du vitrage monolithique à travers de larges baies comme un dialogue entre les surfaces de plein et de vide, l’architecture brutaliste implique des surfaces de béton brut en façade

Le premier choc pétrolier est la conséquence selon les économistes de l’abandon des accords de Bretton Woods qui assuraient la stabilité du dollar US, monnaie officielle utilisée pour le commerce pétrolier. La suppression de la convertibilité en or de celui ci accompagné de l’adoption d’un régime de changes monétaires flottants permet à la devise de fluctuer. En 1973, après le passage du Peak Oil, le pic de production pétrolier aux Etats Unis qui fait prendre conscience que les gisements ne sont pas inépuisables, le dollar chute et la guerre du Kippour éclate au moyen orient. Les pays de l’OPEP, pour la plupart musulmans, imposent l’embargo sur les pays qui soutiennent Israël dans le conflit (entre autres les Etats Unis et les pays de l’Europe Occidentale et décident unilatéralement d’augmenter de 70% le prix du baril de pétrole. L’embargo durera 5 mois et en un an, le prix du baril passe de 3$ à 12$. 2 Henry Moss, Icon or Eyesore? Part 8: Energy Out the Window, The Metropolis blog, 11 Juillet 2012. 1

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tranchant avec l’extrême finesse des châssis vitrés, qui ne doivent pas interférer visuellement avec la volumétrie pure de la structure [Fig2]. Il est important de rappeler que ce qui fait le confort thermique d’un bâtiment dans les régions subissant des hivers froids, c’est sa capacité à recréer un environnement tempéré avec le moins de variation de température dans le temps et dans l’espace possible. Ainsi, un bâtiment dit confortable affiche une température intérieure homogène dans ses différents espaces et celle ci ne doit pas chuter ou augmenter de manière incontrôlée selon les périodes de la journée, ou même à l’échelle de quatre saisons. Les dispositifs qui permettent de maitriser ce confort ne relèvent pas uniquement de la technologie à laquelle appartient les climatiseurs, chaudières, pompes à chaleur et autres auxiliaires de chauffage. L’architecture elle même, si elle est pensée en terme de confort thermique et de ventilation naturelle peut déjà faire la moitié du travail. Une étude sérieuse sur l’orientation, la composition de la façade en épaisseur comprenant des systèmes efficaces de protection solaire et des ouvertures aux endroits opportuns pour pouvoir bénéficier aux heures stratégiques de la journée et de la saison, des apports solaires suffisants et nécessaires, constituent déjà une bonne base de confort d’un bâtiment auquel il faut ajouter une isolation correcte. Mais qu’est ce qu’une isolation efficace et en quoi sa mise en place est finalement un des dispositifs qui a signé l’arrêt de mort du Brutalisme dans les années 1980 ? La question de l’isolation du bâtiment est au cœur du débat architectural du XXIe siècle. Est il encore possible de faire figurer un matériau brut en façade lorsque la légifération du domaine du bâtiment se fait de plus en plus drastique et le durcissement

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des règles en terme de consommation d’énergie

croît de manière

exponentielle? Dans un premier temps, pour expliquer cela, il est important de rappeler qu’une correcte isolation d’un bâtiment a pour but de supprimer le maximum de ponts thermiques 1 possibles du complexe de façade. Le dispositif qui permet donc de mieux supprimer ces ponts thermiques serait de reproduire autour du bâtiment une enveloppe ininterrompue de complexe isolant (une isolation par l’extérieur). Cette solution est nettement plus efficace au niveau thermique car elle supprime complètement les ponts thermiques générés par les planchers lorsque le bâtiment est isolé par l’intérieur et d’autant plus car le béton fait partie des matériaux à conductivité thermique 2 suffisamment élevée pour faire de lui un pont thermique efficace 3 [Fig3-4]. De plus, celui-ci contient des ferraillages à forte conductivité qui accentuent le phénomène des ponts thermiques. Mais la question du monopole de l’isolation par l’extérieur et surtout l’enfermement de la profession dans une sorte d’entonnoir qui amènerait les architectes à devoir systématiquement revêtir leur façade d’une surface qui n’est pas forcément le reflet de la réalité constructive de son

Un pont thermique est la situation malheureuse d’un élément constructif à forte conductivité thermique entre l’intérieur et l’extérieur d’un bâtiment. La conséquence est que par ce pont, des échanges thermiques indésirables se font entre les deux milieux hétérogènes et conduisent souvent à une source de froid dans un environnement chauffé. (voir illustration …) 2 La conductivité thermique est une grandeur physique caractérisant le comportement des matériaux lors du transfert thermique par conduction. Notée λ (ou k en anglais). Elle représente l'énergie (quantité de chaleur) transférée par unité de surface et de temps sous un gradient de température de 1 degré par -1 -1 mètre. Elle est exprimée en watt par mètre-kelvin (W·m ·K ). 3 Le λBéton se situe autour de 0,92 alors que le λFer qui est un matériau très conducteur est selon l’alliage situé entre 40 et 250. A titre comparatif, un isolant tel que la laine de verre a en revanche une très faible conductivité thermique aux alentours de 0,04. 1

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architecture, fait réfléchir et déclenche le débat. L’architecte Français Rudy Ricciotti s’exprime de manière éloquente sur le sujet dans son récent ouvrage. « La manipulation politique s’empare de toutes les idéologies à disposition. Et le développement durable n’est pas la dernière. J’ai assisté à la naissance de la sensibilité environnementale et à sa capture définitive par les commissaires politiques d’une terreur verte, aveugles aux réels enjeux de l’écologie. (…) Au lieu de prôner une augmentation de l’isolation thermique, source de surchauffe, de surconsommation d’électricité pour ventiler, parce qu’il faut faire respirer les bâtiments, il serait plus utile d’attaquer la notion de température de confort en baissant les exigences, ce qui serait plus citoyen. »1 Mais la réglementation est aujourd’hui de plus en plus drastique, imposant des dispositifs architecturaux couteux aux propriétaires d’édifices des années 1950 à 1970. L’ajout d’une nouvelle isolation remplaçant parfois l’ancien système – si il en existait un - souvent constitué de matières dont la toxicité pour l’Homme a été démontrée après leur mise en place2, le changement de la totalité des châssis de fenêtres, ainsi que des appareils de chauffages et ventilation obsolètes peuvent induire des surcoûts énormes. Or, même si l’on prend la décision d’isoler par l’intérieur un bâtiment brutaliste afin de conserver l’intégrité de sa façade en béton, les ponts thermiques que constituent les planchers ne peuvent pas être supprimés. Il est ainsi difficilement imaginable de pouvoir construire

Rudy Ricciotti, L'architecture est un sport de combat, Editions Textuel, 2013. 2 Henry Moss, Icon or Eyesore? Part 8: Energy Out the Window, The Metropolis blog, 11 Juillet 2012. 1

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aujourd’hui un bâtiment qui réussisse à allier une isolation parfaite sans ponts thermique à l’exhibition immaculée d’un béton brut en façade. Et quand bien même ont aurait réussi à combiner les deux, le résultat qui en découlerait ne pourrait pas correspondre à ce qu’entendaient Alison & Peter Smithson en tant que véritable Brutalisme architectural. En effet, techniquement, il est possible d’isoler la structure par l’extérieur afin de profiter de son inertie thermique. La manipulation reviendrait alors à interposer par dessus cette structure isolée, une seconde peau qui pourrait être traitée de manière « brute » et constituerait la façade du bâtiment. Mais alors, l’image de l’architecture qui serait ainsi produite serait complètement mensongère sur son réel processus constructif : le béton (ou la brique) de façade ne serait en aucun cas un élément constitutif de la structure mais seulement une pièce rapportée à celle ci, résumant le tout à une architecture de surface qui ne véhicule aucune éthique. Certains architectes parviennent néanmoins à mettre aujourd’hui en place ce système de structure dite « en sandwich ». L’architecte Anglais Sergison Bates utilise ce procédé lors de la construction en 2004 de son unité de logements à Finsbury Park, Londres [Fig5-6] en recouvrant la structure de béton d’une isolation extérieure et d’une enveloppe de brique, parvenant à conférer à la façade son esthétique brutaliste. Mais la question de la réglementation thermique n’est pas l’unique bâton que le progrès met dans les roues du Brutalisme. La question des surfaces est également problématique. Ainsi, la mise en œuvre d’un coffrage bois sur des bâtiments de grande échelle s’avère très couteux depuis que la banche industrielle est apparue. Il est donc de plus en plus

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compliqué d’imaginer, et ce encore pour des raisons économiques, réaliser un bâtiment de l’échelle de l’unité d’habitation de Marseille ou du National Theater de Londres, entièrement en coffrage bois. La question de l’authenticité d’un Brutalisme en béton préfabriqué, comparé à un béton coffré sur place, faisait déjà débat dans les années 1960 1. De plus, la volonté de l’absence de second œuvre et de laisser le béton apparent à l’intérieur du bâtiment génère également un certain inconfort acoustique. La mise en œuvre du béton génère des surfaces relativement lisses et compactes, ce qui en fait un matériau à très faible coefficient d’absorption acoustique2. Un voile de béton va donc être, contrairement à une surface poreuse et absorbante, un élément architectural qui va prolonger le temps de réverbération d’un son à travers l’espace, ce qui génère un inconfort acoustique conséquent. Le prix à payer de la mise en œuvre de béton brut dans un espace tel qu’un atrium ou une pièce de volume généreux et celui d’un « effet cathédrale » qui ne se prête pas forcément à l’usage de l’espace en question. De plus, la réglementation impose aujourd’hui que le temps de réverbération dans les espaces de circulation des bâtiments publics soit traité à l’aide de surfaces absorbantes, ce qui implique une obligation de second œuvre acoustique. La réglementation de sécurité incendie dans les établissements recevant du public se durcit également depuis les années 19703, sonnant le glas des dispositifs architecturaux « à

Michael Abrahamson, Brutalism, Clog, 2013 Cours d'acoustique environnementale de Manuel Van Damme, ingénieur acousticien au CSTC (BE), Maitre Assistant à la HEH ISIMs (BE) et enseignant à l'IFSB (L), Cours Acoustique Batiment - CHAP02 - Reverberation et absorption acoustique. 3 En France, le 31 Octobre 1973: Suite à l'incendie du Dancing le Cinq sept à St Laurent Du Fort où 147 personnes périrent brulées le 1er novembre 1970, un nouveau traité définit clairement quels sont les établissements dits « recevant du public » (ERP). Il déclare que selon la loi, est considéré comme ERP « tous bâtiments, locaux ou enceintes dans lesquels des personnes sont admises soit librement, soit 1 2

