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synthèse

S’inspirer des méthodes agiles de gestion de projet Accélérer la mise en œuvre de ses projets

E Didier Avril, série Storytelling

Nos sources Cette synthèse s’appuie en particulier sur les publications citées ci-dessous et présentées en dernière page. Scrum: The Art of Doing Twice the Work in Half the Time Jeff Sutherland, éd. Crown Business, 2014. Accelerating Projects by Encouraging Help Fabian J. Sting, Christoph H. Loch, Dirk Stempfhuber, MIT Sloan Management Review, février 2015. Fifty Quick Ideas to Improve your User Stories Gojko Adzic, David Evans, éd. Neuri Consulting LLP, 2014.

Dans cette synthèse…

n matière de gestion de projet, les dérapages sont plus la norme qu’une exception. Ils sont parfois spectaculaires, à l’image du projet Taurus d’informatisation de la Bourse londonienne, qui a été définitivement abandonné après 4 années de travail et 100 millions de livres sterling de pertes. Combien de projets de construction, de développement de produits ou encore de réorganisation finissent vraiment dans les délais et les budgets initialement impartis ?

C’est pourquoi de plus en plus d’entreprises se laissent séduire par les méthodes de management de projet dites agiles, beaucoup plus efficaces en contexte incertain. Au lieu de planifier l’ensemble du projet, elles le décomposent en mini-cycles de production incrémentaux, qui peuvent être réalisés puis testés en un temps très court. Le projet avance ainsi par itérations successives en s’appuyant sur les retours constants d’expérimentations précoces. Foncièrement adaptatives, ces méthodes constituent une alternative prometteuse pour des managers tiraillés entre le besoin d’organiser le travail de leurs équipes et une exigence toujours croissante d’innovation et d’adaptation à des besoins sans cesse changeants.

Bien sûr, les causes de ces dérapages sont multiples. Mais, au-delà des circonstances particulières, les observateurs pointent un problème structurel : les méthodes traditionnelles, fon­ dées sur une approche séquentielle, sont peu adaptées au contexte mou­ vant des entreprises. Selon l’approche traditionnelle, le projet est découpé en phases successives prédéfinies, du cadrage aux phases de test. Le périmètre du projet et la planification des tâches sont fixés dans le détail en amont, afin d’optimiser l’exécution. Si ces méthodes sont d’une efficacité remarquable dans des environnements stables, elles montrent de sérieuses limites dès lors que les projets impliquent une part d’incertitude. En effet, les changements

FOCUS Gestion de projet agile ou traditionnelle : que choisir ?

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en cours de route sont très coûteux et désorganisent tout le processus. C’est ainsi que l’on s’efforce plus ou moins consciemment de s’en tenir à la planification initiale… et que l’on découvre bien trop tard, lors des phrases de test situés en aval du projet, que l’on a négligé de tenir compte de l’évolution des besoins ou du contexte.

ANALYSE

FOCUS

Réussir ses projets grâce aux méthodes agiles

Aider ses équipes à s’organiser de façon autonome

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FOCUS

Gestion de projet agile ou traditionnelle : que choisir ? L’enjeu Traditionnellement, les bonnes pratiques de gestion de projet s’appuient sur une importante phase d’analyse amont, qui permet de définir aussi précisément que possible les attendus du projet, et sur une planification rigoureuse des tâches. Plus récemment sont apparues des méthodes dites « agiles », comme la méthode Scrum, qui procèdent par itération pour affiner au fur et à mesure de l’avancement du projet la compréhension des attentes et la nature exacte des réalisations. Quelle approche privilégier ?

Des approches radicalement différentes GESTION DE PROJET « EN CASCADE » Spécificités :

Avantages/Inconvénients :

• Planifiée : Le cadrage des attendus et l’organisation détaillée de l’ensemble du projet se font en amont. • Linéaire : Chaque étape doit être terminée pour passer à l’étape suivante. • Spécialisée : Chaque étape est assurée par des équipes spécialisées qui exécutent le cahier des charges établi dans les phases précédentes. Les différentes composantes du projet sont souvent intégrées en fin de projet.

L e management dispose dès l’amont d’une vision globale détaillée du projet, de ses étapes clés et des attendus. La visualisation des étapes – souvent sous forme de diagramme de GANTT – permet d’optimiser l’ordonnancement des tâches et de détecter les dérapages.

Plutôt adaptée aux projets dont les besoins sont bien connus à l’avance et figés.

