Saisir - De l'espace à la poignée de porte, une approche tactile de l'architecture

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SAISIR De l’espace à la poignée de porte, une approche tactile de l’architecture

École Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg Lisa Busmey - Mémoire de fin d’études sous la direction de Laurent Reynès - 2018



SAISIR De l’espace à la poignée de porte, une approche tactile de l’architecture

École Nationale Supérieure d’Architecture de Strasbourg Lisa Busmey - Mémoire de fin d’études sous la direction de Laurent Reynès - 2018


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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier les personnes qui m’ont soutenu et inspiré dans la réalisation de ce mémoire. En premier lieu, M. Laurent Reynès qui, en tant que directeur de mémoire, a su par sa qualité d’écoute et de conseil me guider tout au long de ce processus de réflexion. Mes remerciements s’adressent également à toutes les personnes qui ont pu m’apporter leur soutien, de près ou de loin, dans l’aboutissement de ce projet. Tout particulièrement Coraline Huot-Marchand pour son aide riche et précieuse ainsi que Hugo JobidonLavergne pour sa présence et ses encouragements. 5


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AVANT-PROPOS

« Mobilis in Mobili » Je suis en mouvement dans un environnement qui lui-même est en mouvement perpétuel. Mon corps se déplace dans des lieux qui se meuvent, se modifient et se renouvellent sans cesse. L’architecture participe à ce renouvellement et devient un lieu d’expérimentation pour le corps humain. Un lien étroit se tisse entre le corps et l’espace architectural. C’est ce rapport que j’ai voulu interroger et investir en entreprenant ce travail de mémoire. Ma volonté est d’essayer de comprendre par quels moyens l’architecture peut mettre en éveil les sens et notamment un sens en particulier, le toucher. Je me suis rendue compte que toucher les surfaces et les matériaux des lieux dans lesquels je pénétrais était devenu une sorte de réflexe. Le toucher représente selon moi le sens de la proximité. Une proximité directe entre le corps et l’architecture. Ce sens implique également une certaine forme d’intimité et cela est évoquant pour mon imaginaire. Il y a dans ce mémoire une volonté d’aborder le sens du toucher à différentes échelles et de mettre en avant un échange charnel, tactile, concret et très présent, tellement qu’il semble complètement intégré dans une forme de réflexologie et par extension d’oubli, celui entre la main et la poignée de porte. Cette idée m’est survenue lors de la visite de la Casa Battlò de Antoni Gaudi à Barcelone. Je fus alors interpellé par les exemples de mise en œuvre de la poignée de porte et du contact entre la matière et le corps humain qui en découle. 7


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SOMMAIRE REMERCIEMENTS

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AVANT-PROPOS

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INTRODUCTION

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CHAPITRE 1 - Faire l’expérience de l’espace architecturé 1.1 Les mécanismes de l’expérience architecturale 1.2 L’a priori : influence de la mémoire, du contexte, de la culture 1.3 Une expérience multi-sensorielle 1.4 L’espace construit, un espace incarné

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CHAPITRE 2 - Appréhender le monde et l’architecture par le biais du toucher 2.1 La notion didactique du toucher 2.2 Le toucher comme connexion entre l’homme et le monde 2.3 Une approche tactile de l’architecture

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CHAPITRE 3 - Un rapport charnel privilégié entre la main et la poignée de porte 3.1 Connexité entre la poignée de porte et le corps humain 3.2 L’ergonomie 3.3 Les imaginaires de la poignée de porte 3.4 Le sens pragmatique de la poignée de porte

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CONCLUSION

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SOURCES & BIBLIOGRAPHIE

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ANNEXES

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Lexique Extraits Contact Parcours Indice

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INTRODUCTION

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« L’architecture joue depuis son origine avec les échelles et les proportions, autant pour offrir une familiarité dimensionnelle entre corps et lieux que pour s’imposer par la monumentalité » 1 Depuis la construction des premiers abris, des premières formes d’architectures, le corps est au cœur des réflexions. La conception d’espaces est influencée par une recherche de bien-être et de confort, par une volonté de rapport intense et agréable entre le corps humain et l’espace bâti. Les édifices sont conçus par l’homme et pour l’homme en réponse à des besoins naturels mais spécifiques. Cette notion d’anthropocentrisme2 est récurrente au cours de l’Histoire architecturale. Au temps de l’Égypte ancienne déjà, le corps était utilisé comme outil de mesure pour la conception architecturale. On retrouve par la suite cette référence aux proportions humaines à la période du modernisme avec le modulor de Le Corbusier par exemple. L’architecture pensée en fonction de son utilisateur, engendre un rapport fort entre le corps et l’espace architecturé, ainsi un échange se met en place. Le corps habite le lieu, lui donner vie, tandis que le lieu devient espace d’appropriation et d’expérimentation, pour son utilisateur. Il y a un échange entre l’homme et son milieu. Cette communication se fait notamment par le biais de sensations. Des sensations générées par une mise en œuvre de l’architecture et que le corps perçoit grâce à ses organes sensoriels. Le lieu vient solliciter les sens et chaque expérience architecturale est multi-sensorielle. Pour appréhender un espace, ses dimensions, ses matérialités, pour en saisir les caractéristiques, tous les sens interagissent. Ces derniers fonctionnent de manière synchronisée pour permettre une perception globale du milieu dans lequel l’homme évolue. Le corps est une entité sensible alimentée par une harmonie d’organes sensoriels. « Ma perception n’est donc pas une somme de données visuelles, tactiles, auditives, je perçois d’une manière indivise avec mon être total, je saisis une structure unique de la chose, une unique manière d’exister qui parle à la fois à tous mes sens »3 . Cependant, cette représentation du système sensoriel, fonctionnant comme des interactions simultanées de tous les sens, fait débat depuis plusieurs milliers d’années. En effet, pour certains, une hiérarchie s’impose entre les différents sens du corps humain. Il y a plus de deux-milles ans de cela, les Grecs envisageaient la vue comme le sens le plus fiable, apportant la certitude plus que n’importe quel autre sens. Selon Héraclite, « Les yeux sont des témoins plus fiables que les oreilles » par exemple. Cette idée fut soutenue un peu plus tard par Platon qui considérait la vue comme étant le cadeau le plus grand qui ait été fait à l’humanité, ou encore par Aristote selon lequel le plus noble des sens serait la vue. À la Renaissance encore, les sens ont subi une dévalorisation au profit de l’hégémonie du regard. La vue était alors considérée comme le sens premier tandis que le toucher était ramené au rang de dernier. Les innovations techniques et la multiplication des images qui accompagnent la modernité expliquent que cette dernière trouve une de ses définitions dans la primauté du regard. Selon Heidegger, « L’événement fondamental de l’âge moderne est

1 Bonnaud (Xavier), «Les univers sensoriels de l’architecture contemporaine», [consulté le 10 octobre 2017], disponible en ligne: http://www.mesostudio.com/enseignements_recherche/2011/Les_univers_sensoriels_de_l_architecture.pdf, p.6 2 Système ou attitude qui place l’homme au centre de l’univers et qui considère que toute chose se rapporte à lui. 3 Merleau-Ponty (Maurice), dans Le regard des sens par Pallasmaa (Juhani), Paris, Ed. Du Linteau, 2010, pour la traduction française. (Première édition : John Wiley and Sons, 2005)

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la conquête du monde par l’image ». Cette suprématie de la vue au détriment des autres fut remise en cause par certains architectes de l’époque moderne comme Franck Lloyd Wright ou Alvar Aalto. En effet, l’hégémonie de la vue tendrait vers une mise à distance entre l’espace construit, la réalité en général et l’homme mais engendrerait également une perte de plasticité du monde. « Lorsque les bâtiments perdent leur plasticité et leur connexion avec le langage et la sagesse du corps, ils deviennent isolés dans le domaine froid et distant de la vision. Avec la perte de tactilité ainsi que l’échelle et les détails conçu pour le corps et la main humaine, nos structures deviennent répulsivement lisses, tranchantes, immatérielles et irréelles »4 . À l’opposé de la vue dans la hiérarchisation des sens se trouverait le toucher. Pour Descartes, la vue est le sens le plus universel et le plus noble mais il le place sur le même pied d’égalité que le toucher qu’il juge plus sûr et moins sujet à l’erreur. Le toucher est perçu comme le sens de la proximité, de l’intimité. « […] La main a fait l’homme. Elle lui a permis certains contacts avec l’univers que ne lui assuraient pas ses autres organes et les autres parties de son corps »5 . Le sens du toucher permettrait donc de connecter l’homme à son environnement. Toute la surface de la peau permet à l’homme d’établir un rapport charnel avec son milieu. L’homme est en permanence au contact de son environnement. Cet échange tactile se fait le plus souvent de manière induite, mais l’homme peut également choisir de toucher. La main est généralement l’outil de cette exploration choisie et définie. La manipulation manuelle de l’espace offre une approche sensorielle et sensuelle de l’architecture. La main est un médium de création, c’est à travers cet « être animé » que l’homme pourrait comprendre, faire l’expérience du monde qui l’entoure et entrer en contact avec celui-ci. La main saisit. Il s’agit ici de questionner un comportement premier et instinctif du corps humain. La volonté est de déceler les interactions qui ont lieu lors d’un contact charnel entre l’homme et l’espace architectural. Pour ce faire nous chercherons à comprendre en quoi une perception haptique de l’architecture engendre-t-elle des interactions privilégiées entre le corps et l’espace ? Nous tâcherons de répondre à cette question en trois temps. Premièrement nous nous intéresserons à l’expérience architecturale et ses différents mécanismes pour comprendre la manière dont le corps humain est connecté à son environnement notamment par le biais de sensations, des sensations générées par l’espace architecturé dont l’homme fait l’expérience. Nous affinerons ensuite le développement autour d’un sens en particulier, celui du toucher, en tant que sens de la proximité et de l’intimité. Ainsi nous tenterons de comprendre par quels moyens il permet à l’homme d’appréhender le monde qui l’entoure et l’architecture dans lequel il évolue. Pour finir, nous aborderons le contact charnel qui s’établit entre la main et la poignée de porte : un échange quotidien et induit, entre le corps humain et l’objet mais également un rapport tactile privilégié.

4 Traduction de l’auteure d’après la citation originale : « As buildings lose their plasticity and their connection with the language and wisdom of the body, they become isolated in the cool and distant realm of vision. With the loss of tactility and the scale and details crafted for the human body and hand, our structures become repulsively flat, sharp-edged, immaterial, and unreal». Dans Pallasmaa (Juhani), Holl (Steven), Pérez-Gomez (Alberto), Questions of perception : phenomenology of architecture, San Francisco, William Stout Publishers, 2006, p. 29 5 Focillon (Henri), Eloge de la main, dans Vie des formes, Paris, Ed. Puf, 1943, p.105

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CHAPITRE 1 Faire l’expérience de l’espace architecturé

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Serge Najjar (photographe), Photographie intitulée « Sortir », (disponible en ligne sur: https://www.yatzer.com/sergenajjar)

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« Le terme expérience peut désigner à la fois la connaissance des choses et des êtres, acquise de manière volontaire ou non, par l’usage de la vie, la confrontation avec la réalité ou par la longue pratique d’une activité. Par extension, elle désigne également les faits qui apportent une connaissance des choses, un enrichissement du savoir ou qui ont des aspects formateurs et en particulier, une situation vécue qui est considérée comme exceptionnelle ou marquante ou dont on peut retirer une leçon de sagesse. Le mot expérience peut aussi définir une épreuve organisée pour étudier des phénomènes naturels ou provoqués afin de tester quelque chose, de mettre à l’épreuve une conjecture, pour confirmer ou infirmer les prédictions d’une hypothèse s’inscrivant dans une démarche logique ou scientifique. Enfin, en philosophie, l’expérience désigne l’acquisition de connaissances à partir du vécu des choses et de l’environnement, à l’aide des facultés sensorielles ou de la conscience. »1 Appréhender l’architecture par l’expérience est un moyen de mettre en relation l’Homme avec son environnement, de comprendre les rapports qui se nouent entre le corps et l’espace architectural par le biais d’ambiances, de sensations et de perceptions. Celles-ci sont générées par des mises en œuvre du lieu et elles entrent en résonances avec le corps. Faire l’expérience de l’espace architectural c’est le découvrir, l’appréhender, tenter de le comprendre et de l’analyser. C’est acquérir des connaissances sur ce lieu qui serviront également aux expériences futures. Pour ce faire, le corps humain devient l’outil premier de l’expérience architecturale, il guide l’expérience selon des caractéristiques et des règles relatives à l’Homme, à ses proportions, ou encore ses sensibilités. Lors de l’expérience architecturale, différents facteurs entrent en jeu. C’est une combinaison d’éléments qui permettent une appréhension globale, et cohérente de l’ensemble du lieu. L’expérience de l’espace architecturé pourrait se définir comme un rapport d’échanges entre le corps et l’architecture. Il s’agit d’un dialogue au cours duquel l’espace, grâce à ses mises en œuvre, communique avec le corps, ses organes sensoriels, sa mémoire et sa capacité à interpréter les sensations générées par l’architecture. L’expérience architecturale permet à la fois d’ancrer le corps humain dans un lieu, dans un contexte mais également de justifier une intervention architecturale par son rapport à l’Homme. L’expérience interroge la relation au réel par le biais de différents outils et mécanismes. « Toute création architecturale façonne les lieux. Toute architecture fabrique des conditions environnementales et expérimentales dont la richesse permet d’interroger de manière prospective les multiples dimensions de notre relation aux lieux. Bien avant l’appréciation esthétique, avant l’énoncé d’un jugement, avant la dynamique de l’activité de perception, l’étage sensoriel représente, nous semble t-il, un premier niveau de contact avec le monde extérieur, dans son appréciation la plus concrète, la plus physique, la plus anatomique. »2

1 Définition de l’expérience d’après http://www.toupie.org/Dictionnaire/Experience.htm 2 Bonnaud (Xavier), «Les univers sensoriels de l’architecture contemporaine», [consulté le 10 octobre 2017], disponible en ligne: http://www.mesostudio.com/enseignements_recherche/2011/Les_univers_sensoriels_de_l_architecture.pdf, p.4

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Tadao Ando, Lee U-Fan Museum, Naoshima, Japon, 2010, (disponible en ligne sur: http://darquitectura.tumblr.com/ post/134910261402/wmud-tadao-ando-lee-u-fan-museum-naoshima)

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1.1 Les mécanismes de l’expérience architecturale • De la sensation à la perception Comme nous l’avons évoqué, faire l’expérience d’une architecture c’est s’ouvrir à ses caractéristiques, tenter de comprendre les dispositifs qui la définissent et analyser leur mise en œuvre. Pour ce faire, de nombreux facteurs participent à l’expérience et ce sont ces facteurs qui confèrent à l’expérience architecturale un caractère unique. Elle est unique au sens où le contexte dans lequel elle a lieu ne peut être reproduit plusieurs fois. Le contexte est déterminé notamment par deux facteurs, on peut identifier l’objet, en d’autres termes ce qui est expérimenté, ainsi que le sujet, celui qui mène l’expérience. Le corps humain, en tant que sujet de l’expérience architecturale, devient un outil de mesure, une référence. Les dispositifs architecturaux stimulent le corps de différentes manières et à différents moments de l’expérience. Cette dernière se décompose en différents temps d’expérimentation durant lesquels plusieurs acteurs interviennent les uns après les autres. Chaque temps de l’expérience correspond à une réponse sensorielle. Les sens peuvent être reconnus comme acteurs majeurs des premiers temps de l’expérience architecturale, tandis que les mécanismes cérébraux tels que l’imagination puis l’interprétation permettent d’amener à la perception. Dans Sensory Design , Malnar Joy Monice et Vodvarka Franck développent l’idée selon laquelle les différents temps d’expérimentation se décomposeraient entre sensation et perception. La sensation est le mécanisme qui opère en premier lieu. Elle peut se définir comme un flux d’informations transmit par nos organes sensoriels. En effet, les organes sensoriels réagissent aux stimulations émises directement par le lieu. Les dispositifs architecturaux communiquent avec nos sens. Selon les travaux du philosophe Scruton Roger, les sens peuvent être définis comme étant les premiers médiums de l’expérience architecturale car ils représentent une réponse physique, primaire voire primitive. La sensation est le résultat d’un processus instinctif et inconscient. Elle ne suppose ni intention ni organisation. C’est une réaction de l’ordre du reflex qui se produit de manière directe sans raisonnement préalable. Cette définition de la sensation implique une certaine temporalité, elle a lieu sur une courte durée dans le temps. La sensation pure ne peut se rencontrer qu’au tout début de l’expérience architecturale, avant que ce processus instinctif ne soit interprété et organisé en perception. La perception quant à elle est l’information qui ressort de l’interprétation des sensations premières. Il s’agit d’un procédé analytique qui permet d’organiser ou encore de comparer les différentes données sensorielles. Cela implique une activité intentionnelle permettant l’interprétation des sensations. « La perception n’est pas une fonction d’enregistrement passif […]. Par perception il faut donc comprendre activité perceptive : il ne s’agit pas d’un décalque du réel, mas d’une construction, d’une organisation de la sensation en connaissance, mettant en jeu des données sensorielles, émotionnelles, culturelles, motivationnelles, etc. »3 Puisqu’il s’agit d’une action réfléchie, la perception se retrouve influencée par différents facteurs. La mémoire du sujet influence l’expérience, tout comme ses connaissances ou

3 Coulon (Fabien), Le rôle de la modalité tactile dans le déplacement du piéton en ville, Mémoire, sous la direction de R. Thomas, ENSAG, 2005, p.11

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Sanaa / Ryue Nishizawa, Teshima Art Museum, Takamatsu, Teshima Island, Japon, 2010 (disponible en ligne: https://www.architectural-review.com/today/teshima-art-museum-by-ryue-nishizawa-teshima-islandjapan/8612052.article)

