« Kelley Armstrong est dans la cour des grandes du genre, comme Laurell K. Hamilton. » Kansas City Star ★★★★★
On ne peut décidément pas faire confiance à un semi-démon : Elena n’aurait jamais dû accepter de lui rendre un service. La mission : reprendre à un collectionneur de Toronto la fameuse lettre de Jack l’Éventreur intitulée « From Hell ». Mais par accident, Elena libère un sortilège qui ouvre un portail relié au Londres victorien. D’accord, Toronto a besoin d’attirer les touristes, mais « la porte de l’enfer » n’est pas vraiment le surnom que la municipalité avait en tête ! Sans compter les vampires voleurs, les rats tueurs, les zombies que rien n’arrête… Le pire, c’est ce qui sort de ce portail, et dont l’objectif est comme par hasard… Elena elle-même.
Kelley Armstrong, née en 1968, est canadienne. Elle a déjà publié plus d’une dizaine de romans – la plupart situés dans l’univers que les lecteurs ont découvert avec Morsure, qui remportent un succès étourdissant aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Son œuvre se place dans la lignée de Laurell K. Hamilton, au premier plan du genre bit-lit.
20 e Traduit de l’anglais (Canada) par Isabelle Pernot Photographie de couverture : © Dmitry Fisher / Shutterstock Illustration de couverture : Anne-Claire Payet ISBN : 978-2-35294-549-9
9 782352 945499
Du même auteur : Femmes de l’Autremonde : 1. Morsure 2. Capture 3. Magie de pacotille 4. Magie d’entreprise 5. Hantise 6. Rupture 7. Sacrifice Chez Castelmore : Pouvoirs Obscurs : 1. L’Invocation 2. L’Éveil 3. La Révélation
Ce livre est également disponible au format numérique
www.bragelonne.fr
Kelley Armstrong
Rupture Femmes de l’Autremonde – tome 6 Traduit de l’anglais (Canada) par Isabelle Pernot
Bragelonne
Collection dirigée par Stéphane Marsan et Alain Névant
Cet ouvrage a été originellement publié en France chez Milady.
Titre original : Broken Copyright © 2006 by K.L.A. Fricke, Inc. © Bragelonne 2011, pour la présente traduction ISBN : 978-2-35294-549-9 Bragelonne 60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris E-mail : info@bragelonne.fr Site Internet : www.bragelonne.fr
À Jeff
Remerciements Un immense merci à mon agent, Helen Heller, et à mes éditrices, Anne Groell chez Bantam US, Anne Collins chez Random House Canada et Antonia Hodgson chez Time Warner UK. Pendant toute la rédaction de ce livre, je n’ai cessé de douter et de geindre, mais elles ont supporté tout cela avec une patience infinie. Un écrivain ne saurait rêver d’un meilleur soutien… et je ne leur en veux pas si, par moments, c’est moi qu’elles ont eu envie de jeter dans un portail dimensionnel. Merci également à mes lectrices, Laura, Raina et Xaviere, pour avoir repéré mes bévues, m’épargnant ainsi la gêne de répondre aux questions « Comment se fait-il que… ? » de lecteurs perplexes. Enfin, je tiens cette fois-ci à saluer Xaviere Daumarie, l’artiste qui réalise toutes les couvertures de mes nouvelles et novellas sur le web. En 2005, j’ai écrit une nouvelle par mois, et Xaviere a réussi à produire un dessin original pour illustrer chacune d’entre elles… Même lorsque, certains mois, je lui disais : « Je n’ai pas encore écrit la nouvelle, mais je pense que ça va parler de… »
Mutations
P