L es changements en cours de route sont difficiles ou très coûteux. Le résultat n’est testé qu’en fin de projet. Ce que peuvent apprendre les équipes lors de l’exécution des tâches est peu ou mal exploité pour optimiser le résultat.

GESTION DE PROJET « AGILE » Spécificités :

Avantages/Inconvénients :

• Itérative : Le projet est organisé en mini-cycles de production. Chaque mini-cycle inclut un cycle complet de la conception à la réalisation. Il doit déboucher sur quelque chose de testable par le client, interne ou externe. • Incrémentale : Les attendus et les priorités d’action sont revus à chaque itération en fonction des tests et retours client. Le projet avance ainsi par adaptations successives. • Auto-organisée : Ces mini-cycles sont assurés par des équipes pluridisciplinaires et autonomes, sans planification détaillée générale.

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Plutôt adaptée aux projets complexes ou innovants, et dans les secteurs d’activités très dynamiques.

L e projet s’adapte au plus juste aux attentes du client, qui peut affiner son besoin, voire réorienter ses priorités, en fonction de ce qu’il observe à chaque itération. Les équipes sont force de proposition. Elles ont la responsabilité de trouver le meilleur moyen de produire une réponse concrète au besoin dans le temps imparti. L’organisation en équipe pluridisciplinaire évite le cloisonnement et focalise le groupe sur la valeur générée pour l’utilisateur final. L e périmètre du projet, l’affectation des ressources et le budget sont constamment revus en cours de route, ce qui demande beaucoup de flexibilité et de capacité d’adaptation dans l’entreprise.

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synthèse

ANALYSE

Réussir ses projets grâce aux méthodes agiles

L

es méthodes agiles de gestion de projet sont nées du constat que de nombreux projets rigoureusement conçus et planifiés finissaient hors délais, hors budget et avec un résultat final décevant. Elles visent aussi à cadrer une approche de la gestion de projet plus compatible avec des conditions changeantes et imprévisibles. Au contraire des techniques traditionnelles qui privilégient la planification en amont, les méthodes agiles progressent par expérimentations rapides et itératives. Elles s’organisent autour de mini-cycles, d’une à quatre semaines, gérés par des équipes autonomes, qui aboutissent chacun à une production imparfaite mais testable, qui sera raffinée lors du mini-cycle suivant. Les équipes peuvent ainsi ajuster en permanence tant les spécifications de ce qu’elles produisent que leurs modes de travail (figure A). Cette démarche, qui emprunte beaucoup de principes au lean management et à l’amélioration continue, a donné lieu à des succès spectaculaires. Elle a par exemple permis d’achever la refonte du système d’information du FBI en 10 mois, là où les projets précédents échouaient depuis 8 ans et avaient englouti plus de 600 millions de dollars ! Le cabinet de conseil McKinsey s’est aussi appuyé sur ce

Quatre changements de paradigme sont vitaux pour la réussite des projets agiles.

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culturelle. Avancer par itération impose en effet de conserver un dialogue ouvert avec l’utilisateur final tout au long du projet, et d’être en permanence prêt à remettre en cause le travail déjà effectué pour s’adapter aux dernières évolutions. Un état d’esprit que peu de managers habitués aux modes de fonctionnement traditionnels possèdent naturellement.

Les méthodes agiles de gestion de projet s’accordent mal avec les modes de management traditionnels. type d’approche pour aider un grand groupe pétrolier à réécrire l’ensemble de ses procédures de forage pour ses exploitations terrestres. Le projet n’a demandé que huit semaines et a contribué à réduire de 30% les coûts moyens de forage par puits. Mais les déçus de ces méthodes sont aussi nombreux. Deux raisons poussent en effet les entreprises à revenir à des approches plus conventionnelles :

Des interférences avec les règles de gestion en place Les responsables de projets agiles se heurtent fréquemment aux règles et aux hiérarchies de l’entreprise. En effet, ces démarches s’appuient essentiellement sur trois principes : des mini-cycles de production courts, une adaptation constante aux retours des clients, des équipes projet dédiées et autonomes. Or ces principes sont souvent incompatibles avec les habitudes en place, tant du point de vue des circuits de validation que des politiques de mobilité, par exemple. Ainsi, il n’est pas rare d’observer des projets engagés dans une logique agile se dénaturer progressivement pour se conformer aux règles traditionnelles de gestion de l’entreprise – avec in fine des résultats décevants. Tirer parti des méthodes agiles demande ainsi un changement radical de façon de penser et d’opérer.

