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Sabine Bourgey
Le trésor de la rue Mouffetard
Éditions Bourgey
Du même auteur: Les monnaies françaises, Éditions Ouest-France, 1982 Les monnaies romaines, Éditions Ouest-France, 1986 Trésors, archives secrètes, Éditions Errance, 1988 Le Fonds Bourgey, (4 tomes) en collaboration avec G. Depeyrot C J.-L. Desnier, Éditions Errance, 1988-1994 Trésors, légendes et réalités, Éditions de l’Amateur, 1996 Héritage, tabous, rêves et réalités, Éditions Horay, 2001 Sucre et sel, histoires de poudres blanches, Éditions Horay, 2003 Le grand livre du petit coin, en collaboration avec Sophie Horay, Éditions Horay, 2007. 3e édition 2008 L’art et la manière d’avoir de la chance, Le Cherche-midi, 2009 Sous le signe du métal, Éditions Bourgey, 2011
© Éditions Bourgey 2012 7, rue Drouot · 75009 Paris isbn : 978-2-902617-03-6 (Papier) isbn : 978-2-902617-04-3 (électronique)
Avant-propos
Le 25 mai 1938, à la veille de l’Ascension, est découvert un des plus grand trésors de monnaies d’or jamais trouvé en France. La trouvaille fut faite sur un chantier situé au 53 de la rue Moufetard par des ouvriers italiens, qui démolissaient un immeuble insalubre, propriété de la ville de Paris. Il y avait plus de trois mille monnaies d’or de Louis XV. Les pièces étaient roulées, pour la plupart, dans un parchemin qui se révéla être un testament, celui de Louis Nivelle, secrétaire du Roi et audiencier en la chancellerie du Palais, il léguait son immense fortune à sa fille unique, Anne-Louise.
Chapitre 1 La mort du saint
1er mai 1727 En ce début de printemps de l’année 1727, Louis Nivelle se hâtait sous la pluie. Le quartier Saint-Médard était bondé comme tous les jours. Des ouvriers, des artisans se bousculaient et les rues étroites l’obligèrent plusieurs fois à se coller contre les murs pour éviter des carrosses lancés à toute allure. Peu lui importait son costume détrempé et les bourrades des passants, il ne craignait qu’une chose : arriver trop tard dans une misérable bâtisse de la rue Moufetard, où se mourait son ami, François de Pâris. Il avait été prévenu le matin même par un prêtre de la paroisse et maintenant il courait, en retenant tant bien que mal son chapeau. Il s’engoufra enfin dans la rue, devant la maison de François de Pâris se pressait une petite foule. Plusieurs voitures attendaient sagement à l’écart, fendant les groupes avec quelques mots d’excuses, Louis pénétra dans la modeste demeure de son ami. L’unique pièce était pleine de monde. Couché sur l’armoire renversée qui lui servait de lit, François de Pâris, diacre janséniste et fils d’un avocat du Parlement, agonisait comme les pauvres qu’il servait dans les hospices du Roi. Louis balaya l’assemblée du regard, elle était composée de petites gens du quartier, de prêtres, mais aussi de bourgeois et de nobles. Il aperçut son frère Gabriel et entreprit de se rapprocher 3
de lui. Il lui toucha enfin le bras. Ce dernier tourna vers lui un visage aux traits fins et émaciés, son teint avait une pâleur d’ascète, il pleurait. Il perdait avec François de Pâris un de ses amis les plus chers. Figure légendaire du quartier Saint-Médard, le diacre avait fait le désespoir de son père en choisissant l’état ecclésiastique, après avoir étudié le droit. Nicolas de Pâris s’était réjoui dans un premier temps des ardentes convictions jansénistes de son fils, qu’il partageait, mais François ne se jugea pas digne de la prêtrise et se contenta d’un modeste diaconat. Pis encore, il avait choisi de mener une vie misérable, entièrement dévouée aux pauvres gens. Pour eux il avait vendu ses meubles et appris à tisser des bas. Dans un coin de la pièce, un métier rappelait les longues heures patientes que François avait passées à tisser la lingerie qu’il distribuait aux plus nécessiteux. Nicolas de Pâris, sombre figure debout au premier rang de l’assemblée, ne pouvait en détacher son regard. Peut-être en préférait-il la vue à celle de son fils mourant. Mais ce qui avait acquis à François de Pâris à tout jamais la dévotion des pauvres de la paroisse Saint-Médard, c’était sa volonté permanente d’enseigner. Par son milieu d’origine il connaissait la valeur du savoir. Il n’employait que des termes simples et ne se lassait jamais de répéter en souriant des vérités qu’il savait être nouvelles pour ceux qui l’écoutaient. Il prenait le temps d’expliquer les textes sacrés à ces êtres que la société considérait comme quantité négligeable. Maintenant, le diacre râlait doucement, il n’avait que trente-sept ans mais épuisé par les privations et par les jeûnes trop fréquents, il en paraissait facilement dix de 4