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risques » tels que par exemple, la « Free section » [Fig7] qu’imagine l’architecte Paul Rudolph en dans son projet pour le Yale Art & Architecture building (récemment renommé Rudolph Hall en honneur à l’architecte). La propagation de l’incendie qui s’est déclaré dans l’immeuble une nuit de Juin 1969, d’étages en étages par les voies verticales non compartimentées, a démontré les dangers de ce continuum spatial [Fig8]. Un tel dispositif n’aurait jamais vu le jour aujourd’hui tant la réglementation en terme de compartimentation des espaces d’un bâtiment public est priorisé face à la liberté du plan et de la coupe d’un bâtiment. Mais l’évolution du cadre législatif n’est pas l’unique raison de l’extinction de cette architecture de béton brut. Il est intéressant de rappeler que même si il se démarque par sa démarche radicale et alternative, le Brutalisme reste néanmoins rattaché au mouvement moderne. Ainsi, le déclin de ce dernier amorcé vers la fin des années 1970 [Fig21] et l’émergence du mouvement post-moderne qui voit un retour aux valeurs classiques et une libération des principes formels et d’emploi des matériaux, va peu à peu propulser l’architecture brutaliste vers la porte de sortie. Tout commence avec cette phrase de Charles Jencks, prononcée en 1977: « L’architecture moderne est morte à Saint-Louis, Missouri, le 15 juillet 1972, à 15h32 (ou à peu près). » 1

moyennant une rétribution ou une participation quelconque, ou dans lesquels sont tenues des réunions ouvertes à tout venant ou sur invitation, payantes ou non. » Enfin, il stipule que l'éclairage, le balisage des dégagements ainsi que les systèmes d'alarmes sont maintenant susceptibles d'être contrôlés. Le décret pose comme condition préalable à la délivrance d'un PC, un contrôle obligatoire du dossier par les services de prévention incendie de la municipalité ainsi que les Sapeurs Pompiers, et prévoit des dispositions particulières pour chaque type de bâtiments. 1 Charles Jencks, Le langage de l’architecture post-moderne, De Noël, Paris, 4e éd, 1985

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Dans cette phrase désormais célèbre et plus tard reprise par Peter 1

Blake pour le titre d’un de ses ouvrages, Charles Jencks fait allusion au dynamitage de l’ensemble de logements collectifs de Pruitt-Igoe, à St Louis dans le Missouri construit dans les années 1950 par Minoru Yamasaki, qui comportait 33 immeubles et 2 870 logements. Le grand ensemble de logements, primé en 1951 par le Congrès international d’architecture moderne, et qui fut le tout premier ensemble architectural issu du mouvement moderne et de la Charte d’Athènes est alors le tout premier d’une longue liste, à être entièrement détruit à l’explosif [Fig9]. Cette démolition après maintes tentatives de réhabilitations devient très vite le symbole de l’échec de la modernité et du besoin d’une révolution architecturale dans la fin des années 1970. Le philosophe Français JeanFrançois Lyotard introduit en 1979 2 ce qui sera la pensée des

post-

modernes en architecture. Celui ci prend établit de manière avant-gardiste que la société est à cette époque dictée par des informations arrivant du monde entier et qu’on ne peut plus réfléchir selon des systèmes de pensée globalisants tel que le mouvement moderne les conçoit, mais selon une conception bien plus complexe et éclectique. En effet, depuis 1908 et l’ouvrage manifeste3 d’Adolf Loos, le mouvement moderne avait proclamé l’ornement comme élément à bannir de l’architecture, excluant peu à peu toute autre forme de concept que celui de la rationalité et du fonctionnalisme. Dès la fin des années 1970, c’est ce monopole dogmatique qui est remis en question et voit l’avènement d’un nouveau

Peter Blake, L’architecture moderne est morte à Saint-Louis, Missouri, le 15 juillet 1972 à 15h32 (ou à peu près), Le Moniteur, Paris, 1980 2Jean-François Lyotard, La condition postmoderne : rapport sur le savoir, Paris, Minuit, 1979. 3 Adolf Loos, Ornement et Crime (Vienne, 1908), tr. Cornille & Ivernel, Rivages Poche, Paris, 2003 1

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courant de pensée qui libère les architectes des déviances du mouvement moderne, étouffant peu à peu le succès de ce dernier ainsi que de ses ramifications qu’incarnaient le Brutalisme et le modernisme tardif. Le mouvement post-moderne s’affirme alors par le refus du mouvement moderne comme un système de pensée universel et commun par le rejet du règne de la rationalité, et prône une architecture qui exprime un langage polysémique accessible et qui se nourrit d’une reconsidération du vocabulaire formel du passé (en particulier des ordres classiques) qu’il utilise sous forme de citation, de collage, dans une liberté contraire à la solennité du modernisme [Fig10]. La dégénérescence de l’architecture moderne dans la monotonie qui la conduira vers des déviances telles que la prolifération des grands ensembles et des problèmes sociaux qui en sont la conséquence, amène rapidement l’opinion publique à stigmatiser le béton comme un matériau synonyme de pauvreté et de violence urbaine [Fig11]. Celui ci ne représentant plus dans les mentalités que la catastrophe sociale du chemin de grue, et ce, à travers le monde entier, le succès esthétique du Brutalisme des années 1960 est déjà bien loin. A l’origine prévu pour refléter les attributs démocratiques d’une puissante expression civique (authenticité, honnêteté, droiture et force) la puissante nature de l’esthétique brutaliste vient exactement signifier le contraire (hostilité, froideur, inhumanité) Les ambitions qui ont été perçues comme optimistes et monumentales furent ainsi condamnées et qualifiées de bureaucratiques et autoritaire. Le mot « Brutalisme » devint une catastrophe rhétorique. Séparé de son contexte originel et dénué de son sens, « Brutalisme »

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devint peu à peu un vulgaire qualifiant péjoratif, jusqu’à parfois presque signifier que cette architecture aurait été volontairement conçue pour véhiculer un mauvais esprit. Ainsi, l’emploi postérieur du terme Anglais heroïc est souvent utilisé pour se débarrasser de la connotation négative que le terme « Brutalisme » véhicule. Déjà employé dans les années 1960 par Alison & Peter Smithson, heroïc ne prit pas le dessus sur Brutalism dans les esprits et resta dans l’ombre de l’appellation originale du mouvement. Les architectes Michael Kubo, Mark Pasnik et Chris Grimley, spécialistes des pratiques de publications sur l’architecture moderne du XXe siècle l’expliquent ainsi : « Au même titre que l’éthique ou l’esthétique du Brutalisme, Héroïc se réfère premièrement aux attributs formels des édifices eux-mêmes – puissants, singuliers, iconiques – ainsi qu’aux attitudes des architectes et institutions qui les créèrent. Aujourd’hui, après des décennies de négligence et de maltraitance, l’architecture héroïque peuvent être difficiles à aimer. Tous les exemples n’ont pas la même puissance et la même qualité. Mais à sa quintessence, l’architecture héroïque reflète une éthique, un projet culturel révèle le désordre et la réalité de cette époque et forge une nouvelle honnêteté concernant le rôle de l’architecture dans les grandes transformations urbaines et sociales de la période d’après-guerre. Heroïc véhicule à la fois une connotation positive et une connotation négative. Elle souligne l’ambition, mais aussi l’orgueil qui caractérisait la production architecturale du moment. Contrairement au mot Brutalism, qui est devenu absolument impossible à dissocier de sa connotation péjorative, Heroïc reconnaît les complexités de ces bâtiments – à la fois de part les

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intentions à partir desquelles ils ont été érigés, mais aussi de part leur statut si controversé aujourd’hui. »1 « Architecture héroïque » serait donc un terme plus adéquat pour parler du Brutalisme aujourd’hui. Ainsi libérée de son sens violent et négatif, l’éthique à laquelle aspiraient ces architectes pourrait être remise au goût du jour dans le but de jouer de nouveau le rôle héroïque qu’elle semblait

vouloir

incarner

à

l’époque.

Un

retour

de

l’architecture

contemporaine à des valeurs éthique, dans un paysage architectural aujourd’hui marqué par le pastiche, le manque d’originalité, et le manque d’implication dans le rôle social que celle-ci devrait incarner, ne serait que bénéfique, générant à nouveau le terrain d’expérimentation riche et sans limites que les architectes ont su générer à cette époque.

Le Brutalisme est mort, vive le Brutalisme. Il ne s’agit pas ici de chercher à prouver que le mouvement Brutaliste existe encore et notamment dans l'aspect qu'il revêtait des années 1950 à 1970 en Angleterre et à travers le monde, mais plutôt de chercher à comprendre comment subsistent à l’évidence des signes de sa survie, particulièrement dans certaines démarches et réflexions. Le Brutalisme réussit-il encore à inspirer les architectes ?

1

Michael Kubo, Mark Pasnik, Chris Grimley, Brutalism, Clog, 2013

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Le Brutalisme a pour particularité, et pas des moindres, d'avoir pour admirateurs les architectes eux mêmes car il semblerait qu'il faille être initié à un certain romantisme et un certain amour de la matière et de la géométrie pour s'éprendre d'affection pour une architecture si rude et si stigmatisée par la critique et par l’image qu’elle véhicule aujourd’hui. Il serait insensé pour un architecte de transposer une démarche de projet et une approche brutaliste de l’architecture telle qu’elle aurait été faite cinquante ans auparavant. Mais l’architecte d’aujourd’hui garde néanmoins à l’esprit la richesse de l’héritage qu’elle nous laisse. En effet, un certain nombre de notions sont ainsi réactualisées par les architectes du XXIe siècle, inconsciemment peut-être. Au même titre que le Brutalisme serait scindé en deux grands principes qui sont l’éthique des Smithson et l’esthétique de son expansion internationale, nous distinguons deux tendances à l’inspiration brutaliste au XXIe siècle : - les héritiers d’une éthique, les architectes engagés dans un retour à une authenticité en construction. - les amoureux de la matière, héritiers de l’esthétique du béton brut. Rares sont ceux qui arrivent à combiner ces deux tendances. Ceux là se risqueraient à embrasser le qualificatif très péjoratif de « brutalistes », si redouté par les architectes. Ce terme est aujourd’hui souvent utilisé et manipulé par des personnes qui n’en connaissent pas le sens réel et qui résument vulgairement le Brutalisme à l’emploi du béton brut, voire aux grands ensembles de banlieues, entretenant ainsi la connotation violente et la mauvaise réputation du mot. Quels sont donc ceux qui réintroduisent le

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Brutalisme dans l’architecture ? Comment parviennent-ils à pérenniser et à réexploiter son héritage ? Parmi ceux qui s’empare à nouveau de la question de l’éthique, citons Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal. Ces deux architectes Français, qui dès le début de leur carrière, ont su prendre position sur ce que doit apporter l'architecture à la société contemporaine1. L’une de leur première commande, une maison individuelle dans un tissu pavillonnaire à Floirac, en périphérie de Bordeaux, emprunte l'un des terrains les plus accidentés de l'architecture d'aujourd'hui: celui qu'Anne Lacaton appelle le « logement minimum »2. En effet, ce projet de maison individuelle est loin d’être un projet pour gros budget, elle est la commande d’un couple d’employés aux revenus modestes, dans une commune de la banlieue Bordelaise [Fig12-13]. Les architectes s'affairent ici à réquisitionner le mythe du pavillon de banlieue. Comment s'implanter dans un tissu de maison non mitoyenne avec jardin sans dépersonnaliser l'architecture et la reléguer au rang du standard ? Comment faire un projet singulier avec une enveloppe budgétaire minime ? Pour répondre à ces problématiques, il semble qu’Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal questionnent quelque part la pensée Brutaliste au sens éthique. Dans cette maison, qui va devenir une trame sur laquelle les deux architectes vont se baser pour leurs projets suivants dans une impressionnante cohérence et continuité, ces derniers mettent en pratique la technique suivante : doubler l’espace par un « extra-espace » hors programme. Le but de cet ajout est de

1 2

2G Libros Books, Lacaton & Vassal, English - Spanish, Editorial Gustavo Gili, Barcelona, 2007. Conférence d’Anne Lacaton, Ecole d'Architecture de Nancy, 12 octobre 2011.

