LA VILLE 2.0, COMPLEXE ... ET FAMILIERE par fabien eychenne

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Fing La ville 2.0, complexe et familière Fabien Eychenne

Minérale et charnelle, historique et politique, la ville est, aujourd’hui, aussi numérique. Elle se décrit, se modélise et se pilote numériquement. Toutes ses innovations comportent une dimension numérique. Des myriades de puces équipent ses espaces, ses bâtiments, ses véhicules, ses habitants ; et notre vie quotidienne est ponctuée d’échanges numériques. Ce mouvement exprime et accélère une transformation profonde de notre mobilité, de nos pratiques sociales, de l’organisation de nos temps, du fonctionnement des entreprises et des acteurs publics. Ce « cahier de tendances » explore la tension entre deux transformations majeures dont le numérique et les réseaux sont les instruments et les catalyseurs : d’une part, la complexité liée à l’individualisation et la personnalisation, et d’autre part, les nouveaux agencements qui cherchent à rendre la ville plus navigable, plus sociable, plus attentive. Peut-on rendre cette ville « augmentée » à la fois plus personnelle, plus attentive aux aspirations de chacun, mais aussi plus familière, plus accessible et plus collective ? Cet ouvrage propose des réponses concrètes autour de trois ensembles : - Les signes qui rendent la ville plus lisible et navigable ; - Les réseaux sociaux et les nouvelles formes de sociabilité ; - Et la carte, à la fois nouvelle interface de la mobilité urbaine et nouvelle infrastructure des services urbains. Créée en partenariat avec la Fing, et dirigée par Daniel Kaplan, cette collection, La fabrique des possibles, traite des grands enjeux de société au croisement de la prospective, de l’économie, des stratégies des entreprises privées et publiques, des technologies et de leurs usages, des nouveaux services et de leurs impacts sur la vie quotidienne. Cette collection est l’outil indispensable permettant de stimuler les imaginations prospectives, et d’anticiper les profondes mutations que les ruptures technologiques apporteront dans les prochaines années.

“Peut-on faire en sorte que les dimensions physique, sociale et numérique soient mises au service d’une ville à la fois plus attentive à chacun, et plus familière à tous?”

La ville 2.0, complexe... et familière Fabien Eychenne

www.fing.org | www.internetactu.net Créée en 2000 par une équipe d’entrepreneurs et d’experts, la Fing (Fondation internet nouvelle génération) a pour mission de repérer, stimuler et valoriser l’innovation dans les services et les usages du numérique.

14,90 €

www.fypeditions.com

Diffusion : Pearson Education France - Distribution : MDS

fyp

ISBN 978-2-916571-23-2

éditions

fypéditions

#02

LA FABRIQUE DES POSSIBLES

Fing #02

fyp éditions


Une collection dirigée par Daniel Kaplan

Cet ouvrage a été réalisé à partir du programme Villes 2.0 de la Fing.

Daniel Kaplan est délégué général de la Fing (Fondation internet nouvelle génération), depuis sa création, en 2000. Dès 2003, il est désigné par la presse, comme l’une des « 100 personnalités qui font vraiment bouger la France ». Il est également président de l’Institut européen de e-learning (EIfEL). Depuis les années 1990, il est profondément impliqué dans le développement de l’internet en France et dans le monde. Il a écrit ou dirigé plus de 15 ouvrages et rapports publics.

Villes 2.0 est un programme de la Fing en association avec le Groupe Chronos et Tactis. Mobilité, individualisation, participation, complexité, durabilité, etc. : la ville change, les technologies en sont à la fois l’instrument et le catalyseur. Villes 2.0 explore les défis et les opportunités qui émergent de ces transformations, du point de vue des citadins, www.villes2.fr des territoires et des entreprises.

Dans la même collection :

Villes 2.0 a le soutien de :

#01

Pour une mobilité plus libre et plus durable

Alcatel Lucent Caisse des Dépôts et Consignations

ISBN : 978-2-916571-22-5

La ville 2.0, complexe et familière

#02

ISBN : 978-2-916571-23-2

Technologies et prospective territoriale

Le programme Villes 2.0

faberNovel JCDecaux

#03

LaSer Orange

ISBN : 978-2-916571-24-9

Région Provence-Alpes-Côte d’Azur RATP

LA FABRIQUE DES POSSIBLES

Fing #02

fyp éditions

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“Peut-on faire en sorte que les dimensions physique, sociale et numérique soient mises au service d’une ville à la fois plus attentive à chacun, et plus familière à tous?”

La ville 2.0, complexe... et familière Fabien Eychenne

LA FABRIQUE DES POSSIBLES

Fing #02

fyp éditions


Copyright © 2008 FYP éditions Copyright © 2008 Fing

Cet ouvrage a été réalisé à partir du programme Villes 2.0 de la Fing. www.villes2.fr Collection : La fabrique des possibles Créée en partenariat avec la Fing et dirigée par Daniel Kaplan. www.fing.org

Édition : Florence Devesa Révision : Correcteurs en Limousin Photogravure : IGS Imprimé en France sur les presses de l’imprimerie Chirat. Diffusion : Pearson Education France Distribution : MDS © 2008, FYP éditions, Limoges (France) contact@fypeditions.com Tél. : 05 55 33 27 23 www.fypeditions.com

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ISBN : 978-2-916571-23-2

Le programme Villes 2.0 Villes 2.0 est un programme de la Fing en association avec le Groupe Chronos et Tactis. Mobilité, individualisation, participation, complexité, durabilité, etc. : la ville change, les technologies en sont à la fois l’instrument et le catalyseur. Villes 2.0 explore les défis et les opportunités qui émergent de ces transformations, du point de vue des citadins, des territoires et des entreprises. 6 www.villes2.fr Villes 2.0 a le soutien de : Alcatel Lucent Caisse des Dépôts et Consignations faberNovel JCDecaux LaSer Orange Région Provence-Alpes-Côte d’Azur RATP


Sommaire Introduction

Une ville à la fois plus complexe et plus familière

Chapitre 3

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Chapitre 1

Naviguer dans la ville augmentée

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1- Des outils fédérateurs pour naviguer dans la ville

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2- Inventer une signalétique du numérique

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La carte : une interface et une infrastructure

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1- Une carte en lecture et écriture

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2- Le pouls de la ville

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3- La ville miroir

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4- La carte : support de services

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Conclusion Poursuites...

Chapitre 2

2.0 : du web à la ville

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1- Web 2.0 et réseaux sociaux : de quoi s’agit-il ?

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2- Des réseaux sociaux au « radar social »

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3- L’espace des microcoordinations

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4- De nouveaux lieux

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Introduction

Une ville à la fois plus complexe et plus familière Le numérique est entré dans la ville Minérale et charnelle, historique et politique, la ville est aujourd’hui aussi numérique. À l’espace physique urbain tangible fait de béton, de briques, d’infrastructures d’acier, de réseaux de fluides, viennent se superposer des couches numériques, physiques (artefacts et réseaux) et informationnelles (données, flux, logiciels et services). Le câble, le cuivre du téléphone et la fibre optique, les réseaux hertziens Wi-Fi et Wimax, les antennes GSM et 3G, les satellites, les capteurs, les puces dans les objets, dans les espaces et demain dans les corps, les écrans publics, etc., forment l’infrastructure physique qui supporte l’internet et les réseaux mobiles. Sur cette « infostructure » vont naviguer des flux de données, d’images et de sons (y compris, bien sûr, la voix de la conversation téléphonique). Les opérateurs de services urbains développent des systèmes d’information, des sites web, des services numériques. Les municipalités mettent en place des portails d’informations, des forums de discussions, des systèmes d’informations géographiques, installent des points d’accès Wi-Fi dans les jardins publics et les bibliothèques. Les blogueurs discutent de la ville, de ce qui s’y déroule. Sur les sites sociaux, il y discutent, y prennent rendez-vous, y organisent des événements. Les utilisateurs de Google Maps et des sites qui s’appuient sur ses cartes annotent les lieux, y ajoutent descriptions, commentaires, photos et vidéos. Certains enrichissent les cartes numériques des villes, notent les restaurants, les lieux de sortie, indiquent et renseignent les événements de la ville, utilisent les réseaux sociaux pour se retrouver, partager et échanger. Des capteurs mesurent la pollution, le bruit, les flux de véhicules et de personnes et bien d’autres données. Des joueurs utilisent


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La ville 2.0, complexe et familière

des mobiles, des coordonnées GPS, des données corporelles pour faire de la ville leur théâtre d’opération. Presque toutes les innovations dans les services et les usages de la ville s’appuient sur le numérique et les réseaux. Le vélo ou l’automobile partagée, la ville durable, la démocratie participative, les nouveaux dispositifs culturels, les zones d’activité, les politiques sociales, etc., ont toutes un substrat numérique de plus en plus essentiel : des systèmes d’information, des canaux de communication multiples, des outils de mesure ou de modélisation, des services à distance et mobiles… Égocité et complexité Le numérique ne tombe pas par mégarde sur la ville. Derrière ces mouvements s’exprime et s’accélère, une transformation profonde de nos modes de vie en ville, de notre mobilité, de nos pratiques sociales et de consommation, de l’organisation de notre temps privé et professionnel, du rôle et du fonctionnement des entreprises présentes dans la ville – mais aussi des acteurs publics et des gestionnaires d’infrastructures urbaines. Personne ne reste à l’écart de cette mutation des villes qui touche l’espace et les rythmes urbains, les liens sociaux, les services et les commerces, les loisirs et les transports, l’administration et la politique. On demande autre chose à la ville, et l’on y participe différemment. On attend des entreprises et des administrations de nouvelles attitudes : personnalisation, multicanal, services composites associant plusieurs acteurs pour répondre « de bout en bout » à des besoins très diversifiés, comme le partage des informations. Cette ville plus personnelle, qui s’organise de plus en plus autour de chaque individu, est aussi plus complexe. Elle devient plus complexe à « naviguer » pour un citadin confronté à l’hyperchoix et à la surinformation. Tout le monde ne dispose pas des mêmes capacités à en exploiter les richesses et le risque est que ces richesses finissent par s’organiser en fonction de ceux qui savent les exploiter d’une manière rentable pour ceux qui les produisent. Mais la ville est aussi plus complexe à piloter pour des

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institutions qui doivent donner un sens collectif à cette diversité en composant avec des acteurs, entreprises, associations et citadins, parfois aussi bien informés qu’elles, voire mieux. Relation et familiarité L’individualisation des modes de vie n’a pas pour corollaire un repli des individus sur eux-mêmes. Au contraire, jamais nous n’avons autant bougé, autant entretenu de liens et de relations. Cet individualisme a été décrit comme « relationnel », « en réseau », parce que chaque individu invente, exprime et déploie son identité dans la relation aux autres. Le numérique et les réseaux, notamment mobiles, sont l’outil rêvé de ces nouvelles formes de lien social. À l’inverse, par contre, leur coût et leur complexité peut contribuer à installer dans l’exclusion ceux qui ne disposent pas des moyens ou des capacités de s’en servir : la « fracture numérique » épouse assez fidèlement les contours de la « fracture sociale ». Mais, dans le même temps, l’articulation intelligente entre les couches physiques et numériques peut aussi devenir un puissant vecteur de maîtrise individuelle et collective sur la ville. Des sites sociaux produisent des fêtes, des repas de quartier, des systèmes de troc ou des mobilisations citoyennes. Des espaces publics numériques deviennent des nœuds de la vie de certains quartiers. Des services mobiles géolocalisés aident les visiteurs ou les handicapés à circuler dans le désordre urbain. De nouvelles représentations en temps réel prennent le pouls de la ville et se partagent avec les citoyens. Naviguer, partager, transformer la ville Peut-on, tout en bénéficiant des avantages de l’individualisation, chercher à rendre la ville également plus familière, plus accessible, et plus collective ? Peut-on faire en sorte que les dimensions physique, sociale et numérique de la ville « plus » et « mieux », aujourd’hui, au service d’une ville « augmentée » plutôt que « numérique », d’une ville à la fois plus attentive à chacun, et plus familière à tous ?


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C’est à cette tension féconde entre, d’une part, la complexité liée à l’individualisation et à l’explosion des flux numériques et, d’autre part, les possibilités d’une recombinaison pour rendre la ville plus navigable, plus sociable, plus attentive, que s’intéresse ce cahier de tendances. La première partie s’intéresse au lien quotidien entre les couches numériques et physiques de la ville : quelles interfaces permettent d’enrichir ce lien, quelles signalétiques rendent les ressources numériques aussi tangibles, donc accessibles, que les ressources physiques de la ville ? La seconde partie se concentre sur les services et les pratiques qui s’appuient sur les « réseaux sociaux » de chacun d’entre nous pour produire du lien social et l’enrichir. Ces réseaux ne se cantonnent pas au web : ils sont mobiles, ils se projettent sur des cartes, ils produisent de la rencontre et même de nouveaux types de lieux urbains. C’est aux cartes que se consacre la dernière partie. La carte devient l’interface clé de la ville. Elle tisse entre eux les espaces physique, relationnel et numérique. Elle nous permet de changer en un clin d’œil la perspective sous laquelle nous regardons la ville : au ras du sol comme un piéton, de trois-quarts comme si nous circulions dans un aéronef personnel issu de la science-fiction, ou de très haut pour en avoir un point de vue global. Elle fonctionne à la fois comme une représentation, un outil d’analyse, un plan pour s’y repérer, un outil de navigation et un dispositif de contrôle sur lequel on « clique » pour agir sur la ville physique. Elle devient le support de débats élargis sur l’avenir de la ville. Les aperçus qui suivent ne se veulent pas exhaustifs. Ils ne proposent pas de conclusions définitives. Leur but est d’introduire les transformations de la ville vues sous un angle original : celui de l’utilisation des technologies de la communication considérées comme des leviers de changement, comme des moyens de se réapproprier la ville, chacun et ensemble.

Chapitre 1

Naviguer dans la ville augmentée Les grands réseaux de transports, de logistique ou de distribution d’eau, de gaz et d’électricité se pilotent en temps réel à partir de cartes numériques. Les 120 000 arbres de Paris sont tous équipés d’une puce RFID qui permet aux bucherons municipaux d’en connaître l’histoire et d’enregistrer leurs propres interventions sur chaque arbre. Des myriades de capteurs, du thermomètre à la caméra de surveillance, enregistrent et analysent ce qu’il se passe dans les espaces urbains, jusqu’à déclencher automatiquement des alertes s’ils décèlent quelque chose d’inhabituel ou d’inquiétant. La quasi-totalité des citadins circule équipé de mobiles, eux-mêmes de plus en plus souvent dotés d’appareils photos, de capacités d’échanger des données, de puces de géolocalisation. Leurs déplacements se ponctuent désormais d’échanges téléphoniques ou SMS, qui peuvent en retour modifier leurs destinations ou leurs itinéraires… L’informatique que l’on connaît, centrée autour de l’ordinateur, entretenait peu de relation avec le territoire. D’une certaine manière, elle s’y opposait : elle se moquait des frontières, elle représentait la sédentarité (connectée) contre la mobilité, l’abstrait (le virtuel) contre le concret du terrain et du contact. En revanche, l’informatique mobile « ambiante », interagit avec le territoire de multiples manières.


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La ville 2.0, complexe et familière

Une multitude de flux de données recouvre et irrigue la ville. Ils traduisent et contrôlent son activité multiforme. Ils « augmentent » la ville d’informations, de services, de relations, de représentations. Pourtant, à l’inverse des échanges qui se déroulent sur les infrastructures physiques de la ville, ces flux et ces services numériques demeurent le plus souvent invisibles. Ils n’apparaissent qu’à ceux qui sont dotés d’un équipement spécifique capable de lire et de remettre en forme les fragments voulus : le mobile, l’ordinateur connecté au réseau, le terminal GPS, le capteur, etc. En rendant plus lisibles et plus accessibles ces ressources numériques et leur lien avec la ville, pourrait-on aider les citadins, ou les visiteurs à mieux s’y retrouver et circuler dans la ville, à accéder à ses ressources quand et où ils en ont besoin ? À des niveaux différents selon les régions du monde, deux supports fédérateurs émergent pour simplifier l’accès à la ville. Le « passe de ville », qui prend aujourd’hui la forme d’une carte électronique, empile les accès aux ressources physiques et numériques de la ville. Mais dans certains pays asiatiques et dans certaines expérimentations européennes, c’est le téléphone mobile qui se transforme en « baguette magique », en un objet capable de « surfer » entre toutes les couches de la ville. Enfin, pour tirer pleinement parti des possibilités offertes par les couches numériques urbaines, il faut aussi, notamment en mobilité, pouvoir les identifier, y accéder, savoir ce qu’elles proposent et comment s’en servir. Pour représenter ces couches, une nouvelle forme de signalétique apparaît pour indiquer, décrire et montrer les flux et données numériques présents sur le territoire et sur les objets.

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Un essai de typologie des liens entre territoires physiques et numériques Les chercheurs britanniques Andy Crabtree et Tom Rodden (1) ont tracé une typologie des liens entre les dispositifs numériques et les espaces physiques : 6 Les « media spaces » relient les espaces physiques à travers les médiums numériques en cherchant à reproduire autant que possible les conditions d’un échange en face à face. Les dispositifs de travail collaboratif ou la téléconférence en sont des incarnations courantes et les mondes virtuels, tels que Second Life, la pointe avancée. 6 Les environnements de « réalité augmentée » fusionnent les mondes physique et numérique. Des couches d’information, d’images, de vidéos, sont « ajoutées » au monde physique dès lors qu’on l’observe par l’intermédiaire d’un équipement adéquat : un téléphone mobile doté d’un appareil photo et d’un GPS, le pare-brise d’une automobile sur lequel le système de navigation projette des informations, plus tard des lunettes ou des lentilles de contact… 6 Les environnements d’informatique « ambiante » encastrent le numérique dans l’environnement physique. Les objets, les espaces, voire les corps, s’équipent de puces à l’aide desquelles ils s’identifient les uns les autres, se localisent, échangent des informations, se connectent à des services personnalisés et contextuels… 6 Enfin, les « écologies hybrides » mêlent plusieurs environnements aussi bien physiques que numériques. Elles synthétisent en quelque sorte les environnements précédents. Un jeu de rôle qui se déroulerait à la fois sur le web et dans la ville, une réunion qui se tiendrait à la fois dans Second Life et dans différentes salles de différentes villes, un système de téléprésence dans lequel on piloterait un robot pour nous « représenter » en un lieu distant (qu’il s’agisse d’une discussion, d’une visite ou d’une intervention technique), relèvent de ces « écologies hybrides ».

