BATIR
BATIR HABITER PENSER
Dans ce qui suit nous essayons de penser touchant 1'« habiter» et le « bâtir ». Une telle pensée concernant le bâtir n'a pas la prétention de découvrir des idées de constructions, encore moins de prescrire des règles à la construction. Cet essai de pensée ne présente aucunement le bâtir du point de vue de l'architecture et de la technique, mais il le poursuit pour le ramener au domaine auquel appartient tout ce qui est. Nous demandons: 10 Qu'est-ce que l'habitation l? 20 Comment le bâtir fait-il partie de l'habitation? 1
Nous ne parvenons, semble-t-il, à l'habitation que par le «bâtir 2 ». Celui-ci, le bâtir, a celle-là, l'habitation pour but. Toutes les constructions, cependant, ne sont pas aussi des habitations. Un pont, le hall d'un aéroport, un stade ou une centrale électrique sont des constructions, non des habitations; une gare ou une autostrade, un barrage, la 1. Dans tout le cours de ce morceau, comme dans « ... l'homme habite en poète ... », « habitation», au singulier, qui presque toujours rend das Wohnen, « l'habiter », désigne le fait et la façon d'habiter, non le logement, le local habité. Les très rares exceptions ressortiront du contexte. 2. « Bâtir » tient lieu de l'allemand bauen, qui ne veut pas dire seulement « bâtir », mais aussi « cultiver» et qui a signifié « habiter », C'est donc toujours le mot allemand qu'il faudra voir derrière le terme français.
HABITER
PENSER
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halle d'un marché sont dans le même cas. Pourtant ces constructions rentrent dans le domaine de notre habitation : domaine qui dépasse ces constructions et qui ne se limite pas non plus au logement. L'homme du tracteur devant ses remorques se sent chez lui sur l'autostrade, mais il n'y loge pas; l'ouvrière se sent chez elle dans la filature, pourtant elle n'y a pas son habitation; l'ingénieur qui dirige la centrale électrique s'y trouve chez lui, mais il n'y habite pas. Ces bâtiments donnent une demeure à l'homme. Il les habite et pourtant il n'y habite pas, si habiter veut dire seulement que nous occupons un logis. A vrai dire, dans la crise présente du logement, il est déjà rassurant et réjouissant d'en occuper un; des bâtiments à usage d'habitation fournissent sans doute des logements, aujourd'hui les demeures peuvent même être bien comprises, faciliter la vie pratique, être d'un prix accessible, ouvertes à l'air, à la lumière et au soleil: mais ontelles en elles-mêmes de quoi nous garantir qu'une habitation a lieu? Quant aux constructions qui ne sont pas des logements, elles demeurent toutefois déterminées à partir de l'habitation, pour autant qu'elles servent à l'habitation des hommes. Habiter serait ainsi, dans tous les cas, la fin qui préside à toute construction. Habiter et bâtir sont l'un à l'autre dans la relation de la fin et du moyen. Seulement, aussi longtemps que notre pensée ne va pas plus loin, nous comprenons habiter et bâtir comme deux activités séparées, ce qui exprime sans doute quelque chose d'exact; mais en même temps, par le schéma fin-moyen, nous nous fermons l'accès des rapports essentiels. Bâtir, voulons-nous dire, n'est pas seulement un moyen de l'habitation, une voie qui y conduit, bâtir est déjà, de lui-même, habiter. Qui nous en assure? Qui, d'une façon générale, nous donne une mesure, avec laquelle nous puissions mesurer d'un bout à l'autre l'être de