auvre Clayton. La discrétion n’est pas son fort, même quand il se donne du mal. Or, cet après-midi-là, il faisait vraiment de son mieux. Il se trouvait sous le vent, à au moins soixante mètres de moi, pour que je ne puisse ni le sentir, ni le voir, ni l’entendre. Mais je savais qu’il était là. Debout sous les chênes, je ne pus m’empêcher de lui en vouloir. Sa présence ajoutait une pression supplémentaire à une situation déjà extrê mement stressante. D’accord, c’était moi qui avais proposé d’aller courir. Après le déjeuner, je m’étais levée d’un bond en disant que j’étais prête. Clay m’avait demandé si je voulais qu’il reste à l’intérieur – c’était sûrement la première fois en quinze ans qu’il était prêt à me laisser un peu d’espace. Mais je l’avais pris par la main et entraîné dehors avec moi. Et, maintenant, je lui en voulais d’être là. C’était injuste. Mais ça valait mieux que d’admettre que je n’éprouvais pas du ressentiment, mais de la peur – la peur d’échouer et, au passage, de le décevoir. J’inspirai profondément et m’emplis les poumons de la riche odeur de terre de la forêt au sortir de l’hiver. Les premiers bourgeons commençaient tout juste à apparaître, comme s’ils hésitaient, encore incertains. Le mot me semblait particulièrement juste, car c’était exactement ce que je ressentais : de l’incertitude. De l’incertitude ? Parle plutôt d’une terreur abjecte, à te soulever l’estomac et à te faire pisser dans ton froc… Je pris une nouvelle grande inspiration. Le parfum de la forêt m’enivra, m’appela, tout comme la présence de Clay non loin de là m’invitait à le rejoindre… Ne pense pas à lui. Détends-toi. J’écoutai un lapin sauter à proximité. Il se trouvait dans le vent et ne se rendait pas compte que j’étais là. En bougeant, j’aperçus mon ombre et constatai que j’étais encore debout. Premier problème. Je m’étais déshabillée, mais comment espérais-je muter alors que j’étais encore sur mes deux jambes ? 9
Comme je faisais mine de m’accroupir, une crampe traversa le côté gauche de mon abdomen. Je m’immobilisai aussitôt, le cœur battant. Il s’agissait sûrement d’un spasme musculaire ou d’un petit problème de digestion. Et pourtant… Je passai mes doigts sur le dur renflement de mon ventre. Celui-ci s’était bel et bien arrondi, même si Jeremy jurait ses grands dieux que non. Je le sentais bien sous ma main, et aussi à mes jeans, qui commençaient à serrer à la taille. Clay tentait d’éviter le sujet – choix judicieux. Mais, quand j’insistais, il admettait que ma grossesse commençait à se voir. Déjà, alors que je n’étais enceinte que de cinq semaines. Ça n’aurait pas dû être le cas. Encore une chose à ajouter à ma liste d’inquiétudes, qui ne cessait de s’allonger. Au sommet de cette liste se trouvait la Mutation. Mon corps avait régulièrement besoin de passer de l’humain au loup. Il fallait que je mute, mais en quoi cela affecterait-il mon bébé ? La peur de perdre mon enfant était pour moi une révélation. Cela faisait près de trois ans que je réfléchissais au fait d’avoir un bébé. Au cours de cette période, j’avais envisagé la possibilité que ce choix ne dépendrait pas de moi, que le fait d’être un loup-garou m’empêcherait peut-être de concevoir ou de porter un enfant à terme. Je l’avais accepté. Si ma grossesse se soldait par une fausse couche, je saurais que je ne pourrais pas avoir d’enfant. Point final. Mais, maintenant que j’étais bel et bien enceinte, je n’arrivais pas à croire que j’aie pu être aussi désinvolte. Cet enfant, c’était plus qu’un ensemble de cellules qui grandissait en moi ; c’était la concrétisation d’un rêve que j’avais cru envolé lorsque j’étais devenue loup-garou, un rêve auquel j’étais certaine d’avoir renoncé quand j’avais décidé de rester avec Clay. Mais il fallait que je mute. J’avais déjà attendu trop longtemps et j’en ressentais le manque dans chaque spasme musculaire qui agitait mon corps. Je l’entendais aussi à mes grondements et à mes répliques cassantes chaque fois que l’on m’adressait la parole. Par deux fois, j’étais venue dans les bois avec Clay et, par deux fois, j’avais été incapable de muter – ou je m’y étais refusée. Au troisième