(1) Hybrid Ecologies: Understanding Cooperative Interaction in Emerging Physical-Digital Environments, voir le lien : http://www.mrl.nott.ac.uk/~axc/DReSS_Outputs/PUC_2007.pdf


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1- Des outils fédérateurs pour naviguer dans la ville

Aujourd’hui : les cartes multiservices sans contact Dans de nombreuses métropoles, les cartes « sans contact » (1) sont en passe de devenir les clés de l’accès aux services urbains. La carte Navigo donne accès au métro parisien et aux transports de banlieue. Elle permet de louer un Vélib’, mais aussi de prendre le train Thalys vers Bruxelles et Amsterdam. À Londres, la Oyster Card (2) peut être couplée à une carte bancaire et à un porte-monnaie électronique.

Une carte « sans contact » Suica Source : image Wikipédia Une carte « sans contact » Octopus Source : image Wikipédia

Si elles prennent leur envol en Europe, les cartes urbaines sans contact n’égalent pas encore les possibilités offertes par leurs cousines asiatiques. Lancée à la fin des années 1990 à Hong-Kong, la carte rechargeable Octopus (3) est devenue le système d’accès et de paiement pour un grand nombre de services publics et privés. Octopus donne accès à toutes les compagnies de transports collectifs. Rechargeable dans de nombreuses bornes, elle peut ainsi être utilisée en substitut à (1) Une carte sans contact peut être lue à une certaine distance, la connexion s’établissant sans fil. Aux puces est donc associée une antenne. Les cartes de télépéage ou de transport sont des exemples désormais connus. (2) www.tfl.gov.uk/oyster (3) www.octopuscards.com

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l’argent liquide dans des boutiques, des fast-foods, des chaines de cafés et restaurants, des supermarchés, des machines de vente automatique, les parcmètres, etc. Elle fait également office de système d’authentification pour rentrer dans les universités ou certains bâtiments publics. Plus de 95 % de la population Hongkongaise disposerait de la carte Octopus. Au Japon, et en particulier à Tokyo, la carte Suica permet d’accéder à toutes les compagnies de train du Grand Tokyo. Développée par Sony, la puce RFID, qui équipe la carte dénommée Felica, peut aujourd’hui s‘insérer directement dans un téléphone mobile. Depuis 2007, les voyages effectués sont directement débités sur la facture de communication. Aujourd’hui : le téléphone mobile, interface de lecture et de navigation Longtemps dessiné comme un objet tourné vers le visage de l’individu (la fameuse forme en coquille), le téléphone mobile se tourne de plus en plus vers le monde. Il l’observe et le capte en photo et en vidéo. Il le « lit », qu’il s’agisse des puces RFID ou, au travers de son objectif photographique, des codes-barre à deux dimensions, des filigranes contenus dans des images publicitaires et interprétés par l’appareil comme des liens ou même des textes reconnus par un service de traduction distant. Il se situe et nous situe dans l’espace par l’intermédiaire de différents dispositifs de géolocalisation. Il se frotte (sans contact, certes, mais de très près) aux portillons, serrures, distributeurs de boisson, bornes d’embarquement – et même aux autres téléphones, au travers de multiples services destinés à repérer amis, âmes sœurs et autres « étrangers familiers » passant dans les parages. Le mobile transporte également mémoire (répertoire, agenda, notes, photos, musique), valeurs (porte-monnaie électronique, carte de transports, billets de spectacles, etc.) et clés (il permet l’accès à des bâtiments publics, des entreprises, et dans certaines villes d’Asie, à son propre domicile).


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Bref, le mobile change de statut et devient une véritable « télécommande de la ville » intégrant un nombre croissant de dispositifs naguère indépendants les uns des autres. Beaucoup de choses changent lorsque le mobile s’utilise aussi bras tendu, regard et appareil dirigés vers le monde et les autres. Le geste n’est plus réflexif, mais affirmatif : donner, prendre, piloter. L’objet lui-même devra bien changer avec : on imagine un bâton de berger ou de maréchal, une baguette, un panneau, une télécommande, un couteau suisse. Jusqu’où cette évolution ira-t-elle ? La réponse dépend d’au moins trois facteurs. En premier lieu, la volonté des utilisateurs de fédérer un plus ou moins grand nombre d’usages autour d’un seul appareil avec ses conséquences en termes de complexité d’usage mais aussi de vie privée. En second lieu, le degré de résistance d’autres acteurs – les banques, les transporteurs, les institutions publiques, etc. – ainsi « aspirés » dans l’orbite des opérateurs de télécommunications et qui pourraient bien ne pas l’entendre ainsi. Enfin, l’existence dans l’espace urbain de dispositifs capables d’être lus par les téléphones mobiles, voire de communiquer avec eux : étiquettes, capteurs, actionneurs, etc.

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1- Les puces : identifieurs, capteurs, actionneurs L’informatique « omniprésente », ou « ambiante », désigne la manière dont les puces quittent les appareils spécialisés, ordinateurs ou téléphones mobiles, pour se répandre dans les objets (des automobiles aux cartes de paiement), les espaces (les bâtiments, les commerces, la rue) et les corps (les boîtiers des malades d’Alzheimer). Ce dispositif technique s’appuie sur trois types de composants : les puces, les réseaux et les logiciels. Les puces elles-mêmes peuvent assumer, ou associer, trois fonctions : 6 Certaines, en particulier les fameuses puces RFID, ont pour unique fonction d’identifier l’objet qui les porte. 6 Les capteurs sont des puces capables d’observer leur environnement (température, chaleur, teneur de l’air en particules, images, etc.). 6 Les actionneurs permettent d’agir à distance (allumer ou éteindre, ouvrir ou fermer, déclencher une alarme ou un mécanisme, etc.). Capteurs et actionneurs peuvent être des objets autonomes, ou bien intégrés dans un équipement : réfrigérateur, téléphone, machine; etc. Dans une automobile, par exemple, ils contrôlent les airbags, mesurent la pression des pneus, ajustent le freinage, précisent la direction, estiment la distance des autres véhicules, etc. Capteurs et actionneurs n’ont généralement de sens que s’ils sont en mesure de communiquer, d’une part entre eux (par exemple pour permettre à deux véhicules de se dire qu’ils roulent trop près l’un de l’autre) et d’autre part, avec des applications informatiques chargées d’extraire du sens des informations captées et d’envoyer des instructions aux puces. Ces applications peuvent être assez simples (par exemple lorsqu’il s’agit de détecter un incendie ou une intrusion) ou beaucoup plus complexes (par exemple les logiciels de reconnaissance de visages ou de lecture de plaques minéralogiques chargée d’analyser les images des caméras de vidéosurveillance). Dans tous les cas, elles s’appuient sur des bases de données de mesures, de captures et de traces dont la taille et la précision s’accroissent avec le temps. Pour cette raison, l’informatique ambiante deviendra rapidement un sujet de discussion dans les villes autour d’au moins deux thèmes : les risques pour la vie privée d’une part, et d’autre part, la possibilité pour d’autres acteurs, entreprises ou citoyens, d’accéder aux informations (anonymisées) pour en faire d’autres usages que ceux pour lesquels elles avaient été prévues à l’origine.


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2- Les dispositifs d’identification des objets et des lieux Identification par radio-fréquences (RFID)

Pour identifier « sans contact » un objet, un appareil, une carte… Une étiquette RFID se compose d’un circuit intégré contenant un identifiant et d’une antenne miniature. L’étiquette (tag) peut être lue à une certaine distance, grâce au lecteur « sans contact ». Les tags RFID sont d’abord destinés à remplacer les codes-barre dans la distribution et la logistique. Mais on les trouve également dans les nouveaux passeports, dans beaucoup de cartes de transport ou de télépéage et dans des téléphones mobiles.

Code barre à deux dimensions (2D)

Pour identifier un objet, associer des informations ou un lien à un objet (fixe ou mobile). Les codes-barre classiques sont dits à « une dimension » et ne peuvent contenir que très peu d’information. Les codes-barre 2D en contiennent beaucoup plus. Une fois « scannés » par un lecteur spécialisé, ou bien par l’appareil photo d’un téléphone mobile, cette information devient lisible. On peut ainsi insérer un code 2D au bas d’une brochure, d’une affiche ou d’un panonceau (pour envoyer vers un site web mobile qui propose d’autres informations), ou sur une carte de visite (pour enregistrer les coordonnées dans le répertoire du mobile). Une autre application consiste à charger un code 2D dans le mobile qu’on affichera sur son écran pour accéder à un spectacle ou valider son billet de train, par exemple.

En téléchargeant une application sur son mobile (www.kaywa.com), on peut lire : « cahier de tendances – Villes 2.0 – http://www.villes2.fr »

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Demain, peut-être : un appareil pour relier toutes les puces de la ville Le projet de guide numérique de la ville de Tokyo que propose le laboratoire uID Center (1) repose sur un prototype de téléphone/assistant personnel du futur, le Communicator. Géolocalisé, très communicant, doté d’un appareil photo, mais aussi d’un lecteur de puces RFID, l’appareil est capable de reconnaître les textes vers lesquels on le pointe, d’afficher des vidéos ou des plans afin de délivrer des informations sur des lieux, des objets, etc. Le Communicator est en particulier capable de dialoguer avec toute une panoplie de marqueurs électroniques : les u-codes (2). Ces u-codes peuvent être des étiquettes RFID, des émetteurs à infrarouge ou encore des codes barres à deux dimensions (QR codes). Une fois l’étiquette lue, le Communicator délivre les informations correspondantes, qu’elles soient stockées dans sa base de données ou disponibles à travers le réseau. S’il se focalise au départ sur la mobilité, le tourisme et le commerce, l’uID Center souhaite tester l’insertion de puces dans toutes sortes d’objets : une boite de médicaments qui donnerait la posologie à suivre, un emballage alimentaire offrant une traçabilité complète de ce qu’il contient, etc.

À gauche : Image communicator - Source : Clubic À droite : image communicator - Source : voir communiqué de presse sur le site www.tengine.org

(1) uID Center, pour Ubiquitous Identity (identité mobile) - www.uidcenter.org (2) u-codes : « u » pour « ubiquitaire ».


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Le Communicator est l’interface, la partie la plus spectaculaire du projet. Mais l’essentiel réside dans l’infrastructure informationnelle que pourraient finir par constituer les u-codes. À terme, les autorités japonaises souhaitent en effet insérer des centaines de milliers d’u-codes dans les espaces, les équipements, les véhicules afin d’enrichir l’expérience urbaine d’informations contextualisées. Demain, peut-être : la transparence et le tactile pour naviguer dans la ville Lorsque l’on regarde les travaux prospectifs d’artistes et de designers sur la forme et l’usage des appareils communicants du futur, deux caractéristiques reviennent très fréquemment: ces nouveaux objets seront transparents et tactiles. L’objet mobile imaginé par le designer Mac Funamizu utilise ainsi la transparence pour superposer des informations au monde physique. En regardant un immeuble au travers d’une tablette de la taille d’un livre de poche, on superpose à l’image les informations disponibles sur le bâtiment. En surlignant par transparence un mot du journal du jour, on affiche immédiatement ce que son Concept d’objet mobile par Mac Funamizu moteur de recherche préféré re© Marc Funamizu Source : http://petitinvention.wordpress.com père sur ce mot. Dans leur ouvrage Urbanism 2.0 (1), les architectes Horner et Moreau s’interrogent également sur la difficulté à accéder à « la couverture numérique » recouvrant la ville. Leur concept, le « Footnet », vise à « redonner à la ville toute sa transparence ». « Les utilisateurs pourraient contrôler le nombre et le

Naviguer dans la ville augmentée - Chapitre 1

type d’informations. Ces dernières pourraient venir des réseaux sociaux (un ami est-il proche de moi ?), ou lister les activités locales (à travers des paramètres prédéfinis par les utilisateurs). D’autres sources d’information comme de l’information touristique, des informations de sécurité, etc. donneraient la possibilité aux utilisateurs de “googler” leur environnement physique ».

Vue d’artiste du « Google Vision » par Callum © Callum Peden

HomePage : une fenêtre sur la ville À l’occasion d’un séminaire de travail regroupant des étudiants de plusieurs écoles, organisé par le programme Villes 2.0, plusieurs projets mettaient en avant la transparence pour naviguer dans la ville. Le projet Homepage en est une illustration concrète. HomePage transforme sa maison, son appartement, sa fenêtre en une page d’information sur ses goûts, ses préférences, ses images et vidéos préférées, tout ce que l’habitant va vouloir partager avec l’extérieur. Les passants peuvent récolter avec leurs mobiles ces informations en « scannant » la façade du domicile. Les façades de la ville deviennent le support de contenus produits, ou au moins sélectionnés, par leurs habitants. Le téléphone mobile associé au projet HomePage © Image étudiant ENSCI

(1) www.urbanism2-0.com

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La ville 2.0, complexe et familière

3- Les réseaux sans fil Avec ou, le plus souvent, sans fil, les objets communicants échangent des informations entre eux et/ou avec des systèmes chargés d’analyser l’information qu’ils fournissent et d’agir en conséquence. Ces réseaux fonctionnent le plus souvent sans fil sur des distances plus ou moins grandes. Trois technologies principales illustrent leurs caractéristiques. Wi-Fi

Pour créer un réseau local sans fil, pour partager une connexion internet. Wi-Fi est la marque commerciale d’un protocole de communication dont la caractéristique est de fonctionner comme le principal standard des réseaux locaux, Ethernet, mais sans fil. Sa portée est de quelques mètres à quelques dizaines, parfois centaines de mètres. En extérieur et dans les espaces publics, Wi-Fi est utilisé pour partager une connexion internet, gratuite ou payante. Les points d’accès Wi-Fi sont aussi appelés « hotspots ».

Bluetooth

Pour faire communiquer des équipements numériques entre eux, envoyer des contenus vers un mobile, échanger directement entre mobiles. Bluetooth est un protocole de communication de données sans fil entre appareils électroniques situés assez près les uns des autres (jusqu’à quelques mètres). À l’origine conçu pour connecter entre eux les appareils d’un même utilisateur (par exemple l’ordinateur et le mobile), Bluetooth s’utilise également dans l’espace public pour identifier la présence de mobiles et leur proposer de l’information (municipale, touristique, commerciale, etc.).

NFC

Pour identifier des objets ou des cartes à une distance de quelques centimètres. La communication en champ proche (Near Field Communication ou NFC) est une technologie d’échanges de données sans fil à faible débit, faible distance (10 cm maximum) et faible consommation électrique. Elle est par exemple utilisée avec les puces RFID.

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2- Inventer une signalétique du numérique L’espace public des villes est peuplé de signes et de signaux. Ces signes sont des dispositifs matériels permettant d’avertir le public d’une disposition immatérielle souhaitable (signalétique d’invitation), non souhaitable (signalétique de protection) ou d’information (les magasins, lieux publics, etc.). La signalétique peut être considérée comme un outil de communication et d’information. Aujourd’hui, la signalétique urbaine prend peu en compte le numérique, qu’il s’agit de signaler des ressources (par exemple un réseau Wi-Fi ou une information associée à un lieu), de conseiller, de prescrire ou de proscrire certains usages. Les seules exceptions sont les panneaux qui signalent qu’un espace fait l’objet d’une vidéosurveillance, ou qui limitent l’usage du téléphone mobile. Or, si les services et les outils numériques font partie des ressources de la ville, ceux-ci doivent être visibles, accessibles et partagés de manière intelligible entre les citadins. Une ville déjà bavarde On trouve dans la ville plusieurs types de signalétiques : 6 Les signes des autorités publiques : panneaux de signalisation routière, direction, indication de transports publics, monuments publics, etc. ; 6 Les signes marchands et commerciaux : enseignes de magasins, kiosques, restaurants, bars, etc. ; 6 Les signes liés à la publicité, l’affichage, les informations municipales, etc. ; 6 Les signes liés à la surveillance : présence de caméras, détecteurs de fumée, etc. ; 6 Les signes des habitants, des artistes, et de l’affichage sauvage : stickers, affiches, tag, pochoirs, etc.


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La signalétique publique classique est normée, elle utilise des codes définis, utilisés et compréhensibles sur l’ensemble du territoire, voire au-delà : certains signes sont les mêmes sur toute la planète, ou presque. Les panneaux de signalisation routière utilisent des codes couleurs cohérents, la même typographie, etc. La signalétique marchande utilise des codes plus diversifiés, liés par exemple à une marque (le « M » et le jaune de McDonalds, le logo Fnac, etc.) dont l’identité doit être forte. Enfin l’affichage sauvage dispose de sa propre identité qui se décline à quelques exemplaires disposés dans la ville. La timide émergence d’une nouvelle signalétique À cette signalétique classique vient s’ajouter, encore timidement, une signalétique nouvelle représentant les infrastructures d’accès aux réseaux numériques par exemple de connexion Wi-Fi (un autocollant du système de partage de connexion Fon ; un sticker annonçant un HotSpot, un point d’accès public gratuit ou non ; des « craifities » tagués dans la rue par les citadins ayant découverts un réseau wifi ouvert et souhaitant le représenter et le partager). On voit également apparaître quelques codes 2D disséminés dans la ville, ou d’autres signes plus ad hoc, tels que les flèches jaunes (1), que des citadins collent librement dans la ville, associant à leur code unique une photo, une information, une impression, que l’on peut rappeler en expédiant un SMS au numéro visible sur la flèche. Ces représentations physiques du numérique demeurent encore peu exploitées et ne sont pas normées.

