Mémoire de recherche : Les bunkers de la plaine de Lille, un paysage à renouer

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Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille Séminaire d’initiation à la recherche en archéologie du projet Encadrés par Catherine Blain et Eric Monin

Les bunkers de la plaine de Lille, un paysage à renouer

Etudiant : Brice Anssens

Année universitaire 2017 - 2018


Page prĂŠcĂŠdente : photographie personnel, plaine de Bouvines, 20 avril 2018.


Ecole Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille Séminaire d’initiation à la recherche en archéologie du projet Encadrés par Catherine Blain et Eric Monin

Les bunkers de la plaine de Lille, un paysage à renouer

Etudiant : Brice Anssens DEP2

Année universitaire 2017 - 2018



Rermerciements

En premier lieu, je tiens à remercier mes professeurs Eric Monin et Catherine Blain, qui ont su m’aider

et m’ épauler malgré un sujet peu évident à saisir, et pour leurs précieux conseils durant toute l’année. Je remercie également tous ceux qui ont pris le temps de me parler de leur connaissance des bunkers. Merci à : Captiaine Yves-Marie Rocher, conservateur du musée du Génie à Angers, de m’avoir donné l’accès aux archives du musée, ainsi qu’à celles de l’école militaire du Génie. Marie-Annick Morniroli, présidente de l’association Les Amis de Bouvines, pour m’avoir expliquer l’histoire du territoire de la plaine de Bouvines. Olivier Liardet, ingénieur de recherche à la DRAC, pour avoir partager avec moi les documents d’archives du service historique de la défense de la région des Hauts-de-France. Enfin je voudrais remercier Catherine Deprez, Camille Pinson et Eric Anssens pour leur soutient et leur relecture attentive.

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ReprĂŠsentations de la Ligne Maginot :

histoire-image.org Maquetland.com

imgur.com

imgur.com

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Avant propos

Dans le cadre de cette recherche, mon regard se porte sur un paysage que je pratique depuis mon

plus jeune âge. La caractéristique de ce territoire de la plaine de Lille se définit par son faible relief entre une zone périurbaine et une zone rurale. De plus, l’organisation principale de l’espace non urbanisé est essentiellement composée d’agricultures. Je me promène régulièrement dans ce plat pays, de temps en temps à pied, mais surtout à vélo, puis en quad de manière respectueuse face à l’environnement. Sur ce territoire, de petites structures en béton rythment les promenades qui le composent : des petits bunkers.

À l’époque, je ne me questionnais pas sur ces petites structures, elles étaient là où que j’aille dans ce paysage, disséminées à travers ce territoire : la plaine de Lille. Mais aujourd’hui, plusieurs questions surviennent: pourquoi sont-elles là et ainsi disposées ? Qu’est-ce qui commandent leur implantation ? Entretiennent-elles un rapport avec le territoire comme les grandes fortifications de Vauban1 ?

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Cependant au fil de mes recherches je n’arrivais pas à identifier les blockhaus que je connaissais : j’observais différents types de blockhaus, comme des cloches, des tourelles, des batteries reliées entre elles par des tunnels souterrains, des structures allants jusqu’à 40 mètres de profondeur, créant un réseau comme une vaste fourmilière.

Une première question s’impose alors: pourquoi ces bunkers sont-ils si particuliers sur cette portion de territoire de la ligne Maginot2 ?

1 2

Exposition « Vauban ville forte » Hospice Comtesse, Lille, 2007. Ligne Maginot, ligne de fortifications construite par le ministre de la Guerre André Maginot de 1928 à 1940.

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Introduction

La ligne Maginot est l’une des seules lignes de défense fortifiée qui a été analysée et réalisée sur

une longue période (1928-1940). Lors de sa construction, le secteur fortifié de Lille était presque inexistant sachant que la Belgique avait un statut d’allié. Cependant le 14 octobre 1936, la Belgique devient neutre. De 1939 à 1940, la France décide alors de concevoir un front continu le long de la frontière belge avec l’installation d’une multitude de petits blockhaus MOM1. La particularité de ce secteur fortifié de Lille vient de sa construction rapide et de son caractère géographique provoquant une rupture dans la région des Hauts de France. En effet ce territoire est caractérisé comme un plat pays2, à tel point que « Toutes les infrastructures lourdes, comme l’aéroport, Villeneuve d’Ascq, la ville nouvelle, l’université, ou demain le TGV Lille-Bruxelles-Bonn, s’installent de préférence sur cette chaussée naturelle qui s’élève parmi des marécages et des terrains humides, large jusqu’à 6 kilomètres. C’est une voie d’invasion donnée par la nature aux hommes des temps les plus anciens, aux événements de 1940 »3 .

Ce mémoire de recherche a pour but de mettre en lumière ces éléments architecturaux peu connus

du grand public sur un territoire bien défini. La construction de ces bunkers a été peu utiles. En effet ils n’ont jamais été occupés ni armés. Cependant, il est facile aujourd’hui de constater qu’ils ont construit un paysage, et qu’ils agissent comme un témoignage, rappelant à la mémoire une histoire passée à transmettre aux générations futures. Ce sont certes de petits blockhaus en surface, néanmoins ils participent à une composition dans ce paysage qui vaut la peine d’être remarquée.

1 La main-d’œuvre militaire (MOM) désigne les unités militaires françaises utilisées comme ouvriers selon le LieutenantColonel Guillot, la fortification permanente jusqu’à la deuxième guerre mondiale, école supérieure technique du génie, 1949. 2 Terme utilisé dans Le carnet de territoire - Pays Lillois - Version Août 2016 du CAUE du Nord, P8. 3 Pierre Leman, enseignant puis archéologue, célèbre pour son ouvrage Des voies romaines de Bouvines à la géographie du XXe siècle .

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Figure n°1 & 2

VIRILIO Paul, Bunker Archeologie, les éditions du Demi-Cercle, Paris, 1991

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Les bunkers sont des éléments architecturaux chargés de mémoire de l’histoire de la seconde guerre

mondiale en France. De nombreux débats sont portés entre la valorisation d’un patrimoine historique ou la destruction d’un reste témoignant d’une histoire tragique.

Paul Virilio traite dans son œuvre1, les bunkers du mur de l’atlantique dans leur magnificence et leur individualité. Parmi ces nombreuses photos monochromes ( figure n° 1 et figure n°2 ), je constate que l’auteur cadre ces sujets comme une centralité. Dans le cadre de ce mémoire, le point de vue étudié sera plus large, aussi bien dans la continuité entre chaque sujet mais également dans le rapport qu’ils entretiennent avec le contexte qui les entoure.

Cependant, il est pertinent de se demander dans quelle mesure ces bunkers participent-ils à la promenade ? Comment ces blockhaus tissent-ils les espaces entre les villes et villages ? Comment les bunkers proposent-ils un parcours diversifié dans ce territoire ? Depuis leur apparition, ont-ils modifié le tissu ou la morphologie du terrain au fur et à mesure du temps ? Quelles traces ont-ils laissé derrière eux après leur construction ? Comment les fortifications de la ligne Maginot dans la plaine de Lille structurent-elles le paysage ? Pourquoi ces blockhaus sont-ils implantés de cette manière ? En quoi la dissémination est une composition défensive d’un terre au faible relief ?

Nombreuses sont les questions qui tendent à définir une problématique de recherche. Le regard que j’aimerai expliciter sur les bunkers du secteur fortifié de la plaine de Lille est celui de la relation entre ces objets et le paysage. J’énonce alors la problématique qui est pourquoi et dans quelle mesure la dissémination des bunkers de la plaine de Lille s’inscrivent-t-ils dans le paysage ?

1

VIRILIO Paul, Bunker Archéologie, les éditions du demi-cercle, Paris, 1991.

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Sommaire Remerciements Avant-propos Introduction

I. Secteur fortifié de Lille, incohérence de la ligne Maginot

P15

A. La ligne Maginot

P15

B. Les secteurs fortifiés de la région du nord

P19

C. Le secteur fortifié de Lille

P23

D. Particularité du territoire

P27

II. Implantation, une stratégie paysagère

P31

P31

A. Définitions des différentes trames territoriales

1. La vallée de la Marque

P32

2. La plaine de Bouvines

P37

3. En zone ou en périphérie urbaine

P41

III. Représentation de ces bunkers dans le paysage

P45

A. Evolution physique et morphologique

P45

B. Modification de l’espace par le bunker

P49

C. Représentation de ces bunkers

P51

Conclusion

P56 13


« Les secteurs fortifiés de la région du Nord »

SFL Bas du chemin de Camphin

« La région fortifiée de Metz »

Photo personnel

CFC Fermont

CJ Vermeulen Wikimapia

Wikimapia Front fortifié avec artillerie Front fortifié sans artillerie Fortifications de campagne

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I. Secteur fortifié de Lille, incohérence de la ligne Maginot

I.A. La ligne Maginot

Dans cette première partie, il s’agit de mettre en lumière l’hétérogénéité qui compose la ligne Maginot.