échec, Clay et Jeremy joueraient à pile ou face pour savoir qui m’enfermerait dans la cage. Il s’agissait d’une simple mesure de sécurité, parce que l’absence de Mutation nous rend violents et imprévisibles. Mais, compte tenu de mon comportement hargneux au cours de la semaine précédente, je ne leur en voudrais pas s’ils se disputaient ce privilège. Allez, mute, bon sang ! Mets-toi à genoux… Là, tu vois ? Tu te sens bien, pas vrai ? Maintenant, pose tes mains sur le sol… Voilà. Maintenant, concentre… Mon corps se révolta en convulsant si fort que je me pliai en deux en haletant. Me transformer en louve ? Avec un bébé à l’intérieur de moi ? Ça va pas la tête ? J’allais déchirer, arracher, suffoquer mon… Non ! 10
Je me remis à quatre pattes et me vidai l’esprit, puis ne rouvris la porte qu’aux pensées marquées du sceau de la logique. Était-ce ma première Mutation depuis le début de ma grossesse ? Non. C’était la première depuis que j’avais découvert que j’étais enceinte, deux semaines plus tôt. J’avais bien dû muter une bonne demi-douzaine de fois entre la conception de cet enfant et mon test de grossesse. S’était-il passé quoi que ce soit au cours de ces Mutations ? Avais-je eu des saignements ? Des crampes ? Non. Alors, arrête de t’inquiéter. Respire un bon coup, hume la forêt, enfonce tes doigts dans la terre humide, écoute siffler le vent d’avril et sens la douleur dans tes muscles. Cours vers Clay, qui sera si heureux, si soulagé… J’éprouvai des picotements, puis des démangeaisons lorsque ma peau s’étira et que de la fourrure jaillit… Mon cerveau enfonça de nouveau la pédale de frein, et mon corps se tendit. De la sueur dégoulina sur mes joues. Je grondai et enfonçai mes doigts et mes orteils dans la terre meuble en refusant d’inverser le processus. Détends-toi, détends-toi, détends-toi. Arrête de t’ inquiéter et laisse ton corps faire tout le boulot. C’est comme une constipation passagère. Détends-toi, et la nature reprendra le dessus. Une constipation passagère ? En voilà une analogie romantique ! Je ris, mais mes cordes vocales en pleine Mutation transformèrent ce son en un crissement hideux, davantage digne d’une hyène que d’une louve, ce qui ne fit que redoubler mon hilarité. Je basculai sur le flanc et, tandis que je restais étendue là, en train de rire, je parvins enfin à me détendre. La Mutation prit le dessus, spontanément. Les secousses dues au rire se transformèrent en spasmes de douleur, et je me débattis et me tordis sur le sol. Muter faisait toujours souffrir. Pourtant, une partie toujours paniquée de mon cerveau réussit à me convaincre qu’il ne s’agissait pas de la douleur normale, que j’étais en train de tuer mon enfant en l’étouffant à mesure que mon corps se déformait. Je dois… arrêter… Oh ! mon Dieu, j’en suis incapable ! J’essayai d’arrêter. Je luttai, je grondai et me concentrai sur le fait de redevenir humaine. Mais c’était trop tard. J’avais attendu trop longtemps et, maintenant, mon corps était bien décidé à aller jusqu’au bout. Enfin, la douleur disparut, envolée, en ne laissant derrière elle guère plus qu’une impression de courbature. Je restai allongée sur le flanc, haletante, puis me relevai d’un bond. Pas si vite, bon sang ! Fais attention. Je restai là, immobile, à l’exception de ma queue qui ne pouvait s’empêcher de fouetter l’air, comme pour dire : « Ça y est, on a muté. Qu’est-ce que tu attends ? Allons courir ! » Le reste de mon corps approuvait ce message, même s’il laissait ma queue rendre évident ce que lui m’indiquait 11
