JEAN-FRANÇOIS COCHE-DURY - UN DEMI-SIÈCLE EN BOURGOGNE

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RENCONTRE

JEAN-FRANÇOIS COCHE-DURY

UN DEMI-SIÈCLE EN BOURGOGNE Jean-François Coche-Dury vient tout juste de fêter ses 60 bougies. L’occasion rêvée de revenir sur 45 ans de métier, d’évolutions positives et négatives, avec l’un des totems, des gardiens du temple des grands vins blancs de Bourgogne. REPÈRES 10 mai 1950 : Naissance à Meursault. Juillet 1964 : Arrivée au domaine

M. Coche-Dury, qui vous a le plus marqué au cours de ces 45 années de métier ? Beaucoup de choses ont changé dans notre métier, mais je retiens surtout des modifications incroyables dans la vie de tous les jours. Quand on a commencé comme moi de travailler dans les années 1960, les changements sont énormes, dans les façons de faire, de penser…

familial. Il suit en même temps une formation d’apprenti en viticulture à la maison familiale de Grandchamp, près de Beaune. 1973 : Premier millésime où JeanFrançois Coche est mentionné sur les étiquettes. 1975 : Mariage et le domaine JeanFrançois Coche devient Jean-François Coche-Dury. 1977 : Premier millésime vendu à l’exportation. 2002 : Jean-François rêvait depuis vingt ans de faire du pommard et il achète une vigne en pommard villages Les Vaumuriens. 2001 : Raphaël, le fils, arrive sur le domaine. 31 juillet 2010 : Raphaël reprend officiellement le domaine.

Et dans votre métier de vigneron ? Le travail est aujourd’hui plus facile et on ne va pas s’en plaindre. Il est toujours facile de critiquer de l’extérieur. Néanmoins, peut-on vraiment considérer que l’arrivée des engrais, des traitements chimiques a été un progrès ? Il y a eu des abus et il fallait et il faut toujours savoir rester raisonnable. Ceci étant, le métier s’en est trouvé facilité et économiquement les progrès techniques ont aidé les vignerons. Il faut quand même rappeler que jusqu’au milieu des années 1970, l’économie du vin n’était vraiment pas florissante en Bourgogne et peu de jeunes voulaient rester dans le métier. C’est tout le contraire aujourd’hui. Vous commercialisez la moitié de vos vins en France et vous recevez volontiers au domaine les particuliers qui viennent chercher leurs bouteilles alors que beaucoup d’autres domaines sont souvent plus fermés. Pourquoi ? J’ai toujours aimé recevoir les gens, aimé le contact avec les clients. C’est plus passionnant de recevoir du monde, des amateurs, des sommeliers que d’expédier tous ses vins à une dizaine d’importateurs dans le monde. Avec l’ouverture du commerce international, le marché a changé en demandant des vins plus

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faciles à boire jeunes et beaucoup de vignerons ont fait évoluer le style de leurs vins, avec plus de fûts neufs, plus de rondeur et des mises en bouteilles rapides. Que pensez-vous de cette évolution ? Elle est négative, c’est clair ! Nous ne nous sommes jamais laissés entraîner dans cette voie. Même au début, quand les temps étaient difficiles, nous avons toujours continué de respecter la tradition en laissant les vins passer leurs deux hivers en cave, sur lies, avant la mise en bouteilles. Et pourquoi ces élevages longs ? Pour que les vins aient le temps de se faire, à leur rythme, qu’ils arrivent à une vraie maturité et qu’ensuite leur évolution en bouteilles soit bonne. Quand des vins sont mis en bouteilles au bout de dix ou onze mois, il se produit une rupture dans leur évolution normale, une fracture dont ils ne se remettent jamais. Cela ne fait pas de mauvais vins, mais des vins qui ne sont pas ce qu’ils auraient dû être. Un grand vin blanc de Bourgogne doit être mené à maturité avant d’être mis en bouteilles. Peut-on dire que vous avez toujours travaillé à l’ancienne ? Bien sûr, c’est cette méthode traditionnelle qui a fait la notoriété des vins blancs de Bourgogne. Autrefois, tout le monde travaillait comme cela. Un problème d’oxydation prématurée, très rapide, en deux ou trois ans, est apparu sur certains vins blancs avec le millésime 1996. Cette nouvelle façon “accélérée” de faire les vins estelle la clef du problème ? Plusieurs choses rentrent en ligne de compte, mais pour certains vins sûrement, oui. Des vins élevés vite, pas assez nourris sur leurs lies, n’ont


