Sur les sentiers de la création

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SUR LES SENTIERS DE LA CRÉATION Bruno Pariset - Industrial designer Mémoire 2014 - Strate



“ L’âme humaine puise sa substance dans les expériences inédites ” Chris McCandless


AIRE SOMM B R U N O P A R I S E T A

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SUJET LA PÉRÉNNITÉ

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SUR LES SENTIERS DE LA CRÉATION

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L A Q U Ê T E D E L’ E X I S T E N C E

A- La prise de conscience des sociétés primitives B- Le mythe des origines: la cosmogonie C- Organisation spatio-temporelles

U N R E T O U R A UX VALE UR S P R IMITIVE S A- L’éternel retour nietzschéen B- Une recherche de « valeurs nouvelles » C- Les systèmes cycliques dans la production

U N F U T U R À L A ME SUR E D E L’HO MME A- Le chaos moderne B- Le temps cyclique et ses paradoxes C- Le cycle archétypique, un concept « abolu »


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À L’AUB E DE L’EXIST ENC E, L A V I E

u commencement primordial de la vie, l’eau et la roche sont les seuls matières composant notre planète. Le soleil, source inépuisable d’énergie, lui dispense chaleur et lumière, et régénère, par son attraction, sa révolution. Ces singularités vont, au bout de centaines de milliers d’années, être à l’origine de la vie. Ces premiers terriens (des bactéries unicellulaires) vont, par mécanismes de photosynthèse, créer une atmosphère susceptible d’accueillir d’autres organismes, plus complexes. Dès lors, la biodiversité prend son essor et les formes de vie explosent. Des réseaux d’organismes, de plantes et d’animaux vont proliférer et se diversifier sur toute la surface du globe, créant une multitude d’écosystèmes complexes et variés. En outre, ce modèle du vivant a prouvé, qu’il faisait preuve d’une résistance incroyable : depuis sa première apparition il n’a cessé de se mouvoir sans jamais expirer, même à l’encontre des crises géologiques: « face au vide, la nature résiste »1.

Aujourd’hui, la Terre doit faire face à de nouveaux déséquilibres écologiques. À l’instar des crises naturelles majeures, ils semblent que cette fois-ci la faute incombe à l’une des espèces qu’elle a vu naître, l’être humain. En effet, nos activités réchauffent le climat planétaire d’une ampleur aussi importante que les grands cycles naturels. De sorte que nous entamons la sixième extinction massive de la biodiversité. Pour Frank Fenner et d’autres scientifiques reconnus comme Paul Crutzen, prix Nobel de chimie, la Terre est à l’aube dans une nouvelle époque géologique, l’Anthropocène, depuis 1800 avec la révolution industrielle et l’exploitation massive des combustibles fossiles. Cette nouvelle ère succéderait à l’Holocène débuté il y a dix mille ans. Une espèce vivante disparaît toutes les vingt minutes. Cette décroissance est sans doute plus rapide encore que celle qui a conduit, il y a 65 millions d’années, à l’extinction des dinosaures. Et gardons bien à l’esprit 1  William McDonough/ Michael Braungart, Cradle to Cradle, Alternative, 2011, p156


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que, malgré l’étonnante coriacité de la nature, à l’échelle d’une espèce, la crise peut être fatale. Ainsi les déséquilibres planétaires menacent aussi la survie de l’Humanité.

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Depuis l’essor des nouvelles technologies, on entend de plus en plus parler de projets visant à coloniser d’autres planètes. L’être humain est, de par sa nature, une créature curieuse et exploratrice. Il est donc normal que la perspective de franchir une nouvelle frontière exerce sur lui un pouvoir d’attraction considérable. Mais cette idée trahi aussi son espoir de trouver un moyen de se sauver le jour où il aura dévasté ses écosystèmes. Cependant, l’être humain est « né » sur Terre, son organisme a évolué de concert avec l’atmosphère, les nutriments et les cycles naturels de cette matrice. Il est ainsi intrinsèquement lié à elle et n’est donc pas fait pour supporter les conditions d’une possible autre exo-planète propice à la vie, ou alors sur des milliers d’années d’adaptions. Il se pourrait même qu’il détruise l’équilibre déjà en place. L’exemple des colons d’Amériques est révélateur : lorsque les Européens ont accostés sur les rivages du Nouveau Monde, ils ont apportés avec eux des bactéries et des virus auxquelles les autochtones n’avaient jamais été exposés. Contrairement aux colons, ils ne possédaient aucune immunité naturelle et, par conséquent, une majeure partie d’entre eux ont succombé à des maladies comme la petite vérole et la tuberculose. Toute espèce a une durée de vie limitée de l’ordre de 5 à 10 millions d’années. Or les premiers représentants du genre Homo seraient apparus il y a approximativement 2,4 millions d’années ; nous plaçant, à l’échelle d’une espèce, à peine à la moitié de notre vie. Malheureusement, en seulement quelques siècles, l’homme a profondément transformé son espace pour améliorer ses conditions de vie. Cette pression des activités humaines a rompu les grands équilibres naturels de la Terre. Il est donc nécessaire que les civilisations actuelles cessent de penser à court terme et prennent des mesures dans le but de garantir prospérité des générations futures et de pérenniser les espèces. Les Aborigènes, un des derniers grands peuples « primitifs », nous ont montré qu’ils


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pouvaient survivre pendant 40 000 à 50 000 ans. Notre mode de vie sera loin d’en dire autant sachant que dans moins de quarante ans nous auront consommés la majeur partie de nos ressources. Il serait donc intéressant de se pencher sur les différentes méthodes qui ont permis aux civilisations anciennes de prospérer pendant des millénaires, sans porter préjudice à leurs environnements.

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voir si cette caractéristique est applicable dans un domaine réel.

La « longévité éternelle » n’est d’ailleurs pas exclusivement réservée aux mythes. L’immortalité biologique existe bel et bien. Elle a dans un premier temps été décrite sur des cellules cancéreuses exempte de vieillissements. En bloquant leurs mécanismes d’apoptose (mort cellulaire naturelle), Pour agrémenter leurs elles provoquent l’arrêt de C O M M E N T mythes, ces sociétés ont inleur sénescence. Et il semP U I S J E ventés, toute une faune d’aniblerait qu’un organisme I N T E R R O G E R maux fabuleux capables de vivant complexe (une mévivre éternellement, comme L’ E F F I C A C I T É duse) ait réussi à inverser l’oiseau légendaire appelé D E S C Y C L E S son cycle de vie indéfiphœnix. Mais son « don » niment. Cependant, elle DANS UN est singulier : sa longén’est pas immortelle au SYSTÈME vité est caractérisée par sens strict : elle n’est ni inDURABLE? son pouvoir de renaître, destructible, ni exempte après s’être consumé sous l’effet de sa de maladies, de prédations ou d’accipropre chaleur. Il doit donc irrémédiadents. blement passer par toutes les étapes En étendant notre échelle à celle du du cycle de vie, sa mort comprise, cosmos, on constate que les astres, pour vivre éternellement. Ce cycle références primordial de longévité, de création et de destruction comme semblent évoluer de manière relativemodèle de pérennité peut être attirant ment périodique. Ce système apparaît dans la mesure où il s’appliquerait à un claîrement comme le modèle idéale de système clos et autonome. Il restera à toutes structures pérennes.


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Depuis qu’il a un cerveau suffisamment développé, l’homme n’a eu de cesse de contempler et de concevoir des modèles cycliques. Nous chercherons d’abord à comprendre quelles ont été les raisons qui ont poussé l’ancestral à adopter ces procédés. Nous observerons comment il les a exprimé et quels ont été les bénéfices qu’il en a tirés.

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Nous constaterons ensuite que, bien que le moderne ait balayé ces systèmes, les jugeant trop archaïques, le contemporain, en quête de valeurs nouvelles, tente de rétablir des liens avec ses origines. Nous prouverons que cette volonté de retour aux sources ne s’opère pas toujours de manière consciente, mais qu’elle est bel et bien ancrée dans les sociétés actuelles ; et tendrait même à s’immiscer dans nos modèles de production. Nous établirons finalement que cet héritage, idéal à l’époque « primitive », ne fonctionnera pas sur notre structure. Aujourd’hui nos enjeux n’étant plus les mêmes, il sera nécessaire de l’adapter.

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L’EXISTENCE

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LA QUÊTE DE L’EXISTENCE

LA PRISE DE CONSCIENCE DES SOCIÉTÉS PRIMITIVES L’éveil de la conscience: la néolithisation Une naissance sous la lumière des astres La révolution des symboles LE MYTHE DES ORIGINES : LA COSMOGONIE Le mythe fondateur Les différents types de cosmogonie L’apocalypse mythique LES ORGANISATIONS SPATIO-TEMPORELLES Le cercle, la barrière ontologique L’espace et ses limites Les modèles Divins des rituels


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A-LA PRISE DE CO NSCIENCE D ES S O C I ÉT ÉS PRI M I T I V ES a chasse, la pêche et la cueillette sont les premiers modes de subsistance de l’espèce humaine. Chacune d’elles consiste en un prélèvement de ressources directement dans la nature. Les sociétés paléolithiques ont toutes été composées de chasseurs‑cueilleurs, car à cette période l’homme ne s’était pas encore « détaché » du reste du vivant.

L’éveil de la conscience: la néolithisation L’archéologue Jean Guilaine explique que la sédentarisation des chasseurs est la première manifestation contrôlable de la révolution néolithique (-9000 à -3000). Qu’elle implique au départ un choix culturel, décisionnel qui est d’abord un choix de société : « se fixer à demeure, dans une maison ou la localité inscrite dans une certaine durée, dans un environnement favorable permettant cette fixation en toutes saisons »1. Prenons l’exemple des Natoufiens, l’une des plus anciennes civilisations sédentaires. L’analyse de pollens indique qu’ils récoltaient le blé et l’orge sauvages, et savaient les stocker pour la mauvaise saison. De cette collecte organisée, ils passent progressivement, vers -9000 an, à une véritable agriculture. Jusqu’alors spectateurs des cycles naturels de reproduction du monde du vivant, les natoufiens s’autorisent à y intervenir en tant que producteurs actifs et finissent peu à peu par domestiquer des moutons, des chèvres, des porcs et des bœufs. Pour se développer, ces nouveaux phénomènes de sociétés ont nécessités la construction d’enclos, de maisons et la création de nouveaux outils comme les haches en pierre polie (d’où le mot néolithique), les faucilles à lame de silex, et les meules pour broyer les grains. Dès lors que les peuples sont devenus maîtres de leur destin en pratiquant l’agriculture et l’élevage, leurs modes de pensée et leurs représentations du monde ont été bouleversés; c’est la prise de conscience de l’homme 1  Les cahiers science et vie, L’origine des civilisations, N°145, mai 2014, p22


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sur son « être ». « Les chasseurs-cueilleurs se pensaient comme une espèce animale parmi d’autres. Au néolithique, l’homme se « dénature » pour se penser comme distinct du reste du vivant»2 explique le professeur Jean Paul Demoule. Prenant conscience de son existence, l’homme archaïque cherche à comprendre ce qui l’entoure. Il va, par exemple réussir à décompter le temps en observant le soleil et les astres, établissant ainsi des calendriers agricoles afin de prévoir les phénomènes saisonniers. Le jour est associé à la venue du soleil, le mois aux phases de la Lune ; et lorsque le soleil se lève à nouveau au même point à l’horizon une année s’est écoulée. Il existe des traces de ces observations avec l’utilisation du gnomon, l’ancêtre du cadran solaire : ce peut être une simple baguette plantée en terre, un arbre ou même une montagne.

Une naissance sous la lumière des astres

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Le thème du soleil n’apparaît dans l’art préhistorique qu’au Néolithique. L’orientation des grottes et des monuments préhistoriques est un autre indice d’un intérêt pour les cycles du Soleil et de la Lune. Au début des années 2000, la paléoastronome Chantal Jègues- Wolkiewiez remarque que, le soir du solstice d’été, le soleil couchant pénètre au fond de la grotte de Lascaux. Elle affirme que ce lieu a été choisi en fonction d’un éclairement cyclique et prévisible des peintures, mettant en scène un temps annuel sacralisé. « J’ai dirigé ma réflexion vers les rites en relation avec les cycles annuels et la vie quotidienne de l’homme »3. Pour elle, l’homme de Cro-Magnon associe l’inversion du mouvement du Soleil sur les points extrêmes de sa course à la bascule des rapports jour-nuit, sec-humide, chaud-froid et aux mouvements cycliques de sa propre vie. « J’en ai eu la confirmation en mesurant l’orientation de 150 grottes ornées. Dans tous les cas, elle était en relation avec les levers et les couchers de Soleil aux solstices, et, dans une

2  Les cahiers science et vie, L’origine des civilisations, N°145, mai 2014, p22 3  Les cahiers science et vie, Astronomie quand l’homme invente l’Univers, N°129, mai 2012, p25


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moindre mesure, aux équinoxes »4. L’étude des fresques de la grotte de Lascaux a permis de comprendre que les peintres du Paléolithique auraient non seulement repéré des points astronomiques correspondant aux seuils saisonniers, mais ils en auraient tenu compte pour pratiquer leur art : « ils choisissaient leurs sanctuaires afin que la lumière solsticiale, symbole de la fin de l’hiver et du retour des beaux jours, sacralise leurs peintures »3. L’ethnologie comparative offre aujourd’hui un moyen d’évaluer la plausibilité des hypothèses sur les pratiques astronomiques préhistoriques. Les sociétés nomades, Inuits, Bochimans … optimisent l’exploitation des ressources de leur environnement par un parcours cyclique annuel. Par ailleurs, les travaux des ethnologues montrent, que chez les chasseurs-cueilleurs modernes, l’émergence de pratiques culturelles complexes va de pair avec la surveillance des cycles du Soleil et de la Lune. « Je m’appuie sur ces recherches pour explorer les questions du temps et de sa comptabilité, des calendriers, de la surveillance des solstices, etc., chez les groupes de chasseurs-cueilleurs complexes »5, explique l’archéologue Susanne Villeneuve. Chez les populations modernes de chasseurs-cueilleurs, des systèmes de prédiction sophistiqués des phénomènes astraux sont observés.

4  Les cahiers science et vie, Astronomie quand l’homme invente l’Univers, N°129, mai 2012, p26 5  Les cahiers science et vie, Astronomie quand l’homme invente l’Univers, N°129, mai 2012, p25


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La révolution des symboles

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On peut aussi constater que les cycles naturels sont au cœur des religions antiques. Ce n’est pas un hasard si l’émergence de la production de subsistance coïncide avec la naissance de divinités. Désormais engagé dans un autre rapport au monde, les peuples transposent dans leur croyance les références habituelles à l’agriculture. « Ainsi, le cycle de l’éternel retour est transposé du règne végétal au règne animal, la mort d’un animal étant la condition de la vie des autres »6, explique l’académicienne Véronique Schiltz. C’est comme si la « religion » avait d’abord développé une sorte de « logique transcendantale » s’appliquant ensuite au réel. Ce bouleversement cognitif est perceptible à travers l’art et les rites de chacune des civilisations primitives. C’est l’aspect fondamental de la « révolution des symboles ». D’après le philosophe allemand Ernst Cassirer, ce système de représentations n’avait rien à voir avec une pensée conceptuelle et discursive, mais se référait à une intelligibilité de caractère immédiat et intuitif, pour pouvoir régler certains comportements humains fondamentaux. L’humanisation de l’art est le changement le plus spectaculaire de l’époque Khiamienne (10 000- 9 500 av. J.C.), car avant le « stade néolithique » l’art pariétal n’était composé que de représentations animales. Ce n’est donc pas anodin si la première déesse a pris la forme d’une femme. Cependant cette divinité de la fertilité est souvent accompagnée par un cortège de fauves et de rapaces, des animaux dangereux pour l’homme. Les espèces familières et pacifiquement contrôlées en sont exclues. La souffrance et mort figurent ainsi parmi les attributs de cette Mère Universelle. « En tant que divinité, elle est placée sur un plan transcendant où naissance et mort se rejoignent, où craintes et conflits se résolvent, où le fauve complice devient un siège, où le croc qui déchire et le bec du rapace sont un autre aspect, plus caché du sein nourricier, comme si la souffrance, d’un

6  Les cahiers science et vie, L’invention du temps, N°134, Janvier 2013, p19


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certain point de vue, irriguait paradoxalement la vie»7 raconte le préhistorien Jacques Cauvin. Ce qui nous prouve encore une fois que l’homme se reconnaît désormais dans tout ce qui l’entoure puisqu’un « principe unificateur personnifié réconcilie au niveau de leur genèse symbolique l’homme empirique et la nature qu’il affronte»8. Si, aujourd’hui, la religion peut représenter une « aliénation » de l’homme, qualifié même « d’opium du peuple et de soupir de la créature accablée de malheur »9 par Karl Marx, appliquer ce modèle à la préhistoire reviendrait à prendre l’effet pour la cause. Cauvin explique que le sentiment de misère apparue au Néolithique et qui accompagne la pensée religieuse semble avoir manifesté les nouvelles structures mentales plutôt qu’il ne les a engendrées. L’ « aliénation » a réorganisé le champ cognitif et l’a à la fois éclairé et rendu efficace, en suscitant un surcroît d’influence sur la réalité extérieure et en développant les capacités humaines d’organisation de l’environnement et de la société. De ce changement est née la volonté de briser les anciens équilibres. Et comme l’énonce Edgar Morin « de ces bouillons de culture naissent et se bousculent les inventions » ; Albert Einstein affirme même que l’invention elle-même est assimilable à l’ « état mystique ». Au néolithique, l’homme a intensifié ses créations sous diverses formes. La religion s’est à la fois nourrie et a servi de catalyseur à son imaginaire. Or il est important de noter que, pour l’homme archaïque, toutes les sortes de créations obéissent à un modèle qu’on appelle le mythe cosmogonique, le mythe des origines.

7  Jacques Cauvin, Naissance des divinités, naissance de l’agriculture, CNRS éditions, 1994, p104 8  Jacques Cauvin, Naissance des divinités, naissance de l’agriculture, CNRS éditions, 1994, p105 9  Karl Marx, Critique de «La philosophie du droit» de Hegel, Entremonde, 2010, p4


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Les architectures du monde

Illustration d’article, 1930

1- une des plus anciennes conception de la Terre. 2- vision des grecques qui voyaint la planète comme une immense plateforme 3- Les indous pensaient que la terre était né sur le dos d’une tortue et supporté par quatre éléphants.

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B-LE MYTHE DES O RIGINES : L A COSMO GO NI E

e terme « mythe » est généralement employé pour désigner une croyance. Il peut cependant se rapporter à des éléments concrets exprimés de manière symbolique et partagées par un nombre significatif de personnes. C’est un récit qui se veut avant tout explicatif et fondateur d’une pratique sociale. Il traite toujours des questions qui se posent dans les sociétés.