(1) www.yellowarrow.net

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Les multiples représentations du Wi-Fi public

Enfin, même si certains projets prospectifs ou artistiques en ont tracé quelques contours, la signalétique des artefacts de l’informatique omniprésente – capteurs et actionneurs, informations géolocalisées, automates, etc. – n’est aujourd’hui presque pas travaillée. Comment savoir que le restaurant devant lequel je me trouve a été commenté plus de 50 fois sur tel site de partage, que le square dans lequel je me repose est le lieu des fêtes des voisins de ce quartier dont les images, les vidéos, les billets de blogs, inondent le réseau ? Comment faire comprendre que ce tag 2D me permet de laisser un commentaire sur la pièce de théâtre à laquelle je viens d’assister ? Que ce monument public est équipé d’une borne Bluetooth grâce à laquelle je peux accéder à une information historique ? Qu’ici se trouve un capteur de la qualité de l’air, là une antenne mobile, qu’en allant de chez moi au métro je passerai dans le champ de n caméras de surveillance ? L’enjeu est double : exploiter pleinement le potentiel des nouveaux dispositifs urbains mais aussi assurer la transparence de leur déploiement et de leurs usages. La signalétique de l’informatique omniprésente comporte ainsi deux difficultés : 6 Rendre visibles les flux, les données, les réseaux, les contenus, etc. – ce qui suppose évidemment qu’on le désire ; 6 Qualifier les contenus et leurs interactions possibles avec l’utilisateur, ce que les designers appellent les « affordances ».


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La première voie que nous explorerons, basée sur des travaux de designers et d’universitaires s’intéresse à la représentation des objets et des flux de l’informatique omniprésente pour les matérialiser dans la ville. Cette approche se complète avec une « signalétique embarquée » dans les appareils communicants. Modéliser les interactions liées aux RFID Les théoriciens de l’informatique omniprésente, et beaucoup d’industriels derrière eux, se proposaient de rendre l’informatique invisible, de la dissimuler derrière les objets et les lieux du quotidien. A rebours de cette tendance, plusieurs designers ont mis l’accent sur le besoin de les rendre visibles, et donc à la fois perceptibles, utilisables et maîtrisables. Le designer Timo Arnall (1) fait partie des précurseurs. Désormais à la tête du « Touch project » de l’École d’architecture et de design d’Oslo, il interroge la présence et les usages des RFID. Comment visualiser la présence de puces RFID ? Comment indiquer les objectifs et les usages de telle puce ? Comment inviter les utilisateurs à toucher, à prendre, à ouvrir, à fermer, à s’identifier, à télécharger ? Comment reconcevoir un distributeur de tickets ou un terminal de paiement à l’heure des transactions invisibles et sans fil ? Comment optimiser la localisation, la forme, le placement des lecteurs RFID ? Est-il utile de représenter les modes d’interactions possibles et les fonctionnalités proposées ? Le « langage graphique de la RFID » qu’a inventé Timo Arnall ne vise donc pas seulement à signaler la présence d’une étiquette ou d’un lecteur RFID mais aussi à expliquer aux usagers le contenu de la puce et, le cas échéant, la façon d’interagir avec les équipements et les applications que l’on croise.

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Le projet E-Lens du Mit : une forme « lisible » des codes 2D Après l’Asie, les services proposants des codes barre à deux dimensions (dans leurs différentes variantes, QR code, Flashcode, Data matrix...) pour accéder à de l’information sont en développement en Europe. Collés sur des objets et des lieux, les codes 2D permettent avec un simple téléphone mobile disposant d’un appareil photo et du logiciel adéquat, de lire l’information contenue dans le code. Il est ensuite possible de se rendre sur une page web, d’accéder à un répondeur audio, de récupérer une carte de visite, etc. Les codes 2D placés dans la ville peuvent contenir une information contextualisée. Néanmoins, bien qu’ils permettent d’indiquer qu’un contenu numérique est présent, ils ne peuvent révéler sa nature avant d’être « flashés » par les utilisateurs. En se développant massivement, les tags 2D pourraient même devenir une véritable nuisance visuelle dans l’espace public physique fini. Plusieurs projets s’efforcent d’inventer des codes à deux dimensions peut-être un peu moins riches en information (un lien vers un site web suffit) mais ils sont à la fois plus esthétiques et surtout plus explicites. Les codes 2D du projet E-Lens du MIT, développés en collaboration avec la municipalité de Barcelone, sont ici « lisibles » en amont par l’utilisateur. Grâce à une suite de logotypes, l’usager de ces étiquettes spécifiques dispose d’une première information sur le contenu qu’il « cliquera ». Les ColorCodes – de la société coréenne Colorzip – poursuivent le même objectif. E-lens du MIT Source : mobile.mit.edu/en/elens

Un exemple de signalétique créé par Timo Arnall.

(1) www.elasticspace.com

Un exemple de ColorCode Source : www.colorzip.com


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Une signalétique « embarquée » Et si la signalétique de l’informatique omniprésente devenait « embarquée » pour s’organiser autour de chaque utilisateur ? Afin de tenir compte d’un espace public physiquement contraint, tout en enrichissant et en personnalisant les indications fournies aux citadins, plusieurs projets proposent de déplacer la signalétique des contenus numériques directement sur les téléphones mobiles, les assistants personnels et peut-être demain sur les objets hybrides « transparents » que nous décrivions plus haut. Une vue possible du projet MARA © Image MARA Nokia Source : http://research.nokia.com/research/projects/mara/

De nombreux acteurs s’intéressent aux possibilités offertes par cette réalité augmentée. C’est le cas de Nokia qui, dans ses laboratoires d’Helsinki, développe le projet Mobile Augmented Reality Applications (1). Les chercheurs ont ajouté à un téléphone haut de gamme une puce GPS, une boussole et un accéléromètre. En utilisant les données de ces trois capteurs, le téléphone peut calculer la localisation en trois dimensions des objets ou des bâtiments vers lequel on pointe son objectif photographique. À partir de ces coordonnées géographiques en trois dimensions, il va alors chercher des informations sur le lieu ou l’objet dans une base de donnée en ligne, et les affiche sur son écran. En pointant le téléphone vers l’Empire State Building de New York, le n de Nokia fait ainsi apparaître le nom des entreprises présentes, le coût de la visite et le menu des restaurants présents dans le bâtiment. (1) « Applications mobiles de réalité augmentée ». http://research.nokia.com/research/projects/mara/index.html

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Pour moins dépendre de la précision de la géolocalisation, les équipes de plusieurs entreprises travaillent également sur des algorithmes de reconnaissance d’image : le téléphone photographierait ce que son possesseur voit et enverrait l’image à un serveur qui reconnaitrait automatiquement l’objet ou le bâtiment. La technologie est aussi explorée pour lire des textes, par exemple des panneaux dans une langue qu’on ignore, et dont on pourrait obtenir la traduction. Si quelques entreprises proposent des applications commerciales fondées sur la reconnaissance d’images en deux dimensions (une étiquette ou une affiche, par exemple, photographiées à peu près de face), d’autres, comme le Japonais Olympus, testent également des algorithmes en trois dimensions, capables de reconnaître, sur la base d’une modélisation préalable, des photos d’un lieu quel que soit l’angle de prise de vue. L’utilisation de la réalité augmentée pour se repérer et capter les flux d’informations numériques est également très présente sur la nouvelle plate-forme mobile Android de Google. A l’ocEnkin, fenêtre sur le physique casion d’un appel à projet de Source : http://www.enkin.net/ Google, l’Android developper Challenge, des chercheurs de l’université de Koblenz en Allemagne ont présenté un prototype d’application, Enkin (1), capable de superposer des informations en provenance de GoogleMaps directement sur une prise de vue filmée à partir du téléphone.

(1) www.enkin.net Voir photo ci-dessus : capture d’écran du petit film proposé.


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Lentille RA Source : image issue du site de l’université de Washington.

Enfin dans des travaux plus prospectifs (1), les chercheurs de l’université de Washington ont réussi à créer une lentille de contact truffée de circuits intégrés et de diodes lumineuses, qui devrait permettre à terme d’afficher une image directement devant les yeux, superposée à l’environnement réel.

Une forêt de bambous pour matérialiser les flux numériques urbains Le projet « Forêt de données » porté par Orange Labs (2) a pour but de rendre visible la présence de hot-spots Wi-Fi dans les espaces publics sous la forme de « bambous numériques » ou d’autres formes familières, plaisantes, modulables et visibles. Ces « bambous communicants » Forêt de données © Orange Labs permettent à la fois de se connecter au Web en haut-débit et d’accéder à des informations et des services locaux tels que des petites annonces. Il s’agirait d’un nouveau type de mobilier urbain dédié aux usages du web et de la téléphonie dans les espaces publics. Chaque forêt se compose d’un nombre plus ou moins grand de bambous, en fonction de la taille et des services souhaités. Le bambou se compose à son tour de segments qui s’emboitent les uns dans les autres. Ces segments sont « actifs » : à l’aide de diodes électroluminescentes (LED), ils peuvent en quelque sorte matérialiser les interactions numériques à l’œuvre autour d’eux. Selon l’intensité du trafic, des échanges sur tel site, ou encore la valeur de certaines données (la météo, la bourse, etc.), les segments s’illuminent ou s’assombrissent, changent de couleur, clignotent… Les « forêts de données » seraient donc un instrument d’aménagement convivial des espaces publics, favorisant les échanges numériques (via les PC portables, téléphones mobiles, et autres objets communicants) et de proximité (conversations, voisinage, rencontres, initiatives collectives).

(1) http://www.internetactu.net/2008/01/24/une-lentille-de-contact-augmentee/ Voir en haut, photo d’une lentille RA. http://uwnews.washington.edu/ni/article.asp?articleID=39094 (2) http://www.orange-innovation.tv/webtv/mode/detail/59/la-foret-de-donnees-le-mobilier-urbainnouvelle-generation/lang/fr/play/1/


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Chapitre 2

2.0 : du web à la ville Le message électronique que John a reçu ce matin sur son téléphone mobile vient de lui épargner plusieurs heures de retard et de frustration. La nuit dernière, une tempête a frappé la petite ville du New Jersey, dans laquelle il vit, et un arbre est tombé en travers de la voie de train qu’il emprunte tous les matins pour se rendre à son travail à Manhattan. En écoutant la radio, il découvre que les trains sont retardés de plusieurs heures. Durant son petit déjeuner, il allume son téléphone mobile et y lit les alertes en provenance de Clever Commute (1), un service gratuit qui publie en temps réel, ligne par ligne, les messages des utilisateurs des transports en public du New Jersey. Bien avant les informations de la radio, des utilisateurs avaient déjà publié des messages sur l’état de la voie de train tout en expliquant que plusieurs lignes de bus seraient mises en place pour effectuer son trajet quotidien. Ils y indiquent même le départ et les arrêts exceptionnels que les bus vont effectuer. (1) www.clevercommute.com


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L’autorité des transports de l’État, NJ Transit, est un peu embarrassée par le succès de Clever Commute, qui comptait mi 2008 plus de 100 000 utilisateurs. Mais elle est bien obligée de reconnaître que l’information qui s’échange entre les usagers est souvent plus précise et plus efficace que celle qu’elle délivre elle-même…

Une « fenêtre » CleverCommute sur un blog local du New Jersey (BaristaNet) Source : http://www.clevercommute.com/

Clever Commute est une incarnation typique de ce que l’on nomme le « web 2.0 » : toute la valeur du service provient des utilisateurs, de ce qu’ils partagent et publient avec les autres. Il démontre également que les applications du web 2.0 peuvent avoir des fonctions très concrètes dans une ville. Avec le déploiement de la géolocalisation, des services mobiles et réseaux sociaux pensés pour la mobilité, les pratiques du web 2.0 débordent en effet de plus en plus nettement du cadre de l’internet. Les nouvelles formes de coopération, de dialogue, de rencontre, d’échange et de lien qui s’y expérimentent descendent dans la ville. Qu’est-ce donc que ce web 2.0 ? Quels effets son développement peut-il avoir sur la vie urbaine ? Et en quoi, en retour, la ville changera-t-elle le web ?

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1- Web 2.0 et réseaux sociaux : de quoi s’agit-il ?

En principe, le passage d’une version 1 à une version 2 d’un service ou d’un logiciel est le produit d’un processus organisé, longuement planifié, qui fait suite à des étapes de recherche, de conception, de développement, de test. Rien de tel en ce qui concerne le web 2.0. L’expression est née en 2004, lorsque l’éditeur américain Tim O’Reilly et quelques-uns de ses collègues ont cherché à exprimer à postériori le sentiment très répandu qu’il s’était passé quelque chose de décisif sur le web. Sans évolution technique majeure, sans décision centrale, un ensemble de nouveaux outils (tels que les blogs et les fils RSS), de nouvelles plates-formes (tels que les réseaux sociaux ou les sites de partage de photos et de vidéos), de nouvelles pratiques, tant du côté des fournisseurs de services que des utilisateurs, ont transformé l’usage du web et la place qu’il occupe dans la vie de millions de personnes.

Du web 1.0 au web 2.0 : une représentation graphique Source : Frédéric Cozic, blog.aysoon.com


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Un web centré autour de l’individu et de la relation Le web « première manière » était d’abord un dispositif de publication (de médias, de documents, d’information) et de service (commercial, administratif, etc.). Le web « seconde manière » relie en plus des individus, et ceux-ci y jouent un rôle de plus en plus central. Les utilisateurs publient par millions, au travers des blogs, des sites de partage de photos (FlickR notamment) et de vidéo (YouTube, DailyMotion sont les plus connus). Ils commentent les publications des autres, les livres en vente dans les librairies électroniques, les articles des journaux. Ils évaluent les produits ou les vendeurs des sites de vente aux enchères (eBay et PriceMinister). Ou, comme dans le cas de Clever Commute, ils partagent ce qu’ils savent de l’état des transports sur leurs lignes. Les utilisateurs s’appuient également sur le web 2.0 pour établir ou entretenir une relation avec leur cercle d’amis, de collègues, ou avec un cercle élargi de relations qu’ils ne connaissent que sur le web. Les « sites sociaux » comme MySpace (plutôt destiné aux ados), Facebook (pour tous), Viadeo ou Linkedin (destinés de préférence aux liens professionnels) ont pour fonction d’organiser ce lien. Enfin, en partageant simplement des actes quotidiens, comme le fait d’enregistrer une adresse web dans ses signets, ou des gestes plus délibérés tel que le fait de contribuer à l’encyclopédie Wikipédia, le web 2.0 construit des espaces de connaissance nouveaux fondés sur l’« intelligence collective » de millions d’individus. Le web 2.0 est donc social et relationnel et s’appuie de multiples façons sur la contribution des individus, brouillant quelque peu les distinctions entre producteurs et consommateurs. Les abonnés de Clever Commute se substituent aux autorités de transports du New Jersey mais, de leur côté, la SNCF francilienne ou les transports de San Francisco utilisent le site Twitter (dont la fonction est a priori de permettre

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à des amis de partager de très courts messages sur ce qu’ils font ou ce qu’ils ressentent à un moment donné) pour informer en temps réel d’éventuels incidents sur leurs lignes. Un web palimpseste L’autre caractéristique du web 2.0 se situe au croisement de la technique et des modèles d’innovation. Elle consiste à considérer toute information, tout logiciel, tout service à la fois comme une valeur en tant que telle et comme une brique à partir de laquelle d’autres informations, logiciels et services pourront se créer. Ainsi, le contenu d’une information sera séparé de sa présentation de manière à en permettre la réutilisation dans de multiples contextes. Pour les blogs et les sites d’information (y compris ceux des grands médias), c’est le rôle du format RSS (1) qui contient la description synthétique du contenu d’un site web. Après l’information, vient le tour des logiciels et des services en ligne, qui ouvrent des « interfaces de programmation » (2) auxquelles d’autres pourront faire appel pour créer leur propre service. Ainsi, il devient très facile de monter sa propre petite boutique en ligne en s’appuyant sur le catalogue d’Amazon et son système de paiement. Et des sites « composites », ou mashups, se créent en mariant des ressources issues de différents autres sites. C’est le cas de petits sites locaux qui vont utiliser les cartes de Google, les informations de tel média local, les petites annonces de sites de ventes aux enchères, celles des agences immobilières, des informations issues du site de la mairie et, pourquoi pas, des contributions venues des blogueurs locaux pour rassembler en un seul point une multitude de ressources utiles aux habitants – le tout sans exiger ni compétence de programmation, ni moyens importants. (1) RSS, pour Really Simple Syndication (mutualisation vraiment simple). (2) Interfaces de programmation : API, pour Application Programming Interfaces.


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Quelques sites emblématiques du web 2.0 6 www.wikipedia.org Wikipédia est une encyclopédie collaborative reposant sur un espace de publication entièrement ouvert : n’importe qui peut écrire ou corriger un article, le nombre et la pression des autres contributeurs assure la qualité. Mi 2008, près de 90 000 auteurs avaient contribué à la version française de Wikipédia qui contient plus de 600 000 articles. 6 www.youtube.com Youtube est un système communautaire de publication de vidéo en ligne. Les utilisateurs peuvent mettre leurs vidéos en ligne, les classer dans des groupes, les commenter et se répondre par vidéos interposées. 6 www.flickr.com FlickR est un site de partage de photos. Ses utilisateurs publient des photos qu’ils rendent pour la majorité publiques. Ils commentent les photos des autres, créent des groupes thématiques et échangent des avis. 6 www.delicious.com Delicious permet de partager ses signets (les sites et les pages web que l’on mémorise pour les retrouver plus tard) et de les indexer à partir de motsclés. À partir de cet acte simple, l’objectif est de produire un moteur de recherche « humain » dont on pourrait espérer des résultats plus pertinents (et moins nombreux) que ceux que produisent les moteurs de recherche tels que Google. 6 www.netvibes.com Netvibes est un lecteur de flux RSS en ligne qui permet de rassembler sur une seule page toutes ses sources d’information et bien sûr, web 2.0 oblige de partager ses sources ou sa page. Concrètement, un utilisateur de Netvibes (ou d’un service équivalent) pourrait ne plus jamais avoir besoin de se rendre sur les sites de ses journaux favoris, l’information lui étant délivré automatiquement sur sa propre page à la manière des fils d’agences de presse. 6 L’écosystème Google Autour de son moteur de recherche, Google a développé une suite de services bureautiques à la fois personnels et partagés : le courrier électronique Gmail, l’agenda partagé Calendar, la suite bureautique Google Documents qui permet de produire à plusieurs un même document... sans parler, bien sûr, des cartes de Google Maps à partir desquelles se sont développés des milliers de services dans le monde.