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procurer à l’usage un certain confort par la mise à disposition d’un nouveau lieu, non soumis par l’usage et que celui-ci peut s’approprier librement. Ce dispositif n’est effectivement possible qu’en diminuant le coût de construction par deux, ce qu’Anne Lacaton et Jean-Phillippe Vassal font en mettant en œuvre une architecture simple avec des matériaux à bas prix, modifiant considérablement l’image de l’espace produit au profit de sa grandeur et son confort spatial1. On peut alors assimiler cette démarche à la recherche de démesure des espaces produits par l’architecture brutaliste, mais de manière ici à nourrir le bâtiment d’une richesse qui lui permet d’améliorer son confort. En effet les espaces excédentaires produits sont en fait un second intérieur non chauffé, inclus dans une double peau qui permet à l’enveloppe chauffée qui y est enserrée d’éviter de trop grandes variations thermiques. On constate ainsi que Lacaton & Vassal réussissent ici à détourner ce qui pouvait faire la faiblesse de l’architecture brutaliste et en font une force pour leurs bâtiments. Selon les critiques et théoriciens de l’architecture Andreas & Ilka Ruby, ce dispositif est mis en place

de

la

manière

systématiquement

un

suivante : mode

de

Lacaton

&

construction

Vassal

emploient

étranger

à

celui

2

traditionnellement prévu pour le programme . Ainsi l’école d’Architecture de Nantes adopte un mode construction de parking aérien, tandis que la Maison Latapie à Floirac est construite, elle, selon des principes industriels de

petit

hangar

ou

serre

agricole,

ceci

permettant

de

réduire

considérablement le coût de construction et modifie volontairement l’aspect final de l’architecture. Ce détournement incessant de la relation entre

1 2

2G Libros Books, Lacaton & Vassal, English - Spanish, Editorial Gustavo Gili, Barcelona, 2007. Ibid.

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l’image et la fonction des objets est comparé par Andreas & Ilka Ruby à la théorie de la « distanciation »1 dans la dramaturgie du metteur en scène, dramaturge et critique Allemand Bertol Brecht, un procédé visant à perturber la perception linéaire passive du spectateur et à rompre le pacte tacite de croyance en ce qu’il voit. Ainsi, à l’image de la distanciation qui amène le spectateur à prendre ses distances par rapport à la réalité et à l’image et aux représentations qu’il s’en fait, Lacaton & Vassal provoquent également la distanciation par ce détournement de l’image plastique impliquée par la fonction d’un bâtiment. Cette manipulation de l’image rappelle ainsi celle qui caractérise l’architecture brutaliste dans la recherche constante d’une mémorabilité du bâtiment en tant qu’image. Mais l’élément majeur qui nuance l’affiliation de Lacaton & Vassal au Brutalisme au sens esthétique du terme est que les architectes considèrent que la forme n’est pas une des problématiques de leur architecture. La forme de leurs bâtiment n’est souvent pas issue d’un dessin prédéterminé, mais se profile au contraire à l’aide des contraintes de construction du programme et du site. Andreas & Ilka Ruby expliquent : « La forme est pour eux une chose qui se produit d’elle-même, ce n’est ni une sculpture, ni une manière. (…) Ils préfèrent dessiner de l’intérieur vers l’extérieur, en plaçant le programme de telle manière à ce qu’il se transforme en espace de l’intérieur jusqu’à, rencontrer les frontières de l’ensemble bâti. Par conséquent la forme externe du bâtiment est le plus souvent une résultante de ses contraintes. »2

1 2

En Allemand, Verfrendung 2G Libros Books, Lacaton & Vassal, Barcelona, 2007, English - Spanish, Editorial Gustavo Gili

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Cet anti-formalisme rappelle indéniablement celui du projet des Smithson pour l’université de Sheffield. La comparaison de l’anti-formalisme de Lacaton & Vassal avec celui qui caractérise l’architecture du New-Brutalism d’Alison & Peter Smithson permet donc de confirmer que leur travail se rapproche du Brutalisme au sens éthique du terme. Un autre exemple qu’il est intéressant de révéler est celui de l’architecte Japonais Tadao Ando dont les œuvres sont très souvent assimilées à de l’architecture brutaliste mais qui se nourrit également d’autres concepts. Tadao Ando est né en 1941 et s’est formé à l’architecture de manière autodidacte, Son amour du béton - son matériau de prédilection - lui vient sans doute de l’admiration qu’il porte, dès sa jeunesse, à Le Corbusier. Le fruit de cette admiration pour l’architecte dont le rôle dans la naissance du mouvement brutaliste fut majeur, résulte dans le travail d’Ando, en une intelligence de la lumière et des formes qui font de son oeuvre, une architecture résolument plastique et sculpturale qui rappelle l’esthétique brutaliste [Fig14]. Néanmoins, la quasi totalité des œuvres d’Ando sont construites dans un béton coulé sur place avec soin dans des banches de type industriel. Il privilégie le béton dans son architecture, car, comme la plupart de ses confrères Japonais, il se souvient de l’incendie qui fut provoqué par le tremblement de terre de Kanto en 1923, et qui causa l’incendie d’environ 447000 habitations en bois à Tokyo. Tadao Ando ne coffre jamais ses bétons dans du bois car il affectionne la trame générée par les orifices des tiges d’ancrage de banche. Cette mise en œuvre génère malgré tout un aspect brut et monumental des parois de béton de ses projets qui les libère de tout

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maquillage polluant la lecture de ses espaces1. Mais ceci ne constitue pas l’unique ressemblance que l’on peut noter entre l’architecture de Tadao Ando et celle des brutalistes. Le critique d’architecture William Curtis rapporte en effet dans l’ouvrage qu’il écrit à propos de l’architecte, la grande préoccupation que celui-ci cultive dans ses projets à l’égard de la topographie, au même titre qu’Alison & Peter Smithson dans les années 1950. « Très tôt, Ando a été profondément concerné par la topographie (…) Ando commença à imaginer les édifices comme une topographie construite. La première phase du Rokko housing [Fig15] en est un exemple avec ses formes en escalier, ses multiples plates-formes et terrasses, sa tentative de créer un espace pédestre de la forme d’une rue. »2 Mais la tendance à qualifier Ando de brutaliste ne peut pas se justifier uniquement par son intérêt pour la topographie et la récurrence de l’emploi du béton dans son œuvre. On peut se permettre d’affirmer que faire cet amalgame, serait réduire d’une part le Brutalisme à la seule esthétique du béton brut, et d’autre part, réduire Ando à un architecte de surfaces. En effet le travail de l’architecte est parfois nourri d’une telle transversalité de savoirs qu’il n’est pas prudent de le catégoriser dans un style ou une tendance. Souvent préoccupé par la tradition Japonaise, et en particulier en ce qui concerne l’habitat, certains spécialistes parlent de « régionalisme critique » tandis que d’autres qualifient son œuvre de résolument moderne, voir post moderne. En effet, Ando se détache du Brutalisme par ses considérations pour la nature et le paysage, qui nourrissent chacun de ses

Yoshio Futagawa, GA Document extra 01, Tadao Ando, ADA Edita, Tokyo 1995. William Curtis, Between Architecture and Landscape, Global Architecture, n°16, Tadao Ando vol.3 1994-2000, A.D.A Edita, Tokyo, 2000 1 2

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projets. Sa réflexion se détache rarement du site où il s’inscrit alors que l’architecture brutaliste des années 1960 et 1970, elle, est souvent une architecture autonome, égocentrique et majestueuse. Son vocabulaire formel inclut également une figure très peu utilisée par les brutalistes, celle de l’espace elliptique [Fig16]. Résolument post-moderne, ce type de forme ne correspond pas vraiment à l’espace très anguleux et même souvent orthonormé qui caractérise l’architecture brutaliste. Enfin, l’explication que donne Ando sur son usage constant du béton brut se révèle très singulière. Elle ne correspond à rien d’autre que la philosophie de l’architecte et sa conception très spirituelle de l’espace : « La maison protège le corps, qui a sont tour contient l'esprit. Elle doit apporter une sécurité et un réconfort à la fois au corps et à l'esprit. Tout comme le corps doit se sentir à l'aise avec l'esprit à l'intérieur de soi, un édifice doit nous procurer du confort, c'est à dire de la protection, et aussi nous offrir des lieux de réflexion et de méditation. »1 L’éthique est donc au cœur de la réflexion d’Ando, et même sans réelle analogie avec celle des Smithson, il est néanmoins intéressant de constater que celle ci mène à un espace architectural fabriqué grâce à un emploi manifeste du béton brut, ce qui fait sans doute de l’architecte Japonais un « brutaliste autre ». Mais les architectes qui arrivent à retrouver le sens de l’éthique des Smithson dans leur conception de l’architecture sont néanmoins des cas isolés. Rechercher une éthique qui prône l’épuration de l’architecture

1

Tadao Ando, Du béton et d'autres secrets de l'architecture, L'arche, 2007

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conduit à se rapprocher de la ligne de conduite des architectes Anglais mais dans des considérations qui correspondent plus au contexte contemporain, que ce soit dans un souci d’économie et de retour à une certaine authenticité de l’espace et de la lumière pour Anne Lacaton et Jean Phillippe Vassal, ou encore une approche philosophique de l’architecture, mettant l’homme au centre d’un dispositif propice à la méditation et à l’expérience pure d’un corps dans un espace brut, mêlant tradition et modernité, chez Tadao Ando. Nombreux sont ceux qui, en revanche, empruntent encore aujourd’hui non pas à l’éthique et à la philosophie, mais au vocabulaire formel et à l’esthétique du Brutalisme. L’emploi du béton brut coffré bois revient peu à peu au gout du jour, non seulement pour la facilité de sa mise en œuvre, la liberté d’expression plastique qu’il permet, mais aussi pour l’aspect organique de la texture que le coffrage bois confère aux parois [Fig17]. L’image extrêmement artificielle de la fossilisation d’un élément végétal dans une paroi minérale paraît moins violente et que les surfaces produites par des banches industrielles. Mais comme nous l’avons évoqué précédemment, le temps et la pénibilité de la mise en œuvre d’un coffrage bois est aujourd’hui difficilement envisageable pour un chantier de grande échelle. Ainsi, on constate qu’il existe aujourd’hui, et de manière très répandue, une architecture en béton coffré bois. Mais cette architecture ne dépasse que très rarement l’échelle de l’habitat, du domestique. Elle correspond très souvent à l’échelle de la maison ou du petit immeuble du fait de ce caractère exceptionnel de la mise en œuvre du coffrage bois. Ainsi on retrouve cette architecture à travers un nombre considérable de réalisations du genre, et dont les publications ne manquent pas. Un échantillon relevé sur les quinze