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encore ses expériences passées par exemple. De nombreux éléments peuvent influer sur le procès d’interprétation de l’expérience architecturale ce qui lui applique une forme de subjectivité et renforce son caractère unique. Malgré ce processus actif et conscient qu’est la perception, il semble important d’identifier que le sujet perd assez vite conscience de cet exercice car cela devient une habitude. En effet la perception tend vers une automatisation. L’homme en tant que sujet de l’expérience architecturale intègre ce procédé d’interprétation et la perception devient un automatisme dont l’homme n’a plus totalement conscience. En outre, la perception présente un certain paradoxe dans son fonctionnement. En effet, pour pouvoir percevoir un lieu il faut être capable de se le représenter, de se l’imaginer. Cela implique qu’il ne serait pas possible de concevoir un lieu où le sujet ne soit lui-même présent, le sujet de la perception ne peut être étranger au lieu dont il fait l’expérience. Cependant pour percevoir un lieu, en saisir l’essence il est nécessaire de prendre du recul pour pouvoir l’analyser et l’intégrer. La perception n’est pas donnée directement. « Il y a donc dans la perception un paradoxe de l’immanence et de la transcendance. Immanence, puisque le perçu ne saurait être étranger à celui qui perçoit ; transcendance, puisqu’il comporte toujours un au-delà de ce qui est actuellement donné. »4 Le sujet de l’expérience est complètement intégré à ce qu’il perçoit sans quoi l’expérience serait vaine mais l’expérience ne se limite pas à ce qui est vécu in situ, à l’instant T. Le sujet fait appel à son imaginaire. • De la forme émotionnelle de compréhension à la forme rationnelle par le biais de l’imagination Nous avons évoqué plus tôt l’idée développée par Malnar Joy Monice et Vodvarka Franck selon laquelle l’expérience architecturale présenterait différentes temporalités se décomposant en phases d’expérimentation. Toutefois il reste à définir quel est l’élément intermédiaire permettant de faire la transition entre la phase de sensations et celle de perceptions. L’imagination pourrait être identifiée comme étant l’outil transitoire au service de l’expérience architecturale. L’imagination puise dans les expériences vécues pour nourrir la représentation. Elle rend les choses intelligibles et concrètes, elle sert de connexion entre les sensations et les perceptions. L’imagination entretient la relation entre forme émotionnelle de compréhension et forme rationnelle. En effet, elle permet de rationaliser l’expérience en passant de l’élément en tant que sens, qui a attrait aux sensations à l’élément en tant que signification, les perceptions. La forme émotionnelle apparaît dans un premier temps, sous la forme de sentiments, comme premier mode de compréhension, pour basculer par la suite vers l’entendement, une perception rationnelle et intégrée par la pensée. Les sensations sont assimilées par l’imagination avant que celle-ci ne les ordonne pour en faire des perceptions régulées. « L’imagination transcendantale se situe donc comme intermédiaire entre l’entendement et le sensible »5 De manière plus précise, l’imagination tient un double rôle, tout en mobilisant les souvenirs du sujet, elle convertit l’acquis en visible. Elle puise dans les souvenirs du sujet pour lui permettre une interprétation puis une retranscription de ce qu’il expérimente. L’imagination

4 Merleau-Ponty (Maurice), Les primats de la perception, Lonrai, Ed. Verdier, 2014, p.41 5 Pacquot (Thierry), Younès (Chris), Espace et lieu dans la pensée occidentale, de Platon à Nietzsche, Ed. La découverte, Paris, 2012, p. 227

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se base sur les expériences passées pour nourrir et donner forme aux expériences présentes et futures. Elle permet au sujet de réutiliser ses connaissances, acquises lors d’expériences passées, tout en les réintégrant à l’expérience présente pour générer de nouvelles perceptions. Celle-ci offre au sujet l’accès à de nouvelles formes de représentation. « La fonction essentielle de l’imagination est de convertir cet acquis en visible, de le faire accéder à la représentation »6 . Par ce mécanisme, l’imagination est un support permettant au sujet de faire appel à des connaissances acquises pour en intégrer des nouvelles en faisant le lien entre une réaction physique et une transcription cérébrale. L’expérience architecturale génère une connexion forte entre un processus physique, qui a attrait aux sens et aux sentiments jusqu’à la sensation, et un processus intellectuel, de la pensée, qui mène à la perception. C’est notamment l’imagination qui entretient cette relation et sert de liaison entre le corps et l’esprit. Cela fait la richesse de l’expérience architecturale puisqu’elle ne se cantonne pas à un seul domaine mais tisse des liens et des connexions entre des mécanismes, intrinsèques au corps humain, physiques et intellectuels, entre des ressentis émotionnels, spontanés et une interprétation sensée, influencée par la pensée. « Ainsi, si l’imagination mobilise les savoirs, ce n’est pas tellement en prenant l’initiative d’une évocation dont on pourrait toujours s’étonner de l’opportunité, c’est en suivant le fil d’une expérience antérieure qui a été faite par le corps pour son propre compte au plan de la présence »7 . La forme émotionnelle de l’expérience architecturale, celle qui découle d’un ressenti physique primaire est une donnée tangible qui n’est pas dépendante de souvenirs, et est détachée de toute forme de connaissance ou de mémoire. Toutefois, dans la seconde phase de l’expérience, la pensée influence et affecte les perceptions. Les interprétations qui découlent de l’expérience architecturale sont à la fois rationnelles, puisqu’appréhendées par la pensée mais de ce fait sont également subjectives. En effet, l’expérience est subjective en soi, puisqu’elle nécessite l’intervention d’un sujet. Chaque sujet étant un être unique, aux sensibilités singulières avec une histoire qui lui est propre, il mène une expérience architecturale personnelle guidée par une multitude de facteurs influents. 1.2 L’a priori : influence de la mémoire, du contexte, de la culture « Je ne perçois qu’au passé, et du futur; au présent, je ne fais seulement »8 . L’expérience antérieure est indissociable de l’expérience présente, cette dernière est influencée par des prérequis acquis dans le passé. Ces prérequis influencent la manière de percevoir les choses et de se les représenter. L’expérience architecturale est liée à la connaissance, les expériences passées irriguent l’expérience présente. Les sensations et les perceptions passées sont des ancrages et des repères au service du présent et du futur. Les images mentales accumulées lors d’expériences sensorielles sont un répertoire actif et vital pour les expériences futures. Elles sont comme une base de données sur laquelle la pensée s’appuierait pour interpréter les sensations en perceptions. « Contempler c’est revenir au passer pour surprendre le futur»9.

6 Dufrenne (Mikel), Phénoménologie de l’expérience esthétique, Ed. PUF, 2011, p.436 7 Idem, p.436 8 Idem, p.434 9 Dufrenne (Mikel), Phénoménologie de l’expérience esthétique, Ed. PUF, 2011, p.434

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Les expériences du passé permettent d’appréhender le présent et le futur. Ce que le sujet a d’ores et déjà vécu influence et aide à percevoir et comprendre le présent. La mémoire ou la culture par exemple sont des éléments constitutifs du sujet et déterminent la place de celui-ci dans le monde. Ce qui caractérise le sujet de l’expérience impacte ce que ce sujet caractérise lui-même. Le rapport à l’environnement dépend de la personne qui l’expérimente. Au présent, le manque de recul sur les sensations, les impressions, empêche une lecture claire de l’espace. Toutefois, le sujet peut être plus sensible à un espace construit si celui-ci le renvoi à une image familière, que ce soit de manière négative ou positive. La perception se fait ainsi plus directement car la mémoire permettra à l’imagination une interprétation basée sur des éléments connus. Ces prérequis résultent d’une mémoire sensorielle sélective et nuancée ce qui confirme le caractère subjectif de l’expérience architecturale. Chaque sujet ressent et perçoit de manière différente dans la mesure où chaque sujet est influencé par des facteurs différents. « La perception esthétique des choses est essentiellement déterminée par des a priori »10. Les a priori sont à la fois objectifs puisqu’ils constituent l’objet indépendamment du sujet, et subjectifs dans la mesure où le sujet doit les connaître pour les reconnaître. L’exemple d’une pierre rugueuse peut être utilisé ici. Le sujet sait d’ores et déjà ce qu’est la rugosité avant d’avoir touché, palpé, caressé cette pierre et il est capable d’attribuer à la pierre cette caractéristique car il connaît cette caractéristique avant de faire l’expérience de la pierre. L’a priori est une connaissance acquise nourrissant une nouvelle expérience à laquelle le sujet se retrouve confronté. Les a priori déterminent le sens des choses que nous percevons. « L’a priori est dans l’objet un sens qui […] le constitue, et il est dans le sujet un savoir de ce sens »11 . La perception induit un échange entre sujet et objet. Dans cet échange, il n’y a pas seulement de nouveaux a priori qui rendent l’homme sensible à d’autres aspects des choses mais aussi des souvenirs d’a posteriori, d’expériences faites dans le passé, qui donne un impact et un poids plus important aux perceptions présentes. L’a priori sous-entend donc une réciprocité entre sujet et objet, un dialogue d’égal à égal où l’homme ne s’affirme pas, il se met à la disposition de l’objet. Ce dernier permet au sujet de faire l’expérience de ses propres a priori, « Nous faisons en présence des choses l’expérience de quelque chose qui est en nous et parce que ce quelque chose est en nous, nous en faisons l’expérience en présence des choses »12 . Ce mécanisme de réciprocité induit également un constant renouvellement et des mises à jour des a priori. Le sujet met à l’épreuve ses a priori à chaque fois qu’il fait une nouvelle expérience architecturale. L’a priori, en tant que postulat, évolue. Ce n’est pas une vérité empirique figée, elle se développe au fur et à mesure des nouvelles expériences. Lorsque le sujet se forge de nouvelles connaissances ou de nouveaux souvenirs cela vient nourrir et enrichir l’a priori. Notre manière de percevoir change avec le temps car nos outils de perception changent eux aussi. La pensée n’est pas intemporelle. Cela attribue à la perception une notion de temporalité. Bien que les ressentis physiques restent les mêmes, c’est leurs interprétations et leurs intégrations par l’imagination qui va différer au fil du temps. « Ne

10 Dufrenne (Mikel) dans «La maison au plaisir ou le plaisir de l’architecture » par Steinman (Martin), Matière, 10, 2012, p.17 11 Idem, p.16 12 Steinman (Martin), «La maison au plaisir ou le plaisir de l’architecture», Matière, 10, 2012, p.16

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David Chipperfield, Cimetière de Venise, Venise, Italie, 1998, (photographie personnelle)

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sais-je pas que dans six mois, dans un an, même si les formules finales auxquelles j’aboutis sont à peu près les mêmes, elles auront légèrement changé de sens ? Ne sais-je pas qu’il y a une vie des idées comme il y a un sens de tout ce que je vis, et que chacune de mes pensées les plus convaincantes aura besoin de compléments, et sera, dans la suite, non pas détruite, mais du moins intégrée à un autre ensemble ? »13 Nos perceptions ne sont pas figées et chaque nouvelle expérience constitue un outil supplémentaire aux expériences architecturales à venir. « La certitude de l’idée ne fonde pas celle de la perception, mais repose sur elle. »14 De plus, les a priori sont de nature élémentaire et générale, c’est en contact avec l’objet que l’a priori devient spécifique et propre à chaque expérience. Suivant l’exemple de la pierre rugueuse ; le sujet a une idée générale de ce qu’est la rugosité à laquelle donne une forme particulière la pierre de taille par exemple. Toutefois, les mécanismes de l’expérience architecturale se retrouvent aujourd’hui confrontés à de nouvelles mises en œuvre et de nouveaux matériaux. Une certaine forme de recherche d’innovation mais également une volonté d’économie de moyens poussent à ces nouvelles confrontations. Un linoléum imprimé peut aujourd’hui revêtir l’aspect d’un parquet en bois stratifié, tandis que de la moquette peut donner l’illusion d’une pelouse verdoyante. Ce bousculement des codes matériels peut tromper les sens et remettre en cause l’a priori alors que les sens s’avèrent être parmi les acteurs principaux de l’expérience architecturale. 1.3 Une expérience multi-sensorielle Les organes sensoriels permettent au corps d’appréhender l’espace dans lequel il se trouve, d’en saisir l’essence. La mise en œuvre de l’architecture sollicite les organes sensoriels, les stimule. En effet, en fonction de la lumière qui entre dans un lieu, des proportions données à cet espace, des matérialités choisies qui vont permettre de refléter plus ou moins la lumière ou qui inviteront le visiteur à se rapprocher des pans de mur ou au contraire à s’en éloigner par exemple. Toutes ces interventions ont un impact sur le ressenti de l’homme et sur la perception qu’il a de l’espace. Ces éléments suscitent des réactions, conscientes ou inconscientes, de la part de l’homme car ces dispositifs architecturaux font appel à nos sens. En fonction des dispositifs certains peuvent stimuler d’avantage le sens de la vue, de l’ouïe ou encore du toucher mais l’expérience fait écho à tous les sens en même temps. Bien que certaines mises en œuvre d’espaces aient tendance à favoriser la mise en éveil d’un sens plus que d’un autre, l’expérience architecturale fait appel à tous les sens, même de manière hétérogène, pour permettre une expérience complète. Chaque expérience architecturale est multi-sensorielle et même tributaire des sens. Lors de l’expérience architecturale, nos sens ne fonctionnent pas de manière indépendante les uns des autres, mais ils communiquent, échangent, pour ne former qu’un seul ensemble unique qui permet d’élaborer des sensations cohérentes. Bachelard parle de « polyphonie des sens »15 pour expliquer la cohésion et

13 Merleau-Ponty (Maurice), Les primats de la perception, Lonrai, Ed. Verdier, 2014, p.48-49 14 Merleau-Ponty (Maurice), Les primats de la perception, Lonrai, Ed. Verdier, 2014, p.34 15 Gaston Bachelard, cité dans Pallasmaa (Juhani) « Matter, hapticity and time. Material imagination and the voice of matter », El Croquis John Pawson, 158, 2011, p.237

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Le Modulor, dessin de Le Corbusier (disponible en ligne: http://emarchitecture.fr/project/voute/)

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la manière dont les différents organes sensorielles entrent en résonance. L’expérience architecturale ne fonctionne pas à la manière d’une addition où elle serait le résultat d’une superposition d’images visuelles, tactiles, ou encore olfactives. Les mécanismes de l’expérience architecturale sont faits de telle sorte à ce qu’ils permettent d’aboutir à une image d’ensemble du lieu et non à une association de fragments sensoriels. « […] On observe que l’architecture […], engage et assemble un très grand nombre de dimensions sensorielles. La lumière et l’ombre, les transparences et les profondeurs, les phénomènes colorés, le jeu des matières et des textures, la présence de volumes parfois pleins, parfois vides, le jeu des dimensions, les relations d’échelles, le dialogue avec la taille de notre corps, les jeux d’ouverture et de fermeture, de compression spatiale, la relation entre l’horizon et le proche sont autant d’éléments qui participent de manière simultanés à la découverte et à l’appréciation d’un lieu. »16 Cette image d’ensemble du lieu peut s’apparenter à une ambiance. Cette dernière se compose d’une multitude de propriétés sensibles perçues simultanément par nos sens. Les ambiances architecturales sont la résultante de mises en œuvre spécifiques de l’espace générant des sensations. Sensations multiples rendues possibles grâce à cette concomitance des sens. Les différentes interventions sur l’espace architectural seront lues, par nos organes sensoriels, comme un ensemble formant un tout abouti. C’est cette lecture globale de l’espace architectural qui permet une expérience cohérente et c’est au moment de l’expérience que les ambiances mises en œuvre seront vécues, interprétées et intégrées par l’homme. L’expérience architecturale pluri-sensorielle connecte l’homme à l’espace puisqu’elle est une expérience immersive, globale dans laquelle l’homme se retrouve à la fois spectateur mais aussi acteur. De plus, l’association de plusieurs sens apporte une certaine affirmation de l’expérience architecturale. Chaque sens à ses points forts et ses faiblesses, les associer permet une appréhension plus fiable de l’espace. Cela permet par exemple une meilleure compréhension de la mise en œuvre architecturale ou des qualités intrinsèques d’un matériau. « Nous apprécions un lieu, non pas seulement pour son impact sur notre cortex visuel mais également à sa manière de résonner, son ressenti au toucher, et les odeurs qu’il dégage. Par exemple, notre appréhension du bois est généralement complète grâce à une perception de son odeur, ses textures (qui peuvent être appréciées soit par la vue ou le toucher) et par sa manière de moduler l’acoustique d’un lieu. »17 . Il y a là une certaine forme de vérité qui est recherchée et cette combinaison de sens s’avère en être un outil plutôt juste et fidèle. Les sens permettent de créer cette relation vraie entre le corps humain et l’espace architectural. C’est une relation induite, naturelle et nécessaire qui découle directement de la fonction primaire de l’architecture.

