Arrêt de mort - extrait

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« Une grande aventure où l’immortalité est l’apanage de dieux qui n’ont rien à voir avec ce que l’on a l’habitude de lire. »

Mythologica

Lucifer devrait se méfier… Eliot et Fiona doivent triompher des deux dernières épreuves imposées par les dieux s’ils veulent survivre. Ce n’est quand même pas leur faute si leur déesse de mère a choisi d’avoir des enfants avec le Prince des Ténèbres ! Les Infernaux non plus n’ont pas dit leur dernier mot et entendent revendiquer leurs droits sur les faits et gestes des jumeaux… pour déclarer la guerre à leurs adversaires éternels. Eliot et Fiona sauront-ils préserver le pacte de paix entre les dieux et les Infernaux ? Et surtout, parviendront-ils à rester en vie ?

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle Casse-Castric Illustration de couverture : Miguel Coimbra ISBN : 978-2-36231-043-0

15,20 € 9 782362 310430


Eric Nylund est né en 1964 et a grandi en Californie. Après un baccalauréat en chimie et une maîtrise en physique, il s’est tourné vers l’écriture. Ses univers sont vastes : romans fantastiques, sciencefiction et novélisation de jeux vidéo. Il vit du côté de Seattle, sur une colline balayée par la pluie, avec sa femme, elle aussi écrivain. Le Pacte des Immortels est sa première série pour adolescents et jeunes adultes.

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Arrêt de mort

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Du même auteur, chez Castelmore : Le Pacte des Immortels : 1. Le Pacte des Immortels – première partie 2. Arrêt de mort – seconde partie

www.castelmore.fr

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Eric Nylund

Le Pacte des immortels A r r ê t de mor t – Se c on de pa r t i e

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle Casse-Castric

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Titre original : Mortal Coils © 2009 by Eric Nylund Publié avec l’accord de l’auteur, c/o BAROR INTERNATIONAL, INC., Armonk, New York, États-Unis © Bragelonne 2012, pour la présente traduction Loi no 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse Illustration de couverture : Miguel Coimbra Dépôt légal : mars 2012 ISBN : 978-2-36231-043-0 Castelmore 60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris E-mail : info@castelmore.fr Site Internet : www.castelmore.fr

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Pa rtie I Deuxième

épr eu v e

héroïque

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1 L’essa i de l a mort

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liot n’avait encore jamais vu autant de monde dans leur salle à manger. Même pas quand la tuyauterie avait lâché et que tout le premier étage avait été inondé. Jack était près de la table, entouré de Grand-Mère et de Tante Dallas. Il semblait effrayé, mais résolu : leur annoncer une épreuve qui pouvait les tuer faisait bel et bien partie de son travail. Fiona sortit de la cuisine, toute pâle. Les larmes avaient laissé des traînées sur ses joues. Eliot avait envie de lui dire que tout irait bien, qu’il ne croyait pas aux prédictions de Tante Dallas, et qu’elle ne devrait pas y accorder d’importance non plus. Qu’ils allaient se sortir de cette nouvelle épreuve comme ils l’avaient fait avec Soukh. Mais avant qu’Eliot ait pu ouvrir la bouche, Jack s’éclaircit la voix et dit : — Désolé de vous prévenir au dernier moment. C’est le Conseil qui en a décidé ainsi. — Je ne devrais pas rester là, dit Dallas en allant vers Fiona. (Elle prit ses mains pour les embrasser.) Je te donne ma bénédiction, mon enfant. Puis elle se tourna vers Eliot et le prit à part. 9

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— Je te donne également ma bénédiction, Eliot de noble naissance. Elle l’embrassa à son tour, sur le front. Il eut l’impression qu’elle le marquait au fer, et des couleurs se mirent à tourbillonner dans son esprit. Il voulut crier, mais il émit seulement un hoquet de surprise. Tante Dallas s’écarta et la sensation s’estompa. Elle alla ensuite prendre Grand-Mère dans ses bras, et cette dernière la serra contre elle en retour avec une réelle affection. Cela surprit Eliot autant que le baiser qu’il venait de recevoir. Dallas se dirigeait vers la porte quand elle s’arrêta à la hauteur de Jack. — Je n’étais pas là, lui murmura-t-elle. Ne le dis même pas à la lune si elle te le demandait. Son ton était léger et plein de lyrisme, et pourtant elle parvenait à y laisser planer une menace. Jack déglutit. — Oui, madame. Fiona se raidit en observant cet échange avec une intensité qu’Eliot ne lui avait encore jamais vue. Les dernières lueurs du soleil couchant s’en allèrent quand Dallas ferma la porte derrière elle. Cessi alluma le vieux plafonnier jauni. Jack interrogea Grand-Mère du regard. Celle-ci lui donna un signe d’assentiment. — Cette fois, le Conseil veut que vous fassiez couler le sang. M. Mimes appelle cette épreuve « the test of death ». — Ça signifie « l’essai de la mort », murmura Fiona à son frère. Eliot se dandina d’un pied sur l’autre. — On va juste être plus futés qu’eux, comme la dernière fois. — Ce ne sera pas si facile, dit Jack. Il y a une fête foraine aban­ donnée près du parc national de Mont Diablo. Un déséquilibré 10