Afin de remettre le secteur fortifié de Lille dans son contexte, il est nécessaire de comprendre la manière dont est structurée la ligne. Elle s’organise en quatre grandes régions fortifiées présentées ci-contre. Grâce aux recherches effectuées, j’ai observé que l’ensemble de la ligne ne s’est pas construit avec la même vigueur et densité sur une seule et même période le long de la frontière. Pour des raisons politiques, économiques et géographiques, l’ouvrage militaire a été divisé en plusieurs « régions fortifiées ». Il est pertinent de s’intéresser aux différentes échelles de la ligne Maginot, allant des secteurs fortifiés jusqu’au groupement de bunker. Cette dernière échelle sera traitée par la suite dans la partie II. Sur cette base de remise en contexte, les travaux de Romain Hoste1 seront une référence pour mon travail de mémoire, puisqu’il présente les différentes séquences de la ligne Maginot. Cependant, je propose de démontrer la diversité physique des bunkers sur cette ligne.

Les secteurs fortifiés de la région du Nord ne couvraient que très peu le front défensif de la frontière francobelge. En effet, ces deux pays étant liés par un traité militaire de défense, il n’était pas nécessaire de se protéger de cette puissance jusqu’au 14 octobre 1936. À cette date, le retour à la neutralité de la Belgique, entraine la construction jusqu’en 1940, d’un front continu et disséminé le long de la frontière composé de casemates STG2 et surtout de petits blockhaus MOM3.

Suite au passé des batailles de la première guerre mondiale, la région fortifiée de Metz se doit d’être fortement armée. De ce fait, elle se dote d’un front défensif avec artillerie lourde. La situation géographique entre la France et l’Allemagne se doit d’être infranchissable.

1 Romain Hoste, Observatoire, icône, refuge, un parcours d’interprétation de blockhaus, dans le paysage des monts de Flandres, Mémoire de fin d’étude à UCL LOCI, 2012-2013 2 Les casemates STG (Section technique du génie) sont plus petites et moins bien protégées que les casemates de la CORF. 3 Les casemates MOM (main-d’œuvre militaire) désignent des petites casemates faiblement protégées, surtout en comparaison de celles construites par la CORF. 15


« La région fortifiée de Lauter »

SFM la Ferté

Revue du génie militaire, la Ferté, archives de l’école du génie militaire à Angers

« La ligne Maginot Alpine »

SFD Col de Granon

Wikimaginot.eu

Front fortifié avec artillerie Front fortifié sans artillerie Fortifications de campagne

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La région fortifiée de la Lauter en Lorraine doit son nom au cours d’eau marquant la frontière entre

Wissembourg et le Rhin. Ce secteur est moins puissant (sur un plan défensif) que ses voisins mais profite de la protection du relief et du Rhin. Cette protection est organisée selon trois lignes de fortifications composées de casemates et d’abris mais sans artillerie : la « ligne de berge », la « ligne des abris » et « la ligne des villages». Outre les conditions d’armement et de densité d’implantation des bunkers que nous développerons plus loin dans le mémoire, on constate que le paysage fait partie de la stratégie défensive: la Lauter et ses rives constitues l’une des trois lignes de fortifications.

Autre exemple, le blockhaus de la Ferté ci-contre, est un ouvrage fortifié de la ligne Maginot situé sur les communes de Villy et de La Ferté-sur-Chiers, dans le département des Ardennes. L’édifice est bâti au sommet d’une colline à 215 mètres d’altitude ayant pour nom « La Croix de Villy » , ce qui lui vaut parfois d’être nommé « ouvrage de Villy-La Ferté ». Ce petit ouvrage dédié à l’infanterie, compte deux blocs reliés entre eux par une galerie souterraine. On comprend alors que son implantation dans ce profil, permettait d’avoir un point de vue sur la vallée de la Cuisance, et ainsi de voir les envahisseurs arriver. De la même manière que pour la région de la Lauter, le paysage par son relief, offre des conditions défensives idéales.

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« Le secteur fortifié des Flandres »

« Le secteur fortifié de Lille »

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I.B. Les secteurs fortifés de la région du nord

Entre 1931 et 1934 , seul quelques casemates d’infanterie se sont construites dans les forêts de Raismes

(douze casemates CORFN 7) et de Mormal (treize casemates). À partir de 1934 deux nouveaux tronçons sont aménagés: celui du « nouveaux fronts » des secteurs fortifiés de l’Escaut (qui compte deux casemates CORF et un petit ouvrage : Eth) ainsi que celui de Maubeuge (sept casemates et quatre petits ouvrages : Les Sarts, Bersillies, La Salmagne et Boussois).

L’année 1936 a été marquée par la déclaration de neutralité de la Belgique comme nous l’avons vu précédemment. Néanmoins, grâce à l’anticipation d’André Maginot1, la défense de nos frontières a pu se développer en conséquence. Un nouveau schéma s’organise et se calque sur le tracé de la frontière, sans toutefois s’appuyer sur les lignes naturelles du terrain. En ce sens, la quantité est privilégiée au détriment de la qualité. Du fait de cette abondance d’édifices, on distingue alors plusieurs secteurs.

Initialement nommé « secteur défensif des Flandres » lors de sa création en 1939, le « secteur fortifié des Flandres » prend ce nom à la fin de l’année 1940. Ce secteur était organisé par la 7e Armée, dirigée par le général Giraud. Il débute sur la plage de Bray-Dunes et se termine à Nieppe, près d’Armentières. Comme le montre Romain Hoste, d’Armentière à Steenvoorde, les bunkers s’implantent sur une légère crête topographique avec comme point fédérateur le mont de Cassel.

Le secteur fortifié de Lille constitue le deuxième secteur. Sous le commandement de la 1re armée militaire, il se verra dirigé plus tard par les forces expéditionnaires britanniques (BEF) en 1939. Ces dernières avaient décidé de reprendre et de compléter les défenses françaises originales. Ce secteur s’implante le long de la frontière avec la Belgique et en arc de cercle autour de l’agglomération de Lille. Ce secteur fera l’objet d’un approfondissement dans une sous-partie dédiée.

1

NDLR, André Maginot, né en 1877 fût l’instigateur de la création de la ligne Maginot.

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« Le secteur fortifié de l’Escaut »

« Le secteur fortifié de Maubeuge »

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Le secteur fortifié de l’Escaut, troisième secteur connu à ce jour, relie Saint-Amand-les-Eaux à Eth. Il

à la particularité de se développer sur une double ligne parallèle et présente des anciens ouvrages conçus par la Commission d’Organisation des Régions Fortifiées (CORF) datant de 1932.

Enfin, le secteur fortifié de Maubeuge est organisé en trois types de blockhaus : ceux de « l’ancien front » de la forêt de Mormal en 1931 et de protection n°1, ceux du « nouveau front » construits à partir de 1934 à la protection n°3 et les petits ouvrages du « nouveau front » conçus sur les anciens ouvrages établis dans le cadre du programme du général Séré de Rivières.

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Première ligne

Seconde ligne

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Données data.gouv.fr - Géolocalisation wikimaginot.eu - Mise en page QGIS


I.C. Le secteur fortifié de Lille

Le secteur fortifié de Lille se traduit par une ligne de défense sur différentes épaisseurs.

Une première partie au nord de 500 mètres d’épaisseur, se compose essentiellement de casemates faisant le tour de l’agglomération lilloise et protégeant l’espace urbain. Cette ligne de défense commence à prendre en épaisseur lorsque la zone urbaine se détache de la frontière franco-belge. Par la suite, la ligne se diffuse dans l’espace rural à la limite des villes de campagnes sur une épaisseur de 4,5 km. D’après la vue aérienne, on observe que la première ligne se compose essentiellement de bunker pour l’infanterie alors que la seconde à 2,5 km plus loin, abrite des bunkers anti-char (un schéma de principe et balistique développera l’implantation technique).