68


dernières

pages

d’un

célèbre

blog

d’architecture

1

qui

publie

quotidiennement des projets en ligne nous le prouve. Ainsi, sur 230 projets explorés, nous en relevons trois2 [Fig18-19-20] qui mettent en œuvre de manière cohérente et à travers l’ensemble de sa structure, du béton brut coffré bois. Il s’avère également que sur les trois projets sondés, le premier est une maison de ville de 436 mètres carrés, le second est une villa de 950 mètres carrés, et le dernier un petit immeuble urbain de 1400 mètres carrés comprenant quatre appartements. Si on analyse la localisation de chacun de ces projets, on remarque que la totalité d’entre eux sont construits dans des pays où le climat est très doux (Lisbonne, Portugal) voir même tropical (Mexique et Chili). Ces localisations sont déterminantes pour les projets car le facteur thermique lié à l’isolation de la structure est beaucoup moins problématique dans des pays où la température est clémente toute l’année. Ceci implique donc la possibilité d’une architecture brute sans l’ingénierie thermique qu’elle nécessiterait dans des pays subissant des hivers froids. Cette recherche pourrait donc éventuellement nous amener à conclure que l’architecture d’esthétique brutaliste qui subsiste aujourd’hui serait celle du programme d’habitat aisé dans des régions tempérées voir tropicales, mais il n’en est pas ainsi. En effet, ce qui caractérise l’esthétique brutaliste, c’est avant tout comme nous l’avons vu précédemment, son côté héroïque. L’architecture brutaliste est quasiment sculpturale, à l’image d’un monument. Ce qui manque à l’architecture d’une villa ou d’une simple maison de ville, c’est ce coté majestueux, monumental, et donc « héroïque », et qui faisait l’identité de l’architecture

www.archdaily.com ARX Portugal Arquitectos, House in Lisbon, 2013 ; BAK Architects, Villa Gesel, Buenos Aires, 2009 ; FRB Arquitectura, Hegel 516, Polanco, Mexico 2013. 1 2

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brutaliste des années 1960 et 1970. Une architecture d’une si petite échelle n’a pas la capacité d’être « héroïque ». Elle n’a pas la capacité de modifier le paysage urbain à grande échelle tel un bâtiment brutaliste d’époque, elle remplit difficilement la condition de mémorabilité en tant qu’image qui est l’une des caractéristiques majeures du Brutalisme. Ainsi, si l’on considère que l’architecture brutaliste doit à juste titre combiner cette échelle monumentale à l’emploi très strictement restreint du béton coffré bois, il est alors très difficile d’illustrer d’une éventuelle renaissance contemporaine du mouvement par une œuvre construite qui puisse rassembler ces conditions. Il est ainsi très difficile de faire une liste exhaustive des architectes qui, cinquante ans après l’apogée du mouvement brutaliste, arrivent à réquisitionner le mode de pensée des architectes qui y participèrent et de le réintroduire dans la réflexion qui est celle de l’architecte du XXIe siècle. La question est aussi complexe que le mouvement en lui-même est initialement compliqué à décrire. Il en demeure néanmoins que les expériences menées sur l’architecture brutaliste des années 1950 à 1970 laissent aux architectes contemporains un héritage certes controversé, mais d’une richesse et d’une liberté d’expression incroyable. Celui-ci témoigne évidemment d’une époque où la recherche du progrès s’illustrait en grande partie par l’architecture, ce qui explique le pourquoi d’une production si entreprenante et sans limites. Il incombe donc aujourd’hui à l’architecte de tenter de retrouver cet élan de liberté dans la construction pour faire de l’architecture de notre siècle, une architecture faite d’expérimentations et de situations inédites.

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Fig 2 : Façade du bâtiment Orange County Government Center, Paul Rudolph, 1971. Photographie : Chris Mottalini.

Fig 1 : A gauche : Coupe légendée d’un projet de Marcel Breuer tel qu’il était construit en 1958. A droite : Coupe légendée du même bâtiment si il avait été construit en 2013.

Fig 3 : Schéma illustrant les transferts thermiques dans une liaison entre un plancher et un mur non isolés. Image : publications.eti-construction.fr

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Fig 4 : Relevé de caméra thermique qui montre la perte de chaleur due aux ponts thermiques au niveau des planchers et des baies dans le cas d’une isolation par l’intérieur. Photographie : FLIR Systems


Fig 5 : Sergison Bates architects, Urban housing, Finsbury Park, London, 2008. Photographie Sergison Bates architects.

Fig 6 : Sergison Bates architects, Plan de détail du projet d’urban housing, Finsbury Park, London, 2008. Image : Sergison Bates architects. Fig 7 : Paul Rudolph, Yale University Art and Architecture Building, 1964. Section Perspective illustrant le principe de «Free section» de l’architecte. Image : Paul Rudolph Foundation. Fig 8 : Paul Rudolph, Yale University Art and Architecture Building après l’incendie de 1969. Photographies : New-York Times.

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Fig 9 : Dynamitage de l’ensemble de logements collectifs de Pruitt-Igoe, à St Louis dans le Missouri construit dans les années 1950 par Minoru Yamasaki. Photographie issue de l’ouvrage de Charles Jencks, Le langage de l’architecture post-moderne, De Noël, Paris, 4e éd, 1985.

Fig 10 : Michael Graves, Siège de la compagnie disney, Burbank, CA, Etats-Unis, 1986-199. Photographie : Michael Graves & associates.

Fig 11 : Violences urbaines en france dans les grands ensembles en 2005. Les déviances de l’architecture moderne sont dénoncées comme parmi les responsables de l’échec social des banlieues. Photographie : Agence Française de la presse.

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Fig 12 : Lacaton & Vassal, Faรงade de la maison Latapie, Floirac, France, 1993. Photograhie Philippe Ruault. Fig 14 : Tadao Ando, Church of the light, Osaka, Japon, 1989. Photographie Patrick Eischen.

Fig 15 : Tadao Ando, Rokko Housing I, Kobe, Hyogo, Japan, 1983. Photographie : deSingel International Arts Campus.

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Fig 13 : Lacaton & Vassal, Maison Latapie, Floirac, France, 1993. Photograhie Philippe Ruault.


Fig 17 : Texture du bĂŠton coffrĂŠ bois du Royal National Theater of london, Denys Lasdun, 1976. Photographie : Boris sauboy.

Fig 16 : Tadao Ando, Awaji Yumebutai, Awaji Island, Japon, 2000. Photographie : Ken Conley. Fig 19 : ARX Portugal Arquitectos, House in Lisboa, Lisboa, Portugal, 2013. Photographie : Kika Studio.

Fig 18 : BAK Architectes, Villa Gesel, Provincia de Buenos Aires, Argentina, 2009. Photographie : Guillerme Morelli.

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Fig 21 : Diagramme analysant la répartition dans le temps des oeuvres publiées dans le blog de photographies d’architecture butaliste «Fuckyeahbrutalism». Image : Michael Abrahamson, Brutalism, Clog, 2013.

Fig 20 : FRB Arquitectura, Hegel 516, Polanco, Mexico, 2013. Photographie : Fernando Guerra.

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Après cinquante ans d’usage, l’œuvre brutaliste internationale dont nous héritons témoigne d’un délabrement et d’une obsolescence plus ou moins problématique selon les cas et pose la question récurrente de son devenir. En effet, que faire de ces bâtiments qui, pour la plupart, ont marqué l’histoire ? Faut-il détruire ces « mastodontes » de béton qui, pour la majorité d’entre eux, sont de véritables clés de réflexion sur l’architecture d’après-guerre ?

Ou

faut

il

au

contraire

dépenser

des

sommes

gigantesques dans des chantiers de restauration colossaux pour tenter d’en assurer la pérennité et leur donner une seconde vie ? Pour la plupart des cas la remise en cause de l’intérêt d’exister de cette architecture relance des débats enterrés depuis des décennies. La critique se déchaine, les détracteurs tirent à vue sur les murs de béton déjà meurtris par les rouages du temps et les associations de défense martèle les décideurs à coup de pétitions et de projets de réhabilitation. Qui du gouvernement capitaliste adepte de la tabula rasa de tout ce qui lui coûte trop d’argent et ne génère pas de profit, ou des défenseurs de l’importance du témoignage de cette architecture radicale du XXe siècle réussit à faire valoir son opinion ? Par quels moyens peut on justifier du maintien en vie d’un bâtiment brutaliste ? Nous allons explorer deux cas d’étude dont les issues sont différentes, mais de quelque manière que ce soit, une architecture qui fait couler de l’encre, n’est elle pas une architecture forte ?

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La question de l’héritage : La démolition du Prentice women hospital de Chicago Le

premier

cas

d’étude

dont

nous

parlerons

illustre

malheureusement le destin de la plupart des édifices brutalistes. Depuis les années 50 et le changement radical de l’orientation du monde occidental vers une société de consommation de moins en moins économe et de plus en plus en recherche de nouveauté et de technologie, de plus en plus d’objet ont une fin programmée. L’architecture n’échappe pas à cela. Bien que plus durable qu’un objet à plus petite échelle, une structure en béton armé se dégrade. Le ciment devient poreux, les fers s’oxydent et se dilatent, faisant écailler lentement les parois [Fig1]. Le vieillissement physique n’est pas le seul souci. Les usages sont également victimes du temps qui passe. On ne pratique pas l’architecture aujourd’hui comme on le faisait dans les années soixante, et les normes d’accessibilité et de sécurité se multiplient de manière exponentielle. Se pose également la question qui est abordée dans la partie précédente et qui est au cœur des préoccupations : celle de l’économie d’énergie et plus généralement du confort de ces bâtiments. Tout ceci fait que, additionné au peu d’indulgence du grand public à l’égard du béton vieillissant et sale, les propriétaires et gestionnaires de ces murs, même si ils y portent un minimum d’affection, ont tendance à se résigner à en faire table rase pour investir dans des constructions neuves. Ce genre de situation conduit bien souvent à la décision irréversible de la destruction, soit parce que le sort des bâtiments est scellé avant même que ses défenseurs obtiennent sa classification dans un registre d’intérêt historique, soit tout simplement parce que les

