Les Renégats - extrait

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ythonnia, une Robe Rouge qui n’a pas encore achevé sa formation, est envoyée en mission avec Par-Salian et Ladonna. Leur but : mettre au jour un complot contre les tours de Haute Sorcellerie… Au cours de ce dangereux périple, les Arts Primaires aideront la magicienne à révéler le tréfonds de son âme. Mais ils représentent également une menace pour la jeune femme. Troublée par des sentiments contradictoires, elle devra choisir sa voie : celle de la raison ou celle du cœur…

Lucien Soulban vit à Montréal au Québec. Il a écrit de nombreux scripts de jeux vidéo, dont celui de Dawn of War et de Winter Assault. Il est également l’auteur de romans et de quelques récits dans l’univers de Dragonlance.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sébastien Baert Illustration de couverture : Daniel Dos Santos ISBN : 978-2-8112-0623-9

9 782811 206239


Dragonlance, chez Milady en grand format :

Chez Milady, en poche :

Chroniques de Dragonlance : 1. Dragons d’un crépuscule d’automne 2. Dragons d’une nuit d’ hiver 3. Dragons d’une aube de printemps

Chroniques de Dragonlance : 1. Dragons d’un crépuscule d’automne 2. Dragons d’une nuit d’ hiver 3. Dragons d’une aube de printemps

Chroniques perdues : 1. Dragons des profondeurs 2. Dragons des cieux 3. Le Mage aux sabliers

Chroniques perdues : 1 Dragons des profondeurs 2. Dragons des cieux 2. Le Mage aux sabliers

Légendes de Dragonlance : 1. Le Temps des jumeaux 2. La Guerre des jumeaux 3. L’Épreuve des jumeaux

Légendes de Dragonlance : 1. Le Temps des jumeaux 2. La Guerre des jumeaux 3. L’Épreuve des jumeaux

La Guerre des Âmes : 1. Dragons d’un coucher de soleil 2. Dragons d’une étoile perdue 3. Dragons d’une lune disparue

La Guerre des Âmes : 1. Dragons d’un coucher de soleil 2. Dragons d’une étoile perdue 3. Dragons d’une lune disparue

Nouvelles Chroniques : 1. Deuxième Génération 2. Dragons d’une flamme d’ été

Nouvelles Chroniques : 1. Deuxième Génération

L’Enclume du Temps : 1. Le Mercenaire 2. Les Survivants 3. Les Renégats

Le Sombre Disciple : 1. Ambre et cendres Chez Milady Graphics :

Le Sombre Disciple : 1. Ambre et cendres 2. Ambre et acier 3. Ambre et sang Chroniques de Raistlin : 1. Une âme bien trempée 2. Frères d’armes

Chroniques de Dragonlance : 1. Dragons d’un crépuscule d’automne 2. Dragons d’une nuit d’ hiver 3. Dragons d’une aube de printemps – première partie 4. Dragons d’une aube de printemps – seconde partie

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L’Enclume du Temps tome iii

Les renÉgats Lucien Soulban Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sébastien Baert

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Milady est un label des éditions Bragelonne

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Originally published in the USA by Wizards of the Coast LLC Originellement publié aux États-Unis par Wizards of the Coast LLC DRAGONLANCE, WIZARDS OF THE COAST, and their respective logos are trademarks of Wizards of the Coast LLC in the USA and other countries. © 2011, Wizards of the Coast LLC. All rights reserved. Licensed by Hasbro. Titre original : Renegade Wizards © 2009, Wizards of the Coast LLC © Bragelonne 2011, pour la présente traduction Illustration de couverture : Daniel Dos Santos © 2009, Wizards of the Coast LLC ISBN : 978-2-8112-0623-9 Bragelonne – Milady 60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris E-mail : info@milady.fr Site Internet : www.milady.fr