Une vision trop centrée sur les méthodes Réduire la démarche agile à des techniques de gestion de projet compromet fortement les résultats que l’on peut en attendre. Certes, il est essentiel de s’interroger sur les aspects méthodologiques : quelle doit être la longueur de chaque itération, quels rituels mettre en place pour assurer la coordination, etc. Mais il est encore plus important que s’opère une véritable révolution

1 Viser le minimum acceptable plutôt que le produit fini 2 Piloter en temps réel plutôt que planifier 3 Rechercher la fluidité avant la rigueur 4 Privilégier le collectif à l’individu

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Viser le minimum acceptable plutôt que le produit fini

qu’à une maquette d’écran. Ils savent que des bugs peuvent subsister. Cela permet cependant de collecter leurs premières réactions et leurs retours

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La pierre angulaire des démarches agiles est leur caractère adaptatif : elles collectent très tôt et tout au long du projet les retours des clients sur le travail en cours. Elles peuvent ainsi déminer rapidement les problèmes et affiner les spécifications du résultat final. Or ce mode d’avancement bouleverse profondément les habitudes. La principale rupture consiste à réfléchir en termes de « minimum viable » plutôt qu’en termes de pro­ duit finalisé. Par exemple, Toyota a développé la Prius en 15 mois en avançant par prototypage rapide. L’équipe n’a pas hésité à faire tester des prototypes totalement insatisfaisants s’il avait fallu les commercialiser, mais qui ont permis de faire des avancées notables grâce aux retours des clients (figure B). De même, dans le domaine des logiciels, de plus en plus de développeurs proposent à leur communauté de passionnés d’accéder à des versions « alpha ». Ceux-ci ne peuvent tester qu’un seul mode de jeu ou n’ont accès

Accepter de montrer au client des produits avant qu’ils ne soient parfaits requiert un profond changement d’état d’esprit.

sur les dysfonctionnements ou les axes d’amélioration. Dans le même esprit, Ericsson a demandé, à ses équipes chargées du développement de ses stations de téléphonie mobile au Japon : « Que peut-on réaliser pour 2 % du budget et qui crée déjà de la valeur pour le client ? ». Cela a obligé à décomposer le projet en tranches testables et valorisables par le client. Le temps de mise sur le marché du produit abouti été réduit de moitié. S’exposer tôt au jugement des utilisateurs implique de redéfinir ses critères d’appréciation du travail et de réviser la culture d’entreprise. Qu’est-ce qu’un travail de qualité ? À quoi juge-t-on la valeur apportée par un collaborateur ? Adopter le mode de fonctionnement agile exige une adaptation souvent douloureuse, comme en

témoigne un designer : « J’étais très frustré de présenter aux clients une maquette que je trouvais encore mal dégrossie. J’avais peur qu’on me juge sur ces ébauches. J’ai mis du temps à me faire à l’idée que ce qui importait était moins la beauté de mon design que la valeur qu’on créait en équipe à chaque fin de cycle pour le client. » La mise en place de méthodes agiles requiert ainsi un accompagnement pour apprendre à accueillir le feedback comme un levier de progrès, et à considérer la remise en question du prototype présenté comme une réelle avancée.

Piloter en temps réel plutôt que planifier 2

Les méthodes agiles bouleversent les habitudes de planification, et avec elles le rôle traditionnel du manager de projet. En effet, dans les projets traditionnels, le cadrage et la planification détaillée se font en amont. À charge, pour le manager de projet, de s’assurer du bon déroulé du projet et de la conformité de l’exécution. Dans les méthodes agiles, il s’agit moins de planifier que d’ordonner

FIGURE A Les valeurs communes aux démarches agiles Plus qu’une simple méthode, la démarche agile consiste en une conception particulière des facteurs clés de succès d’un bon développement de produit. Cette démarche a été matérialisée dans le Manifeste Agile rédigé par 17 figures de proue du mouvement en 2001. Elle repose notamment sur 4 valeurs communes à toutes les démarches agiles, y compris celles aujourd’hui utilisées pour des projets autres qu’informatiques.