On recense 422 bunkers inscris sur une ligne de 42 km de longueur sur le secteur fortifié de Lille, soit environs deux fois plus que le secteur des Flandres (223 bunkers sur 65 km) au nord ou encore le secteur de l’Escaut (277 bunkers sur 38km) au sud. Outre le caractère interpellant de leur petite taille, la perception qu’on peut en avoir est tout aussi intéressante. On peut en effet les apparenter à de petites verrues parsemées sur une étendue.

Au vue de cette densité, on peut dire que la principale caractéristique de ce territoire est le nombre de bunker qui le compose. Cette densité est l’une des plus grande sur la ligne Maginot, mais quelle en est donc la raison ? La construction tardive est l’un des facteurs qui fait la particularité des bunkers sur ce secteur comme nous l’avons rappelé précédemment. De ce fait, le secteur fortifié avec 65 blockhaus MOM (type 1re RM) et neuf tourelles STG, à été érigé à partir de 1937, mais surtout entre 1939 et 1940. Le caractère urgent du besoin explique la quantité de blockhaus: c’est par le nombre que le retard sur cette portion de la ligne Maginot a été pallié dans un temps assez court. Le 16e régiment régional de travailleurs ayant fourni une partie des travailleurs pour la construction des casemates et blockhaus, donnera le nom aux blockhaus, «MOM : main-d’œuvre militaire».

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Bunkers de 1937 de 1939/1940

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DonnĂŠes data.gouv.fr - GĂŠolocalisation wikimaginot.eu - Mise en page QGIS


La défense se constitue sur plusieurs couches. Une première, en ligne assez droite, longe la frontière

mais surtout suit la périphérie des villages à protéger. Comme les recherches l’ont confirmé, la Ligne Maginot a été définie et placée tout d’abord en fonction de là où la progression des envahisseurs devaient être stoppée et non pas en suivant la ligne administrative que constitue la frontière de la nation. Puis les responsables de la construction de la ligne ont décidé d’intégrer des armements spécifiques ou non sur des endroits précis du territoire. Enfin, en fonction de ces armements, un type de bunkers était construit pour protéger au mieux le programme que devait équiper le lieu. Une première ligne peu épaisse suivait le cours de la vallée de la Marque en alignant 65 bunkers avant de dévier à l’Est du territoire de la Pévèle. Ce linéaire sera densifié par la suite de bunkers en 1939.

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Carte de synthèse de l’approche géographique

Coupe schématique géologique et du relief

Atlas des paysages de la région Nord-Pas-de-Calais, Automne 2005

Atlas des paysages de la région Nord-Pas-de-Calais, Automne 2005

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I.D. Particularité du territoire

À partir de mes expériences passées et de mes relevés de terrain, les bunkers du secteur fortifié de Lille

s’apparentent comme des objets «posés», alors que contrairement aux autres secteurs, il y a un rattachement fort au sous-sol, comme le montre les photos iconographiques1. Les autres secteurs montrent de nombreux atouts du territoire tels que: une topographie allant du plus faible relief au plus montagneux, mais aussi des rivières et des fleuves traçant ainsi des fonds de vallées. Toutes ces typologies créent des situations spécifiques, permettant de mettre en place des stratégies militaires censée contrer toutes menaces d’invasion de la part de l’ennemie.

La particularité de ce territoire vient de sa rupture géographique, qui constitue l’un des facteurs principaux dans la stratégie d’implantation des bunkers en nombre et de taille relativement réduite. Comme le montre la carte de synthèse de l’approche géographique ci-contre, l’ensemble du territoire du Mélantois et de la Pévèle se situe entre 20 et 50 mètres au-dessus du niveau des mers. Ces deux territoires présentent des caractéristiques différentes notamment dans leur géologie, que l’on peut observer sur la coupe schématique géologique et du relief. Le secteur étudié se compose d’une nappe de craie affleurante du côté du Mélantois, tandis que la Pévèle repose sur des argiles tertiaires légèrement vallonnées.

Durant mes recherches, il a été constaté que les bunkers sont peu valorisés dans le territoire. La représentation de ces bunkers dans le paysage est aussi bien absente dans l’Atlas des Paysages, que dans des documents du territoire à l’image du carnet de territoire du CAUE 59. De ce fait, en ayant constitué une autre forme de limite au travers de la ligne Maginot, le bunker ne devrait-il pas être considéré comme un élément géographique important de la frontière franco-belge ? D’autant plus que dans le territoire de la plaine de Bouvines, le bunker est un élément indissociable du paysage, lié à une histoire datant de la guerre de Bouvines. En ce sens, on peut se demander où est ce que la géographie s’arrête afin de laisser place à l’histoire ? D’autant plus que la géographie sert à faire la guerre. Face au relief très plat de la région caractérisée par la plaine de Bouvines, on comprend alors l’implantation en nombre des bunkers et leur dissémination dans le territoire. Les attaques ennemies venant sur un front très large, l’entièreté du secteur fortifié de Lille constitue un passage envisageable pour la traversée.

1

Représentation de la ligne Maginot, P6

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« le moment du serment » qui précède la bataille

Bataille de Bouvines, Horace Vernet, 1827

Carte du champs de bataille de Bouvines avec le positionnement des armées

Batailles française 1214 à 1559 edition de 1894 du colonel Hardÿ de Périni (1843-1908)

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Au carrefour des invasions, la région Nord-Pas de Calais a longtemps été le théâtre de nombreux

conflits. Pour se défendre, ses villes se sont dotées de remparts au cours des siècles, avec notamment un ensemble perfectionné par Vauban, sous le règne de Louis XIV, le célèbre «pré-carré». À la rencontre des territoires du Mélantois et de la Pévèle se trouve la plaine de Bouvines, emblématique par son histoire et par son caractère peu accidenté opérant à la manière d’une porte d’entrée de la France, comme mentionné précédemment. En périphérie de l’agglomération lilloise, accolé à la frontière de la Belgique (Tournai), le site de la plaine de Bouvines s’étend sur environ 1100 hectares, en partie sur le territoire de Lille Métropole Communauté Urbaine (communes de Baisieux, Bouvines et Gruson) et sur la communauté de communes de la Pévèle (communes de Bourghelles, Camphin en Pévèle et Wannehain ). Connu pour ses batailles depuis l’antiquité celte et romaine, c’est un lieu de confrontation historique. Le positionnement de Bouvines (Pont à Bovins) permettait de passer le gué de Tournai (ville française) à Lille (Ville flamande), « Lors du dimanche ensoleillé du 27 juillet 1214 » furent réunies une coalition des armées du Nord contre celles du Roi de France, Philippe Auguste.1 D’après la carte ci-contre, le champ de bataille allait de Bourghelles à Gruson,

Le site de Bouvines, est celui des batailles mais aussi celui de la paix retrouvée, incarnée par une agriculture prospère et rassurante. Paradoxalement, ce théâtre de batailles et de paix est un lieu fort de l’identité et de la symbolique de la nation : Le paysage de la plaine, pétri de l’œuvre humaine, est proposé comme « Site classé » au ministère chargé des sites. « Ce classement célèbre un lieu où se rejoignent l’histoire et la géographie, au moment de la célébration d’un événement majeur de l’histoire nationale, dont les paysages du XXIe siècle font mémoire », mentionne le décret qui sanctuarise 2 800 ha. Vaste territoire agricole et cultivé, le champ de bataille se situe dans la plaine de Bouvines, préservé depuis 8 siècles. La spécificité géologique du plateau, véritable pont de craie au milieu de terrains marneux et sablonneux en fait une chaussée naturelle qui s’élève parmi des marécages et terrains humides. Elle constitue ainsi « une voie d’invasion donnée par nature ».

Nous verrons plus tard que le carte du champ de bataille prendra la même position par rapport au front de bunker.

1

Voir Carte du champs de bataille de Bouvines ci-contre.

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DonnĂŠes data.gouv.fr - GĂŠolocalisation wikimaginot.eu - Mise en page QGIS


II. Implantation, une stratégie paysagère

II.A. Définitions des différentes trames territoriales

Durant mes recherches au musée du Génie à Angers, Yves-Marie Rocher, conservateur et curator m’a

expliqué le principe d’implantation des bunkers sur la Ligne Maginot:

Le principe stratégique militaire des casemates et bunkers s’est fait sous trois grands fondements. Tout d’abord on ne cherche pas systématiquement à longer respectueusement la ligne de la frontière nationale mais plutôt de constituer une ligne secondaire correspondant à la zone où il faut impérativement stopper les envahisseurs. Ce choix est déterminé selon un compromis entre le paysage comme défense (se référer à La géographie ça sert d’abord à faire la guerre, d’Yves Lacoste) et un territoire, un patrimoine, des villes à défendre. En fonction de ces différents secteurs dans le territoire, on déterminait grâce à l’emplacement, une situation une implantation des bunkers avec le choix du dispositif actif (armé) ou passif (non armé). Enfin, une fois l’emplacement déterminé et l’armement définit, on dessine le bunker avec ses dimensions.