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J E A N - F R A N Ç O I S C O C HJ O E -ED UWREYN D E R E T A N N C O L G I N pas ce qu’il faut pour tenir dans le temps. Encore une fois, des vins élevés, nourris longtemps sur leurs lies vont acquérir la force, les muscles, la charpente, la stabilité, pour bien vieillir ensuite. Et le pressurage, c’est peut-être un peu technique, mais expliquez-nous quand même pourquoi vous rejetez les pressoirs pneumatiques pour continuer d’utiliser un vieux pressoir ? J’ai l’impression que ces matériels modernes permettent d’obtenir des jus bien clairs, bien propres, qui conviennent sans doute pour le champagne mais pas pour faire du meursault ; non, il faut de la belle lie et il faut presser les raisins pour la sortir et la mettre ensuite dans le jus de raisin qui va fermenter. Avec les anciennes générations de pressoir, on extrait mieux ce qui se trouve dans la peau, la pulpe, l’extrait sec. J’ai fait de nombreux essais avec le pressoir pneumatique ; les vins ont de la finesse mais il leur manque le corps, la chair du terroir. Et le fût neuf ? Oui, trop de fûts neufs ou des fûts de mauvaise qualité. Attention, des mauvais bois et/ou un travail qui n’a pas été fait dans les règles de l’art par le tonnelier et cela débouche sur une évolution prématurée du vin.

vignes, quand la nature est généreuse, elle est généreuse et c’est elle qui commande. Ceci étant, au domaine nous visons 50 hl/ha. C’est le rendement des grands millésimes de longue garde comme 2005 ou 1989. Est-ce que les vins s’oxydaient au bout d’un ou deux ans dans les années 1960 ? Non, jamais, sauf chez des vignerons qui ne savaient vraiment pas travailler leurs vins et chez lesquels toute la cave était mauvaise. Je vous parle des années 1950, 1960. Aujourd’hui, on ne voit plus de gens comme cela.

"C’est la méthode traditionnelle basée sur des élevages longs qui a fait la notoriété des vins blancs de Bourgogne. Autrefois, tout le monde travaillait comme cela." En matière de rendements, on entend souvent dans le vignoble que l’on peut faire de grands vins blancs à 60 hectolitres/hectare et plus, alors que les rendements de base définis au milieu des années 1930 étaient, rappelons-le de 45 hl/ha pour les grandes appellations comme meursault. Qu’en pensez-vous ? Les vins ne manquent-ils pas souvent de matière à la base, pour ensuite bien vieillir ? Cela dépend du millésime. On peut arriver à faire de bons vins à 60 hl/ha, sans que cela soit le summum. Les 2009 seront très bons. Si la production avait été moindre, les vins ne seraient-ils pas encore meilleurs ? Avec la nature, on ne fait pas toujours ce que l’on veut. Certaines années comme 1979, 1982, 1999 ou 2009, vous avez beau brider les

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En conclusion, tout ce qui a été fait pour rendre les vins flatteurs, commerciaux, contribue-t-il au fait qu’ils ne vieillissent pas très longtemps ? Absolument ! Les œnologues sont de plus en plus présents dans les domaines. Est-ce positif ? Oui, tout le monde a besoin d’un œnologue pour faire des analyses, parfois donner des conseils, mais pas plus. Mais c’est au vigneron de réfléchir et de prendre les décisions. Autrement, attention, les dix, vingt ou cinquante vignerons qui ont le même œnologue finiront par faire les mêmes vins. Le vin, c’est un terroir bien sûr, mais c’est aussi le coup de patte de chacun. En matière de viticulture, la tendance est au bio. Qu’en pensez-vous ?


