Du même auteur, chez Milady : Minuit : 1. Le Baiser de minuit 2. Minuit écarlate 3. L’Alliance de minuit
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Lara Adrian
L’Alliance de minuit Minuit – 3 Traduit de l’anglais (États-Unis) par Éléonore Kempler
Milady
Milady est un label des éditions Bragelonne
Titre original : Midnight Awakening Copyright © 2007 by Lara Adrian, LLC Suivi d’un extrait de : Midnight Rising Copyright © 2007 by Lara Adrian, LLC Publié en accord avec Dell Books, une maison d’édition de The Random House Publishing Group, une division de Random House, Inc. © Bragelonne 2011, pour la présente traduction ISBN : 978-2-8112-0503-4 Bragelonne – Milady 60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris E-mail : info@milady.fr Site Internet : www.milady.fr
À mes lecteurs, avec mes profonds remerciements pour tout l’enthousiasme et le soutien dont vous avez fait preuve. Merci beaucoup !
Et à mon mari, ma boussole, et la preuve absolue que le « ils vécurent heureux » des contes de fées existe aussi dans la vraie vie. Tu seras toujours mon héros !
Remerciements Merci à mon agent et à toute l’équipe de Bantam Dell d’avoir toujours cru en moi, et d’avoir porté une grande attention à chacun de mes livres. Merci à mes relecteurs, correcteurs, et aux autres qui travaillent en coulisse. (Salut, Destiny et Jeremy !) Un gros bisou à mes copines écrivaines pour avoir toléré de longs silences radio de mon côté, mais aussi pour avoir toujours été disponibles lorsqu’il s’agissait de vérifier ma santé mentale à la dernière minute et de m’encourager. Je tiens à remercier en particulier Kayla Gray, Jaci Burton, Larissa Ione et Stephanie Tyler : vous êtes tout simplement géniales. Enfin, je voudrais exprimer toute ma gratitude à trois groupes immensément talentueux, dont la musique a donné vie dans mon imagination à une grande partie de cette histoire. Mon inspiration (et mon addiction de chaque jour) est le fait du talent artistique de Collide, H.I.M. et de Black Lab.
Chapitre premier
E
lle avançait parmi eux, inaperçue. Elle n’était qu’une voyageuse parmi d’autres à l’heure de pointe du soir, marchant d’un pas lourd dans la neige de février fraîchement tombée. Personne ne prêtait la moindre attention à cette femme menue emmitouflée dans une parka à capuche surdimensionnée, le visage dissimulé par une écharpe remontée jusque sous ses yeux qui scrutaient la foule de piétons humains avec un vif intérêt. Trop vif, elle le savait, mais elle ne pouvait s’en empêcher. Elle était très désireuse de se retrouver parmi eux et impatiente de dénicher sa proie. Sa tête résonnait du rock bruyant qui se déversait des petits écouteurs d’un lecteur mp3. Ce n’était pas le sien. Il avait appartenu à son fils adolescent… à Camden. Son cher Cam décédé à peine quatre mois auparavant, victime de la guerre souterraine à laquelle Élise ellemême avait décidé de se mêler. Il était la raison de sa présence ici, à rôder dans les rues bondées de Boston, une dague dans la poche de son manteau et une lame au tranchant de titane fixée à la cuisse. Plus que jamais, Camden était sa raison de vivre. 9
Sa mort ne pouvait pas rester impunie. Élise traversa au feu vert et remonta la rue en direc tion de la gare. Elle voyait les gens parler quand elle les dépassait, leurs lèvres bouger en silence, leurs mots – et, plus important, leurs pensées – noyés par les paroles agressives, les guitares hurlantes et le rythme de basse qui lui emplissaient les oreilles et vibraient dans ses os. Elle ne savait pas exactement ce qu’elle écoutait, mais cela n’avait pas d’importance. Elle avait juste besoin du bruit, diffusé assez fort et assez longtemps, afin de se mettre en condition pour la chasse. Elle entra dans le bâtiment, goutte d’eau dans ce flot d’humanité mouvante. Une lumière crue tombait des néons au plafond. La puanteur des rues crasseuses, de l’humidité et des corps trop nombreux assaillit son odorat à travers son écharpe. Élise s’avança jusqu’au centre de la gare, où elle marqua une courte pause. Forcée de se séparer autour d’elle, la foule mouvante passa de chaque côté. Beaucoup lui rentraient dedans, la bousculaient dans leur hâte d’attraper le prochain train. Plus d’un lui lança un regard furieux au passage, murmurant des obscénités à celle qui avait osé s’arrêter au milieu de leur chemin. Seigneur ! Elle méprisait tous ces contacts, mais c’était un mal nécessaire. Elle prit une inspiration pour se calmer, puis mit la main dans sa poche et éteignit la musique. Le vacarme de la gare déferla sur elle comme une vague, l’engloutissant sous le raffut des voix, des pas traînants, de la circulation au-dehors, du 10