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intérêts financiers pèsent plus lourd que la mémoire d’un lieu, d’une architecture, d’un mode de pensée. Le bâtiment du Prentice women's hospital Building à Chicago, construit de 1972 à 1975 par l’architecte Bertrand Goldberg en est l’illustration évidente. Désaffecté depuis 2011, la tour de 9 étages sur son piédestal parallélépipédique était à l’époque de sa livraison en 1975, avait fait l’objet d’une étude poussée [Fig2-3-4] pour devenir une maternité d’un nouveau genre, révolutionnant les usages autour du moment sacré de la naissance. Le noyau central structurel du plan d’étage courant de la tour devait recevoir les infirmières et sages femmes, et dans les quatre ramifications périphériques venaient se loger les chambres, le tout conçu dans un souci de proximité immédiate des patientes avec le personnel médical [Fig5-6-7]. Mis à part la forme de sa structure innovante, qui est d’ailleurs l’unique exemple de ce genre à travers le monde selon l’ingénieur William F. Baker, elle entra dans l’histoire comme étant la première structure de ce type et de cette échelle à être conçue entièrement par ordinateur, à partir d’un logiciel de 3d issu de l’aéronautique [Fig8]. Son chantier fut le théâtre de prouesses techniques : les étages ont été coulés du sommet jusqu’à la base des quatre voutes, suspendus au noyau central de la structure tel un arbre [Fig9]. Il s’avère que dès sa désaffectation en 2011, l’université de Northwestern qui en est l’actuelle propriétaire projette clairement de démolir l’ensemble. La raison pour laquelle l’immeuble va être entièrement rasé, n’est argumentée que par le fait que la libération de la parcelle sur laquelle

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sied le bâtiment de Bertrand Goldberg est nécessaire à la construction d’un nouveau centre de recherches sur les maladies du cœur en lieu et place de ce dernier alors que selon les défenseurs du Prentice women hospital, l’université de Northwestern dispose d’un terrain tout aussi spacieux de l’autre coté de la rue, et disposant même d’une possibilité de connexion avec les bâtiments existants de l’université. Un débat mêlant les préservationnistes du bâtiment aux partisans de la wrecking ball1 s’engage alors. Selon Alan Cubbage, vice président des relations universitaires de Northwestern. Il est physiquement impossible de faire de la recherche dans un bâtiment conçu quarante ans auparavant comme étant une maternité, avançant l’argument que rien ne devrait se mettre ainsi en travers du chemin de l’avancée de la recherche et du progrès médical. Ce n’est pas selon lui, au nom d’une architecture dont la valeur de chef d’oeuvre est discutable, que la recherche scientifique doit reculer. Pour Paul Goldberg, critique d’architecture et fervent défenseur du bâtiment, c’est un affront de dire que le fait de vouloir défendre le maintien du Prentice women hospital est un obstacle à la recherche et au progrès. Un argument bouclier que Cubbage agite face à une opinion publique naïve et naturellement sensible à ce genre de cause. Paul Goldberg dit à propos du bâtiment : « Ce n’est pas un bel édifice dans le sens traditionnel de la beauté, mais il est excitant, inventif, imaginatif, créatif et important. »2 En 2012, un groupe de soixante grands architectes dont six détenteurs du prix Pritzker (Jacques Herzog & Pierre De Meuron, Tadao

1 2

Littéralement, la boule qui oscille et qui sert d’engin de démolition pour les édifices. Nathan Eddy, The absent Column, Movie, 2013

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Ando, Eduardo Souto De Moura, Robert Venturi et Franck Gehry) se réunissent pour tenter de sauver le bâtiment et écrivent une lettre solennelle au maire qui néanmoins ne prend pas position. Ils déposent également un dossier1 auprès de la Landmark commission, l’organe de classement des monuments d’intérêt historique de l’état de l’Illinois. Selon eux, « L’héritage du Prentice women hospital de Bertrand Goldberg est considérable.

Il

s’impose

comme

un

témoignage

de

l’innovation

architecturale de l’école de Chicago qui font de cette ville une cité à part. La réputation de Chicago comme ressource d’une si audacieuse et innovante architecture pourrait être remis en cause si la ville ne se donne pas la peine de préserver ses pièces majeures. En tant que membres de la communauté architecturale, nous sommes convaincus que doit être laissée une place permanente dans le paysage urbain de Chicago pour le Prentice women hospital de Goldberg. Un bâtiment aussi signifiant, aussi inédit dans le monde, doit être préservé et réutilisé. »2 Mais malgré toutes ces injonctions et de maintes tentatives de réunion et de négociations de la part de cet influent groupe de défense, et même les propositions cohérentes de projets de rénovation d’une qualité spatiale intéressante [Fig10], l’université démontre avec froideur sa volonté de ne pas vouloir chercher d’autres alternatives que la démolition pure et simple du bâtiment. Elle fait même pression sur les jeunes diplômés en leur suggérant d’appuyer leur soutien à la libération de la parcelle dans leur propre intérêt3. Le 1er novembre 2012, la Illinois Landmark commission

Chicago Tribune, "Prentice will get its hearing at the Landmarks Commission", 6 septembre 2012 Lettre de la coalition de défense de Prentice à Mr le maire de Chicago, extrait, 30 Août 2012. 3 Chicago Tribune, « Debate over Chicago’s Prentice hospital heats up », 4 septembre 2012 1 2

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rejette la proposition de classement du bâtiment1, et le 18 mars 2013, le permis de démolir est validé par la municipalité2 et les travaux débutent sans tarder, scellant le sort de l’œuvre de Goldberg [Fig11]. L’histoire se révèle cruelle à l’égard d’une cause certes défendable, mais la force des choses révèle que l’architecture Brutaliste est très largement détestée en dehors du cercle très fermé et très élitiste des architectes, et que même si l’innovation dont elle témoigne et la viabilité de sa reconversion est indiscutable, il lui reste néanmoins à démontrer que son image marquante et anti-esthétique au sens traditionnel du terme ne sera pas un lourd fardeau que le paysage urbain acceptera de porter cinquante ans de plus.

La question de l’héritage : La réhabilitation du Centre national de la danse à Pantin Dans le même registre de la question récurrente du devenir de l’architecture brutaliste dans le paysage contemporain nous parlerons à présent d’un bâtiment dont le destin a réussi à échapper aux bulldozers. Le Centre national de la danse, à Pantin, en région Parisienne, anciennement Centre administratif construite par Jacques Kalisz en 1972 et réhabilité par les architectes Antoinette Robain et Claire Guieysse en 2004[Fig12].

1

Skyline, « Prentice denied landmark status », 2 novembre 2012 Chicago Tribune, « Northwestern gains permit to raze old Prentice hospital », 30 Mars 2013.

2

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Pantin est une commune de la région Parisienne qui s’est largement développée dans l’ère industrielle de la fin du XIXe siècle grâce au chemin de fer et au canal de L’Ourcq qui lui assurait un lien direct avec Paris. Le commerce et l’industrie en lien avec la capitale se développent alors jusqu’à la guerre. Aux lendemains du conflit, dans les années 1960, Pantin est une municipalité communiste. Le Maire PCF Jean Lolive est à l’époque confronté à des problèmes de centralité et de cohérence des équipements municipaux dans la commune. Jacques Kalisz est alors un étudiant en architecture d’une quarantaine d’années étudiant à l’Ecole des Beaux Arts de Paris où il suit l’enseignement entre autres d’André Wogenscky. Animé par des idées résolument Marxistes. Le maire Jean Lolive fait à l’époque la rencontre de Michel Steinebach, un étudiant à l’institut d’urbanisme de Paris et militant au parti communiste Pantinois qu’il nomme dès son élection, délégué à l’urbanisme dans sa municipalité. Jacques Kalisz fait rapidement la rencontre de ce dernier auquel il présente Jean Perrotet, un de ses anciens camarades des Beaux Arts, qui était lui, déjà diplômé. Les trois hommes se lient d’amitié et Jacques Kalisz étant lui aussi impliqué dans la vie politique en tant que militant à l’union des étudiants communistes ainsi qu’au PCF, ils projettent alors de travailler ensemble sur le projet de développement urbain de la commune de Pantin1. Le projet du Centre Administratif est déjà une idée ancienne qui date de 1938 et la municipalité socialiste d’Henri Labeyrie qui édite déjà une esquisse de projet 2 [Fig13]. Lorsque Jean

Benoit Pouvreau, Archives Patrimoines, Parcours d’Architecture n°10, L’AUA à Pantin, une architecture militante, Janvier 2006. 2 Ibid 1

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Lolive demande en 1962 à Jacques Kalisz de plancher sur un projet de Centre Administratif, le projet s’inscrit dans une volonté ancienne de la commune de recréer une centralité forte entre la mairie et le canal de l’Ourcq, dans un territoire très largement découpé par les infrastructures qui paradoxalement, la relient à Paris, ainsi que les parcelles industrielles imperméables. Jacques Kalisz qui n’est alors toujours pas diplômé car il n’est que très peu présent à l’école à cause de son implication dans l’AUA et l’agence de Genuys, accepte, et se sert de la signature de Jean Perrotet, alors architecte diplômé, pour faire valider le permis. Avant même le début des travaux, le bâtiment est publié dans une exposition1 aux côtés des travaux d’Architecture Principe de Paul Virilio & Claude Parent à l’époque où ces derniers travaillent sur un autre projet d’architecture brutaliste : l’église Ste Bernadette du Banlay. Le projet du centre Administratif porte résolument le symbole d’une utopie Marxiste. Une cité dans la cité pour tous, dans le but de vivre ensemble. Pour Jacques Kalisz, l’approche brutaliste est un moyen efficace de contester l’apparence bourgeoise des immeubles publics de l’époque, souvent construits au XVIIIe siècle. L’architecte dit vouloir « retrouver un caractère monumental débarrassé de son aspect académique » 2 . Le bâtiment est un mastodonte de béton de plus de 20 000 mètres carrés rassemblant dans une incroyable densité, la totalité des fonctions que la municipalité voulait regrouper: Les services municipaux, un commissariat, son chenil et son parking, la compagnie des eaux, les bureaux de la

1 2

Exposition Architecture Française de recherche, Union centrale des Arts Décoratifs, Paris, 1965 Stan Neuman & Richard Copans, Architectures, Le Centre National de la Danse de Pantin, 2011

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sécurité sociale, ceux des syndicats, le centre du trésor public, le tribunal d’instance du département, la bourse du travail, la médecine du travail, les archives municipales, une morgue et enfin un restaurant du personnel. Le bâtiment n’est pas brutaliste qu’au sens esthétique du terme. La manifeste démesure des espaces proposés, la monumentalité de la sculpture escalier-rampe centrale qui se développe dans un atrium de cinq étages [Fig14-15] et dont la majestuosité est inappropriée à la vocation très solennelle de la fonction initiale du projet, en font véritablement une architecture héroïque par excellence. La structure en voile de béton d’une grande uniformité accueille en son sein l’ensemble des différentes fonctions que le programme nécessite. La lecture de la façade, à l’image de celle d’un bâtiment brutaliste, traduit assez aisément ce qui se trouve à l’intérieur. Les espaces s’exposent en saillie sur la façade par des boites en porte à faux que Jacques Kalisz nomme des totems [Fig16]. La découpe du béton qui constitue leurs ouvertures rappelle en effet des figures aztèques, dans un grand soin de composition géométrique que seul l’emploi du béton brut peut retranscrire de manière aussi efficace. Le granulage du béton et les motifs qui sont obtenus grâce à la richesse de l’emploi des matériaux de coffrage font l’objet de longues recherches en laboratoire. Le bâtiment du centre administratif porte également les marques de l’idéologie et de la lutte communiste. En témoigne l’escalier saillant de la façade coté Mairie, qui sert ostensiblement de tribune aux militants pour d’opportuns discours sur la place publique. C’est au terme de dix années de travail que le projet est enfin construit et livré en 1973. Mais vingt ans après sa construction, les services désertent