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Il est difficile d’avoir des raisins sains avec une vraie viticulture bio labellisée et c’est compliqué de faire des bons vins sans des raisins sains. Dans les vignes cultivées en bio, on voit de tout : des raisins parfaits, superbes chez des vignerons très pointus et d’autres qui le sont moins. Nous cherchons à être les plus raisonnables possible dans le travail de la vigne, les plus “nature”, mais le passage au bio n’est pas à l’ordre du jour. Il faut souvent attendre une dizaine d’années pour boire vos vins alors que la société actuelle veut que tout aille très vite. Vous n’avez jamais eu peur d’être un jour démodé ? Nous n’arrivons pas à satisfaire la demande. Cela veut bien dire qu’il existe encore des amateurs pour des vins qui ont du corps, riches en bouche, avec une expression de terroir tout en ayant de la finesse et pas des vins lourds ; on ne veut surtout pas faire des vins lourds. Alors, oui l’idéal c’est d’attendre cinq à dix ans selon le millésime avant de commencer de les boire. Votre domaine est devenu une “star” internationale. Cela vous agace-t-il que vos vins se revendent sur Internet, sous le manteau, dans certains restaurants, à des prix très élevés alors que les tarifs au domaine ne sont pas excessifs ? Que voulez-vous qu’on y fasse ? Henri Jayer me disait : “c’est formidable, si ton vin se vend cher, c’est bon signe, c’est une récompense”. Alors… Trouvez-vous dangereux que le vin puisse devenir un objet de spéculation comme n’importe quel produit financier ? R : Le vin n’est pas fait pour cela. Il est fait pour être mis en cave, attendu le temps qu’il faut, pas plus, et bu. Et puis, un grand vin, c’est beau, c’est très bon, mais ce n’est pas au niveau d’une œuvre d’art. Comme dit souvent ma femme : “ce n’est que du vin”. Vous expliquiez il y a cinq ans dans ces pages que votre rêve était de faire des vins comme ceux de 1947. C’est votre millésime de référence ? Mon père en avait beaucoup gardé et j’en ai souvent bu dans ma jeunesse. C’est un millésime à part. On ressent dans les blancs comme dans les rouges une concentration de soleil hors norme, le tout avec un équilibre parfait, aucun excès de tanins, pas de manque d’acidité. La grande classe !

Avez-vous des souvenirs de dégustations particulièrement marquants en Bourgogne ou ailleurs ? En juin 1992, j’ai été reçu pendant deux jours à Yquem. Un client commun venait d’acquérir son centième millésime d’Yquem et M. de Lur Saluces lui a dit : “cela se fête ; je vous invite pendant deux jours avec quelques vignerons de votre choix.” Nous avons dégusté le Château de Fargues en remontant très loin et Yquem en remontant encore plus loin. Unique ! J’ai encore en mémoire Yquem 1945, 1947 et 1967. Yquem c’est la finesse… Oui, la finesse, et un équilibre qui transcende la liqueur pourtant importante de ces millésimes. Fantastique ! Et puis, nous avions amené des vins : un meursault Perrières 1989 du domaine et Jean-Marie Raveneau avait lui apporté un inoubliable chablis premier cru Montée de Tonnerre 1959. Je me rappelle de ces deux jours comme si c’était hier… Propos recueillis par Christophe Tupinier Photographies Lionel Georgeot

COCHE Signe de respect, d’estime, d’affection, pourquoi pas ? Difficile à dire, l’intéressé luimême n’a pas vraiment d’idée sur la question, mais il n’empêche que bon nombre de vignerons, d’amateurs, de sommeliers se contentent du seul mot “Coche” pour parler de Coche-Dury. Nous y voyions surtout une marque de respect pour un homme que l’on peut qualifier de véritable gardien du temple et ce, sans risque de galvauder l’expression. Jean-François Coche-Dury a commencé à travailler en 1964, à l’âge de quatorze ans et s'il est ainsi respecté, c’est parce qu’il n’a jamais oublié d’où il vient et ce qui a

fait de la Bourgogne ce qu’elle est. Le marché français lui a servi de tremplin ; aujourd’hui encore, le domaine continue de vendre 50% de ses vins dans l’hexagone et reçoit volontiers les particuliers qui viennent chercher leurs cartons :“on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve”. Et puis, surtout, il a continué contre vents et marées de faire des vins blancs à "l’ancienne", au sens le plus noble du terme en se moquant bien que ses meursaults soient difficiles à boire les premières années pour au contraire privilégier l’aptitude à la garde. On appelle sans doute cela le bon sens paysan.

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