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a kid­­­­na­­­­ppé une petite fille, et il la tuera à minuit si vous ne la sauvez pas. Eliot agrippa le bord de la table. — De quoi tu parles ? Qu’est-ce que cette fille a à voir avec nous ? Pourquoi la mêler à tout ça ? Fiona se rapprocha de son frère. Jack devint la cible de son regard intense. — Ce n’est pas une blague ? Jack s’éloigna d’un pas et leva les mains. — C’est vrai, et on ne peut plus rien pour cette petite fille. Tout comme pour vous. Grand-Mère hocha la tête. — Ce ne serait pas la première fois que le Conseil implique des innocents. Eliot savait que sa sœur et lui étaient considérés comme des pions jetables sur l’échiquier du Conseil, alors comment traitaientils ceux qui ne leur étaient même pas apparentés ? Un frisson lui courut le long de l’échine. L’horloge du couloir sonna. — Dans six heures, il sera minuit, dit-il. — Ne vaudrait-il pas mieux prévenir la police ? protesta Fiona. Aucune épreuve ne mérite qu’une innocente meure. C’est peut-être ça le test : voir si nous pouvons prendre la bonne décision. Cessi lui tapota la main. — Le sens moral de la famille, ma chérie, est bien différent de ce que toi et moi considérons comme bien ou mal. Comment était-ce possible ? Toute leur vie, Grand-Mère et Cessi leur avaient appris à distinguer le bien du mal. Et à présent, ces leçons ne voulaient plus rien dire ? — Appeler la police ne servirait à rien, expliqua Jack. Même si les flics le trouvaient avant minuit, ce fou a des scanners radio. Il serait averti de leur arrivée. Avant qu’ils réussissent à l’attraper, il aurait fini son travail et aurait pris la fuite. 11

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C’était horrible. L’enjeu de la première épreuve était grand : leur vie à tous les deux. Mais cette fois… le Conseil avait mis en danger une petite fille. Ce n’était pas juste. — Je les déteste, murmura Fiona. Eliot se demanda si Dallas était au courant, et si c’était la raison pour laquelle elle était partie si rapidement. — Bon, essayons de réussir cette épreuve, dit-il à sa sœur. On se préoccupera du Conseil plus tard. Fiona hocha la tête. — Alors qui est ce « fou » ? — Légende urbaine classique : un type dérangé avec un grand couteau, répondit Jack en mimant un mouvement tranchant. Enfin, celui-ci, je crois qu’il utilise le feu. Eliot et Fiona secouèrent la tête, ne comprenant rien à la référence « classique » de Jack. — C’est comme dans les films d’horreur qui sortent l’été. Chaque fois, un groupe d’ados se fait décimer un par un, précisa Jack. Et il y a un mec invincible, vous savez ? qui se déchaîne sur tout le monde  1 ? Eliot chercha un bloc de papier et un stylo pour prendre des notes. — Quoi d’autre ? — Dans ces films, comment font les jeunes pour s’en tirer ? demanda Fiona. 1. « Sous-genre du cinéma d’horreur où un tueur fou poursuit implacablement un groupe de jeunes adultes. Le tueur résiste aux coups de feu, d’arme blanche, etc., et continue de traquer ses futures victimes. Dénigrés par la critique, ces films, comme certains l’ont fait remarquer, sont une métaphore du mal incontrôlable plus qu’un commentaire sur la morale humaine, et on peut les rapprocher des contes du Moyen Âge tardif, tout aussi crus. L’origine du genre est généralement attribuée au film d’Alfred Hitchcock Psychose, de 1960. » Dieux du i er et du xxi e siècle, volume VI : Mythes modernes, 8e éd. (Éditions Zyphéron).