« DES PRODUCTIONS OPÉRATIONNELLES, PLUS QU’UNE DOCUMENTATION EXHAUSTIVE. »

« LES INDIVIDUS ET LEURS INTERACTIONS, PLUS QUE LES PROCESSUS ET LES OUTILS. » C’est la qualité de coopération entre les individus qui permet à l’équipe de s’adapter pour tendre de façon pragmatique vers la meilleure solution. Ainsi, il est préférable d’avoir une équipe soudée et qui communique, plutôt que des experts spécialistes de leur domaine coordonnés par des procédures.

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Il est vital que les équipes produisent à chaque mini-cycle des produits fonctionnels, même s’ils sont encore partiels ou imparfaits. C’est ce qui permet d’obtenir rapidement des retours utilisateurs et d’améliorer les produits progressivement.

valeurs fondamentales « L’ADAPTATION AU CHANGEMENT, PLUS QUE LE SUIVI D’UN PLAN. » La planification initiale et la conception du produit – logiciel ou autre – doivent être souples, afin de permettre l’évolution de la demande du client tout au long du projet. Les livraisons des premières avancées vont souvent provoquer des demandes d’évolution.

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« LA COLLABORATION AVEC LES CLIENTS, PLUS QUE LA NÉGOCIATION CONTRACTUELLE. » On ne peut se contenter de définir les spécifications du produit en début du projet. Le client doit collaborer en continu avec l’équipe pour suivre l’adéquation du produit avec ses attentes.

S’inspirer des méthodes agiles de gestion de projet


et réordonner en permanence les tâches d’une façon qui permette aux équipes de se focaliser sur l’essentiel. Dans la méthode Scrum, par exemple, un Product Owner est chargé de définir les priorités, qu’il fait évoluer à chaque itération en fonction des retours des clients, de l’évolution de l’environnement ou des difficultés rencontrées. Pour cela, il ne procède pas par tâches qui s’enchaînent dans un ordre prédéfini. Il définit une liste de « récits utilisateurs » – indépendants mais classés par ordre de priorité – résumant tout ce que le client ou utilisateur final doit pouvoir faire ou retirer du produit. Par exemple : « en tant que client d’Amazon, je veux pouvoir passer en revue les livres par genre, auteur, titre ». Sa contribution principale est donc moins de piloter le travail des équipes que d’entretenir Dans les démarches agiles, l’art de l’ajustement en temps réel l’emporte sur l’art de la prévision.

un dialogue constant entre l’équipe et les clients pour toujours réorienter les efforts sur les 20 % de fonctionnalités à même de délivrer 80 % de la valeur attendue par le client. Autre différence avec un management classique, le Product Owner n’affecte pas les tâches aux équipes. Ce sont elles qui, à chaque début d’itération, estiment le nombre de récits utilisateurs qu’elles peuvent traiter pendant le mini-cycle de production suivant. Même l’estimation de la complexité de chaque tâche se fait

en équipe pour tenir compte du rythme propre à chaque équipe (figure C). Ce mode de management demande donc une grande humilité et une excellente capacité de dialogue de la part du manager de projet qui, de fait, se trouve plus dans une posture de coach que de planificateur d’activité.

pour l’équipe de proposer des solutions à mettre en place dès le prochain cycle. Le rôle du manager est alors d’intercéder directement auprès des personnes concernées – département RH, division d’origine des membres de l’équipe, client interne peu réactif, etc. – pour lever les freins. Autant dire que ce mode de fonctionnement peut

Rechercher la fluidité avant la rigueur 3

L’effet d’accélération des méthodes agiles peut vite être compromis si elles se heurtent aux procédures traditionnelles.

Les démarches agiles sont fondées sur un principe d’amélioration continue. Chaque équipe responsable d’un mini-cycle de production a la charge de s’auto-organiser pour délivrer le prochain prototype. Pour cela, un effort significatif doit être consacré à éliminer systématiquement tout ce qui peut freiner la productivité des équipes. Par exemple, le reporting bureaucratique est remplacé par l’affichage, dans un endroit ouvert à tous, du tableau d’avancement du projet mis à jour en temps réel. Libre à tous – manager, sponsor ou client du projet – de venir le consulter. Chacun peut également assister aux réunions de fin de cycle pour avoir une vision précise du projet à ce jour. Ainsi, le temps que l’équipe aurait consacré à produire des tableaux de reporting est libéré pour avancer sur le fond du projet. Chaque fin de cycle est également suivie d’un débriefing d’équipe sur ce qui a ralenti la progression, qu’il s’agisse de dysfonctionnements internes ou d’interférences externes. À charge

