Bruxelles_Laique_Echos_2006_04

Page 1



Sommaire EDITO

p. 3

Liberté et sécurité

p. 4

Appel à la vigilance démocratique

p. 5

La création d’une jurisprudence d’exception

p. 9

LU POUR VOUS L’insécurité sociale

p. 13

Délinquance et immigration

p. 16

Assemblée des voisins rencontre - témoignage - solidarité

p. 19

Nous exploitons toute “la misère du monde”

p. 21

L’instrumentalisation des peurs

p. 23

LU POUR VOUS Politiques de la peur La peur en Occident Promotion de la peur : quel rôle jouent les médias ?

p.25 p.27 p. 28

PORTAIL Contre l’obscurantisme des peurs, les lumières de la raison

p.30

Résister à la peur et interroger l’altérité

p.32

Bruxelles Laïque est reconnue comme association d’éducation permanente et bénéficie du soutien du Ministère de la Communauté française, Direction Générale de la Culture et de la Communication, Service de l’Education permanente. Bruxelles Laïque asbl Avenue de Stalingrad, 18-20 - 1000 Bruxelles Tél.: 02/289 69 00 Fax: 02/502 98 73 E-mail: bruxelles.laique@laicite.be www.brux.laicite.be


Edito rial Résister à la panique sociale

Notre époque est actuellement marquée par des peurs : peur du terrorisme, peur de l’agression au coin de la rue, peur du chômage, peur de la pauvreté, peur du climat, peur des immigrés, peur de prendre un risque, peur d’être victime, etc. La méfiance et la crainte nourrissent à tel point les relations entre les individus, qu’elles construisent un climat de vie sociale où le sentiment ambiant d’insécurité et les réflexes d’autodéfense qu’il provoque prennent le pas sur les élans de solidarité et d’ouverture vers l’autre. Ce climat de craintes et de menaces, réelles ou imaginaires, pousse les citoyens à désinvestir l’espace public pour surinvestir le privé ou le communautaire. Ces comportements sont implicitement encouragés par des pouvoirs publics soucieux de profiter de cette opportunité pour restaurer une autorité érodée par la crise économique et la faillite sociale, mais aussi par des médias plus soucieux de faire vendre et consommer que d’informer. Ainsi thématisées dans le discours social, ces peurs sont devenues des moteurs du débat de société et, de fait, conditionnent de plus en plus des politiques publiques de gestion de populations, où les préoccupations sécuritaires priment sur les questions sociales, le respect des libertés publiques, des droits de l’Homme et du citoyen. Il faut se rappeler que l’histoire des sociétés humaines enseigne que les systèmes de pouvoir, quelle qu’en soit la nature, se sont très souvent érigés sur des fondements anthropologiques exploitant les peurs, les craintes et les angoisses existentielles des hommes pour asseoir et légitimer leur domination. Les religions en sont un exemple et les idéologies politiques n’échappent pas à cette tentation de manipulation du réel pour remodeler les consciences afin de les pousser à la soumission, à l’acceptation d’un nouvel ordre social ou à l’étouffement de toute remise en question. Le danger des peurs, c’est de favoriser l’auto-désocialisation des individus par la perte du sens social et du sentiment d’appartenance à une société globale. Elles légitiment par ailleurs un mode de gestion des libertés publiques excluant, au nom de la sécurité, toute velléité de contestation et de remise en cause de l’ordre établi. Les peurs emprisonnent et divisent. L’instrumentalisation avérée des peurs pourrait n’être qu’un prétexte pour mettre des libertés au pas, et cela, grâce au consentement tacite de citoyens conditionnés pour se soumettre et accepter le bien-fondé de mesures apparemment destinées à leur assurer sécurité et tranquillité. C’est en ce sens que le Festival des Libertés, préoccupé par la menace que l’instrumentalisation des peurs collectives fait planer sur l’exercice des libertés, en appelle à la vigilance et au refus de céder à la panique sociale parce qu’elle remet en cause les valeurs et les fondements démocratiques de notre société.