16 Bonnaud (Xavier), «Les univers sensoriels de l’architecture contemporaine», [consulté le 10 octobre 2017], disponible en ligne: http://www.mesostudio.com/enseignements_recherche/2011/Les_univers_sensoriels_de_l_architecture.pdf, p.1 17 Traduction de l’auteure d’après la citation originale : « We appreciate a place not just by its impact on our visual cortex but by the way in which it sounds, it feels and smells. Some of these experiences elide, for instance our full understanding of wood is often achieved by a perception of it smell, its texture (which can be appreciated by both looking and feeling) and by the way in which it modulated the acoustics of the space », Editor of The Architectural review dans Malnar (Joy Monice), Vodvarka (Franck), Sensory Design, University of Minnesota Press / Minneapolis London, 2003, p.25

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Lani Maestro, ÂŤ Je suis toi Âť, Exposition, Eglise Saint Nicolas de Caen, France, 2006, (disponibles en ligne: https://plugin.org/news/200903/lani-maestro-artists-talk-thursday-march-19-8-pm)

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1.4 L’espace construit, un espace incarné « Il n’y a rien pourtant qui ressemble d’avantage au corps que l’espace construit »18 La fonction première de l’architecture induit cette corrélation entre le corps humain et l’espace construit. L’architecture est un geste pensé et réalisé par l’homme en réponse à des besoins primaires, instinctifs voir primitifs. Elle accueille, protège, elle est un lieu de vie dans lequel le corps humain évolue. Pour ces raisons elle se doit de répondre à ses besoins, d’épouser le corps et d’accueillir toutes les formes d’activités. Cela est possible grâce à un certain niveau de mimétisme, non pas au premier degré, mais en intégrant complètement la question du corps humain au processus architectural. Le corps est un outil à différents moments de l’architecture. L’architecture est à la mesure de l’homme, le corps sert d’étalonnage, de référence pour la conception architecturale. Elle confère une échelle humaine à l’environnement, une sorte d’espace transitoire entre l’intériorité de l’être et le monde extérieur. Une tâche intemporelle de l’architecture serait de créer une métaphore corporelle qui concrétiserait la place de l’homme sur terre. « S’ouvrir à la dimension paradoxale de l’expérience architecturale c’est […] s’engager à visiter des frontières floues à partir d’une mesure humaine. »19 Elle permet d’ancrer l’Homme dans le monde. Elle génère un environnement dans lequel il peut évoluer et induit une articulation entre l’existence de l’Homme et le monde qui l’entoure. L’architecture devient un intermédiaire et un moyen pour lui de s’approprier l’espace et de le justifier, elle relie le corps humain à l’espace et au temps. Autant que l’architecture justifie la place de l’Homme, celui-ci donne un sens à l’architecture. En effet, le corps humain l’habite, la vit, l’occupe. Il lui attribue des fonctions et des usages. La relation entre le corps humain et l’espace architectural présente une forte réciprocité. Ils se justifient mutuellement. Dans son livre, Catherine Grout évoque cette relation à la lumière de l’œuvre de l’artiste Lani Maestro, « Je suis toi », au sein de l’église Saint Nicolas de Caen. Pour cette création, l’artiste avait disposé un panel très varié de bancs, pour remplir l’espace intérieur de l’église. Par cette intervention, l’artiste met en évidence les connections qui se font entre le corps humain et les espaces. « Elle sait que l’espace est structuré par les corps et que corrélativement, ceux-ci le sont par les spatialisations plus ou moins consciemment définis par les architectes, les designers, ingénieurs, ainsi que par les maîtres d’ouvrages. »20 La disposition des bancs génère des spatialisations qui orientent, guident et influencent les déplacements des corps et leurs comportements dans l’espace et réciproquement, les corps donnent un sens aux spatialisations qui prennent des proportions humaines en les expérimentant et en les parcourant. Les usages que l’Homme attribue à l’espace construit permettent de le définir, le corps désigne les fonctionnements de l’espace architectural. Cette influence mutuelle engendre une incorporation de l’architecture, il ne s’agit plus de faire de l’homme un spectateur du lieu mais un acteur et un composant de cet

18 Perelman (Marc), Voir et incarner une phénoménologie de l’espace corps-architecture-ville, Ed. Les belles lettres, collection « encre marine », 2015 19 Bonnaud (Xavier), «L’expérience architecturale», Cahiers de la Recherche Architecturale et Urbaine, Automne 2012, p.3 20 Grout (Catherine), L’horizon du sujet, de l’expérience au partage de l’espace, Chapitre 1 Expérience des sens et horizon, Ed. Exhibitions international, 2013, p.23

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environnement. L’architecture est incarnée. « On n’apprécie pas une œuvre architecturale comme une série d’images rétiniennes isolées, mais dans son essence matérielle, corporelle et spirituelle totalement incarnée »21. Faire l’expérience de l’espace architectural implique que l’Homme fasse l’expérience de lui-même dans l’espace. Il s’agit d’un mécanisme à vases communicants où un équilibre se forme entre le corps et l’espace au cours de l’expérience. Cela implique une activité de l’Homme, l’expérience architecturale n’est pas passive. Il ne s’agit pas d’une expérience extra mondaine où le sujet serait spectateur, au contraire, cela nécessite une participation dynamique du corps humain au sein de l’espace. Le corps fait l’expérience de ce qui l’entoure et non de ce qui se trouve à côté de lui. Cette participation active de l’Homme lors de l’expérience architecturale lui permet de faire l’expérience de lui-même. L’espace devient le reflet d’un moi-intérieur. Le corps et l’espace entrent en résonance, pour permettre à la fois une projection du sujet dans l’espace et de l’espace dans le sujet. Ainsi, les sens sont au cœur de l’expérience architecturale. En tant qu’acteurs majeurs, ils jouent un rôle déterminant dans la relation entre le corps et l’architecture. Les sens façonnent les connexions entre le corps et son environnement au cours d’un échange immersif, physique et mental. Toutefois, l’Homme peut tenter de se détacher du monde qui l’entoure, essayer de minimiser l’emploi de ses sens mais il semblerait qu’un sens en particulier soit difficile à inhiber, le toucher. L’homme touche toujours. Le plus souvent cela se fait de manière inconsciente mais le contact charnel entre le corps humain et son environnement semble être inévitable. « On peut en effet se boucher les oreilles, ne pas respirer et fermer les yeux, nous touchons toujours quelque chose, en raison des lois de la gravitation. »22

21 Pallasmaa (Juhani), Le regard des sens, Paris, Ed. Du Linteau, 2010, pour la traduction française, p.12 22 Crunelle (Marc), Intentionalités tactiles en architecture, Ed Scirpta, 2011, p.7

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CHAPITRE 2 Appréhender le monde et l’architecture par le biais du toucher

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1. JR, oeuvre sur la pyramide du Louvre, Trompe-l’oeil, Paris, France, 2016, (disponible en ligne sur: http://www.cedemphotographies.fr/archives/2016/05/21/33848559.html) 2. MVRDV, Bibliothèque de Tianjin Binhai, Livres en trompe-l’oeil, Tianjin, Chine, 2017, (disponible en ligne sur: http://afasiaarchzine.com/2017/11/mvrdv-49)

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Tous les sens peuvent être considérés comme des extensions du toucher. Chaque perception est une expérience qui se fait au contact de l’être et chaque organe récepteur est directement en interaction avec le monde qui nous entoure par le biais d’une des nombreuses formes que prend notre peau, celle-ci étant considérée comme une enveloppe constituant la frontière entre le corps et son environnement. Le toucher sous toutes ses formes semble donc être «le mode sensoriel qui intègre notre expérience du monde dans celle de nous-même. »1 Toutes ces perceptions et tous ces échanges entre le corps et l’environnement se font le plus souvent de manière inconsciente, et intègrent donc une notion instinctive et primitive. 2.1 La notion didactique du toucher • S’éduquer par le toucher C’est instinctivement que l’enfant saisit les choses qui l’entourent et les porte à la bouche pour les apprivoiser. Dans les premiers mois de vie d’un nourrisson sa vue est réduite tandis que le toucher est son sens le plus affûté. Le toucher est le premier sens qui se développe, de ce fait il devient l’outil premier d’exploration pour le nouveau-né. Les mains de ce dernier sont ses outils pour découvrir son environnement. C’est en touchant que l’enfant va se familiariser avec son entourage, l’appréhender et l’enregistrer. « Le toucher est le premier sens qui se développe, c’est le dernier qui s’éteint. »2 L’éducation première pourrait alors se définir comme tactile. Toucher est un apprentissage. C’est en touchant que le nourrisson va mémoriser les choses auxquelles il se retrouve confronté pour la première fois. Il se constitue une sorte de répertoire, il se façonne une mémoire tactile. C’est ainsi qu’il retient les sensations éprouvées lors de ce premier contact et qu’il sera capable de les restituer et de les associer à des objets ou des matières. Le toucher donne accès aux caractéristiques de l’environnement. En outre, ce sens apporte des informations supplémentaires que les autres sens ne peuvent affirmer. Le toucher permet de confirmer des impressions ressenties par le biais d’autres sens ou au contraire de démentir des informations transmises par certains organes sensoriels. Le trompe l’œil peut être cité ici en exemple. Comme son nom l’indique, le trompe l’œil va induire le sens de la vue en erreur par le biais de différents subterfuges. Un des moyens pour se rendre compte de cette duperie est de toucher la surface sur laquelle prend place le trompe l’œil et se rendre compte qu’il ne s’agit pas d’un élément en trois dimensions comme il semblait l’être de prime abord. Ainsi, la réalité pourrait s’évaluer physiquement. Tant que l’Homme ne touche pas et ne fait pas l’expérience tactile de ce qui l’entoure, il ne pourrait pas se constituer de certitudes. Le développement de l’Homme et son éducation se base notamment sur des activités sensorielles. Le corps devient l’outil de ces activités, la main joue un rôle important dans la découverte active de l’environnement mais l’Homme touche avec toute la surface de son corps. « Toucher ne signifie pas seulement utiliser les doigts mais implique toute la surface du corps. »3 La langue par exemple est l’organe du

1 Pallasmaa (Juhani), Le regard des sens, Paris, Ed. Du Linteau, 2010, pour la traduction française. p.11 (Première édition : John Wiley and Sons, 2005. 2 Dr. Georges Cabanis cité dans Crunelle (Marc), Intentionnalités tactiles en architecture, Ed. Scripta, 2011, p.6 3 Traduction de l’auteure d’après la citation : «Touch does not only mean using the fingertips but involves the whole surface of the body » dans Munari (Bruno), The tactile workshop, Verone, Ed. Corraini, 2008, p.3

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Les outils du paléolithique, 1. Biface acheuléen 2. Pointe de la Gravette 3. Aiguille à chas et burin dièdre magdaléniens 4. Harpon plat et pointe aziliens 5. Racloir convergent moustérien 6. Burin busqué aurignacien (disponible en ligne sur: http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/outil/64894)

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corps humain qui compte le plus de récepteurs sensoriels. Cela explique notamment que le nourrisson ait le réflexe de porter les choses à sa bouche. Sa langue lui permet d’obtenir un maximum d’information sur ce qui l’entoure. Les mains quant à elles rendent les choses accessibles. Leur position par rapport au reste du corps en fait un outil tactile fondamental. Les mains rendent le monde à la portée de l’homme. Elles servent à comprendre mais également à produire, à reproduire et révèlent un caractère didactique. De nombreuses connaissances se transmettent de manière manuelle ou par mimétisme de la main et du corps. C’est en reproduisant les gestes de son maître que l’élève apprend, qu’il finit par maîtriser des gestuelles et qu’il prend connaissance de ses capacités physiques. Pour pouvoir créer, inventer, générer, l’artiste ou l’architecte, à la manière d’un enfant, va aller à la rencontre de la matière, des proportions, ou encore du poids de ce qui l’entoure. « Elles sont l’instrument de la création, mais d’abord l’organe de la connaissance »4. • Le caractère primitif du toucher Cette définition de la main comme organe créatif et pensant implique notamment cette dernière dans un processus d’évolution. La main participe à l’évolution de l’Homme, de sa relation à son environnement et à la manière dont le corps humain interagit avec ce qui l’entoure. Les outils du paléolithique en sont un exemple. L’Homme crée l’outil, un outil pensé par la main et pour la main comme une extension de celle-ci qui va permettre à l’Homme d’améliorer ses capacités ou encore sa qualité de vie. L’Homme façonne un objet pour le rendre tranchant, car en le touchant il se rend compte des propriétés que cela lui confère et des usages qui peuvent en être fait. Il s’agit de notions primitives qui ont permis à l’homme d’évoluer. Le toucher informe l’Homme sur ce qui l’entoure, ce qui lui est familier ou hostile, ce qui peut être dangereux ou digne d’intérêt par exemple. Ce sens présente un rôle primaire : en connectant l’Homme avec son environnement il en prend connaissance et le décrypte. Le toucher permet notamment de protéger l’Homme et d’avertir le corps humain si par le biais du toucher un danger est détecté. Le toucher sert de système d’alarme à l’Homme. Par la douleur par exemple, l’Homme prend conscience que le corps entre en contact avec quelque chose de dangereux. Le danger peut se manifester sous différentes formes, la pression, la chaleur, ou la dureté mais c’est le contact charnel qui permet de l’identifier. La perte de sensibilité au niveau de la peau peut être dangereuse et est classée comme maladie, il s’agit de quelque chose d’anormal m’étant en péril la vie de l’individu. • S’il-vous-plait, ne pas toucher Est-il pour autant préférable d’instaurer une certaine mise à distance entre le corps humain et son environnement? Dans certaines circonstances sans doute mais d’autres situations montrent les non- sens induits par l’éloignement instauré entre le corps et le monde. « NE PAS TOUCHER! Combien de fois cet ordre a été répété aux enfants? Personne ne dirait: ne regarde pas, n’écoute pas, mais toucher est différent. »5 Une fois adulte, le toucher n’est plus autant présent et revêt des connotations différentes. Toucher peut être synonyme

4 Focillon (Henri), Eloge de la main, dans Vie des formes, Paris, Ed. Puf, 1943, p.109 5 Traduction de l’auteure d’après la citation : «Touch does not only mean using the fingertips but involves the whole surface of the body » dans Munari (Bruno), The tactile workshop, Verone, Ed. Corraini, 2008, p.3

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1. Constantin Brancusi, Sculpture for the blind beginning of the world, marbre, 1916, (disponible en ligne sur: https://www.freedompowerelectric.net/brancusi-sculpture-for-the-blind) 2. Biennale d’Art de Venise, Venise, Italie, 2017, (photographie personnelle)

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d’abîmer, de déranger, de salir, etc. Cela explique que l’Homme adulte se tienne de manière générale plus à distance des choses et veuille éviter que les enfants ne touchent à tout. Or, s’y on se réfère au rôle didactique du toucher cela reviendrait à limiter l’apprentissage de l’enfant, l’empêcher de faire la connaissance de son environnement. Outre cette interdiction appliquée aux enfants, on peut citer l’exemple des expositions d’œuvres d’art et notamment de sculptures et d’art contemporain. Les œuvres qui y sont exposées présentent souvent des plasticités et des matérialités fortes. Celles-ci sont travaillées avec la main et leur mise en œuvre finale appelle souvent au toucher. Cependant il y a de plus en plus de panneaux interdisant aux visiteurs de toucher les œuvres. Il semble contradictoire d’interdire de toucher une œuvre, comme une sculpture, alors que le toucher est un des sens sollicité dans l’appréciation et la compréhension de l’œuvre. La possibilité de saisir une sculpture, de l’appréhender grâce à la main exploratrice est une des caractéristiques de cet art et est ce qui peut notamment le distinguer d’autres formes artistiques. Imposer une mise à distance entre l’Homme et ce qui l’entoure peut engendrer un certain isolement et tend à rendre l’Homme spectateur plus qu’acteur de son environnement. C’est notamment par le biais du toucher que l’Homme peut tisser des liens et créer des connexions avec le monde qui l’entoure. 2.2 Le toucher comme connexion entre l’Homme et le monde Le corps humain est muni d’une multitude d’outils lui permettant d’être en contact avec son environnement. Les organes sensoriels jouent notamment un rôle essentiel dans cette connexion. Ils sont répartis dans l’ensemble du corps pour permettre une perception globale. Le sens du toucher est quant à lui localisé sur toute la surface de la peau. « Les organes sensibles du toucher sont répartis dans toute l’étendue de la peau, qui représente chez l’adulte 18% du poids total du corps, pour une surface de 18 000cm2. »6 La peau est comme une immense étendue réceptrice, elle est la surface de contact entre l’Homme et ce qui l’entoure. Elle est l’outil d’échanges sensibles par le biais de milliers de récepteurs tactiles. Encore une fois, la main dotée d’une quantité considérable de récepteurs7 est un médium majeur des échanges tactiles. • Un moyen de communication La main va à la rencontre du monde, elle échange avec lui. En touchant, l’Homme communique avec son entourage. La main peut être identifiée comme un outil de communication primaire et même primitif. Avant toute forme de langage la main permettait aux hommes de communiquer entre eux. Il s’agit d’un moyen universel de communication qui permet de surmonter les barrières de la langue ou de cultures. Le langage de la main est à la fois imagé, visuel et tactile. Par le biais de l’art la main s’exprime également. Pensante et créatrice elle permet de

6 Coulon (Fabien), Le rôle de la modalité tactile dans le déplacement du piéton en ville, 2005, p.18, Disponible sur internet : http://dox.cresson.grenole.archi.fr/doc_num.php?explnum_id-317 7 Selon Coulon (Fabien), « On compte un nombre considérable de structures réceptrice [situées dans la peau] : 17 000 récepteurs tactiles dans la main par exemple. » dans, Le rôle de la modalité tactile dans le déplacement du piéton en ville, 2005, p.17, Disponible sur internet : http://dox.cresson.grenole.archi.fr/doc_num.php?explnum_id-317

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Gian Lorenzo Bernini (Le Bernin), Sculpture « Le Rapt de Proserpine », détail, 1621-1622 (disponible en ligne sur: http://marieaunet.blogspot.fr/2010/10/gian-lorenzo-bernini-le-bernin-le-rapt.html)