tout bas, par des signes d’agitation plus subtils : battements de cœur désordonnés, oreilles pivotantes et muscles tendus. Malgré tout, je refusai de bouger tant que je ne m’étais pas assurée que tout allait bien. D’abord, mon ventre. Aucun signal de détresse de ce côté-là. Je haletai et laissai ma poitrine se soulever et retomber en vérifiant si ces mouvements provoquaient la moindre douleur. Ce n’était pas le cas. En revanche, mon estomac laissa échapper un grondement lorsque l’odeur de ce lapin tout proche parvint à mes narines. À l’entendre, on n’aurait pas cru que je venais juste de dévorer un déjeuner avec entrée-plat-dessert. L’ingrat. Mais l’autre partie de mon ventre, nouvellement remplie de vie, paraissait en parfait état. Je soulevai mes pattes, une par une, en étirant et en faisant jouer mes articulations. Bien. Mon nez et mes oreilles avaient réussi à détecter ce lapin sans problème. Et ma queue, qui continuait à fouetter l’air, fonctionnait très bien, de toute évidence. D’accord, ça suffisait. J’avançai. Une patte, puis deux, puis trois, puis quatre… Aucune protestation ne jaillit brusquement en provenance de mon ventre. Je m’élançai par petits bonds, puis me mis à courir et enfin me précipitai à toute vitesse dans la clairière. Toujours aucun signal de détresse. Maintenant, les mouvements les plus difficiles – les manœuvres de loup. Je me tapis, remuai mon arrière-train puis bondis sur une souris imaginaire. Dès que je touchai le sol, je virevoltai et fis claquer mes mâchoires devant un ennemi invisible. Je traversai la clairière en bondissant. Je sautai et me retournai dans les airs. Je caracolai. Je me jetai brusquement en avant. Je chargeai. Je courus après ma queue. Un bruit sifflant retentit tout à coup derrière moi. Je me figeai, l’extrémité de ma queue entre les dents. Là, de l’autre côté de la clairière, se trouvait un énorme loup blond, la tête entre les pattes de devant, les yeux fermés, et l’arrière-train en l’air, le corps secoué par cet étrange sifflement. Ses paupières s’ouvrirent, dévoilant des yeux bleus brillants où dansait une lueur de soulagement, mêlé à de l’amusement. Alors, je compris quel était ce bruit. Clay riait. Ah ! il se moquait de moi, vraiment ? Je venais juste de surmonter un horrible traumatisme, et ce mec avait le culot d’en rire ? Je savais que c’était en partie dû au soulagement de me voir en louve et je reconnaissais que j’avais sûrement l’air un peu idiote à courir comme ça, toute seule dans cette clairière. Malgré tout, un tel affront ne pouvait être toléré. Avec autant de grâce que possible, compte tenu de la fourrure qui sortait de ma gueule, je fis demi-tour et partis dans l’autre direction. Puis, au beau milieu de la clairière, je fis volte-face et attaquai en montrant les dents. Clay écarquilla les yeux, un peu comme il aurait dit « Eh, merde ! » sous sa forme humaine. Puis il recula juste à temps pour m’éviter, avant de détaler dans la forêt. 12
Je m’élançai à sa poursuite. Je suivis le chemin en bondissant, le museau au ras du sol. L’odeur de ma proie saturait la terre – une manœuvre délibérée de sa part. Clay s’était faufilé dans les fourrés et tournait en rond, imprégnant cette partie de la forêt de son odeur dans l’espoir de me faire perdre sa piste. Je démêlai cet enchevêtrement de traces olfactives et me jetai sur la plus récente. Le sol se mit à défiler sous moi tandis que je prenais de la vitesse. Devant, le chemin s’ouvrit sur une clairière. Je courus tout droit vers cette ouverture puis, avant d’atteindre le bord de la clairière, j’enfonçai mes griffes dans le sol et glissai jusqu’à m’arrêter de façon peu gracieuse. Je restai immobile alors qu’un flot d’adrénaline me poussait à le retrou ver pour le mettre à terre. Je fermai les yeux et frémis. Trop d’impatience. En continuant comme ça, j’allai me jeter tout droit dans