Le mythe fondateur La pensée contemporaine admet que le symbolisme de la mythologie possède une signification psychologique. L’historien Mircea Eliade explique que « si on se donne la peine de pénétrer la signification authentique d’un mythe ou d’un symbole archaïque, on est obligé de constater que cette signification révèle la prise de conscience d’une certaine situation dans le cosmos et qu’elle implique par conséquent, une position métaphysique »10. Bien que les mots comme « être », « non-être », « devenir », « illusoire », ou encore « réel », « irréel » ne figurent dans aucun langage des sociétés anciennes ce concept abstrait nous est révélé au travers de mythes ou de symboles. Le point commun qu’on peut percevoir à travers chacun des mythes est qu’ils racontent comment quelque chose est venu à l’existence : le monde, l’homme, telle espèce animale, telle espèce végétale, ou telle institution sociale. Le mythe de la création du monde, sert de modèle à tous les mythes d’origine. Et même dans les cas, comme en Australie, où il n’existe pas ce type de mythe, il y a toujours un mythe central qui raconte l’origine du monde, expliquant ainsi ce qui s’est passé avant qu’il ne prenne la forme de celui que nous connaissons. En effet, la création des plantes, des ani-

10  Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969, p14


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maux ou de l’homme présuppose l’existence d’un monde. Dans chacune des civilisations, on trouve une histoire « primordiale », et le commencement de cette histoire s’appelle le mythe cosmogonique, le mythe présentant le premier état germinal du monde.

Les différents types de cosmogonie Il existe de nombreux thèmes et variantes cosmogoniques que l’on peut classifier en quatre catégories :

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•Celle des mythes décrivant la création du monde par le « plongeon » cosmogonique. La plupart du temps il s’agit d’un animal mythique qui, à la demande d’un dieu, plonge au fond de l’Océan primordial et y récupère de la glaise pour y former la Terre. Cette variante cosmogonique est très certainement la plus ancienne car sa diffusion est considérable. •Celle des mythes sur la création du monde par la pensée, la parole ou l’ « échauffement » d’un dieu. Selon un mythe des Indiens Winnebago, le Père créa le monde par la pensée. Il pensa et désira la lumière et la Terre et la lumière et la Terre apparurent. Les Omaha estiment que « au commencement, toutes les choses étaient dans la pensée de Wakonda. Toutes les créatures, l’homme inclus, étaient des esprits. »11 Finalement Wakonda créa la Terre, et alors « les esprits descendirent et devinrent chair et sang »11. Les Uitoto, peuple Colombien, ont élaboré une cosmogonie encore plus audacieuse : au commencement, tout était « apparence, fantasme, illusion »8. Le Père lui-même rêvait, mais par le truchement de ses rêves il réussit à capturer ces fantasmes et les métamorphosa en réalités palpables. Ainsi le monde vint à l’existence. Un mythe cosmogonique polynésien décrit un commencement où n’existaient que les Eaux et les Ténèbres. Io, le Dieu suprême, sépara les Eaux par la puissance de la pensée et de ses paroles, et créa le Ciel et la Terre. Il dit : « Que les Eaux se séparent, que les Cieux se forment, que la terre soit ! »8 L’élément commun de ces cosmogonies est 11  Création- Les mythes de la création, article Universalis, 1989, p2


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l’idée que le monde dérive directement du Créateur. •Celle des cosmogonies qui expliquent la création par division d’une matière primordiale non différenciée. On distingue trois variantes importantes : -l’état originel décrit comme une masse informe, le Chaos. L’Edda scandinave parle de ginnunga gap, « vide béant » ; dans la genèse avant la création la Terre était tôhû-wâbôhû, « désert et vide ». Un autre terme hébreu pour l‘ « abîme » est Tehôm, désignant les Eaux plongés dans la nuit. Tehôm est linguistiquement identique à Tiamat, l’océan primordial de la mythologie mésopotamienne. Ces images mythiques du Chaos originaire expriment les idées de totalité confuse et amorphe, de ténèbres aquatiques et de non-existence. L’acte cosmogonique implique la séparation de l’Océan Primordial, l’émergence de la Terre et l’apparition de la lumière. La première phase du cycle cosmogonique décrit la scission de l’informe en forme, comme dans le chant de création des Maoris de Nouvelle-Zélande :

« Te kore (le Vide) Te kore tua tahi (le Premier Vide) Te kore tua rua (le Second Vide) Te kore nui (le Vaste Vide) Te kore roa (le Vide qui s’étend au loin) Te kore paru (le Vide Desséché) Te kore whiwhia (le Vide Non-Possédant) Te kore rawea (le Vide Délicieux) Te kore te tamaua (le Vide Prisonnier) Te Po (la Nuit) Te Po teki (la Nuit Suspendue) Te Po Terea (la Nuit à la dérive) Te Po Whawha (la Nuit Gémissante) Hine Make Moe (la Fille du Sommeil Troublé) Te Ata (l’Aube) Te Au tu roa (le Jour Etabli) Te Ao marama (le Jour Lumineux) Whai tua (l’Espace)


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Dans l’espace se développèrent deux existences sans forme Maku (l’Humidité, principe mâle) Mahora nui a rangi (Grande Etendue du Ciel, principe féminin). D’eux surgirent : Rangi pokiti (les Cieux, principe mâle) Papa (la Terre, principe féminin) »12

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On constate le même principe chez Hésiode, qui définit le Chaos comme étant antérieur à toutes choses. Il n’était que brumes et ténèbres. Il donna naissance à Erebos et Nuit, à Eros et Désir. Dans les cosmogonies orphiques, c’est Aither et Chaos qui furent engendrés par Chronos (le Temps) ; du Chaos se forma un œuf d’argent duquel sortit Phanes (Eros). Ces deux dernières conceptions cosmogoniques sont l’héritage d’une conception d’origine phénicienne : le Chaos était le principe primordial ; en s’unissant à l’Esprit, il engendra le Désir qui à son tour se combina avec le Chaos et l’Esprit et donna Mot (eau). De lui naquit un œuf qui contenait en germe l’Univers tout entier. L’ « œuf cosmogonique » se brisa en deux, une moitié devint le ciel et l’autre moitié devint la Terre. Dans chacune de ces mythologies des origines, le monde a été créé ex vacuo, c’est-à-dire à partir d’un état préexistant, le « vide », et non pas ex nihilo, comme dans la Bible. Cette « conception mythique » ressemble étrangement à celle élaborée aujourd’hui par les physiciens spécialisés dans la cosmologie quantique, qui tentent de mettre en équations le surgissement spontané de l’Univers à partir des fluctuations du « vide quantique ». -l’unité primitive représente le couple Ciel-Terre (les « Parents du monde ») étroitement embrassé, et leur séparation équivaut à l’acte cosmogonique. Les Maoris appellent le Ciel Rangi et la Terre Papa. Au commencement, ils étaient tous deux réunis. Les enfants qui étaient nés de cet accouplement sans fin et qui, assoiffés de lumière, tâtonnaient dans les ténèbres, se décidèrent à séparer leurs parents. C’est pourquoi ils décidèrent de couper les tendons qui reliaient le Ciel à la Terre et poussèrent leur père de plus en plus haut, jusqu’à ce que Rangi fût projeté dans l’air et que la lumière fît son apparition dans le monde. Le mythe des « Parents 12  Joseph Campbell, Le héros aux mille et un visages, Oxus, 2008, p366


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du monde » est extrêmement répandu en Asie du Sud-Est et en Océanie, de l’Indonésie jusqu’en Micronésie. Le motif de la séparation brutale du Ciel et de la Terre réapparaît parfois sous une forme différente. Un mythe polynésien explique que cette opération a été effectuée par une plante qui, en poussant, a élevé le Ciel. Le thème des « Parents du monde » se rencontre également en Afrique et dans les deux Amériques. Selon la tradition sumérienne, au commencement le Ciel et la Terre étaient confondus et le dieu Enlil les sépara. La présence d’un mythe semblable est attestée en Égypte : la Terre et le Ciel se tenaient étroitement embrassés, le dieu Geb sous la déesse Nout. Leur père, Chou, les sépara, en haussant par-dessus sa tête la déesse qui devint la voûte céleste. -l’unité primordiale est imaginée comme un œuf flottant sur l’Océan primordial, ou comme un œuf contenant la totalité cosmique. La création commence avec la division de cet œuf. Selon le mythe japonais, au commencement le Ciel et la Terre, Izanagi et Izanami, étaient unis. Ils formaient un Chaos qui ressemblait à un œuf, au milieu duquel se trouvait un germe. Les deux principes mâle et femelle n’existaient pas puisque le Ciel et la Terre étaient encore confondus. Le Chaos représentait alors une sorte d’entité androgyne, unique, primordiale et totale. L’acte cosmogonique débute lors de sa rupture, lorsque se séparent le Ciel et la Terre. L’œuf cosmogonique apparaît dans un grand nombre de mythologies (Chine, Inde, Indonésie, Afrique, Polynésie etc…). Dans les mythologies sibériennes et indonésiennes, c’est l’Être suprême qui, sous forme d’un oiseau, dépose sur les Eaux primordiales l’œuf dont naîtra plus tard le monde. La coquille de l’œuf cosmique représente, en fait, la limite du monde dans l’espace, et son germe contenu à l’intérieur symbolise l’inépuisable dynamisme de la vie de la nature. L’œuf sert à délimiter le monde dans l’espace afin de produire et de préserver la vie à l’intérieur de ses limites : « une vie polarisée, en vue d’une autoreproduction, en une forme duelle mâle et femelle. »13 Les maoris ont très bien exprimé cette idée d’une gestation et d’une naissance dans une autre de leurs généalogies métaphysiques :

13  Joseph Campbell, Le héros aux mille et un visages, Oxus, 2008, p369


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«De la conception, l’accroissement, De l’accroissement, la pensée, De la pensée, la mémoire, De la mémoire, la conscience, De la conscience, le désir. Le monde devint fécond ; Il connut la faible lueur ; Il donna naissance à la nuit, La grande nuit, la longue nuit, La nuit d’en bas, la nuit d’en haut, La nuit épaisse que l’on sent, La nuit que l’on touche, La nuit que l’on ne peut pas voir, La nuit aboutissant à la mort. Issue de rien, l’accroissement, Issue de rien, l’abondance, Le pouvoir de croître, Le souffle animé. Il connut l’étendue vide et engendra L’atmosphère au-dessus de nous. L’atmosphère qui plane au-dessus de la terre, Le grand firmament au-dessus de nous Connut la prime aube Et la lune surgit ; L’atmosphère au-dessus de nous, Connut le ciel ardent, Et de là naquit le soleil ; Lune et soleil furent lancés là-haut, Pour être les yeux majeurs du ciel : Alors les cieux devinrent lumière : La prime aube, le jour naissant, Le plein-jour : l’éclat du jour venant du ciel. Le ciel là-haut connut Hawaiki, Et engendra la terre.»14 « L’espace est sans limites, non pas à cause d’une extension indéfinie, mais bien en vertu d’une forme qui se renouvelle. Ce qui est une coquille flottante sur l’infinité de ce qui n’est pas. »15 Cette définition de l’univers tel 14  Joseph Campbell, Le héros aux mille et un visages, Oxus, 2008, p369 15  Joseph Campbell, Le héros aux mille et un visages, Oxus, 2008, p374


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que la décrit notre physique moderne traduit exactement la signification de l’œuf cosmique de la mythologie. En outre, l’évolution de la vie telle que la biologie actuelle la présente est le thème des premières étapes du cycle cosmogonique. •Celles résultant d’un démembrement : -soit par une immolation librement consentie ou non d’un être primordial (un géant anthropomorphe). Dans la mythologie scandinave, les dieux Ases (Odin et les dieux qui lui sont associés) sacrifient et dépècent le géant Ymir. De son crâne ils font la voûte céleste, de sa chair la terre, de sa sueur la mer, de ses os les montagnes, de ses cheveux les arbres. -soit par le morcellement d’un monstre marin suite à sa défaite lors d’un combat face à un dieu. L’exemple classique est celui décrit par l’Enuma-elish (l’épopée Babylonienne) ; le monstre marin Tiamat vaincu par le dieu Marduk qui le pourfendit, et, des deux moitiés de son corps, façonna le Ciel et la Terre. Bien qu’il soit décrit qu’une sorte de monde embryonnaire avait déjà été façonné avant leur conflit, Tiamat incarnait toutes les images du chaos, il était à la fois l’océan primordiale, un dragon femelle, un être androgyne, un monstre et un embryon. Eliade raconte que cette épopée nous révèle comment, à partir d’une réalité larvaire préexistante, a été créé notre monde. Situation qu’il faut s’efforcer de maintenir à tout prix, en réactualisant, chaque nouvelle année, la victoire de Marduk contre Tiamat. Le mythe du combat entre un dieu champion et un dragon se retrouve au Proche-Orient, en Grèce et en l’Inde. Il ne s’agit plus d’un combat cosmogonique, mais d’une bataille entreprise afin de sauver le monde de la menace des eaux souterraines (le dieu sumérien Ninurta contre le monstre Asag) ou de la régression au Chaos (Indra contre Vritra), ou enfin d’une guerre pour la souveraineté universelle (Zeus contre Typhon). Cependant ces mythes conservent cette veine « cosmogonique », car ils relatent comment le monde a été sauvé de la régression au Chaos.

Le combat entre le dragon et le dieu peut signifier soit l’acte cosmogonique par le passage du virtuel au formel; soit la lutte pour la suprématie du monde ; soit le conflit entre deux ordres de choses (conflits ethniques


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ou historiques). Dans tous ces cas, l’idée de « création » est présente sous une forme plus ou moins nette. Symbole de l’involution, la modalité préformelle de l’univers, l’ « Un » non fragmenté d’avant la création, le dragon est considéré comme le vrai « maître du lieu », l’autochtone par excellence, contre lequel doivent combattre les conquérants avant d’occuper un territoire et de l’organiser (c’est-à-dire le « former », le « cosmiser »).

L’apocalypse mythique

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Tous mythes racontent une « naissance », un acte de création ; ce n’est pourtant pas la notion fondamentale sur laquelle ils reposent. Les actes réellement créateurs sont représentés comme dérivant d’une sorte de mort au monde. En effet chaque mythologie repose sur la notion de fin. Saint Thomas d’Aquin l’exprime en déclarant « que le nom de sage est réservé à celui-là seul qui prend pour objet de sa réflexion la fin de l’univers, fin qui est aussi principe de tout. »16 Le mythe de la création laisse à entendre qu’un destin fatal rappelle, sans discontinuer, toutes les formes créées à l’impérissable, hors duquel elles surgirent tout d’abord. « Les formes procèdent denses de force, mais inévitablement, leur apogée atteint, elles se brisent et retournent »17. Comprise de cette manière, la mythologie peut nous sembler tragique. Or dans un climat mythologique, il n’y pas de place pour la tragédie, pour l’homme « archaïque » elle situe son « être » non dans les formes qui se brisent mais dans l’éternité hors duquel elles resurgissent immédiatement, régénérées et débordantes de vie. Ainsi s’effectue le cycle cosmogonique. C’est en quelque sorte une ambiance d’onirisme qui prédomine : « La vie véritable, là encore, n’est pas dans les formes, mais dans le rêveur »18. Le cycle cosmogonique doit être compris comme le passage de la conscience 16  Joseph Campbell, Le héros aux mille et un visages, Oxus, 2008, p365 17  Joseph Campbell, Le héros aux mille et un visages, Oxus, 2008, p365 18  Joseph Campbell, Le héros aux mille et un visages, Oxus, 2008, p366


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universelle qui, provenant de la zone de sommeil profond, passe par le rêve et se manifeste dans l’état de « vieille diurne ». La ronde universelle retourne ensuite, à travers le rêve, aux ténèbres éternelles. Et cela aussi bien dans l’expérience réelle de tout être vivant que dans la figuration du cosmos existant : « dans les abysses du sommeil, les énergies sont régénérées et elles s’épuisent dans les travaux du jour ; la vie de l’univers décroît et doit être renouvelée »19.

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LE CYCLE COSMOGONIQUE

19  Joseph Campbell, Le héros aux mille et un visages, Oxus, 2008, p361


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É v o l u t i on G uér i son N éguentropi e (convergence) Le re t ou r

NOMBREUX Mati è re D ifférenci é As ymét r i e émo ti on s I llusi on s Fragm ent é R el at i f Mens o nge s

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A b s ol u I n d i ff é re n ci é S ymé t r i e En t i e r I n con d i t i on n é Én e rg i e Es p r i t Vé r i t é

UNIQUE

C ré a t i on C a t a cl ys me En t rop i e (d é s ord re ) L a ch u t e


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Le principe de régénération du temps propre aux cycles cosmogoniques se réfère en fait au cycle lunaire, l’antiquité et l’universalité des croyances relatives à la lune nous le prouvent. La lune est le premier mort, mais aussi le premier mort qui ressuscite. Si la Lune sert en fait à « mesurer » le temps, si ses phases révèlent une unité de temps (le mois), elle révèle en même temps l’ « éternel retour ». Les phases de la lune (apparition, croissance, décroissance, disparition suivie de réapparition au bout de trois nuits de ténèbres) ont joué un rôle immense dans l’élaboration de ces conceptions. En fait, la naissance d’une civilisation, sa croissance, sa décrépitude et sa disparition sont assimilées au cycle lunaire. Le déluge, par exemple, met fin à une humanité épuisée et pécheresse, et une nouvelle humanité régénérée prend naissance, habituellement d’un « ancêtre » mythique, sauvé de la catastrophe ou d’un animal lunaire. Les mythes lunaires dispensaient une vision optimiste de la vie en général.

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Tout a lieu d’une manière cyclique, la mort est inévitablement suivie d’une résurrection, le cataclysme d’une nouvelle création, tout comme la disparition de la Lune n’est jamais définitive, puisqu’elle est nécessairement suivie d’une autre Lune. Dans la « perspective lunaire », la mort de l’homme, comme la mort périodique de l’humanité, sont nécessaires, tout comme le sont les trois jours de ténèbres qui précèdent la « renaissance » de la lune. La mort de l’homme et de l’humanité sont indispensables à leur régénération. Une forme quelle qu’elle soit, du fait même qu’elle existe comme telle et qu’elle dure, s’affaiblit et s’use. Pour reprendre de la vigueur, il lui faut être réabsorbée dans l’amorphe, ne serait-ce qu’un seul instant ; être réintégrée dans l’unité primordiale dont elle est issue. En d’autres termes, elle doit s’insérer dans le « chaos » (sur le plan cosmique), dans l’orgie (sur le plan social), dans les « ténèbres » (pour les semences), ou dans l’ « eau » (baptême sur le plan humain)…


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C-O RGANISATIONS SPAT I O -T EM PO REL L ES

e mythe cosmogonique sert donc de modèle à toutes sortes de « créations ». Il joue aussi un rôle capital dans l’appropriation des espaces, dans les rites de régénération périodique du Cosmos et dans l’élaboration de l’idée mythique du temps circulaire, ou encore réversible.