faire grincer des dents ceux qui sont habitués aux circuits hiérarchiques classiques ! Ce collaborateur en témoigne : « En façade, tout le monde approuvait ce fonctionnement. Mais j’avais tous les jours mon chef de division qui m’appelait pour savoir comment cela avançait. Il finissait immanquablement par “tu me fais un petit mail récapitulatif ?”. Sans la fermeté de mon chef de projet qui a su faire tampon et a passé les premiers mois à réexpliquer constamment la démarche, les vieilles habitudes auraient vite repris le dessus. » D’où l’importance du profil du manager de projet, qui doit être doté d’un véritable courage managérial, disposer d’une connaissance suffisamment fine des rouages de l’entreprise et d’assez d’influence pour négocier la liberté d’action requise pour ses équipes. S’entourer de sponsors haut placés qui comprennent la démarche et sont capables d’intercéder en sa faveur en cas de conflit est évidemment bénéfique.

FIGURE B Faire réagir des utilisateurs sur un prototype Mettre en place une démarche itérative suppose de pouvoir obtenir des retours pertinents sur ses réalisations intermédiaires. Deux sources méritent souvent d’être combinées :

EN EXTERNE : l’entreprise dispose-t-elle d’une base de clients complices qui pourraient être impliqués dans le projet ? • L’entreprise travaille-t-elle déjà dans une logique de cocréation avec certains clients ? • L’entreprise peut-elle s’appuyer sur des forums de passionnés ou des communautés de pratiques actifs dans son secteur d’activité ? • L’entreprise peut-elle utiliser les nouveaux outils web d’analyse en temps réel des réactions pour tester ses maquettes au fil de l’eau ?

S’inspirer des méthodes agiles de gestion de projet

EN INTERNE : qui est le client final ? Y a-t-il des clients secondaires qui devraient être impliqués ? Quelqu’un peut-il se faire l’écho du marché ?

Comment obtenir des retours utilisateurs précoces et de qualité ?

• Ex. : Toyota a choisi de faire jouer le rôle de « l’œil du marché » à son ingénieur en chef pour l’affinage progressif de la Prius. • Ex. : Pour la mise en place d’un nouveau système de suivi des temps dans un cabinet de conseil, les équipes ont constitué un panel représentatif de tous ceux qui pouvait utiliser ce système ou avoir besoin des informations entrées dans le système, directement ou indirectement.

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Privilégier le collectif à l’individu 4

L’efficacité des projets agiles repose sur la capacité des équipes à fonctionner de façon autonome pour atteindre leurs objectifs. Elles évaluent elles-mêmes, à chaque début de cycle, la quantité d’exigences qu’elles pensent pouvoir traiter et assument l’entière responsabilité de produire, en fin de phase, un résultat fonctionnel. Il s’agit là d’une véritable transformation culturelle. En effet, si la plupart des entreprises insistent sur l’importance du travail en équipe, la réalité est que l’on porte traditionnellement plus d’attention aux individus qu’à l’équipe. On recrute des individus sur la base de leurs performances personnelles ; les politiques de rémunération sont individuelles avant d’être collectives ; les rôles et responsabilités sont attribués à chacun… Une démarche agile suppose au contraire de mettre avant tout l’accent sur le collectif. Pour cela, adopter une bonne composition d’équipe est crucial. La pluri­ disciplinarité est un principe de base, car les équipes agiles ont besoin d’incorporer toutes les compétences nécessaires à l’obtention d’un prototype fonctionnel à chaque cycle. Les concepteurs de la méthode Scrum insistent sur

l’importance de limiter la taille des équipes à 3 à 7 personnes. En effet, les études montrent qu’au-delà, sa rapidité d’action décroît. En cause, le coût de coordination qui augmente de façon exponentielle. À l’inverse, dans une Les projets agiles tirent leur force de la capacité d’autoorganisation des équipes.