À ma mère, Pieretta Ramponi Soulban, qui me manque chaque jour : merci d’avoir cru que toutes les chaussures abandonnées dans la rue étaient celles de victimes d’enlèvements ; d’avoir cru cette fois-là que le cordon téléphonique détendu était en fait un garrot ; d’avoir cru qu’un essaim d’abeilles s’abattait sur la ville, alors qu’il s’agissait d’un simple reportage animalier à la télévision. Bref, merci pour ton imagination si fertile. À mon père, Shukri Moussa Soulban, que j’aime énormément : merci d’avoir mis un squelette dans ton lit pour effrayer la bonne quand tu étais en fac de médecine ; merci d’avoir étudié la possibilité de relier le système d’alarme à des bonbonnes de gaz afin de mettre hors d’état de nuire d’éventuels intrus ; merci d’avoir acheté à maman un stylo plaqué or capable de tirer des balles au cas où elle aurait eu besoin de « se défendre ». Bref, merci pour ton sens de l’humour. À ma sœur, Graziella, que j’aime également plus que tout : merci d’avoir trouvé le moyen de te brûler les genoux en cuisinant ; merci d’avoir laissé des éclaboussures de sang dans toute la cuisine et d’avoir omis de prévenir quelqu’un que tu étais aux urgences (ce qui a donné l’impression à maman et à tous les autres de découvrir une véritable scène de crime) ; merci d’avoir eu ces hallucinations à cause de la caféine pendant que tu suivais tes cours de doctorat, elles ont rendu la vie si passionnante ! Bref, merci d’avoir hérité du grain de folie de papa et maman. À ma nièce Christiana et à mon neveu Christopher… Je vous adore, tous les deux. Et bonne chance : vous allez avoir du mal à faire mieux !



1 L’oiseau tombé du nid

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e mage Pécas était préoccupé. Les sourcils froncés, il parcourait d’un pas fébrile les allées de la bibliothèque, appuyé sur son épaisse canne en bois de chêne. Il fit danser avec légèreté ses doigts osseux sur les nombreux ouvrages, et il approcha dangereusement le visage et sa chandelle vacillante d’une pile de délicates feuilles de parchemin. Il régnait dans la pièce une forte odeur de vélin et de vieille pierre, dans laquelle s’étaient imprégnées les senteurs tourmentées des décennies passées. Il s’agissait assurément d’une magnifique bibliothèque, d’une collection privée impressionnante pour un magicien, mais elle était condamnée à s’abîmer dans les caves du petit manoir. C’était du moins ce que l’on aurait pu croire, mais les autres Robes Blanches convoitaient les ouvrages les plus rares de la bibliothèque, attendant poliment… que Pécas leur lègue sa collection avant de s’éteindre dignement. Mais le vieux mage semblait chaque mois plus désireux encore de se cramponner à la vie. Les plus jeunes magiciens pré­ tendaient en plaisantant que si une goutte d’eau venait à tomber sur sa peau ridée, eh bien, il se mettrait à gonfler et doublerait de volume, comme un raisin sec récupérant soudain sa splendeur passée. Et puis, naturellement, il y avait ceux qui affirmaient qu’il avait toujours été un raisin sec, issu d’une terre aride et glacée. Pécas, quant à lui, ne se souciait guère de ces remarques. Il ne les entendait pas. 7


— Maître Pécas, dit le messager en tendant le cou, de l’endroit où il se tenait, au pied de l’escalier de pierre. Je peux peut-être vous aider à trouver… — Hein ? Non, lui répondit sèchement le mage. Ne bouge pas de là. Je ne permettrai jamais à un vaurien, quel que soit son maître, de toucher à mes livres. Il n’y a que Virgil et moi… Où est encore passé ce fichu gamin ? Le messager, un maigrelet aux yeux bleu foncé, poussa un soupir. Aucun garçon ne se trouvait dans les parages. Il avait lui-même dû marteler la porte pendant près d’une heure avant que Pécas se décide finalement à venir lui ouvrir. Le vieux magicien était agacé d’avoir été dérangé si tard dans la soirée, d’autant plus qu’il était incapable de mettre la main sur ce gosse. Le messager avait passé une heure de plus à tenter de lui expliquer l’objet de sa visite. — Je vous en prie, maître Pécas, implora-t-il en provoquant le destin et en décidant de descendre la dernière marche et de pénétrer dans la bibliothèque proprement dite. Son Éminente Seigneurie le duc de l’Ormeraie attend vos lumières sur ce sujet. Avec impatience, oserais-je ajouter. Si vous me permettiez de vous aider… — Non… c’est impossible, soupira Pécas. Il ne tint aucun compte de la remarque du messager. D’un doigt aussi fin qu’une brindille, il sonda l’espace vacant entre deux livres, sur l’étagère de chêne, à l’emplacement d’un ouvrage manifestement manquant. — Il était là. Je l’ai vu il y a moins de trois jours ! Il porta son attention sur une autre étagère, où il enfonça la main dans un emplacement vide, puis un autre, comme s’il passait la langue entre ses dents cassées pour n’y trouver que des nerfs à vif, malgré tous ses efforts. Chacune de ses décou­­­vertes le rendait plus furieux et semait le trouble dans son esprit. Il manquait des livres, des livres qui n’avaient rien à faire ailleurs, des livres rédigés à l’aide du sang même de la magie. Entre les mains d’un praticien expérimenté, les connaissances contenues dans ces ouvrages pouvaient se révéler meurtrières. 8