Le cercle, la barrière ontologique Revenons à présent sur la notion d’ « appropriation de l’espace » énoncé dans la première partie: Claude Lévi-Strauss note qu’il a suffi que des émissaires salésiens (XIXe siècle) modifient l’espace des villages des Bororos (peuple amérindien), passant d’un modèle circulaire à un modèle de type européen, pour que ceux‑ci abandonnent leur conception du monde et se convertissent au christianisme. Cet exemple révèle à quel point il est primordial de considérer que les organisations spatiales sont garantes de l’identité culturelle et sociale et qu’elles en assurent la reproduction. Les vestiges des infrastructures néolithiques mais aussi ceux de nombreuses autres « sociétés primitives » témoignent du fait que chacun de ces espaces « dominés » par l’homme archaïque renvoie à des formes circulaires, à des boucles, ou encore à des spirales. Les premières maisons entretenues coïncident d’ailleurs avec l’apparition des premières représentations graphiques. Le cercle de pierres qui enserrent l’espace sacré compte, par exemple, parmi les plus anciennes structures architectoniques connues des sanctuaires. Conçus pour la pratique de rituels rendus au soleil, ils apparaissent déjà dans les civilisations proto-indiennes et égéennes et se sont, par la suite, largement répandus au travers de toutes les civilisations anciennes. Stonehenge, par exemple, site mégalithique vieux de 4000 ans, a été construit de façon qu’à l’aube du 21 juin ( jour du solstice d’été), les pre-


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miers rayons solaires apparaissent dans l’axe principal d’un grand cercle de pierre levées. En Irlande, la tombe de New grange (3000 avant J.C.) est orientée au lever du Soleil au solstice d’hiver. La lumière pénètre alors le long du couloir pour atteindre directement la dalle du fond. La tombe T de la nécropole irlandaise de Loughcrew est quant à elle éclairée par le soleil levant à l’équinoxe, la chambre du tumulus de Maeshowe (îles Orcades) par les rayons du couchant au solstice d’hiver. On constate, d’après ces quelques exemples, que la figure du cercle exerce une fascination universelle. Or, dans son sens symbolique, le cercle est lié à l’espace et au temps (calendriers, zodiaque, rose des vents, etc…). Il est aussi l’image de tous cycles et donc par là même, de l’éternel retour. C’est la raison pour laquelle des scientifiques tendent à affirmer qu’il s’agit là d’une prise de possession du temps et de l’espace par l’intermédiaire de symboles.

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Cette « volonté d’acquisition » du temps par l’observation des mouvements du ciel va aussi entraîner l’apparition de l’écriture. Cette écriture va permettre de conserver, pour les périodes postérieures, des informations essentielles. On va aussi pouvoir confronter des événements observés, constituer des catalogues d’étoiles, d’éclipses de Soleil, de Lune. Les archéologues estiment que la première écriture a été inventée en Mésopotamie, en 3500 av. J.C., par la civilisation Sumérienne et un siècle plus tard en Egypte. « Enseignée par des scribes dans les écoles, l’écriture assure la transmission des connaissances. Mais elle provoque aussi une réflexion sur le monde, les dieux, les institutions. Elle permet aux hommes de contrôler l’environnement et le temps »20 constate l’historien Jean-Jacques Glassner. Ainsi, le cycle lunaire de 29 jours et demi est connu depuis les Mésopotamiens, qui sont les premiers véritables astronomes, et c’est de lui que vient la notion de mois. La mesure du temps en heures, minutes et secondes nous vient aussi des sumériens. Cette révolution se vérifie dans d’autres civilisations plus « isolées » qui n’ont pas eu cette « influence Mésopotamienne », comme par exemple chez le peuple Jaguar. Plus connu sous le nom d’Olmèque, ce peuple célébrait 20  Les cahiers science et vie, L’origine des civilisations, N°145, mai 2014, p30


Site de Stonehenge

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des cérémonies et des rituels à heure fixe. Le besoin de définir et de compter le temps devint alors une nécessité et permettra d’établir le premier calendrier de la Méso-Amérique (précurseur du fameux calendrier maya et de son système de « compte long ») qui donnera encore une fois un système d’écriture afin de codifier et transmettre les relevés calendaires. Le cercle est ce qui se donne à voir : une forme pleine, homogène, statique, parfaitement fermée sur lui-même. C’est le symbole de toute clôture ontologique (science de l’être). Le philosophe Parménide a, par ailleurs, fondé la métaphysique occidentale à travers la révélation de sa forme, en s’appuyant sur l’intuition d’une identité de l’« être et du connaître ». Le symbole du cercle semble avoir partout joué le rôle d’un support de méditation pour les rapports de l’apparaître, du connaître et de l’être. L’exemple des prêtres Pawnees du Kansas du Nord et du Nebraska du Sud en est révélateur: au cours de la cérémonie du Hako, ils tracent un cercle avec leur orteil :

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« Ce cercle représente un nid et il est tracé avec l’orteil parce que l’aigle bâtit son nid avec ses serres. En faisant cela, nous imitons l’oiseau qui fait son nid, mais notre geste a une autre signification. Nous imitons en pensée Tiwara créant le monde pour que les hommes l’habitent. En effet, si vous montez sur une haute colline et regardez autour de vous, vous verrez que le ciel touche la terre de toutes parts ; et c’est à l’intérieur de cette enceinte circulaire que vivent les hommes. Les cercles que nous avons tracés ne sont donc pas seulement des nids ; ils représentent aussi le cercle qu’a tracé Tirawa-Atius pour en faire le séjour de tous. Les cercles représentent également la famille, le clan, la tribu. »21 Cette « clôture » n’implique pas seulement la présence continue d’une hiérophanie (manifestation du sacré) à l’intérieur: elle a en outre pour but de séparer le cosmos du chaos, le civilisé du sauvage, le sacré de l’impur.

21  Joseph Campbell, Le héros aux mille et un visages, Oxus, 2008, p66


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L’espace et ses limites C’est dans cet espace humanisé, c’est-à-dire maîtrisé, que l’homme se protège du monde sauvage. Il en va de même pour les murailles de la cité. Avant d’être des ouvrages militaires elles sont une défense magique qui réserve, au milieu d’un espace « chaotique », une enclave, un espace organisé, « cosmisé », c’est-à-dire pourvu d’un « centre ». Il faut se remettre dans le contexte de l’époque où le danger extérieur est bien réel. Qui plus est, l’intégration dans un espace et un temps concrets est commun à tout le vivant. « À la base du confort moral et physique repose chez l’homme la perception animale du périmètre de sécurité, du refuge clos ou des rythmes socialisants. Le premier point dans l’évolution où apparaisse la figuration est donc aussi celui où l’espace d’habitat est abstrait du chaos extérieur.»22 explique l’ethnologue André Leroi-Gourhan. Ce spécialiste de la préhistoire affirme d’ailleurs que c’est le caractère relationnel de la pensée symbolique qui différencie la société humaine des sociétés animales : « Ce sont des emplacements de tentes construites dans l’entrée de la caverne. Chacun d’eux forme un cercle de trois ou quatre mètres de diamètre… »21. On constate que d’un point de vue religieux, le monde se divise en deux parties antagonistes. D’un côté on a le territoire où l’on vit normalement. Il est sous la sphère d’influence du sacré. Les rituels et les cérémonies le renouvèlent périodiquement et le rendent profitable à la vie humaine. Au-delà de cette sphère apparaît un domaine « vague », un inconnu, un « sacré non organisé » ou seuls certains initiés peuvent s’aventurer. Les puissances spirituelles y sévissent déchaînées, terribles et funestes à celui qui pénètrerait sans y être préparé. Le mythe d’origine Fali (peuple d’Afrique centrale) témoigne de cette conception biface de l’espace: la tortue trace un monde entre les hommes : me cente (je connais) et le monde sauvage : me ceniuba (je ne connais pas). Le partage opéré par la tortue sépare d’un côté la nature du monde des hommes, la nature de la « terre du papayer » (terre de l’arbre fruitier), de l’autre, la nature du monde sauvage,

22  André Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, la mémoire et les rythmes, Paris, Albin Michel, 1977, p140


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la nature de la terre de l’hippotrague (terre de l’animal). Notons que la nature n’est pas d’un seul côté de la limite. Elle n’est pas opposée au monde des hommes puisque les cultures agricoles, à l’instar des habitations, sont inhérentes à la terre du papayer. La nature est en fait partagée par la limite de la connaissance. On remarquera aussi que ces mythes ne remontent jamais au-delà du temps de l’agriculture. Il semble alors probable que l’homme a créé sa « logique transcendante » lorsqu’il a pris conscience qu’il était capable d’insuffler la vie en travaillant la terre de manière périodique, et qu’il était susceptible de la maitrisé et de la pérennisé en ce calquant sur les cycles naturels. Ainsi « cosmiser » l’espace revient, à l’homme archaïque, à se positionner comme le bienfaiteur de la terre. Ce n’est pas sans nous rappeler la fameuse formule de Descartes « cogito ergo sum »23, se traduisant par « je pense donc je suis ». En étant spectateur de sa propre activité, l’être humain justifie son existence.

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Modèles Divins des rituels « Ainsi on fait les dieux ; ainsi font les hommes »24 cet adage indien résume toute la théorie sous-jacente aux rituels de tous les pays. À l’instar de l’agriculture, ils sont reproduits chaque année à des époques déterminées. L’homme ne fait qu’y répéter l’acte de la création ; son calendrier religieux commémore dans l’espace d’un an toutes les phases cosmogoniques qui ont eu lieu ab origine. Les rites matrimoniaux eux aussi ont un modèle divin, et le mariage humain reproduit l’hiérogamie, plus particulièrement l’union entre le Ciel et la Terre. Dans l’Odyssée, Déméter s’était unie à Jason sur la terre fraîchement ensemencée, au début du printemps. Pour Eliade, le sens de cette union est clair, « elle contribue à promouvoir la fertilité du sol, le prodigieux élan des forces de création tellurique »25. C’était 23  René Descartes, Discours de la méthode, Jan Maire, 1637, p8 24 Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969, p34 25  Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969, p38


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là un usage assez fréquent, jusqu’au siècle dernier dans le nord et le centre de l’Europe. En Chine, les jeunes couples allaient au printemps s’unir sur l’herbe afin de stimuler la « régénération cosmique » et la « germination universelle ». Par l’effet du rite, un lieu peut devenir comme le nombril du monde. Le rituel permet à la maison de devenir « haute » par rapport à l’espace qui l’entoure, c’est-à-dire d’en devenir le centre. Un centre à l’image de la Montagne cosmique, le nombril de la Terre, le point où a commencé la création. C’est la zone du sacré par excellence, celle de la réalité absolue. « Le chemin menant au centre est ardu, semé de périls, parce qu’il est un rite de passage du profane au sacré ; de l’éphémère et de l’illusoire à la réalité et à l’éternité ; de la mort à la vie ; de l’homme à la divinité »26. Pour l’homme « primitif », tout ce qui est fondé l’est au Centre du Monde.

Deux termes désignent le centre dans la pensée religieuse des Grecs. L’un est l’Omphalos qui signifie le nombril, l’autre est Hestia, le foyer. Dans l’un des poèmes d’Hésiode, Hestia est une déesse présentée à la fois comme la première et la dernière-née de Kronos, puisqu’elle est la dernière à avoir été recrachée par ce titan. Elle renvoie étrangement au visage antagonique du mythe. Aînée et cadette des dieux, elle jouit d’une considération particulière parmi les Olympiens. Elle est d’ailleurs nommée « maîtresse du ciel et de la terre ». Pourquoi Hestia représente-t-elle le foyer ? Car à l’instar de l’œuf cosmogonique, la maison forme un espace domestique bien délimité, circulaire, fermé sur lui-même. Hestia assure au groupe domestique sa pérennité dans le temps : c’est par elle que la lignée familiale se perpétue et se maintient semblable à elle-même. « Hestia définit le centre d’un espace constitué par des rapports réversibles »27. Étant donné que la cosmogonie est le modèle type de toutes les créations, il en est alors de même pour toutes constructions. Le pilier central 26  Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969, p31 27  Françoise Paul-Levy, Anthropologie de l’espace, Segaud, 1992, p15


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de chaque maison est considéré comme un axis mundi. Chaque ville, chaque maison nouvelle que l’on bâtit, c’est imiter une nouvelle fois et en un certain sens la Création du Monde. La théorie que ces rituels impliquent se ramène à « que rien ne peut durer s’il n’est « animé », s’il n’est doté, par sacrifice, d’une « âme» »28. Le prototype du rite de construction est le sacrifice qui a eu lieu lors de la fondation du monde. Au préalable, la « réalité » du lieu est obtenue par la consécration du terrain, c’est-à-dire par sa transformation en un « centre ». Ensuite, la validité de l’acte de création est entretenue par la répétition du sacrifice divin.

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L’homme construit d’après un archétype. En effet, toute ville, toute habitation se trouve au « centre de l’univers » et à ce titre, la construction n’en a été possible que moyennant l’abolition de l’espace et du temps profanes et l’instauration de l’espace et du temps sacrés. Non seulement un modèle précède l’architecture terrestre, mais il se trouve dans une « région » idéale de l’éternité. Les exemples les plus connus sont Jérusalem ou encore le palais de Sîhagiri, à Ceylan, qui est bâti sur le modèle de la cité céleste Alakamanda. « Ainsi donc, le monde qui nous entoure, dans lequel on sent la présence et l’œuvre de l’homme – les montagnes qu’il gravit, les régions peuplées et cultivées, les fleuves navigables, les villes, les sanctuaires – ont un archétype extra-terrestre »29, conçu comme un « double » existant précisément à un niveau cosmique supérieur. Mais le monde hors des « frontière » n’a pas de prototype céleste. Par exemple, les régions désertiques habitées par des monstres, les territoires incultes, les mers inconnues où aucun navigateur n’a osé s’aventurer sont assimilées au Chaos. Elles participent encore de la modalité indifférenciée, d’avant la Création. C’est pourquoi, lorsqu’on prend possession d’un tel territoire, c’est-à-dire quand on commence à l’exploiter, on accomplit des rites qui répètent symboliquement l’acte de la Création; la zone inculte est d’abord « cosmisée » et ensuite habitée. À l’image des étapes de l’agriculture ; la terre inculte est d’abord défrichée, puis ensemencée, pour enfin être cultivée. Lorsque les vikings prirent 28  Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969, p16 29  Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969, p21


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possession de l’Islande, et la défrichèrent, ils ne considérèrent cet acte ni comme une œuvre originale, ni comme un travail humain. Leur entreprise n’était pour eux que la répétition d’un acte primordial : la transformation du chaos en cosmos par l’acte divin de la Création. Les fêtes saisonnières des peuples prétendus primitifs ont souvent été considérées comme des tentatives de dominer la nature. C’est en fait une erreur, car même si le désir de domination se manifeste dans une bonne partie des rituels humains, à l’image des cérémonies magiques destinées à faire tomber la pluie, il n’en demeure pas moins que le mobile majeur de toute cérémonie vraiment religieuse (par opposition à la magie noire) est une soumission à la fatalité du destin. Eliade explique qu’ « on n’a encore jamais trouvé de rite qui ait pour objet d’empêcher l’hiver d’arriver ; au contraire, tous les rites préparent le groupe à endurer, comme la nature entière, la terrible saison du froid. Et, au printemps, les rites ne visent nullement à contraindre la nature à prodiguer sur-le-champ au peuple affamé maïs, haricots ou courges ; au contraire, les rites consacrent la population tout entière aux travaux de la saison »30. Un objet ou un acte ne devient réel que dans la mesure où il imite ou répète un archétype. « Le produit de la Nature, l’objet façonné par l’industrie de l’homme ne trouvent leur réalité, leur identité que dans la mesure de leur participation à une réalité transcendante »31. Pour le monde archaïque, ne sont « profanes » que les activités qui n’ont pas de signification mythique, c’est-à-dire qui manquent de modèles exemplaires. Une danse, par exemple, imite toujours un modèle archétypal, ou commémore une histoire ancestrale. Le rituel est une réactualisation de « ce temps-là ». Dans la tradition nordique, le premier duel à lieu lorsque le dieu Thor, provoqué par le géant Hrungnir, le rencontra à la « frontière » et le vainquit en combat singulier. Ainsi au cours leurs batailles, les berserkirs (des guerriers vikings) reproduisaient précisément son état de « frénésie sacrée ».