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communiquer aux autres sa propre vision du monde. L’art est un moyen de communication au travers duquel la main s’exprime. « Les œuvres d’arts articulent la frontière du monde et du moi, dans l’expérience de l’artiste et dans celle du spectateur/auditeur/occupant. »8 Par le biais de l’art, la main créatrice et la main exploratrice spectatrice se rencontre autours d’œuvres. Cela permet un échange sur un sujet précis matérialisé. La main créatrice s’exprime, fait passer des messages afin que les spectateurs puissent les saisir. L’art est un moyen de fusion entre l’Homme et le monde. La main permet cette connexion entre l’intériorité de l’être et son extérieur. • L’intimité du toucher « Le toucher est le sens du proche, du contact et de la rencontre. »9 Lorsque l’Homme touche il rentre en contact de manière direct avec la personne ou l’élément touché. Ce contact nécessite une certaine proximité. En touchant l’autre, l’Homme entre dans sa sphère privée. Il y a peu de contact aussi intime et personnel que le contact tactile. Le rapport qui se crée d’ordre intime est un échange privilégié. L’intimité du toucher prend forme lorsque c’est une action choisie et faisant appel à la notion de plaisir. En effet il est nécessaire de différencier un toucher plaisir, lié à la curiosité ou à l’envie et un toucher plutôt utilitaire et quotidien. Le premier n’a pas de but en soit, il peut s’agir d’un geste gratuit. Ce toucher intime est plus lent qu’un toucher à but utile et il permet de connecter les éléments se touchant. L’Homme prend conscience du geste qu’il effectue et de la personne ou de l’élément touché. Au contraire, un toucher fonctionnel est d’avantage de l’ordre de la quotidienneté. Cette forme de toucher présente un but et se fait souvent de manière inconsciente. De plus dans ce cas de figure, le toucher n’est pas une fin en soi mais un moyen. L’Homme ne touche pas tant par envie mais pour pouvoir accomplir une tâche. « Pour comparer ces deux touchers, nous pourrions comparer le toucher gestuel et quotidien à marcher sur un trottoir et le toucherplaisir à marcher en s’enfonçant et en shootant dans les couches épaisses de feuilles en automne. Marcher en arpentant les rues sert à aller d’un endroit à un autre, à faire quelque chose ; par contre faire du bruit et de grandes enjambées dans les feuilles mortes ne sert à rien si ce n’est pour le plaisir. »10 C’est l’association du toucher avec le plaisir qui confère une connotation d’intimité au toucher. Cette intimité induit une connexion forte. Il peut s’agir aussi bien de deux individus que d’un rapport entre un Homme et une surface par exemple. Le toucher connecte l’Homme à son environnement et selon différentes échelles d’intimité. L’Homme touche de différentes façons. • Deux manières de toucher Comme évoqué précédemment, l’Homme touche grâce à toute la surface de son corps. Ce toucher peut se faire de manière directe et consciente ou de façon indirecte et inconsciente. En outre, le toucher ne se limite pas uniquement à un contact cutané. Il est nécessaire d’identifier différentes sensibilités tactiles dans le domaine du toucher. Cet aspect cognitif

8 Pallasmaa (Juhani), La main qui pense, Ed. Actes Sud, 2013 pour la traduction française. p.15 (Première édition : John Wiley and sons, 2009) 9 Crunelle (Marc), Perception tactile des sols, p.5, Disponible sur internet : http://lavilledessens.net/textes/perception_tactile.pdf 10 Crunelle (Marc), Intentionnalités tactiles en architecture, Ed. Scripta, 2011, p.7

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Tadao Ando, Chichu Art Museum, Naoshima, Japon, 2004, (disponible en ligne sur: http://iwan.com/portfolio/chichu-art-museum-tadao-ando-naoshima)

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du toucher lui confère des proportions plus importantes et un champ d’application plus vaste. En effet, le toucher présente deux facettes : une première étant une forme passive du toucher et la seconde une forme active du toucher. La sensibilité tactile passive est une sensibilité uniquement cutanée se limitant à la surface du corps. Le champ de perception se limite à la taille du stimulus. Il s’agit d’une forme de toucher subit. L’Homme n’effectue pas de mouvement ou d’action pour toucher. C’est une tactilité induite. La chaleur ressentie sur la peau par le rayonnement d’une lampe est un exemple de toucher passif. Il y a un point ou une zone de contact entre la peau et le rayonnement. L’Homme ressent la chaleur mais n’a pas procédé à une action ou un déplacement de son corps pour cela. À l’inverse, une sensibilité tactile active se définit par la prise en compte à la fois d’une forme cutanée du toucher ainsi que d’un aspect kinesthésique11 . En effet, le toucher actif implique une procédure exploratrice et donc la mise en mouvement du corps dans l’espace. Cette facette du toucher nécessite une attitude volontaire et se définie par les déplacements engagés par le corps. L’exploration de l’espace par le corps en activité permet d’identifier les éléments touchés beaucoup plus rapidement et de manière plus précise qu’une forme passive du toucher. Au cours de la phase d’exploration, le corps suit certaines procédures et certaines étapes pour l’amener à l’appréhension précise de l’objet. Le corps tente dans un premier temps de déterminer les caractéristiques globales de l’élément exploré pour ensuite s’intéresser aux informations plus spécifiques et précises lui permettant d’aboutir à une connaissance la plus complète possible. Cette forme active de toucher, combinant sensibilité cutanée et kinesthésie, se définie comme sensibilité haptique12 . Cette sensibilité tactile semble être la plus riche et la plus complète puisqu’elle prend en compte aussi bien les éléments indépendants des actions corporelles ainsi que les mouvements du corps dans l’espace. Cette forme globale de toucher permet à l’Homme d’établir un contact avec son environnement. Il peut explorer, s’approprier, découvrir et comprendre l’espace qui l’entoure. Par le biais du toucher l’architecture devient un lieu d’expérimentation pour le corps. Le corps fait à la fois l’expérience de l’espace architectural et de lui-même ainsi que des échanges qui ont lieu entre eux. « Parce que chaque espace architectural est aussi le lieu de notre corps, les sols, avant d’être vus, sont sentis, touchés (du fait qu’au maximum nos pieds sont en contact avec ceux-ci). Ce sens est celui qualifiant le mieux ce qu’on pourrait appeler une pratique corporelle de l’espace. Ainsi, c’est le toucher seul qui nous révèle le contenu d’un espace : c’est grâce à ce sens exploratoire que les objets se relient topologiquement les uns aux autres sur le sol et les murs, et que plusieurs étages d’une même maison sont réellement reliés entre eux (on monte, on descend) pour en faire un tout signifiant. »13 2.3 Une approche tactile de l’architecture En tant que sens, le toucher est un support de l’expérience architecturale. Le corps et l’architecture sont en adéquation au cours d’une expérience que nous pourrions qualifier

11 Voir définition dans Lexique p.97 12 Voir définition dans Lexique p.96 13 Crunelle (Marc), Intentionnalités tactiles en architecture, Ed. Scripta, 2011, p.8

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Peter Zumthor, Kolumba MusĂŠum, Cologne, Allemagne, 2007, (disponible en ligne sur: https://divisare.com/ projects/273884-peter-zumthor-helene-binet-radu-malasincu-kolumba-diocesan-museum)

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de charnelle et tactile. L’Homme, par le biais du toucher, entre en contact avec l’espace architectural. Pour ce faire le corps se confronte à différents éléments constitutifs de l’architecture. Les sols, les murs, les objets, sont autant d’éléments architecturaux avec lesquels le corps humain échange. Au cours de l’exploration tactile de l’architecture, le corps humain déambule dans l’espace, non pas de façon linéaire, mais sans ordre imposé. L’Homme peut s’arrêter sur un élément pour prendre le temps de l’analyser, revenir sur ses pas ou encore frôler un mur de ses doigts en faisant des mouvements improvisés au fil de la découverte. « L’individu est donc actif face à son milieu. Ainsi, il y a un principe de réciprocité entre l’individu et son environnement. Et c’est par le biais de la perception sensible (et de l’action) que l’être humain et le monde sont en relation de dépendance mutuelle. Les qualités sensibles de l’espace public, générées par les formes qu’il contient et participatives des ambiances architecturales et urbaines, constituent le medium entre un sujet et le milieu physique dans lequel il se trouve et il se déplace. »14 Le toucher concrétise de manière instantanée la présence du corps humain dans l’espace architectural. En outre il nécessite une implication de l’Homme qui n’est pas spectateur mais un sujet actif faisant l’expérience d’une architecture. En touchant, le corps humain prend conscience de ce qui l’entoure, des proportions et des ambiances du lieu. L’Homme éprouve des sensations générées par des dispositifs architecturaux. Ces derniers peuvent être d’ordre formel, matériel, lumineux ou encore thermique. Grâce au toucher le corps humain peut desceller toutes ces mises en œuvre et de cette lecture génère des sensations et des perceptions. • Matières, génératrices de sensations L’architecture touche à la plasticité de la matière. La mise en œuvre architecturale façonne des espaces aux propriétés singulières. Le travail de la forme, de la matérialité et de la lumière permet de générer des atmosphères et des ambiances susceptibles d’entrer en résonnance avec le corps humain par le biais d’une approche haptique de l’architecture. La mise en œuvre architecturale peut être identifiée comme un langage s’adressant directement à l’Homme. Il s’agit de créer une architecture pour l’Homme qui peut être expérimentée et comprise par le toucher. « La valeur tactile […] est à l’origine même de toute création »15 selon Henry Focillon ; cela permet de générer des connexions entre l’Homme et l’espace architectural. Le travail des formes est un des moyens architecturaux permettant une mise en œuvre de l’architecture destinée au corps humain. En fonction des proportions données à un lieu, les ressentis varient. Par le biais d’une sensibilité haptique, le corps est capable d’identifier les géométries qui l’entourent. Les relations qui se nouent entre l’Homme et l’espace architectural sont dépendantes des caractéristiques formelles du lieu. La perception haptique permet au corps de se projeter dans son environnement. Il peut identifier des dispositifs tels que la compression ou la dilatation des espaces autour de lui et de ce fait ressentir ce que cela génère comme sensations en lui. Le corps ne se comporte pas de la même manière dans n’importe quel espace. Les rapports de proportions entre le sujet et le lieu impactent les perceptions. Si l’espace est très grand ou au contraire si l’Homme peut en toucher les

14 Coulon (Fabien), Le rôle de la modalité tactile dans le déplacement du piéton en ville, 2005, p.37, Disponible sur internet: http://dox.cresson.grenole.archi.fr/doc_num.php?explnum_id-317 15 Focillon (Henri), Eloge de la main, dans Vie des formes, Paris, Ed. Puf, 1943, p.110

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Luis Barragan, Maison de Luis Barragan, Mexico, Mexique, 1948, (disponible en ligne sur: http://www.casaluisbarragan.org)

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extrémités avec ses mains par exemple, les sensations générées ne sont pas les mêmes. Dans le premier cas l’Homme peut avoir un sentiment d’immensité qui peut, subjectivement, évoquer la liberté ou alors la solitude. Dans le second cas la sensation d’exiguïté ou de sécurité peut l’emporter. Comme cela a été évoqué dans le chapitre un, l’expérience architecturale présente une grande part de subjectivité. En outre, de nombreux dispositifs formels renvoient à des références architecturales. Un espace très haut de plafond peut évoquer l’image d’une cathédrale par exemple. Il y a un imaginaire formel que l’Homme se constitue au fil du temps et qui influence ses perceptions et de fait ses comportements au sein de l’espace. La cathédrale étant un lieu de culte et de recueillement, le silence y est de rigueur. Dans un espace présentant des caractéristiques formelles similaires, l’Homme a tendance à reproduire ces comportements. Tout comme les formes, les matérialités d’un lieu participent à la création d’ambiances architecturales et génèrent des stimulations sensorielles tactiles. La matérialité est la résultante d’un travail de la matière. Par matérialité se définit la mise en œuvre d’un matériau comprenant notamment les couleurs, les textures, les formes et le comportement face à la lumière. Chaque matériau possède ses spécificités, ses dimensions, ses techniques de mise en œuvre, ses exigences et est régi par ses propres lois. De ce fait, chaque matériau confère des qualités différentes à un espace. La matérialité oriente les perceptions, génère des atmosphères et crée ainsi des espaces architecturaux préhensibles par le toucher. « Tous les matériaux texturés conviennent à la pratique du sens du toucher. »16 Elle permet de définir un lieu en lui conférant des caractéristiques plastiques évocatrices pour le corps. La matérialité peut inviter au contact ou au contraire pousser à la mise à distance. Comme c’est le cas pour les proportions d’un lieu, les matérialités ont des significations ou renvoient à des images mentales. À partir d’un même matériau il est possible de créer une multitude de matérialités et le corps réagit de manière différente à chacune. En effet chaque matérialité stimule différemment les récepteurs sensoriels du corps humain et ce dernier les perçoit de manière subjective. Le velours par exemple, n’est pas perçu de la même manière par tout le monde et suivant le sens dans lequel la main le touche ne génère pas les mêmes sensations. La mise en œuvre du matériau permet également de révéler ou d’accentuer la présence d’un élément architectural ou au contraire le rendre le plus discret possible. En fonction de son degré de transparence, le verre, par exemple, n’a pas le même impact. En effet, en fonction de sa mise en œuvre, si il est translucide, dépoli, fumé ou encore sablé, le verre ne laisse pas passer la lumière de la même manière, l’environnement se reflète plus ou moins dedans et sa présence dans l’espace varie. La matérialité permet de jouer sur la présence des éléments architecturaux ainsi que sur la perception. La lumière comme « agent matériel »17 participe également à la mise en œuvre de dispositifs architecturaux ressentis par le corps humain. La lumière permet de révéler et de donner une dimension aux objets qu’elle frappe et à la matière de manière générale. Elle produit des effets de profondeurs et donne du relief aux matériaux. La lumière engendre des matérialités différentes en fonction de la manière dont celle-ci vient effleurer le matériau.

16 Traduction de l’auteure d’après la citation : « All textured materials are suitable for practicing the sense of touch. » dans Munari (Bruno), The tactile workshop, Verone, Ed. Corraini, 2008, p.14 17 Zumthor (Peter), Penser l’architecture, Ed. Birkhäuser, Bâle, 2006, p.91

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Peter Zumthor, Bruder Klaus Chapel, Mechernich-Wachendorf, Allemagne, 2005-2007, (disponible en ligne sur: http:// ryanpanos.tumblr.com/post/71488863699/bruder-klaus-chapel-peter-zumthor-rui)

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La lumière touche les surfaces, les objets, les personnes. La lumière se concrétise par la matière. En effet, elle n’est pas un élément palpable, physique avec un poids propre mais elle prend forme au travers des matières qu’elle illumine et à la manière dont elle vient se refléter dessus et les colorer. « Il y a une tactilité à quelque chose d’immatériel que je trouve plutôt extraordinaire. Avec la lumière, vous avez affaire à une longueur d’onde purement électromagnétique entrant dans la rétine, mais elle est tactile »18. La lumière nécessite une sorte de matière de médiation, un médium d’expression qui la révèle et au travers duquel elle apparaît. Bien qu’immatérielle visuellement lorsqu’elle n’a pas de support, l’Homme est capable de ressentir la lumière. En effet, la sensibilité cutanée du corps humain est stimulée par la chaleur produite pas la lumière. L’impact thermique de cette dernière permet à l’Homme de sentir la présence d’une source lumineuse. Il s’agit d’une forme de touché passif qui permet de générer des sensations. Lorsque la question de la lumière est abordée, la mention de son contraire semble légitime. Les éléments d’ombre et de lumière semblent être en fait qu’un seul dispositif architectural. C’est l’association des deux qui permet de générer une cohérence. En fonction de l’heure de la journée ou de l’orientation c‘est soit la lumière soit l’ombre qui révèle l’espace. L’ombre peut au même titre que la lumière donner du relief aux matériaux et participer à la matérialité d’un lieu. « Je crois que le beau n’est pas une substance en soi, mais rien qu’un dessin d’ombres, qu’un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses. De même qu’une pierre phosphorescente qui, placée dans l’obscurité émet un rayonnement, perd, exposée au plein jour, toute sa fascination du joyau précieux, de même le beau perd son existence si l’on supprime les effets de l’ombre. »19 Le corps perçoit les effets de l’ombre aussi bien qu’il peut ressentir ceux de la lumière. Le jeu d’ombre et de lumière est artisan de la mise en œuvre architecturale notamment à la manière dont il vient toucher la peau, un objet, un mur ou un sol. • Surfaces « Les murs et les planchers avec lesquels votre corps entre en contact ont toujours eu une grande importance pour moi dans le sens d’une redéfinition des relations entre le corps et l’espace architectural et, de plus en plus, j’en viens à une conception d’un espace basé entièrement sur la physicalité du corps humain. »20 Les parois verticales et les surfaces horizontales sont les éléments de bases constitutifs de l’architecture. Ils permettent de définir un espace, d’en donner les proportions ainsi que les limites. Le corps humain est capable de percevoir ces caractéristiques notamment grâce à sa sensibilité haptique. Les sols sont les surfaces horizontales avec lesquelles le corps humain se retrouve en contact de manière directe. Sous l’effet de la gravité, dès que l’Homme se tient debout ses pieds touchent les sols. La perception podo-tactile sert à la fois au contrôle de la posture, à l’équilibre du corps et permet également d’identifier ce avec quoi la sole plantaire entre

18 Traduction de l’auteure d’après la citation : « There is a tactility to something which is immaterial, that I find rather extraordinary. With light you are dealing with a purely electromagnetic wavelength coming in through the retina, yet it is tactile » dans Carpenter (James) dans Pallasmaa (Juhani), « Matter, hapticity and time. Material imagination and the voice of matter », El Croquis John Pawson, 158, 2011, p.23 19 Tanizaki (Junichirô), Eloge de l’ombre, Ed. Lagrasse, 2015, p.64 20 Tadao Ando cité dans Crunelle (Marc), Intentionnalités tactiles en architecture, Ed. Scripta, 2011, p.33

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OMA, Fondation Prada, Sol du chemin d’entrÊe, Milan, Italie, 2015, (Photographie personnelle)