grincement métallique et du grondement des trains à l’arrivée. Mais ces bruits n’étaient rien en comparaison de ceux qui l’assaillirent ensuite. Des pensées sinistres, de mauvaises intentions, des péchés secrets, des haines patentes… Tout cela tourbillonnait autour d’elle comme une tempête noire. La corruption humaine qui la poursuivait martelait ses sens. Comme toujours, ce premier afflux de vent maléfique la fit vaciller, la submergea. Élise chancela sur ses pieds. Elle combattit la nausée qui montait en elle et tenta de son mieux d’enrayer l’attaque psychique. Quelle pétasse, j’espère qu’ils vont la foutre à la porte… Putain de touristes ! Pourquoi vous ne rentrez pas chez vous, espèces de gros péquenauds… Pauvre con ! Dégage de mon chemin ou je t’en colle une… Et alors, ça fait quoi si c’est la sœur de ma femme ? C’est pas comme si elle m’avait pas fait de l’œil toutes ces années… La respiration d’Élise s’accélérait à chaque seconde, tandis qu’une migraine s’insinuait sous son crâne. Les voix dans sa tête se mêlèrent en un bourdonnement incessant, presque impossible à distinguer, mais elle tint bon et se prépara alors qu’un train arrivait et que ses portes s’ouvraient pour laisser une nouvelle marée humaine se déverser sur le quai. Les passagers se répandirent autour d’elle, d’autres voix s’ajoutèrent à la cacophonie qui la déchirait. — Si seulement tous ces clodos déployaient la même énergie à trouver un boulot qu’ à faire la manche… 11
— Je le jure, s’il pose encore une fois la main sur moi, je le bute, ce fils de pute… — Fuis, bétail ! Retourne à ton étable ! Créatures pathétiques, mon Maître a raison, vous méritez d’ être réduits en esclavage… Élise ouvrit les yeux d’un coup. Son sang se glaça dans ses veines au moment où ces mots s’imprimaient dans son esprit. C’était cette voix-là qu’elle attendait. Celle qu’elle était venue chasser. Elle ignorait le nom de sa proie, ou même à quoi il ressemblait, mais elle savait ce qu’il était : un Laquais. Comme ses semblables, il avait été humain autrefois, mais à présent il n’était plus qu’une coquille vide. Son humanité avait été saignée par celui qu’il appelait « Maître », un vampire puissant également chef des Renégats. C’était à cause d’eux, les Renégats, et de l’être maléfique qui les menait à une guerre violente au sein de la Lignée des vampires, que le fils unique d’Élise était mort. Elle était veuve depuis cinq ans, et Camden était tout ce qui lui restait, tout ce qui importait dans sa vie. Sa mort lui avait ouvert une nouvelle voie, elle avait trouvé un nouveau but, une détermination inébranlable. C’est sur cette volonté de fer qu’elle s’appuyait désormais, en ordonnant à ses pieds d’avancer dans la foule compacte, à la recherche de celui qui paierait ce jour-là pour la mort de Camden. Elle avait la tête qui tournait sous le feu continu de pensées douloureuses et hideuses, mais elle réussit enfin 12
à repérer le Laquais. Il la devançait de plusieurs mètres, la tête couverte d’un bonnet noir, emmitouflé dans une veste de camouflage vert délavé en lambeaux. L’hostilité se déversait de lui comme de l’acide. Sa corruption était si absolue qu’Élise sentit un goût de bile au fond de sa gorge. Malgré tout, elle n’avait d’autre choix que de rester près de lui en attendant le moment de passer à l’action. Le Laquais sortit de la gare et remonta le trottoir d’un pas vif. Élise le suivit en serrant fermement les doigts autour de la dague dans sa poche. Dehors, il y avait moins de monde, et le vacarme psychique s’était atténué, mais la douleur due à la surcharge qu’elle avait subie dans la gare était toujours présente, lui transperçant les os comme une pointe d’acier. Élise garda les yeux rivés sur le Laquais, et hâta le pas tandis qu’il s’éclipsait dans une boutique. Elle arriva à la porte vitrée, regarda attentivement à travers le logo FedEx et vit sa proie faire la queue devant le comptoir. — Excusez-moi, dit quelqu’un derrière elle. (Elle fut surprise d’entendre le son d’une voix véritable et non le bourdonnement confus qui emplissait toujours sa tête.) Vous y allez ou pas, ma petite dame ? À ces mots, l’homme derrière elle poussa la porte et la tint ouverte d’un air interrogateur. Elle n’avait pas eu l’intention d’entrer, mais tout le monde la dévisageait à présent, y compris le Laquais. Elle aurait encore plus attiré l’attention sur elle en refusant. Élise avança donc à grands pas dans l’agence brillamment éclairée et feignit 13