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Jack eut un geste d’excuse. — Je vous ai dit tout ce que le Conseil m’a ordonné de vous donner comme informations. — Nous comprenons, dit Grand-Mère d’une voix glaciale. Jack fouilla dans sa sacoche de moto et en sortit un petit ordi­ nateur portable. Il le posa sur la table. — J’ai fait quelques recherches, juste par curiosité. Je pense que si je l’oublie ici, personne ne le remarquera. Il n’y a probablement rien d’utile, de toute façon. Jack jeta un coup d’œil à Eliot avant de poser sur Fiona un regard qui en disait long. Il gratifia Cessi puis Grand-Mère d’un petit signe de tête. — Madame, je peux attendre si vous avez besoin que je vous conduise quelque part. Grand-Mère toucha le portable d’un doigt, tout en réfléchissant. — Merci, M. Farmington. (Son ton s’était légèrement dégivré.) Je crois que vous en avez fait suffisamment pour nous ce soir. Vous pouvez partir. Il regarda Fiona une dernière fois et s’en alla. — Un ordinateur ? (Cessi s’en approcha, tendit la main sans oser le toucher.) C’est une violation des règles… 34, 55 et 99. Grand-Mère regarda fixement le boîtier en fibre de carbone. — En effet. Mais peut-être que pour cette fois… Elle l’ouvrit et l’alluma, mais elle hésita en voyant l’écran de démarrage. Eliot et Fiona firent un pas vers la table. Une forêt de séquoias emplissait l’écran. La photo était d’une telle qualité qu’on avait l’impression de pouvoir les toucher. Au centre, une petite fenêtre clignotait, demandant un mot de passe. Fiona admira les arbres – elle les reconnaissait – et poussa Eliot sur le côté. — Je crois que j’ai une idée pour le mot de passe. Elle tapa « séquoia ». 13

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L’ordinateur émit un « bip » et des icônes colorées apparurent. Chacun portait un nom : « carte topologique du parc national de Mont Diablo », « dossier du patient 0478 » et « rapport d’incident DF-4829 de la police routière de Californie ». Eliot remarqua quelques notes de musique dans un coin, et le symbole d’une antenne envoyant des ondes. L’ordinateur de Jack était connecté au monde entier. Il devait y avoir de la musique, des films, des gens avec qui bavarder… tout. Eliot aurait donné n’importe quoi pour rester cinq minutes seul avec cette machine. Il secoua la tête en se souvenant de ce qui se passait. — Regarde d’abord le rapport de la police, dit-il à Fiona. Les mains de Fiona s’immobilisèrent au-dessus du clavier. — Comment on fait ? Grand-Mère regarda Cessi, qui secoua la tête. Comme ils étaient tous stupides ! Jack venait de leur livrer tout ce qu’ils avaient besoin de connaître sur l’épreuve à venir – probablement au risque de sa propre vie – et aucun d’eux ne savait comment se servir d’un ordinateur ! — Laisse-moi essayer, dit Eliot. La mâchoire de Fiona se crispa d’irritation, mais elle obtempéra. Eliot caressa les touches du bout des doigts, pour les sentir, sans appuyer. Sous le clavier, il y avait un rectangle lisse. Il l’effleura du pouce et une flèche apparut à l’écran, bougeant au rythme de son doigt. Ravi, il lui fit décrire un arc de cercle. Comme avec le violon et la guitare, Eliot comprenait l’instru­ ment rien qu’en le touchant. Il ne s’agissait en aucun cas d’une maîtrise innée, mais plutôt d’une bonne intuition dans un coin du cerveau. Il fit bouger le curseur jusqu’au rapport de police et tapa deux fois comme s’il jouait deux notes sur son violon. Le fichier s’ouvrit. Il contenait la photo d’identité d’un homme, qui mesurait un mètre soixante-dix, avait les cheveux châtains, les 14