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en contact. En évaluant les pressions effectuées entre le sol et le pied, leur intensité et leur localisation le corps analyse les sols qu’il rencontre. Comme pour la main, la perception podo-tactile peut être qualifié d’active dans le sens où les pieds explorent les surfaces avec lesquels il est en contact. Ce contact direct peut être permanent si l’Homme se tient debout puisque même en marchant il y a toujours un des deux pieds qui est posé sur le sol mais il est aussi ponctuel. En effet en marchant, l’Homme ne glisse pas sur le sol, la marche instaure un rythme de contacts ponctuels, le corps humain perçoit par touches21. En marchant, le corps humain effectue un parcours sensoriel. La perception des sols offre à l’Homme une représentation des espaces dans lesquels il se déplace et notamment les liens et la manière dont ils sont agencés les uns avec les autres. En fonction de la nature des sols, le corps peut analyser si il y a un changement d’espace. « La perception podo-tactile permet l’identification des matériaux au sol. De plus, le cheminement des pieds nous révèle le contenu de l’espace : il nous permet de relier entre eux les différents lieux, plusieurs étages d’une maison par exemple, de les connecter pour en faire un tout signifiant. Ce sont là des preuves que le toucher des pieds permet une perception tridimensionnelle, à petite échelle (surface) ou à grande échelle (volume).»22 En outre, suivant leur mise en œuvre le corps ne perçoit pas les sols de la même manière. Il est capable d’identifier les matérialités. Certaines sont plus rassurantes quand d’autres incitent à la vigilance. Les sols sont liés aux espaces dans lesquels ils se trouvent. Un sol extérieur ne présente pas les mêmes matériaux et textures qu’un sol intérieur de maison. Dans ses travaux de recherche, Marc Crunelle analyse les différents sols de trois maisons, en Belgique, au Maroc et au Japon23 . Bien que ces trois constructions soient issues des contextes architecturaux différents il est intéressant de remarquer que certains principes semblent universels. En effet, les matérialités des sols présentent une gradation. De l’extérieur de l’habitation vers le foyer les matériaux utilisés varient. Des matériaux durs sont utilisés depuis la rue jusqu’au parvis d’entrée et plus on se rapproche du cœur de la maison plus les matériaux s’adoucissent. Il y a une dualité entre l’extérieur de la maison avec l’emploi de bitume sur les routes, de pavés ou de pierre jusque dans l’entrée de l’habitation et l’intérieur où les sols se veulent plus mous. Un parallèle est fait entre les usages et les ambiances qui ont lieu à l’extérieur ou à l’intérieur de la maison et les matérialités qu’on retrouve dans ces espaces. Les matériaux doux favorisent la détente du corps. Lorsque les pieds foulent un sol absorbant, confortable et chaud, cela indique au corps qu’il est dans un lieu propice à la détente. Le corps peut se relâcher. Comme évoqué précédemment, le toucher étant le sens de l’intimité et du contact, les matérialités des sols peuvent favoriser les échanges et les rencontres. « C’est la chambre conjugale qui devrait être la plus sensuellement tactile. C’est effectivement le cas : déjà̀ dans le langage populaire, des expressions telles “un nid douillet”, “le plumard”, “dans ses plumes”, “se plumer” (pour se coucher), etc. confirment cette idée de douceur. Là où la rencontre est la plus intime, où le toucher est le plus sensuel, où l’autre est le plus proche, où la plus grande surface cutanée est en contact avec les matières, les textures

21 Environ 10 à 15 touches pour 10m de marche. Selon Coulon (Fabien), Le rôle de la modalité tactile dans le déplacement du piéton en ville, 2005, p.28, Disponible sur internet : http://dox.cresson.grenole.archi.fr/doc_num.php?explnum_id-317 22 Selon Coulon (Fabien), Le rôle de la modalité tactile dans le déplacement du piéton en ville, 2005, p.28, Disponible sur internet : http://dox.cresson.grenole.archi.fr/doc_num.php?explnum_id-317 23 Cf. en Annexe p.102-103

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Oscar Niemeyer, Palais des congrès national du Brésil, Brasilia, Brésil, 1960, ( disponible en ligne sur: https://www.mcmdaily.com/gallery/old-brasilia-gallery)

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sont effectivement les plus douces. »24 La sensibilité podo-tactile revêt un aspect sécurisant. Les perceptions des pieds informent sur la nature du lieu dans lequel l’Homme se trouve et influence l’attitude de celui-ci dans cet environnement. Les sols extérieurs sont, de manière générale, durs, accidentés, imprévisibles avec la présence d’obstacles sur le parcours. Les pieds le perçoivent et cela pousse le corps à être en alerte pour réagir en cas de déséquilibre ou d’accident. À contrario, les sols de maison notamment, sont conçus pour permettre au corps de se détendre et de ce fait le prédispose à d’autres comportements. La fonction podo-tactile permet à la fois la sécurité du corps humain mais offre également à celui-ci des formes de tactilités plus sensuelles. Si le corps n’est plus alarmé par les perceptions de ses pieds et que ceux-ci lui procure des sensations agréables alors cela le renvoie dans une zone de confort. De plus, la nature et la géométrie des sols influencent la perception podo-tactile. En effet, les sensations ressenties lorsque l’Homme marche sur un sol horizontal ou s’il emprunte un plan incliné ne seront pas les mêmes. Chacun génère des ambiances, des imaginaires et des informations différentes. Le comportement du corps humain face à une rampe n’est pas similaire à celui marchant de manière horizontale. L’inclinaison de la rampe impacte la position du corps humain qui tente de compenser la pente du sol pour conserver son équilibre. Ainsi la posture du corps ne sera pas non plus la même s’il s’agit d’une rampe à 5% ou d’une pente à forte déclivité. Dans une pente, même immobile le corps doit générer un effort pour maintenir son équilibre, ce qui n’est pas le cas sur une surface horizontale. « Ni la station immobile, ni le mouvement ne sont neutres dans le cadre de la structure oblique (alors qu’ils le sont sur le plan horizontal). Il y a un échange énergétique permanent entre le corps de l’homme et son support. »25 L’oblique perçue de manière podo-tactile influence la totalité du comportement du corps humain. Cela permet également d’informer l’Homme d’un changement d’état. En effet, l’inclinaison d’un sol est synonyme de modification de l’altitude. En ce sens le corps perçoit les variations de son environnement ce qui lui permet également de se resituer par rapport à ce qui l’entoure. Dans l’imaginaire commun, la rampe est généralement associée à une notion de déambulation. La rampe permet de franchir des variations de nivellation de manière plus fluide et continue qu’un escalier le permet. Elle est moins contraignante pour le corps et demande un effort physique moindre que la montée d’un escalier. Ce dernier demande au corps une attention particulière. Concentré sur la montée le corps est moins disponible pour observer son environnement. Le musée Guggenheim de New-York est un exemple de rampe offrant aux visiteurs un parcours continue et une déambulation fluide. Cette fluidité permise par la rampe permet au corps une perception podo-tactile d’ensemble de l’espace. En plus des sols, les parois verticales sont des éléments architecturaux que le corps perçoit grâce au toucher. Le mur est l’élément de base de l’architecture. Il délimite, dimensionne, rend visible ou invisible, accessible ou inaccessible. Le mur est un élément déterminant pour la composition architecturale. Par le biais d’une perception haptique, le corps mesure l’impact de la paroi verticale, il s’y confronte de manière plus ou moins directe mais toujours tactile. Les parois verticales orientent les mouvements du corps humain dans l’espace tout comme 24 Crunelle (Marc), Perception tactile des sols, p.3-4, Disponible sur internet : http://lavilledessens.net/textes/perception_ tactile.pdf 25 Claude Parent et Paul cité dans Crunelle (Marc), Intentionnalités tactiles en architecture, Ed. Scripta, 2011, p.34

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1. Alvar Aalto, Vila Mairea, Photographie et détail de la poignée de porte, 1938-1939, (disponible en ligne sur: http://blog.adaism.net/post/142857442042/alvar-aalto-villa-mairea) 2. Alvar Aalto, Vila Mairea, Photographie et détail de la poignée de porte, 1938-1939, (disponible en ligne sur: http://www.wikiwand.com/en/Villa_Mairea)

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elles instaurent les lignes directrices du lieu. Le mur appelle à l’expérience tactile, le contact entre le corps humain et le mur est d’ordre charnel. La paroi verticale est au lieu ce que la peau est au corps humain. « Les parois en béton lisse possèdent néanmoins de très légères ondulations, de doux renflements qui font que je l’associe à une peau. »26 En parcourant le mur avec la main, le corps se familiarise avec le lieu. Le mur est à porté de main, de ce fait sa matérialité est d’autant plus importante dans la création d’ambiances architecturales. Suivant ses proportions, ses rugosités, ses couleurs ou encore la manière dont elle prend la lumière, la paroi suscite diverses sensations. La matérialité peut inciter à s’attarder dans un lieu, inviter l’Homme à flâner en caressant les parois ou à l’inverse instaurer une mise à distance et une sensation d’inconfort amenant le visiteur à passer son chemin. Par une approche tactile de l’architecture l’Homme se rapproche de son environnement. Cette connexion entre le corps et l’espace architectural est une expérience se faisant par étapes. « Revenons aux trois trajets décrits plus haut. Nous remarquons également qu’après la pierre, le carrelage, le bois, se présentaient enfin “au centre” du lieu, le tapis épais, les matières douces et le mobilier profond. Au Maroc, les banquettes et les poufs; au Japon, les tatamis en paille de riz. L’homme rassuré dans ses gestes grâce aux précédents aménagements des sols se détend plus complètement encore lorsqu’il foule le tapis épais. S’il est invité à entrer plus largement en contact avec les matières, plus seulement avec ses mains et ses pieds, mais avec son dos, ses jambes, ses fesses, il perd sa “carapace”, accorde sa confiance, se blottit dans le sofa, se cale entre des coussins doux et profonds, se calfeutre dans un fauteuil. »27 • Objets Certains objets se démarquent car ce sont des éléments architecturaux conçus directement pour se confronter charnellement avec le corps humain. Ce sont des points de contact entre le corps et le lieu. En ce sens, ces éléments font l’objet de mises en œuvre spécifiques. Des objets de toutes sortes et fonctions sont amenés à entrer tactilement en contact avec le corps humain. En voici quelques exemples: - - - - - - - - - - - -

une sonnette une main courante un interrupteur une poignée de porte un robinet une poignée de fenêtre un rideau une baignoire un fauteuil un canapé un lit une chaise

26 Crunelle (Marc), «La poétique du tangible ou une certaine présence des matériaux», in : les cahiers du Carra, faculté d’architecture de l’ULB, Bruxelles, 2010, p.66, Disponible en ligne: http://lavilledessens.net/textes/texture_et_materialite. pdf 27 Crunelle (Marc), Perception tactile des sols, p.3, Disponible sur internet : http://lavilledessens.net/textes/perception_ tactile.pdf

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Certains se prêtent à un contact manuel d’autres sont conçus pour rencontrer la totalité du corps. En fonction de son usage l’objet ne répond pas aux mêmes enjeux. Toutefois, ils sont tous soumis à certaines règles associées à ce contact physique. En effet, la conception de ce mobilier est notamment régie par une certaine recherche d’ergonomie. Les objets sont conçus pour accueillir le corps humain et afin que cette rencontre soit la plus agréable et efficace possible la prise en compte des proportions du corps est un élément important dans la conception des objets. Suivant la manière dont l’objet est réalisé le ressenti au moment de l’utilisation ne sera pas identique. Certains objets sont volontairement rendus peu propices aux contacts entre le corps et l’objet pour ne pas inciter l’Homme à s’attarder dessus, c’est par exemple le cas des bancs de gare. Dans d’autres cas c’est par manque d’intérêt pour l’objet que la mise en œuvre n’est pas orientée vers une recherche d’ergonomie, de confort et de qualité de contact ou de prise en main. C’est notamment le cas de la main courante ou de la poignée de porte par exemple. « Eléments tactiles par excellence, ceux-ci [les poignées de porte, les mains courantes, les lisses] sont étonnamment peu pris en considération pour cette modalité sensorielle par les architectes en général. »28 Pourtant, ces objets participent à la création d’un lieu. Le corps entre en contact de manière active et directe avec ceux-ci. Ils sont les intervenants d’un rapport privilégié entre l’espace architecturé et la main de l’Homme. C’est éléments destinés au contact charnel vont faire l’objet d’expérimentations et de recherches spécifiques par la main. La main pratique un toucher actif et précis au travers de ces objets. Ainsi, par le biais du toucher, l’Homme fait l’expérience de l’espace architectural. Cette rencontre se fait à différents niveaux et par le biais de différents intermédiaires avec toujours la tactilité comme fil conducteur. L’Homme touche l’architecture avec tout son corps, la peau, les pieds, les mains sont autant de médiums à la connexion entre l’Homme et le lieu. Des relations se nouent à différentes échelles allant de l’espace à l’objet.

28 Crunelle (Marc), Intentionnalités tactiles en architecture, Ed. Scripta, 2011, p.73

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CHAPITRE 3 Un rapport charnel privilégié entre la main et la poignée de porte

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Naomi Thellier De Poncheville, Poignée de porte « Hand-le » en aluminium poli et brossé, (disponible sur: http://www.coroflot.com/picahouette/hand-le)

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Il nous a semblé intéressant de poursuivre la réflexion en se concentrant sur un objet entrant en contact direct avec la main et donc de mettre le doigt sur une expérience de toucher actif où le corps et l’objets sont sollicités à parts égales. La poignée de porte présente ces caractéristiques et offre une possibilité de manipulation et de contact fort avec la main. De plus, la mise en œuvre de celle-ci soulève d’autres notions telles que l’ergonomie, la symbolique, ou encore le parallèle qui est fait entre le corps humain et cet objet. La poignée peut se définir comme étant à la fois, « un geste par lequel on salue quelqu’un en lui serrant la main »1 , mais également « un objet conçu pour être saisi et tenu par la main fermée ou la partie d’un objet qui permet de le manœuvrer, de le faire fonctionner »2 . L’objet présente une ambiguïté avec le corps humain dans sa définition. 3.1 Connexité entre la poignée de porte et le corps humain • Une personnification de la poignée de porte La poignée de porte reprend un vocabulaire lié au corps humain, il y a une intériorisation de l’objet. Ce dernier se voit attribuer des caractéristiques humaines pour le définir. Nous pouvons dès lors parler de personnification d’un élément de l’espace construit. De nombreuses expressions révèlent la corrélation entre le vocabulaire lié au corps humain et celui de la poignée de porte. Nous pouvons citer parmi elles : “prendre la porte”, expression imagée qui reprend l’idée d’une action exercée par la main sur le support de la poignée de porte. Il y a également “empoigner” verbe désignant une action effectuée par la main au cours de laquelle celle-ci se saisi de l’objet à pleine main ou encore “les poignées d’amour” qui caractérise un surplus graisseux pouvant être attrapé par la main. Ces expressions illustrent le rapport entre l’action et la partie du corps qui l’effectue. Pour ouvrir une porte, l’homme la saisi à l’aide de la main. L’intégration d’une poignée de porte permet de simplifier l’action mais la valorise également. En effet, un objet est créé spécifiquement pour cet usage et un vocabulaire en résulte. La dénomination de l’objet découle directement de l’action que l’homme doit effectuer pour l’utiliser. Le mot “poignée” est toujours associé à la main. Qu’il s’agisse de la poignée d’un objet permettant d’être saisi par la main, d’une “poignée de sable” par exemple, désignant une quantité occupant le volume d’une main fermée ou encore lorsqu’on dit “ils étaient une poignée” qui signifie une petite quantité, équivalent à la petite capacité de la main en tant que contenant. La gestuelle induite par la poignée de porte permet également de créer une analogie avec le comportement humain. En effet, les actions réalisées par la main, nécessaires à l’utilisation de la poignée de porte, sont similaires à celles employées par l’homme, dans la culture occidentale, pour en saluer un autre par exemple. Il y a une corrélation entre la poignée de porte et la poignée de main. La poignée de porte d’un bâtiment peut en être le point d’accroche avec l’homme qui fera l’expérience de cet espace.

1 Définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) 2 Ibidem.

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1. Carlo Scarpa, Cimetière de Tomba Brion, Poignée de porte en acier inoxidable, San Vito, Italie 2. Carlo Scarpa, Carnet de recherche et de détail de conception d’une poignée de porte

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• Un premier contact La poignée de porte est la poignée de main du bâtiment. C’est au moment où l’homme saisit cet objet que le premier contact, au sens tactile du terme, à lieu entre architecture et corps humain. Ce contact permet d’ores et déjà un échange entre le bâtiment et celui qui va en faire l’expérience. Lorsque la main de l’homme, saisit la poignée de porte du bâtiment, elle en saisit l’essence. La poignée de porte va permettre à l’utilisateur de se faire une première impression du lieu dans lequel il pénètre. On dit souvent que la première impression est importante car c’est elle qui donnerait le ton de l’expérience qui va suivre mais c’est également ce qui va généralement rester en mémoire et influencer en grande partie le ressenti de l’expérience. Cette fois encore, de la même manière que lors d’une relation d’homme à homme. L’expérience de la poignée de porte pourrait être perçue comme un préambule de l’expérience architecturale globale. C’est pourquoi il semblerait pertinent que la poignée de porte soit pensée comme une continuité du bâtiment pour que celle-ci reflète l’espace architecturé. La poignée est le premier élément auquel le corps se trouve confronté, en ce sens elle devrait faire l’objet d’une attention particulière. « Aalto était nettement plus intéressé par la rencontre de l’objet et du corps de l’utilisateur que par une simple esthétique visuelle. [...] Ses textures et détails de surface élaboré, travaillés pour la main, sont une invitation au toucher et créent une atmosphère intime et chaleureuse. »3 . En la touchant, le corps intériorise la mise en œuvre de la poignée de porte. Ainsi, il semble important que la poignée de porte réponde à la fois à l’espace architectural auquel elle est associée mais également au corps humain, à la main qui va la saisir. 3.2 L’ergonomie La poignée de porte est l’élément architectural auquel le corps se retrouve confronté de manière directe. Comme nous l’avons mentionné précédemment, elle est liée au fonctionnement de la main, il y a une corrélation significative entre la main de l’Homme et la poignée de porte du bâtiment. Cette équivalence relève notamment de la science de l’ergonomie. « L’ergonomie est l’ensemble des connaissances scientifiques relatives à l’homme, et nécessaire pour concevoir des outils, des machines, et des dispositifs qui puissent être utilisés avec le maximum de confort, de sécurité et d’efficacité. La pratique de l’ergonomie est un art (comme on parle de l’art médical et de l’art de l’ingénieur), utilisant des techniques et reposant sur des connaissances scientifiques. »4 A. Wisner La poignée de porte fait partie de ces objets conçus par l’Homme et avec lesquels le corps humain entre en contact5. Il s’agit d’un contact ponctuel, comme c’est souvent le cas pour le toucher manuel, mais récurrent, faisant partie de la gestuelle quotidienne de l’Homme dans notre société occidentale contemporaine. L’Homme est quasiment systématiquement confronté à une poignée de porte, que ce soit lorsqu’il entre dans un espace ou qu’il en