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6 www.myspace.com Myspace est un site social qui met gratuitement à disposition de ses membres enregistrés un espace de publication personnalisé permettant de tenir un blog, d’entreposer ses compositions musicales, ses photos, ses vidéos... Les utilisateurs peuvent ajouter des « amis » à leur page, qui peuvent dès lors échanger des messages. En avril 2008, Myspace annonçait plus de 230 millions de comptes ouverts. 6 www.facebook.com Facebook est également un site social dont l’audience, composée à l’origine d’étudiants, est moins adolescente que celle de MySpace. La vocation de FaceBook est d’aider ses utilisateurs à partager de l’information. L’une de ses caractéristiques originales consiste à faciliter l’ajout d’applications externes à son espace : des milliers d’applications développées par des tiers ont ainsi enrichi le service de la plate-forme. 6 www.linkedin.com Linkedin est un site social à vocation professionnelle. Ses utilisateurs entrent en relation les uns avec les autres dans le but de faire des affaires, de recruter ou de se faire recruter. Depuis 2008, les cadres inscrits à l’Apec (Association pour l’emploi des cadres) peuvent aussi l’être sur Linkedin pour échanger avec d’autres cadres, partager des informations sur une entreprise, etc.

Les sites sociaux étaient dans un premier temps « globaux », ce qui est une autre manière de dire qu’ils ne parlaient qu’Anglais. Leur usage n’était possible que sur un ordinateur connecté. Désormais, ces sites deviennent plus locaux, voire pour certains « microlocaux », à l’échelle d’un quartier ou d’un immeuble. Certains s’utilisent indifféremment sur un ordinateur ou sur un téléphone mobile. Grâce à la géolocalisation, ils se muent en un véritable « radar spatio-temporel ». Ils produisent alors de nouvelles formes de sociabilité urbaine qui investissent à leur tour de nouveaux lieux physiques.


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Liens forts, liens faibles Dans son article désormais célèbre « The strengh of weak ties » (1), le sociologue Mark Granovetter distingue deux types de réseaux de liens sociaux : un réseau restreint de liens « forts » (la famille, les amis d’enfance, etc.) et un réseau généralement plus étendu de liens « faibles » (les amis d’amis, les anciens camarades de classes, d’université ou d’école, les collègues de travail, les rencontres épisodiques, etc.). Cette étude montre aussi qu’un individu va plus bénéficier des informations venant de son réseau de liens faibles que de son réseau de liens forts : les liens forts relient des personnes assez proches socialement tandis que les liens faibles nous relient à d’autres univers, d’autres influences. Cette grille de lecture des réseaux sociaux, qui ne se limite pas aux réseaux électroniques, a été testée avec succès sur les plates-formes « relationnelles » du web. Elle fait apparaître des modes de collaboration inédits entre les utilisateurs. Observateur engagé des phénomènes sociaux sur les réseaux, Howard Rheingold a ainsi décrit le fonctionnement d’une des plus anciennes communautés en ligne : le Well (2). Cette communauté située géographiquement (la baie de San Francisco), composée de personnes assez proches socialement (éduquées, doté d’un capital social et économique élevé), partage des intérêts communs. Les échanges sont volontaires et organisés. Les rencontres physiques sont très fréquentes, les discussions qui s’y engagent se poursuivent dans l’espace électronique du Well. Cette communauté qui date d’avant le web construit des liens « forts ». Les plates-formes et services du web 2.0 mobilisent plus souvent, quant à elles, des coopérations faibles. Dans les MySpace, Facebook et autres FlickR, le sentiment d’appartenance, l’action collective, ne procèdent d’aucune

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intention préalable mais émergent progressivement des échanges. Des blogueurs qui publiaient au départ pour un petit cercle d’amis se prennent au jeu des commentaires, des liens croisés entre sites similaires pour, de proche en proche, s’inscrire dans une forme de communauté. Des photographes amateurs se repèrent entre eux, échangent sur leurs productions et font émerger des groupes thématiques de plus en plus puissants. C’est également le cas des utilisateurs de Wikipédia dont les rôles changent au fur et à mesure qu’ils s’impliquent dans le fonctionnement de l’encyclopédie elle-même. Ils commencent à corriger des articles sur lesquels ils se sentent compétents, puis à travailler sur leur propres articles avant d’adopter de nouveaux rôles : corriger les fautes d’orthographe, surveiller les articles contre le « vandalisme », assumer des tâches administratives, aider les nouveaux arrivants, etc. La motivation de ces « Wikipédiens » évolue ainsi d’un intérêt individuel vers une projection collective. Wikipédia est une représentation de cette force des liens faibles, ou des coopérations faibles : des communautés au départ très lâches, dont les membres ont peu de points communs, finissent par devenir, de fait, des sources d’investissement très fort pour les individus et produire des effets collectifs importants.

(1) Sociologue américain, Mark Granovetter est l’un des principaux représentants de la sociologie des réseaux sociaux. Sa théorie de la diffusion de l'information dans une communauté est connue sous le nom de la « force des liens faibles » (Strength of weak ties, 1973). Voir : « The Strength of Weak Cooperation : An attempt to Understand the Meaning of Web 2.0 » http://www.stanford.edu/dept/soc/people/mgranovetter/documents/granstrengthweakties.pdf (2) www.well.com Cofondateur du site d’informations HotWired, animateur-pionnier de The Well, l’une des premières communautés en ligne, Howard Rheingold est un analyste des répercussions sociales des nouvelles technologies. Il a publié notamment Smart mobs, publié en français sous le titre Foules Intelligentes, M21/Fyp éditions.


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2- Des réseaux sociaux au « radar social »

D’abord globaux, sans référence explicite à un territoire, les sites sociaux tendent à se territorialiser. Ils se déclinent en plusieurs langues. Des groupes se constituent par villes. Certains sites sociaux se créent même explicitement à l’échelle d’une ville, d’un quartier ou même d’un immeuble. Mais c’est sans doute la combinaison de la géolocalisation et du mobile qui est en passe de transformer ces plates-formes en outils au service du lien social et des coordinations quotidiennes dans la ville. La territorialisation des sites sociaux La fréquentation des sites sociaux en France ne cesse d’augmenter. En avril 2008, d’après l’institut Comscore, plus de la moitié des internautes Français en étaient adeptes. Le réseau Skyblog reste le plus populaire. Il totaliserait 11 millions de visiteurs, suivi par Facebook.com avec 3,2 millions de visiteurs. MySpace.com arrive en troisième position avec 3 millions de visiteurs, suivi de Trombi.com (un site qui aide à retrouver ses amis anciens élèves) avec 1,3 million de visiteurs. Ces réseaux se déclinent pour la plupart en une version mobile, adaptée à la taille des écrans des téléphones cellulaires, sans toutefois être pensés pour permettre réellement à leurs utilisateurs de se coordonner en mobilité. Il en va différemment pour d’autres sites plus récents qui se construisent en lien avec un territoire urbain.

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Que fait-on sur un site social ? Les sites sociaux permettent aux individus d’entretenir et d’élargir leurs cercles de relations (famille, amis, collègues ou simples connaissances), et d’accomplir des choses en commun avec d’autres personnes. L’affichage public du réseau relationnel des participants sur leur fiche personnelle, voire d’autres informations d’humeur, d’agenda, etc., fait l’originalité de ces sites par rapport aux pratiques sociales antérieures. En rejoignant ces plates-formes, on commence par créer son profil et constituer une première liste « d’amis ». On y inscrira d’abord ses proches, ses collègues de travail, ses amis. Mais rapidement, on élargira le réseau à ses connaissances, puis aux connaissances des connaissances. On surfera de profil en profil pour créer de nouveaux liens, on demandera à un contact de nous recommander auprès de quelqu’un d’autre, on ajoutera un photographe amateur à son « groupe » FlickR, etc. Les participants les plus actifs peuvent ainsi entretenir plusieurs centaines de relations, faire partie de dizaines de groupes, être Une « fenêtre » Facebook en version mobile Source : http://www.facebook.com « suivis » par des centaines de personnes. Ces réseaux sont devenus les outils à partir desquels ils font des affaires, les supports de leur activité politique, le lieu de rassemblement de leur famille éclatée, un moyen de faire connaître leur musique, etc.

Des sites sociaux pensés pour le local… Plusieurs réseaux se démarquent des grands réseaux généralistes en jouant la carte du local. Des services comme dismoiou.fr, qype.fr, nomao.com, justeacote.com, pilipili.com, onvasortir.com, etc. s’appuient sur le partage « des bonnes adresses ». Bien que récents, ces nouveaux réseaux attirent de plus en plus d’utilisateurs.


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Qype : cityguide et réseau social à la fois Lancé en France en janvier 2008, Qype est un « cityguide » doublé d’un réseau social local. Les utilisateurs peuvent soumettre des avis sur les services et les lieux qu’ils connaissent. Ils peuvent également consulter des avis déjà déposés. Construit comme un réseau social, les utilisateurs disposent d’une page sur laquelle ils peuvent ajouter des photos, commenter et publier des avis, participer à des groupes thématiques et discuter avec les autres membres du site. Capture d’écran du site Qype, Source : www.qype.fr Il est possible de s’abonner à un groupe thématique pour recevoir des informations sur un sujet précis (par exemple les restaurants de fruits de mer dans telle ville). Pour fidéliser les utilisateurs les plus actifs, Qype les rétribue par des points qui leur permettent d’accéder à des grades et de recevoir des cadeaux tels que des places de cinéma.

… ou même l’hyperlocal Des réseaux sociaux locaux et de voisinage essayent de faire le lien entre les pratiques communautaires (en ligne et hors ligne) caractérisée par des liens forts, et les réseaux sociaux 2.0. C’est par exemple le cas de Peuplade qui travaille à l’échelle du quartier, mais également de Voisineo, Covilo, ou encore Ma-residence (1) qui travaillent à l’échelle du voisinage voire de l’immeuble. Ils ont pour ambition d’être des outils de médiation entre les habitants. Lancé en 2003 et testé au départ dans le 17e arrondissement de Paris, le site Peuplade a pour objectif de recréer du lien social à l’échelle de l’arrondissement. L’idée de ce réseau était dans un premier temps d’agréger des voisins qui se connaissaient et de leur offrir un espace de discussion sur le réseau pour se coordonner, se retrouver, organiser des événe(1) Respectivement : peuplade.fr - voisineo.com - ma-residence.fr - covilo.fr

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ments de quartier avec les habitants. Avec le soutien de la mairie, Peuplade est désormais ouvert à l’ensemble de la population parisienne, et testé dans d’autres villes telles que Grenoble. Ses utilisateurs peuvent créer un profil, indiquer leurs goûts, leurs expériences, leurs centres d’intérêts et les services qu’ils peuvent offrir en se localisant sur une carte. Les utilisateurs géographiquement proches peuvent rentrer en contact pour échanger biens et services, organiser des repas de quartier ou concevoir des projets… Peuplade utilise typiquement les réseaux de « liens faibles » afin de coordonner les utilisateurs.

La Ruche : la communauté virtuelle de Rennes La Ruche est un « réseau social en ligne » porté par l’association Bug de la ville de Rennes. Basée sur un fond de carte Google Maps et limitée aujourd’hui au territoire Rennais, La Ruche permet aux utilisateurs de se localiser puis d’indiquer leurs passions, leurs goûts, leurs actualités et les services qu’ils peuvent proposer. Une fois La Ruche : la communauté virtuelle de Rennes. inscrits, ils peuvent rentrer en Source : www.laruche.org contact les uns avec les autres. Proche de Peuplade dans son concept, La Ruche se démarque par la place qu’elle propose aux associations. Si les utilisateurs sont représentés par des abeilles sur le fond de carte, les associations sont, elles, représentées par des « ruches ». Elles peuvent se présenter, publier des annonces pour rechercher des bénévoles, se prêter du matériel, indiquer leurs agendas, etc.

La microcoordination mobile Enfin, les services de « microblogging » comme Jaiku.com ou Twitter, facilement utilisables en mobilité et dont les messages ne peuvent excéder une centaine de caractères, rencontrent eux aussi une demande croissante, en particulier dans


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des usages urbains. Les utilisateurs de ces services s’avisent mutuellement de ce qu’ils font, de leur humeur, de ce qu’ils voient ou ressentent dans l’instant. Ces petits messages peuvent être vus sur un ordinateur mais aussi reçus sur un mobile (par SMS par exemple). Très populaire dans la communauté technophile, Twitter se démocratise rapidement. Un utilisateur de Twitter peut « suivre » d’autres utilisateurs et recevoir tous leurs messages. Les utilisateurs peuvent également adresser des messages à des interlocuteurs particuliers. Bien que ces outils de « micropublication » ne disposent pas (encore) de système de géolocalisation, ils sont déjà très utilisés en mobilité. Du fait du caractère public des échanges, les utilisateurs répondent à des demandes d’inconnus autant qu’à celles de leur réseau social : on peut ainsi, parce qu’on a indiqué qu’on est sur la plage ou assis à un café, se faire demander par un(e) inconnu(e) ce que l’on en pense et si la destination mérite que l’on s’y rende.

Quelques usages de Twitter par des acteurs urbains Un des pionniers de la publication de messages sur Twitter est le Los Angeles Fire Department (1). Plus de 1600 « twits » décrivent depuis le terrain la vie et les actions des pompiers de Los Angeles. Dans la région Ile de France, le réseau ferré Transilien de la SNCF (2) propose de suivre les informations liées au trafic de ces lignes de train. (1) twitter.com/LAFD (2) twitter.com/transilien

La « fenêtre » Twitter du Los Angeles Fire Departement. Source : twitter.com/LAFD

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La géolocalisation pour tous Lors du Mobile World Congress de février 2008, la tendance la plus marquante était celle de l’intégration de modules de géolocalisation dans les téléphones mobiles de moyen et de haut de gamme. D’après une étude du cabinet Berg Insight, 560 millions de téléphones mobiles devraient être équipés de GPS en 2012. Au Japon comme en Corée, les constructeurs ont l’obligation de vendre les téléphones mobiles équipés d’une puce GPS depuis 2007. De son côté, le cabinet ABI Research prévoit que près de la moitié des automobiles livrées en 2013 comprendront un navigateur GPS communiquant (capable, par exemple, de recevoir des informations sur le trafic, ou même d’en émettre). Et certains États tels que les Pays-Bas, certaines villes comme Séoul, envisagent de rendre obligatoire l’équipement des automobiles en GPS dans le but d’instaurer un système de péage urbain. En dehors du GPS, qui n’est utilisable qu’en extérieur et qui exige un processeur et une antenne spécifiques dans les appareils « géolocalisables », d’autres méthodes peuvent être employées afin de déterminer la localisation d’un mobile (voir encadré). Elles ont l’avantage d’être utilisables en extérieur comme en intérieur et de ne pas nécessiter d’équipement additionnel.


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Teria : la géolocalisation au centimètre près 4- Les principales technologies de géolocalisation Technologie

Cell ID (Cell identity)

Description

Chaque antenne (station) de téléphonie mobile dispose d’une « signature » propre. Cette signature permet d’associer au mobile, qui rentre dans la zone d’émission de la station, une coordonnée géographique approximative correspondant à celle de l’antenne. Multilatération Le mobile envoie un signal à au moins avec différentiel deux stations des environs. La plus de temps proche lui renvoie le signal. Le temps écoulé entre l’émission et la réception du signal permet d’approcher la localisation du portable. Triangulation La localisation du mobile est déterminée à partir de sa communication avec au moins trois stations de téléphonie. Selon l’angle d’arrivée et la puissance du signal, chaque station détermine la direction générale et la distance approximative du mobile. Le croisement donne une localisation assez précise. GPS Le GPS fonctionne grâce au calcul de (Global la distance qui sépare un récepteur GPS Positioning de plusieurs satellites géostationnaires. System) Les informations nécessaires au calcul de la position étant transmises régulièrement au récepteur, celui-ci peut, grâce à la connaissance de la distance qui le sépare des satellites, calculer de manière précise ses coordonnées. Triangulation La triangulation fonctionne également Wi-Fi entre des bornes Wi-Fi. À partir d’une cartographie manuelle des bornes installées, elle permet de repérer avec précision des mobiles en latitude, longitude et altitude. Des hôpitaux y ont recourt pour repérer leurs équipements.

Degré de précision

100 m à 3 km (en fonction de la taille de la cellule et de la densité).

250 m à 350 m

100 m à 200 m

5 m à 30 m, uniquement en extérieur (nécessité de « voir » les satellites), sauf si des « répéteurs » sont installés dans les bâtiments.

5 m à 10 m, y compris en intérieur. Nécessite une certaine densité d’équipements Wi-Fi.

Créé à l’origine par l’Ordre des géomètres-experts pour faciliter les travaux de ses membres, mais ouvert depuis à d’autres usages, le réseau Teria permettra de se positionner en temps réel avec une précision proche du centimètre n’importe où et à tout moment sur le territoire. Le réseau se compose de 100 récepteurs de signaux GPS fixes (un par département). Chaque récepteur, dont la position est connue au centimètre près, reçoit en permanence les signaux émis par Teria : le récepteur des signaux GPS Source : www.reseau-teria.com les satellites de navigation ; ceux-ci sont transmis à un centre de traitement à Paris qui calcule les corrections à apporter au GPS par zones géographiques. Les utilisateurs dotés d’un appareil capable de communiquer avec les récepteurs de Teria pourront connaître instantanément leur position en latitude, en longitude et en altitude sur tout le territoire français avec une précision d’un centimètre (voire d’un millimètre si on patiente 2 heures). Le système peut fonctionner sur des téléphones portables. Les premières applications envisagées sont professionnelles, mais les promoteurs du système imaginent également des usages plus larges, par exemple pour l’accompagnement des personnes dépendantes. Fondé sur le système GPS, le réseau Teria sera compatible avec les données du réseau européen de satellites Galileo.

Réseau social et géolocalisation : le « radar social » Encore embryonnaires en Europe et aux États-Unis, les réseaux sociaux mobiles pensés pour la mobilité et couplés à des dispositifs de géolocalisation deviennent de véritables « radars sociaux ». Dodgeball (1), racheté par Google en mai 2005 et accessible dans 22 villes américaines, en est un exemple. Le service permet d’envoyer des messages de localisation (1) www.dodgeball.com


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(check-in) depuis son téléphone mobile, pour indiquer le lieu où l’on se trouve. Le message sera envoyé à tous les membres de son réseau mais également, si l’option est sélectionnée aussi bien chez l’émetteur que le récepteur et aux amis de ses amis. Dodgeball réseau social et SMS Source : www.dodgeball.com

Le service est capable de traduire le nom d’un lieu répertorié (bar, restaurant, bâtiment public, etc.) en une adresse. Il suffit d’envoyer un message contenant le nom du lieu précédé d’un @ (at : « chez »). Grâce à ces systèmes, on va savoir en temps réel où se trouvent nos amis. Dodgeball, comme de nombreux autres services actuels, ne géolocalise pas automatiquement les personnes. Ce sont les usagers qui vont déclarer qu’ils se trouvent à tel endroit, qu’ils vont se rendre dans tel lieu et avec qui.