Entre les mains d’un novice, il fallait s’attendre au pire. Si l’on prononçait certaines formules, si l’on arrachait ne serait-ce qu’une page de l’un des tomes, la magie renfermée dans ces grimoires se dissiperait, ou se déchaîneraient de grands arcs de flammes et de foudre capables de réduire en cendres quiconque se trouvant à proximité. Pis encore, la réputation de Pécas serait anéantie. Toutes ces années passées à se forger un nom balayées en un instant. Le messager avança d’un pas dans la bibliothèque, mais Pécas demeura silencieux. Il avait encore le regard rivé sur l’empla­ cement vide. — C’est peut-être votre étudiant qui les a empruntés ? Pécas se retourna brusquement, oubliant momenta­ nément les restrictions physiques dues à son âge, et il se redressa de quelques centimètres avant de passer devant le messager médusé en le bousculant. — Allez ! Sors d’ici ! rugit-il. Il gravit l’escalier en beuglant : — Virgil ! Maudit gamin ! Où sont mes livres ? Mais personne ne lui répondit. Au-dessus du feuillage frémissant des ormes et des chênes géants, l’orage grondait, et la tempête faisait rage. De l’eau s’égouttait des feuilles en corolle et du bout des branches en un millier de minuscules cascades qui martelaient avec régularité le sol verdoyant. L’écran de feuilles masquant le ciel chargé de nuages rendait la nuit orageuse qui s’était abattue sur la forêt de Lemish encore plus sombre. Il n’y avait aucune habitation si près de la lisière de la Sombrefutaie du Sud, dont les arbres étaient impressionnants tant ils étaient gros et vieux, les racines sorties de terre. Malgré le vacarme provoqué par l’orage, le garçon aurait juré avoir entendu le doux accent de voix étrangères, un chant s’enroulant autour des immenses troncs d’arbres tels de longs doigts, à la recherche d’une oreille attentive. Il lui resterait encore quelques heures de marche une fois qu’il aurait quitté l’étrange et sinistre 9


Sombrefutaie. Comment était-il censé pouvoir gagner la petite ville portuaire de Caermish à temps ? Le garçon se mit à frissonner sous l’écorce de l’orme brun. Ses branches tombantes s’enroulaient sur elles-mêmes jusqu’à toucher terre, et son feuillage lui fournissait un abri bienvenu. Il était au sec et n’avait pas particulièrement froid, mais c’était l’obscurité qui lui faisait perdre son sang-froid. Il se cramponna encore plus fort à son sac de voyage. Il était plus lourd que prévu et, une fois l’ivresse du succès passée, il commençait à douter du bien-fondé de son entreprise sous le poids de son fardeau. Le garçon était à peine assez âgé pour que le duvet sur son visage fasse place à une véritable barbe, et sa robe déchirée était maculée de boue. Il aurait payé cher pour faire demi-tour et retrouver le bien-être de son ancienne vie, le peu de confort dont il disposait à l’époque lui semblant bien plus acceptable que sa situation actuelle. Il était trop tard pour changer d’avis. Beaucoup trop tard. Il était allé trop loin pour se laisser terrasser par ses propres hésitations. Il avait prêté serment, et volé pour une cause juste. Il ne réussirait à fuir que s’il parvenait à gagner le navire amarré à Caermish, mais on ne l’attendrait pas. Le garçon commençait finalement à s’endormir quand un bruit sec retentit dans l’obscurité : un morceau de bois que l’on aurait brisé en deux. La peur s’empara du garçon. Son cœur se serra, et il se réveilla en sursaut. Il bondit sur ses pieds, l’oreille tendue, sa conscience lui intimant l’ordre de prendre ses jambes à son cou. Il s’efforça toutefois de demeurer immobile, et il dégaina sa dague. Il tendit la main et écarta délicatement une branche pour mieux voir mais, au cœur de la forêt balayée par la tempête nocturne, cela lui fut aussi utile que s’il avait fermé les yeux. Il n’y avait que l’obscurité et son imagination, mais c’était suffisant pour lui faire voir des ombres mouvantes et entendre des bruits de pas. Le garçon envisageait toutes sortes de possibilités, se sou­ venant soudain des monstres qui avaient hanté sa jeunesse et des histoires le mettant en scène dans les bois. Il se prit à imaginer que 10