3 Pallasmaa (Juhani), Le regard des sens, Paris, Ed. Du Linteau, 2010, pour la traduction française, p.79 4 Wisner (Alain), Réflexions sur l’ergonomie, Toulouse, Ed. Octares Edition, 1995, p.71 5 cf. «Contact», Annexe p.109 à 138

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Fernando Alba Álvarez, Porte d’accès à un magasin de tissu, Sculpture en bois de cèdre, Oviedo, Espagne, 1973 (disponible sur: http://federicoluismuebles.tumblr.com/)

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sort, dans les lieux publics, comme dans les constructions privées. Cet objet est pleinement intégré et cette récurrence de contact avec la main implique qu’on y prête attention. Pour permettre l’expérience architecturale la plus agréable possible, la poignée de porte questionne des notions telles que le confort et le bien être ou encore la praticité et l’efficacité. Plusieurs facteurs interviennent dans la mise en œuvre de la poignée de porte pour qu’elle puisse répondre à ces critères ergonomiques. En effet, la mise en œuvre de l’objet induit un rapport spécifique entre ce dernier et la main. • Confort et bien être La main est la zone du corps qui présente la quantité la plus importante de récepteurs sensoriels après la langue. Partant de ce postulat, il semble évident que la mise en œuvre de tout objet entrant en contact direct avec elle se doit d’intégrer des caractéristiques offrant une certaine sensation de confort. Cette notion de confort peut être déterminée par un choix de matériau, de forme, de positionnement sur la porte, etc. Cependant, le confort présente une grande part de subjectivité. En effet, ce qui sera agréable pour une certaine personne ne le sera pas forcément pour une autre. On peut par exemple préférer les matériaux rigides aux matériaux souples, les couleurs vives plutôt que pastels etc. Cela dépend de la sensibilité de chacun, des goûts que chaque individu se crée au cours de sa vie. Toutefois, il serait possible de générer des poignées de porte, offrant satisfaction au plus grand nombre, en se basant sur des observations globales. Il semblerait, par exemple, que l’homme soit plus sensible aux formes courbes et ondulantes, par analogie à celles du corps humain. De plus, bien que chaque être humain soit unique, avec des proportions différentes, des paumes de mains plus ou moins grandes, et des doigts plus ou moins longs, il serait efficace de penser la poignée de porte comme une sorte de négatif formel de ce qui la saisit, à savoir la main. Penser un objet qui viendrait combler au mieux le creux de la main pour générer la sensation que l’objet a été conçu pour l’utilisateur, pour que ce contact soit le plus intime possible. Car ce sentiment de proximité va induire une sensation de bien-être et de confort. L’utilisateur se sent accueilli et rassuré d’entrer dans un lieu qui lui semble plus familier et le met à l’aise. « Leurs formes légèrement ondulantes ont été modelées d’après la main humaine. »6 En plus de la forme, le choix du matériau paraît essentiel. Chaque matériau présente des caractéristiques qui lui sont propres, le métal est plus dur et froid que du bois par exemple, et ce sont ces spécificités qui vont offrir un certain confort ou inconfort au toucher. Le matériau véhicule des sensations notamment par le biais des textures. La texture de l’objet peut être mise en parallèle avec la peau du corps humain. Il y a un rapport charnel qui s’opère entre ces deux surfaces de contact. Certaines textures semblent plus propices pour la mise en œuvre de poignée de porte, le métal par exemple, pourtant souvent utilisé pour leur réalisation présente des caractéristiques qui paraissent peu appropriées. Comme dit précédemment, c’est un matériau rigide qui induit un contact plus dur avec la main, d’autant plus que c’est un matériau froid rentrant en contradiction avec la chaleur corporelle humaine. « Pour Alvar Aalto, le contact de la peau humaine avec un métal froid n’est pas synonyme de confort. Dans l’hôtel de ville de

6 Crunelle (Marc), Intentionalités tactiles en architecture, Ed Scirpta, 2011, p.75

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Antoni Gaudi, Ferrures de porte de la Casa Calvet, laiton massif coulĂŠ et finition polie, Barcelone, Espagne, 1902-1910 (disponible sur: http://bdbarcelona.com/fr/produit/86)

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Säynätsalo, les poignées, lorsqu’elles ne sont pas en bois, sont entourées d’une lanière de cuir ou tressées de ruban de cuir. »7 Il semble que la mise en œuvre de la poignée de porte se doit alors de trouver un équilibre, un compromis. Cette quête de confort est à nuancer avec d’autres critères pour permettre l’aboutissement d’une poignée de porte qui serait réussie. En effet, étant un objet manipulable, utilitaire, voir technique, la poignée de porte se doit également de prendre en compte des notions de praticité et d’efficacité. • Praticité et efficacité En tant qu’objet du quotidien, la poignée de porte revêt un caractère utilitaire. En ce sens elle se doit d’être fonctionnelle, pratique et efficace. C’est un objet amené à être manipulé, de manière récurrente, avec une même gestuelle répétée à chaque fois qu’il sera utilisé. La question de l’usure induite par l’usage se pose alors. Il devient nécessaire que la poignée de porte soit conçue de manière à résister à toutes ces sollicitations au fil du temps. Le choix du matériau semble être déterminant pour permettre cette résistance. En outre, les exigences ne sont pas les mêmes qu’il s’agisse d’une poignée de porte donnant sur un extérieur ou un intérieur. En effet, une poignée de porte extérieure est soumise à des contraintes supplémentaires. De fait, une poignée de porte située à l’extérieur est généralement manipulée par un plus grand nombre de mains, car sa situation la rend plus accessible, plus publique, tandis qu’une poignée de porte intérieure a tendance à ouvrir sur des espaces plus privés où seul un certain nombre de personnes ciblées vont la manipuler. Une poignée de porte donnant sur un espace extérieur est également soumise aux intempéries. Le vent, la pluie, les variations de températures sont autant de facteurs qui ont un impact sur le vieillissement et l’usure de l’objet. Pour reprendre l’exemple du métal, les propriétés de ce matériau expliquent qu’il soit souvent utilisé pour la mise en œuvre de poignées de porte et notamment de poignées de porte extérieures. En effet, le métal est un matériau rigide dès qu’il a une certaine épaisseur, les techniques pour le façonner sont maîtrisées, c’est un medium capable de résister à des manipulations répétitives tout comme à l’exposition d’intempéries. A contrario, l’emploi de bois pour la mise en œuvre de poignées de porte extérieures semble moins judicieux. C’est un matériau qui naturellement résiste moins bien aux contraintes météorologiques, il a, par exemple, tendance à absorber l’humidité et se déformer en fonction des températures. Cela implique donc une durée de vie moins longue de l’objet ou alors une mise en œuvre plus complexe pour le rendre d’avantage résistant. L’efficacité de la poignée de porte est ainsi amoindrie. Les propriétés que présentent les matériaux peuvent donc expliquer l’emploi de certains plutôt que d’autres, dans la mise en œuvre de poignées de porte, lorsque la notion d’ergonomie est abordée. Outre la notion de la résistance, la problématique de la praticité et de l’efficacité se pose également en terme de positionnement de la poignée de porte. Le contact direct entre objet et main implique que l’objet soit conçu pour s’adapter et pour répondre au mieux à la prise en main. La disposition de la poignée de porte va être déterminante pour offrir la meilleure manipulation possible. Selon sa mise en place, la poignée de porte va induire une certaine manipulation et engendrer un positionnement du corps afin que la main puisse se saisir de

7 Crunelle (Marc), Intentionalités tactiles en architecture, Ed Scirpta, 2011, p.76-77

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Alvar Aalto, poignée de porte d’entrée du studio Aalto, Helsinky, Finlande, 1955 (disponible sur: https://helsinki100.wordpress.com/2016/11/28/22-stalk-the-aalto-family-in-munkkiniemi)

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l’objet. Une mauvaise disposition de la poignée de porte peut induire une manipulation difficile, une sensation d’inconfort et avoir un impact sur l’expérience d’entrée dans l’espace. La distance de la poignée de porte par rapport au mur fait partie des critères de disposition de l’objet. Une poignée de porte placée sur l’extrémité de la porte implique que l’objet se trouve très proche du mur qui encadre la porte. Cette proximité, lorsqu’elle est trop forte, peut être ressentie comme de la promiscuité. L’Homme peut se sentir à l’étroit avec un mur, haut, massif et dur aussi proche de lui. De plus, la main risque de se heurter à ce mur en voulant manipuler la poignée de porte, ce contact accidentel et forcé peut générer une sensation désagréable et un mal-être pour l’homme. De la même manière, une poignée de porte placée plus proche des gonds de la porte engendrerait aussi une manipulation plus compliquée. En effet, selon la formule ci-dessous, en diminuant la distance entre la poignée de porte et l’axe de rotation, le bras de levier diminue et la porte devient plus difficile à manipuler. L’homme doit donc exercer plus de force sur la poignée de porte pour pouvoir ouvrir celle-ci. MOMENT = FORCE x DISTANCE La hauteur à laquelle la poignée de porte est placée impacte également l’aisance avec laquelle elle est manipulée. Une poignée de porte trop haute ou trop basse peut compliquer l’ouverture de la porte. L’idéal serait de positionner la poignée de porte de telle manière à ce que l’Homme puisse l’atteindre en tenant son bras perpendiculairement au reste de son corps. C’est dans cette disposition que la manipulation de l’objet serait la plus facile car elle permet d’avoir le plus de force. Force est de constater que tous les Hommes ne font pas la même taille, on ne peut en déduire une hauteur idéale universelle. Pour qu’une poignée de porte soit ergonomique, serait-il possible de l’adapter au plus grand nombre, en se basant sur les proportions générales du corps, par exemple, tout en tenant compte des spécificités principales de chacun ? Le travail d’Alvar Aalto a toujours mis en évidence l’importance de la prise en compte du corps dans la conception architecturale. Son souci du détail et sa volonté de créer une architecture complète l’ont amené à se pencher sur la question de la poignée de porte. De ses explorations ressort notamment la double poignée de porte. « A Jyväskylä et à Helsinki, elles se superposent et forment un ensemble de deux : la raison est ergonomique. Parce qu’on a toujours plus de force le bras bien perpendiculaire au corps, que les 2 poignées permettent aux petits, moyens et aux grands, de pousser la porte avec le bras tendu ; donc chacun en force maximale. »8. D’autres design de poignée de porte reprennent cette volonté d’adaptation au plus grand nombre. Elle se traduit notamment par la mise en œuvre de poignée de porte en longueur, reprenant parfois même toute l’envergure de la porte. De cette manière, l’Homme peut saisir la poignée de porte à l’endroit qui lui convient, de manière intuitive et sans se sentir contraint par un design. Nous l’avons vu, la conception d’une poignée fait face à de nombreux critères de mise en œuvre, notamment pour répondre à un souci d’ergonomie, mais la conception de cet objet fait également appel à des notions moins pragmatiques. Il y a un imaginaire qui se crée autours d’une poignée de porte. Le contact physique entre la poignée de porte et le corps humain devient un contact cérébral.

8 Crunelle (Marc), Intentionalités tactiles en architecture, Ed Scirpta, 2011, p.75-76

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E. Fay Jones, Porte de la chapelle Marty Leonard, Forth Worth, Texas, Etats-Unis, 1989 (disponible sur: http://www.whittography.com/marty-leonard-chapel)

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3.3 Les imaginaires de la poignée de porte Il semble que la poignée de porte, de par sa présence, arrive à transmettre des sensations, mais également des informations. Qu’il s’agisse d’une symbolique, d’une culture, d’un usage ou encore d’indications sociales, la poignée de porte informe mais permet également à l’Homme de se projeter dans un imaginaire et de faire appel à ses connaissances et souvenirs. • Symbole, culture, usage La poignée de porte représente le symbole de l’accès à un lieu. L’actionnement par la main de la poignée de porte induit une notion de seuil, ainsi que de franchissement. Cette manipulation marque un temps dans l’expérience architecturale. De plus, lorsque l’on entre dans un lieu, on en quitte un autre en même temps. Il y a cette symbolique à double sens représentée par un seul objet. La manipulation de la poignée de porte marque à la fois un début et une fin, on quitte un lieu dont on a fait l’expérience pour arriver dans un second auquel on n’a pas encore été confronté. Ce rôle d’intermédiaire peut conférer à la poignée de porte une double tâche. Elle devrait à la fois correspondre au lieu dans lequel elle s’inscrit, et c’est particulièrement vrai s’il s’agit d’un espace clos, pour pouvoir s’intégrer au mieux à ce qui l’entoure mais également introduire ce à quoi elle donne accès et donc être représentative du lieu qui se trouve derrière la porte. En outre, suivant la configuration dans laquelle elle se trouve, l’image que renvoie la poignée de porte n’est pas la même. Si elle est enclenchée, la poignée de porte donne une information différente que si elle est laissée entre-ouverte. L’objet véhicule à la fois des notions d’intimité, de privacité, d’enfermement ou de protection par exemple. Une porte dont la poignée n’est pas enclenchée semble plus invitante qu’une porte close. La poignée de porte suggère et peut traduire une intention. Si par exemple, le lieu sur lequel elle donne est occupé et que la personne qui l’occupe ne souhaite pas être dérangée, la poignée de porte sera certainement enclenchée. Choisir d’ouvrir, de fermer ou de laisser ouverte ou fermée une porte en manipulant la poignée de porte est une symbolique en soit. La gestuelle liée à la poignée de porte représente un état, aussi bien pour le lieu que pour l’Homme qui la manipule. L’Homme décide d’actionner la poignée de porte, il y a une intention, une prise de décision, il fait la démarche de franchir un seuil. La gestuelle liée à cette prise de décision est influencée par le fonctionnement de la poignée de porte. Une poignée de porte sur laquelle il faut pousser ou une poignée de porte qu’il faut abaisser n’évoque pas le même franchissement. La manière dont il faut saisir l’objet est également un outil de représentation. La gestuelle induite par l’utilisation de la poignée de porte fait appel à plusieurs domaines. Le premier identifiable est celui de l’intuition. La poignée de porte étant conçue pour la main, elle utilise un langage qui est inscrit dans l’esprit de manière empirique. L’utilisation de la poignée de porte fait écho au fonctionnement de la main. La réflexologie peut également être identifiée comme faisant partie des mécanismes de la poignée de porte. La gestuelle systématique liée à la pratique de la poignée de porte engendre un système de réflexes. Le sujet n’y prête plus attention, les gestes sont assimilés et enregistrés par la pensée. Cette manipulation de l’objet découle directement de la mise en œuvre. La manière dont la poignée de porte est façonnée induit la manière dont la main va la manipuler. La forme 73


1. Porte du palais impérial de la Cité Interdite, Pékin, Chine, 1406-1420 (Photographie personnelle) 2. Porte d’un grenier d’une maison de Dogon, Mali, Afrique (Disponible sur: https://renaudeau.book.fr) 3. Porte d’entrée d’une cour, Zimbales, Philippines, (Disponible sur: https://indulgy.com/post/fpA9vZMFG3/sokcho-lighthouse-sokcho-is-a-city-in-gangwond)

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ainsi que la matérialité de la poignée de porte renvoient à une symbolique particulière. Le contact physique avec la matière marque l’esprit et forge l’imaginaire d’un lieu. On retrouve notamment de nombreuses poignées de porte sculptées, auxquelles un soin a été apporté pour permettre à l’objet de représenter, de signifier. Souvent il s’agit de poignées de porte de bâtiments aux usages particuliers, des espaces publics avec un certain rôle de représentation. On peut citer par exemple des lieux de cultes, des musées, des hôtels particuliers ou encore des théâtres. Par le biais de la mise en œuvre il est possible de faire parler la poignée de porte, d’engager un échange entre l’objet et l’Homme. La manière dont elle est travaillée va permettre à la poigner de porte de résonner avec la main de l’homme, de faire appel à ses références, ses souvenirs et de susciter des sensations puisqu’il va interpréter et intégrer ce rapport charnel. Par la suite, il pourra réinvoquer ces sensations, se servir de ces souvenirs sensoriels lors de nouvelles expériences architecturales. C’est à ce moment-là que l’a priori entre en jeu. « Je me rappelle le temps où je faisais l’expérience de l’architecture sans y réfléchir. Je crois sentir encore dans ma main une poignée de porte, une pièce de métal arrondie comme le dos d’une cuillère. C’est celle que ma main saisissait quand j’entrais dans le jardin de ma tante. Aujourd’hui encore, cette poignée-là m’apparaît comme un signe particulier de l’entrée dans un monde fait d’atmosphères et d’odeurs diverses »9 . L’expérience de la poignée de porte ne renvoie pas seulement à l’objet en lui-même mais à une expérience globale de l’espace architectural dans laquelle elle prend place. La matérialité joue un rôle dans cette expérience, elle se met à la disposition d’une représentation symbolique. Le choix de la matérialité et de la mise en œuvre en générale de la poignée de porte est influencé par la culture et la situation géographique dans laquelle elle s’implante. Les poignées de porte ne sont pas les mêmes en Asie, en Europe ou en Afrique. Chaque culture a ses spécificités et chacune présente un rapport différent à l’objet. La poignée de porte revêtit une symbolique différente si elle est implantée dans un temple chinois ou si elle prend place dans un palais vénitien. La mise en œuvre de celle-ci n’est pas la même non plus puisqu’elle permet de conférer un statut à l’objet et une symbolique représentative du lieu pour lequel elle est façonnée. Chaque matériau peut avoir une évocation spécifique et qui ne sera pas la même en fonction de la culture. En outre, les matériaux considérés et employés pour la mise en œuvre de poignées de porte ne sont pas les mêmes en fonction des pays et notamment car tous les matériaux ne sont pas accessibles en même quantité partout dans le monde. Il est plus courant de saisir des poignées de porte en bois dans un pays d’Afrique, comme le Mali, plutôt que dans certains pays d’Europe par exemple. De ce fait, en fonction de la forme et de la matérialité générées par la mise en œuvre de la poignée de porte, en accord avec les traditions dans lesquelles elle s’inscrit, l’utilisation de la poignée de porte est intégrée par l’esprit car assimilée comme étant la norme ou la coutume. Outre la culture, l’usage influence la mise en œuvre de la poignée de porte. La même poignée de porte n’est pas associée à la fois à une porte d’entrée et à la porte de sanitaires10. En raison de son rôle de représentation et de symbole, le soin apporté à la poignée de porte varie qu’il s’agisse d’un espace public, expérimenté par un grand nombre de personne, ou d’un espace