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yeux marron, sans rien d’inhabituel… jusqu’à ce qu’Eliot remarque les cicatrices qui lui défiguraient la moitié du visage. Son oreille gauche disparaissait sous des brûlures. — Perry Millhouse, lut Fiona par-dessus son épaule. Multiples incendies criminels, mises en danger de mort, homicide volontaire… seize victimes. Millhouse avait barricadé une école avant d’y mettre le feu. À la lecture du rapport, Eliot se sentit mal. L’homme avait été arrêté, jugé et condamné à mort. Lors de la procédure d’appel, un médecin avait établi son irresponsabilité pour cause de troubles psychologiques graves et le jugement avait été infirmé. Il avait par la suite été placé en détention dans un établissement pour criminels psychopathes. Eliot cliqua pour ouvrir un autre rapport. Celui-là racontait comment Millhouse et deux autres détenus avaient mis l’hôpital en feu, tué deux gardiens et pris la fuite. Leur piste mena aux contreforts montagneux près du parc national de Mont Diablo. Les deux autres détenus tombèrent sous les balles, mais Millhouse échappa aux policiers et trouva refuge dans une cabane. Avant que la police parvienne à l’atteindre, il y mit le feu alors qu’il se trouvait encore à l’intérieur. Les policiers l’avaient vu se consumer. — S’il est déjà mort, qui a enlevé la petite fille ? demanda Fiona. Grand-Mère parcourut le rapport par-dessus leur tête. Son expression était indéchiffrable, mais Eliot crut y discerner une ombre fugitive… comme si elle avait reconnu l’homme sur la photo. — Il reste un rapport, leur indiqua-t-elle. Il l’ouvrit. Il s’agissait d’une enquête en cours. L’année passée, trois enfants avaient disparu près du parc de Mont Diablo. La dernière en date, Amanda Lane, avait disparu la veille. Le dossier contenait aussi une photo d’elle. Elle venait de perdre des dents de lait, les incisives, et souriait fièrement au photographe. 15

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— C’est comme les photos qui avaient été prises de nous, murmura Fiona. La campagne organisée par la police au super­ marché, tu te rappelles ? Eliot toucha la photo d’Amanda du bout des doigts. — Oui. Il regarda la pendule. — Il faut y aller. Nous aurions dû accepter que Jack nous conduise là-bas. — J’ai une voiture, dit Grand-Mère. Je vous y emmènerai aussi vite. Abasourdis, les jumeaux se regardèrent. Grand-Mère avait une voiture ? Elle savait conduire ? Elle se déplaçait toujours à pied ou, à la rigueur, en bus. — D’accord, super. (Eliot s’arma de courage pour continuer.) Nous avons besoin de rassembler quelques affaires avant de partir. L’équipement qui nous a servi dans les égouts. On en a pour une minute. Grand-Mère le dévisagea un moment. — Dépêchez-vous. Je vous retrouve devant l’immeuble. — Est-ce que j’emballe de la nourriture ? demanda Cessi. Je peux être prête à partir dans un instant. Grand-Mère la regarda, les yeux plissés. — Tu sais bien qu’il y aura à peine assez de place pour nous trois dans ma voiture, Cecilia. Déçue, Cessi baissa la tête. Eliot se tourna vers sa sœur. — On va à la cave ? suggéra-t-il, tout en attrapant son sac à dos. Ils dévalèrent les escaliers. Mais ils ne firent pas la course pour savoir qui serait le plus rapide. Tous leurs jeux d’enfants avaient laissé place à l’anticipation anxieuse de ce qui les attendait cette nuit-là. « The test of death ». L’essai de la mort. Eliot espérait qu’Oncle Henry se trompait là-dessus.

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2 L a seule chose qui l a r enda i t fort e

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iona noua un mouchoir sur son visage de façon à protéger son nez et sa bouche. La poussière du sous-sol gênait sa respiration. Elle retrouva son fusil Westley Richards et une boîte de cartouches sur un tas de vieux journaux jaunis. Le poids de l’arme la rassura. Avec tout ce qui leur arrivait, elle ferait mieux de l’avoir toujours dans son sac. Avait-elle l’air d’une criminelle ? L’arme à la main, le visage camouflé. Ou peut-être ressemblait-elle un peu à Jack ? À une rebelle. À l’autre bout de la cave, Eliot accordait son violon. Elle agita sa lampe dans sa direction. Il était si concentré qu’il ne remarqua rien. À chaque nouvelle note, des particules de poussière s’agençaient dans l’atmosphère, comme une mosaïque. Elle s’émerveilla de ce phénomène, tout en ressentant un pin­­ cement de… jalousie ? Peut-être. Il s’était mis au violon comme s’il était né avec l’instrument dans les mains. Il avait dompté des rats, apaisé Soukh, et voilà qu’à présent, il parvenait à faire danser l’air. À quoi d’autre excellait-il encore ? Et elle, que savait-elle faire ? Recracher des chiffres et des infor­­mations comme une encyclopédie ambulante ? débarrasser 17