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Loopt (1), lancé lors de la sortie de l’iPhone 2 d’Apple, va plus loin. Si le service repose également sur l’usage du GPS pour géolocaliser ses amis et entrer en contact avec eux, il y ajoute des propositions de lieux dans lesquels les utilisateurs pourraient se retrouver. Dans l’esprit du web 2.0, ces lieux sont eux-mêmes issus du site Yelp (2), une sorte de « pages jaunes » communautaire des restaurants, bars et lieux de sortie de la ville, coproduite avec les utilisateurs du site. L’utilisation de ces outils induit un changement de paradigme dans la localisation. Dans l’usage habituel du plan, on « se localise », on cherche à déterminer où l’on se trouve sur une carte d’ensemble de la ville. C’est l’image des cartes de transports affichées dans les métros ou les abribus, où le passage répétitif de doigts pour montrer la station précise où l’on se trouve abime le support. Avec la géolocalisation embarquée sur un appareil mobile, on passe à une navigation dans laquelle la ville, ses services, ses habitants, se déploient autour de soi. On n’utilise plus une carte pour savoir où l’on se trouve, on demande à la carte d’indiquer où les ressources de la ville se situent par rapport à nous. Bliin : réseau social et GPS

La startup Ulocate au leitmotiv évocateur « The Power of Where » (la puissance du « où ») utilise en revanche le GPS pour localiser les utilisateurs sur une carte. Son service Buddy Beacon permet de présenter sa géolocalisation à sa liste d’amis tout en indiquant ce que l’on est en train de faire. Buddy Beacon : géolocaliser ses amis Source : www.ulocate.com

Bliin est un des premiers réseaux sociaux mobiles à reposer sur l’utilisation exclusive du GPS. Les utilisateurs de Bliin peuvent être suivis en temps réel par leurs amis. Ils peuvent publier des photos, des vidéos et des textes à propos des lieux qu’ils Réseau social et GPS Source : bliin.com parcourent ou dans lesquels ils s’arrêtent. Les contenus « géo-étiquetés » sont publiés en temps réel sur une carte Google Maps. La géolocalisation n’est pas obligatoirement publique, l’utilisateur peut choisir d’en réserver la connaissance à ses amis, aux amis de ses amis, ou de la rendre entièrement publique. (1) www.loopt.com

(2) www.yelp.com


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Des outils pour maîtriser sa visibilité Si l’utilisation de la géolocalisation rend de nombreux services, publier sa localisation précise en temps réel sur une carte pose bien évidemment des questions en matière de vie privée. Tous les services présentés proposent de choisir qui nous allons autoriser à voir notre localisation. Dans les réseaux sociaux mobiles, par défaut, seuls nos proches peuvent nous voir. On peut choisir ensuite d’élargir le cercle, de « bannir » certaines personnes ou encore de se rendre invisible quand on le souhaite. Mais la plate-forme Fire Eagle du portail Yahoo! affiche une plus grande ambition. Fire Eagle se présente en effet comme un « tiers de confiance » de la géolocalisation. Il va s’intercaler entre l’utilisateur et les services utilisant la géolocalisation. Une fois connecté dans son espace privé, l’utilisateur de Fire Eagle va pouvoir y inscrire des applications et, pour chacune d’elles, spécifier le degré de précision de l’information de géolocalisation qu’il souhaite publier : les coordonnées précises, le code postal, la ville, le pays... ou rien du tout. À partir de ce moment, les services concernés obtiendront leurs informations de géolocalisation de Fire Eagle et non de l’utilisateur en direct.

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Fire Eagle utilise deux systèmes alternatifs pour géolocaliser ses utilisateurs : un système déclaratif, où chaque utilisateur spécifie lui-même sa localisation (ce qui lui permet évidemment de mentir), et un système automatique fondé sur le service propriétaire de Yahoo!, Zonetag (1). Dédié à l’origine au géo-étiquetage des photos postées dans FlickR, Zonetag est une application qui s’installe sur le téléphone mobile et utilise la localisation dont celui-ci dispose, qu’il s’agisse du GPS ou à défaut, du Cell-Id (voir tableau précedent). Le logiciel communique alors les coordonnées du mobile toutes les minutes à Fire Eagle. Fire Eagle se présente donc comme un intermédiaire de protection de la vie privée de ses utilisateurs. Ceux-ci peuvent d’ailleurs, quand bon leur semble, se rendre invisibles y compris à la plate-forme, ou encore effacer toutes les données que celle-ci a enregistrées. Wikinear : mélanger géolocalisation et encyclopédie Wikinear (2) est un service composite (mashup, en jargon web 2.0) simple qui présente les cinq lieux d’intérêts de Wikipédia les plus proches de l’endroit où l’on se trouve. Il se base sur les entrées Wikipedia, la base de donnée ouverte de localisation Geonames (3), une carte google maps, et utilise la plate-forme Fire Eagle pour la localisation. Les « pages » wikipédia proposées par Wikinear. Capture d'écran à partir de l’adresse de la Cantine, au 151 rue Montmartre, Paris. Source : www.wikinear.com

Maîtriser sa visibilité. Source : www.fireeagle.com

(1) zonetag.research.yahoo.com

(2) www.wikinear.com

(3) www.geonames.org


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3- L’espace des microcoordinations

Si les pratiques et les impacts des réseaux sociaux sur le web commencent à être étudiés par les chercheurs, leurs usages en mobilité demeurent aujourd’hui mal connus. Plusieurs chercheurs travaillent néanmoins sur le sujet et leurs premières analyses sont riches d’enseignements. Lee Humphreys, du département des Arts de la communication de l’université du Wisconsin, propose ainsi une étude du réseau social Dodgeball (1). Plusieurs points montrent que les usages des réseaux sociaux en mobilité modifient le rapport que les utilisateurs entretiennent avec l’espace urbain. La coordination La majorité des messages envoyés entre les utilisateurs du service remplissent une fonction de coordination. Les individus vont dire à leur réseau où ils sont et où ils vont, ce qu’ils font et avec qui ils se trouvent. Ces petits messages fonctionnent comme un substitut à la planification. Les utilisateurs s’en servent pour se retrouver au gré de leurs déplacements dans la ville. La planification préalable, souvent dévoreuse de temps, est remplacée, notamment dans des contextes festifs, par la localisation et la coordination en temps et en lieux réels. En se déplaçant dans un quartier, les utilisateurs peuvent, suivant leurs envies rencontrer des personnes proches de leur localisation. Ces rencontres opportunistes permettent d’éviter les engagements préalables. Ces formes de coordination n’ont certes pas attendu les réseaux sociaux mobiles. Les téléphones mobiles ont déjà transformé la manière dont s’organisent les rencontres dans (1) « Mobile Social Networks and Social Practice: A Case Study of Dodgeball », Journal of Computer-Mediated Communication, 2007 - http://jcmc.indiana.edu/vol13/issue1/humphreys.html

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l’espace urbain. La chercheuse japonaise Mizuko Ito (1) décrit cette nouvelle forme de rencontre : « auparavant, on décidait du lieu et du moment et l’on convergeait vers ce lieu au moment prévu. Aujourd’hui, les adolescents s’accordent plutôt sur une plage horaire et un quartier, puis échangent entre 5 et 15 messages qui convergent progressivement vers une heure et un endroit, en une sorte de danse coordonnée au cœur de la jungle urbaine. » Les réseaux sociaux mobiles et la géolocalisation font cependant passer ces pratiques à un niveau supérieur. Les utilisateurs de ces services ne s’accordent même plus sur une plage horaire, ils repèrent leurs amis sur leur « radar social » et décident de rentrer en contact ou de se retrouver au gré de leurs envies. La publication de sa géolocalisation est un prétexte, un point de départ pour démarrer une conversation. Lorsque l’on dit « je suis à tel endroit », on indique aussi que l’on est disponible pour entrer dans une relation et ouvert à faire quelque chose en groupe. Pour le sociologue Dominique Cardon, d’Orange Labs (2), « cette forme de coordination, toute d’opportunité, de dernière minute et d’imprévu ajusté en temps réel, lie le territoire au réseau social d’une manière qui n’est pas sans rappeler les formes de « coopérations faibles » dans le monde des réseaux sociaux. Dans les réseaux sociaux, la planification de la coopération est distribuée sur le réseau d’amis qui offre un ensemble d’opportunités pour réaliser des actions communes. Dans les réseaux sociaux mobiles, la localisation sur un plan public et partagé dessine un tissu d’opportunités pour produire des rencontres sans avoir à les calculer. »

(1) « La rencontre augmentée », Mobilités.net, Fing/LGDJ, 2004. (2) « Les sciences sociales et le web 2.0 », Internet Actu, 2008 - www.internetactu.net/2008/02/18/


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La sérendipité décuplée La « sérendipité » décrit le phénomène qui consiste à trouver quelque chose d’intéressant de façon imprévue en cherchant autre chose, voire rien de particulier. Si le cœur de son réseau est généralement constitué de « liens forts », il s’étend rapidement aux amis des amis. Cette sociabilité issue de l’utilisation des sites sociaux mobiles permet d’élargir le cercle des proches « à une nébuleuse urbaine de liens opportuns », des gens croisés dans d’autres lieux et réseaux que les siens, mais avec qui on va rester en contact grâce au service. Se réapproprier la ville L’usage des réseaux sociaux mobiles impacte également la vision et la pratique collective de la ville. Grâce à ces informations « géo-sociales », des lieux dans la ville vont être (re)découverts par des citadins et des visiteurs. Ceux-ci se déplacent dans la ville en fonction des informations qu’ils reçoivent à propos des lieux, des évènements et des actions des autres utilisateurs. S’ils apprennent qu’un ami se trouve à tel endroit, ils peuvent l’y rejoindre et, ce faisant, ils contribuent à rendre le lieu plus attractif pour d’autres membres de leurs réseaux respectifs. Cette information agit comme un catalyseur. Les réseaux sociaux mobiles contribuent ainsi à une expérience collective de la mobilité dans l’espace public. Ces formes de coordination peuvent atteindre des échelles importantes. Les informations sur les fêtes ou les rave parties sont données aux participants au dernier moment puis l’information circule et les personnes se retrouvent à l’endroit indiqué. Le phénomène des flashmobs (foules éclairs) participe également de ces coordinations. La flashmob est un événement éphémère, coordonné, via le réseau et qui se déroule dans l’espace public. À l’heure dite, les quelques dizaines ou centaines de participants vont tous ensemble se mettre à danser (Londres) se figer sur place (Grand Central Station à New York) faire une grande bataille de polochons (San Francisco), etc. Quelques moments plus tard, ils s’arrêteront et repren-

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dront leur chemin. Plutôt poétique et spontané dans les premiers temps, le phénomène des flashmobs s’est depuis banalisé et transformé en événement médiatique. De son côté, le réseau Peuplade a permis d’organiser des soirées insolites, par exemple un dîner dans le métro Parisien. Les « Peupladiens » se coordonnent sur le réseau et se retrouvent pour un moment partagé dans un lieu imprévu.

Bataille de polochons dans les rues de San Francisco Source : www.flickr.com/photos/loupiote/ © Tristan Savatier


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4- De nouveaux lieux Ces microcoordinations se polarisent aussi dans de nouveaux lieux qui pourraient devenir les points cardinaux d’une nouvelle forme de sociabilité urbaine. En 1989, dans un ouvrage intitulé The Great Good Place (1), le sociologue américain Ray Oldenburg s’intéressait à la naissance de nouveaux lieux urbains intermédiaires entre le domicile et le travail et adaptés à un style de vie urbain individualisé et mobile : les « tiers lieux » (third places). Ces lieux ne sont pas des « espaces publics » au sens classique, tels que les parcs, places ou gares. Ce sont, au contraire, le plus souvent des espaces privés qui deviennent en quelque sorte publics « par destination », en favorisant l’éclosion de liens et les coordinations : des cafés, des lieux associatifs, des salons de coiffure, des superettes, etc. Pour Oldenburg, ces « troisièmes lieux » sont une des clés pour entretenir la sociabilité urbaine. Le tiers lieu est un lieu neutre dans lequel les relations hiérarchiques de travail sont abolies et les réseaux se relient les uns aux autres. Les amis occasionnels, les habitants d’un quartier, les professionnels d’un secteur, les membres d’un réseau, etc., s’y retrouvent et en font le noyau de leur communauté. Parmi les utilisateurs réguliers, la conversation est le centre des activités et l’humeur est détendue. Les rencontres informelles et familières dans ces lieux n’ont pas à être planifiées entre les individus, les personnes s’y croisent et s’y retrouvent. Outre leur rôle de point focal pour des communautés constituées, ces lieux produisent aussi une forme de familiarité « faible » avec ceux que les Anglo-saxons appellent les « familiar strangers » (les étrangers familiers), ces personnes que (1) The Great Good Place: Cafes, Coffee Shops, Community Centers, Beauty Parlors, General Stores, Bars, Hangouts and How They Get You Through the Day, Paragon House, 1989. Né en 1932, Ray Oldenburg est sociologue, professeur émérite au département de sociologie et d’anthropologie à l’université de l’Ouest Pensacola, Floride.

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nous croisons régulièrement dans la ville, que nous ne connaissons pas, avec qui ne nous parlerons peut-être jamais, mais qui contribuent au sentiment de familiarité et de sécurité que nous éprouvons quand nous les croisons quelque part. Les « néo-Bedouins » d’Amérique, ces travailleurs indépendants, activistes, entrepreneurs de San Fransisco, de New York ou de Montréal, généralement actifs dans les services numériques, sont les premiers à avoir consciemment mis en œuvre les idées de Ray Oldenburg. Vivant d’une manière mobile, découragés par les embouteillages, ils ont cherché des lieux accueillants (et connectés) pour se poser, travailler, organiser leurs réunions. La chaine de cafés Starbucks a, la première, repéré et exploité ce besoin en faisant de ses cafés des espaces confortables pour passer, discuter, se réunir ou au contraire, lire ou travailler un moment au calme. Dans la continuité de cette démarche, StarBucks a été l’une des premières chaines à offrir à ses clients un accès internet sans fil. Des « néo-Bédouins » sur leur lieu de travail © Phographie extraite du journal San Fransisco Gate. Source : www.sfgate.com

Points focaux de nombreux réseaux personnels ou professionnels, les tiers lieux deviennent aussi des espaces de rencontre où se tissent des liens inattendus, où se dessinent de possibles partenariats. Ces lieux se connaissent entre eux, ils se connectent pour relier leurs communautés respectives. Petit à petit, la fonction de ces lieux se formalise, se professionnalise, voire se segmente : il y a les espaces communautaires souvent délibérément bruts et anarchiques (les squats et « friches » en sont les symboles) ; les cafés, bars et lounges


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connectés, accueillants et soumis à la mode, les co-working spaces plutôt destinés aux travailleurs nomades et aux entrepreneurs en devenir qui cherchent un coin de bureau pour quelque temps dans un lieu propice aux échanges… Les réseaux sociaux, fixes et mobiles contribuent au succès de ces lieux en y favorisant les rencontres. Il est d’ailleurs intéressant de constater que c’est dans les communautés d’utilisateurs intensifs, voire de professionnels et d’activistes du « virtuel », que ce besoin de lieux physiques s’est matérialisé en premier et qu’il se concrétise à l’aide d’outils numériques et mobiles. La Cantine : un « tiers lieu » à Paris ? La Cantine est le premier espace de travail collaboratif en réseau (co-working space) créé à Paris, relié à d’autres structures en France et à l’étranger (San Francisco, Barcelone, Montréal, Sao Paulo…). Cet espace très facilement reconfigurable a été conçu dans le but de favoriser les rencontres, les échanges et les coopérations, dans un esprit d’ouverture et de croisement des réseaux. On peut y venir prendre un café, se réunir à deux ou à vingt, y louer un coin de table pour travailler une matinée ou un mois, organiser une soirée ou une grande manifestation. L’espace décloisonné fait en sorte que ces différentes activités cohabitent, trouvent un modus vivendi et plus encore, imaginent des connexions possibles. La cantine a pour but de faire se croiser des mondes qui travaillent dans des lieux éclatés afin de mutualiser les moyens et les compétences entre développeurs, entrepreneurs, usagers, artistes, chercheurs et étudiants. Ouverte fin janvier 2008, elle a immédiatement attiré un public très large et divers. Plus de 500 événements de toutes natures s’y sont déroulés en moins d’un semestre. D’autres Cantines sont en développement à Paris et dans les régions françaises.