30  Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969, p23 31  Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969, p42


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Le produit de la Nature, l’objet façonné par l’industrie de l’homme ne trouvent leur réalité, leur identité que dans la mesure de leur participation à une réalité transcendante. Mircea Eliade


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Eliade raconte que les hommes des cultures traditionnelles auraient tendance à devenir archétypaux et paradigmatiques. Et que ce phénomène peut sembler paradoxal pour un homme moderne, dans le sens que l’homme « primitif » ne se reconnaît comme réel que dans la mesure où il cesse d’être lui-même et se contente d’imiter et de répéter les gestes d’un autre. En autres termes, il ne se reconnaît comme réel que lorsqu’il cesse de l’être. L’imitation d’archétypes et la répétition de rituels a aussi une raison sousjacente : celle d’abolir le temps linéaire. L’irréversibilité et la « nouveauté » de l’histoire sont une vision récente dans la vie de l’humanité. Les sociétés primitives cherchent à abolir le temps. Elles se défendent contre tout ce que l’histoire comportait de neuf et d’irréversible. Tous les instruments de régénération tendaient vers le même but : abolir le temps concret par un retour continu in illo tempore. Celui qui reproduit le geste exemplaire se trouve ainsi transporté dans l’époque mythique où a eu lieu la révélation de ce geste. En abolissant tous phénomènes historiques, les civilisations traditionnelles ne se voient plus confrontés à son irréversibilité. Cette « statisation » du devenir correspond à une nécessité profonde pour l’homme des civilisations traditionnelles. Les Fidjiens, par exemple, répètent la cosmogonie à chaque fois que les récoltes sont mauvaises. Lorsque la vie est menacée et que le cosmos, à leurs yeux, est épuisé et vide, les Fidjiens ressentent le besoin de régénérer la vie cosmique. Il ne s’agit pas d’une réparation, mais bien d’une recréation de cette vie. Comme nous l’enseigne Eliade, mépriser le comportement du monde primitif ne rimerait à rien car il est plus probable que le désir qu’éprouve l’homme archaïques de refuser l’ « histoire » trahit sa terreur de se « perdre » en se laissant envahir par l’ « insignifiance » de l’existence. « Le temps, par le simple fait qu’il soit durée, aggrave continuellement la condition cosmique et implicitement la condition humaine. »32

32  Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969, p137


VALEURS PRIM

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U N RETOU R AU X

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LE RETOUR AUX VALEURS PRIMITIVES

L’ÉTERNEL RETOUR NIETZSCHÉEN La réponse au nihilisme: la volonté de puissance Le surhumain, héros des temps nouveaux La révolution des symboles UNE RECHERCHE DE « VALEURS NOUVELLES » L’influence des philosophes traditionnels et postmodernes sur les cultures populaires Du « néo-primitifs» dans l’art contemporain À la rechercher d’une fontaine de jouvence LES SYSTÈMES CYCLIQUES DANS LA PRODUCTION Une prise de conscience sur la préservation e Les limites de l’éco-efficience Vers une production éco-bénéfisciente: Cradle to cradle


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a vision cyclique du temps a souvent été entendu par la pensée moderne comme la marque du primitivisme d’une culture. Une telle vision résulterait uniquement d’une crainte « irrationnelle » de la nature du temps. Mais pour Eliade, ce que l’homme moderne reproche à l’homme archaïque c’est, en fait, son impuissance créatrice. Prisonnier de l’ « horizon mythique », l’homme « primitif » se voit incapable de faire sa propre histoire. Or, pour le moderne, toute création ne prend sa source que dans la propre liberté de l’homme à la faire. Accepter l’histoire c’est accepter les risques que comporte la création : « l’homme ne serait être créateur que dans la mesure où il est historique »1. Cependant, comme le remarque l’historien, il est de plus en plus contestable que l’homme moderne puisse faire l’histoire : « plus il devient moderne - c’est-à-dire dépourvu de défense devant la terreur de l’histoire - et moins il a de chance de faire, lui, l’histoire »2. L’histoire se fait ou bien seule, résultante d’actions de son passé (découvertes de l’agriculture, de la métallurgie, des révolutions industrielles,…), ou bien elle se tend à se laisser faire par une oligarchie toujours plus restreinte qui non seulement interdit à la masse de ses contemporains d’y intervenir, mais dispose en outre de moyens suffisants pour obliger chaque individu à supporter ses conséquences, c’est-à-dire vivre immédiatement et sans arrêt dans la terreur de l’histoire : « La liberté de faire l’histoire dont se targue l’homme moderne est illusoire pour la quasi-totalité du genre humain »3. Ainsi l’homme archaïque est surement plus en droit de se regarder comme plus créateur que l’homme moderne. De par son mode d’existence il peut être libre et créer : « Il est libre d’en être plus que ce qu’il a été, libre d’annuler sa propre histoire par l’abolition périodique du temps et la régénération collective. »4

1  Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969, p174 2  Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969, p175 3  Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969, p175 4  Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969, p176


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rivées de leur liberté de faire l’histoire et donc par conséquent de créer, les sociétés d’aujourd’hui tendraient à remettre en cause leurs « valeurs modernes » ; les croyances finissant peu à peu par s’effondrer pour laisser place au nihilisme. Cette volonté de « faire table rase » est en outre très présente à travers la philosophie contemporaine. Cette philosophie, qualifié de postmoderne, a été particulièrement influencée par les travaux de Friedrich Nietzche.

La réponse contre le nihilisme : la « volonté de puissance » « Dieu est mort »5 est sans doute la formule la plus célèbre du philosophe. Elle représente pour lui la condition d’une extraordinaire refonte de l’humanité, mais qui est aussi la source du nihilisme moderne. On constate, qu’à l’image des conceptions archaïques, Nietzsche fonde sa philosophie sur un concept d’éternel retour. Il ne s’agit pourtant pas, comme l’ont énoncés ses aînés, d’affirmer l’éternel retour des choses. Il s’agit d’un test de la « volonté de puissance », le test suprême d’affirmation de la vie. Un fragment posthume exprime précisément cette conception : « j’ai donc cherché un idéal inverse, une forme de pensée qui soit de toutes les pensées possibles la plus débordante de courage, la plus vivante et la plus affirmative à l’égard du monde : je l’ai trouvée en poussant à son terme la conception mécaniste du monde : il faut en vérité être de la meilleure humeur du monde pour supporter un monde de l’éternel retour tel que celui que j’ai enseigné par l’intermédiaire de Zarathoustra donc pour nous supporter nous-mêmes comme compris dans l’éternel da capo »6.

5  Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Flammarion, 1996, p47 6  Alban Gonord, Le temps, Flammarion, 2001, p222


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Comme la conception de la physique moderne suppose que le monde est réglé comme une machine, que chaque partie suit le cours déterminé des causes et des conséquences, Nietzsche en conclut qu’il n’est donc pas possible de penser qu’un au-delà puisse, par exemple, échapper à la causalité mécanique. C’est ce qui est affirmé par la mise en boucle qu’est l’éternel retour : l’enchaînement des causes et des effets n’a pas d’au-delà. Quand cela parvient à son terme, cela recommence, à l’identique, y compris la souffrance, pour l’éternité : « Le courage tuera même la mort, en disant : « Est-ce cela la vie ? Soit ! Recommençons. »7. « Da capo » exprime parfaitement cette doctrine car cette formule, employée en musique à la fin d’une partition, signifie que l’on doit reprendre l’exécution au début. Pouvoir dire « da capo », c’est là le signe du surhumain et de l’affirmation radicale de la vie.

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Le philosophe Bernard Edelman dit de Nietzsche qu’il est en quelque sorte l’Héraclite des temps modernes : « un Héraclite qui aurait connu Copernic, Kepler, Newton, la thermo-dynamique, qui aurait eu derrière lui l’histoire de l’Occident, un Héraclite qui aurait évalué les hommes au regard du Cosmos. Qui a été capable de comprendre le chaos. »8. Car tout comme Héraclite qui voit dans le divin, comme un cercle, organisateur des cycles, la « foudre » qui gouverne l’Univers (la foudre est, d’un point de vue mythique, à la fois la méthode et l’éternité), Nietzsche affirme que « la foudre, c’est le surhumain »9.

Le Surhumain, héros des temps nouveaux Bien que l’éternel retour nietzschéen diffère de la thèse cosmologique, on s’aperçoit que les codes des religions judéo-chrétiennes d’une part, mais aussi et surtout des conceptions des civilisations traditionnelles ont eu

7  Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Flammarion, 1996, p377 8  Bernard Edelman, Un continent perdu, PUF, 1991 9  Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Flammarion, 1996


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A.Friedrich NIETZSCHE, philosophe post-modernre

une forte influence sur l’écriture de Ainsi parlait Zarathoustra (l’œuvre emblématique de cette doctrine). Ainsi, par exemple, lorsque Zarathoustra prophétise la venue du Surhumain, il fait très certainement référence à une conception orientale. Les civilisations d’Asie, à l’unanimité, n’acceptent pas le destin de l’être humain comme définitif et irréductible. Les techniques orientales s’efforcent avant tout d’annuler ou de dépasser la condition humaine. À cet égard, Mircea Eliade affirme qu’on peut parler non seulement de liberté (au sens positif) ou d’émancipation (au sens négatif), mais surtout de création car il s’agit bien de « créer un homme nouveau et de le créer sur un plan supra-humain, un homme-dieu, tel qu’il n’est jamais venu à l’imagination de l’homme historique de pouvoir en créer »10. Il nourrit aussi sa doctrine en em-

pruntant une des structures fondamentales du mythe de l’éternel retour des cultures antiques, celui de la Grande Année: « Tu enseigneras qu’il y a une grande Année du devenir, une Année démesurée qui doit comme le sablier se retourner toujours à nouveau, afin que tout recommence à couler et s’écoule de nouveau, en sorte que toutes ces années soient identiques entre elles dans ce qu’elles ont de plus grand et de plus infime, en sorte que nous-mêmes au cours de ces grandes Années nous demeurions semblables à nousmêmes dans ce que nous avons de plus grand et le plus infime »11. Zarathoustra se calque sur le schéma habituel de l’aventure du héros mythologique, le schéma de l’unité essentielle : séparation d’avec le monde, accès à quelques sources de pouvoir, et retour vivificateur. On comprend alors que

10  Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969, p176

11  Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Flammarion, 1996, p275


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Il faut encore porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante.

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l’objectif de Zarathoustra est, à l’instar du héros, « de libérer le flux vital et de le faire à nouveau circuler à l’intérieur du corps du monde »12. Cet acte peut être représenté, sur le plan physique, comme la circulation d’une substance nourricière ; sous son aspect dynamique, comme un courant d’énergie ou, en termes de concept, comme la manifestation du Surhumain. Grâce à ces trois références, on comprend alors mieux la démarche de Nietzsche à travers son Surhumain, la volonté de puissance incarnée, qui est finalement celle de celui qui tend à dépasser sa propre condition. Elle est l’accomplissement de la vie qui trouve à s’affirmer dans la pensée de l’Éternel Retour. « Et la vie elle-même m’a dit ce secret : «Vois, ditelle, je suis ce qui doit toujours se surmonter soi-même.» »13 Autrement dit, le Surhumain est le moyen que le philosophe à trouvé pour surmonter le nihilisme et donner un sens à l’histoire sans but de l’humanité. Il est 49 « l’homme-dieu » capable d’affronter le chaos des temps modernes. Le Su- -49 rhumain est, en quelque sorte, le « héros mythique » qui se doit d’affronter et de vaincre le « dragon » du nihilisme. Celui qui, à l’image des archétypes antiques, apparaît et est vaincu à chaque fin des temps (ici le temps de l’homme moderne). Mais, contrairement aux mythes cosmogoniques, la victoire du Surhumain se traduit cette fois-ci par l’acceptation du Chaos. Selon Nietzsche c’est en l’acceptant que l’humain sera capable de créer : « Il faut encore porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante »14. Tout comme le héros moderne de l’anthropologue Joseph Campbell, pour Nietzsche, ce n’est pas la société qui doit guider et sauver le Surhumain, mais précisément l’inverse : « Ainsi, chacun d’entre nous prend part à l’épreuve suprême – c’est-à-dire porte la croix du rédempteur – non dans les moments glorieux des grandes victoires de sa tribu, mais dans les silences de son propre désespoir »15.

12  Joseph Campbell, Le héros aux mille et un visages, Oxus, 2008, p57 13  Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Flammarion, 1996, p160 14  Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Flammarion, 1996, p52 15  Joseph Campbell, Le héros aux mille et un visages, Oxus, 2008, p520


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Les idées véhiculées dans Ainsi parlait Zarathoustra sont souvent déguisées, laissant ainsi le champ libre à toute interprétation. Il est d’ailleurs fort probable que ce fut la volonté de l’auteur. L’enjeu véritable serait alors de nous amener à nous poser des questions fondamentales sur notre « être » sans toutefois nous imposer une vision rigide, qui se targuerait d’être incontestable et salvatrice. Zarathoustra va même jusqu’à demander à ses disciples de le fuir et de remettre en cause toutes sa « doctrine », parce que toute évolution passe par une refonte continuelle. Lorsque Zarathoustra chante « les valeurs changent, quand les créateurs changent. Si l’on veut créer, il faut commencer par détruire »16; il cherche, à « détruire » ou du moins à « fragiliser » nos valeurs acquises par l’histoire afin de pouvoir se détacher de cette histoire, et donc par conséquent de pouvoir créer.

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« Solitaire, il te faudra te consumer à ta propre flamme ; comment naîtrastu de nouveau, si tu ne t’étais d’abord consumé ? »17 Nietzsche emprunte, cette fois-ci encore, une structure des civilisations traditionnelles, en déguisant son éternel retour sous la « parure » du phénix, le symbole merveilleux de l’immortalité (et donc de l’éternel retour). En outre, il semble véritablement que le libre arbitre soit pour lui essentiel : le cheminement doit être personnel sans quoi il n’y aurait pas de refonte de l’ « être » possible. Cette opinion est partagée par Eliade qui affirme que partout, quelle que soit la sphère d’intérêt (religieuse, politique ou personnelle), les actes réellement créateurs sont représentés comme dérivant d’une sorte de mort au monde. Après cette « mort », le héros revient grandi et rempli de force créatrice. Nietzsche affirme aussi par l’intermédiaire de Zarathoustra qu’ « évaluer, c’est créer des valeurs ; sans cette évaluation l’existence serait une noix creuse. Ecoutez, ô créateurs ! »18. Créer est pour lui un moyen de donner un sens à l’existence.

16  Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Flammarion, 1996, p99 17  Hors-série Le monde, Friedrich Nietzsche l’éternel retour, p109 18  Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Flammarion, 1996, p99


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Le chant de Zarathoustra : une ode à la vie Le philosophe Peter Sloterdijk donne une interprétation très intéressante de l’œuvre de Nietzsche. Elle consisterait à mettre en exergue l’invention d’une « autodiscipline » qui commence par le respect des écosystèmes. Selon Sloterdijk, le philosophe allemand semble aussi réagir aux transformations séculaires du milieux éducatifs « Du point de vue de la psychologie sociale, on pourrait définir la modernité comme l’impossibilité de mener à son terme l’éducation des individus : il n’y a plus que des examens de fin d’étude, l’ancien diplôme de la « maturité » a disparu »19. Nietzsche inviterait donc l’individu moderne à dépasser sa propre condition et par la même à s’auto-perfectionner. Cette approche confirme notre hypothèse formulée dans le paragraphe précédent, car dans ce contexte le Surhumain ne signifie rien d’autre qu’une invitation à créer, « Lorsqu’on ôte du concept de surhomme le facteur de religion du génie, on arrive automatiquement au concept de société de l’apprentissage : une œuvre d’art du moi qui se perfectionne de manière autoplastique, à partir du produit semi-fini que les mères et les enseignants ont envoyé au monde »20. Sloterdijk part du postulat que notre société doit mettre en place un système éducatif qui serait en mesure de produire en nombre suffisamment élevé d’individus capables d’affronter les problèmes de notre système. Selon lui, sans une telle révolution de l’auto-éducation et de l’autodiscipline, l’humanité n’a aucune chance de régler le cas critique de l’écologie. « Il pourrait s’avérer qu’inverser les valeurs et rester fidèle à la Terre soient des missions qui reviennent au même. »21

19  Hors-série Le monde, Friedrich Nietzsche l’éternel retour, p109 20  Hors-série Le monde, Friedrich Nietzsche l’éternel retour, p109 21  Hors-série Le monde, Friedrich Nietzsche l’éternel retour, p110


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B-U NE RECHERCHE DE « VA L EU RS NO UV EL L ES »

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es réflexions philosophiques sont généralement révélatrices de leurs époques. À l’instar de Platon pour les sociétés traditionnelles (occidentales), Nietzsche a montré que les cultures post-modernes semblaient tendre vers une recherche de nouvelles valeurs. Il est donc intéressant d’observer l’impact qu’ont eu, d’une part, les civilisations archaïques, et d’autre part, les pensées des philosophes post-modernes sur nos sociétés contemporaines, afin d’avoir une approche globale de leur sphère d’influence au sein de notre culture populaire et dans l’art contemporain.

L’influence des philosophes traditionnels et postmodernes sur les cultures populaires

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La culture populaire représente, par définition, une forme de culture dont la principale caractéristique est d’être produite et appréciée par le plus grand nombre, à l’opposé d’une culture élitiste ou avant-gardiste qui ne toucherait qu’une partie aisée et / ou instruite de la population. L’expression « culture populaire » revêt, d’ailleurs, trop souvent une connotation péjorative, et est généralement confondue avec l’expression « culture de masse » ou celle de « culture médiatique ». La culture populaire se veut accessible à tous. Pour autant elle se prive de moins en moins de références plus ou moins explicites à de nombreuses autres œuvres. Ce phénomène s’observe, à travers des séries télévisées (qui, au demeurant, restent compréhensibles et appréciables à plusieurs niveaux, sans exiger au préalable de connaissances culturelles approfondies). Le développement massif de la culture populaire aux Etats-Unis, et son rayonnement au delà des frontière est ce que l’on a appelé « l’américanisation » du monde dans les années 1930. Il va amener de nombreux intellectuels et sociologues à constater son impact significatif sur nos


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propres modes de vie. C’est le cas de récentes séries télévisées. HBO (Home Box Office) est une institution télévisuelle qui sert actuellement de modèle à toutes les autres chaînes de télévision. Tout au long des années 2000, elle révolutionna le petit écran en enchaînant les créations exigeantes, innovantes et souvent dérangeantes. Des séries comme Game Of Thrones ou encore True Detective provoquent un engouement jamais vu jusqu’alors. L’univers de la première a été fortement influencé par les mythes des sociétés anciennes, à ceci près qu’elle incorpore une dimension réelle en s’inspirant de faits historiques issus de la Guerre des Deux-Roses ou de la Guerre de Cent Ans… Les protagonistes ont des comportements humains complexes et réalistes. Une ambiguïté morale qui fait trop souvent défaut aux personnages manichéens que l’on retrouve dans les genres du mythe. Tom Holland, auteur et historien britannique, a consacré un article dans le Guardian sur les nombreuses références historiques de la série ; il va même jusqu’à affirmer que cette épopée se révèle souvent plus réaliste qu’un roman historique. Cette transposition « révolutionnaire » est surtout visible à travers les livres de la saga A Song of Ice and Fire desquels la série est tirée. Car à l’image de Nietzsche pour Zarathoustra, George R.R. Martin, à travers sa saga, « chante des textes anciens sur de nouvelles mélodies et rédige de nouveaux textes pour les mélodies d’autrefois. »22. Games Of Thrones possède une autre caractéristique commune au poème de Nietzsche : il annonce lui aussi la fin d’une ère, sous couvert d’un dérèglement des cycles saisonniers, entrainée irrémédiablement vers une sorte d’apocalypse hivernal et qui, peut être, à l’image des mythes antiques, sera suivi d’une refonte de l’univers. Avec seulement une saison, la série True Detective, figure déjà au « panthéon » des standards cinématographiques. L’histoire, centrée sur deux inspecteurs, retrace une affaire de crimes rituels orchestrés dans le Bayou, par une secte satanique. Plus qu’un polar, True Detective est un conte, une odyssée philosophique qui plonge le spectateur dans les méandres de la Louisiane profonde des années 90. Les mises en scène de meurtres macabres reprennent des codes de 22  Hors-série Le monde, Friedrich Nietzsche l’éternel retour, p110


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cultes païens : des bois de cerf ornent, par exemple, la tête de la victime. Cette couronne n’est pas sans rappeler l’aspect physique du dieu gaulois Cernunnos. Divinité de l’abondance, ces attributs symbolisent la puissance fécondante et les renouvellement cycliques : « la chute annuelle des bois suivie de leur repousse passait aux yeux des anciens pour être un symbole de mort et de résurrection »23. Et sur le dos des cadavres est peinte une spirale : ce signe tribal fait habituellement allusion au cycle de fin de vie de l’homme (son « cercle vitale»). Cycle qui s’amenuise à mesure que la mort le gagne. Ces sacrifices sataniques sont donc un moyen délibéré de suspendre le temps « profane ». Nic Pizoletto, le scénariste, est aussi professeur de philosophie. Il n’est donc pas étonnant que cette série traite du nihilisme de notre époque. Cette pensée est incarnée par l’un des personnages principaux, l’enquêteur Rust Cohle. Personnage habité, ses monologues métaphysiques atteignent parfois des sommets de complexité. D’ailleurs, le rapport qu’entretien Cohle avec le surhomme de Nietzsche est frappante. Il est une sorte de Zarathoustra 2.0 qui concilie l’éternel retour avec un récent principe scientifique sur le temps, la théorie M Brane : « Dans cette univers, nous traitons le temps de façon linéaire, en avant. Mais en dehors de notre espace-temps, depuis ce qui serait une perspective en quatre dimensions, le temps n’existerait pas, et de cet avantage, si on pouvait y parvenir, nous verrons notre espace-temps comme aplati. Comme une seule sculpture avec de la matière en superposition de tous les endroits qu’on a jamais occupé, nos expériences passant en boucle à travers nos vies comme des voitures sur un circuit. Tout ce qui est à l’extérieur de notre dimension c’est l’éternité, elle nous regarde d’en haut. Maintenant, pour nous, c’est une sphère, mais pour eux, c’est un cercle. Le temps est un cercle plat. Tout ce que nous avons fait et se que nous ferons. Nous le ferons encore et encore »24. D’autres séries, comme Vikings sur History Channel, retracent de manière « historique » l’histoire de civilisations anciennes trop souvent

23  Les cahiers science et vie, Les Celtes : Origine, histoire, héritage, N°146, Juillet 2014, p49 24  Nic Pizzolatto, True Detective, HBO, 2014


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True De te c t i v e, N i c P i z z ol a t t o, HB O 20 14

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méconnu. Elles tendent à mettre à mal les préjugées et à rétablir des faits. Et montrent à quel point certains aspects traditionnels pourraient s’avérer d’actualités.