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un à un le centre jusqu’en 1998 où il est complètement abandonné. Les Pantinois à l’époque, souhaitent à l’unanimité sa destruction et c’est la Mairie qui sauve le bâtiment en le revendant pour un Franc symbolique au ministère de la culture qui cherchait un lieu pour installer le futur Centre National de la danse. L’édifice va alors bénéficier de cette réhabilitation en une structure qui ne sera plus le lieu de la rigueur d’un commissariat, d’une agence pour l’emploi ou d’un centre d’archives, mais en un lieu de spectacle et de représentation. Un programme plus en adéquation avec une architecture d’esthétique brutaliste qui a le potentiel d’être une excellente matrice de cette image. « Réhabiliter, c’est mettre un terme aux critiques, au mépris et reconnaître la valeur d’un objet après une période de discrédit ou d’oubli. »1 Lorsque Antoinette Robain et Claire Guieysse se lancent dans le projet de réhabilitation du centre administratif, elles se trouvent déjà face à un bâtiment très présent au niveau de son image et de son identité à travers les représentations, leur but étant de faire changer les idées que les Pantinois ont de cette architecture qui représente pour eux l’échec d‘un idéal social obsolète, en l’image d’un bâtiment culturel et ludique qui va redonner vie au centre ville de Pantin. La première préoccupation des architectes a été la rénovation des bétons de façade, très abîmés par le temps. Il a fallu retrouver le grain et la teinte du béton que Kalisz avait choisi quarante ans auparavant pour combler les fissures provoquées par l’oxydation des fers tout en s’assurant que la surface garde une continuité

1

Stan Neuman & Richard Copans, Architectures, Le Centre National de la Danse de Pantin, 2011

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parfaite. Une fois ce chantier terminé, la seconde et plus délicate mission des architectes était de penser un projet de Centre Culturel voué à la danse et au spectacle dans un réceptacle brut et difficilement malléable initialement prévu pour recevoir des fonctions toute autres. Ce qui a permis à

Robain

et

Guieysse

de

réussir

leur

pari,

c’est

l’incroyable

surdimensionnement des circulations et des volumes de ce bâtiment, au même titre que tout bâtiment brutaliste d’ailleurs (le programme du CND pourtant épais, comptabilise une SHON d’environ 8000 mètres carrés et vient s’installer dans une structure de 20 000 mètres carrés utiles). « On est dans un espace qui présente une forme de « hors d’échelle ». On ne pourrait quasiment plus faire ça aujourd’hui »1 Là où le rassemblement des entités administratives n’a pas fonctionné, le bâtiment devient le catalyseur du rassemblement des entités du Centre National de la Danse, autrefois dispersées à travers la région Parisienne. L’architecture de Kalisz, spectaculaire et à l’identité affirmée, correspond tout à fait aux attentes d’un tel programme. L’escalier-rampe, véritable tour de maitre de l’architecte souvent décrié, trouve enfin sa place en tant qu’objet de représentation dans son atrium baigné de lumière. Les nombreux accès du bâtiment prévus pour distribuer les divers services municipaux de la ville se prêtent idéalement au besoin des normes actuelles en terme de sorties de secours ainsi que dans la pluralité des entités du CND qui doivent eux aussi disposer d’accès isolés (accès du public et du personnel, salles de répétition, salle de représentation, administration, etc). Tout ceci fait que l’architecture du centre, têtue et

1

Antoinette Robain et Claire Guieysse, Conférence au Pavillon de l’Arsenal, 2 décembre 2004

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rugueuse, se prête finalement assez bien à l’installation de ce nouveau programme. Une fois le programme logé dans les murs, il reste aux architectes la question sensible du second œuvre. Robain et Guieysse ont en 2001 entre les mains un bâtiment vieux de quarante ans et complètement dépourvu d’isolation, de dispositifs de confort acoustique et des innervations techniques que l’architecture contemporaine nécessite (VMC, flux électriques) sans compter l’ingénierie que requiert l’installation de salles de danse dont les planchers doivent pouvoir absorber les vibrations d’une vingtaine de danseurs qui sautent au même instant. Il semble que les architectes aient bien saisi la genèse de la démarche de projet brutaliste car même si elles confient avoir dissimulé les innervations verticales dans un long mur cimaise situé dans l’atrium et dont nous parlerons ensuite, elles traitent les innervations horizontales, elles, en tant que véritables éléments d’architecture qui courent en ne venant jamais occulter les plafonds en caisson de béton de Kalisz. Les panneaux acoustiques qui viennent s’installer dans les studios de répétition sont également installés en retrait des caissons de plafond en ne venant jamais occulter leur présence. L’épaisseur des doubles planchers conçus par Kalisz pour le bâtiment serviront, elles, à faciliter l’installation des complexes de planchers sur ressort nécessaires aux studios de danse. Le travail consiste donc en un ensemble d’interventions douces qui ne vont jamais à l’encontre de la force et de l’image du bâtiment. Elles maintiennent la lecture initiale de cette architecture et parviennent même à l’améliorer. La seule intervention qui pourrait controverser l’affirmation d’une réhabilitation

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soucieuse d’un idéal brutaliste serait celle de l’installation sur la paroi du fond de l’atrium qui se déroule derrière le grand escalier-rampe. Robain et Guieysse ont décidé d’installer en fond de scène de cet espace brutaliste par excellence, un mur cimaise en stuc rouge, un matériau qui tranche par sa connotation noble et bourgeoise avec le béton brut de l’escalier, et dans lequel elles font passer les gaines d’innervations techniques verticales qui se répartissent ensuite dans les étages ainsi que les escaliers de secours prévues par les normes d’évacuation contemporaines [Fig17]. Mais là où ce mur pourrait venir entacher la brutalité de l’espace de l’atrium et de l’objet singulier et violent qu’est l’escalier-rampe de Kalisz, le contraste entre le stuc rouge lisse et le béton rugueux révèle en fait la force de l’espace et la dimension de l’objet. Le mur de fond est comme une seconde façade dont le contraste avec le béton se révèle un catalyseur de l’architecture brutaliste de Jacques Kalisz. La réhabilitation du CND de Pantin prouve donc de toute évidence les potentialités d’un patrimoine dont la conservation et la réutilisation sont possibles. Ce projet montre que l’image et la forte identité de l’architecture brutaliste s’adapte aisément à des programmes de type culturels. Aujourd’hui la réhabilitation du centre s’inscrit comme un véritable point d’appui du renouvellement urbain du centre de Pantin.

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L'architecture contemporaine en question : L'école d'Architecture de Nantes, Anne Lacaton & Jean Philippe Vassal Il est très difficile de retrouver aujourd'hui l'essence de la démarche de projet du Brutalisme des Smithson, puisque c'est effectivement le Brutalisme au sens éthique plus que dans la forme et l'esthétique qu'il revêt dans les années internationales 65 à 75 auquel nous allons faire ici allusion. Nous avons vu précédemment que le Brutalisme dans les années 50, émerge avant tout d'un contexte et d'une prise de position. Il n'y a effectivement pas d'architecture forte sans prise de position et d'affirmation d'une volonté. Dans l'oeuvre d 'Anne Lacaton & Jean Phillipe Vassal, et en particulier le projet pour l'école d'Architecture de Nantes, nous verrons en quoi l'histoire de la structure (L'ENSAN) et du lieu (L'ile de Nantes) [Fig18], la prise de position des architectes, ainsi que leurs intentions et la philosophie du projet, revêt manifestement les aspects éthiques et esthétiques du Brutalisme tel qu'on le définit dans les années 50. L'histoire du projet nous renvoie bien avant son concours lorsqu'à la fin des années 1990, la situation de l'école dans les anciens locaux construits en 1974 par Georges Evano et Jean-Luc Pellerin [Fig19], se révèle délicate, non pas compte tenu d'un manque de qualité des bâtiments en question, mais au vu de l'évolution des effectifs d'étudiants et du pôle administratif de l'école qui réclament plus d'espace. Dès le milieu des années 80, une réflexion s'enclenche alors pour tenter de solutionner ce problème. Plusieurs solutions sans lendemain sont proposées de 1987 à

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1995 où des événements qui vont favoriser la future implantation de l'école en ville va avoir lieu : celui du transfert du domaine de l'enseignement de l'architecture du ministère de l'équipement à celui de la culture par Alain Juppé ainsi que les évènements sociaux de la fin de l'année 1995 auxquels les étudiants de l'école de Nantes participent largement. C'est à partir de cette année que la ville de Nantes élabore un dossier sur l'éventuel transfert de l'école en ville en évoquant la possibilité de deux terrains. Un groupe d'enseignants et d'étudiants élabore alors un document réponse expliquant la cohérence du choix de l'Ile de Nantes [Fig20] (terme introduit par l'architecte D. Perrault lors de son étude menée sur ce territoire au début des années 1990) comme nouveau site pour l'école. L'accord sera donné en 1996 par Jean Marc Ayrault pour attribuer le site retenu sur l'Ile comme nouveau lieu pour l'école d'Architecture de Nantes. A l'époque, ce vaste territoire insulaire qui prenait l'allure d'une gigantesque friche porte les stigmates de l'activité portuaire déchue de la Ville de Nantes. C'est à cet endroit que l'école relèvera le défi de redynamiser le territoire à l'aide d'autres objets architecturaux tels que la Halle des « Machines de l’île » [Fig21] ou le « Lieu Unique », anciennes usines Lefèvre Utile réhabilitées en un centre d'art contemporain. C'est donc parmi les grues et les rails rouillés que l'école devra s'élever, portant l'image forte du renouveau de l'Ile. Ce n'est qu'en 1999, après une longue période chronophage de transactions financières et de recherche de subventions, que la programmatique s'engage et que la lourde et délicate tâche de définir ce que doit être la nouvelle école est entamée. Il est évident que dans le