plus. Malgré l’insistance du médecin, il avait refusé de quitter son cilice. Depuis qu’il était tombé malade, il lui avait même rajouté une plaque de fil de fer qui lui labourait les côtes. Sa respiration se faisait siflante. Monsieur Pommart, curé de Saint-Médard, se rapprocha du lit pour lui administrer le viatique. Le mourant se souleva légèrement pour baiser le crucifix. Sa physionomie était intelligente avec un nez un peu trop long, un front haut et dégarni qui donnait de la noblesse à l’ensemble, un teint terreux et des dents abîmées. Il retomba sur l’oreiller, presque évanoui. Les deux frères Nivelle avaient des traits fins avec des yeux très écartés. Mais Louis avait en éclatant tout ce que son ecclésiastique de frère avait en discret. Des cheveux châtains épais, de taille moyenne, assez carré, la jambe fine et élégante comme le voulait les canons de l’époque, il avait un sourire ravageur alors que les dents de Gabriel étaient grises et irrégulières. Lorsqu’il arrivait dans une assemblée, on se sentait attiré vers lui tout naturellement, non pas qu’il fut spécialement beau, mais son charisme était évident. Son père, l’avocat Nivelle, regrettait constamment que son fils n’ait pas voulu se faire avocat. « Vous auriez, Louis, gagné les plus mauvaises causes ! » se plaisait-il à lui dire. Il avait préféré acheter une charge de Secrétaire du Roy, audiencier en la chancellerie du Palais. La chancellerie avait pour fonction de sceller les arrêts des commissions du Parlement et des cours et cette fonction l’occupait un mois par an et le reste de l’année deux jours par semaine. Il lui restait ainsi beaucoup de temps à employer à sa guise. Ses amis lui connaissaient une 5
grande carrière de séducteur avant son mariage. À vingtsept ans, Louis Nivelle était totalement à contre-courant de sa famille. Son père et ses frères étaient de sensibilité très janséniste, le reste de sa parenté observait un catholicisme rigoureux. Louis curieusement ne croyait à rien. Malgré une éducation des plus classique, il ne s’était jamais senti ému ni simplement touché par les mystères de la Foi. Les rites catholiques l’intéressaient comme l’aurait fait n’importe quel spectacle bien mis en scène. Il aimait dans les églises, l’odeur de l’encens et les chants latins mais seulement parce qu’ils étaient pour lui supports à la rêverie. Ayant compris tôt qu’il lui faudrait supporter certaines conventions qui seyaient à son milieu et à son éducation, Louis Nivelle sut être un athée discret et convaincu, qui pratiquait juste ce qu’il fallait pour ne pas choquer son entourage. À ses amis intimes, à sa femme Marie, il disait sans peur ni fierté qu’il ne croyait ni à Dieu ni à Diable, que la mort serait juste un anéantissement total de l’être. Cet athéisme lui donnait une liberté d’esprit en avance sur son temps. Les Lettres philosophiques de Voltaire, parues quelques années auparavant lui avaient paru pleines de bon sens. Il en avait fait un temps son livre de chevet. Pourtant, elles avaient été brûlées de la main du bourreau comme contraires à la religion, aux bonnes mœurs et aux puissances. « Voyez, mon frère, c’est la fin ! » avait murmuré Gabriel à Louis. Ecartant doucement quelques personnes devant lui, il alla s’agenouiller près du lit et saisit doucement la main de François de Pâris. Tous dans l’assistance connaissaient 6
les liens d’amitié qui unissaient les deux hommes. Leurs destinées étaient si semblables. Gabriel était héritier également d’une grande fortune de milieu parlementaire, il avait renoncé au siècle pour se faire prêtre. Son père avait compris que face à son fils aîné, toute plaidoirie, aussi habile fut-elle serait inutile. Il consentit. Il reporterait donc ses espoirs sur son plus jeune fils Louis, qui fort heureusement, pensa-t-il à l’époque, semblait n’avoir de goût que pour les plaisirs. Avec la permission de son père, Gabriel s’inscrivit donc au séminaire Saint-Magloire où il rencontra François de Pâris. Pour la première fois de leurs vies, ces deux fils de famille, aux tempéraments mystiques purent confier à quelqu’un les angoisses de leurs âmes solitaires et intransigeantes. Ils étaient alors âgés tous les deux de vingt ans et ne se quittèrent plus. En ce moment où il tenait dans sa main celle de François qui allait mourir, Gabriel revoyait les promenades qu’ils aimaient à faire dans les jardins du séminaire, où au cours de longues conversations, ils évoquaient le sentiment de leur néant face à Dieu. François de Pâris ouvrit un instant les yeux et murmura : — Gabriel, priez Dieu pour moi, car nous ne nous reverrons plus en ce monde. Il mourut à cinq heures vingt du soir Monsieur Pommart lui ferma les yeux et le silence se fit aussitôt dans la pièce. Petit à petit, quelques prières se murmurèrent, puis tous les assistants vinrent défiler devant le lit, avec le sentiment déchirant qu’une des grandes âmes du siècle vient de mourir. Dans l’assemblée, Louis vit le Duc de Segonzac et le Marquis de Ludes pleurer avec les 7