On peut alors dire que c’est le paysage, puis l’armement qui conditionnent la morphologie et la dimension des structures du bunker: on observe sur la plaine de Lille une dissémination de bunkers similaires et de même morphologie. Ce constat remet alors en question le dispositif même de la ligne Maginot qui consiste à définir l’emplacement des bunkers selon une ligne imaginaire constituée par les villes.

Ce constat permet d’amorcer cette seconde partie. Dans le sens où le secteur fortifié de Lille semble dénoter avec le reste de la ligne Maginot, sur quel(s) principe(s) repose(ent)-t’il(s) ? Afin d’élucider la question, nous allons traiter les bunkers à une échelle plus fine afin de comprendre leurs implantations sur ce territoire. Ils sont implantés selon trois grandes situations : le long de la vallée de la Marque, dans la plaine agricole et à proximité de zones urbaines. Ces trois principes d’implantations vont faire l’objet des sous-parties suivantes et il s’agira de les décrire ainsi que de les analyser.

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II.A.1 La vallée de la Marque

La première situation est celle le long de la vallée de la Marque, une rivière importante dans le

patrimoine de la plaine de Lille.

Cours d’eau affluent de la rive droite du canal de la Deûle (qui prend sa source dans le Pas-de-Calais aux alentours de Lens et se jette dans la Lys à Deûlémont), elle prend sa source à Mons-en-Pévèle, et s’écoule du sud au nord et dessine un croissant de lune autre de Lille. L’origine de ce nom signifierait marécage. Elle a au cours de l’histoire, un rôle d’obstacle, d’abri, et de frontière naturelle entre le Mélantois et la Pévèle. C’est une rivière peu large de 4 à 5 mètres s’écoulant dans le secteur rural avec un débit plutôt lent. Elle est bordée de pâtures, de peupleraie et d’agro-foresterie. Bien qu’on parle de rivière, la Marque est canalisée en aval et contribue avec les canal de Roubaix à relier la Deûle à l’Escaut C’est un lieu de promenade qui attire de nombreux habitants et qui invite à certains évènements1 dans l’année.

La première ligne de front venant du sud-est arrive en diagonal par rapport à la Marque qui s’écoule vers le Nord du secteur. À grand échelle on remarque que la ligne suit la direction de la vallée pour ensuite longer la frontière franco-belge autour de la Métropole Lilloise entourant Hem, Lys-lez-Lannoy, Leers etc ... Des bunkers sont distribués le long de la Marque, et à chaque intersection de la rivière avec une voie historique, une ville ou encore une infrastructure, la densité des blockhaus est doublée, comme si c’était une règle systématique et imparable.

Photographie 1 : B317 - La COURTE

Coupe du bunker B316 - NOYELLE le long de la vallée de la Marque

1

https://lescheminsdumelantois.fr, organisation de course le long de le Marque.

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Photographie 2 : B306 - ROCH Est

Photographie 4 : B305 - GRESSART

Photographie 3 : B306 - ROCH Est

Photographie 6 : B314 - GRUSON Sud (sur la gauche)

Photographie 5 : B314 - GRUSON Sud


Le cours d’eau est bordé par des périphéries de villes et villages, mais rencontre également des

situations d’entre deux villes comme pour Chéreng et Anstaing. Les bunkers sont inscrits à proximité de la rivière et rythmés tous les kilomètres. Comme mentionné auparavant, ils sont doublés aux intersections avec la route, la voie ferrée ou simplement disposés sur un méandre de la rivière. C’est donc en premier lieu une ligne du paysage qui a été par la suite détournée pour réaliser un front défensif. Auparavant on aurait pu imaginer un point de vue ouvert entre chaque bunker, aujourd’hui la végétation (Hedera helix) recouvre en partie les sujets et des boisements se sont développés depuis le long de la Marque. Dans ce principe d’implantation, ces structures sont souvent ancrées dans le sol sur une topographie très légère en raison du faible calibre de la rivière (5m).

La photographie 1 représente le bunker « B317 La Courte » dans une pâture, il est récurant que dans ce type de situation, le bunker est mise à nu. On remarque une épaisse végétation entourant ce dernier, qu’on peut qualifier d’adventices et qui n’est pas consommée par l’élevage ou fauchée par l’agriculture. Dans cette condition où le bunker est implanté de part et d’autre de la Marque, l’acquisition du parcellaire s’est faite de manière volontaire. Alors que dans d’autre situation comme celle du bunker « B314 - Gruson sud », il s’implante au carrefour de la voie ferrée et de la Marque, sur un parcellaire datant de sa construction. Cette forme de parcellaire vient désorganiser la trame de la vallée formant un espace délaissé, caractérisé par un végétal envahissant et une topographie dévalorisée. On remarque de nombreux bunkers le long de la Marque. Beaucoup sont perçus comme une verrue autour de laquelle vient se composer un niveau de terrain chaotique. Cette topographie est-elle issue d’un effet de dissimulation stratégique militaire ou alors comme un moyen de masquer un élément dérangeant pour la société ? Cette question nécessite un travail d’investigation de grande envergure. Cette réflexion étant relativement vaste elle ne pourra pas être traitée dans le cadre de ce mémoire, mais mériterait son propre travail de recherche.

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Photographie 7 : B320 - CAMPHIN

Gruson

Bourghelles

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II.A.2 La plaine de Bouvines

Le second principe est une plaine mesurant 1400 hectares de zone agricole, où s’implantent de

nombreuses villes et villages. Cette plaine est utilisée par les riverains qui peuvent courir ou faire du vélo à travers les nombreux chemins agricoles empruntés par les tracteurs entre les champs. Ce lieu qu’on appelle communément les « pavés de l’arbre » est emblématique du Paris-Roubaix. C’est l’une des dernières étapes difficiles pour les cyclistes de cette course renommée. Cette terre de craie est une zone agricole riche pour la production, c’est d’ailleurs l’unique fonction qu’on y trouve, sous la forme d’une culture plutôt intensive.

On y retrouve jusqu’à une trentaine de bunker dans ce paysage plat situé entre deux infrastructures que sont l’A27 et la voie ferrée reliant Lille à la Belgique. Ce sont de petites structures de 2,2 mètre de hauteur sur une surface allant de 25 mètre carré en général jusqu’à 45 mètre carré pour les plus grands. Ce paysage est indissociable de ces petits objets posés comme des verrues que l’on distingue grâce à une variation dans les cultures. Le secteur fortifié de Lille est le seul lieu où la première ligne de front ne vient plus suivre la frontière, pour rejoindre au plus près la couronne de la Métropole Lilloise tout en rattrapant la structure de la vallée de la Marque. Décrit comme un pas d’âne entre Bourghelles et Gruson, c’est un grand vide à défendre coûte que coûte, tout en ayant conscience de la faiblesse de cette plaine dû à sa planitude comme l’histoire l’a démontré précédemment. La dissémination face au plat est l’une des stratégies militaires employée pour endiguer ce territoire de plaine agricole. Pour autant la dissémination n’est pas hasardeuse, elle forme un alignement avec au maximum une implantation de bunker tous les 400 mètres. On remarque 4 cellules récurrentes formées de 4 unités BEF type R3 pour artillerie, de forme hexagonal avec une entrée d’un côté et deux fines ouvertures de tires de l’autre comme le montre la première page de couverture. Chacun d’eux est orienté afin de se protéger mutuellement. Ce groupe est également composé d’un cinquième bunker : Blockhaus BEF pour canon antichar avec une portée de 800 mètres.

Photographie 8 : MOULIN de PERONNE Ouest et Est

S’il est vrai que ce paysage peut manquer de repères, on y retrouve cependant beaucoup de petits boisements, ou d’agro-foresteries sur de petites parcelles qui rythment l’horizon de cette plaine. Grâce à ces bunkers, agissant comme de petites structures dans le paysage, on peut s’orienter dans l’espace et en fonction de leurs orientations d’implantation, on peut savoir dans quelle direction se situe la Belgique.