9 Zumthor (Peter), Penser l’architecture, Bâle, Ed. Birkhäuser, 2008, p.7 10 cf «Parcours», Annexe, p. 141 à 148

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Steven Holl, Cité de l’océan, Poignée de porte d’entrée représentant le bâtiment, Biarritz, France (disponible sur: https://www.detail-online.com/article/museum-for-oceanography-and-surf-history-in-biarritz-16373)

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faisant référence à la sphère privée que peu de gens utilisent. On a tendance à attacher plus d’importance aux finitions d’un espace qu’on juge important, il en va de même pour les poignées de porte. Ces dernières sont généralement plus travaillées et soignées si elles sont destinées à un lieu public de qualité. Par sa mise en œuvre la poignée de porte reflète une image générale de l’espace, de ses fonctions et de ses usages. Le rôle de représentation, mentionné plus haut, pourrait même se traduire par la définition de la poignée de porte comme logo de l’espace construit. On trouve des bâtiments dont la fonction est illustrée par une mise en œuvre explicite de la poignée de porte. Cette dernière met en avant l’identité du lieu, un peu à la manière d’une enseigne ou d’un titre elle introduit l’espace à l’Homme. • La poignée de porte comme indicateur social La poignée de porte illustre une hiérarchisation des espaces, elle y contribue même. De la même manière, elle informe sur le rang social. Une poignée de porte soignée est généralement associée à une belle réalisation architecturale abritant une fonction importante justifiant ce geste d’architecture. Il y a cette volonté de montrer que l’on a les moyens de faire construire un bel édifice et surtout que l’on peut soigner les détails. À l’inverse, l’emploi d’une poignée de porte standard peut amener à penser que la fonction du lieu ne justifie pas un détail architectural soigné ou que par souci d’économie l’attention ne s’est pas portée sur cet objet utilitaire. Cela donne des informations sur les personnes qui peuvent habiter le lieu, s’il s’agit d’habitation, ou sur la fonction du bâtiment. La poignée de porte indique déjà sur quel espace elle s’ouvre. Il s’agit de suggérer, parfois de façon ostentatoire, ce qui se passe derrière la porte. La poignée de porte permet donc d’introduire le bâtiment et de donner des informations à l’Homme sur le lieu dans lequel il pénètre. 11 Elle présente différentes significations et peut également révéler une certaine dualité dans sa définition. 3.4 Le sens pragmatique de la poignée de porte A mi-chemin entre le détail architectural et le mobilier, la poignée de porte est difficilement définissable. Son statut n’est pas clair. La particularité de cet objet de second œuvre est qu’il oscille entre l’édition limitée et la production en série. En effet il peut être considéré, à la fois, comme un détail essentiel à l’aboutissement de l’image d’un projet, faisant alors l’objet de toutes les attentions. Cependant il peut aussi être négligé, en tant qu’objet utilitaire du quotidien répondant uniquement à des préoccupations de standardisation et l’amenant à une certaine banalisation. • Un détail architectural Si elle est considérée comme partie intégrante de l’espace architecturé, alors la poignée de porte peut faire l’objet d’une mise en œuvre spécifique. Elle sera soignée, réfléchie et conçue pour permettre la représentation du lieu dans lequel elle s’inscrit. Tout comme chaque espace architectural est unique, la poignée de porte associée à l’espace l’est aussi, notamment si on considère les différentes fonctions de représentation que peut aborder cet objet. La poignée de porte pourrait être conçue comme une illustration condensée de l’espace architectural. À

11 cf. «Indice», Annexe p.151 à 172

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Sanaa, EntrĂŠes et portes automatiques du Louvre-Lens, Lens, France, 2012 (disponibles sur: http://javiercallejas.com/?photo=321 et http://www.lm-magazine.com/blog/2012/12/12/le-louvre-lens)

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la manière d’un logo, propre à chaque projet, elle en devient un symbole. Cette corrélation entre l’espace architectural, le mobilier et les objets qui le composent permet de générer un lieu abouti, qui fait sens, en restant dans une même logique de réflexion aux différentes échelles. De cette manière, l’architecture se voit renforcée, peut-être même légitimée. Ceci peut permettre de créer une œuvre totale, avec une identité globale où le corps se retrouve en contact, par toute la surface de sa peau, avec une unité ambiante dont la poignée de porte constitue le point de contact actif. Par le biais de ce contact charnel entre l’objet et la main, l’Homme peut saisir l’essence de l’espace et enclencher une expérience architecturale. La poignée de porte peut être le médium permettant de renforcer le lien entre le corps et l’espace. Ainsi, la poignée de porte se place au rang de détail architectural. Détail12 en tant qu’élément, minutieux, soigné, auquel une attention particulière est portée pour générer une mise en œuvre singulière qui permettra de valoriser l’objet en tant que tel mais également l’ensemble auquel il appartient. • Un caractère induit Toutefois, un détail13 peut également être perçu comme un élément insignifiant ou secondaire qui ne mérite ou ne nécessite pas une attention particulière. C’est d’ailleurs souvent de cette manière qu’est considérée la poignée de porte. Elle présente un caractère induit et semble être considérée comme acquise. La poignée de porte est un objet présent au quotidien mais auquel on ne prête pas réellement attention. Elle fait partie de ces éléments architecturaux auxquels on ne porte pas un grand intérêt aussi bien dans son utilisation quotidienne que dans sa conception. La proportion de l’objet à l’échelle du bâtiment peut être un facteur de désintérêt. La poignée de porte paraît de par ses dimensions peu impactantes sur le rendu final d’une architecture, d’un point de vue visuel tout du moins, car comme cela a été explicité précédemment, il s’agit tout de même d’un objet à échelle humaine, conçu pour être en contact direct avec le corps humain. Or la recherche d’un lien entre l’homme et son environnement serait un des buts premiers de l’architecture. En outre, la poignée de porte est peu considérée autrement que pour sa fonction utilitaire. Les caractéristiques de l’objet deviennent purement fonctionnelles, on recherche avant tout un élément pratique, résistant, peu couteux, aussi facile dans sa conception que dans son utilisation. Cette recherche d’efficience tend vers une volonté de standardisation de la poignée de porte. Le but étant de concevoir un objet passe-partout, pouvant être produit facilement et en grandes quantités. La poignée de porte tend à exister pour son caractère utilitaire et cela impacte la relation entre l’Homme et l’objet. Elle est complètement intégrée dans une quotidienneté et dans une banalité que l’usager finit par la remarquer par son absence. En effet, la poignée de porte a tendance à interpeller lorsque celle-ci est manquante. L’importance de la poignée de porte est soulignée lorsqu’elle ne remplit pas son rôle, qu’elle ne fonctionne pas correctement ou qu’elle est mal positionnée

12 Petit élément constitutif d’un ensemble, et qui peut être jugé comme secondaire (Dictionnaire de français Larousse) 13 Partie, étudiée ou reproduite isolément, d’une œuvre d’art (Dictionnaire de français, Larousse) / L’expression « en détail» qui signifie : Précisément, distinctement (Reverso Dictionnaire) ou en entrant dans les moindres parties, en n’omettant aucun élément d’un ensemble (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, CNRTL)

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sur la porte et que cela a un impact sur l’usage du lieu mais peu de personnes éprouvent une satisfaction particulière lorsqu’une poignée de porte est fonctionnelle ou agréable à l’usage. Il en est de même pour les portes automatiques. Avec l’intégration de systèmes d’automatisations numériques au quotidien, l’action de l’Homme se voit remplacée par des machines. Ce phénomène s’applique également aux poignées de porte. Nous pouvons remarquer de plus en plus l’intégration de portes vitrées aux bâtiments qui composent nos villes et elles s’accompagnent souvent de systèmes d’ouverture automatique. Ces systèmes engendrent une disparition de la poignée de porte puisque l’Homme n’a plus besoin d’effectuer d’action manuelle pour manœuvrer les portes. Toutefois, s’il arrive que le système fasse défaut alors la manipulation de la porte se complexifie et le manque de la poignée de porte manuelle se fait sentir. Par son absence, la poignée de porte souligne sa nécessité et souligne également les enjeux d‘une perte de contact entre l’Homme et l’espace architecturé, d’une mise à distance forcée.

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CONCLUSION

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L’architecture et l’Homme sont depuis toujours intrinsèquement liés. La nature même de l’architecture en fait une discipline où l’Homme est au cœur de la réflexion. Le geste de bâtir est initié par l’Homme pour répondre à ses besoins. Il s’agit de créer des lieux où l’Homme puisse faire l’expérience de lui-même. L’architecture est la toile de fond de notre société. La relation entre l’Homme et l’architecture est basée sur un principe de réciprocité puisqu’en même temps que l’architecture génère un lieu de vie pour l’Homme, celui-ci, de par l’usage qu’il en fait, justifie la place de l’architecture dans le monde. Ce rapport étroit est notamment alimenté par les corrélations qui peuvent être faites entre l’espace architectural et le corps humain. En tant que lieu d’accueil de l’activité humaine l’architecture se doit de répondre au corps. Il y a une relation physique entre l’Homme et l’architecture. Cette connexion s’établit notamment grâce aux sens. Les sens sont les organes récepteurs du corps, ils permettent à l’Homme de faire l’expérience de son environnement. Par le biais de ses sens, l’Homme est capable d’appréhender, de prendre conscience de ce qui l’entoure et de comprendre la relation entre le corps humain et son milieu de vie. Les cinq sens que compte le corps permettent chacun de desceller différentes caractéristiques de l’environnement. Toutefois l’expérience architecturale est multi-sensorielle, chaque organe récepteur ne fonctionne pas de manière individuelle mais ils forment un tout pour produire une expérience complète et cohérente. En faisant l’expérience de ce qui l’entoure l’Homme se connecte à son entourage : il en devient un acteur et non un spectateur. Sa perception devient alors intramondaine et l’immerge de manière active dans son environnement. Cette immersion induit des échanges privilégiés entre l’Homme et ce dont il fait l’expérience. C’est donc notamment le cas de l’architecture. Chaque expérience architecturale est unique et revêt un caractère subjectif. En effet, l’expérience est conditionnée par différents facteurs : par différents facteurs comme le sujet, l’objet ou le contexte de l’expérience et ceux-ci ne sont jamais les mêmes. L’expérience architecturale est directement liée à ces facteurs. L’Homme, en tant que sujet de l’expérience n’est pas impartial, il est influencé par des connaissances acquises antérieurement, par le contexte de l’expérience ou par des expériences vécues auparavant. Chaque Homme est unique et de ce fait expérimente également de manière unique. Le passé influence directement le présent et le futur à venir. Le fonctionnement des sens ne change pas mais c’est leur interprétation qui évolue au fils de nouvelles expériences. Au cours de l’expérience architecturale les sens sont sollicités par une multitude de stimulus. Ces excitations sont produites par une variété de dispositifs architecturaux auxquels le corps humain est sensible et ce sont les sens qui permettent de les desceller. Les mises en œuvre de l’architecture permettent de générer des atmosphères et des sensations qui sont perçues par le corps humain. Chaque organe sensoriel est sensible à différentes mises en œuvre architecturales. La perception de l’espace architectural est donc rendue possible grâce aux sens. En tant qu’acteurs majeurs de l’expérience ils jouent un rôle déterminant dans la relation entre le corps et l’architecture. Les sens façonnent les connexions entre le corps et son environnement au cours d’un échange immersif, physique et mental. Le sens du toucher reflète cette notion de proximité et d’intimité induite entre le corps et l’architecture lors de l’expérience architecturale. L’Homme peut tenter de se détacher du monde qui l’entoure, essayer de minimiser l’emploi de ses sens, il semblerait pourtant qu’un sens soit difficile à inhiber, le toucher. L’Homme touche toujours. Le plus souvent

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cela se fait de manière inconsciente mais le contact charnel entre le corps humain et son environnement semble être inévitable. Le toucher est le sens qui accompagne l’Homme tout au long de sa vie. Il est le premier à se développer, permet à l’Homme d’acquérir des connaissances et lui offre des connexions privilégiées avec son environnement. Le toucher est éducateur, tout au long de sa vie l’Homme se construit une mémoire tactile qui lui permet d’identifier et d’enregistrer les éléments qui l’entourent. Cette mémoire sert de support à chaque nouvelle expérience. Le corps humain s’appuie sur ce qu’il a déjà touché pour percevoir ce avec quoi il entre en contact. La relation tactile entre le corps et l’architecture peut être de différentes natures. Le sens du toucher présente des sensibilités tactiles passives ou actives suivant s’il s’agit d’un contact subit entre le corps et son environnement ou si le contact induit une action du corps humain. C’est l’association de ces deux formes de tactilités qui génère un toucher global prenant en compte à la fois la sensibilité tactile passive ainsi que la sensibilité active et la kinesthésie. Cette forme complète de tactilité se définie comme un toucher haptique. L’espace architectural regorge de dispositifs propices à cette forme de toucher haptique. Lors de l’expérience architecturale, le corps humain entre en contact avec de nombreux éléments architecturaux. Les sols, les murs ou encore les objets poussent à la tactilité. C’est notamment leur mise en œuvre et leur matérialité qui favorisent un contact charnel. En fonction du choix de forme, de couleur, ou encore de matière, l’élément architectural ne suscite pas les mêmes sensations et n’est pas perçu par le corps de la même manière. Un béton lisse ne renvoie pas un message similaire à un bardage bois et de ce fait n’évoque par le même imaginaire pour l’Homme. La matérialité choisie influence donc la relation entre le corps et l’espace architectural. Il y a une gradation de la matérialité au sein de cet espace. Lors de l’expérience architecturale, les échanges entre l’architecture et l’Homme se font à différentes échelles. L’expérience englobe l’espace dans son entièreté et de ce fait des relations se tissent aussi bien à l’échelle du lieu qu’à celle de l’objet. L’architecture compte de nombreux objets propices au toucher et parmi eux se trouve la poignée de porte. La poignée de porte est un objet qui implique un contact direct avec le corps humain au travers de la main. L’utilisation de la poignée de porte implique une sollicitation égale de l’objet et du corps humain, les deux entrent en action. L’essence même de la poignée de porte est d’être utilisée par la main. Sans la main, la poignée de porte perd toute fonctionnalité. Elle est à la fois fonctionnelle mais revêt également un rôle symbolique. Cette dualité de l’objet lui confère différentes caractéristiques spécifiques. La poignée de porte, en tant qu’objet entrant en contact direct avec le corps, se doit de répondre à certaines préoccupations telles que l’ergonomie. En effet, le rapport entre la main et l’objet au moment du toucher doit être agréable et confortable pour permettre une bonne manipulation de celui-ci. Cette recherche de confort passe par la mise en œuvre de la poignée de porte. Le choix de son matériau, de sa forme ou de sa disposition, a une incidence sur le contact entre la main et l’objet. La mise en œuvre permet également de répondre à des notions de durabilité et d’efficacité auxquels la poignée de porte doit prétendre. C’est un objet manipulé de manière régulière et qui peut être soumis aux intempéries. En ce sens le choix de sa composition doit permettre une certaine durabilité dans le temps et une efficacité d’utilisation. Ces préoccupations pragmatiques de la poignée de porte sont à associer avec une vision imagée de celle-ci. Il y a un imaginaire qui se crée autours de la poignée de porte et le contact physique entre la main et l’objet induit un contact cérébral. 86


De par sa présence, la poignée de porte arrive à transmettre des sensations mais également des informations. Qu’il s’agisse d’une symbolique, d’une culture, d’un usage ou encore d’indications sociales, elle informe et permet également à l’Homme de se projeter dans un imaginaire, de faire appel à ses connaissances et à ses souvenirs. La poignée de porte permet d’introduire le lieu sur lequel elle ouvre. Elle présente différentes significations et peut également révéler une certaine dualité dans sa définition. En effet, la poignée de porte se trouve à mi-chemin entre le détail architectural et le mobilier purement utilitaire. La particularité de cet objet est qu’il oscille entre l’édition limitée et la production en série. Il peut être le détail essentiel à l’aboutissement d’une architecture ou au contraire être négligé en tant qu’objet du quotidien utilitaire répondant à des préoccupations de standardisation. Dans ce cas, la poignée de porte est complètement intégrée dans une quotidienneté et dans une banalité qu’on finit par la remarquer par son absence. L’importance de la poignée de porte est alors soulignée quand elle manque ou qu’elle ne remplit pas son rôle. Cela se vérifie avec le phénomène d’automatisation des portes. L’intégration de systèmes automatiques engendre l’obsolescence de la poignée de porte. Toutefois si le système ne fonctionne plus, l’Homme ne peut actionner les portes. L’architecture et le corps entrent alors en confrontation et cela favorise une mise à distance entre le corps et l’espace architectural. En outre, le phénomène de dématérialisation généralement lié à l’automatisation des portes favorise cette distanciation de l’Homme et de son environnement. En tant que support de la poignée de porte, cet effacement de la matière induit une remise en cause de la poignée de porte ce qui génère une perte de tactilité directe. Ce questionnement de la poignée de porte influe ainsi sur l’expérience architecturale puisqu’elle la prive d’une expérimentation charnelle. L’enjeu serait-il donc d’accepter les évolutions techniques et de les intégrer au mieux à l’architecture sans perdre pour autant ce qui relie l’Homme à son environnement ? Les innovations technologiques engendrent des bouleversements dans la pratique de l’architecture mais ne devraient-elles pas aussi favoriser l’essence même des relations entre le corps et l’espace architectural ?