Le Roi Lion, film d’animation « shakespearien » des studios Disney, touche un public plus jeune. Ce film est considéré comme l’un des plus grands chefs d’œuvre de la firme. Cette histoire est, avant tout, une ode à la vie, « intronisée » dès son chant d’introduction, lors de l’éveil du soleil: « Au matin de ta vie sur la planète, Ébloui par le Dieu Soleil.

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La c o smo go ni e s el on d i s ney, Le Ro i Lio n, 1993


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À l´infini, tu t´éveilles aux merveilles, De la terre, qui t´attend et t´appelle Tu auras tant de choses à voir, Pour franchir la frontière du savoir. Recueillir l´héritage Qui vient du fond des âges, Dans l´harmonie d´une chaîne d´amour. C´est l´histoire de la vie, Le cycle éternel, Qu´un enfant béni, rend immortel. La ronde infinie, De ce cycle éternel. C´est l´histoire, l´histoire de la vie. C´est l´histoire de la vie, Le cycle éternel, Qu´un enfant béni, rend immortel. La ronde infinie, De ce cycle éternel. C´est l´histoire, l´histoire de la vie. » 25 Mais le lion Mufasa, père du héro et monarque de la savane, enseigne aussi à Simba, son fils, comment fonctionne l’harmonie du vivant : « Tout ce que tu vois obéit aux lois d’un équilibre délicat, en tant que roi tu dois comprendre cet équilibre et respecter toutes les créatures. De la fourmi qui rampe, à l’antilope qui bondit. Ce à quoi Simba réplique -Mais les lions mangent les antilopes. - Oui Simba mais laisse moi t’expliquer. Quand nous mourrons notre corps se transforme en herbe et les antilopes mangent l’herbe. C’est comme les maillons d’une chaîne dans le grand cycle de la vie. »58 25  Rogers Allers/ Rob Minkoff, Le Roi Lion, Walt Disney Pictures, 1994

Comme toutes les productions Disney, Le Roi Lion reprend les codes des héros mythologiques : convaincu d’être responsable de la mort de son père, Simba quitte la terre des lions. La place qui lui était échu revient à son oncle, le véritable assassin, anéantissant ainsi toute l’harmonie du


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royaume. Quelques années après son exil, Mufasa, sur un plan astral, renvoi Simba reconquérir son territoire afin de ramener l’équilibre vital «il te faut reprendre ta place dans le cycle de la vie»54. Ainsi le jeune lion, tel un démiurge, revient sur sa terre natale rempli de force créatrice. Après son combat contre « le monstre » (son oncle), il déverse l’énergie nécessaire pour « réalimenter » le cycle de la vie, donnant un sens écologique profond à cette histoire.

Du « néo-primitifs » dans l’art contemporain

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En Octobre 2014, l’artiste Jeff Frost a posté sur le net un court‑métrage appelé Circle of Abstract Ritual (cercle du rituel abstrait). Ce projet artistique évoque la remise en question des valeurs relative à notre époque, malgré tout influencée par les sociétés traditionnelles. À travers son making-of, l’artiste explique qu’il voit, son projet comme une étude sur « l’idée que la création et la destruction pourrait être la même chose ». Il confit avoir eu le désir d’explorer ce qu’était la création d’une culture comme acte créatif conscient, laissant de côté les attributs dogmatiques des institutions et des codes de pensée. Circle of Abstract Ritual est un concentré de référence à l’uni-

vers des civilisations traditionnelles. La scène la plus emblématique est l’instant où le spectateur se retrouve « plongé » dans l’obscurité d’une salle circulaire décorée de peinture rupestre. Lorsque soudain des faisceaux solaires pénètrent dans la pièce par des interstices. L’effet de time-laspe nous révèle qu’il provienne du soleil en mouvement à l’extérieur du sanctuaire. Ce mouvement ralentit un instant au contact des fresques, évoquant ainsi la « sacralisation astral » de l’art des peintures primitives. Frost a, par ailleurs, changé le nom de son œuvre en cours de production : Modern Ruin


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fut le nom initialement prévu. Ceci révéle son caractère intrinsèque ; car, bien que ce court-métrage fasse l’apologie de rituels primitifs, sa résonance, elle, est très actuelle. Les questions qu’elles soulèvent le sont tout autant. Des installations d’illu-

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sion d’optique élaborés dans des maisons abandonnées suggèrent, par exemple, des choses que nous ne pouvons pas physiquement détecter, une façon pour l’artiste de sonder l’inconnu, le chaos.

CIRCLE OF ABSTRACT RITUAL Jeff frost, 2014


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À la recherche d’une fontaine de Jouvence Un autre aspect attire notre attention sur cette recherche de valeurs nouvelles, plus centré sur l’individu. Aujourd’hui l’homme, en tant qu’espèce, a conscience d’être mortel. Il n’est donc pas étonnant de voir ré-émerger la quête de l’ « élixir de longue vie ».

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Prenons le cas de la marque la plus connu au monde : le cas Google. Devenue la deuxième entreprise mondiale en terme de valeur monétaire avec une valorisation de 107,43 milliards de dollars, soit 15 % de plus qu’en 2013, Google est, depuis quelques années, l’un des principaux sponsors du mouvement transhumaniste, notamment par le soutien financier massif des NBIC (nanotechnologies–biotechnologies–informatique–sciences cognitives) et par l’engagement, en décembre 2012, au sein de son équipe dirigeante de Raymond Kurzweil, théoricien du transhumanisme. Ce mouvement culturel et intellectuel prône l’usage des sciences et des techniques, ainsi que les croyances spirituelles afin d’améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains. Considérant certains aspects de la condition humaine tel que la souffrance, la maladie ou la mort comme inutiles et indésirables des scientifiques et penseurs comptent y remédier grâce à l’émergence des biotechnologies. La société a d’ores et déjà créé la première et l’une des plus performante des intelligences artificielles, qui n’est autre que son fameux moteur de recherche. Larry Page, directeur général et véritable « gourou » de l’entreprise, a d’ailleurs annoncé en septembre dernier (2013) la création de l’entreprise Calico, une entreprise indépendante de biotechnologies qui se focalisera sur la santé, et plus précisément sur le vieillissement et les maladies qui apparaissent avec l’âge. En d’autres termes, sa mission consiste à trouver la jeunesse éternelle. Un animal, en particulier, a retenu l’attention de ces scientifiques de Google. Il s’agit d’une méduse toute droite venue des Caraïbes, inconnue durant fort longtemps, elle fut difficile à trouver car son habitat naturel se situe uniquement dans les eaux profondes. Répondant au doux nom


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de Turritopsis Nutricula, elle serait le seul organisme complexe vivant immortel. Grâce à des mécanismes d’apoptose bloqués et de trans-différenciation, elle parvient à régénérer ses cellules défaillantes en cellules neuves et parfaites. Ainsi cette méduse serait capable d’inverser indéfiniment son cycle de vie. Un peu à la manière de la thèse cosmogonique exposée par l’étranger d’Elée (dans le Politique de Platon) présentant un monde animé par deux cycles récurrents de révolution : l’un, appelé temps de Zeus (celui que nous connaissons), l’autre, temps de Chronos. Dans la seconde période, le monde, dont le mouvement est entraîné par le dieu, tourne dans le sens inverse de celui que nous connaissons : on naît vieux de la terre, et on rajeunit progressivement. Chacun de ces cycles se succèdent éternellement.

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Les scientifiques voient cette méduse comme la clé pour devenir immortel, et cherchent déjà à tout prix un moyen de reproduire le processus de renouvellement des tissus chez les êtres humains, voir même à redonner la vie. Par ailleurs, cette méduse immortelle possède la réponse qui permettrait de guérir l’homme de toute maladie en créant des médicaments antivieillissement. Seulement voilà, comme elles ne peuvent pas mourir de vieillesse, ces méduses se sont multipliées à travers les eaux du globe, provoquant une panique dans la communauté scientifique internationale au point que le Docteur Maria Miglietta de l’institut marin tropical de Smithsonien a déclaré aux journalistes : « Nous nous préparons à une invasion silencieuse mondiale. ». En imaginant seulement que les scientifiques transhumanistes réussissent à découvrir le secret de l’immortalité, comment résoudronsnous alors nos problèmes de surpopulation, de surconsommation et d’autres conflits qui semblent déjà difficilement surmontables ?

D’ailleurs, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le transhumanisme n’est pas un mouvement culturel moderne. Il s’inscrit dans un courant de pensée remontant à l’Antiquité. La quête de l’immortalité de l’Epopée de Gilgamesh ou les quêtes de l’élixir de longue vie et de la fontaine de Jouvence, au même titre que les innombrables efforts ayant visé à


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empêcher le vieillissement et la mort, en sont l’expression. Pour autant la philosophie transhumaniste trouve ses racines dans l’humanisme de la Renaissance et dans la philosophie des Lumières. Le philosophe humaniste Pic de la Mirandole appelle ainsi l’homme à « sculpter sa propre statue ». Plus tard, Condorcet spécule quant à l’application possible des sciences médicales à l’extension infinie de la durée de vie humaine. Cependant, il est important de noter que la notion du « surhomme » forgée par la pensée de Nietzsche ne fait aucun cas d’une hypothétique transformation technologique de l’homme, mais plutôt de celle d’un épanouissement personnel.

C-LES SYSTÈMES CYCLIQUES DA NS L A PRO D U CT I O N

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ès l’antiquité, l’homme a développé un ensemble d’activités économiques qui produisent des biens matériels à partir de 65 matières premières (carrières, taille des pierres, production de -65 briques, métallurgie, etc…). Bien qu’à cette époque elles n’avaient rien de comparable avec notre système moderne, elles étaient déjà - dans certains cas - très polluantes, notamment avec l’industrie du plomb et du mercure.

Une prise de conscience sur la préservation de nos écosystèmes Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la volonté de rendre l’industrie moins délétère n’est pas un phénomène si récent ; elle remonte à la période de la Révolution industrielle. À cette époque, les usines étaient tellement nocives qu’il fallait les contrôler scrupuleusement afin de limiter les taux de maladies et de mortalité. Au XVIIIe siècle, un économiste britannique du nom de Thomas Malthus est l’un des premiers à prédire que la population humaine ne tardera pas à croître de manière exponentielle, et que de cette croissance «naîtra» de graves crises dans le monde du vivant. « La capacité de production de l’Homme est tellement supérieur à celle de la Terre que la mort devrait,


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sous une forme ou une autre, rendre crivant son caractère individuelle prématurément visite à la race et son désir de plus en plus croishumaine. »26 On comprend alors sant d’accaparer des biens. D’autres que Malthus postule sur une sorte écrivains comme John Muir, Aldo d’avènement du chaos. Ses perspec- Leopold, Lord Byron*, ou encore tives pessimistes ont cependant été Henry David Thoreau ont élevées décriées par l’opinion publique. Car leurs voix afin de préserver la naà l’aube de cette ère industrielle, on ture de la destruction. Thoreau a compte encore sur la disposition d’ailleurs magnifiquement expride l’être humain à faire le bien en mé l’émergence de cette nouvelle pliant la nature à croyance « dans “ Il est au sein des bois ces propres fins. le Désert réside un charme solitaire, L’augmentation la préservation de la population Un pur ravissement du monde »27.

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est, alors ellemême perçue comme une aubaine.

aux confins du désert, Et de douces présences où nul ne s’aventure, Au bord de l’océan qui gronde et qui murmure, Sans cesser d’aimer l’Homme, J’adore la Nature. ” *

Pourtant cette amorce n’a pas été vaine, d’autres consciences finissent par prendre son parti. William Wordsworth et William Blake, deux auteurs romantiques anglais, font l’apologie de la nature, décrivant la profondeur spirituelle et imaginative qu’elle peut inspirer. Ils dénoncent aussi le chemin qu’a pris notre société occidentale, dé-

Au jour d ’au j ou rd ’ h u i , l’humanité a conscience de son effet néfaste sur les écosystèmes. La majorité des nations s’accordent à réduire la production de déchets et d’émissions de CO2, des négociations internationales sur le climat sont même entamées depuis 1992. Cependant le taux des déchets ne cesse d’augmenter. Prenons l’exemple de notre pays : en France, le volume de déchets a doublé

26  W. McDonough/ Michael Braungart, Cradle to Cradle, Alternatives, 2011, p70

27  W. McDonough/ Michael Braungart, Cradle to Cradle, Alternatives, 2011, p71


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de 1980 à 2005, pour atteindre 360kg par an et par personne. En 2014, le taux de recyclage est encore jugé trop médiocre par l’AEE (l’Agence européenne pour l’environnement) et reste insuffisante pour atteindre les objectifs tablés par l’Union Européenne (recycler 50% des déchets ménagers d’ici 2020). C’est la raison pour laquelle les gouvernements font de plus en plus pression sur les entreprises en renforçant leur système dit « écoefficient ». Il s’agit du modèle actuel de l’éco-conception qui vise à réduire progressivement les impacts écologiques tout en satisfaisant les besoins humains et la qualité de vie.


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Les limites de l’éco-efficience

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Cependant, le designer américain McDonough et le chimiste allemand Braungrat expliquent que le fait de contrôler davantage nos déchets ou d’être moins nocif pour l’environnement n’est pas suffisant. Pour sortir de la crise actuelle, il faudrait y être bénéfique, à l’image des autres organismes vivants. On ne protège pas, par exemple, notre écosystème en se servant moins souvent de sa voiture. Par ailleurs, Braungrat prouve que la plupart des nouveaux produits commercialisés ne font qu’optimiser les mauvaises substances : « Prenez par exemple, l’interdiction par l’union européenne de l’amiante dans les plaquettes de frein. Des compagnies comme Volkswagen et Ford communiquent largement sur le fait que leurs véhicules ne contiennent pas d’amiante, sans que personne ne leur demande par quoi elles le remplacent. Elles lui substituent en fait du sulfure d’antimoine (Sb2S3), une substance minérale encore plus cancérigène. En fait, pour protéger l’environnement, il faudrait acheter une Porsche dotée de plaquettes de frein en céramique»28. Les mesures prisent par les gouvernements visant à prohiber les matériaux dangereux ne sont donc pas suffisante. Le remplacement qu’elles génèrent n’est qu’une diversion entrainant ainsi de nouveaux problèmes. Par ailleurs, les industriels considèrent d’ailleurs que les initiatives environnementales sont par nature improductives. Car, en règle général, le programme écologique représente une charge pour eux plutôt qu’une option fructueuse. À cet égard, Braungrat précise que toute réglementation signale l’échec d’une conception : « c’est ce que nous appelons un permis de blesser ; un permis émis par un gouvernement et confié à une industrie afin qu’elle puisse dispenser maladie, dévastation et mort à des taux «acceptables» »29. McDonough montre, en s’appuyant sur plusieurs bilans, que plus de 90%

28  W. McDonough/ Michael Braungart, Cradle to Cradle, Alternatives, 2011, p30 29  W. McDonough/ Michael Braungart, Cradle to Cradle, Alternatives, 2011, p88


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des matériaux extraits pour la production de biens durables américains sont presque aussitôt jetés. Les chiffres sont légèrement moins importants en Europe mais reste tout de même très significatifs. Il arrive aussi que le bien lui-même dure à peine plus de temps. Aujourd’hui, il est plus rentable pour le consommateur d’acheter une nouvelle version d’un produit que de trouver une personne susceptible de réparer l’originel ; « Il semble que jeter soit devenu la norme »30. Il est d’ailleurs de notoriété publique que la plupart des « fruits » issus de l’industrie moderne ont une obsolescence programmée. Assurant, auprès des industriels, une demande durable (et même croissante) de nouveaux biens matériels. Braungrat indique, lui, qu’un produit finit ne contient qu’à peine 5% des matériaux bruts participant à sa fabrication et à sa distribution « les gens ne voient dans leurs poubelles que le sommet d’un iceberg de matériaux »31. Un autre problème important domine nos sociétés modernes, celui de « la taille unique pour tous ». Cette volonté d’atteindre des solutions universelles est en fait un héritage stratégique du siècle dernier. Dans le domaine de l’architecture, l’exemple le plus marquant est celui du Style International. Des noms de ses créateurs tel que Walter Gropius, Ludwig Mies van der Rohe, ou Le Corbusier résonnent encore dans nos mémoires. Ces pionniers avaient pour dessein de remplacer les habitations insalubres par des logements de petite taille, sains et abordables pour tous. Intention à première vue louable, mais qui, aujourd’hui pourtant, a pris une tournure complètement différente. Ceux qui ont recourent à ce modèle n’ont plus des objectifs sociaux mais des choix économiques : « il est facile, peu cher et il crée une architecture uniforme quel que soit son environnement »32. Leurs logements sociaux sont peu inspirants et se détachent complétement de l’environnement qui les entoure ; ne reflétant en aucun cas les caractéristiques ou le style de la région. Braungrat insiste sur le fait que la conception de produits universels est problématique et qu’elle est malheureusement présente à chacune des 30  W. McDonough/ Michael Braungart, Cradle to Cradle, Alternatives, 2011, p49 31  W. McDonough/ Michael Braungart, Cradle to Cradle, Alternatives, 2011, p50 32  W. McDonough/ Michael Braungart, Cradle to Cradle, Alternatives, 2011, p51