équipe de taille réduite, chacun sait sur quoi travaille chacun des autres collaborateurs, et l’équipe peut s’ajuster en temps réel. En termes d’état d‘esprit, l’accent est mis sur la coopération et l’entraide plus que sur le respect d’objectifs individuels. En effet, ce qui importe avant tout, c’est que l’équipe parvienne à produire un prototype fonctionnel dans le temps d’un mini-cycle, soit 1 à 4 semaines. Les équipes doivent donc sans arrêt dialoguer et trouver des compromis pour ne pas être paralysées, quitte à bousculer les attributions de chacun. Dans cette entraide, la mise en place de rituels d’équipes est déterminante : points flash quotidiens, systèmes de management visuel, réunions de retours d’expérience systématiques permettent l’amélioration continuelle

du fonctionnement de l’équipe. Il n’est pas rare de voir ainsi la productivité des équipes être multipliée par 3 à 5 après quelques cycles. Attention, cependant : ce fonctionnement est fragile. Les experts rappellent que cet effet d’accélération ne peut être obtenu que si l’on laisse à l’équipe le temps de prendre ses marques. Cela suppose de s’organiser pour la préserver des turbulences. C’est pourquoi il est important que les collaborateurs puissent se dédier au projet, quitte à les libérer d’un certain nombre de responsabilités qu’ils peuvent avoir dans leur département d’origine. Il faut également éviter au maximum de modifier la composition des équipes en cours de route, car tout le travail d’auto-organisation est alors à refaire.

Les démarches agiles dépassent de loin un simple cadre méthodologique. Elles impliquent une refonte en profondeur des façons de fonctionner et de concevoir un produit ou un projet. S’y engager suppose d’être prêt à aller jusqu‘au bout de la démarche, si l’on ne veut pas s’exposer à plus de perturbations et de frustrations qu’autre chose.

FIGURE C Faciliter l’auto-organisation : l’exemple du « planning poker » Spontanément, l'ordre des priorités diffère d'un individu à un autre. De même, l’estimation de la complexité de chaque tâche peut varier en fonction de l’expérience ou de la spécialité du collaborateur. Recourir à un « serious game » favorise la discussion sur les écueils à anticiper et permet de se coordonner avant de commencer le mini-cycle de production. Objectif

• Faire évaluer par l’équipe le temps et la difficulté de réponse à chaque besoin client pour pouvoir organiser le travail sur le cycle suivant.

Déroulé

• Chaque personne a un jeu de carte avec les nombres 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55, 89. • Le responsable de produit présente le besoin à estimer sous forme d’un « récit utilisateur ». Par exemple : « En tant qu’utilisateur, je dois pouvoir accéder rapidement aux informations qui me concernent. » • Les participants posent des questions, discutent du périmètre du scénario, se donnent des critères de satisfaction qui permettront de le considérer comme « terminé ». • Chaque personne pose devant elle une carte avec son estimation de l’ampleur de la tâche, face contre table. Puis tout le monde retourne sa carte en même temps. Si les estimations sont proches (ex. : 5 et 8), l’équipe les additionne, note la moyenne, puis passe à un autre item. Si les estimations varient nettement, celui qui a la plus haute et celui qui a la plus basse expliquent ce qui motive leur évaluation. • Les joueurs recommencent un autre tour de table jusqu’à obtenir un consensus ou une note moyennée de la difficulté qui soit approuvés par tous.

Intérêt

• Ce jeu permet de s’assurer que tout le monde s’implique dans l’évaluation, tout en évitant les biais de groupe. L’évaluation sera meilleure, car toute l’équipe l’aura validée et elle incorporera tous les points de vue. • Cette technique favorise la discussion au sein de l’équipe autour des difficultés à anticiper et des points clés d’organisation pour le prochain cycle. • L’utilisation des chiffres de la suite de Fibonacci plutôt que de valeurs trop proches – échelle de 1 à 10 par exemple – facilite l’évaluation collective en offrant des valeurs clairement différenciées. Une alternative consiste à comparer la taille des projets à des races de chiens, par exemple : s’agit-il d’un caniche nain, d’un labrador, d’un dogue allemand, etc. ? D’après Scrum: The Art of Doing Twice the Work in Half the Time, Jeff Sutherland, éd. Crown Business, 2014.

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S’inspirer des méthodes agiles de gestion de projet


FOCUS

Aider ses équipes à s’organiser de façon autonome L’enjeu Comment aider ses équipes à réguler leur action de manière autonome ? Cette question peut se poser dans tout type de projet. Elle est particulièrement cruciale dans les projets agiles, où les équipes sont seules responsables de trouver le meilleur moyen de produire un résultat fonctionnel en un temps très court. Ces démarches insistent sur la mise en place de rituels d’équipe, qui permettent d’optimiser la fluidité de communication entre les membres et garantissent une synchronisation sans faille. S’inspirer de ces rituels est un levier intéressant pour favoriser l’autonomie de ses équipes.