tout de suite d’être intéressée par un étalage de colis dans la vitrine. Elle observa le Laquais du coin de l’œil. Celui-ci attendait son tour dans la file. Il était énervé, d’humeur violente, et insultait en pensée les clients devant lui. Il approcha enfin du comptoir, sans répondre au salut du vendeur. — Le paquet pour Raines. L’employé tapa quelque chose sur son clavier, puis hésita une seconde. — Un instant. (Il se rendit dans l’arrière-boutique, puis revint en secouant la tête.) Il n’est pas encore arrivé. Désolé. La fureur du Laquais devint presque palpable, et se referma comme un étau sur les tempes d’Élise. — Comment ça, « il n’est pas encore arrivé » ? — La majeure partie de New York a été touchée par une importante tempête de neige la nuit dernière, donc beaucoup de colis du jour ont été retardés… — Cette merde est censée être sous garantie, gronda le Laquais. — Oui, en effet. Vous pouvez exiger un remboursement, mais vous devrez remplir une demande… — Va te faire foutre avec ta demande, abruti ! Il me faut ce paquet. Tout de suite ! Mon Maître va me faire la peau si je ne reviens pas avec cette livraison et, si ça chauffe pour moi, je reviendrai ici et je t’arracherai les poumons, connard. 14
Élise sursauta sous le coup de la virulence de cette menace silencieuse. Elle savait que les Laquais ne vivaient que pour celui qui les avait créés, mais c’était toujours un choc d’entendre jusqu’où pouvait les mener leur allégeance. Rien n’était sacré à leurs yeux. Les vies n’avaient aucun sens, qu’elles soient humaines ou de la Lignée. Les Laquais étaient presque aussi horribles que les Renégats, la faction criminelle, assoiffée de sang, de la nation vampire. Le Laquais se pencha par-dessus le comptoir, les poings serrés de chaque côté de son corps. — Il me faut ce paquet, enfoiré. Je ne partirai pas sans. L’employé recula, soudain méfiant. Il saisit le téléphone. — Écoutez, mon vieux, je vous ai expliqué que je ne pouvais rien faire de plus. Il faudra revenir demain. Maintenant, vous allez devoir partir avant que j’appelle la police. Espèce de petit merdeux inutile, grogna le Laquais intérieurement. Très bien, je reviendrai demain. Et tu vas voir : je vais bien m’occuper de toi ! — Est-ce qu’il y a un problème, Joey ? Un homme plus âgé était sorti de la pièce du fond, la mine intraitable. — J’ai essayé de lui dire que son colis n’est pas encore arrivé à cause de la tempête, mais il ne veut pas laisser tomber. Comme si j’étais censé le sortir de mon c… 15
— Monsieur ? dit le responsable en interrompant son employé et en regardant sévèrement le Laquais. Je vais vous demander poliment de partir maintenant. Il faut y aller, ou nous allons devoir appeler la police pour vous escorter jusqu’à la sortie. Le Laquais grogna quelque chose d’incompréhensible mais de très désagréable. Il tapa du poing sur le comptoir, puis tourna brusquement les talons. En approchant de la porte où se tenait Élise, il balaya un étalage, et des rouleaux de scotch et de papier bulle s’éparpillèrent au sol. Élise recula, mais le Laquais arrivait trop vite. Il lui jeta un regard furieux de ses yeux vides et inhumains. — Dégage de mon chemin, grosse vache ! Avant qu’elle ait eu le temps de réagir, il la bouscula pour sortir, poussant si fort la porte que les panneaux de verre vibrèrent comme s’ils allaient se briser. — Quel connard, murmura un des clients dans la file d’attente. Élise sentit une vague de soulagement traverser l’assemblée quand le Laquais fut parti. Une partie d’ellemême était également apaisée, heureuse que personne n’ait été blessé. Elle aurait voulu attendre un moment dans le magasin où le calme était revenu, mais c’était un plaisir qu’elle ne pouvait pas s’accorder. Le Laquais traversait la rue comme une furie à présent et le crépuscule arrivait à toute allure. Elle ne disposait au mieux que d’une demi-heure avant que la nuit tombe et que les Renégats sortent se nourrir. Si ce qu’elle faisait était dangereux de jour, la 16