un piège. Au bout d’un moment, l’adrénaline reflua, et je me remis à avancer, avec prudence cette fois, les oreilles dressées et le museau levé. Je reniflai l’air en marchant. Ce furent mes yeux qui me sauvèrent, et le soleil aussi, qui pointait le bout de son nez entre des nuages se déplaçant rapidement. Il suffit d’une percée dans la couverture nuageuse pour que j’aperçoive un éclat doré entre les arbres. Clay se trouvait sous le vent, tapi à gauche de l’extrémité du chemin, et attendait que je déboule à toute allure. Je revins en arrière de quelques pas, à reculons, ce qui est une manœuvre des plus difficiles. Certaines choses que l’on fait facilement sur deux jambes sont bien plus complexes à coordonner sur quatre pattes. Lorsque je fus le plus loin possible, je me tordis le cou pour regarder par-dessus mon épaule. Les arbres se refermaient sur moi de part et d’autre. Il n’y avait pas assez de place pour que je puisse faire demi-tour en silence. Je fis un pas prudent hors du chemin. La pluie printanière avait rendu le sous-bois doux et humide. Je le tâtai du bout de la patte, mais il n’émit aucun son. Je m’accroupis alors pour rester sous le niveau des branches, puis décrivis un cercle pour me glisser furtivement derrière Clay. Lorsque je me fus suffisamment rapprochée, je jetai un coup d’œil entre les arbres. Tapi à côté du chemin, il restait aussi immobile qu’une statue. Seul le tremblement de sa queue trahissait son impatience. Je cherchai la trajectoire la plus dégagée, me ramassai sur moi-même, puis bondis. J’atterris directement sur son dos et enfonçai mes crocs dans la collerette de fourrure autour de son cou. Il jappa et fit mine de ruer, puis s’arrêta. Je pouffai de rire, ce qui revenait, sous ma forme de louve, à gronder doucement. Il n’osait pas me projeter dans les airs à cause de mon « état ». Il ne me restait plus qu’à m’accrocher à… Il se laissa tomber en repliant les pattes. Son corps adoucit ma chute, mais la soudaineté du geste me surprit suffisamment pour que je lâche sa collerette. Il se dégagea de sous mon corps, puis se retourna et me cloua au sol en refermant ses crocs sur mon museau. Je lui donnai un coup de patte 13
dans le bas-ventre. Il grogna lorsque mes griffes entaillèrent sa peau, mais il ne fit rien pour riposter. Il me regarda avec une lueur indécise au fond des yeux. Puis, il libéra mon museau et se jeta sur ma gorge. Je me tortillai pour essayer de lui échapper, mais il ne fit qu’enfoncer sa truffe dans le collier de fourrure autour de mon cou et huma à pleins poumons. Il frissonna, et ses pattes vibrèrent le long de mes flancs. Il hésita un moment, puis gronda doucement et se contorsionna pour se relever avant de filer de nouveau dans les bois. Je me relevai tant bien que mal et m’élançai à sa poursuite. Cette fois, il avait trop d’avance, et je me rapprochai tout juste assez pour apercevoir son arrière-train bondissant loin devant moi. Il remua la queue. Il se moquait de moi, le salaud ! Je me précipitai et l’approchai assez pour entendre battre son cœur. Il changea de trajectoire et quitta le sentier pour s’enfoncer dans la forêt. Je gloussai sous cape. Je le tenais. Il allait devoir s’ouvrir un chemin, ce qui le ralentirait juste assez pour me laisser… Un couple de ptarmigans s’envola, presque sous mes pattes. Je m’arrêtai au bout d’une courte glissade et faillis, dans ma surprise, faire la culbute. Tandis que les oiseaux paniqués regagnaient le ciel, je me remis debout, regardai autour de moi… et compris que j’étais seule. Cette crapule m’avait piégée ! Et moi, comme une idiote, j’étais tombée dans le panneau ! Je retrouvai sa piste, mais je n’avais pas fait trente mètres