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tumulte interne du débat entre la conception de ce que serait cette école pour les enseignants, les étudiants, les administratifs, les élus et les tiers le pilotage et l'intervention de personnes extérieures telles que Patrick Bouchain fera avancer considérablement le travail. L'apport de celui ci permet de synthétiser le programme issu du concert des différentes entités liées à l'école en deux pages A4, ce qui permettra aux candidats d'en extraire le filtrat plus facilement que s'il était noyé comme à l'habitude dans l'épaisseur d'un document illisible et excessivement long. Le programme est bien sur appuyé de cahiers d'intentions mais dont la lecture ne doit pas excéder une demi heure. La mutabilité et l'évolutivité sont donc au cœur du processus du projet lauréat de Lacaton & Vassal. La structure qui recevra l'école, faite de larges portiques de béton armé sur une trame de 10X10 se veut flexible et adaptable. Les portiques reçoivent aux hauteurs 3, 6, 9, 16, et 23 m des planchers principaux pouvant accueillir des surcharges importantes [Fig2223]. Les doubles hauteurs au dessus des deux entresols de parking laissent un interstice de 2X3 mètres libres permettant d'y inclure des fonctions plus petites et de dilater en double hauteur lorsque cela est nécessaire. La rampe extérieure qui s'élève en façade ouest permet un accès piéton et carrossable au bâtiment en plus de ses circulations intérieures, et le développement le long, d'un jeu de terrasse jusqu'à la toiture qui se veut comme un belvédère sur la ville [Fig25-26-27]. Cet espace unique est capable d'accueillir de diverses manifestations de part sa forte résistance à la charge, son accessibilité et sa surface. C'est un

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territoire à conquérir pour les étudiants au même titre que les abords du site, très riches de part sa situation en bord de Loire. A l'image d'une architecture Brutaliste, la réception de l'école d'Architecture de Nantes s'illustre par la violence que réserve la critique spécialisée à son égard. Dès la fin de la phase de concours et avant même que commencent les travaux alors que personne n'a encore pu voir et expérimenter de manière physique et par l'usage, le bâtiment, celui ci fait déjà couler beaucoup d'encre et subit de vifs affronts de la part de la critique. Un article de la critique Françoise Fromonot dont nous avons ci dessous un extrait, en illustre la violence : « Architectes, voici une recette facile, bon marché et très tendance. Pour faire une école d’architecture, empilez quelques plateaux en béton, très costauds, et surdimensionnés, et reliez-les par une large rampe automobile. Réservez. Feignez ensuite d'avoir trouvé ce bâtiment industriel sur place et aménagez-le – en école d'architecture par exemple – avec du bois, du polycarbonate... Vous aurez au préalable consulté « l'utilisateur », même si ses directives n'ont que peu d'importance, puisque, grâce à votre méthode, tout pourra toujours changer : c'est pratique (en théorie) et cela met à l'abri des critiques. Le « processus de conception » mis au point par Lacaton-Vassal pour la future école de Nantes revient donc à convertir en école un faux vrai parking aérien, construit tout exprès pour accueillir n'importe quoi d'autre. Mais alors, e serait-il pas plus simple de réhabiliter tout de suite un de ces beaux hangars qui traînent sur l'Ile de Nantes ? Ou, pour ne pas perdre du parking le look un peu trash qui fait aussi son charme, donner sa chance à

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celui du socle de la tour Bretagne, situé en plein centre ville et qui ressemble déjà au projet lauréat ? Le culte de la « flexibilité » relève-t-il (comme le déclare le directeur de l'école dans son rapport) d'une « attitude de conception très actuelle, au sens

ou

elle

se

confronte

aux

questions

contemporaines

de

l'architecture. »?Ou d'une vieille lune des sixties qui a montré quelques limites, puisque les bâtiments obsolètes que ce projet doit remplacer avaient déjà été conçus selon ces principes ? Au fait , ces fameux « besoins usagers » ne figuraient ils pas dans le programme remis aux concurrents, cosigné par l'école, donc validé par ceux-là même auxquels cette « indétermination » érigée en vertu devrait soudain permettre d'assouvir des désirs dont ils n'ont pas idée ? Pourquoi les écoles d'architecture, enclines à faire titulariser des enseignants aux « profils » plus que spécifiques, s'entichent elles d' »espaces génériques » et de « flexibilité radicale » dès qu'il s'agit des lieux où ils exerceront ? Enfin, peut-on se féliciter que l'apparence d'une institution publique censée féconder un nouveau quartier reflète le « double souci d'éviter tout effet esthétique inutile et de garantir une performance économique » ? Comme l'écrit encore le directeur ? D'ailleurs des dalles de grande portée prévues pour des charges colossales, sont elles vraiment « économiques » ? Est-ce bien raisonnable (et bien HQE) de construire une surface double de celle requise, si une moitié du double ne peut bénéficier d'éclairement naturel ? Pourquoi rendre carrossable tous les étages lorsqu'on sait les problèmes que cela pose – pollution, étanchéité, sécurité, vibrations – et de l'argent que cela coûte ? Quels bureaux, quels logements viendront jamais investir des planchers de 60 X 80 mètres ?

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La démarche de Lacaton et Vassal, jusqu'ici stimulante, ne verserait-elle pas dans une absurde caricature d'elle-même ? Et d'ailleurs, poser ces questions, n'est-ce pas déjà y répondre ? »1 Plus loin en décrivant le projet, Françoise Fromonot qualifie celui-ci de primaire au même titre que l'école d'Hunstanton ou encore la maison Sugden à Watford d'Alison & Peter Smithson dans les années 50. La proclamation de l’école de Lacaton & Vassal comme lauréate du concours conduit même un des finalistes à faire appel de la décision du jury, ce qui conduira presque à l’époque, à l’annulation du début des travaux. Bref, le projet est nourri de critiques, positives ou négatives mais c’est aussi ce qui le met au devant de la scène. Un bon projet ne saurait être reconnu si il n’est pas en capacité de marquer les esprits. L’école de Lacaton & Vassal en est une illustration incontestable. Mais nous allons à présent voir concrètement en quoi on peut voir à travers cette œuvre l’inspiration évidente de la démarche de projet du New Brutalism tel que les Smithson le conçoivent dans les années 1950. Avant toute chose, il n’est pas inutile de rappeler que ce projet est postérieur à une longue réflexion des deux architectes sur la recherche d’une richesse spatiale découlant de l’économie de moyens. Celui ci corrobore le propos que Lacaton & Vassal tiennent depuis toujours et qu’on retrouve, comme décrit précédemment, dans leurs projets d’habitat. Mais l’architecture qui résulte de ce concours pour l’Ecole d’architecture de Nantes est frappant par son parallèle permanent, non seulement avec celle de l’école d’Hunstanton, mais aussi avec les autres projets d’ensembles universitaires comme celui de Sheffield

1

Françoise Fromonot, Extension du domaine de la hutte, d’A n°130, juin/juillet 2003, p56

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ou les ensembles de logement collectifs tels que ceux de Golden Lane et Robin Hood Gardens. Les références à l’architecture de Le Corbusier après guerre sont également nombreuses. Premièrement, les architectes ont toujours pensé le projet de cette école selon trois critères majeurs qui devaient guider leur réflexion : l’évolutivité des espaces, l’optimisation économique, et l’étude d’un système constructif comme opportunité didactique. Ces trois principes plus ou moins abstraits se traduisent ensuite par l’espace. Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal pensent le bâtiment à plusieurs degrés d’intériorité. Ils prévoient tout d’abord une structure de référence, un squelette de béton brut qui ne sera à aucun endroit dissimulé et qui devra contenir des espaces servants et des espaces servis. Les espaces servis, ce sont les fonctions du programme. On retrouve ici le système de structure casier en béton de Le Corbusier à Marseille [Fig2829-30]. Mais à Nantes, le système est poussé jusqu’au bout en exagérant les deux degrés d’intériorité et en jouant de la transparence de cette structure faisant réellement transparaitre la fonction qui s’y loge. Ce mode opératoire est purement brutaliste. Il relève de la sincérité de ce que doit laisser paraître une façade en y apportant ici, le confort spatial que les usages nécessitent [Fig31]. « A Nantes, il y a un sol et une enveloppe entre lesquels est insérée une école et c’est cet emboîtement qui crée des espaces résiduels tout à fait inattendus. »1

Jean Philippe Vassal, L’école de Nantes est un manifeste, L’Architecture d’Aujourd’hui octobre/novembre 2009 1

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Christen Johansen, fille de l’architecte John M. Johansen et architecte elle même, dit lors d’une entrevue 1 à propos de l’architecture de son père [Fig32] qui est notamment un architecte qui a

largement contribué au

développement du Brutalisme : « Ses bâtiments sont lisibles selon n’importe quelle approche, du dehors au dedans. Ils ne sont pas lunatiques, leurs formes ont raison. » A Nantes, également, la forme ne trahit pas la fonction, elle en est la vitrine. Les architectes ont effectivement voulu que l’architecture de l’école lui permette de passer des messages, de comprendre très clairement ce qui se passe à l’intérieur de l’école. Les façades laissent donc transparaitre les événements spatiaux de l’intérieur et sont messagères de la présence de l’école depuis la rue. Cette ouverture et cette transversalité avec l’espace public, les architectes en font leur crédo pour ce projet. L’école se veut ouverte. Elle n’a rien à cacher. On doit pouvoir y accéder librement et avec fluidité. A la manière d’une architecture Brutaliste, l’école est interpénétrée en tout point par les circulations et l’espace public. Les accès sont magnifiés, exagérés. Le sol de la ville vient s’engouffrer sous la trame de poteaux au rez-de-chaussée. Ici c’est l’espace public qui pénètre à l’intérieur, comme le traduit la continuité de l’enrobé qui vient recouvrir le sol meuble de la rue au grand hall, sans une seule marche [Fig24]. La situation est inédite mais la manière est radicale, brute. Qui aurait voulu de l’asphalte laissée telle quelle pour un hall d’école ? N’est ce pas là encore un clin d’œil au vœu de sincérité des Smithson ?