Ariane HASSID Présidente

3


Liberté et sécurité Au lendemain de la révolution française, “la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression” furent érigées en droits naturels et imprescriptibles de l’homme (art. II de la Déclaration de 1789). Indissociables, la liberté et la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression sont nécessaires l’une à l’autre, condition et limite l’une de l’autre. La “sûreté” était alors définie comme sécurité civique, protection contre les abus d’autrui ou du pouvoir et, à ce titre, conditionnait la liberté et l’exercice des droits. Ce sont les citoyens qui ont conquis ces droits en se les reconnaissant mutuellement. Avec Balibar nous définirons la “sécurité” comme ce que devient la sûreté lorsque les citoyens la reçoivent de l’Etat, qu’ils ont précisément institué pour lui confier la fonction de reconnaître et garantir leurs droits. Une fois installé, celui-ci risque d’abuser de son pouvoir, d’oublier sa finalité – garantir le respect des droits et l’épanouissement des libertés – et de transformer ses moyens – la force publique, le monopole de la violence légitime – en fins. C’est pour parer ce danger que la résistance à l’oppression fut associée à la sûreté et complétée en 1793 par le droit et le devoir d’insurrection “quand le gouvernement viole les droits du peuple” (art. 35). Au fil des évolutions économiques et sociales, tant la mission de l’Etat que la définition de la sécurité ont connu un mouvement d’extension puis de restriction. On est d’abord passé de l’Etat libéral – limité à garantir la sûreté ou sécurité civile – à l’Etat social – intervenant dans l’économie et assurant, via les redistributions, la sécurité sociale ou, selon Z. Bauman, la “certitude” d’avoir une subsistance et un avenir assurés quels que soient les aléas de l’existence (accidents, maladies, perte d’emploi,…). Ensuite, l’Etat se redéfinit actuellement comme Etat néolibéral et sécuritaire. Il intervient de moins en moins pour réguler l’économie, restreint ou privatise ses fonctions de protections sociales et se focalise sur son rôle policier pour gérer les tensions et le nombre croissant d’exclus que génère la dérégulation sociale et économique. Au nom de nouvelles menaces exacerbées

4

(terrorisme, criminalité organisée, immigration illégale,…), la sécurité (au sens étatique) devient sa principale priorité au détriment de la sûreté (au sens civique), de la certitude et de la liberté. Le malaise provoqué par l’incertitude (avenir incertain) et l’insûreté (précarité des droits et des moyens d’existence) que connaissent des franges toujours plus larges de la population se voit traduit et réduit en termes de sentiment d’insécurité. Ce qui permet aux gouvernements, d’une part, de donner des réponses politiques plus faciles, tangibles et visibles que s’il fallait s’attaquer aux causes de l’incertitude et de l’insûreté, d’autre part, de renforcer le contrôle social et de restreindre les libertés avec l’assentiment de la majorité. L’aggravation de la dualisation de la société n’est pas le moindre des paradoxes de la globalisation et de la pensée unique. Petit à petit se délimitent symboliquement et matériellement deux espaces : d’une part, celui de la sécurité et de la normalisation pour les individus adaptables au rythme effréné de la compétitivité et des restructurations ou déstructurations, sans cesse incités à plus de liberté de consommer, de circuler et de faire circuler les devises ; d’autre part, celui du sécuritaire et de l’exception pour tous les laissés pour compte de l’employabilité et les indésirables du nouvel ordre moral, ils sont sévèrement contrôlés (activation, contrats de sécurité,…) ou tenus à l’écart (banlieues, prisons, clandestinité,…). L’état d’exception est une prérogative régalienne qui remonte à la révolution française. Il peut être décrété par le souverain face à des situations exceptionnelles (guerre ou guerre civile) lorsque la sécurité est gravement remise en cause et que sa préservation requière momentanément la suspension de l’Etat de droit et des libertés fondamentales. La gestion sécuritaire du social et du politique, en brandissant sans cesse de nouvelles menaces et en creusant toujours plus hermétiquement le fossé de la dualisation, tend à instaurer une situation de guerre civile mondiale permanente (guerre contre le terrorisme) et, par là, à inscrire l’état


d’urgence dans la durée. En 1793, le pendant de la notion d’état d’exception était le droit de résistance à l’oppression ou d’insurrection. Il pouvait être décidé par les citoyens face aux exactions du souverain lorsque leur sûreté et leurs libertés étaient gravement remises en cause et que leur préservation requérait la suspension momentanée du pouvoir d’Etat, de sa légitimité et de la légalité. Ce droit a disparu dans la Déclaration universelle

des droits de l’homme de 1948 et les suivantes… Si la révolution française institua de nouvelles libertés dont la sûreté était la condition, aujourd’hui, les régimes sécuritaires cherchent à instaurer plus de sécurités dont la liberté est le prétexte ou le faire-valoir. Mathieu BIETLOT

Appel à la vigilance démocratique

en matière de lutte contre le terrorisme Le 11 septembre 2001 a servi de prétexte à une remise en cause de nombreux principes fondamentaux de la justice pénale et de la pratique policière. Depuis ces attentats, la lutte contre le terrorisme est devenue une des priorités de l’ensemble de la communauté internationale et un des thèmes majeurs au sein des instances internationales et régionales. Force est de constater que les attaques du 11 septembre ont marqué une rupture dans l’interprétation et l’application du droit international des droits de l’Homme. Ce type de relecture était déjà en germe bien avant ces événements, qui n’ont servi que de catalyseur. Des Etats ont mis, et mettent encore en place, des procédures judiciaires d'exception pour juger les individus présumés terroristes. Les suspects sont privés du droit à une défense appropriée, les preuves à charge restent secrètes, les jugements sont prononcés par des tribunaux d'exception dont le fonctionnement et la composition portent atteinte aux principes élémentaires d'impartialité. Dans certains cas, des sanctions sont imposées par des autorités administratives ou politiques, cela sans la moindre possibilité de recours effectif. Les procédures violent manifestement les normes internationales garantissant le droit à un procès équitable, comme les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ou celles de la Convention européenne des droits de l’Homme. En outre, un arsenal policier touchant l’ensemble des citoyens, en ce compris les personnes qui ne sont pas