lorsque des gémissements et des gargouillis brisèrent le silence. Je m’arrêtai en dressant les oreilles. J’entendis un grognement, puis des halètements. Clay était en train de muter. Je plongeai dans le premier fourré venu et entamai ma propre Mutation. Ce fut rapide, aiguillonnée que j’étais par une double dose salutaire d’adré naline et de frustration. Quand j’en eus terminé, Clay était toujours dans son fourré. J’en fis le tour sur la pointe des pieds, écartai une poignée de feuilles et jetai un coup d’œil. Il avait fini, mais il restait à quatre pattes en haletant comme s’il avait besoin de reprendre son souffle. Si j’avais été fair-play, je lui aurais laissé le temps de récupérer. Mais je n’avais pas envie de l’être. Je me jetai sur son dos et, avant qu’il ait pu réagir, je passai mon bras autour de son cou, en appuyant mon avant-bras sur sa trachée. — Tu croyais vraiment t’en tirer aussi facilement ? lui demandai-je en me penchant par-dessus son épaule. Ses lèvres articulèrent un juron, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Ses épaules s’affaissèrent, comme s’il s’avouait vaincu. C’est ça. À d’autres. Je fis mine de relâcher ma prise. Évidemment, il se retourna aussitôt en essayant de m’attraper. Je me laissai glisser à bas de son dos et l’entraînai en le poussant sur le côté. Sans lui laisser le temps de se relever, je me retrouvai sur lui et appuyai de 14
nouveau mon avant-bras sur sa gorge. Ses mains remontèrent le long de mes flancs, se faufilèrent sous mes bras et se refermèrent sur mes seins. — Non-non, grondai-je en accentuant la pression de mon bras. Pas de distractions. Il soupira et laissa retomber ses mains. Je me détendis. Aussitôt, il me renversa, mais avec beaucoup plus de douceur que d’habitude. Il me cloua au sol aussi sûrement qu’il l’avait fait sous sa forme de loup. Puis, il s’abaissa et frotta son ventre et son bas-ventre contre les miens. Tandis que ses mains remontaient de nouveau vers mes seins, il me sourit, en me mettant au défi de l’en empêcher, maintenant. Je lui lançai un regard noir, puis me jetai sur son épaule et y enfonçai mes dents. Il s’écarta brusquement. Je me relevai, puis le clouai au sol à mon tour, les mains sur ses épaules, les genoux sur ses cuisses. Il se débattit, mais il ne pouvait se défaire de moi sans me projeter violemment. — Vaincu ? lui demandai-je. Il se tortilla une dernière fois avant d’acquiescer. — Vaincu. — Bien. J’écartai mes genoux de ses cuisses et m’avançai au-dessus de lui. Il essaya de se soulever pour venir à ma rencontre, mais je le repoussai avec mes hanches en l’obligeant à s’immobiliser. Puis je me mis en position. Quand je sentis l’extrémité de son sexe, je m’arrêtai et me frottai contre lui, en me titillant moi-même. Il gémit et tenta de m’empoigner les hanches, mais j’appuyai plus fort sur ses épaules. Puis, je fermai les yeux et m’empalai sur lui. Il se débattit sous moi en essayant de bouger, de saisir, de reprendre le contrôle, mais je ne le laissai pas faire. Au bout d’un moment, il renonça et se cambra en agrippant à pleines mains des poignées d’herbe. Il avait les mâchoires tendues et les yeux réduits à de minces fentes, mais ouverts quand même, comme toujours, pour m’observer. Lorsque la première vague de jouissance déferla, je le relâchai, mais il resta comme il était, en me laissant le contrôle. Je l’entendis vaguement gronder lorsqu’il jouit. Lorsque j’en eus fini à mon tour et que je me laissai aller contre lui, je vis ses yeux entrouverts et un sourire paresseux qui étirait les coins de sa bouche. — Tu te sens mieux ? me demanda-t-il. Je m’étirai sur lui et posai ma tête au creux de son épaule. — Beaucoup mieux.
À suivre...