artisans et les miséreux du quartier. Le diacre Pâris serait enterré ainsi que le stipulait son testament, à la manière janséniste, sans tentures, sans sonneries ni luminaires par charité dans le cimetière Saint-Médard. a Madeleine Cesselin, dévideuse en soie, âgée de cinquante-deux ans, tenait à rendre un dernier hommage au diacre Pâris. Il serait enterré cet après-midi, mais on ne pouvait encore le visiter ce matin, chez lui où il était veillé par quelques proches. C’est elle qui lui avait appris, il y a de cela une bonne dizaine d’années, à tisser. Elle se souvenait avec émotion de ces leçons, comme elle plaçait les doigts du jeune homme sur le métier, quelle fut sa fierté devant les premiers travaux de “son élève” et surtout la gaieté qui régnait dans la cabane de la rue Moufetard. Pour la remercier, avec une patience infinie, il lui avait appris à lire. C’était des temps heureux alors… Puis son mari, un graveur imager était mort, tué dans une rixe et deux ans plus tard, son bras gauche avait commencé à se paralyser progressivement. Elle ne travaillait plus que très lentement et, comme elle était payée à la pièce, la misère s’était vite installée. Sans le soutien du diacre, jamais elle n’aurait pu survivre. Dans ces années de malheur, il l’avait aidée régulièrement en lui donnant des petites sommes, l’invitant parfois à partager son repas et lui faisant des visites régulières. Aussi, malgré sa fatigue, Madeleine voulait-elle rendre un dernier hommage à celui qu’elle n’osait appeler son ami que dans le secret 8
de son cœur. Personne, rue Moufetard, ne prêta attention à cette femme aux traits fatigués, vêtue d’une jupe sombre et d’un vieux châle. Il y en avait des dizaines comme elle autour de la maison. Dès que la mort du diacre s’était sue, toute une foule s’était pressée avec des linges, des livres, des chapelets, dans l’intention de les faire toucher par le corps. La réputation de sainteté de François de Pâris avait commencé à se répandre avant sa mort et déjà on pensait aux reliques… Les carrosses étaient plus nombreux aujourd’hui, aux abords de la cabane. La noblesse de robe se souvenait aujourd’hui que ce fils de famille avait tout de même fait carrière, d’une certaine façon ! Madeleine pénétra facilement dans la pièce mortuaire. On la laissa s’approcher, s’agenouiller et baiser les pieds du diacre à travers le suaire qui les enveloppait. Elle resta un moment à genoux, le temps que les bedeaux de la paroisse mettent le corps en bière. Elle murmura juste à ce moment : — Bienheureux, priez le Seigneur qu’il me guérisse, si c’est sa volonté que je reste sur terre. Vous, vous serez écouté, pour moi, je ne le suis point. À peine la bière fût-elle placée, que Madeleine, prise d’une impulsion, se pencha pour frotter son bras contre la main du mort. Elle resta à prier encore quelques instants puis céda sa place à d’autres. Elle revint très lentement chez elle, prise d’un épuisement soudain, ses membres lui semblèrent incroyablement lourds. Elle se sentit vidée de toute son énergie au point d’aller s’asseoir sur un banc de rencontre, un petit moment. Elle pensa bien à s’arrê9
ter dans une auberge pour y boire du vin chaud mais elle recula devant l’idée de la dépense. Enfin arrivée chez elle, elle s’arrêta pour se reposer entre chaque étage. Elle s’obligea à s’installer comme d’habitude devant son métier et une grande tristesse la prit. Avec la mort de François de Pâris, elle se retrouvait vraiment seule, elle se rendait compte aujourd’hui qu’elle avait toujours eu quelqu’un vers qui se tourner dans les pires moments. En ce moment précis, elle mesurait l’étendue de la perte qu’elle venait de faire. Elle se mit à travailler, pour essayer de se distraire, son bras malade pendant à son côté. Pourtant, elle eut bientôt l’impression de sentir quelques picotements. Les sensations s’intensifièrent, elle ressentait des vagues de chaleur. Inquiète, Madeleine regardait son bras mais ne vit rien de particulier. Puis, tout alla très vite, l’auriculaire commença à s’agiter comme pris de spasmes. Le majeur, le médium et le pouce enfin furent agités de contractions. L’instant d’après, Madeleine plia la main, tourna le poignet, gestes qu’elle n’avait pu accomplir depuis des années. Elle essaya de plier son avant-bras et… y parvint. Elle alla même jusqu’à toucher de sa main son épaule. Elle attendit quelques instants pour s’assurer que ce n’était pas un rêve ni un phénomène passager, puis en pleurant de joie elle courut frapper chez sa voisine, Angélique Le Bihan. Cette dernière eut beaucoup de mal à comprendre ce que lui racontait Madeleine, entre ses larmes, mais elle ne pouvait détacher son regard du bras guéri. Deux heures plus tard, tout le quartier Saint-Médard savait que le diacre François de Pâris venait d’accomplir un miracle.
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