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Photographie 9 : BABERMONT Nord

Photographie 10 : Secteur CHAPELLE AUX ARBRES

Photographie 11 : L’EPINE Nord-Ouest

Photographie 12 : MOULIN FOUTRY et PIERRE PLATE

Photographie 13 : PIERRE PLATE

Photographie 14 : MOULIN de PERONNE Ouest et Est

Photographie 16 : Plaine de Bouvines

Photographie 15 : Secteur CHAPELLE AUX ARBRES


Dans cette plaine, les blockhaus font partie intégrante du paysage, et soulignent son organisation de la

même manière que des boisements ou un arbre remarquable et isolé. En venant ponctuer l’espace, ils viennent composer le territoire en renvoyant à un historique local dans l’imaginaire collectif, tout en agissant comme un prolongement de la ligne Maginot. De ce fait, les bunkers créent des points d’appel dans le paysage et invitent à arpenter le territoire en les suivant comme une piste, sur les traces d’un passé que l’on tend à oublier, tout comme ce patrimoine laissé pour compte. Néanmoins, on peut supposer qu’en laissant ces blockhaus en l’état, cela permet d’ancrer ces vestiges dans le présent. Autrement dit, de par l’absence d’un entretien, il se peut que la reconquête par le végétale de cette résurgence, et le passage des intempéries, créent un lien avec le passé, et inscrivent le bunker dans une temporalité plus récente.

Le comportement des agriculteurs à l’égard des blockhaus est également intéressant à observer. En effet, sur les photographies ci-contre, on remarque qu’ils tendent à passer au plus près des structures. Cela induit une contrainte de trajectoire, obligeant l’agriculteur à éviter, dévier et contourner lors de ses manœuvres, en plus de l’obligation de les entretenir dans une moindre mesure. Cela vient du fait que la trame générée par la forme du bunker n’est pas celle des cultures, et donc que la mise en place du dispositif a été conçue non pas en suivent le sens du parcellaire, mais bel et bien en étant orienté vers le potentiel danger que représente la frontière.

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Bourghelles

Bachy

Le Chemin du Moulin

Bercu

Mouchin

Planard

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II.A.3 En zone ou en périphérie urbaine

Dans un troisième temps, on remarque que la plaine de Bouvines vient se raccorder à une voie historique

longeant la frontière. Le long de cette axe, de nombreux faubourgs se sont développés sous formes de ponctuations bordant la route comme Bourghelles, Bachy, Le Chemin du Moulin, Bercu, Mouchin et enfin Planard représentés sur la carte ci-contre. Ce paysage représente une seconde frontière dans le territoire, où le secteur fortifié de Lille s’est appuyé pour rejoindre le secteur de l’Escaut. Cette nouvelle frontière n’agit pas comme une limite physique avec des percées à défendre afin de stopper l’ennemie, mais consiste plutôt à une implantation de bunkers autour des villes et aux entrées de celles-ci dans le but de les protéger mais aussi de profiter de la dissimulation que l’horizon urbain offre dans le paysage. La stratégie présente en ce lieu est un cas particulier sur l’ensemble de la ligne Maginot. Elle consiste à réaliser un premier front dense composé de ces bunkers, puis une dissémination plus ponctuelle sur une surface plus large en arrière de la première ligne de front.

Dans l’épaisseur du front défensif de 4km ci-contre, l’agriculture est la fonction principale du territoire situé entre les villes. Cependant il existe des boisements denses pouvant être perçu comme une faiblesse dans le territoire, puisqu’ils s’apparentent à un filtre opaque dans l’horizon empêchant de voir l’ennemi arriver. C’est sans doute pour cela que l’on trouve de nombreux blockhaus à la lisière de ces espaces afin d’avoir un regard lointain sur les plaines.

Au fur et à mesure de l’extension urbaine, ces objets se sont inclus de manière totale ou partielle dans les villes, et se sont intégré ou non à l’urbanisme. Une réflexion serait intéressante à mener sur le processus d’absorption du bloc béton dans la ville. Cependant cette enquête ne constitue pas l’objet de ce mémoire.

Aujourd’hui sur ce territoire en mutation, il est difficile de voir les vis-à-vis entre les bunkers, car depuis leurs constructions, des zones pavillonnaires et des infrastructures se sont érigées entre le dispositif.

Photographie 17 : GRAND-SAINGHIN Ouest

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Photographie 18 : B307 - ROCH Ouest Photographie 22 : B307 - ROCH Ouest

Photographie 19 : QUATRE-CHEMINS Sud

Photographie 20 : B310 - PONT à TRESSIN

Photographie 24 : Les RECRUEILS

Photographie 21 : B330 - MOULIN MATHON depuis FOSSE TREHOIRE Sud

Photographie 23 : B310 - PONT à TRESSIN


Quelques exemples de situations de bunkers dans le paysage urbain :

Le bunker B307 - ROCH Ouest se situe à l’intersection d’une voirie et d’une voie de chemin de fer, et plus précisément aujourd’hui dans un espace privé ouvert visuellement. Implanté dans le prolongement de la maison par rapport à la rue, le bunker a lui aussi un avant et un arrière. Sur la photographie 18, la façade de celui-ci est recouverte de lierre délimitant un espace de parking. Alors que sur l’arrière visible sur la photographie 22, l’habitant a utilisé le bunker comme support pour y mettre un abris à bois, sans doute afin de dissimuler la façade. Sur le côté face au jardin, se situe l’entrée du bunker. Le seuil lui, est aménagé avec un auvent et quelques chaises. On peut supposer que le bunker est utilisé dans sa surface intérieur comme lieu de stockage. Dans ce cas-ci on utilise le bunker en son intérieur sans toutefois garder son apparence de bâti de guerre.

Le bunker B310 - PONT à Tressin, situé en pleins cœur d’un quartier pavillonnaire, est accessible par une allée de gravillon de 2,5 m de large1. Au bout, un portail vient fermer le parcellaire de celui-ci, enclavé entre deux maisons. Il est impossible de le voir de l’espace public. L’espace est également occupé comme lieu de stockage2 en tout genre, tuiles, tôles, tuyau en pvc, et grilles etc... tout laisse à penser que le terrain appartient à la commune.

Enfin la photographie 24 montre un cas tout particulier. On peut observer les conséquences dans l’espace lorsque deux fonctions se rencontres de part et d’autre d’un bunker. En effet, on remarque le jardin d’un logement mitoyen se délimitant par une petite clôture en panneau de 90 cm et agrémenté d’une charmille3. Cette limite vient prendre une partie du bunker dans le jardin. De l’autre côté, une pâture délimité par une clôture de barbelé vient prendre elle aussi une partie du bunker laissant un espace d’entre deux délaissé. Le bunker est d’autant plus remarquable, qu’il présente deux faces distinctes : l’une brute du côté pâturé et l’autre peinte en blanc donnant sur l’arrière de la maison. De plus, on constate que les propriétaires de la maison ont su s’approprier cette structure en y associant une seconde épaisseur de béton carrelé, qui a une fonction d’assise.

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Photographie 23 Photographie 20 Haie de Charmes

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Photographie 25 : B308 - PONT à TRESSIN Nord

Photographie 26 : B308 - PONT à TRESSIN Nord Photographie 27 : B308 - PONT à TRESSIN sud

Photographie 28 : B308 - PONT à TRESSIN sud

Photographie 29 : B308 - PONT à TRESSIN sud

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III. Représentation de ces bunkers dans le paysage

Depuis leurs constructions, les bunkers ont fortement évolué de même que le paysage dans lequel ils

s’implantent. Plusieurs raisons, outre le passage du temps et l’érosion subit par les conditions climatiques du pays, expliquent ces changements. L’action de l’Homme a également eu un impact non négligeable sur le devenir des bunkers. D’un côté on distingue un désir de conserver ce patrimoine de guerre, de l’autre, on observe une volonté d’effacer ce rappel funeste de ce qu’a été la grande guerre. De ce fait certains bunkers ont fait l’objet de camouflage en étant recouverts par du végétal ou de la terre. De plus, l’extension urbaine constitue un facteur d’évolution du blockhaus en tant qu’objet, dans le sens où les villes tendent à absorber les structures. L’objet de cette partie est d’analyser l’évolution du bunker dans le territoire du secteur fortifié de Lille jusqu’à aujourd’hui.