des morts-vivants rôdaient dans la forêt, scrutant les sous-bois avec leurs yeux charbonneux, à la recherche de chair et de sang frais. Il les voyait déjà enrouler leurs doigts flétris autour des branches, les écartant brusquement pour découvrir leur prochain repas : lui. Pourvu que ce soient des hobgobelins, pria-t-il. Ou, mieux encore, pourvu qu’il s’agisse d’elfes kagonesti, la Sombrefutaie en est peuplée. Même si le garçon avait entendu dire qu’ils étaient loin d’être maladroits et qu’il était impossible de les entendre se déplacer entre les arbres. Peut-être s’agissait-il d’un simple animal mais, presque aussitôt, le garçon entendit une voix, un chuchotement. Quelqu’un tentait de s’approcher de lui à pas feutrés. Ses poils s’étaient hérissés sur sa nuque, lui en donnant la certitude. C’était également ce que lui signalait son soudain mal de ventre. Ils étaient plusieurs… et ils savaient où il se terrait. Le garçon céda à la panique et franchit brusquement le rideau de feuilles et de branches. Il cria une formule magique et sentit la formidable puissance des arcanes lui parcourir la colonne vertébrale, ses cheveux noirs se dressant sur sa tête. Il ressentit une vive émotion en prononçant les mots qui allaient déverrouiller d’étranges portes et ouvrir des passages dissimulés dans son esprit. Il se mit à courir, tenant son gros sac d’une main, brandissant sa dague de l’autre. La magie s’engouffra dans le pommeau de l’arme, et une sphère lumineuse jaillit de la pointe de sa lame. Les ombres se dissipèrent lorsque la lumière crue s’intensifia et illumina ses environs immédiats. Surpris, les deux hommes poussèrent alors un cri et lâchèrent le filet qu’ils tenaient entre eux. Ils portèrent les mains à leurs yeux et se perdirent en jurons. Le garçon n’attendit pas son reste et s’enfuit aussi vite qu’il le put, la lumière blanche émise par sa dague éclairant ses pas. Des arbres surgissaient de l’obscurité, et le garçon s’efforçait de les éviter. Il fut bientôt perdu, mais cela n’avait aucune importance pour le moment. Pour échapper à ses poursuivants, il serait même retourné au bourg de L’Ormeraie. 11


Ce sont peut-être des bandits, supposa-t-il, essayant de se réconforter. Ou peut-être qu’ils sont exactement ce que tu crois qu’ils sont, lui fit remarquer son subconscient. Il poursuivit sa course et se mit à geindre quand il entendit que les bruits de pas se faisaient de plus en plus pressants. Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et vit une silhouette, qui franchissait les racines et esquivait les troncs d’arbres avec la grâce d’un félin. Le garçon redoubla d’efforts, manquant maintes fois de trébucher. Derrière lui, une voix retentit. On aurait dit celle d’une femme. Quand le garçon finit par comprendre qu’il s’agissait d’un mot de pouvoir, de l’énergie surnaturelle grésillait déjà dans l’atmosphère, et un éclair le frappa dans le dos, le projetant en avant la tête la première. Le coup lui arracha le sac des bras, et sa dague cessa de luire en s’enfonçant dans la terre. Le garçon hurla de douleur. Les effets s’estompèrent lentement, et il se retrouva étendu dans l’obscurité, éreinté. Les bruits de pas approchaient, mais il était incapable d’effectuer le moindre mouvement. Dans l’obscurité, trois formes se penchèrent au-dessus de lui. Il entendit quelqu’un cracher et sentit aussitôt quelque chose d’humide sur la joue. — Ça, c’est pour m’avoir fait courir, mon garçon, dit une voix rauque. C’était encore celle de la femme, mais elle lui avait cette fois semblé si grasse qu’il avait l’impression qu’elle était chargée de fumée. On dégaina une épée. La lame était fine, comme celle d’une rapière que l’on aurait aplatie. Il émana soudain une étrange lueur bleu pâle des délicates runes azur gravées sur toute sa longueur. C’était une femme qui maniait cette arme. Elle était revêtue d’une cape noire et d’un pantalon de cuir brun qu’elle avait enfoncé dans ses bottes noires à bord évasé. Sur son pourpoint matelassé brun, elle portait un gros ouvrage relié de bronze, comme un bouclier lui protégeant la poitrine, maintenu en place par quatre 12


