Pages manquantes - Un Noël à River Falls

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Il sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine. Il fallait que cette femme s’en aille. Il avait besoin d’être seul pour s’apitoyer sur son propre sort. — Tu n’es pas un monstre, et tu ne dois laisser croire à personne que tu en es un. Nathaniel ne pouvait s’empêcher de penser à grand-mère. Quand elle allait apprendre la nouvelle, elle allait en faire un infarctus. Pour elle, il se devait au moins de limiter les dégâts. — Vous vous êtes trompée de commandement. Ce n’est pas le sixième que j’ai enfreint, mais le dixième : « Tu ne convoi­­­­­­ teras pas la femme de ton prochain. » Hurley fut prise d’une double émotion. La tristesse de voir une fois encore que l’amour pouvait mener au plus terrible des drames, mais aussi la fierté de constater qu’elle avait vu juste. Terrible dualité, qu’elle avait appris à gérer depuis longtemps. — Bettany Thompson ? avança Hurley. C’était la petite amie de Lewis ; elle était enfermée dans sa chambre depuis l’annonce de sa mort. Personne ne l’avait encore interrogée, lui avait assuré Logan. — Oui, Lewis sortait avec elle, et moi je la voulais pour moi. Il se sentit soudain soulagé d’un immense fardeau. Il espérait que le Seigneur lui en serait reconnaissant. — Le jour où j’ai vu Lewis, j’ai tout de suite su que j’allais le tuer, ajouta-t-il d’un ton déterminé. Hurley ne s’attendait pas à ça. En son for intérieur, elle espérait qu’il s’agissait d’un accident, d’une intimidation qui aurait mal tourné. Mais non, c’était un assassinat. Un acte prémédité, mûrement réfléchi. Le coup de folie pouvait amoindrir la peine. Tandis que la froide élaboration d’un meurtre vous envoyait directement à la potence. — Comment cela s’est-il passé ?

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Nathaniel but à la bouteille et, après s’être essuyé la bouche avec le revers de la main, il dit d’une voix neutre : — Laissez-moi, s’il vous plaît. Vous avez ce que vous voulez, je ne parlerai plus qu’en présence de mon avocat. Même s’il passait la quasi-totalité de son temps au sein de la communauté, il en connaissait suffisamment sur la société américaine pour savoir qu’un inculpé a le droit de garder le silence. Hurley ne comprenait pas son attitude. Il aurait dû s’expliquer, tenter d’amoindrir son geste. Mais non, il était redevenu distant. — Nathaniel, crois-tu que tu dois être puni pour ce que tu as fait ? Peut-être était-il persuadé qu’il méritait le châtiment suprême et devait en finir avec la vie. Peut-être ignorait-il qu’on n’envoie pas les enfants à la potence ? — S’il vous plaît, laissez-moi seul. Je vous en prie, faites que mes parents ne viennent plus me voir. Hurley aurait aimé le ramener à de meilleures dispositions, mais le garçon était mineur. Elle craignait d’être accusée de harcèlement par son avocat si elle allait plus loin. — D’accord, je m’en vais, mais d’une façon ou d’une autre, la vérité éclatera. Tu en as bien conscience ? Nathaniel lui répondit par un sourire contraint, mais ne lâcha plus un mot. Hurley se leva, et lentement se dirigea vers la porte. — Si tu veux me parler, n’hésite surtout pas à me demander : agent Jessica Hurley. Nathaniel hocha la tête et la regarda sortir. Logan était de l’autre côté de la porte. Il attendit que Hurley l’ait refermée pour lui poser la question : — Alors, coupable ? — Oui, la jalousie.

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de meurtre étaient les plus excitantes pour les journalistes. Une sensation unique et inexplicable vous envahissait. Évidemment, elle ne pouvait parler de ça à personne sans risquer de passer pour une folle, pourtant elle ne pouvait nier sa fascination pour le morbide. Sans frapper, elle entra dans la chambre de Nathaniel et vint aussitôt s’asseoir près de lui. — Je me présente, Samantha Monroe. Je suis la directrice du département de recherche scientifique du FBI. Je viens vous annoncer que nous avons les preuves de votre culpabilité, dit-elle d’un ton sec. J’aurais besoin que vous me confirmiez certains détails. — Non, je viens de tout raconter à une de vos collègues. Je n’ai plus rien à dire, répondit-il, en ajoutant d’un air soup­­­ çonneux : Comment ça se fait que vous ne l’ayez pas croisée ? Callwin lui jeta un sourire forcé. Elle l’aurait bien giflé pour son impudence. — Montrez-moi votre insigne ou je fais appeler la police, reprit Nathaniel en attrapant le biper suspendu à la tête de son lit. Un vrai caractère de tueur. Le gamin était loin d’être aussi stupide qu’elle l’avait présagé. — Très bien, petit malin. Je suis journaliste, et si tu ne me parles pas maintenant, je peux t’assurer que je vais pondre un papier qui va te traîner dans la boue, toi et toute ta secte de tordus. Et si tu ne veux pas que j’associe tes parents, ou même votre vieille gourou à cette affaire, tu as intérêt à me dire qui est Bettany Thompson. — Vous ne feriez pas ça ! Comment pouvait-on user de telles méthodes ? N’y avait-il aucune loi pour enfermer ce genre d’infâme personnage ? Être journaliste donnait-il tous les droits, même celui de diffamer ?