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les tables ? À quoi ces qualités pouvaient-elles lui servir face à un dangereux pyromane ? Elle savait couper. Fiona fit claquer son bracelet en caoutchouc. Elle sentit une légère morsure sur son poignet. Horrifiée, elle examina sa main. Elle devait faire attention. Si elle avait été suffisamment énervée, elle aurait pu se trancher la main et se saigner à blanc. Alors quel était son talent ? tronçonneuse sur pattes ? cutter géant ? Était-ce un don ou une malédiction ? Elle tendit son élastique entre deux doigts et l’appuya contre une statue de jardin. Son bracelet traversa le cupidon de ciment aussi facilement que l’air. La tête de l’angelot roula sur le sol, son visage enfantin tourné vers elle. Ça faisait du bien. Avec l’état d’esprit approprié, elle était capable de couper n’importe quoi. Personne ne parviendrait à l’arrêter. Pas même l’impressionnant Oncle Aaron. Ni Grand-Mère. Cette pensée la glaça. Non. Elle ne serait jamais capable de couper quelque chose de vivant. Elle s’agenouilla et caressa le visage du chérubin. — Désolée, chuchota-t-elle à la statue. Son ventre grogna et son sang se refroidit. Elle avait besoin de manger. Elle retrouva le goût du chocolat sur ses lèvres, mais ses dernières truffes étaient un lointain souvenir. N’avait-elle pas décidé d’en finir avec cette dépendance ? Elle aurait sans cesse besoin d’en manger davantage pour continuer à ressentir l’énergie procurée par le glucose. Eliot cessa de jouer du violon et se tourna vers elle. — Je suis prêt. — Vas-y, je te rattrape. 18

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— Ça va ? — Oui, dit-elle en se relevant lentement. Pas de problème. J’ai juste besoin de quelques secondes supplémentaires. Eliot hocha la tête. — Je vais dire à Grand-Mère que tu arrives. Il hésita, comme s’il souhaitait ajouter quelque chose, comme s’il sentait que sa sœur n’allait pas très bien. Mais il tourna les talons et gravit l’escalier en courant. Le rayon de sa lampe tressautait dans le noir. Plus qu’un jour à vivre. Comment était-ce possible ? Tante Dallas y croyait, pourtant. Et quand Fiona se concentrait sur ce qu’elle avait vu et senti lors de la prédiction du fil… elle aussi savait que c’était la vérité. Elle avait vraiment besoin d’un chocolat : une bouchée de ganache, de caramel au beurre, de liqueur à la cerise… Un seul. Après tout, pourquoi pas ? Pourquoi se contenter de l’ennuyeuse Fiona, celle qui regardait ses pieds et ne protestait jamais ? La vie d’une petite fille était en jeu, ce soir. Sans compter celle de son frère et la sienne. Elle devait faire tout ce qui était en son pouvoir pour donner le meilleur d’elle-même, non ? Au fond, n’était-ce pas égoïste de rejeter la seule chose qui la rendait forte ? Et s’il ne lui restait plus qu’une petite journée… pourquoi se refuser un des plaisirs de la vie ? Fiona inspira profondément. Elle savait ce qu’elle devait faire. Elle monta lourdement les marches qui menaient dehors et courut jusqu’à la benne où échouait tout ce qui passait par le videordures de l’immeuble. Soulevant le couvercle d’une main, elle se hissa dans le conteneur. La puanteur la fit suffoquer : couches sales, restes de barbecue, moisissures et relents de gasoil. Elle eut un mouvement de recul qui faillit la faire tomber. 19

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Elle pressa le mouchoir sur son nez et balaya le contenu de la poubelle du rayon de sa lampe. Un rat la regarda en clignant des yeux avant de continuer à dévorer un beignet à la confiture moisi. Que faisait-elle là ? Elle fouillait une benne à ordures au crépuscule ? Elle cherchait un cadeau qui lui était peut-être nocif ? Elle perdait du temps pour la deuxième épreuve… Mais elle ne pouvait pas s’en empêcher. Le faisceau s’arrêta sur un cœur rouge sang. Il était couvert d’emballages de fast-food. Elle attrapa la boîte, tenta d’enlever le gras et la mayonnaise qui la maculaient et la serra sur sa poitrine. Elle vérifia qu’elle était bien fermée et la rangea dans son sac. Parfait. Elle se laissa tomber hors de la poubelle et s’essuya les mains. Une ombre glissa jusqu’à l’entrée de la ruelle. Deux coups de Klaxon retentirent. Fiona fila vers la voiture de sa grand-mère, enfin prête à affronter la mort.

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