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échelles de notre industrie. L’exemple de la fabrication massive de détergents qu’il utilise pour dénoncer ce système en est révélateur. Le chimiste allemand explique que les grandes compagnies élaborent un seul produit nettoyant pour l’ensemble des continents, sans tenir compte de la qualité de l’eau et des besoins des communautés locales diffèrentes. « Les produits nettoyants sont conçus pour mousser, retirer la crasse et tuer les germes toujours aussi efficacement quel que soit l’endroit, que l’eau soit dure, douce, de ville, minérale, qu’elle provienne de rivières poissonneuses ou d’usines de traitement des effluents. »33 Le plus dramatique dans ce système est que, pour mettre en œuvre leurs solutions de conceptions universelles, les fabricants conçoivent leurs prototypes en fonction des conditions les plus difficiles. De cette manière, l’efficacité de leurs produits reste toujours optimale, leur garantissant le marché le plus vaste possible, mais, aux dépens des préoccupations vitales. « Cet aspect révèle la singularité de la relation que l’industrie humaine entretient avec la nature, cette vision des choses reflétant bien l’hypothèse que la nature est l’ennemi »34. Or, comme l’explique McDonough, une conception médiocre ou délétère diffusée à l’échelle du monde porte plus loin que notre propre vie. Ces effets auront de lourdes conséquences sur plusieurs générations. La réduction de ces effets nocifs par des systèmes éco-efficients ne freine pas la destruction de notre écosystème, elle ne fait que la ralentir. Elle leur permet de se développer à une moins grande échelle et sur une période plus longue. Elle n’est donc pas une solution à long terme : « Le recyclage est un cachet d’aspirine qui tenterait de soulager une gueule de bois collective plutôt sévère… la surconsommation »35. Cette approche peut d’ailleurs, dans certaine situation, être plus néfaste pour l’environnement. Lorsque, par exemple, les déchets municipaux biodégradables sont compostés, les produits chimiques se libèrent dans l’environnement. Or, la plupart contiennent des toxines et qui, même à des taux infimes, peuvent être potentiellement dangereuses. Il serait presque plus prudent de les enterrer dans un site d’enfouissement. 33  W. McDonough/ Michael Braungart, Cradle to Cradle, Alternatives, 2011, p51 34  W. McDonough/ Michael Braungart, Cradle to Cradle, Alternatives, 2011, p52 35  W. McDonough/ Michael Braungart, Cradle to Cradle, Alternatives, 2011, p76


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Braungrat et McDonough montre aussi que le recyclage revient finalement à sous-cycler, car cette pratique amoindrit la qualité des matériaux. Le retraitement des bouteilles de plastiques a, par exemples, ses limites. Au cours du processus, les composants sont mélangés donnant un matériaux hybride de moins bonne facture, qui est alors coulé en une chose informe, peu cher et surtout non recyclable, comme une parka ou un mobilier de jardin. Il en est de même pour le circuit des métaux. Quant aux papiers et aux cartons, ils ne se retraitent pas indéfiniment (entre cinq et six fois). Et les encres qu’ils contiennent sont composées de métaux lourds qui, à chaque retraitement, sont extraites et déversées dans des rivières. À ce jour, seul le verre fait figure d’exception, en étant retraité indéfiniment. Attention nous n’affirmons pas qu’il soit le seul matériau « idéal », mais il est le seul exploité comme tel. Pour conclure, on constate que, présentée comme un modèle de modernité, l’éco-efficacité, dans sa mise en pratique, ne fait que diffuser la pollution de façon moins flagrante. « Une destruction « efficace » est plus difficile à détecter et donc à stopper »36.

Vers une production éco-bénéfisciente : Cradle to Cradle Au cours de leur retraitement, les matériaux se dégradent ou se perdent car ils n’ont pas été élaborés pour être recyclés indéfiniment. Les produits de l’industrie sont en fait conçus de manière obsolète, de façon à ne durer que jusqu’à ce que le consommateur veuille le remplacer. C’est contraire à la définition de l’écologie industrielle, qui est de s’inspirer du fonctionnement des écosystèmes naturels pour recréer. Par ailleurs, on constate que l’objectif de l’éco-efficacité est d’arriver, à terme, à ne générer aucun déchet. Or comme l’explique Braungrat, cet idéal est absurde : « L’idée d’une nature qui adhèrerait au modèle humain d’efficacité serait grotesque car

36  W. McDonough/ Michael Braungart, Cradle to Cradle, Alternatives, 2011, p92


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en ne laissant aucun détritus elle serait complètement dématérialisée »37. Sur un plan conceptuel, le développement durable doit relever de l’écomimétisme. Afin que les entreprises aient des répercussions positives sur leur environnement, il faut abandonner le système éco-efficient pour le système éco-bénéficient.

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McDonough et Braungrat propose justement une approche systémique qui s’inscrit sur ce modèle : le Cradle to Cradle (Berceau à Berceau). Ce concept aux allures utopiques a pourtant fait ces preuves (près de 300 produits sont maintenant certifiés) et intéresse aujourd’hui un grand nombre d’entreprises. « Le Cradle to Cradle cherche à mettre les êtres humains au même niveau que les autres espèces »38 ; selon eux, un mauvais usage des ressources matérielles n’est pas simplement suicidaire pour notre avenir, mais catastrophique pour la vie sur Terre. Ces deux précurseurs font d’ailleurs une très belle comparaison entre la famille et l’entreprise. En reprenant une fameuse citation de Tolstoï : « toute famille malheureuse est malheureuse à sa manière »39. En règle générale, les entreprises qui génèrent des produits toxiques engendrent un problème environnemental spécifique à leur activité. Or leur approche se fonde, elle, sur le début de ce célèbre adage « Toutes familles heureuses se ressemblent »39. Ce concept envisage le déchet comme un nutriment pour le futur. Ainsi les produits élaborés peuvent être recyclés de façon éco-bénéfique. Braungrat prends l’exemple du cerisier pour nous étayé les avantages de sa démarche : « des milliers de fleurs donnent naissance à des fruits afin de nourri les oiseaux, d’autres animaux, et les humains, et pour qu’un noyau tombe éventuellement par terre, prenne racine, et grandisse. Qui peut regarder un sol jonché de fleurs de cerisier et dire en se lamentant : «Comme c’est inefficace ! Quel gaspillage ! » L’arbre parvient à fabriquer des fleurs en abondance sans épuiser son environnement. Une fois tombées par terre, leurs matériaux se décomposent et se transforment en nutriments qui alimentent des micro-organismes, des insectes, des plantes, des animaux,

37  W. McDonough/ Michael Braungart, Cradle to Cradle, Alternatives, 2011, p107 38  W. McDonough/ Michael Braungart, Cradle to Cradle, Alternatives, 2011, p20 39  W. McDonough/ Michael Braungart, Cradle to Cradle, Alternatives, 2011, p27


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et le sol. Bien que l’arbre produise davantage de « produits » que nécessaire pour prospérer dans son écosystème, ce foisonnement a évolué (au fil de millions d’années de succès et d’échecs ou, en termes commerciaux, de recherches et de développement), pour atteindre des buts divers et riches. En fait, la fécondité de l’arbre nourrit absolument tout ce qui l’entoure. »40 Deux types de métabolismes coexistent sur la planète : le premier, appelé biosphère, regroupe tous les cycles de la nature. Le second, appelé technosphère, regroupe quant à lui tous les cycles industriels. Selon le designer McDonough, les éléments conçu sur le modèle C2C peuvent être crées soit à partir de matériaux biodégradables qui nourriront les cycles biologiques, soit à partir de matériaux techniques qui demeureront dans des cycles industriels clos, et au sein desquels ils circuleront indéfiniment en tant que matériaux précieux pour l’industrie. Les deux pionniers du mouvement éco-bénéfiques ont d’ailleurs travaillé sur un concept de solvant à louer. « En général, les compagnies achètent le solvant le moins cher, même s’il est fabriqué à l’autre bout de la planète. Après usage, soit le solvant s’évapore soit il se retrouve dans un circuit de traitement de déchets, au sein duquel une usine spécialisée se charge de son traitement. L’idée derrière cette « location de solvant » était de mettre à la disposition du client un service de dégraissage qui proposerait des solvants de grande qualité sans les leur vendre, le fournisseur les récupérant et séparant le solvant de la graisse de façon à pouvoir s’en resservir. Dans un tel cas de figure, l’entreprise promeut l’usage de solvants de grande qualité ainsi que leur réutilisation, tout en évitant la pénétration de matériaux toxiques dans le flux de déchets. »41 Un industriel éco-bénéfique développe un produit ou un système en le considérant dans son ensemble. Privilégiant, d’une part, l’utilisation de matériaux locaux et, d’autre part, cherchant ses objectifs et ses effets potentiels, aussi bien immédiat qu’à long terme. Et à l’instar des systèmes naturels qui ne se content pas d’utiliser leur environnement, ils l’appro-

40  W. McDonough/ Michael Braungart, Cradle to Cradle, Alternatives, 2011, p103 41  W. McDonough/ Michael Braungart, Cradle to Cradle, Alternatives, 2011, p183


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visionnent également : « Le cerisier perd ses fleurs et ses feuilles tandis qu’il cycle l’eau et fabrique de l’oxygène ; la communauté des fourmis redistribue les nutriments partout dans le sol »42. L’industrie n’a pas non plus besoin d’inventer des produits plus durables que nécessaire, pas plus que la nature ne le fait. « Nous avons beau vouloir que nos objets subsistent éternellement, les générations futures, elles, ne le désireront peut être pas. »43

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42  William McDonough/ Michael Braungart, Craddle to Craddle, Alternatives, 2011, p196 43  William McDonough/ Michael Braungart, Craddle to Craddle, Alternatives, 2011, p149


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ÉCOSYSTÈME Biosphère Décompostion

Produits de consommation Nutriments biologiques

Fabriquer et assembler Produits hybrides Collecter et désassembler

Technosphère Recyclage

INDUSTRIE Produits de service Nutriments techniques


MESURE DE L’

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UN FUTUR À LA

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UN FUTUR À LA MESURE DE L’HOMME

LE CHAOS MODERNE Le chaos traditionnel La théorie du chaos Le chaos humain LE TEMPS CYCLIQUE ET SES PARADOXES La perception temporelle La pérennité, une harmonie des rythmes L’apocalypse mythique LE CYCLE ARCHÉTYPIQUE, UN CONCEPT « ABSOLU » La figure du cercle Le cercle , symbole absolu Le détachement de la conception primitive


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A-LE CHAOS MO D ERNE

e chaos est sans espace, et sans temps. Il est une limite, un inconnu car il ne peut être défini. Aucun discours ne saurait l’exposer, aucune pensée précise ne le concerne ; « il est le rien où toute détermination se consume »1. Mais, il est aussi vu par des philosophes comme le fondement de l’existence. Le chaos est une notion aux multiples visages.

Le chaos traditionnel

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Pour les sociétés primitives, le chaos se définit comme l’inconnu, l’informe, le territoire hors des frontières. Dans le contexte de l’époque, la nature sauvage est un terrain hostile pour l’être humain. En dehors de son espace maîtrisé rodent l’imprévisible et son cortège de prédateurs. L’imprévisible est craint par l’homme car il est source de danger. Et aujourd’hui l’homme porte encore en lui cet instinct ancestral de peur face à l’inconnu. Mais ironie du sort, cette crainte de l’indéterminé a stimulé l’imagination de nos ancêtres et elle semble encore être pour nous un vivier de création. Ce chaos informe est un chaos fertile car, comme dit Nietzsche: « Il faut encore porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante »2. Lorsque, vers l’âge de trois ans, un enfant commence à développer son imaginaire, il n’est pas rare qu’il demande à s’endormir avec une veilleuse, pour chasser l’obscurité. Cette « peur du noir » est liée à l’inconnu, puisqu’alors les formes sont indistinctes. Son imagination (à son insu) va combler ce « vide » et nourrir sa peur. Or, au cours de notre analyse, nous avons pu constater que c’est cette crainte qui a permis aux hommes de vivre, d’évoluer en société, de bâtir de grandes civilisations, de concevoir des religions et d’écrire de magnifiques poèmes...

1  La négation de l’absolu, Encyclopaedia Universalis 2  Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Flammarion, 1996, p52


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La théorie du chaos Les philosophes ne sont pas les seuls à avoir appréhendés le chaos. Mathématiciens et physiciens ont tentés de mettre au point des programmes pour comprendre son organisation et établir des lois dynamiques pour prévoir son évolution. Depuis les découvertes de Newton au XVIIe siècle, sur la gravité, les scientifiques partaient du postulat que les systèmes dynamiques (système avec notions de mouvements) étaient dirigés par des lois simples et prévisibles. Mais au XIXe siècle, le mathématicien français Henry Poincaré démontre que ces systèmes sont aussi sensibles aux conditions initiales. La réflexion scientifique engendrée par ces travaux donnera naissance, dans les années soixante-dix, à la « théorie du chaos ». On dit d’un système qu’il est chaotique s’il est régi par des lois déterministes connues mais que son évolution dans le temps est instable et tellement sensiblement à ses conditions initiales qu’il semble échapper à toute prévision sur le long terme. L’atmosphère terrestre en est l’exemple le plus connu. Et c’est parce que sa dynamique est chaotique que les météorologues ont du mal à tabler des prévisions convenables au-delà d’une dizaine de jours. Une infime erreur peut évoluer de façon exponentielle et avoir des conséquences importantes et inattendues; c’est le fameux effet papillon: « le battement d’une aile de papillon sur le campus de Grandmont est susceptible de provoquer au bout de quelques mois une tempête tropicale sur Singapour. »3 La théorie du chaos s’applique à quasiment l’ensemble des domaines scientifiques (physique, chimique, biologique, météorologique, mathématiques, informatique et économique). Des chercheurs ont même trouvés des points communs à des systèmes n’ayant à priori rien avoir les uns avec les autres. L’avènement de l’informatique a, lui, permis de mieux maîtriser les approximations, de développer des approches probabilistes, et de mieux ordonner ce qui pouvait au départ ressembler à du désordre inex3  http://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_du_chaos


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tricable. Le physicien chimiste Ilya Prigogine, a suggéré, quant à lui, que le non-équilibre, caractéristique aux systèmes chaotiques, serait source de structure. Et que, contrairement à l’équilibre qui serait selon lui synonyme de stérilité, le chaos impliquerait organisation et créativité. Il explique que le système dans son tout est cohérent. « La population des éléments se structure comme si chacun était informé de l’état du système et agissait en fonction. Le système loin de l’équilibre ont une extraordinaire faculté à créer des ordres nouveaux à partir de zones de désordre apparemment absolu »4. (cf. image) Ces tentatives d’« organisation du chaos » trahissent une volonté de prédire l’avenir sur un long terme. C’est sûrement pour cette raison qu’elle est une des rares théories mathématiques qui ait connu un vrai succès médiatique. Constat étonnant lorsque l’on sait que nos sociétés raisonnent essentiellement sur le court terme.

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Le chaos humain : un impact générationnel irréversible Des calculs numériques effectués par l’astronome Jacques Laskar, montrent que notre système solaire est chaotique. Cette étude a même permis d’avoir une estimation du reste de sa vie, de l’ordre de 200 millions d’années. Cette prévision annonçant que notre « organisation céleste » à encore de beaux jours devant elle, arrive à l’heure où de récents accidents nucléaires (Hiroshima, Nagasaki, Tchernobyl, Fukushima) remettent en cause la durabilité de notre espèce. À la lumière des définitions du chaos vu précédemment, on peut partir du postulat que la société humaine s’organise de manière « chaotique ». Puisqu’elle associe un ensemble d’éléments différents : composée d’une multitude d’individus tous dissemblables tant sur le plan de l’âge, de la

4  http://sitegb.free.fr/chaos/fichiers/pages/pages.html


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RÉACTION BELOUSOV-ZHABOTINSKY Cette réaction chimique révèle la source de structure des systèmes chaotiques: en mélangeant, à température ambiante, cinq composés courants dans l‘eau, la solution oscille entre deux états, avec une grande régularité et ce, pendant une centaine de cycles, jusqu’à l’épuisement d’un des réactifs.

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culture, des capacités, des expériences, des compétences, de l’intelligence, de l’habilité, de l’art… Une hétérogénéité qui, sur le papier, devrait être prolifique. Pourtant, d’après nos analyses précédentes, elle n’entraine que raréfaction des ressources, fin programmée des énergies fossiles, grandes pollutions, perte de repère, recherche de sens… Pour que ce chaos soit «fertile», il faut modifier nos modèles sociétaux et les calquer sur la maxime de Prigogine: que chaque élément, donc chaque être humain, s’informe de l’état de son système et, surtout, réagisse en conséquence. Pour qu’une société soit forte et pérenne elle doit tenir compte de l’ensemble de ces éléments et les organiser pour obtenir un tout cohérent.

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Le chaos humain (relations interpersonnelles, sociale ou culturelles..) doit être contrôlé ou s’autocontrôler, et doit aussi être en adéquation avec l’organisation chaotique de la nature. La déforestation massive, l’utilisation irraisonné des pesticides, l’accumulation des déchets, la perte de contrôle de technologie dangereuse (centrale nucléaires)….vont perturber l’équilibre naturel et risquer de provoquer un chaos irréversible pour des milliers de générations futures.


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B-LE TEMP S CYCLIQUE ET S ES PA RA D OXES

out comme le chaos, la nature du temps est difficile à définir. Elle oppose encore physiciens et philosophes. Pour les premiers c’est une donnée objective, indépendante de la réalité humaine. Pour les seconds, c’est une notion innée intrinsèque à l’esprit humain.

La perception temporelle Depuis qu’il a une conscience, l’homme a toujours eu peur du temps. Sénèque exprime cette crainte ancestrale lorsqu’il présente une vision économique du temps : « le temps est à la fois la seule chose que l’on possède dans notre vie et celui qui nous dépossède progressivement de celle-ci. L’existence est prise dans ce cercle étrange qui fait qu’à mesure que notre âge s’accroît, notre vie décroît. »5 Pour le stoïcisme, les jours se ressemblent et forment le cycle d’un « éternel retour ». Pour Sénèque, cette identité s’amenuise pour l’individu à mesure que la mort le gagne. Le retour cyclique des jours et des saisons ont un sens mais au niveau d’une vie et d’une conscience individuelle, ce cercle rétrécit peu à peu et se transforme en tourbillon ; la confiance placée en cette circularité laisse place à la certitude angoissée de la fin. « Le temps apparaît tour à tour, formant un cercle en mouvement avec l’homme, comme un bien possédé et comme une force dépossédante».6 L’homme a toujours tenté de dompter ce temps si mystérieux en élaborant des calendriers et des horloges pour déterminer la durée d’une journée de travail. « Ces séquences récurrentes, comme le rythme des marées ou le battement du pouls, furent utilisées pour harmoniser les activités humaines et pour les ajuster à des processus extérieurs à eux, de la même manière que furent à des stades ultérieurs les symboles récurrents sur les

5  Sénèque, Lettre à Lucilius, GF-Flammarion, 1974, Lettre XII, p72-74 6  Sénèque, Lettre à Lucilius, GF-Flammarion, 1974, Lettre XII, p72-74


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cadrans de nos horloges »7 explique le sociologue Norbert Elias. Pour lui, le temps est avant tout un « symbole social » résultant d’une volonté de standardisation à l’échelle de la société. Il affirme néanmoins que ce « temps inventé » n’a pas contribué à améliorer la connaissance de sa nature.