chaînes qui s’enfonçaient sous sa cape. Sur la couverture du livre, il était possible de distinguer un motif complexe composé de feuilles de lierre et d’épines argentées. La gravure en était si fine que l’on aurait pu croire qu’il s’agissait de l’œuvre d’un elfe. La femme avait des yeux en amande et des traits creusés peu enga­ geants. De son capuchon s’échappait une abondante chevelure de jais. Les deux hommes qui l’accompagnaient étaient habillés de façon similaire, mais d’étranges lettres argentées ornaient les vêtements de la femme. Celle-ci appuya le tranchant de sa lame contre le visage du garçon et, d’un simple mouvement du poignet, elle lui entailla la joue. Il poussa un cri et porta aussitôt la main à sa blessure. Du sang se mit à lui couler sur les doigts et à s’égoutter sur sa robe crasseuse. — Et ça, c’est pour avoir trahi ton maître, voleur, dit la femme. (Elle avait un léger accent, presque musical.) Sur décision des mages de la Robe Blanche, je te ramène pour que tu puisses assister à ton procès, Virgil Morosay. Tu es accusé d’être un renégat. Le cœur du garçon se serra. Ce n’étaient ni des hobgobelins ni des morts-vivants, mais bien pire. Ses poursuivants étaient ce qu’il redoutait le plus : des chasseurs de renégats. La femme adressa un signe de tête à l’homme qui se tenait à son côté, un ours avec des bras énormes et une barbe qui occupait toute la place disponible dans son capuchon. Il récupéra le sac par terre et l’ouvrit. Il ne contenait que quatre petits rondins de bois. La femme reporta son attention sur le garçon. Elle pressa la pointe de sa lame sous son menton, le forçant à pencher la tête en arrière. — Les livres que tu as volés à maître Pécas, dit-elle. Où sont-ils ? Mais, si la femme espérait que Virgil la supplie de lui laisser la vie sauve ou qu’il se mette à fondre en larmes, elle faisait fausse route. Il croisa son regard et le soutint. — Ils sont déjà en lieu sûr, répondit-il en esquissant un sourire. Loin de vous et de ceux de votre espèce ! 13


La femme se mit à grommeler, mais ce fut le blond maigre et dégingandé qui lui assena un puissant coup de pied dans la mâchoire. Le plus gros des trois chasseurs ficela les bras et les jambes du garçon inconscient, tandis que le blond s’éloignait pour aller récupérer les chevaux. Furieuse, la femme s’installa sur un tronc d’arbre recouvert de mousse. Elle s’amusait avec une dague, creusant des trous dans le tronc. — Il s’en est déjà débarrassé, soupira-t-elle. — J’ai entendu, dit le plus gros. (Il jeta le garçon ligoté à terre.) Les ordres ne vont guère apprécier. — Tu as raison, approuva-t-elle. Mais ça nous fera du travail. Sceptique, le chasseur à la barbe émit un grognement avant de tourner la tête et de scruter l’obscurité, entre les arbres. Il empoigna vivement son arbalète. La femme avait elle aussi entendu le bruit, celui du tissu effleurant des branches. Elle dégaina son épée et s’approcha, illuminant les environs immédiats. — Qui va là ? aboya l’homme. Répondez si vous voulez rester en vie. — Ne me tuez pas, s’écria une voix. Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous déranger. (Un forestier aux yeux bleu foncé surgit de l’obscurité, les mains levées.) Je vis dans ces bois, dit-il. J’ai cru que vous pourriez avoir besoin d’aide. — On n’a besoin de rien, rétorqua la femme. Disparaissez de ma vue ! Le forestier hocha la tête et regagna les ténèbres. Il était temps pour lui de partir, de toute façon. Ce chapitre touchait à sa fin, et il voulait le consigner par écrit avant que sa mémoire lui fasse défaut. En outre, les principaux personnages de cette petite histoire n’allaient pas tarder à entrer en scène, et le forestier allait avoir besoin d’un peu de temps pour se mettre en place pour la suite.


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