1

Michael Abrahamson, Brutalism, Clog, 2013

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Mais ce n’est pas tout. La large rampe qui permet l’accès en extérieur aux étages et qui flanque la façade ouest du bâtiment pourrait être une illustration contemporaine des Streets in the sky

1

d’Alison & Peter

Smithson dans le projet de Robin Hood Gardens, ou encore mieux dans celui de Golden Lane, ou une passerelle-rue carrossable vient traverser et donner leurs accès aux immeubles de logements. L’idée à l’époque est de faciliter la vie en communauté et les rencontres (mais aussi faciliter les livraisons et les accès ponctuels aux véhicules) autour d’accès communs auquel on donne une dimension démesurée. A Nantes le vœu est le même. La double passerelle qui permet de circuler d’un corps de bâtiment à l’autre vient confirmer cette exacerbation visuelle des circulations. Celle-ci rappelle le système des accès des tours d’habitation d’Ernö Goldfinger à Londres où les circulations verticales sont déplacées dans un corps de bâtiment annexe, et auquel on accède par des passerelles tous les trois étages (l’accès aux étages 11, 12, 13 se faisant donc par la passerelle de l’étage 12) [Fig32-33]. L’accès aux second et troisième étages accueillant le parking ainsi qu’à la toiture qui peut recevoir de lourdes installations implique cette « rue en l’air » mais sa fonction première est permettre une nouvelle manière d’accéder au bâtiment et de faire de ce lieu de passage un lieu capable d’absorber divers usages (skateboard, jeux, performances, pique-nique, rencontres, etc). « Le jour où nous avons placé la rampe dehors, le projet est devenu très clair parce que sont statut a changé. Elle devenait une rue comme celles qui irriguent un village ou une ville escarpée. »2

Reyner Banham, The New Brutalism, ethic or aesthetic. Architectural Press, 1966. Jean Philippe Vassal, L’école de Nantes est un manifeste, L’Architecture d’Aujourd’hui, octobre/novembre 2009 1 2

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Cette grande passerelle vient donc relier les plateaux principaux de la structure tous les trois mètres, et qui se divisent ensuite en demi niveaux. Autre aspect évident du rapprochement de la pensée des architectes au raisonnement des brutalistes concernant cette rampe et le système de circulations qui est généré autour, c’est qu’au même titre que leurs prédécesseurs, Lacaton & Vassal raisonnent non pas par la géométrie mais par la topographie. Dans son article de 1955 concernant le NewBrutalism, Reyner Banham en parlant du projet de l’université de Sheffield d’Alison & Peter Smithson dit : « Il obéit bien à une composition : non pas certes fondée sur la géométrie élémentaire de la règle et du compas qui sous-tend la plupart des compositions architecturales, mais sur un sentiment intuitif de la topologie (…) avec ce projet des Smithson pour Sheffield, les rôles sont renversés : la topologie devient la discipline dominante et la géométrie lui est subordonnée. »1 Jean Philippe Vassal dit à son tour à propos de l’Ecole de Nantes : « La structure primaire crée un relief dans la ville et la rampe ne fait que grimper sur ce relief (…) C’est cette rampe qui révèle que les planchers principaux sont l’extension du sol. Elle permet de tout découvrir et d’aller partout. C’est sa conjonction avec la géométrie du terrain qui lui donne son caractère. »2 Ce qui sème le doute en deçà de ces constatations sur les systèmes architectoniques du projet, c’est que selon les articles qui parlent

1

Reyner Banham, « The new brutalism », The architectural review, décembre 1955. Jean Philippe Vassal, L’école de Nantes est un manifeste, L’Architecture d’Aujourd’hui, octobre/novembre 2009 2

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de l’école, il en ressort de manière récurrente une certaine ambiguïté du débat sur l’esthétique. Jean Philippe Vassal s’exprime à ce propos : « La question n’est pas de savoir « à quoi ça ressemble ? ». Il n’y a pas ce qui est esthétiquement correct et ce qui ne l’est pas. » En une seule phrase, l’architecte confirme son détachement des canons esthétiques architecturaux contemporains au même titre que les Brutalistes l’affirment cinquante ans auparavant. « Une telle prédominance de la topologie est analogue au remplacement de la « beauté » Thomiste par « l’image » brutaliste (…) Ce qui frappe également, c’est l’anti-formalisme qui est selon les brutalistes une force positive de la composition tout comme dans une peinture de Burri ou de Pollock. » 1 L’école va jusqu’à présenter des similitudes avec les représentations esthétiques qui étaient clairement décrites en 1955 par Reyner Banham: « L’étiquette « d’esthétique de hangar » est une très juste description de ce que le nouveau Brutalisme représenta dans sa première phase »2 Jean Philippe Vassal, lui, en expliquant le projet dans un article de L’Architecture d’Aujourd’hui en 2009 dit : « En premier, nous avons construit un bâtiment de grande capacité, de type industriel, ensuite nous y avons installé une école d’architecture. »3 Le second œuvre quant à lui, se résume aux espaces dont la destination le nécessite. Les gaines sont volontairement mises à jour,

Reyner Banham, « The new brutalism », The architectural review, décembre 1955. Ibid 3 Jean Philippe Vassal, L’école de Nantes est un manifeste, L’Architecture d’Aujourd’hui, octobre/novembre 2009 1 2

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transportées par des filets métalliques d’aspect industriel, les appareils de ventilation sont exposés aux yeux de tous, rien n’est dissimulé [Fig33]. La démarche est complétée par le travail de scénographie du graphiste Franck Tallon dont les tubes néons qui indiquent les fonctions des espaces de l’école sont laissés à nu, et éclairent tels quels les parois de béton brut. Le soin du gros œuvre et du dit béton est donc également un facteur important dan la réussite du projet. Cela passe par des conditions de propreté drastiques sur le chantier. L’anecdote dit même que les engins ont du être équipés de roues blanches pour ne pas faire de trace sur les dalles de béton quartzées. Ceci fait évidemment penser à l’extrait du cahier des charges du projet de la maison à Soho par les architectes Alison & Peter Smithson dont l’extrait ci dessous évoque le même souci de soin apporté pour le gros œuvre dans le sens ou celui ci constitue la matrice de l’espace architectural brutaliste : « Notre intention est d’exhiber entièrement la structure, sans finitions intérieures partout où c’est possible. L’entrepreneur devra viser un haut niveau de gros œuvre, comme pour un petit entrepôt. »1 Alors pourquoi arrive-t-on soudainement à re-questionner la démarche de projet brutaliste et ses principes qui quand on le démontre, paraissent pourtant hors du temps ? De fait, il est certain que, paradoxalement, les nouvelles manières de construire, le progrès en matière de mise en œuvre des matériaux et leur composition permet, malgré un budget réduit, de convoquer une certaine polyvalence des

1

Alison & Peter Smithson, « The new brutalism », The architectural review, décembre 1955.

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objets. Par exemple, un plancher béton alvéolé haute performance propose au delà de son rôle porteur, une solution acoustique déjà induite par sa simple mise en œuvre alors que, construite avec un béton d’hier, la sousface aurait posé des soucis évidents de réverbération sonore. Ceci fait alors d’une architecture brutaliste, un espace habitable et doté d’un confort meilleur. Mais il est évident que sans la convocation d’une certaine ingénierie et d’un génie constructif de l’économie de moyens, ceci allié à une maitrise d’usage qui se prête idéalement à ce type d’architecture, ce genre de projet ne serait pas possible.

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Fig 2-3-4 : Dessins d’étude à la gouache pour le projet du Prentice Women’s Hospital de Chicago et photographie de l’immeuble avant sa désaffectation en 2007. Images : Bertrand Goldberg. 1969-72 et Photographie : Tom Harris. Fig 1 : Photographie de la façade du Prentice women’s hospital (1969-72) témoignant de l’usure des bétons. Photographie : The Art Institute of Chicago, Archive of Bertrand Goldberg

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Fig 5-6 : Etude de plans en ramifications pour le projet du Prentice Women’s Hospital de Chicago. Bertrand Goldberg. 1969-72. Image : The Art Institute of Chicago, Archive of Bertrand Goldberg Fig 7 : Plan courant des étages de la tour retenu pour le projet du Prentice Women’s Hospital de Chicago. Bertrand Goldberg. 1969-72. Image The Art Institute of Chicago, Archive of Bertrand Goldberg Fig 8 : Etude des contraintes mécaniques des voiles de béton à partir d’un logiciel issu de l’aéronautiquepour le projet du Prentice Women’s Hospital de Chicago. Bertrand Goldberg. 1969-72. Image : The Art Institute of Chicago, Archive of Bertrand Goldberg

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Fig 10 : Vue en perspective du projet de réhabilitation du Prentice Women’s Hospital de Chicago. Image : Studio Gang Architects

Fig 9 : Photographie du chantier du Prentice Women’s Hospital de Chicago. Bertrand Goldberg. 1969-72. Image : The Art Institute of Chicago, Archive of Bertrand Goldberg

Fig 11 : Photographie du chantier de démoliton du Prentice Women’s Hospital de Chicago. Bertrand Goldberg. 1969-72. Photographie : Bonnie McDonald.

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Fig 13 : Gravure du projet initial de Centre Administratif à Pantin, en 1938. Image, Archives Ville de Pantin. Fig 12 : Vue d’ensemble du Centre Administratif de Pantin de Jacques Kalisz (1972) et réhabilité par Antoinette Robain et Claire Guieysse (2004). Photographie : Patrick Hertzog, Agence Française de la presse. Fig 14-15 : Vue intérieure et élévation du grand atrium avec l’escalier rampe, objet architectural inédit créé par Jacques Kalisz. Photographie : Anonyme non daté, Cité Chaillot, paris. Image : Encre sur calque, fonds Jacques Kalisz, 1964.

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Fig 16 : Photographie des «totems» de la façade du Centre administratif de Jacques Kalisz. Photographie : Flickr

Fig 17 : Photographie du rez de chaussée du hall. On aperçoit à gauche, un pan du mur cimaise de stuc rouge, intervention d’Antoinette Robain et Claire Guiyesse, et sur la droite, la rampe escalier qui s’élève dans l’atrium. Photographie : Flickr

Fig 18 : L’Ecole nationale d’architecture de Nantes, vue depuis la rive droite de la Loire, Lacaton & Vassal, Nantes, France, 2009. Photographie Philippe Ruault.

Fig 19 : Vue de l’intérieur d’un des ateliers de l’ancienne école nationale d’architecture de Nantes désaffectée. Photographie : KMP photographies.

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Fig 21 : Halle des Machines de l’île, Nantes. Photographie : Jean Pierre Dalbéra. Fig 20 : En haut : Plan de situation de l’Ile de Nantes le 30 Janvier 2003. En bas : Plan guide du projet d’aménagement de l’île, Patrick Henry. Fig 22 : Anne-lacaton & Jean-Phillippe Vassal, Plans de l’ecole nationale supérieure d’Architecture de Nantes, France, 2009

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Fig 23 : Anne-lacaton & Jean-Phillippe Vassal, Coupes de l’Ecole nationale supérieure d’Architecture de Nantes, France, 2009.

Fig 24 : Vue du rez-de-chaussée de l’école, on remarque le sol enrobé en continuité avec celui de la rue. Photographie : Philippe Ruault.

Fig 25 : Vue de la rue, on apreçoit la rampe carrossable qui se développe le lond de la façade et donne accès aux différentes terrasses et à la toiture. Photographie : Philippe Ruault.

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Fig 26 : Vue d’une des terrasses, on aperçoit la rampe carrossable qui accède à la toiture terrasse. Photographie : Philippe Ruault.

Fig 27 : Vue de la toiture terrasse, véritable belvédère sur la ville. Photographie : Boris Sauboy.

Fig 28-29-30 : Images du projet de l’Unité d’habitation de Marseille de Le Corbusier illustrant le principe de la «structure casier». Photographies : Fondation Le Corbusier.

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Fig 31 : La façade côté Fleuve laisse subtilement transparaître les fonctions qu’elle abrite. Photographie : Boris Sauboy

Fig 32 : John Johansen, The Goddard library, Clark University, 1969. Photographie : Perry Dean Rogers Architects.

Fig 32 : La double passerelle inclut également des circulations verticales. Photographie : Boris Sauboy

Fig 32 : Ernö Goldfinger, Carradale House, Poplar, London, 1967-70. Photographie : Boris Sauboy

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