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L’intuition d’un temps circulaire est apparue lorsque l’homme l’a « observé » à travers les cycles naturels. Le temps est manifesté par la révolution du soleil ; il n’est pas engendré par cette révolution, il est seulement connu par elle. Le temps est mesuré par le mouvement, il en découle, mais il n’est pas le mouvement. La théorie de la relativité d’Einstein lie d’ailleurs espace et temps. En introduisant la notion d’un espace-temps à quatre dimensions, il démontre que le temps est relatif et varie selon la vitesse à laquelle nous nous déplaçons. Kant, lui, explique que « le temps ne peut être perçu en lui-même, mais seulement à travers les phénomènes »8. Cela démontre qu’il n’a qu’une valeur empirique et non absolue. Le temps n’appartient pas aux choses à titre de propriété, « il est avec l’espace l’une des deux formes pure de l’intuition sensible par laquelle la pensée atteint l’objet »9. Le temps est perçu par un acte de conscience qui a sensation d’un changement. Alors pour quel raison, en faisant abstraction de tout mouvement (en fermant les yeux par exemple), avons-nous encore conscience du temps ? Car la conscience est justement un mouvement, c’est une pensée qui s’articule, qui se déplace. Prenons l’exemple des rêves : lorsque nous rêvons, c’est notre inconscient qui reprend les rênes de notre esprit. Dès lors nous sommes incapables d’identifier la durée qui s’est écoulé durant cette veille. Le rêve est une expérience atemporelle. Et c’est l’une des raisons pour laquelle les peuples ancestraux ont fondés leurs mythologies sur ce modèle. Le temps linéaire s’est finalement imposé, car il répond à un principe de causalité : la cause d’un phénomène est forcément antérieure au phénomène lui-même. Le temps crée, use, détruit, sans jamais pouvoir refaire

7  Les cahiers science et vie, L’invention du temps, N°134, Janvier 2013, p11 8  Kant, Critique de la raison pure, Aubier, 1997, p126-130 9  Kant, Critique de la raison pure, Aubier, 1997, p126-130


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ce qu’il défait. La chute d’un verre d’eau et ses conséquences révèlent son irréversibilité. Cet exemple reflète bien la compréhension du monde de l’homme occidental moderne : la « flèche du temps » a une direction et une seule. Paradoxalement, ce n’est pas la mécanique classique, fondée par Galilée et Newton, qui impose une vision linéaire du temps. Leurs travaux semblent, au contraire, montrer que le temps est réversible. Ce sont les recherches de la philosophe Isabelle Stengers et de Ilya Prigogine qui remettent en cause cette réversibilité. Ils s’appuient sur les travaux du physicien Ludwig Bolzmann, et sur ses découvertes faites en thermodynamique. Des systèmes chaotiques témoigneraient d’évolutions irréversibles, telles qu’elles puissent briser la symétrie entre passé et futur qui caractérise la science moderne, et dont la théorie quantique et celle de la relativité restent solidaires. L’entropie, à savoir le désordre croissant qui anime certains systèmes thermodynamiques (notamment des mélanges entre fluides de différentes températures), parviendrait à atteindre des seuils au-delà desquels on ne peut plus remonter aux instants antérieurs. L’évolution est alors à sens unique : le système a une histoire et la physique retrouve le temps fléché. Cependant, il faut préciser que si la science montre qu’il existe bien une irréversibilité concernant les phénomènes dans le temps, cela ne nous prouve pas l’irréversibilité même du temps. Puisque, dans tous systèmes chaotiques, les états initiaux continuent d’exercer une influence sur l’évolution du phénomène auxquels ils se rapportent, le temps est donc aussi cumulatif. C’est par un rejet de toute intuition cyclique du temps que s’est constituée la croyance rationaliste en un progrès de l’humanité. Les astronomes nous apprennent que l’histoire de l’univers s’est déroulée dans le même sens depuis sa naissance il y a 13,7 milliards d’années, jusqu’à la formation de la terre (4,5 milliards d’années) et l’apparition de la vie (3,5 milliards). Mais grâce à des données récentes du satellite Planck il se pourrait que l’univers soit fluctuant et antérieur au Big Bang, qu’après s’être dilaté il s’effondrerait sur lui-même pour former un nouvel univers.


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Ce qui dure le plus est ce qui se recommence le mieux.

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La pérennité, une harmonie des rythmes Le cosmos est pour l’homme ce qui se rapproche le plus de la pérennité. Et la vie, à une échelle plus réduite, en est aussi un bel exemple. Le point commun de ces deux systèmes est qu’ils se recommencent « indéfiniment ». Comme l’énonce Bachelard, « ce qui dure le plus est ce qui se recommence le mieux »10. La notion de rythme paraît alors comme fondamentale à la notion temporelle. Les phénomènes de la durée sont donc construits avec des rythmes. A l’échelle du vivant chaque espèce « pérennise » sa race en se reproduisant. L’idée d’un être qui devient et qui s’actualise dans le devenir de ces différences, est le fondement de l’œuvre de Deleuze. Il affirme que cette « répétition n’est jamais répétition du « même », mais toujours du Différent comme tel »11. L’être, en lui-même, a une durée limitée, il doit céder sa place à la génération future afin que justement son espèce puisse 87 perdurer. Car, en effet, la mort permet de maintenir la vie dans l’écosys- -87 tème, elle préserve son équilibre. Et si une race est amenée à disparaître, laissant ainsi sa niche écologique vacante, une autre, de son rang, prendra sa place pour s’y développer. Ce fut le cas des mammifères après la disparition des dinosaures. Et c’est aujourd’hui le cas des méduses, qui témoignent de la disparition progressive de la faune aquatique. Le cycle de la vie obéit à un équilibre délicat et pourtant il a survécu à plusieurs crises biologiques et « reste » toujours stable après des millions d’années. La théorie de l’évolution nous apprend que « tous organismes, passés, présents, ou futurs, descendent d’un seul, ou de quelques rares systèmes vivants qui se sont formés spontanément. Et que chacune de ces espèces ont dérivé les unes des autres par sélections naturelles »12. Grâce aux travaux de François Jacob, qui retracent l’histoire de l’étude du vivant, il apparaît l’idée que le monde vivant pourrait être complètement différent de ce qu’il est, et même selon laquelle le monde aurait très bien pu ne pas exister. La 10  Bachelard, La Dialectique de la durée, Puf, 1950, p6-99 11  Deleuze, Critique et Clinique, Minuit, 1993, p330 12  Jacob, La logique du vivant, Tel-Gallimard, 1970, p21


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AILES DE LIBELLULES, témoins de la variations du vivant


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sélection naturelle agit lentement et par étape. Le temps de l’évolution est irréversible. Chaque être vivant est engagé à suivre une certaine voie par la variation et la sélection. Les fourmis, par exemple, regroupent plus de 8000 espèces différentes réparties un peu partout sur la surface du globe. Chaque espèce est amenée à s’adapter à son propre environnement pour prospérer. Ainsi on comprend l’importance que prend la reproduction des êtres. Elle devient l’opérateur fondamental du monde du vivant, source à la fois de variation et de permanence. C’est par ce processus que se maintiennent et se diversifient les structures, les attributs et les qualités de chaque êtres. « Elle est le lieu de rencontre entre le déterminisme qui régit la formation du semblable et la contingence qui préside à l’apparition des nouveautés»13. Mais qu’en est-il des cycles à l’échelle d’un individu ? Le chronobiologiste Albert Goldbeter a prouvé que l’organisme, même privé de tout repère temporel, continu spontanément de suivre des rythmes circadiens (du latin circa diem, « autour de la journée ». Il raconte que cette horloge interne permet à l’organisme de planifier ses cycles d’activité et de repos de façon à anticiper les variations périodiques de l’environnement et de s’y préparer. Ainsi, lorsque la lumière décline, la glande pinéale, située au centre du cerveau, sécrète la mélatonine (l’hormone du sommeil), anticipant par exemple les besoins nocturnes. Lorsque sa teneur dans le sang atteint un certain seuil, la température du corps diminue et le besoin de dormir se fait sentir. À l’aube, sa production cesse et c’est au tour des glandes surrénales de sécréter du cortisol, une hormone qui permet cette fois-ci de rester éveillé. Cette synchronisation parfaite des horloges cellulaires se cale sur le tempo d’une horloge centrale, laquelle est localisée dans deux structures cérébrales microscopiques : les noyaux suprachiasmiques (NSC), situés à la base de l’hypothalamus. Toute cette multitude de fonctions physiologiques témoignent d’une adaptabilité aux variations environnementales et résulte d’un phénomène d’auto-organisation spontanée face à une instabilité. « Un système dépourvu de cette capacité d’adaptation reste stable, rigide. Or la vie est rythme ! »14 On peut alors

13  Jacob, La logique du vivant, Tel-Gallimard, 1970, p193-195 14  Les cahiers science et vie, L’invention du temps, N°134, Janvier 2013, p95


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parler de programmation temporelle du vivant. Le vieillissement exprime aussi un programme génétique propre à l’espèce concernée. Les progrès de la génétique permettront peut-être de comprendre la mort comme un mécanisme génétique et précisément programmé dans une horloge interne. Chaque phénomène amené à durer est construit sur des rythmes. Néanmoins, les rythmes ne sont pas nécessairement fondés sur une base temporelle bien uniforme et régulière. Les variations témoignent d’évènements « exceptionnels » (systèmes chaotiques) et marquent profondément l’échelle du vivant. « La vie est harmonie, sans harmonie, sans dialectique réglée, sans rythme, une vie et une pensée ne peuvent être stable et sûres. »15

Le temps comme cycle sempiternel

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Merleau-Ponty soulève une autre ambiguïté du temps cyclique lorsqu’il définit sa propre définition du temps. Il affirme que « ce qui se passe dans le temps, c’est le passage même du temps. Le temps se recommence : hier, aujourd’hui, demain, ce rythme cyclique, cette forme constante peut bien nous donner l’illusion de le posséder d’un coup tout entier, comme le jet d’eau nous donne un sentiment d’éternité »16. Cette « généralité » du temps n’en donne qu’une vue inauthentique. Car nous ne pouvons concevoir un cycle sans distinguer temporellement le point de départ et le point d’arrivée. Le sentiment d’éternité est donc hypocrite, car l’éternité se nourrit du temps : « le jet d’eau ne reste le même que par la poussée continuée de l’eau »65. Le cycle, s’il est temporel, n’est pas un système éternel. La question est alors de savoir s’il peut quand même se définir comme un système pérenne ? En cherchant la définition de « pérennité » dans le dictionnaire, on

15  Albert Goldbeter, La vie oscillatoire, Odile Jacob, 2010, p97 16  Merleau-Ponty, phénoménologie de la perception, Tel-Gallimard, 1945, p482485


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lit « état de ce qui dure longtemps, éternellement ». Ce qui rend toutes associations difficiles. Cependant le philosophe Wittgenstein constate que « si l’on entend par éternité, non pas la durée temporelle finie, mais l’intemporalité, alors celui-là vit éternellement qui vit dans le présent »17. Elle n’a pas donc de succession, pas d’avant et d’après, pas de devenir ; l’éternité est, en fait, un présent continu et atemporel. L’éternité, si elle existe, est hors des frontières de l’espace-temps, n’ayant ni début ni fin elle ne peut figurer dans ce repère. Comme nous l’avions constaté dans la partie précédente, elle semble être une figuration de l’esprit qui n’est perceptible qu’hors du champ de conscience. Elle est le temps du rêve et le rêve renvoie à la veille, à laquelle il emprunte toutes ses structures. La pérennité dans son sens éternel est donc une impasse, c’est une notion non intelligible. La réponse à notre problème se trouve dans la réflexion du philosophe Boèce, qui distingue de l’éternité la sempiternité. Ce concept, caractérisé par une durée de temps illimité, forme le temps d’un mouvement perpétuel : le mouvement des astres ou du ciel. Selon Merleau-Ponty, le temps éternel peut tout de même s’inscrire dans une dimension réelle. Il représente le champ de présence au sens large « avec son double horizon de passé et d’avenir originaires et l’infinité ouverte des champs de présence révolus ou possibles »65. A cet égard on conclut que l’éternité réelle trouve sa structure dans les innombrables possibilités qui suivent l’instant ou qui auraient pu le précéder. L’éternité prend alors son sens uniquement dans l’informe, le pré-formel et donc dans le chaos.

17  Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 1921, 6.4311 (p19)


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C-LE CYCLE ARCHÉTYPIQUE, UN CONCEPT « ABSOLU »

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e cycle, à travers son mouvement perpétuel parfait et clos, nous renvoie irrémédiablement à la forme du cercle. Il est donc nécessaire de faire état de sa figure.

La figure du cercle En étudiant la conception du monde des civilisations archaïques, on a pu constater que l’image du cercle, dans son sens symbolique, exerce une réelle fascination sur l’imagination humaine. Il est le signe le plus commun et le plus universel. On le trouve dans toutes les cultures. Pour presque toutes les civilisations anciennes, il représente l’ordre cosmique.

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Pour Platon, le cercle a deux visages. Il constitue comme une sorte de double face, « de Janus morphologique ». Il est ce qui se donne à voir : une forme pleine, homogène, statique et parfaitement fermée sur soi. Il est « le cercle du Même », une bulle qui préserve le « tout » du « rien », à l’image de l’œuf cosmogonique. Mais il est tout autant ce qui n’apparaît pas : un vide, un abîme, principe de toute ouverture de la « forme » sur la « non-forme ». Il est le « cercle de l’Autre », une porte ouverte au néant ou à l’inconnu, à l’image, cette fois-ci, du chaos cosmogonique. Platon montre que sa nature est paradoxale, il définit à la fois le visible et l’invisible, le « Même » et l’ « Autre ». Dans les épopées, des animaux mythiques revêtent aussi ce paradoxe. L’ouroboros en est très certainement la représentation la plus connue. Il est décrit comme un serpent ou comme un dragon qui se mord la queue. D’ailleurs sa racine latine uroborus signifie littéralement « qui se mord la queue ». Cet animal mythique est lui aussi un symbole primitif. La représentation la plus ancienne connue est une représentation égyptienne datant du XVIe siècle avant notre ère. Où il forme l’anneau qui unit les


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quatre divinités cosmiques : Seth, Isis, Osiris, Horus. Dans la mythologie gréco-romaine, l’ouroboros est l’attribut de Saturne, fils de Cœlus, dieu du temps (appelé par les Grecs Chronos). Il est représenté sous l’aspect d’un vieillard qui porte une faux dans la main droite et de la gauche l’ouroboros. Dans la continuité du temps se rejoignent la tête et la queue de l’animal, de la même façon que, d’une année à l’autre, le dernier mois de l’année précède le premier mois de l’année suivante. Il révèle le début et la fin de toutes choses. Il forme l’espoir et le renouveau. Son symbolisme rejoint celui de Janus, le « dieu des portes », représenté par deux visages opposés, l’un jeune, tourné vers l’avenir, l’autre, vieux, tourné vers le passé. Dans la mythologie nordique, il est le serpent gigantesque Jörmungand, l’un des trois enfants de Loki (le dieu malin). Il a grandi à tel point qu’il encercle le monde et peut saisir sa queue dans sa bouche, maintenant ainsi les océans en place. Toujours dans les épopées scandinaves, dans les légendes autour du héros semi‑légendaire Ragnar Lodbrok, le roi de Götaland Herraud donne comme cadeau à sa fille Þora un petit dragon. En grandissant, il finit par encercler le pavillon de la fille en avalant sa queue. Le serpent est tué par le héros qui se mariera avec la princesse. Ragnar aura plus tard un fils (d’une autre femme, Kraka), qui naît avec l’image d’un serpent blanc qui encercle son iris en avalant sa queue, ce qui lui vaudra le nom de Siegfried Œil de Serpent.


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Sachant que le comportement de certaines espèces du vivant a longtemps été tributaire de vieux mythe, il est possible que l’image protectrice du « cercle du Même » provienne de cet animal. Car l’ouroboros existe bel et bien. Plus connu par les biologistes sous le nom de cordyle cataphracte, cette espèce endémique d’Afrique du Sud a été découverte en 1828 par le naturaliste Friedrich Boie. Sa particularité est de se rouler en « boule » en saisissant sa queue avec sa gueule lorsque le danger approche. Ainsi à l’instar du hérisson ou du tatou, il protège son ventre par une carapace épaisse faite d’écailles et de piquants. Triste coïncidence qu’il soit « l’incarnation vivante » du cycle éternel lorsqu’on sait que cet animal est au bord de l’extinction.

Le cercle, symbole absolu Platon explique qu’« en méditant le cercle, l’âme reprend conscience de cette création de soi et retrouve le chemin du centre caché derrière l’apparente homogénéité de la périphérie »18. Tel est le but commun de toutes les religions à travers le monde : atteindre le centre du cercle, l’ « énergie » qui alimente le cycle. « L’accès au « centre » équivaut à une consécration, à une initiation ; à une existence, hier profane et illusoire, succède maintenant une nouvelle existence, réelle, durable et efficace »19. La quête fondamentale du croyant c’est de rejoindre l’origine et la fin, et donc de se détacher de sa situation terrestre et, par la même, de se libérer du cadre spatio-temporel. Contempler le cercle, pour le croyant, c’est atteindre l’éternité atemporelle. La contemplation, par laquelle se fait l’expérience du cercle de la création, produit « le ravissement de l’âme ». C’est ce que signifie d’ailleurs, dans la religion catholique, le symbolisme de l’auréole : par son propre effort, ayant réalisé la traversée du cercle, un croyant a atteint son achèvement en se réunissant à Dieu. Le cercle est la forme de la divination, son symbole est celui de l’absolu. 18  Platon, Timée, Encyclopaedia Universalis 19  Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969, p31


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On constate que, tout comme le sens du cercle, celui de l’absolu est équivoque. Il est, par définition ambigu, il désigne soit l’achevé et le parfait (dans son sens positif) soit l’inconditionné et l’informe (dans son sens négatif). Ce qui est absolu n’a besoin d’aucune condition et d’aucune relation pour être. Un absolu ne dépend d’aucune autre chose et porte en soi-même sa raison d’être. Dans la mesure où chacune des religions prétende accéder à l’absolu, il est étrange que l’homme en ait élaboré des conceptions très différentes, alors que la caractéristique fondamentale du concept paraît requérir une pensée identique. L’absolu est donc, au même titre que l’éternité, l’inconditionné, l’indéterminé et l’informe. Aucun discours ne peut le définir, il n’apporte aucune détermination et, faisant figure de dogme, ne peut se comparer aux choses. De nombreux philosophe comme Leibniz, Descartes ou encore Hegel ont tenté de le définir. Mais comme l’absolu demeure négation radicale de toute relation, et ne peut qu’être altéré et contredit par des dogmatiques particulières qui tentent de lui donner une figure déterminée, il semble marquer la limite du langage. L’absolu est, en fait, le contraire du relatif et ne peut alors s’articuler dans le réel.