Quelques rituels de la méthode Scrum Quatre types de rituels contribuent à l’efficacité des équipes dans les méthodes agiles de gestion de projet.

Objectif

Exemples

Précautions

Faire participer tout le monde à l’organisation de la prochaine étape.

Réunion de planification de la prochaine étape (dite « sprint »). • Le chef de projet présente les tâches à faire avancer. • Les équipes évaluent ensemble la masse de travail que chacune représente et choisissent en groupe celles sur lesquelles elles peuvent s’engager pour l’échéance suivante.

Il est facile, si l’on n’y prend garde, de retomber dans une simple distribution des tâches. Or le but de cette réunion est avant tout de créer la vision commune de ce que l’équipe veut faire et de la façon d’y parvenir : • Prenez le temps de discuter des tâches à réaliser. • Orientez la discussion sur deux questions : Que veut-on avoir accompli en fin d’étape ? Comment saura-t-on qu’on a réussi ?

Synchroniser quotidiennement l’équipe.

« Mêlée » quotidienne. • Chaque jour, à la même heure, les équipes se réunissent pour un point flash de 15 minutes maximum. • Chaque coéquipier répond à trois questions : −−Qu’est-ce que j’ai fait hier pour aider à réussir la prochaine échéance ? −−Qu’est-ce que je vais faire aujourd’hui pour cela ? −−Quels obstacles ralentissent l’équipe ?

Ces points flash ne sont pas un simple exercice de reporting individuel. Ils doivent permettre à chacun de se synchroniser au reste du groupe et de chercher de l’aide s’il en a besoin. • Assurez-vous que tout le monde participe. • Invitez chacun à partager ouvertement ses difficultés ou ses craintes pour chercher collectivement des solutions.

S’assurer que l’équipe reçoit très régulièrement des retours sur le travail en cours.

Réunion de fin de « sprint ». • Les équipes montrent à tous ceux qui le souhaitent la réalisation effectuée à l’issue de l’étape. • C’est l’occasion d’obtenir le retour de tous ceux intéressés par le résultat visé : management, client final, équipe de commercialisation, etc.

Plus la représentativité des clients est forte, plus les retours seront riches. N’hésitez donc pas à convier tous ceux qui peuvent être intéressés par l’aboutissement du projet.

Pousser l’équipe à améliorer systématiquement son mode de fonctionnement.

Réunion de rétrospective sur le « sprint ». • Les équipes débattent de la façon dont s’est déroulé le dernier sprint. Qu’est-ce qui a bien marché ? À quel moment a-t-on perdu du temps et pourquoi ? • Elles en déduisent des pistes d’amélioration du fonctionnement de l’équipe à tester dès le prochain sprint.

L’enjeu est que chacun regarde sans complaisance, mais sans blâme exagéré non plus, le bilan de l’action écoulée. • Mettez l’accent sur le fonctionnement de l’équipe – fluidité de l’information, problème d’incompréhension… – plus que sur les responsabilités individuelles. • Concluez toujours par : « que fait-on à la prochaine étape pour continuer à progresser ? ».

S’inspirer des méthodes agiles de gestion de projet

L’animation des débats est essentielle pour assurer une critique constructive : pas d’attaques personnelles, pas de jugement définitif. Les échanges doivent se faire dans un esprit d’amélioration continue, étant entendu que l’on travaille sur un projet en cours d’avancement, et non sur un résultat finalisé.

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POUR EN SAVOIR PLUS

Notre sélection Pour retrouver les meilleures idées sur ce sujet, nous vous recommandons les publications suivantes :

Scrum: The Art of Doing Twice the Work in Half the Time Jeff Sutherland, éd. Crown Business, 2014. Jeff Sutherland est l’un des pères fondateurs des démarches agiles. Il a co-créé, il y a plus de vingt ans, la méthode de gestion de projet agile appelée Scrum. Initialement développée pour mener à bien les projets informatiques, elle est aujourd’hui employée dans tous types de projets complexes. Mais comme il arrive souvent, sa diffusion large a pu s’accompagner, au fil du temps, de l’érosion de certains de ses principes fondateurs. Il n’est ainsi pas rare de voir des entreprises appliquer la méthodologie Scrum sans en comprendre pleinement tous les tenants et aboutissants. Dans ce livre, Jeff Sutherland revient sur la philosophie qui sous-tend la méthode. Il explique les principes et les résultats scientifiques qui fondent son efficacité. Il détaille l’art et la manière d’adopter cette démarche pour des résultats parfois spectaculaires. Un livre précieux pour comprendre, au-delà de l’aspect purement méthodologique, les conditions de succès des méthodes agiles et leurs implications sur la culture d’entreprise.