Photographie d’une ambiance de travail par Nonek © Noneck


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La carte : une interface et une infrastructure Ce matin, Jean-Louis doit se rendre depuis son domicile, à Montreuil, jusqu’à la place de la Bastille pour un rendezvous de travail, puis trouver un restaurant pour inviter son collègue à déjeuner. Avant de partir, il allume son ordinateur afin de planifier sa matinée. Soucieux de sa santé, il se rend tout d’abord sur le site de la « montre verte », un projet de cartographie de la pollution urbaine à une échelle très fine. Un restaurant noté par les internautes dans Le site lui indique que son trajet DisMoiOu. Source : www.dismoiou.fr est aujourd’hui vert, la qualité de l’air dans cette partie de la ville est correcte. Jean-Louis décide de prendre un Vélib’. Il se rend sur le site Un Vélo Vite (1). En entrant son adresse et l’adresse d’arrivée, le service lui propose sur une carte les stations les plus proches de chez lui disposant de vélos libres, ainsi que le trajet pour se rendre à la station Vélib’ la plus proche de son rendez-vous. Le site Qype lui propose ensuite quatre restaurants à moins de 300 mètres du lieu de la réunion. Son choix se porte (1) www.unvelovite.com


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sur un établissement auquel 23 utilisateurs de Qype ont décerné une note moyenne de 8 sur 10. Comme il prévoit d’arriver en avance, il se connecte enfin sur le « wiki cartographique » DisMoiOu (1) pour rapidement s’informer des ressources intéressantes à proximité de sa destination. La carte affiche une multitude de points. Par chance, il trouve dans une rue adjacente un magasin spécialisé dans la plongée sous-marine, sa passion, dont les utilisateurs de DisMoiOu vantent l’excellente librairie. Il s’y arrêtera en passant. Tous les services décrits ci-dessus ont un point commun : ils se basent sur des cartes. Plus qu’hier, les cartes, désormais interactives, cliquables, communautaires et évolutives, deviennent des clés d’accès à la ville. Elles sont le support d’un nombre croissant d’informations, de services, de contenus. Elles deviennent en fait une infrastructure de la ville, au même titre que la voirie, les bâtiments et les réseaux de communication. Des cartes partout et… par tous En très peu d’années, la carte est en effet devenue un support majeur de création de services numériques, d’abord sur le web, désormais sur les mobiles, en passant bien sûr par les systèmes de navigation installés dans les véhicules. En ligne, on fait tout, ou presque, sur une carte : on se repère, s’oriente et se guide, bien sûr ; on y localise toutes sortes de ressources présentes sur un territoire ; on y attache des informations, des photographies, des vidéos, des petites annonces ; on y retrace ses itinéraires et les commente ; on y décrit les dégâts d’une tempête ; on discute de l’organisation du quartier ; on y organise des jeux urbains, etc. Mais surtout, depuis le lancement en 2005 de Google Maps, ce « on » désigne à la fois Google (2) – qui propose son propre service de calcul d’itinéraires –, des (1) http://dismoiou.fr (2) Google Maps a naturellement des concurrents, en particulier Yahoo! et Microsoft (Live Search Maps), ou encore, en France, le Géoportail de l’Institut géographique national. Mais son avance sur les autres services demeure considérable.

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milliers d’autres éditeurs de services de toutes tailles et toutes origines, et les utilisateurs eux-mêmes. Ces derniers sont en effet appelés à inscrire eux-mêmes des informations sur les cartes, que ce soit pour localiser leurs photos ou le lieu de rendez-vous qu’ils proposent à leurs amis, pour présenter un restaurant et en commenter la qualité ou, comme dans certains projets coopératifs (community mapping), pour participer à la construction des fonds de cartes eux-mêmes. En dehors des milliers de sites, dont le fonctionnement même se fonde sur des cartes, il devient également facile, voire immédiat, d’insérer une carte personnalisée dans un article de blog, ou dans la barre de navigation d’un site, par exemple pour indiquer où se trouvent les bureaux d’une entreprise, d’où viennent les visiteurs du site, où se trouve l’auteur, etc. C’est ainsi qu’on trouve désormais en ligne des millions de cartes dynamiques, interactives et enrichies de mille manières. L’explosion des usages des cartes a ainsi préparé, et accompagne désormais, l’utilisation des techniques de géolocalisation et de production de données elles-mêmes géolocalisées. Mais, en chemin, ce mouvement aura aussi transformé la place et l’usage de la carte. Le désarroi paradoxal des géographes Les géographes pourraient se réjouir du fait que le monde du numérique et des réseaux retisse aussi rapidement, par l’intermédiaire de la carte, son lien avec le territoire physique. Mais on sent également chez eux une certaine, et compréhensible, inquiétude. Les géographes ont depuis longtemps appris à tirer parti du numérique. Leurs outils sont numériques depuis longtemps. Les systèmes d’information géographiques (SIG), utilisés par les collectivités territoriales, les services de la sécurité civile, les architectes, urbanistes et planificateurs de l’espace sont devenus des outils indispensables de connaissance, de planification et d’aide à la décision.


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La « cartographie 2.0 » n’a donc pas eu besoin d’une rupture technologique au contraire, les outils sur lesquels elle s’appuie sont souvent beaucoup plus frustes que ceux des professionnels. Les changements qu’elle introduit se situent ailleurs, à trois niveaux : D’une part, la différence entre « carte » (outil de connaissance et de décision qui s’intéresse au territoire) et « plan » (outil de repérage et de navigation qui s’intéresse aux lieux et aux itinéraires) tend à s’estomper. Les cartes du web sont souvent utilisées comme des plans, mais quand on y ajoute la photo d’un lieu, quand on la regarde à une échelle assez petite, c’est bien le territoire que l’on voit et c’est sur lui qu’on intervient. D’autre part, la carte devient cliquable et actionnable, non plus par un technicien spécialisé au sein du centre de contrôle du réseau de distribution d’eau, mais par tout un chacun. Les effets du clic sur une carte ne sont plus les mêmes, mais ils demeurent incontestables : un téléphone sonne, deux personnes convergent pour se retrouver, un rassemblement se forme, une information s’affiche sur un écran public, un véhicule partagé s’apprête à accueillir un conducteur… Enfin, les individus s’habituent à écrire sur la carte et surtout, à ce que leurs annotations deviennent pérennes et visibles par d’autres. Les professionnels ne sont plus les seuls à produire les cartes, ils sont submergés par une marée d’amateurs et plus encore, de touristes, de commentateurs occasionnels, de photographes du dimanche, de militants… Les cartes et les plans classiques ne disparaissent pas. Mais d’autres catégories de cartes apparaissent et avec elles d’autres acteurs, d’autres usages et d’autres interactions. Et le fait que des millions de personnes prennent l’habitude d’interagir avec des cartes, au point d’y contribuer, change nécessairement le paysage. Il ouvre la voie à l’émergence de nouveaux services urbains. Et il modifie, dans des proportions encore mal connues, la manière dont les citadins interagissent avec leur ville.

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1- Une carte en lecture et écriture

La carte, produite et consultable par tous Grâce aux outils géographiques issus du web 2.0, il est devenu très simple de produire ses propres cartes et de les rendre consultables par tous sur le réseau. 6 Faites-la vous-même

La carte des espaces publics numériques (EPNs) en Île-de-France. Source : http://generator.click2map.com

Le service Click2Map (1), basé sur les fonds de carte Google Maps (2), permet par exemple de produire soi-même des cartes numériques. En quelques clics, il est possible d’ajouter à un fond de carte des marqueurs géolocalisés auxquels on peut attacher du texte, des images, des vidéos. La carte qui en résulte peut ensuite être exportée sur un site web grâce à l’ajout d’un petit bout de code. L’Agence régionale des technologies et de la société de l’information de la région Île-de-France (Artesi) utilise ce service pour cartographier tous les espaces publics (1) click2map.com (2) Eux-mêmes achetés par Google à divers fournisseurs tels que Tele Atlas.


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numériques de son territoire. Un simple fichier issu d’un tableur suffit : le service reconnaît les adresses postales, les transforme en coordonnées géographiques et les « projette » sur une carte interactive. Chaque point représentant un espace public est cliquable et révèle alors ses coordonnées physiques et numériques (site web par exemple). Maplib (1) permet également de créer des cartes cliquables. En revanche, s’il utilise les cartes de Google comme support des cartes géographiques habituelles, il permet aussi de créer et de transformer n’importe quelle image en carte, à laquelle on ajoutera ensuite des marqueurs, des descripteurs de zones, des icones de tailles et de formes différentes. Un auteur a par exemple publié la carte de la Terre du Milieu, où se déroule le roman Le Seigneur des anneaux, afin d’y situer les principales batailles, les événements marquants, l’itinéraire des principaux protagonistes, etc. De leur côté, les bibliothécaires de l’université de Québec pensent utiliser le système avec les plans des rayons pour indiquer où se trouvent les collections, les types d’ouvrages, etc.

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6 La carte comme outil d’interaction et de participation Si ces nouveaux outils permettent de créer des cartes simplement, certains permettent également de les partager avec d’autres utilisateurs. « Décrivons le monde entier » : c’est le slogan de Wikimapia (2), un projet lancé par les russes, Alexandre Koriakine et Evgeniy Saveliev, qui proposent aux utilisateurs de situer et de décrire un lieu ou un bout de territoire. Sur les fonds (de cartes, mais aussi de photos satellites) issus de Google, on peut y représenter les arrondissements de Marseille, un bâtiment, un axe routier, son propre domicile. La description peut comprendre un texte, des photos et des liens vers d’autres pages web. Ceux qui la consultent peuvent la commenter ou, lorsque ce n’est pas fait, la traduire. En revanche, ils n’ont pas la possibilité de la modifier. Fin 2008, Wikimapia revendiquait près de 9 millions de contributions, c’est-à-dire de lieux décrits. La Cantine dans Wikimapia. Source : wikimapia.org

Carte des batailles du roman de Tolkien Source : http://www.maplib.net

(1) maplib.net

À l’origine un site de discussion et d’échange destiné aux marseillais, Marseille Forum (2) évolue également vers une sorte de « wiki cartographique »( 3). Ses utilisateurs sont appelés à signaler et décrire des lieux de la ville. Les lecteurs peuvent à leur tour enrichir ou corriger les informations insérées par d’autres utilisateurs. La carte se nourrit au fur et à mesure des contributions des utilisateurs. (1) www.wikimapia.org (2) www.marseilleforum.com (3) Un wiki est un site dont tout utilisateur peut écrire et modifier le contenu. Le wiki le plus connu est Wikipédia.


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Ces « cartes wiki », qui permettent à tous de participer et de révéler les ressources du territoire et de la ville, sont en plein essor. Le service DisMoiOu se présente ainsi comme un nouveau guide urbain géolocalisé et fondé sur les contributions de ses utilisateurs. Ceux-ci peuvent indiquer et décrire n’importe quel « lieu » de la ville, du bon restaurant à la salle de sport, en passant par son banc public préféré pour lire. Chaque entrée peut également être notée et commentée par les autres utilisateurs. Les entrées sont classées par thématiques, mais on peut également les retrouver d’autres manières : en cherchant autour d’un endroit précis, en indiquant ses goûts pour recevoir des propositions, en enregistrant ses listes de lieux favoris ou à tester… Le quartier du vieux port dans Marseille Forum. Source : www.marseilleforum.com

6 « Agréger » les cartes numériques La fonction « Mes cartes », proposée par Google Maps, permet à un individu de créer ses propres cartes, mais aussi de la partager avec ses amis, voire au-delà. Si l’option correspondante a été retenue, les visiteurs de cette carte pourront à leur tour l’annoter et la compléter. Les thématiques abordées dans ces espaces cartographiques sont très variables : les meilleurs restaurants de la ville, les lieux les plus propices pour pratiquer le kitesurf, le shopping à Bordeaux, les batailles de l’Histoire de France, les blogs locaux des correspondants du journal Le Monde, etc.

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Chaque carte personnelle forme ainsi une sorte de calque superposé sur un fond de carte commun qui peut ensuite se superposer à d’autres « cartes-calques » produites par d’autres personnes. Si ces autres cartes sont modifiées, la carte superposée le sera aussi. Le service « Mes cartes » devient ainsi un véritable moteur de recherche d’information géographique sur lequel les cartes ne sont plus isolées, mais participent les unes des autres. Vers une néo-géographie ? La géomatique, qui regroupe l’ensemble des outils et méthodes informatiques permettant de représenter, d’analyser et d’intégrer des données géographiques, subit ainsi une révolution dont l’ampleur et la signification continuent d’être débattus. L’initiative des grands acteurs du web, qui ont proposé à partir du début des années 2000 des systèmes simples de production et d’exploitation de cartes numériques interactives, a rencontré une réponse enthousiaste, tant du public que de milliers de producteurs de sites web et de services mobiles. Elle coïncide avec la démocratisation des puces GPS. Et ces deux mouvements produisent, à leur tour, une multiplication des données géolocalisées, qui ajoutent de la valeur aux cartes et aux services localisés. Hier réservée aux professionnels et aux experts, par l’intermédiaire des systèmes d’information géographiques (SIG) lourds et coûteux, la géomatique s’ouvre aux amateurs, voire se transforme en un phénomène de masse. À l’image du passage du web 1.0 au web 2.0, cette géomatique nouvelle permet, en particulier au plus grand nombre, de publier, compléter, annoter, combiner des cartes numériques, et d’en imaginer des usages inédits. Pour certains, il s’agit d’une transformation profonde, au point que l’on parle parfois de « néo-géographie ». Là où la géomatique traditionnelle recherche la précision, la rigueur et la lisibilité au travers d’une approche très formalisée portée


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Un exemple de légende cartographique. http://www.mgm.fr

par des professionnels, la néo-géographie reposerait presque sur le contraire. L’abondance de données en compenserait l’imprécision ou la disparité. La simplicité et l’ouverture des outils, qui permet de multiplier les représentations et les applications, ferait émerger à posteriori des connaissances et des pistes d’action qu’une approche analytique ne saurait pas voir. Et l’intervention des utilisateurs à tous les niveaux favoriserait l’appropriation démocratique des questions territoriales, dans un dialogue renouvelé avec les experts et les décideurs. 6 Des objectifs différents Mais la cartographie et la « cartographie 2.0 » ne poursuivent en réalité pas le même but. La cartographie classique, dont sont issus les SIG, cherche à produire de l’analyse spatiale ; la cartographie 2.0 se consacre d’abord à organiser l’information d’une manière différente, en la plaçant sur un fond de carte pour décrire le territoire et situer ses ressources. S’il lui arrive de produire de l’analyse, c’est souvent à posteriori, comme un sous-produit. Pour construire une carte, la cartographie classique s’appuie sur une méthodologie, des règles et des normes, un langage dont il faut connaître l’alphabet (les signes) et la grammaire (les règles de la cartographie, notamment la proportionnalité et la hiérarchisation). La cartographie 2.0, de son côté, est produite et utilisée par des individus qui ne maîtrisent et ne partagent presque aucun de ces codes. C’est sa richesse, source de diversité et d’innovation, c’est aussi – pour l’instant du moins – sa limite. 6 Légendes et mots-clés La légende est un élément nécessaire à la compréhension des phénomènes analysés et au repérage des lieux décrits par une carte. Un espace réservé décrit tous les signes représentés : des points, des lignes, des dégradés de couleurs, des icônes. (Voir illustration page de droite).

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Dans la « cartographie 2.0 », il n’y a pas de légende, ou très rarement. La plupart des guides urbains et des services de « bonnes adresses » sur le web représentent toutes les ressources qu’ils décrivent de la même manière, par une punaise, une « sucette » ou tout autre pointeur – mais rien ne permet de savoir ce qui est décrit avant de cliquer sur le pointeur. Certains sites, tels que JusteACoté (1), proposent différents symboles pour représenter les ressources de la carte, mais sans légende apparente. Une fourchette va désigner des lieux pour se restaurer, un stéthoscope les professions médicales, un footballeur les lieux dédiés au sport, etc. On suppose implicitement que les symboles parlent d’eux-mêmes, ce qui n’est vrai que dans un nombre limité de cas et pour un nombre limité de personnes : il n’y a rien de plus culturel qu’un symbole... Les « sucettes » du service DisMoiOu Source : www.dismoiou.fr

(1) www.justeacote.com


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On notera aussi que l’immense majorité des services à base de cartes ne connaît que des points (et à la rigueur des axes, lorsqu’ils proposent des recherches d’itinéraires), et presque jamais des surfaces, qui sont indispensables à beaucoup de cartes traditionnelles. Des moyens simples de représenter et décrire des surfaces sont cependant en train d’émerger sur le web. S’ils ne disposent pas de légende, les services cartographiques utilisent en revanche des mots clés insérés par les utilisateurs, ainsi que des catégories prédéfinies afin de classer l’information. L’utilisation de ces sites passe alors par le choix préalable d’une ou plusieurs clé(s) d’entrée : une adresse, un type de lieu… Mais si le nombre de réponses est grand, ou si l’échelle retenue est trop petite, l’utilisateur verra s’afficher une multitude de marqueurs géographiques indifférenciés qui ne se révèleront à lui que lorsqu’il cliquera dessus. Ce qui semble faire l’attrait d’une localisation dynamique des ressources du territoire à travers une entrée cartographique : « je me place à une certaine adresse, et autour de moi apparaissent toutes les ressources possibles, cafés, restaurants, médecins, etc., visibles d’un seul coup d’œil », apparaît ici très peu clair. L’affinement des critères de recherche, ou encore leur croisement, permet de produire des cartes cette fois beaucoup plus pertinentes : « uniquement les restaurants chinois bien côtés ; les bons coiffeurs et les bons parfumeurs ». Encore faut-il que les descripteurs soient suffisamment précis et cohérents, que le vocabulaire de l’utilisateur soit cohérent avec les mots de ceux qui ont entré les informations, et que l’utilisateur sache aussi précisément ce qu’il désire – alors qu’un plan doit aussi permettre de ne pas savoir a priori ce que l’on cherche. 6 Hiérarchisation et recommandations Dans la construction d’une carte classique, la hiérarchie des informations publiées est essentielle. Il s’agit d’abord de choisir ce qui n’apparaîtra pas sur la carte, parce qu’hors sujet, ou peu significatif au regard de son objet. Ensuite, décider de

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l’importance relative à donner aux informations représentées, de la manière de décrire les différences. Par exemple, au travers d’une représentation proportionnelle des informations. Dans ce cas, la taille du point de couleur représentant une ville sera proportionnel au nombre de ses habitants, et celle de la flèche indiquant les mouvements migratoires au nombre de migrants. Cette hiérarchie est « dessinée » dans la légende, mais également dans les symboles représentés, les hachures, les couleurs, les surfaces, les tailles de caractère. Les recommandations dans Qype Source : www.qype.fr

Dans une cartographie 2.0, où un très grand nombre de personnes participe à la création de la carte, il n’y a pas de réel choix de hiérarchie dans les lieux présentés et ceux-ci apparaissent tous à la même échelle. Un café a la même importance qu’un établissement de soin dentaire, une antenne Wi-Fi qu’un musée. L’absence de hiérarchisation est à priori en partie contournée par les recommandations laissées par les différents contributeurs : notations, commentaires, liens, etc. La hiérarchie émerge donc à posteriori, à partir des actions des internautes, et se révèle plutôt par l’usage de filtres (les restaurants les mieux classés, les plus beaux sites touristiques, les boutiques de mode les plus commentées).