Le détachement de la conception primitive L’absolu et l’éternité s’accordent au cycle par l’intermédiaire du symbole qu’il véhicule. Cette vision du cycle qui prend sa source et qui gravite autour de ce « centre absolu » ne peut finalement pas se détacher de lui-même. Il ne peut donc pas prendre son essence dans le réel. Serait-ce dans son symbolisme que la conception cyclique est archaïque ? Pour s’en défaire il faut remplacer ce centre du temps mythique et figé. Notons que, bien que l’homme actuel tende à s’inspirer des valeurs anciennes, il ne saurait être question de retourner en arrière, ni de se détourner de ce qui a été accompli par la révolution du monde moderne. L’homme ancestral a établi ce concept, car il conférait une réalité aux choses en les transcendant. Il donnait du sens à ce qu’il ne pouvait comprendre. Sa conception du monde s’est fondée sur la nature ; sur une nature qui se retrouve en elle-même. Car à l’échelle de vie d’un individu, les variations du vivant


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sont, dans la plupart des cas, imperceptibles. Or grâce aux avancées scientifiques nous savons que la nature s’actualise dans ces différences, comme en témoigne l’évolution du vivant. La vision primitive naît d’une bonne intuition, elle montre la marche à suivre, mais n’est en aucun cas une « recette » de pérennité pour notre avenir. Le contexte et les enjeux d’aujourd’hui sont complètement différents. Il est nécessaire pour l’homme contemporain de créer sans détruire l’écosystème, s’il souhaite perdurer. Et comme le dit Einstein: « La science ne fait qu’établir ce qui est, pas ce qui devrait être. En dehors de son domaine, elle aura toujours besoin d’avis de valeurs. »20. Comprenant que le cycle est une perception du temps, il devrait alors figurer comme lui dans l’espace c’est-à-dire dans un plan non pas en deux mais en trois dimensions. Nous n’aurions plus l’image d’une boucle « plate » mais d’une spirale qui « graviterait » autour d’un sens, le sens du temps historique: avec un début et une fin. Le centre est alors une quatrième dimension, la dimension temporelle. Ce cycle réagirait face à un futur toujours nouveau et donc incertain, un système ré-évolutif offrant alors un champ des possibles infini.

20  Albert Einstein, Comment je vois le monde, Flammarion, 1934


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SUR UN SENTIE R NO UV EAU

urant des millénaires, les miser la richesse et l’abondance êtres humains se sont de la nature, l’homme persiste à battus pour maintenir systématiquement la restreindre. » les frontières entre les hommes Or, comme l’exprime l’économiste et la nature. Cette conception du Ernst F. Schumacher, l’espèce humonde était nécessaire pour assumaine, si elle souhaite perdurer, rer sa survie. Mais là où l’homme doit changer profondément sa « ancestral » se voyait comme le vision du monde: « Des machines bienfaiteur de la terre, l’homme toujours plus grandes, entraînant « moderne » se présente comme une concentration de pouvoirs l’être dominant la nature. Et, auéconomiques toujours plus grande, jourd’hui encore, persiste l’idée et exerçant une violence encore selon laquelle il serait du droit et plus grande sur l’environnement, du devoir des indin’incarnent pas C O M M E N T FA I R E vidus de modeler le progrès : elles l’environnement D E L A V A R I A B I L I T É sont un déni de à des fins « meilsagesse. » La UNE SOURCE leurs ». Une phrase D E P E R M A N E N C E ? vrai sagesse, ade l’artiste Frant-il revendiqué, cis Bacon révèle bien cette idée : « se trouve seulement en chacun « Une fois la nature connue, elle d’entre nous »2. peut être dominée, gérée et utilisée Cette volonté de changement 1 au service de la vie humaine. » . prennent de plus en plus d’ampleur au sein de nos communauDès que la nature s’immisce dans tés. Le fait que nous traversions le territoire urbain elle est tout de aujourd’hui une crise à la fois envisuite réprimée ou détruite « les ronnementale, économique et soquelques feuilles d’automne tomciale justifie ce besoin. Car comme bées sur le bitume sont ramassées, nous ont «enseignées» les réacpuis brûlées au lieu d’être compostions chaotiques: chaque système tées. Plutôt que d’essayer d’opti1  William McDonough/ Michael Braungart, Craddle to Craddle, Alternatives, 2011, p115

2  William McDonough/ Michael Braungart, Craddle to Craddle, Alternatives, 2011, p114


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« déséquilibré » a une formidable faculté à créer des ordres nouveaux. Chaque individu a donc son rôle à jouer dans cette ré‑évolution. Face à ces enjeux, nous pourrions, en tant que designer, travailler sur une conception qui réclame un ensemble de principes basé sur les

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lois de la nature. Un cycle révolutif capable de s'exprimer en permanence de diverses façon. Un modèle aux potentialités infiniment plus grande et dont les créations ne seraient plus des formes définies par leur fonction mais par leur évolution.


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Nous sommes le fruit d’un magnifique hasard. De la poussière d’étoiles révélée à la vie. Une singularité cosmique aussi rare qu’une particule infiniment plus petite qu’un grain de sable sur notre Terre. « Une vision de l’Univers qui nous dit indéniablement à quel point on est petit et insignifiant, et comme on est rare et précieux en même temps. »3 Cette leçon d’humilité nous enseigne qu’il est de notre devoir, en tant qu’ « être conscient », de ne pas nous « gâcher », et de préserver notre matrice. L’homme archaïque se voyait comme le bienfaiteur de la terre, l’homme moderne se voit comme l’être dominant la nature, à l’homme conscient de s’ouvrir au champ des possibles pour répondre aux problèmes qu’il a causé. Et au vu de ce que l’homme a accompli depuis ces derniers millénaires, pouvons-nous seulement imaginer ce qu’il pourrait créer sur des centaines de milliers d’années ? Des perspectives infinies, accompagnées d’un cortège de créations susceptibles de dépasser notre entendement. « La plus grande faiblesse de la pensée contemporaine me paraît résider dans la surestimation extraordinaire du connu par rapport à ce qui reste à connaître. » 4

3  Robert Zemeckis, Contact, Warner Bros, 1997 4  André Breton, L’amour fou, Gallimard, 1976, p 61


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Du chaos est née la matière, de la matière est née la vie, de la vie est née la conscience et de la conscience naissent les créations...

Bruno Pariset


SOURCES B IBLIOGRAPHIE Alban GONORD, Le Temps, GF Flammarion, 2001 George R. R. MARTIN, A Song of Ice and Fire (saga de cinq tomes: A Game Of Throne, A Clash Of King, A Storm Of Swords, A Feast Of Crows, A dance With Dragons), Bantam Spectra, 1996 Jacques CAUVIN, Naissance des divinités, naissance de l’agriculture, CNRS EDITION, 1995 Alexander MARSHACK, Racines de la civilisation, PLON, 1973 Mircea ELIADE, Le mythe de l’éternel retour, Gallimard, 1969 Françoise PAUL-LÉVY, Anthropologie de l’espace, Segaud, 1992 Joseph CAMBELL, Le héros aux mille et un visages, Oxus, 2010 Jon KRAKAWAER, Voyage au bout de la solitude, Presses de la cité, 1996 Friedrich NIETZSCHE, Ainsi parlait Zarathoustra, Flammarion, 1996 W. MCDONOUGH, Craddle to Craddle, Alternative, 2011

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Jean BAUDRILLARD, Le système des objets, Gallimard, 1968 André BRETON, L’amour fou, Gallimard, 1976 Albert EINSTEIN, Comment je vois le monde, Flammarion, 1934 Les cahiers science et vie, L’origine des civilisations, N°145, mai 2014 Les cahiers science et vie, Les Celtes : Origine, histoire, héritage, N°146, Juillet 2014 Les cahiers science et vie, L’invention du temps, N°134, janvier 2013 Les cahiers science et vie, Astronomie quand l’homme invente l’Univers, N°129, mai 2012 Science et vie, La naissance de l’univers : les données du satellite Planck, N°1160, mai 2014 Science et vie, Au-delà du réel : les physiciens ouvrent les portes de l’espace-temps, N°1161, juin 2014 Science et vie, Les premiers signes de l’Au-delà, N°1134, mars 2012 Courrier international, Google maître du futur, N°1230, juin 2014 Hors-série Le monde, Friedrich Nietzsche l’éternel retour Sofilm, L’empire HBO, N°22, juillet 2014 Multiple, Encyclopaedia Universalis, Paris


WEBOGRAPHIE http://www.notre-planete.info/ http://www.universalis.fr/encyclopedie/ http://www.deathandtaxesmag.com/216179/true-detective-horror-andnoir-as-told-by-nietzsche/ http://www.vulture.com/2014/02/philosopher-assesses-true-detectivecharacters-rust-cohle-marty-hart.html http://www.playlistsociety.fr/2014/04/true-detective-part-3-audenouement-lironie/117643/ https://vimeo.com/106181453 http://sitegb.free.fr/chaos/fichiers/pages/pages.html http://www.linternaute.com/ http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais FILM OGRAPHIE Terrence MALICK, The tree of life, Fox Searchlight Pictures, 2011 Roger ALLERS et Rob MINKOFF, Le Roi Lion, Studio Disney, 1994 Robert ZEMECKIS, Contact, Warner Bros., 1997 Danny BOYLE, Sunshine, Fox Searchlight Pictures,2007 Christopher NOLAN, Interstellar, Paramount Pictures, 2014 Sean PENN, Into the Wild, Paramount Vantage, 2008 John HILLCOAT, La route, FilmNation Entertainment, 2009 Michael HIRST, Vikings, History Channel ,2013-2014 Nic PIZZOLATTO, True Detective, HBO, 2014 David BENIOFF et Daniel B WEISS, Game Of Thrones, HBO, 2011-2014 Jeff FROST, Circle of Abstract Ritual, 2014


GLOSSAIRE A ABSOLU Qui ne supporte aucune contradiction, qui ignore les nuances. ADAPTATION État général d'un organisme auquel un certain milieu est plus favorable que tout autre.

ARCHAÏQUE Se dit parfois de la phase initiale du développement d'une culture, d'un art. ARCHÉTYPE Structure universelle issue de l'inconscient collectif qui apparaît dans les mythes, les contes et toutes les productions imaginaires du sujet sain, névrosé ou psychotique.

ASTRE Tout corps céleste naturel (Soleil, Lune, planète, comète, étoile, etc.) B BAGUÀ est un diagramme octogonal avec un trigramme différent sur chaque côté. BERCEAU Lieu de naissance, origine. C CALENDRIER Système lié d'une manière plus ou moins stricte à la durée de révolution de la Terre autour du Soleil ou à celle de la Lune autour de la Terre et permettant de recenser les jours, les semaines, les mois et les années.

CÉLESTE Relatif au ciel, séjour des bienheureux, ou à la divinité. CENTRE Point essentiel, cœur.

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CERCLE forme parfaite, close, qui limite l’espace et préserve le cosmos. CHAOS Confusion générale des éléments de la matière, avant la formation du monde. CHRONOBIOLOGIE Étude scientifique des biorythmes. CIRCADIEN Se dit des biorythmes dont la période est comprise entre 20 et 28 heures, donc voisine du rythme diurne.

CLÔTURE Enceinte, interdite aux profanes. COGNITIF Qui se rapporte à la faculté de connaître. CONTEMPORAIN Qui appartient à l'époque présente, au temps présent COSMISER transformer un espace profane en un espace sacré, maitrisé. COSMOGONIE Partie des mythologies qui racontent la naissance du monde et des hommes. COSMOLOGIE Science qui étudie la structure, l'origine et l'évolution de l'Univers considéré dans son ensemble.

CRÉATION Action de créer, de tirer du néant. CYCLE Suite de phénomènes se renouvelant dans un ordre immuable. D

DIMENSION Aspect significatif de quelque chose. DURABLE De nature à durer longtemps, qui présente une certaine stabilité, une certaine résistance.

DRAGON Être primordial, symbolisant le chaos, présent au début et à la fin des temps.


DÉMIURGE Personne qui créé une œuvre de grande envergue. E

EMBRYON Commencement rudimentaire, début de quelque chose, germe. ENTROPIE En thermodynamique, grandeur qui permet de caractériser le désordre d’un système. ÉQUILIBRE Juste proportion entre des éléments opposés, entre des forces antagonistes, d'où résulte un état de stabilité, d'harmonie.

ESPACE Surface, étendue, composant trois dimensions. ETERNEL Qui est sans commencement ni fin ; hors du temps. ÉTERNEL RETOUR Doctrine de Nietzsche qui tente de mettre en évidence la circularité du temps et qui préconise, non le fatalisme et la résignation auxquels mènerait l'idée que tout recommence, mais la volonté d'imposer à chaque moment vécu la marque de l'éternité, la plénitude de l'absolu. ÉVOLUTION Ensemble des changements subis au cours des temps géologiques par les lignées animales et végétales, ayant eu pour résultat l'apparition de formes nouvelles. Passage progressif d'un état à un autre.

EXISTENCE Fait d'exister, d'avoir une réalité. F G

FERTILITÉ Capacité de quelqu'un à créer ; créativité. GENÈSE Origine et développement des êtres. GERMINALE Principe, source, cause originelle, élément de développement de quelque chose. GNOMON Cadran solaire primitif, constitué d'une simple tige, appelée style, dont l'ombre se projette sur une surface plane.

H

HARMONIE Rapport d'adaptation, de conformité, de convenance existant entre les éléments d'un ensemble cohérent ou entre des choses soumises à une même finalité. HESTIA Divinité grecque, du foyer et du feu sacré. HIÉROGAMIE Conjonction d'un dieu et d'une déesse, ou de deux principes complémentaires de sexe opposé, qui figure dans un grand nombre de religions.

INCONDITIONNÉ Qui n'est soumis à aucune condition. I

INFINI Sans limites dans le temps ou l'espace. INFORME Qui n'a pas de forme nette, déterminée, reconnaissable. INSTABLE Qui ne repose pas sur des bases solides, qui n'est pas durable. INVOLUTION Régression avec retour à un état antérieur. IRRÉVERSIBLE Qui suit un processus qu'on ne peut ni enrayer ni renverser.

J

JANUS Divinité romaine, dieu biface des commencements et des fins.


K L M

KRONOS Roi des titans et père des dieux, divinité primordial du temps. LIMITE Un seuil au-delà duquel quelque chose n'appartient plus à l'ensemble donné. MODERNE Qui appartient à une époque relativement récente. MONSTRE Être fantastique des légendes, de la mythologie. MYTHE Récit mettant en scène des êtres surnaturels, ou des actions imaginaires.

N

NAISSANCE Fait pour quelque chose d'apparaître, de commencer. NATURE Le monde physique, l'univers, l'ensemble des choses et des êtres, la réalité. NÉANT La non-existence, ce qui précède ou suit l'existence. NÉGUENTROPIE Entropie négative. NIHILISME Négation des valeurs intellectuelles et morales communes à un groupe social, refus de l'idéal collectif de ce groupe.

O

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ONTOLOGIE Théorie de l'être. OUROBOROS Un dessin ou un objet représentant un serpent ou un dragon qui se mord la queue.

P

PARADOXE Être, chose ou fait qui paraissent défier la logique parce qu'ils présentent des aspects contradictoires. PARFAIT Qui est ce qu'il est de façon absolue, sans la moindre restriction. PHÉNOMÈNE Fait observé, en particulier dans son déroulement ou comme manifestation de quelque chose d'autre.

PHŒNIX Oiseau fabuleux, qui vivait plusieurs siècles, se brûlait lui-même sur un bûcher et renaissait de ses cendres. PRIMITIF Qui appartient au premier état d’une chose, qui est dans un état proche de son origine. PRIMORDIAL Qui existe dès l'origine, qui est le plus ancien. PROGRÈS Évolution régulière de l'humanité, de la civilisation vers un but idéal. R

RELATIF Qui n'existe qu'en relation avec quelque chose d'autre, qui n'est pas indépendant. REPRODUCTION Propriété caractéristique des structures vivantes qui consiste à édifier, à toutes les échelles d'observation (macromolécule, cellule, organisme), des structures vivantes identiques ou presque identiques à elles-mêmes RÉVOLUTION Mouvement d'un objet autour d'un point central, d'un axe, le ramenant périodiquement au même point.

RÉ-ÉVOLUTION Mouvement circulaire d'un objet autour d'un axe central, l’entrainant dans la


même direction.

RÉVERSIBLE Qui peut revenir en arrière, qui peut se produire en sens inverse. RÊVE Production psychique survenant pendant le sommeil, et pouvant être partiellement mémorisée. RYTHME Retour, à des intervalles réguliers dans le temps, d'un fait, d'un phénomène. S

SEMPITERNEL Temps continuel, à l’image des astres. SÉNESCENCE Vieillissement naturel des tissus et de l'organisme. SYMBOLE Signe figuratif, être animé ou chose, qui représente un concept, qui en est l'image, l'attribut, l'emblème. SYSTÈME Signe figuratif, être animé ou chose, qui représente un concept, qui en est l'image, l'attribut, l'emblème.

STABILITÉ Caractère de ce qui se maintient tel, sans profondes variations, pendant un temps assez long.

STATIQUE Qui n'évolue pas, semble fixé de manière définitive, par opposition à dynamique. T

TEMPS Mouvement ininterrompu par lequel le présent devient le passé, considéré souvent comme une force agissant sur le monde, sur les êtres. TOMBEAU Lieu ou circonstance où quelqu'un, quelque chose a péri, disparu. Transcendant Qui dépasse le monde sensible, par opposition à immanent.

U

V

UNIVERS Ensemble de tout ce qui existe et/ou ensemble de concepts, d'objets abstraits considéré comme un système organisé. VARIATION État de ce qui varie, modification, changement, écart, différence entre deux états. VIDE Caractère de ce qui manque de réalité, de valeur.


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