Accelerating Projects by Encouraging Help Fabian J. Sting, Christoph H. Loch, Dirk Stempfhuber, MIT Sloan Management Review, février 2015. Favoriser l’entraide dans les équipes pourrait être aussi important, voire plus, que bien planifier les tâches pour accélérer les cycles de développement de produits. C’est en tout cas ce qu’a constaté une équipe de chercheurs dans l’entreprise allemande Roto Frank. Ce fournisseur de solutions domotiques pour portes et volets a notamment mis en place un système de management visuel qui encourage ouvertement l’entraide. Chaque collaborateur qui rencontre des difficultés ou craint, par exemple, de ne pouvoir finir à temps, place une carte rouge sur son bureau. Cet outil facilite le repérage des risques de dérapage et encourage chacun à chercher des solutions collectives pour enrayer tôt le problème. L’article décrit ce système de management original ainsi que ses conditions de succès.

Pour aller plus loin Pour approfondir ce sujet : • Gagner en efficacité : de nouvelles pistes à explorer (Synthèse Manageris n° 231b) Peut-on encore améliorer la performance quand tout a déjà été tenté ? Dans un environnement complexe où les méthodes habituelles se révèlent contreproductives, il est nécessaire d’agir sur d’autres leviers. • Responsabiliser ses équipes (Synthèse Manageris n° 195b) Comment les dirigeants peuventils amener leurs collaborateurs à s’engager à leurs côtés pour partager la responsabilité d’assurer le succès de l’équipe ? • Renforcer sa capacité collective d’exécution (Synthèse Manageris n° 183b) Comment créer les conditions d’une action efficace et concertée dans ses équipes ? En créant un contexte qui insuffle en chacun le sens de la responsabilité et de l’urgence à agir… dans le bon sens !

Fifty Quick Ideas to Improve your User Stories Gojko Adzic, David Evans, éd. Neuri Consulting LLP, 2014. La démarche Scrum, et les démarches agiles en général, préfèrent faire travailler les équipes sur des scénarios utilisateurs plutôt que sur des fonctionnalités parfois déconnectées du besoin final. Le fait de formuler les spécifications fonctionnelles sous la forme d’« histoires utilisateurs » réhumanise la tâche et focalise l’équipe sur la valeur à produire in fine pour le client. Mais au-delà du principe, bien identifier et rédiger ces scénarios est aussi crucial que difficile. Gojko Adzic et David Evans donnent, dans ce livre, cinquante pistes concrètes pour aider les responsables de produits dans cette tâche. On y trouve, par exemple, comment créer des histoires plus puissantes en se focalisant sur le changement attendu pour l’utilisateur ou sur les bénéfices pour le système. Les parties 2 et 3 sont axées sur la façon d’utiliser ces histoires comme tremplin pour les discussions d’équipe sur la planification et les priorités d’action. Les parties 4 et 5 apportent des conseils pour mieux scinder ses histoires et les faire évoluer d’une itération sur l’autre. Un livre pratique et pragmatique.

MANAGERIS 28, rue des Petites Écuries 75010 Paris Tél. : 01 53 24 39 39 Fax : 01 53 24 39 30 E-mail : info@manageris.com www.manageris.com Abonnement à Manageris (1 an)

Et aussi… Nous nous sommes aussi appuyés sur les sources suivantes : • What Successful Project Managers Do, Alexander Laufer, Edward J. Hoffman, Jeffrey S. Russell, W. Scott Cameron, MIT Sloan Management Review, mars 2015. Comment certains projets arrivent à combiner les approches traditionnelles avec certains enseignements des méthodes agiles pour gagner en efficacité. • A Technique to Bridge the Gap Between Marketing and IT, Brad Power, Harvard Business Review, juin 2013. Un témoignage sur la façon dont ING a amélioré la fiabilité de ses services en appliquant les méthodes Scrum. • Organizing to Enable the Shift from Volume to Value, Christopher Handscomb, Frithjof Lund, Haakon Brunell, McKinsey Quarterly, décembre 2014. Comment les méthodes Scrum peuvent-elles aider à mener plus rapidement des projets de refonte de ses procédures ? 8

manageris ©2015 – n° 241b

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