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2- Le pouls de la ville

L’évolution des technologies permet désormais de doter un grand nombre d’objets de circuits intégrés capables d’observer, de mesurer, de communiquer et d’agir. Ces identifieurs (puces RFID par exemple), capteurs et actionneurs se rencontrent déjà dans (ou sur) un nombre croissant de machines, d’appareils électriques, de véhicules, d’emballages, d’objets quotidiens, d’équipements, d’espaces publics... Nos automobiles, nos téléphones mobiles, nos cartes de transport ou de fidélité, nos moyens de paiement produisent sans cesse des « traces » électroniques. Une myriade de capteurs urbains comptabilisent les flux de voitures et de vélo en libre service, suivent les flottes de camionnettes ou de bus, mesurent la qualité de l’air ou le bruit, détectent les embouteillages, surveillent le fonctionnement des réseaux d’eau et d’électricité, régulent l’accès aux transports publics ou aux immeubles de bureaux, surveillent les espaces publics. Cette omniprésence d’objets capables de capter, de traiter, de communiquer de l’information et de se géolocaliser fait partie de ce que l’on désigne par « intelligence ambiante ». La Commission européenne la décrit de la manière suivante : « Les individus seront entourés d’interfaces faciles d’utilisation, enfouies dans toutes sortes d’objets, et par un environnement quotidien capable de les reconnaître et de leur répondre de manière fluide, voire invisible. » On parle également « d’informatique omniprésente » ou « ubiquitaire ». Une nouvelle perspective urbaine La masse considérable de données que produisent ces objets et ces espaces, devenus communicants, peut représenter une menace pour la vie privée, voire pour les libertés. Mais

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dans un environnement urbain, elle peut aussi, une fois agrégée (et anonymisée), permettre de saisir en continu le « pouls de la ville » : où sont, où vont les gens, les véhicules, les marchandises, et quels itinéraires suivent-ils dans la journée ? Comment fonctionnent les infrastructures ? Quels espaces, quels lieux d’accueil, quels services sont saturés ou au contraire, sous-utilisés à un instant donné ? Où rencontre-ton, à différents moments, le plus ou le moins de problèmes de pollution ou de sécurité ?... Une fois mises en perspective de manière collective et généralement représentées sur un fond cartographique, ces données individuelles permettent de décrypter les dynamiques urbaines d’une manière totalement nouvelle, et éventuellement en temps réel. Pour le chercheur Fabien Girardin (1), « ces informations augmentent la perception de l’espace de la ville par ses habitants et façonnent leur prise de décision, comme un bulletin météo suggère notre habillement ».

Le pouls de la ville image Rome Real Time, issue du site information aesthetics Source : http://infosthetics.com

(1) Fabien Girardin est doctorant de l’université Pompeu Fabra à Barcelone (Espagne). Il est également affilié au Senseable City Lab au MIT (Massachusetts Institute of Technology). Il s’intéresse à l’intégration des technologies et de l’intelligence ambiante dans nos environnements urbains et étudie les traces numériques que « sèment » les gens dans le monde physique.


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Regarde la ville vivre Aux frontières de l’art, du design et des sciences sociales, le projet Real Time Rome (1) du MIT (États-Unis) a exploité les données issues des communications mobiles ainsi que les déplacements des bus et des taxis de la ville de Rome. Les représentations qui en sont issues composent un portrait saisissant et inédit de la ville : où se trouvent les habitants à un instant donné ? Quels événements les incitent-ils à s’appeler ? Les taxis et les bus desservent-ils les espaces les plus densément peuplés ? Le système de transport public répond t-il à la demande ? Comment les gens se déplacent-ils dans la ville ? Les représentations issues du projet ont ainsi donné lieu à des analyses de la part des acteurs professionnels de la ville, mais également à une exposition publique. Et celle-ci a permis de prendre conscience de la puissance de telles représentations pour susciter l’échange et faire émerger, à l’échelle des citoyens, des discussions nouvelles sur le fonctionnement et l’avenir d’une ville ou d’un quartier. Dans le projet Cascade on Wheels (2), les étudiants du Medialab Prado de Madrid ont visualisé la circulation automobile. Grâce à des capteurs disséminés dans les rues, ils ont pu mesurer le passage des taxis, des voitures, des bus et des camions dans la ville. La représentation en trois dimensions de ces flux sur une carte aide à en mesurer la concentration. Représentation graphique de la circulation dans la ville de Madrid. Image issue du site Cascade on Wheels. Source : http://trsp.net/cow/

(1) http://senseable.mit.edu/realtimerome (2) http://trsp.net/cow/

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De son côté, Fabien Girardin (1) a travaillé sur le taux d’occupation des stations Bicing, le système de vélo en libre service de la ville de Barcelone. Les données collectées sont représentées par des parallélépipèdes qui changent de taille et de couleur en fonction du nombre de vélos disponibles à chaque station. Les flux représentent bien les différents temps de vie des Barcelonais. Durant la semaine, les stations périphériques se vident le matin au profit des stations du centre ville abritant les lieux de travail. Cette tendance s’inverse le soir. Mais le week-end, les stations proches des plages se remplissent rapidement. Si ces tendances sont connues, une représentation graphique permet aux utilisateurs de mieux comprendre le système, de prévoir, voire même de réfléchir autrement à leur mode de vie. Le taux d'occupation des sations « Bicing » en temps réel. Image Bicing Real Time, issue du site de fabien Girardin. Source : liftlab.com/think/fabien

De la représentation au service Si la majorité des projets de représentation des flux, des traces et empreintes numériques de la ville se focalise encore sur la représentation globale des phénomènes qu’ils observent, une startup américaine, Sense Networks – issue des équipes de recherche du MIT –, en a déjà extrait un service à vocation commerciale. Disponible uniquement à San Francisco, CitySense (1) s’adresse aux noctambules pour les aider à choisir où ils passe(1) liftlab.com/think/fabien (2) www.citysense.com


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ront leur soirée. À partir d’un petit logiciel chargé sur un téléphone mobile, CitySense repère les concentrations inhabituelles de gens en croisant des informations provenant des téléphones mobiles équipés de bornes Wi-Fi et même de taxis équipés de GPS. En traitant en temps réel toutes ces informations géolocalisées, CitySense identifie les « points chauds » de la ville. Le service croise ensuite cette information avec celle d’agendas culturels en ligne pour permettre à ceux qui utilisent son application de trouver et rejoindre l’événement où tout le monde se presse. Les « points chauds » s’affichent en temps réel sur un fond cartographique. Où sont les noctambules ? Image issue du site CitySense Source : www.citysense.com

Les ingénieurs de Sense Networks travaillent à améliorer leur modèle en essayant de définir plusieurs types de « tribus » aux comportements différents pour pouvoir mieux répondre à la question « où sont les gens qui me ressemblent ? »… Histoire d’éviter d’envoyer dans un bar de footballeurs quelqu’un qui n’aime pas les sports d’équipe. CitySense devrait également apprendre à connaître ses utilisateurs en analysant leurs déplacements pour leur faire des propositions qui correspondent à leurs goûts : ainsi, si vous avez l’habitude de fréquenter certains lieux, votre « carte d’activité personnalisée » pourrait surveiller ces lieux - ou des lieux similaires - pour vous avertir en cas de pic d’activité.

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Deux défis à relever Deux défis majeurs devront toutefois être relevés pour que de telles applications puissent émerger à grande échelle et apporter des bénéfices tangibles aux citadins. D’une part, les masses considérables de données localisées que produit la ville demeurent difficilement accessibles. La plupart d’entre elles sont produites par des applications internes aux entreprises et opérateurs destinées à la production et à la gestion, qui n’ont jamais été prévues pour communiquer avec l’extérieur. Il n’existe pas de répertoire de données urbaines. Leurs producteurs s’en réservent par ailleurs jalousement l’accès. D’une part, ils les considèrent, parfois à juste titre, comme un actif stratégique qui leur permet de mieux faire leur métier, tout en empêchant d’autres acteurs d’empiéter sur leur territoire. D’autre part, la délivrance de ces données peut nécessiter un certain nombre d’opérations qu’il faudra que quelqu’un finance : conversion de formats informatiques, « nettoyage » d’informations susceptibles de permettre l’identification d’individus, mise en place de serveurs puissants pour que les informations fournies soient réellement fiables et récentes, sécurisation des systèmes et des données, etc. Pourtant, il ne fait guère de doute qu’une plus grande mutualisation de ces informations libérerait un formidable potentiel d’innovation publique, entrepreneuriale et citoyenne, tout en donnant aux citadins une autre manière de voir, ensemble, leur ville vivre. L’utilité sociale rejoint l’utilité économique ainsi que les enjeux de bonne gestion urbaine. Le second défi est lié au respect de la vie privée. Les données que nous semons au fil de nos pérégrinations urbaines pourraient constituer une source de connaissance sur la vie de chaque citadin, d’une précision et d’une exhaustivité sans précédent. La garantie que ces données ne seront pas croisées à l’insu de chaque individu, sauf après des procédures non réversibles d’anonymisation, et qu’elles seront également effacées dans des délais courts, constituera vraisemblablement une exigence sans laquelle ces applications ne pourront pas émerger.


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Un bâtiment qui prend son propre pouls Afin de représenter la vie qui se déroule au sein d’un bâtiment, le département d’art numérique et de technologie de l‘université de Plymouth (1) en Grande-Bretagne teste ce qu’il appelle un « système d’exploitation architectural ». L’Arch-OS (2) capture et analyse les flux de données produits par les ordinateurs, comme par les systèmes de gestion de l’énergie et de l’éclairage, ainsi que les flux de personnes, les conditions environnementales, le bruit ambiant, etc. Différents dispositifs installés dans l’immeuble lui-même en proposent alors des représentations partagées. L’Université de Curtin (3) utilise ainsi l’Arch-OS pour son nouveau département de recherche sur les nanotechnologies. Le plafond du bâtiment est équipé de grands panneaux lumineux qui retranscrivent le traitement des informations collectées par le système. Le rendu ne remplit pas seulement une fonction esthétique : il doit, d’après les concepteurs, favoriser les échanges entre les occupants du bâtiment.

Une image d’artiste du rendu de l’Arc-OS Image de l’OS Arch-OS issue du site i-500.

(1) www.i-dat.org (2) www.arch-os.com (3) www.i-500.org

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3- La ville miroir

Dans une courte nouvelle intitulée De la rigueur de la science, l’écrivain fictif Suarez Miranda, derrière lequel se cachait en réalité Jorge Luis Borges, contait l’histoire d’un empire où « l´art de la cartographie fut poussé à une telle perfection que la Carte d´une seule Province occupait toute une ville et la Carte de l´Empire toute une Province. Avec le temps, ces Cartes Démesurées cessèrent de donner satisfaction et les Collèges de Cartographes levèrent une Carte de l´Empire, qui avait le format de l´Empire et qui coïncidait avec lui, point par point. Moins passionnées pour l’étude de la cartographie, les générations suivantes réfléchirent que cette Carte Dilatée était inutile et, non sans impiété, elle l´abandonnèrent à l´inclémence du soleil et des hivers. Dans les déserts de l’ouest, subsistent des ruines très abimées de la Carte. Des animaux et des mendiants les habitent. Dans tout le pays, il n´y a plus d´autre trace des disciplines géographiques. » (1) Cette nouvelle est devenue une référence classique chez les cartographes. Elle rappelle que toute carte est une modélisation et donc, par définition, une abstraction et une simplification de la réalité. Une carte sans choix, sans « angle » et sans réduction d’échelle ne présenterait aucun intérêt. Pourtant, ce projet semble bien en passe de se réaliser. Les images satellites et aériennes, les modélisations en deux et trois dimensions, les photos de ville au ras du sol, les cartes et les plans, finissent par reconstituer une véritable ville « miroir », sans véritable souci d’échelle ni de sélection, qui tend à se superposer aussi finement que possible à la ville physique et sociale. (1) Extrait de L’Auteur et autres textes (El Hacedor. Antologia personal, 1960) de Jose Louis Borges, nouvelles traduites de l’espagnol par Roger Caillois, rééditées aux éditions Gallimard, Coll. L’imaginaire, 1982.


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Les générations suivantes riront-elles à leur tour de ces tentatives absurdes ? Ou bien s’agit-il d’une autre forme de carte, d’une carte qui n’aurait plus pour fonction de représenter le territoire, mais de l’augmenter ? 6 Des images aériennes et satellites accessibles à tous Si Google (1) a été le premier à se lancer dans la course aux photographies satellites, il a été rapidement rejoint par les deux autres grands acteurs du réseau : Yahoo ! (2) et Microsoft (3). Complétant la couverture du territoire par l’ajout de photographies de plus en plus précises, les services se distinguent en autorisant des niveaux de zooms (donc de précision) et des services différents qui peuvent d’ailleurs varier selon les lieux : très précis sur les grandes métropoles, beaucoup moins sur les zones rurales, surtout en dehors des États-Unis et de quelques pays occidentaux. Certains acteurs, comme l’IGN et son site de cartographie en ligne Géoportail (4), affichent des photos aériennes évidemment plus précises que les photos satellites (5).

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6 Se déplacer dans ma ville devant mon ordinateur La photo satellite permet en quelque sorte de voler assez haut au-dessus de la ville. Mais notre perspective quotidienne sur la ville est plutôt horizontale que verticale. Un nombre croissant de sites cherche à restituer aussi cette perspective. Le site de l’annuaire Pages Jaunes a été le premier, dès 1999, à rendre accessible la photo des façades des bâtiments situés le long des rues des grandes villes françaises. En cherchant une adresse, on peut voir l’image liée à cette recherche, puis se déplacer virtuellement dans la rue. Chaque façade dispose de plusieurs angles de vue.

Deux exemples de localisation sur des photos satellites Google Maps

Microsoft Live

Une perspective horizontale de la ville. http://photos.pagesjaunes.fr

(1) http://maps.google.fr (2) http://fr.maps.yahoo.com (3) http://maps.live.com (4) www.geoportail.fr (5) C’est du moins ce que le site affirme. Dans la pratique, les images des grandes villes de France apparaissent plutôt moins précises sur le Géoportail que chez ses concurrents.

Le « google car » dans les rues de Paris Source : http://www.flickr.com - © dH flickr

Mais c’est Google, avec son service Street View (vue de la rue), qui essaye le plus de se rapprocher d’une navigation à ras du bitume. Une flotte d’automobiles Google équipées d’appareils photos à 360° sillonne les grandes villes des États-Unis et des pays occidentaux afin de constituer des plans photogra-


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phiques des villes au ras du sol. Pour entrer dans Street View, on sélectionne un point de départ sur une carte, puis on navigue dans l’une des directions proposées par des flèches en superposition sur les photos. La navigation à hauteur de vue se superpose à la carte que l’on peut toujours retrouver. Les axes de directions matérialisés sur les photographies rendent l’immersion étonnante.

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La ville de Rennes a été la première à se lancer dans une cartographie 3D complète de son territoire dès 2003. Le service Citévisions (1) permet de naviguer dans la ville en trois dimensions, comme si on la survolait dans un petit avion. On peut y chercher une adresse précise et y localiser plus de 1 300 organismes. Certains bâtiments sont ouverts à une « visite », elle-même en trois dimensions, complétée d’informations historiques. La cathédrale Notre Dame modélisée dans Google Earth. Image 3D de Notre Dame. Source : http://sketchup.google.com

Le service Street View de Google. Source : www.google.com

6 De la carte au modèle Dans un premier temps réservée aux géomaticiens professionnels, et à quelques usages précis, la modélisation du territoire en trois dimensions (3D) devient accessible au public. De très nombreux projets dans le monde, et particulièrement en France, s’orientent vers la mise à disposition de modèles 3D complets de territoires urbains. Construction de modèle 3D. Image 3D terradata. Source : http://capdigital.com

À partir des mêmes technologies, celles de la start-up française Archividéo, les Pages Jaunes testent à leur tour un annuaire professionnel organisé autour d’un modèle de la ville en trois dimensions. L’objectif est d’aller jusqu’à pouvoir pousser la porte d’un commerçant et d’entrer virtuellement dans sa boutique, voire d’y faire des achats ou d’y obtenir un coupon de réduction. Google, avec son application Google Earth (2), propose également aux collectivités de modéliser leur ville en 3D. Si les grandes villes nord-américaines sont généralement représentées dans leur globalité, en 2008 les villes Françaises doivent se contenter de quelques bâtiments, à l’exception de Montbéliard qui a été entièrement modélisée. Google propose également aux cartographes et dessinateurs amateurs le logiciel Sketchup, un outil gratuit et relativement simple qui permet de modéliser les bâtiments. Les modèles réalisés peuvent être publiés et partagés dans une « banque de données 3D » puis affichés dans Google Earth. (1) www.citevisions.rennes.fr (2) http://earth.google.fr


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New York dans Virtual Earth

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Expérimenté à l’origine sur Paris, le projet de recherche TerraData de Thalès, associé à plusieurs PME et laboratoires de recherche ainsi qu’au pôle de compétitivité Cap Digital, a pour ambition de numériser de manière très fine les territoires et leurs ressources. Le projet porte autant sur les techniques de numérisation 3D, qu’il s’agit de rendre plus efficaces et moins coûteuses, que sur les formes de valorisation multimédia des informations, avec des perspectives pour le développement de nouveaux services d’information contextuels et géolocalisés pour les secteurs du tourisme, de la culture, les systèmes d’administration en ligne ou les applications nomades. Rennes Citévision

© Virtual Earth

Montbéliard dans Google Earth

© Google Earth

Source : http://www.citevisions.rennes.fr © Image Rennes Citévision


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La ville 2.0, complexe et familière

4- La carte : support de services

La reine des mashups Le succès du web 2.0 repose, d’une part, sur l’intervention des utilisateurs au cœur même des services et d’autre part, sur un abaissement considérable de la « barrière » que doit franchir le candidat innovateur avant de pouvoir lancer une nouvelle application. Cet abaissement s’obtient notamment de trois manières : En utilisant des standards communs et simples d’utilisation pour décrire et partager les informations (RSS pour les informations textuelles et multimédias, KML pour les données géographiques…) ; En mettant à disposition des plates-formes à partir desquelles il est plus aisé d’obtenir les informations de base, de créer et de faire tourner des applications, et même de faire connaître son service. Les grands portails qui jouent ce rôle sont Google, Yahoo! et Amazon, avec leurs programmes dédiés aux sites qui leur sont extérieurs ; et Facebook, en accueillant les « apps » externes ; Et enfin, en permettant aux développeurs de s’appuyer sur des modules logiciels préexistants plutôt que de devoir réinventer par eux-mêmes ce que d’autres, plus puissants, avaient déjà réalisé. Ce dernier point est à l’origine de ce que l’on nomme les « mashups », ou applications composites, qui se créent par agrégation, non seulement d’informations, mais aussi d’éléments de services venus de différents endroits : des fonds de carte d’un côté, des informations de l’autre, des petites annonces venues d’une troisième source, un système de paiement d’une quatrième.