« Elle [l’architecture] donne de la consistance culturelle à nos manières d’être en relation avec les lieux et met en place publique et donc en débat, notre relation sensible à l’environnement. »1

1 Bonnaud (Xavier), «L’expérience architecturale», Cahiers de la Recherche Architecturale et Urbaine, Automne 2012, p.17

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SOURCES & BIBLIOGRAPHIE

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ANNEXES

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Lexique Source : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais-monolingue sauf si précisé

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Détail - Petit élément constitutif d’un ensemble, et qui peut être jugé comme secondaire : Ne pas négliger les détails. - Partie, étudiée ou reproduite isolément, d’une œuvre d’art. Espace - Étendue, surface ou volume dont on a besoin autour de soi. - Portion de l’étendue occupée par quelque chose ou distance entre deux choses, deux points. - Surface, étendue, volume destinés à un usage particulier. Expérience - Pratique de quelque chose, de quelqu’un, épreuve de quelque chose, dont découlent un savoir, une connaissance, une habitude ; connaissance tirée de cette pratique. - Fait de faire quelque chose une fois, de vivre un événement, considéré du point de vue de son aspect formateur. Haptique - Il est classique de différencier deux types de perception tactile manuelle (Hatwell, Streri, & Gentaz, 2000) : La perception cutanée et la perception haptique. - La perception cutanée ou passive résulte de la stimulation d’une partie de la peau alors que le segment corporel qui la porte est totalement immobile. Tel est le cas lorsque le dos de la main repose sur une table et qu’un objet pointu est déplacé sur sa paume. Dans ce cas, comme seule la couche superficielle de la peau est soumise à des déformations mécaniques, le traitement perceptif ne concerne que les informations cutanées liées au stimulus appliqué sur la main. - La perception tactilo-kinesthésique ou haptique (terme introduit en psychologie par Revesz, 1934, 1950) ou active résulte de la stimulation de la peau résultant des mouvements actifs d’exploration de la main entrant en contact avec des objets. C’est ce qui se produit quand, par exemple, la main et les doigts suivent le contour d’un objet pour en apprécier la forme. Dans ce cas, s’ajoute nécessairement à la déformation mécanique de la peau celle des muscles, des articulations et des tendons qui résulte des mouvements d’exploration. De plus, sur Terre, la main ou le bras va être soumis à la gravité et les forces déployées par le système proprioceptif vont non seulement être intégrées par le système nerveux central dans un but purement « moteur » mais vont être perçues par le système en termes de « sens de l’effort ». Par exemple, la longueur, voire la forme d’un objet non vu mais activement déplacé dans ce champ gravitaire peuvent être perçues grâce au tenseur d’inertie (voir Turvey, 1994) sur le dynamic touch. Des processus très complexes sont impliqués ici, car ils doivent intégrer simultanément les informations cutanées et les informations proprioceptives et motrices liées aux mouvements d’exploration cutanées pour former un ensemble indissociable appelé perceptions haptiques. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Haptique

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Kinesthésie - La kinesthésie ou cinesthésie est la perception de l’équilibre et de la position des différentes parties du corps. Le concept tire son origine des termes grecs (« commun ») et áisthesis (« sensation »). Ceci dit, étymologiquement, il fait allusion à la sensation ou la perception du mouvement. Il s’agit des sensations transmises de façon continue partant de tous les points du corps vers le centre nerveux des afférences sensorielles. Les spécialistes distinguent deux types de sensibilité, à savoir: la sensibilité viscérale (intéroceptive) et la sensibilité posturale (proprioceptive), dont l’emplacement périphérique se situe dans les articulations et les muscles. La fonction de la sensibilité dite posturale a pour but de régler l’équilibre et les actions volontaires coordonnées nécessaires permettant ainsi de faire bouger/déplacer le corps à volonté. Les propriocepteurs interviennent dans le développement du schéma corporal dans la relation avec l’espace et planifient l’action motrice, tout en fournissant suffisamment d’information sur le corps le permettant d’avoir une mobilité complète et ordonnée. Autrement dit, la kinesthésie est le sens d’orientation qui permet que la personne puisse définir l’orientation optique, gustative, tactile, olfactive et de coordination. Source : http://lesdefinitions.fr/kinesthesie Matérialité - Caractère nature de ce qui est matériel. Matière - Substance constituant les corps, douée de propriétés physiques. - Substance particulière dont est faite une chose et connaissable par ses propriétés. Perception - Événement cognitif dans lequel un stimulus ou un objet, présent dans l’environnement immédiat d’un individu, lui est représenté dans son activité psychologique interne, en principe de façon consciente ; fonction psychologique qui assure ces perceptions. - Action de percevoir par les organes des sens. Poignée - Partie d’un instrument, d’un ustensile, d’une arme, etc., servant à les saisir, à les tenir, à les manipuler avec la main. - Quantité de quelque chose que la main fermée peut contenir. Sens - Fonction physiologique de relation avec le monde extérieur, permettant d’apporter au cerveau des informations sur celui-ci et de les rendre conscientes. Il existe cinq sens : l’ouïe, le goût, l’odorat, le toucher et la vue.

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Sensation - Phénomène qui traduit, de façon interne chez un individu, une stimulation d’un de ses organes récepteurs. - État psychologique découlant des impressions reçues et à prédominance affective ou physiologique. Sensible - Qui est, qui peut être perçu par les sens. - Qui est apte à éprouver des perceptions, des sensations. Tactile - Relatif au tact : Domaine de la sensibilité cutanée qui est impliqué dans la perception consciente des stimulations mécaniques d’intensité modérée au niveau du revêtement cutané et muqueux. Toucher - Mettre sa main, ses doigts au contact de quelque chose, de quelqu’un, en particulier pour apprécier, par les sensations tactiles, son état, sa consistance, sa chaleur, etc. - Être, entrer en contact physique avec quelque chose, quelqu’un.

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Extraits

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Extrait de Crunelle Marc, Perception tactile des sols, pages 2&3

« Peut-être peut-on trouver aussi ce qu’on pourrait appeler la fonction sécurisante des sols: qui consisterait à disposer le corps de telle manière que le tact et les gestes soient les plus fluides possibles, les moins présents à l’esprit ; en d’autres termes, qu’on n’y fasse plus attention. Comme si, dans le budget énergétique limité que chaque homme possède, l’attention qu’il accorde à ce sens kinesthésique devienne la plus faible possible, pour laisser place à d’autres facteurs d’intérêts moins primaires: dialogue, contact humain, détente, loisirs. Sur les sols extérieurs, la présence tactile est très forte et “consomme” beaucoup d’énergie. Le degré d’attention qu’il faut pour marcher sans ce cogner, pour ne pas trébucher et “regarder devant soi”, font que nous ne nous trouvons pas dans des conditions propices à la détente, à une conversation philosophique ou pour draguer. Par contre, dans les lieux construits, l’agencement intérieur, prédispose le corps à un autre comportement. Ce toucher tant présent au dehors, cette forme de toucher qu’on pourrait appeler de primaire, voire de survie fait place à une autre forme de sensibilité tactile plus sensuelle: celle de la prise de conscience des matières nous entourant (soyeux des tissus, épaisseur du tapis, moelleux des coussins) et d’un “enfournement” non agressif qui prédispose le corps, par la mise en éveil de nouveaux registres tactiles, à un comportement de dialogue, de contact. Ce que les Anglais appellent le “home”, ce lieu chaud et feutré, en est l’exemple typique. » p.2-3 « Cette succession de matières allant du dur à l’extérieur au doux au “centre” du lieu, qui petit à petit détend l’homme et le met en confiance, se présente comme allant toujours dans le même sens. Tout contresens à cette progression, à ce nivelage des reliefs nous choquerait. En effet , on n’a jamais vu un hall d’entrée en plancher suivi d’un salon en pavés; ni un couloir recouvert de tapis donnant accès à des chambres en terre battue ou en gravier. Tout porte à croire que cette “bonne pratique” ou “bonne logique” des recouvrements de sols sécurisant l’homme soit universelle. »

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Sols d’une maison en Belgique

Sols d’une maison au Maroc

Sols d’une maison au Japon 103


Extrait de Crunelle Marc, Exploration de la fonction tactile en architecture, pages 137 & 145

Variations sur le thème d’une forme à saisir et à tourner 104


Profils de mains courantes 105


Extrait de Coulon Fabien, Le rôle de la modalité tactile dans le déplacement du piéton en ville, page 25

« Hatwell considère que, chez l’adulte, le système bras-mains constitue au plan cognitif le vrai système perceptif haptique. Le terme haptique désigne donc pour elle la perception d’objets tridimensionnels par le toucher manuel. Le toucher actif permet non seulement d’améliorer la capacité de détection cutanée, mais il permet aussi d’identifier différentes formes beaucoup plus rapidement que le toucher passif. Cette identification tactile peut être par ailleurs améliorée si le deux mains son mises à contribution, plutôt qu’une seule. La perception haptique est caractérisée par le fait qu’il n’y a pas que les récepteurs cutanés qui participent à la détection ou à l’identification d’un objet. Elle fait aussi intervenir les récepteurs kinesthésiques, ceux qui sont propres aux impressions laissées par le mouvement. Ces mêmes impressions contribuent à orienter les mouvements suivants. » p.24 « Les travaux menés par Lederman et Klatzky à partir de 1987 ont permis d’identifier, chez des adultes qui devaient classer des objets en fonction d’un critère donné, des procédures exploratoires : ce sont des ensembles spécifiques de mouvements des mains se caractérisant par la quantité d’information qu’ils apportent, et donc par l’éventail des propriétés auxquelles ils sont adaptés. Ces procédures, certaines spécialisées, d’autres plus générales, sont au nombre de huit : le frottement latéral (identification de la texture), le soulèvement (poids), la pression (dureté du matériau), le contact statique (température ; approximativement pour la forme, la taille, la texture et la dureté), l’enveloppement (même propriété que pour le contact statique), le suivi des contours (connaissance précise de la forme et de la taille, plus floue pour la texture et la dureté), le test de fonction (fonction de l’objet) et le test de mouvement partiel (partie(s) mobile(s) de l’objet). Ces chercheurs ont également observé que la stratégie d’exploration se fait en deux temps : d’abord sont produites des procédures non spécialisées pour obtenir des informations peu précises sur plusieurs propriétés et une connaissance globale de l’ensemble, puis des procédures spécifiques pour affiner les informations pour chacune des propriétés de l’objet. »

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Extrait de Focillon Henri, L’éloge de la main, p.111&112

« Elle combine d’étonnantes aventures de la matière. Il ne lui suffit pas de prendre ce qui est, il faut qu’elle travaille ce qui n’est pas et qu’elle ajoute aux règnes de la nature un règne nouveau. Longtemps elle se contenta de dresser des troncs d’arbre non polis, avec toute leur parure d’écorce, pour porter les toits des maisons et des temples ; longtemps elle entasse ou elle leva des pierres brutes pour commémorer les morts et pour honorer les dieux. En se servant de sucs végétaux pour rehausser la monotonie de l’objet, elle respectait encore les dons de la terre. Mais du jour où elle dévêtit l’arbre de son manteau noueux pour en faire apparaître la chair, façonnant la surface jusqu’à la rendre lisse et parfaite, elle inventa un épiderme, doux à la vue, doux au toucher, et les veines, destinées à rester profondément cachées, offrirent à la lumière des combinaisons mystérieuses. Les masses amorphes du marbre, enfouies dans le chaos des montagnes, lorsqu’elles furent taillées en blocs, en plaques, en simulacres d’hommes, semblèrent changer d’essence et de substance, comme si la forme qu’elles recevaient les travaillaient jusqu’au fond de leur être aveugle et dans leurs particules élémentaires. […] L’art commence par la transmutation et continue par la métamorphose ».

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Contact Rencontre entre une main et des poignées de porte

Cette série photographique est composée de photographies prises durant la période d’écriture de ce mémoire. Ce travail est venu alimenter ma pensée en tant que complément et support de réflexion. Il m’a permis d’illustrer certaines idées mais m’a également poussé vers de nouveaux questionnements au fur et à mesure de la composition de cette photothèque. Ce sont des images prises sur le vif au hasard de rencontres entre ma main et des poignées de porte. Je n’avais pas de cibles précises, j’ai capturé les poignées de porte qui m’ont interpellé, de par leur couleur, forme, position, etc. C’est le contact privilégié entre ma main et cet objet d’architecture que j’ai souhaité mettre en avant. Les poignées de porte sont ordonnées par forme. Cela permet de mettre en évidence la gestuelle que la mise en œuvre de l’objet implique. 109


Maison du directeur, Manufacture des tabacs, Strasbourg, France

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Entrée de musée, Shanghai, Chine

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EntrÊe d’atelier, Shanghai, Chine

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Mémorial cimetière américain, Saint-Avold, France

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EntrĂŠe magasin, Shanghai, Chine

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EntrÊe galerie d’art, Shanghai, Chine

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EntrĂŠe logement, Shanghai, Chine

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Sortie musĂŠe, Venise, Italie

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EntrĂŠe Chapelle de Saint-loup, Suisse

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Pavillon français, biennale d’art de Venise 2017

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Logement, Venise, Italie

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Logement, Venise, Italie

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Logement, Venise, Italie

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Sortie thÊâtre de Palladio, Vicence, Italie

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Logement, Venise, Italie

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Palazzo Grassi, Venise, Italie

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Logement, Venise, Italie

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Temple du bouddha de jade, Shanghai, Chine

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Logement, Venise, Italie

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Logement, Venise, Italie

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Logement, Venise, Italie

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Théâtre de Palladio, Vicence, Italie

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CitĂŠ interdite, Shanghai, Chine

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Logement, Venise, Italie

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Logement, Venise, Italie

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Théâtre de Palladio, Vicence, Italie

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EPFL, Lausanne, Suisse

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Logement, Venise, Italie

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Entrée église, Lausanne, Suisse

Casa Batlló, Barcelone, Espagne

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Parcours De la poignée de porte d’entrée à la poignée de porte de placard

Par cette série de photographies la volonté est d’illustrer la gradation que l’on retrouve dans la mise en œuvre des poignées de porte en fonction de leur position dans l’espace ou du lieu sur lequel elles ouvrent par exemple. Il y a dans ces images une notion de cheminement puisqu’il s’agit du parcours que j’effectue depuis la poignée de porte d’entrée de mon immeuble jusqu’à la poignée de porte du placard de ma chambre. Il y a une progression, du public vers le privé, de la poignée la plus manipulée à celle qui l’est une à deux fois par jour. Il m’a semblé intéressant d’illustrer les différences que présentent ces poignées de porte. 141


Poignée de porte d’entrée d’immeuble, Strasbourg, France

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Poignée de porte d’entrée logement, Strasbourg, France

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PoignĂŠe de porte de couloir, Strasbourg, France

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PoignĂŠe de porte de chambre, Strasbourg, France

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PoignĂŠe de porte de salle de bain, Strasbourg, France

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PoignĂŠe de porte de placard de salle de bain, Strasbourg, France

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PoignĂŠe de porte de placard de chambre, Strasbourg, France

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Indice La poignée de porte comme indicateur social

Cette série photographique illustre la variété de poignées de porte présente dans un périmètre restreint et notamment les différences stylistiques notoires en fonction des usages qu’abritent les bâtiments. Les poignées de portes présentées ici se situent sur un parcours dans Strasbourg allant de la rue Sainte-Hélène jusqu’à la rue des Orfèvres en passant par la Grand rue. Le choix de ces rues m’a semblé pertinent puisqu’il s’agit d’un tissu urbain homogène au travers duquel une multitude d’usages ou de classes sociales cohabitent pourtant. Saurez-vous retrouver les fonctions des bâtiments grâce à leur poignées de porte ? 151


16 rue Sainte-Hélène 67000 Strasbourg

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12 rue Sainte-Hélène 67000 Strasbourg

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6 rue Sainte-Hélène 67000 Strasbourg

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4a rue Sainte-Hélène 67000 Strasbourg

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3 rue Sainte-Hélène 67000 Strasbourg

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2 rue Sainte-Hélène 67000 Strasbourg

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1 rue Sainte-Hélène 67000 Strasbourg

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53 rue du FossĂŠ des tanneurs 67000 Strasbourg

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40 rue du FossĂŠ des tanneurs 67000 Strasbourg

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96 Grand rue 67000 Strasbourg

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92 Grand rue 67000 Strasbourg

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77 Grand rue 67000 Strasbourg

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79 Grand rue 67000 Strasbourg

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118 Grand rue 67000 Strasbourg

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112 Grand rue 67000 Strasbourg

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130 Grand rue 67000 Strasbourg

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20 rue des Orfèvres 67000 Strasbourg

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17 rue des Orfèvres 67000 Strasbourg

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10 rue des Orfèvres 67000 Strasbourg

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7 rue des Orfèvres 67000 Strasbourg

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1 rue des Orfèvres 67000 Strasbourg

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Depuis les premières formes d’architectures, le corps est au cœur des réflexions du processus architectural. L’Homme et l’architecture sont intrinsèquement liés. Le geste architectural se justifie par l’Homme et pour l’Homme en réponse à des besoins naturels mais spécifiques. Un rapport fort se crée entre l‘architecture et l’Homme qui en fait l’expérience : le corps et l’espace entrent en relation et un échange où les sens ont un rôle important à jouer se met en place. Les sens permettent ainsi à l’Homme d’appréhender son environnement. C’est grâce à ses organes sensoriels que le corps humain perçoit les sensations générées par les dispositifs architecturaux. La mise en œuvre de l’architecture permet de créer des ambiances au travers de la matérialité, de la forme ou de la lumière. Parmi les cinq sens, le toucher se définit comme le sens de la proximité et de l’intimité. Ce sens permet de lier l’Homme à l’architecture dans un rapport charnel. L’expérience tactile de l’architecture peut se développer à différentes échelles : De l’espace à la poignée de porte, l’Homme touche toujours. Ce mémoire questionne ainsi les mécanismes d’une connexion tactile entre le corps humain et l’espace architectural pour comprendre en quoi une perception haptique de l’architecture engendre-t-elle des interactions privilégiées entre le corps et l’espace.


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