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de Nathaniel essayera certainement de prouver ta culpabilité, dit-il très sérieusement. — Shérif, s’il vous plaît ! C’était plus un ordre qu’une prière. — D’accord, mais dites à votre fils de se présenter au commissariat dans l’après-midi. S’il savait que sa sœur avait un rendez-vous avec Lewis le soir du crime, il aurait dû alerter la police en apprenant sa mort au petit matin. — Mon fils est suspecté maintenant ? De mieux en mieux ! fit Mme Thompson en lui jetant un regard outré, ajoutant tout de même : Je vais l’appeler. Il passera. Maintenant, allez-vous-en. Logan n’insista pas et quitta les lieux avec Hurley.

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Chapitre 17

G

erald entra au River’s Coffee, l’un des bars-restaurants les plus huppés de la ville. La dernière fois qu’il y avait mis les pieds, c’était avec ses parents. Il avait douze ans. Ce n’était pas tout à fait son genre de repaire, mais il n’avait pas osé décliner l’invitation. Il s’avança dans la salle du restaurant et aperçut son rendez-vous. Avant qu’un serveur ne vienne au-devant de lui, il se rendit à la table de Mme Fisher. Elle lui adressa un de ses sourires dont elle avait le secret et l’invita à s’asseoir en face d’elle. — Tu as faim, j’espère ? C’était l’heure du déjeuner. En temps normal il mangeait comme un ogre après les cours de mathématiques appliquées, mais la tension était telle qu’il en avait perdu l’appétit. — Oui, répondit-il malgré tout, en saisissant la carte que lui tendait Mme Fisher. Au lieu de rejoindre ses amis à la cafétéria, il n’avait pu s’empêcher d’appeler chez les Fisher. Le répondeur s’était déclenché mais Mme Fisher donnait le numéro de son portable et celui de son mari. Il n’avait hésité qu’un instant et avait osé le tout pour le tout. Quelques secondes plus tard, Mme Fisher lui indiquait qu’elle était en ville, et lui proposait qu’ils déjeunent ensemble pour parler de son problème.

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— Je ne te juge pas, Gerald, je ne fais que constater. Et à te dire la vérité, le simple fait que tu aies des scrupules est la preuve que tu es quelqu’un de bien qui ne demande qu’à changer. Franchement, si mon Kevin en était déjà à ce niveau, j’en serais ravie. Le ton était sincère. Gerald leva les yeux, et se sentit rasséréné quand il vit le sourire maternel qui éclairait le visage de Mme Fisher. — Vous pensez vraiment qu’on est des petits cons ? fit-il, étonné du tournant qu’avait pris la conversation. — Non, vous êtes seulement une génération qui ne recherche que facilité et rapidité. Tout doit aller vite. Tout doit être simple. Les films, les jeux, les cours, et même l’amour. Alors que la réflexion et l’analyse demandent du temps et de la concentration. Ça aussi, c’était peut-être un préjugé, mais il se garda bien de le lui faire remarquer, d’autant plus qu’elle n’avait pas complètement tort. — Tout est blanc ou noir pour vous. Les gentils et les méchants. Les bonnes décisions et les mauvaises. Mais la vie est bien plus complexe. Tout n’est qu’affaire de nuance. Il avait déjà entendu ce genre de discours, mais n’avait jamais pris le temps d’y réfléchir sérieusement. Réfléchir ? Perte de temps. Ce n’est pas ça qui va faire grimper ton compte en banque ! lui aurait dit son frère. — Je suppose que vous avez raison, mais j’ai du mal à voir à quoi ça peut servir. Le but dans la vie est d’être heureux, non ? Et excusez-moi, mais Kevin et moi le sommes vraiment. — Plus on est bête, plus on est heureux. La remarque le prit par surprise. Gerald piqua du nez sur son verre. Le serveur vint faire diversion en arrivant avec les plats.