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Pour utiliser la brique de service produite par un tiers, on a recours à une interface de programmation, ou API (Application Programming Interface). Une API décrit la manière d’entrer en communication avec un service informatisé, les informations qu’il attend pour fonctionner et les informations qu’il renvoie quand il a terminé sa tâche. La majorité des services du web 2.0 offre aux développeurs des API « ouvertes », c’est-à-dire utilisables, sans avoir à négocier de gré à gré un contrat complexe et coûteux. Et l’on constate que les API les plus utilisées sont celles des services cartographiques, en particulier celle de Google Maps. Selon le site ProgrammableWeb (1), en août 2008, plus de la moitié des mashups du web se fondait sur les API cartographiques de Google, Microsoft et Yahoo!. Les API carographiques les plus utilisées Source : programmableweb.com

L’immobilier en pionnier Un des premiers mashups de l’histoire du web 2.0 est un mashup cartographique. HousingMaps (2) projette les annonces de vente et de location d’appartements issues du site communautaire de petites annonces Craigslist sur un fond cartographique venu de Google Maps. Le programme qui combine ces deux services tient en quelques lignes, mais le résultat – une liste de biens à vendre et à louer localisés sur la carte – apporte un vrai plus par rapport à la fastidieuse lecture d’une liste d’annonces. (Voir un exemple page suivante). (1) www.programmableweb.com (2) www.housingmaps.com


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La carte : une interface et une infrastructure - Chapitre 3

Acheter son appartement à San Francisco Source : http://www.housingmaps.com

La majorité des sites web immobilier disposent aujourd’hui d’une entrée cartographique. Zillow (1) est un site d’intermédiation entre les individus et les professionnels de l’immobilier, qui se propose de mettre à disposition des acheteurs et des vendeurs individuels des outils équivalents à ceux des professionnels. Son système cartographique permet de sélectionner très simplement, quartier par quartier, les biens susceptibles d’intéresser l’acheteur : gamme de prix, nombre de pièces, année de construction, mais aussi, par exemple, durée de présence du bien sur le marché. Les vendeurs peuvent également comparer le prix qu’ils espèrent demander avec le prix moyen de biens comparables à proximité. Des cartes permettent de voir d’un seul coup d’œil le prix des habitations par quartiers : le cœur de Manhattan sera rouge, tandis que des taches bleues apparaissent dans les quartiers les plus défavorisés, une partie de Brooklyn et le nord du Bronx. Où se trouve le quartier le moins cher de New York ? Source : www.zillow.com

(1) www.zillow.com

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Les mashups de la mobilité Les services des vélos en libre service, comme Vélib’ à Paris ou Velo’v à Lyon, ont stimulé l’inventivité des créateurs de services composites. Le site Un Vélo Vite (1) indique la localisation et la disponibilité des stations Vélib’ sur les cartes de Google Maps. On peut également, d’un simple clic, afficher un itinéraire entre deux stations. Le site Paris à Vélo (2), plus épuré, dispose lui aussi de services similaires, mais propose également la possibilité de programmer un e-mail d’alerte pour connaître la disponibilité des vélos, par exemple en semaine, à l’heure où l’on quitte le domicile pour aller au travail. Trouver un Vélib’ libre Source : www.parisavelo.net

Ces applications se déclinent également en mobilité. Par exemple, Molib est un petit programme à télécharger qui permet de trouver automatiquement les stations Velib’ proches de l’endroit où l’on se trouve, de vérifier la disponibilité de vélos (ou de places libres pour rendre son Velib’) et de se faire guider jusqu’à la station choisie. (1) www.unvelovite.com (2) www.parisavelo.net

Trouver un Vélib’ libre... en mobilité. Image Molib


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La carte : une interface et une infrastructure - Chapitre 3

Google lui-même utilise ses différents services de cartographies pour créer ses propres services urbains. Plusieurs compagnies de taxis nord-américaines, qui ont équipé leur flotte de véhicules de GPS, participent au service de localisation en temps réel des taxis. Google Ride Finder (1). L’utilisateur du service qui souhaite commander un taxi peut ainsi voir en temps réel où se trouve le taxi libre le plus proche de lui et prendre contact directement avec la compagnie qui l’emploie.

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lisation de Google Transit tranche avec bien des concurrents et le fait que le service soit proposé par Google, plutôt que par les autorités organisatrices des transports ou les transporteurs eux-mêmes, est une indication de la manière dont la puissance et la souplesse des outils du web 2.0 peut aussi redéfinir certains équilibres traditionnels entre les acteurs de la ville.

Les taxis de Los Angeles localisés en temps réel. Source : labs.google.com/ridefinder

Pour se rendre au Zoo de San Francisco Source : www.google.com/transit

Google Transit (2), aujourd’hui accessible dans plusieurs grandes villes du monde dont Bordeaux et Maubeuge en France, est un service d’information multimodal sur les transports. Grâce à des accords signés avec les opérateurs de transport, Google propose à ses utilisateurs d’effectuer des trajets en utilisant les différents systèmes de transport collectif d’une ville. Le service indique également les horaires de chaque correspondance et les temps d’attente. Il décrit enfin le trajet à effectuer pour atteindre la station de départ, ainsi que pour se rendre à sa destination depuis la station d’arrivée. D’autres services d’information multimodaux existent depuis longtemps dans plusieurs villes du monde et de France. La facilité d’uti(1) labs.google.com/ridefinder (1) google.com/transit

Des croisements inattendus pour lire autrement sa ville Les API des services cartographiques sont également utilisées pour produire et rendre accessible des formes inédites (ou généralement réservées aux professionnels) de représentation des données de la ville. Les données de la population, de l’activité économique, de l’éducation, de la délinquance, des transports, de l’environnement, etc., trouvent une nouvelle vie sur des cartes inédites produites avec, ou par, les citadins. Lorsqu’on observe les manières dont ces données sont exploitées et partagées publiquement sur des fonds cartographiques, on constate que les applications focalisées sur un seul type d’information remplissent souvent une fonction un peu militante, tandis que les dispositifs qui croisent un grand nombre de données poursuivent plutôt des objectifs en termes de connaissance et d’appropriation « citoyennes ».


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6 Des usages ponctuels plutôt militants, voire miliciens Dans les pays anglo-saxons, le crimemapping, ou cartographie de la délinquance, a ainsi donné naissance à une floraison de sites. Sur certains, on peut observer graphiquement la fréquence des crimes et délits en se focalisant, si l’on veut, sur les meurtres, les crimes sexuels, les cambriolages, etc. D’autres sites situent sur la carte le nom, parfois la photo, et l’adresse du domicile de délinquants sexuels libérés mais encore sous surveillance… Autre tendance très américaine, la cartographie de l’usage des fonds publics ou du financement des campagnes électorales. 6 La ville sous tous ses « profils » Des chercheurs de l’University College de Londres ont compilé les données du dernier recensement, ainsi que des résultats d’enquêtes portant sur l’utilisation des technologies par la population, les statistiques de santé publiées par les hôpitaux de la ville, et bien d’autres informations encore, et proposent aux utilisateurs de les croiser à leur guise sur un même fond de carte. London Profiler (1) donne à voir, par exemple, la répartition des Français dans la ville de Londres par quartier, le niveau d’éducation, le nombre de diabétiques, le niveau d’accessibilité des transports en commun, etc.

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6 Prendre la main sur les capteurs urbains Disponible uniquement dans la ville de New York, le site proposé par la jeune entreprise Alkemis (1) associe sur une même carte un lien vers les webcams ouvertes de la ville, dont le flux s’affiche en temps réel en surimpression, l’état du trafic automobile, les images géolocalisées de FlickR, le plan du métro, etc. La carte des « capteurs » urbains à New York. Source : local.alkemis.com

Poussant encore plus loin le « retournement » de la surveillance et sa mise en visibilité au travers des cartes, le site SensorMap, expérimenté par Microsoft Research, localise les capteurs urbains (caméras de surveillance, compteurs de trafic, etc.) et permet d’accéder à leur production. SensorMap, un service pour accéder aux productions des « capteurs » Source : http://atom.research.microsoft. com/sensormap/

Les Français à Londres. Source : www.londonprofiler.org

Ainsi, la carte se retourne-t-elle en quelque sorte sur ellemême : censée représenter le territoire, elle en devient aussi une interface de contrôle, de visualisation, de navigation. La voilà qui restitue à son tour les mesures et les images qui aident à la produire. La carte n’est pas le territoire, dit-on avec raison. Mais dans le tissage de plus en plus dense entre les espaces, les pratiques physiques et numériques, elle en fait désormais partie. (1) londonprofiler.org

(1) http://local.alkemis.com


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La ville 2.0, complexe et familière

Poursuites... Nous nous proposons de ne pas vraiment conclure ce voyage dans la ville augmentée. Parce qu’il avait pour vocation d’explorer des pistes et de soulever des questions, plutôt que de proposer une vision globale et cohérente. Parce que son ambition est de donner au lecteur l’envie d’entreprendre son propre voyage, à sa manière, à partir de sa propre réalité urbaine.

Autorité et motilité Si l’on voulait néanmoins proposer quelques prolongements, on pourrait les organiser autour de deux mots : autorité et motilité. L’individualisation des modes de vie et le développement des pratiques sociales, très horizontales des réseaux, ont beaucoup à voir avec la « crise de l’autorité » que les institutions politiques ressentent au premier chef. Mais la philosophe Myriam Revault d’Allonnes (1) souligne à juste titre que les mots « autorité » et « auteur » ont la même source. Dans un monde incertain où ni la tradition, ni l’institution, ni l’idée d’un futur prédéterminé connu de quelques décideurs, n’ont plus de légitimité, l’autorité est ce qui permet à chacun de devenir « auteur », de soi-même, mais aussi d’une part de la réalité collective présente et à venir. Les usages des technologies que nous décrivons dans cet ouvrage relèvent de cette vision. Elles ne servent pas, ou pas principalement, à optimiser, automatiser, externaliser – mais à voir autrement la ville, à la rendre plus aisément appropriable et habitable. Elles permettent à chacun d’espérer inventer « sa » ville, et, dans une certaine mesure, de la produire. Et parce que l’espace numérique, sans être illimité, est moins contraint que l’espace physique, il autorise la cohabitation d’un plus grand nombre de pratiques, de signes et d’expérimentations. Considérons donc ici le numérique comme une manière de s’autoriser à penser autrement la ville. Le rôle des institutions étant de transmettre cette autorisation aux citadins eux-mêmes, de leur mettre en mains des ressources et des outils pour participer à cette réinvention et d’y contribuer avec eux. Les ressources et les outils, que nous avons explorés lors de cet ouvrage, ont pour caractéristiques communes de rendre mobile, d’aider à déplacer les choses, les personnes et les frontières, de créer du lien. Ils ne prescrivent pas un avenir précis, ils ne contiennent pas en eux telle ou telle organisation, mais ils développent la motilité de la ville et de ses habitants, c’est-à-dire leur capacité à bouger, à décider, à agir. (1) Le pouvoir des commencements. Essai sur l’autorité, Le Seuil, 2006.

Conclusion

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Comment poursuivre ? Nous caressons donc l’espoir qu’au terme de ce parcours, de nombreux lecteurs auront à cœur d’essayer certains des services mentionnés, d’en découvrir d’autres – et pourquoi pas de nous les signaler (1) – et mieux encore, d’imaginer la manière de faire du neuf dans leur ville, leur quartier. Ne nous cachons pas, cependant, que cela nécessitera un changement de posture de la part des acteurs urbains. Du côté des institutions, il s’agit de se penser comme des facilitateurs plutôt que des planificateurs. De rendre la ville plus intelligible, navigable, sociable mais aussi plus ouverte à l’initiative et aux contributions de tous, non pas de manière occasionnelle, lors de quelques forums participatifs, mais par construction. Du côté des acteurs des services urbains, qu’ils soient publics ou privés, il faudra apprendre à partager ses informations, ses infrastructures, ses usagers ou clients. Pas par bonté d’âme, mais pour rendre possible la création de valeur qui en résultera et qui est aujourd’hui bloquée dans la plupart des cas par un fonctionnement en « silos ». Les technologues, enfin, devront cesser de promouvoir leurs outils comme des dispositifs centrés sur le contrôle, la surveillance, l’automatisation, l’externalisation. Ces fonctions-là sont nécessaires dans bien des cas, mais elles optimisent, elles ne transforment rien. Et surtout, lorsque rien ne vient contraindre les technologies à l’ouverture et la fantaisie, elles peuvent devenir des facteurs d’aliénation, l’exact inverse de l’« autorisation » dont il était question plus haut. Pour poursuivre, donc, testez par vous-mêmes, bricolez, discutez-en avec d’autres, intéressez-vous à ce que des entrepreneurs, des activistes, des amateurs, des étudiants, des artistes pourraient imaginer. Allez les trouver là où ils se rassemblent ou aidez-les à le faire. Recommencez à tester car d’autres idées ont germé depuis la première fois. Essayez des choses simples et améliorez-les. N’attendez pas qu’un prototype soit parfait, au contraire, aidez les utilisateurs et les autres acteurs de votre environnement à l’améliorer. La ville peut être à la fois complexe et familière. Il n’y a contradiction que si l’on n’admet pas que plusieurs réponses valables puissent être données en même temps aux mêmes questions, par plusieurs acteurs. La familiarité vient parfois de la simplicité ; mais elle peut aussi venir du sentiment que chacun aura de pouvoir, avec l’aide des autres, conquérir la complexité inhérente à la ville qui bouge. (1) Sur le site www.villes2.fr


Couverture imprimée sur Cyclus Offset 350 g. Le papier Cyclus est certifié par les labels Blaue Engel, Nordic Ecolabel et Ecolabel européen.

Achevé d’imprimer en novembre 2008 Imprimé en France sur les presses de l’imprimerie Chirat Dépôt légal : novembre 2008 ISBN : 978-2-916571-22-5


Fing La ville 2.0, complexe et familière Fabien Eychenne

Minérale et charnelle, historique et politique, la ville est, aujourd’hui, aussi numérique. Elle se décrit, se modélise et se pilote numériquement. Toutes ses innovations comportent une dimension numérique. Des myriades de puces équipent ses espaces, ses bâtiments, ses véhicules, ses habitants ; et notre vie quotidienne est ponctuée d’échanges numériques. Ce mouvement exprime et accélère une transformation profonde de notre mobilité, de nos pratiques sociales, de l’organisation de nos temps, du fonctionnement des entreprises et des acteurs publics. Ce « cahier de tendances » explore la tension entre deux transformations majeures dont le numérique et les réseaux sont les instruments et les catalyseurs : d’une part, la complexité liée à l’individualisation et la personnalisation, et d’autre part, les nouveaux agencements qui cherchent à rendre la ville plus navigable, plus sociable, plus attentive. Peut-on rendre cette ville « augmentée » à la fois plus personnelle, plus attentive aux aspirations de chacun, mais aussi plus familière, plus accessible et plus collective ? Cet ouvrage propose des réponses concrètes autour de trois ensembles : - Les signes qui rendent la ville plus lisible et navigable ; - Les réseaux sociaux et les nouvelles formes de sociabilité ; - Et la carte, à la fois nouvelle interface de la mobilité urbaine et nouvelle infrastructure des services urbains. Créée en partenariat avec la Fing, et dirigée par Daniel Kaplan, cette collection, La fabrique des possibles, traite des grands enjeux de société au croisement de la prospective, de l’économie, des stratégies des entreprises privées et publiques, des technologies et de leurs usages, des nouveaux services et de leurs impacts sur la vie quotidienne. Cette collection est l’outil indispensable permettant de stimuler les imaginations prospectives, et d’anticiper les profondes mutations que les ruptures technologiques apporteront dans les prochaines années.

“Peut-on faire en sorte que les dimensions physique, sociale et numérique soient mises au service d’une ville à la fois plus attentive à chacun, et plus familière à tous?”

La ville 2.0, complexe... et familière Fabien Eychenne

www.fing.org | www.internetactu.net Créée en 2000 par une équipe d’entrepreneurs et d’experts, la Fing (Fondation internet nouvelle génération) a pour mission de repérer, stimuler et valoriser l’innovation dans les services et les usages du numérique.

14,90 €

www.fypeditions.com

Diffusion : Pearson Education France - Distribution : MDS

fyp

ISBN 978-2-916571-23-2

éditions

fypéditions

#02

LA FABRIQUE DES POSSIBLES

Fing #02

fyp éditions


Une collection dirigée par Daniel Kaplan

Cet ouvrage a été réalisé à partir du programme Villes 2.0 de la Fing.

Daniel Kaplan est délégué général de la Fing (Fondation internet nouvelle génération), depuis sa création, en 2000. Dès 2003, il est désigné par la presse, comme l’une des « 100 personnalités qui font vraiment bouger la France ». Il est également président de l’Institut européen de e-learning (EIfEL). Depuis les années 1990, il est profondément impliqué dans le développement de l’internet en France et dans le monde. Il a écrit ou dirigé plus de 15 ouvrages et rapports publics.

Villes 2.0 est un programme de la Fing en association avec le Groupe Chronos et Tactis. Mobilité, individualisation, participation, complexité, durabilité, etc. : la ville change, les technologies en sont à la fois l’instrument et le catalyseur. Villes 2.0 explore les défis et les opportunités qui émergent de ces transformations, du point de vue des citadins, www.villes2.fr des territoires et des entreprises.

Dans la même collection :

Villes 2.0 a le soutien de :

#01

Pour une mobilité plus libre et plus durable

Alcatel Lucent Caisse des Dépôts et Consignations

ISBN : 978-2-916571-22-5

La ville 2.0, complexe et familière

#02

ISBN : 978-2-916571-23-2

Technologies et prospective territoriale

Le programme Villes 2.0

faberNovel JCDecaux

#03

LaSer Orange

ISBN : 978-2-916571-24-9

Région Provence-Alpes-Côte d’Azur RATP

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