III.A. Évolution physique et morphologique

Sur les deux cas présentés ci-contre, on remarque différentes situations où le bunker a bien évolué depuis

sa construction. Cet héritage a mis beaucoup de temps à être oublié, et aujourd’hui on trouve ces structures enfouies, notamment dans les zones urbaines, alors qu’autrefois les structures étaient vues et approchées du grand public. L’action de remblais autour du bunker de la photographie 25 permet de masquer l’objet, afin de donner un nouvel usage à la parcelle que ce bunker occupe. On remarque encore sa présence grâce au sommet du talus, avec la présence du lierre, plante grimpante très friande et bio-indicateur du bunker. Sous l’effet des conditions climatiques, la peau des structures se sont dégradées le rendant plus poreux, permettant aux crampons du lierre de se faufiler dans les creux. Ces deux bunkers se regardent et se situent de part et d’autre d’une voie historique (D 941) reliant la ville de Tournai à la ville de Lille. Ils sont installés à la périphérie de la ville de Chéreng et Tressin, deux villes qui se touchent et séparées entre-elles par une structure hydrographique : La Marque. Les bunkers sont donc implantés comme point d’articulation à l’échelle du territoire, un point stratégique de passage. La situation aujourd’hui du bunker B308 - PONT à Tressin Sud ressemble à celle du B308 - PONT à Tressin Nord. On remarque deux côtés : un avant où le bunker est dissimulé par un talus engazonné (photographie 27) et un arrière dans l’ombre (photographie 28) où le bunker est caché aussi par un amas de lierre. Enfin on identifie un petit mur de soutènement valorisant le dessus du bunker de manière à maintenir la terre de remblais. 45


Photographie 30 : SAINGHIN Ouest 2 (BEF)

Photographie 31 : SAINGHIN Ouest 2 (BEF)

Photographie 32 : CHAPELLE AUX ARBRES 2 (BEF)

Photographie 33 : QUATRE-CHEMINS Sud (BEF)

Photographie 34 : BABERMONT Nord (BEF)

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Photographie 35 : BABERMONT Nord (BEF)


Dans un contexte un peu moins urbain, de nombreux bunkers ressemblent à la photographie 30 et 31.

L’homme a essayé tant bien que de mal à démanteler la partie supérieure du bunker, comme en témoigne le ferraillage tordu. C’est d’ailleurs ces tiges d’aciers émergentes du béton qui caractérise un bunker endommagé. Ici encore le statut et l’aspect du bunker renvoie à l’image de verrue, se plaçant dans un entre deux1, et générant un parcellaire chaotique autour de la structure. Cet espace aujourd’hui représente un débarras, recevant d’anciennes machines agricoles placées de manière hasardeuse ou encore du fumier de la part de l’agriculteur propriétaire. De plus, il voit ses sols être dégradés par les ornières des machines agricoles. Mais cette situation de délaissé permet l’apparition de nombreuses plantes adventices. Grâce à la désaffection du bunker, une biodiversité s’y est implantée, principalement de Lichen saxicole2 comme la Xanthoria parietina d’aspect jaune-orange vif et le Cetraria islandica, séchée et d’aspect bistre.

Il existe également d’autres facteurs dégradant le béton armé de ces bunkers depuis les années 1940. Comme il a été mentionné antérieurement, les conditions climatiques favorisent le vieillissement de ces structures notamment par effet d’érosion, de cristallisation saline, d’exposition répétée à des cycles gel-dégel, ou encore des phénomènes thermiques.

«Le bunker de la chapelle aux arbres 2» présente une détérioration de la couche superficielle du béton armé, passant d’une texture lisse formée par le moule de fabrication sur la partie supérieure, à une texture plus poreuse sur la partie inférieure. Pour les bunkers ayant encore leur structure originelle, la partie supérieure dégradée est investie le plus souvent par des lichens nommés précédemment, mais également par une plante appelée dent-de-lion (Taraxacum sp.) représentée sur la photographie 35. Plus rarement on observe des cas tout aussi remarquable, comme ce plant d’aubépine sur la photographie n°33 (l’espèce représenté semble être un Crataegus monogyna).

1 Entre les champs agricoles du fort de Sainghin et la voie rapide A23. 2 Espèce qui se développe sur des rochers granitiques et calcaires, ou des substrats équivalents : pierre, toit, brique. 47


Photographie 36 : FORT de SAINGHIN

Photographie 37 : FORT de SAINGHIN

wikimaginot.eu

Photographie 38 : FORT de SAINGHIN

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Photographie 39 : FORT de SAINGHIN


III.B. Modification de l’espace par le bunker

Le fort sur la photographie ci-contre fait partie d’un ensemble de 6 forts ceinturant la ville de Lille.

Ils se positionnent derrière la vallée de la Marque entre Lille et l’épaisseur du front de bunker MOM de la plaine de Lille. Placé sur un mont agricole, le fort a donné son nom à ce lieu. Même si en terme de morphologie, cet objet ne s’apparente pas à un bunker, il reste une structure utilisée sur la ligne Maginot, faisant partie d’une stratégie militaire. À première vue, on remarque un front végétal régulier et tramé au cœur de cette plaine agricole, qu’on peut définir comme antémotif (nous reviendrons ultérieurement ce terme) du fort qui s’y cache. Le boisement et le fort en son sein forment un espace privé et clôturé. Le boisement prend la forme d’une trame de peupleraie destinée à de l’agro-foresterie. Elle constitue première épaisseur située entre deux lignes de remparts protégeant le fort. Puis, une végétation plus libre fait office de seconde épaisseur, en se développant sur les remblais au dessus du fort. L’annexe 3 représente le fort de Sainghin aujourd’hui en vue aérienne et IGN, mais aussi la vue aérienne historique de 1950. Aujourd’hui la forme hexagonal du fort est valorisée par le boisement de peuplier, dissimulant le fort dans le territoire et le préservant d’une certaine manière. Dans le paysage, ce boisement n’est pas neutre. Il accentue le repère d’un mont surélevé à l’horizon et garde en mémoire de par sa forme, une topographie défensive de type glacis. Ce boisement est destiné à la production, et a été développé par l’homme pour rentabiliser ce sol, alors qu’en partie centrale, une végétation spontanée s’est implantée formant un paysage surprenant dans la relation que ces deux entités fabriquent avec le contexte agricole : une gradation de l’espace du plus ouvert au plus fermé et non anthropique.

À titre de comparaison, d’une manière plus subtile, les bunkers ont eux aussi ce même rapport au paysage. C’est un objet, certes fabriqué par l’homme, mais qui par son évolution et du fait de sa forme d’occupation du sol, a permis une colonisation spontanée par le végétale sur ses flanquements.

De nombreux bunkers sur des parcelles particulièrement grandes ont été réinvestis comme garde chasse. Étant situés dans des espaces dit «de nature sans présence de l’homme», une faune s’y développe pour y être chassé sans être soumise à une réglementation quelconque. En effet aujourd’hui selon l’endroit où est situé le bunker, les usages et les pratiques qui tournent autour celui-ci varie. 49


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III.C. Représentation de ces bunkers

On trouve aujourd’hui différents types de bunker dans le paysage. Ils prennent différentes formes et

aspects, et ont des fonctions différentes selon la superficie qu’ils proposent et le lieu de leur implantation. Mais que signifient-t-ils dans le paysage ?

Depuis le déclassement des casemates par l’armée en 1967, de nombreux ouvrages et terrains de la ligne Maginot tombent dans le domaine public et sont proposés aux enchères. C’est à partir de ce moment que l’objet architectural se défait de sa fonction primaire (fonction défensive), et revêt un nouvel usage qui induit une nouvelle nomenclature. Aujourd’hui, il arrive souvent de les appeler : Bunker, Casemate, Blockhaus. De manière moins répandue, on désigne ces structures en les qualifiant de vestiges, de traces, de ruines.

Mais que devient le bunker, quelle représentation a-t’il lorsqu’il est signifié en tant que vestiges, traces ou ruines ?

Après plusieurs recherches, le motif comme principe s’est révélé pertinent, en amenant avec lui un nouveau concept: celui de l’antémotif, qui s’est alors imposé en tant que terme.