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— Écoute, je ne voulais pas te vexer, mais je crois que j’ai trouvé un exemple qui va te faire comprendre. Gerald reprit un verre de vin. Il sentait que l’alcool commençait à faire son effet. — Kevin, Luke et toi adorez les jeux vidéo, mais lesquels préférez-vous, les « casual » ou les « hardcore » ? Gerald eut un petit rire. Son fils avait dû lui donner des cours ! — Les hardcore, parce qu’ils sont plus difficiles. Quand on gagne, y a pas à dire, c’est là que c’est vraiment le pied ! fit-il en montrant qu’il avait compris la leçon. — Plus les réflexions sont complexes, plus l’impression de ne pas être qu’un animal est importante. Le plaisir trouvé dans l’épreuve et la difficulté n’a rien de comparable. — Il vaut mieux être un dépressif cynique et intelligent qu’un imbécile heureux, en quelque sorte, déclara-t-il, fier de son inspiration soudaine. Mme Fisher afficha un sourire étonné. Elle n’aurait su mieux dire. — J’ai toujours pensé que tu n’étais pas aussi stupide que Kevin le disait, le taquina-t-elle. On n’est pas obligé d’être dépressif, mais le cynisme, oui, ça peut aider à tenir le coup. Cette femme était vraiment incroyable. Une capacité à vous bousculer dans tous les sens. — Je disais ça comme ça. Vous, vous ne me semblez pas tellement cynique. — Non, mais je n’ai pas d’illusions sur le monde. Les trois quarts de la population mondiale crèvent de faim, sous la tutelle de dictateurs ou de fous de Dieu. Même dans notre pays, nous comptons plus de trente millions de pauvres. Et je ne te parle pas de toutes les injustices de notre système. Mais vois-tu, ce qui me fait tenir, c’est que j’ai la faiblesse de croire qu’on peut améliorer les choses si l’on s’en donne la peine.

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Chapitre 18

A

près l’entrevue avec Bettany Thompson, Logan avait déposé Hurley chez lui avant de repartir au commissariat. La profileuse était ressortie contrariée de la maison des Thompson. Bettany semblait réciter un cours appris par cœur plutôt qu’exprimer ce qu’elle ressentait. Pourtant, tout cadrait, son discours était d’une logique implacable. Alors pourquoi ce sentiment d’avoir été trompée ? Hurley finit de se préparer un chocolat chaud et retourna dans le salon pour se laisser envelopper par le prélude en ré bémol majeur de Chopin. Elle s’assit dans le large fauteuil et ferma les yeux, les mains autour de son bol. Elle avait participé à trop d’interrogatoires pour ne pas repérer un manque de sincérité. Cela ne voulait pas forcé­­ ment dire que Bettany mentait ; simplement, elle faisait très attention à ce qu’elle racontait. Un regard, des gestes, un phrasé qui se voulaient naturels mais qui ne l’étaient pas. Hurley ne voyait qu’une raison à cela : mensonge par omission. Bettany leur avait certainement dit la vérité. Mais pas toute la vérité. Qu’avait-elle caché, et pourquoi ? Hurley avait conscience qu’aucun juge n’autoriserait une garde à vue sur ses seules impressions de profileuse. Ils avaient un coupable qui reconnaissait les faits, le sang de la victime sur ses vêtements et un mobile. Quoi de mieux pour boucler un dossier ? La seule personne capable de lui donner des

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réponses était Callwin. Cependant, tout indiquait qu’elle jouait sa propre partition dans cette histoire et qu’elle ne partagerait pas ses informations avec la police. Hurley soupira et passa le bout de sa langue sur sa lèvre supérieure couverte de mousse chocolatée. Elle avait besoin de se détendre. Elle n’avait pas du tout apprécié la façon dont Logan l’avait accusée d’être complice de Callwin. Jamais elle n’avait donné des informations aux médias sans, au préalable, en parler à qui de droit. Comment avait-il pu douter d’elle ? La base de l’amour n’était-elle pas une confiance totale, inébranlable ? Commencer à douter était le début de la fin. Cette idée lui nouait les tripes, elle sentit comme une envie de vomir. Elle était trop émotive. Elle devait se ressaisir. Se laissant bercer par Chopin, elle maîtrisa sa respiration, et reprit le cours de ses pensées. Par un enchaînement d’idées, l’image de Ray Snider s’imposa à elle. L’homme qui avait essayé de la tuer cinq années plus tôt allait être mis à mort dans un peu plus d’un mois. Farouche opposante à la peine capitale, elle n’arrivait cependant pas à s’attrister du sort de Snider. Jamais elle n’oublierait son regard quand il l’avait poignardée. Hurley ressentit un frisson lui parcourir le corps. Inconsciem­­­ment, elle se recroquevilla sur elle-même, man­­­­ quant renverser son bol de chocolat fumant. L’homme avait demandé plusieurs fois à la voir. Il lui avait fait parvenir de nombreux courriers, surtout depuis l’automne, alors que l’échéance approchait à grands pas. Elle n’en avait jamais fait part à Logan. Elle n’avait jamais pris la peine de lire les lettres et avait demandé à ses collègues du FBI de ne plus les lui transmettre. L’administration pénitentiaire les avait certainement ouvertes ; si elles avaient contenu quoi que ce soit de capital, nul doute qu’elle en aurait été informée.

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