nuit, cela tenait du suicide. Elle pouvait massacrer un Laquais furtivement avec de l’acier – elle l’avait déjà fait, plus d’une fois – mais, comme n’importe quel autre humain, femme ou non, elle n’avait pas la moindre chance face à un Renégat drogué, gorgé de sang. S’armant de courage, Élise se glissa dans la rue et suivit le Laquais. Il était en colère et marchait d’un pas rageur, heurtant violemment les autres piétons et les abreuvant de malédictions sur son passage. Un déluge de douleur mentale emplit l’esprit d’Élise alors que d’autres voix se joignaient au vacarme qui retentissait déjà sous son crâne, mais elle allait aussi vite que sa cible. Elle restait quelques mètres en retrait, les yeux rivés sur la masse vert pâle de la veste du Laquais au travers du léger tourbillon de neige fraîche. Il tourna à gauche au coin d’un bâtiment, dans une allée étroite. Élise se dépêchait à présent, prête à tout pour ne pas le perdre. À mi-chemin de la ruelle, il ouvrit une porte métallique abîmée et disparut. Elle s’approcha de la plaque de métal, les mains moites malgré la fraîcheur de l’air. Les pensées violentes du Laquais retentissaient dans sa tête – des pensées meurtrières, toutes les choses effroyables qu’il accomplirait par déférence pour son Maître. Élise mit la main dans sa poche et en sortit sa dague. Elle la tenait contre son flanc, prête à frapper mais dissimulée dans les longs pans de son manteau. De sa main libre, elle saisit la poignée et ouvrit la porte déverrouillée. Des flocons de neige tourbillonnèrent devant elle dans le vestibule lugubre qui puait la moisissure et 17
la fumée de cigarette. Le Laquais se tenait près d’une rangée de boîtes aux lettres, une épaule appuyée contre le mur, et allumait un téléphone portable semblable à ceux qu’ils avaient tous : la ligne directe des Laquais avec leur Maître vampire. — Ferme cette putain de porte, pétasse ! dit-il d’un ton hargneux, les yeux étincelant d’une lueur sans âme. (Il fronça les sourcils en une expression renfrognée quand Élise fondit sur lui avec une résolution implacable.) Qu’est-ce que c’est que c… Sans hésiter, elle enfonça la dague dans la poitrine du Laquais, sachant que l’élément de surprise était un de ses meilleurs atouts. La colère de sa victime la frappa comme un coup de poing, la repoussant en arrière. Sa corruption s’infiltrait dans son esprit comme de l’acide, lui brûlait les sens. Élise lutta contre la douleur psychique et revint pour le poignarder une seconde fois, ignorant la brusque tiédeur du sang qui jaillit sur sa main. Le Laquais postillonna, s’efforçant de l’attraper alors qu’il tombait sur elle. Sa blessure était mortelle. Il y avait tant de sang qu’elle faillit vomir lorsqu’elle le vit et en sentit l’odeur. Élise se débattit pour échapper à la lourde prise du Laquais et s’écarta d’un bond quand il tomba. Son souffle lui brûlait les poumons, son cœur battait à tout rompre, sa tête semblait devoir se briser sous le déluge mental de la colère ininterrompue du Laquais. Il s’agita et poussa un sifflement quand la mort le surprit. Puis il finit par s’immobiliser. Enfin, il y eut le silence. 18
Avec des doigts tremblants, Élise récupéra le téléphone portable à ses pieds et le glissa dans sa poche. Éliminer ce Laquais l’avait épuisée, l’effort physique et psychique combiné était presque trop dur à supporter. Chaque meurtre semblait peser plus lourdement sur ses épaules, lui demander plus de temps pour récupérer. Elle se demanda si un jour viendrait où elle glisserait si profondément dans l’abîme qu’elle serait incapable de remonter à la surface. Probablement, songea-t-elle, mais pas aujourd’ hui. Elle continuerait à se battre aussi longtemps qu’elle aurait un souffle de vie dans le corps et la douleur du deuil dans le cœur. — Pour Camden, murmura-t-elle, fixant le Laquais mort tout en enclenchant le lecteur mp3 en prévision de son retour à la maison. La musique se déversa, réduisant au silence le don qui lui donnait le pouvoir d’entendre les secrets les plus noirs de l’âme humaine. Elle en avait assez entendu pour l’instant. L’importante mission de sa journée accomplie, Élise fit demi-tour et fuit le carnage dont elle était responsable.
À suivre...