Le mot antémotif est apparus dans l’article «Traces et vestiges comme antémotifs de paysage, outils de connaissance des lieux au service des projets» dans les carnets de paysages n°27. Laure-Agnès Bourdial et Joël Chatain, auteurs de cet article et de ce nouveau mot, sont paysagistes DPLG, diplômés en 1989 et 1991 de l’ENSP Versailles ; ils exercent dans la vallée de l’Ourcq (77) au sein de l’agence Pour la Terre. Laure-Agnès Bourdial est fascinée par le végétal et l’interaction qui existe avec l’homme ainsi que leurs utilisations possibles. De plus, la création d’un jardin au festival International de Chaumont-sur-Loire en 1997 lui a donné le goût des installations éphémères. Joël Chatain lui, est paysagiste-conseil dans le Brie. Il a publié « Jardins, paysage et patrimoine, nouvelles pratiques », aux éditions Rempart.

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Une borie de provence

http://www.vaucluse-camping.com/IMG/jpg/Borie_2.jpg

Trame des folies du parc de la Vilette

http://www.frac-centre.fr/collection/collection-art-architecture/index-des-auteurs/auteurs/projets-64.html?authID=192&ensembleID=599

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Tous deux ont élaboré « l’Atlas des Paysages » de Seine-et-Marne porté par le département et le

CAUE 77. Le cahier des charges demandait de réaliser un inventaire assez ouvert, sur les principaux motifs des différentes entités paysagères et leur articulation dans le paysage (parcs, château, arbres remarquables, bosquets, zone d’activités, puits à pétrole). Certains éléments identifiés comme ruines ou traces, plus ou moins prégnants ont présenté une valeur singulière ne devant pas se confondre avec la famille des motifs. C’est dans ce contexte que le mot antémotif apparait donc, dans le sens où il précède un motif. Autrement dit, « ils portent un potentiel qui peut réactiver celui qui est à leur origine ». Un antémotif est donc une trace ou une résurgence. Cependant dans quelles conditions peut-on dire d’un bunker qu’il est un vestige ? Cela dépend-il de son état de dégradation ? Doit-il être recouvert pas une épaisse couche de végétation ou un remblai de terre ?

Au préalable, il est nécessaire de définir ce qu’est un motif pour comprendre le sens d’antémotif. Selon le dictionnaire Larousse, le motif se définit comme «Dessin, ornement, le plus souvent répété, sur un support quelconque». En ce sens, la répétition semble être la caractéristique du motif.

Le philosophe français Gilbert Simondon affirme qu’il existe une politique de l’objet technique. En ce sens, le bunker, du fait de son caractère spécifique et militaire, fait partie de cette catégorie d’objets. Simondon en prenant l’exemple des antennes relais, montre qu’individuellement l’objet technique n’exprime rien, mais prend tout son sens lorsqu’il se voit multiplié. Du fait de la logique d’implantations, on peut parler d’une mise en réseau. Il en va de même avec les bunkers qui sont pensés comme un ensemble d’objets techniques répétés et mis en réseau à grande échelle via la ligne Maginot. À une plus petite échelle, les blockhaus conservent ce registre de réseau, en étant liés visuellement, ou tout du moins à l’origine. Pour autant, ils continuent de former une trame dans le territoire. Gilbert Simondon dira par ailleurs que « Le premier caractère des objets techniques au moment où ils se constituaient, c’est d’être une unité, d’être indivisible en quelque sorte, car c’était quelque part leur principal mérite, la bonne roue doit être une roue indivisible au point de départ »1. Ce principe exprimé est tout à fait applicable aux bunkers dans le sens où malgré leur individualité en tant qu’objet, ils sont indissociables les uns des autres.

1 D’après la vidéo Entretien sur la mécanologie (R1: Bobine 1 de 3), 1968, visible sur la plateforme Youtube

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On peut donc affirmer que le bunker est un motif du fait de sa répétition. En ce sens, on peut le

rapprocher des bories, de petits abris de Provence, dispersés dans le territoire à distances régulières pour permettre aux bergers de s’abriter en cas de nécessité, ou plus récent, aux Folies de Bernard Tschumi qui composent le parc de la Villette. Cependant les bunkers se distinguent par le fait qu’ils ne font pas l’objet d’un entretien, à la différence des Folies ou même des bories. Par des processus explicités antérieurement, ils sont donc abîmés.

Cela soulève un paradoxe car les bunkers prennent alors l’allure d’une marque, une trace laissée, soit d’un vestige. De ce fait, lorsque le végétal ou un remblai de terre vient recouvrir le bunker, ne pouvons-nous pas affirmer que ces éléments sont un antémotif du bunker ? En effet, comme nous l’avons vu précédemment le végétal peut devenir un moyen de déceler la présence d’un bloc béton. Par association, il devient signifiant du bunker donc son antémotif. Il en va de même pour les remblais de terre.

Dans cette logique, on peut appliquer la réflexion au paysage. En effet, si le végétal ou les terres de remblais sont au bunker ses antémotifs, qu’en est-il du bunker pour le paysage ? Le bunker, on le sait, s’implante à la fois en fonction des dispositions des villes à défendre, mais aussi par rapport au paysage existant en venant tirer parti des éléments pouvant être une aide à la défense. L’exemple des blockhaus le long de la Marque est parlant: les structures viennent appuyer un paysage existant, en signifiant la linéarité du cours d’eau tout en le ponctuant, le rythmant régulièrement. De plus elles permettent de souligner les carrefours d’infrastructures, la topographie de la vallée etc...

De la même manière sur la plaine de Lille, du fait de l’étendue et de la planéité du territoire, les bunkers viennent prendre possession du lieu, et de par leur ancrage, exercent un contrôle et maîtrisent le terrain. De ce fait on peut supposer que la prise en compte du paysage et la manière de s’implanter des bunkers sur des nœuds et des points très précis, relèvent du principe de l’antémotif. Paradoxalement, le bunker serait alors à la fois un motif du fait de sa multiplicité et de sa répétition, mais également un antémotif du paysage du secteur fortifié Lillois.


Conclusion Les bunkers font partie du patrimoine des Hauts-de Frances, au même titre que les terrils ou les houblonnières.

Aujourd’hui, après une première observation, la perception qu’on a des blockhaus tend à les exclure de la ligne Maginot. En effet, cette dernière se compose sur tout le reste de son ensemble, de bunkers connectés et reliés entre eux par un vaste réseau de tunnels souterrains. Or dans le contexte du secteur fortifié Lillois, les bunkers en tant qu’édicules ou famille d’objets semblent flotter dans l’espace. Suite à ce constat, l’objet de la réflexion a consisté à comprendre grâce à un travail de recherche, ce qu’a été l’intention de ces objets techniques dans le paysage.

Dans un premier temps, nous avons analysé le paysage de ce qu’on appelle le secteur fortifié Lillois. Il est apparu qu’il se caractérise par une rupture géographique forte, entre le relief des Flandres singularisé par sa crête unique, et le paysage de plaine étendue Lillois, que l’on appelle communément le «plat-pays». Ce contexte topographique et géographique a désigné le Nord de la France comme une porte d’entrée à grande échelle, donnant lieu à un carrefour d’invasion sans précédent. C’est d’ailleurs dans cette région de la France que l’on trouve le plus de fortifications, et à Lille, que fût érigée la première Citadelle pensée par Vauban.

Ce contexte singulier associé à une disposition de villes frontalières, a été le moteur de plusieurs typologies d’implantations du bunker. On en distingue trois principaux dans le secteur: le long de la vallée de la Marque, dans la plaine de Bouvines et enfin en zone urbaine, résultat d’une absorption des bunkers dans un tissu urbain en extension.

Avec le temps, les blockhaus ont subi des transformations, tant dans leur morphologie que dans la perception qu’on peut en avoir dans le paysage. En effet, suite au passage du temps et à l’abandon brutal résultant de la fin de la guerre en 1945, les bunkers ont dû attendre près de trois décennies avant de voir leur statut modifié et se faire racheter par des particuliers, ou par les communes. Tantôt approprié, tantôt camouflé, le bunker s’est réinventé en étant investi par de nouveaux usages, ce qui a conduit à un changement de nomenclature. En effet, alors qu’il s’apparentait à un motif, il devient l’antémotif du paysage sur lequel il s’implante. 56


Au final, les bunkers du secteur fortifié de Lille se résumaient auparavant à une architecture posée sur le socle du paysage. Aujourd’hui l’objet lui-même devient un socle, subissant les effets d’une reconquête par le végétal. À ce titre, on peut affirmer que les bunkers se développent et évoluent dans le temps, tout comme le paysage qu’ils habitent et composent.

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Sources documentaires, archives, iconographie

Archives du musée et de l’école du génie militaire, 134 Rue Eblé, 49000 Angers

CAUE du nord, Blockhaus de la Courte dans la vallée de la Marque, Bouvines, (en ligne)

www.caue-nord.com/fr/portail/41/observatoire/26916/blockhaus-de-la-courte-dans-la-vallee-de-la-marquebouvines-59.html consulté le 23 décembre 2017

CAUE du Nord, Le carnet de territoire - Pays Lillois - Version numérisé Août 2016 consulté

le 23 décembre 2017

LAMBERT Pascal, Wikimaginot, (en ligne), https://wikimaginot.eu, consulté le 7 octobre

Lieutenant-Colonel Guillot, la fortification permanente jusqu’à la deuxième guerre mondiale,

2017

école supérieure technique du génie, 1949

Mairie de Bouvines, La plaine de Bouvines-Cysoing, (en ligne), http://www.lesamisdebou-

vines.com/la-plaine-de-bouvines-cysoing/ , consulté le 2 décembre 2017

Musée du Génie militaire à Angers, 106 Rue Eblé, 49000 Angers

Olivier Liardet, ingénieur de recherche à la DRAC

Service historique de la Défense, avenue de Paris, 94306 Vincennes

SIMONDON, Gilbert, Entretien de la mécanologie, 1968, (en ligne) https://youtu.be/VLk-

jI8U5PoQ consulté le 5 janvier 2018

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Orientation bibliographique

• LACOSTE Yves, la géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre, édition La Découverte, 2012

Dans cette ouvrage, l’auteur critique la géographie enseignée dans le système scolaire. Il développe une géographie plus utile, présente depuis plusieurs siècles : la géographie des états-majors qui étudie l’espace dans un but stratégique.

• ROLF Rudi, Atlantikwall Batteries and Bunkers, édition Prak publishing, middelburg, 2014

Ce livre fait l’inventaire de la majeure partie des bunkers du mur de l’atlantique. L’auteur présente ces éléments en photos couleurs, en plans et en coupes.

• TASSOT-RINDER Rachel, « La ligne Maginot », Les cahiers de l’école de Blois, n°15, juin, 2017

Cet article présente un projet dans le but de reconnecter un territoire fragmenté par une liaison piétonne et visuelle des traces de la ligne Maginot.

• VIRILIO Paul, Bunker Archéologie, les éditions du demi-cercle, Paris, 1991

L’auteur développe dans cet ouvrage les bunkers du mur de l’atlantique dans leur architecture. Son regard porte sur l’architecture de ces objets.

• WAHL Jean-Bernard, Il était une fois la ligne Maginot : Nord, Lorraine, Alsace : historique et guide

de la célèbre ligne fortifiée, édition J. Do. Bentzinger, 1999 Petit livre archivé sur Gallica qui expose les fortifications de la ligne Maginot.

• Ouvrage collectif, Fortifications histoire mondiale de l’architecture militaire, éditions atlas, 1983

Ce livre présente l’évolution des fortifications dans le monde en fonction des époques.

• BOURDIAL Laure-Agnès et CHATAIN JOËL, « Traces et vestiges comme antémotifs de paysage,

oui de connaissance des lieux au service des projets » Les carnets du paysage n°27, archéologies, P147 coédition Actes Sud Nature et l’Ecole nationale supérieure du paysage, 4 mars 2015

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Annexes Cartes du territoire

Photographies

Plans bunker

Musée du Génie

Archives départementale du Nord

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Les bunkers de la première guerre mondiale (1914-1918) Majoritairement enterré, faisant place à la «guerre de position»

1914 - 1918

https://commons.wikimedia.org/

Originaire du blockhaus par les anglais au XIVe siècle, le blockhaus était une maison forte construit généralement avec des bois empilés, à la manière des cabanes de rondins.

Le Bunker

Luc Dujardin 2006 - Aviation & photographie

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1939 - 1940

Retour de la neutralité de la Belgique le 14 octobre 1936

1928 - 1940

Construction de la ligne Maginot

http://www.lignemaginot.com/

1938 - 1940

https://bergersdespierres-moselle.fr/

Construction de la ligne Siegfried

http://www.republicain-lorrain.fr/

Google Earth, Wikimaginot

Construction du secteur fortifié de Lille de la ligne Maginot

1942 - 1944

https://fr.wikipedia.org/

Déclassement des fortifications des bunker de la ligne Maginot, le domaine public en est propriétaire. Première mise au enchère

Construction du mur de l’atlantique


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Annexe 1

Carte de Cassini du secteur fortifié de Lille

La plaine de Bouvines

Géoportail

La vallée de la Marque

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Annexe 2 Châtellenie de Lille

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http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b77106265/f1


Annexe 3 Vue aérienne et carte IGN du fort de Sainghin

Géoportail

Vue aérienne historique de 1950

Géoportail

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Annexe 4

Bunker dissimulĂŠ et rĂŠamĂŠnager en poste de chasse

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Photographies personnelles


Bunker le long de la vallée de la Marque

Bunker sur terrain agricole, zone de dépôt

Bunker dans un jardin particulier

Espace non cultivé

Photographies personnelles

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Bunker en relation

Matérialités

A la croisé des chemins 70

Une nouvelle épaisseur

Matérialités

Colossal Photographies personnelles


Electrocardiographe

Dissémination

Connexion

Piège

Construction et matérialité

Abris

Bunker cheveulu

Abris

Photographies personnelles

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Photographies personnelles


Annexe 5

Moule de la structure monolyte

Ventes aux enchères de bunker

https://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2015/04/04/je-m-offrirai-un-blockhaus-de-la-lignemaginot-aux-encheres

WAHL Jean-Bernard, Il était une fois la ligne Maginot : Nord, Lorraine, Alsace : historique et guide de la célèbre ligne fortifiée, édition J. Do. Bentzinger, 1999 p38.

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Wikimaginot.eu


Annexe 6

Musée du Génie militaire à Angers, exposition permanente

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Annexe 7

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Archives dĂŠpartementale du Nord, 66 J


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Dans la région des Hauts-de France se trouve un territoire, la plaine de Lille, lieu dont je suis originaire. Depuis l’âge de mes 7 ans, je parcours cet espace plane et vaste composé de nombreuses structures en monolithe inscrivent dans nos moeurs : les bunkers. Le secteur fortifié de Lille représente un segment tout particulier de la Ligne Maginot qui se compose d’un grand nombre de petite structure disséminé dans le paysage. La plaine de Lille est une rupture géographique et historique dans la continuité de la Ligne Maginot qui posent de nombreuses questions. Cet écrit porte sur l’implantation de ces ruines dans ce territoire tout particulier, mais aussi sur l’inscription la plus fine jusqu’à la plus large échelle de ce paysage. Une déambulation à travers ce paysage, sur les traces de ces vestiges comme « antémotifs ». « L’antémotif est la manifestation dans le paysage d’un peuplement végétal issu de la modification d’un milieu, le plus souvent de manière anthropique. Il est ici proposé comme un germe de projet donnant libre cours à toutes les interprétations possible : « L’antémotif est proche du vestige (…) Il porte en lui la valeur d’un motif paysager, d’un futur motif reconnu pouvant engager un projet de mise en valeur, (…) engendrer un renouveau paysager ou une réinvention… Après le Jardin en mouvement, un champ nouveau s’ouvre aux paysagistes et au paysage ? »

In the region of « Hauts-de-France » is a territory, the plain of Lille, where I come from. Since the age of my 7 years, I walk this flat and vast space composed of many structures in monoliths inscribe in our mores: the bunkers. The fortified area of Lille ​​ represents a very particular segment of the Maginot Line which consists of a large number of small structures scattered throughout the landscape. The plain of Lille is a geographical and historical break in the continuity of the Maginot Line which raises many questions. This writing focuses on the location of these ruins in this particular territory, but also on the finest inscription to the largest scale of this landscape. A stroll through this landscape, in the footsteps of these remains as «antemotifs». «The antemotif is the manifestation in the landscape of a plant stand resulting from the modification of an environment, most often in an anthropic way. It is proposed here as a germ of project giving free rein to all possible interpretations : « The antemotif is close to the vestige (...) It carries in it the value of a landscape motive, of a future recognized motive which can engage a project of enhancement, (...) to engender a landscape renewal or a reinvention ... After the Garden in movement, a new field opens to the landscapers and the landscape ? »

Mots clefs : bunkers, paysage, ligne Maginot, inscription, vestige.

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