soupçonnées de faits de terrorisme, se développe dans la précipitation, notamment par l’utilisation de moyens portant atteinte à la vie privée. Cela a lieu en Belgique également (cfr article p.9). La question suivante doit dès lors être posée : les droits et libertés fondamentaux peuvent-ils être sacrifiés au nom de la lutte contre le terrorisme ? Autrement dit, les auteurs d’actes de terrorisme ou les personnes soupçonnées de participer à une action terroriste, peuvent-ils être privés de leurs droits fondamentaux au nom de la répression de tels actes ? Ou encore, le caractère inhumain et extrêmement grave de certains actes, justifie-t-il que l’on nie toute humanité à leurs auteurs ? Trop souvent, les Etats profitent du fait terroriste pour se doter d'un arsenal juridique large leur permettant en fait de réprimer toute forme de contestation politique. Nous constatons que, sous couvert de lutte contre le terrorisme, certains Etats ont accentué la répression contre certaines formes d’opposition. Ils sont aidés en cela par le caractère sciemment vague de la définition du terrorisme, qui permet de criminaliser certains mouvements sociaux. En outre, ce mouvement entraîne également une augmentation du contrôle social sur l’ensemble des citoyens. Aussi, les préoccupations sont-elles vives quant à l'attitude répressive des gouvernements qui, sous prétexte de lutte

5


antiterroriste, font voter des lois liberticides. S'il est en effet légitime que des Etats garantissent le droit à la sécurité, les atteintes aux libertés collectives et individuelles que cela engendre ne le sont pas. Il en est ainsi, par exemple, des méthodes particulières d’enquête. Des restrictions aux libertés fondamentales sont exceptionnellement admises en droit international, mais à des conditions très strictes dont le respect doit permettre d’éviter de tomber dans l'arbitraire. C'est précisément dans ces moments d’inquiétude sécuritaire qu'il convient de veiller scrupuleusement à l'application, au respect et à la préservation des libertés civiles et politiques. L'histoire nous apprend que les moments de guerre et d'instabilité sont des temps où il est dangereux d’adopter des nouvelles mesures limitant les libertés et octroyant des pouvoirs exorbitants à l'Etat et à ses composantes répressives. L'opportunisme et la précipitation doivent au contraire céder le pas devant la pertinence de la réponse la plus appropriée. L’utilisation à tout va du concept de terrorisme pour justifier le durcissement de l’arsenal répressif n’est pas satisfaisante. La guerre contre le terrorisme a ainsi servi de justification aux Etats occidentaux pour adopter une série de lois encore plus restrictives censées y contribuer. On assiste à une réorientation radicale des principes fondamentaux qui peut aller jusqu’à faire de suspects des coupables dépourvus du moindre droit à la défense. On en arrive également à faire de chaque citoyen un criminel en puissance. L’état d’exception devient ainsi la norme pour des individus ou des groupes qui dérogent aux principes et valeurs de la civilisation occidentale tels qu’ils sont convoqués par les tenants de la lutte contre le terrorisme. En outre, par leur travail de sélection des informations, d’analyse et d’interprétation, les services de renseignements participent à la délimitation de l’espace politique. En qualifiant ou en disqualifiant certains acteurs sociaux ou politiques sur la base de leur jugement propre, ils permettent à ces derniers d’y participer ou non. Ils apparaissent ainsi comme constituants de l’ordre politique et leurs modes de perception et d’appréciation interviennent lourdement dans sa définition et son fonctionnement. Les principes qui régis-

6

sent l’action des services de renseignements, basés sur le soupçon, s’opposent aux principes du monde judiciaire au cœur desquels se trouvent la présomption d’innocence et la nécessité du rapport au droit et à la preuve. Mener la lutte contre le terrorisme en dehors du cadre du droit international, au mépris des droits de l’Homme et au détriment des principes de l’état de droit, outre les graves conséquences que cela engendrerait, aboutirait à un objectif contraire à celui poursuivi. Dans la lutte antiterroriste, des groupes entiers de nos sociétés risqueraient de se trouver stigmatisés et punis du fait du comportement de quelques-uns d’entre eux. C’est pourquoi il est, selon nous, inadmissible dans un Etat de droit de déroger aux principes suivants : les droits de la défense, le droit à un procès équitable, l’interdiction des juridictions d’exception, l’interdiction des procédures et dossiers secrets, l’accès à toutes les pièces du dossier pour toutes les parties, la stricte légalité des preuves (ce qui implique le rejet de toute preuve obtenue de manière illégale, en ce compris les preuves obtenues dans des Etats pratiquant la torture), la territorialité des infractions, la non responsabilité pour autrui, l’interdiction de la provocation, le respect de la vie privée, le respect de la dignité des personnes condamnées, le refus de l’assimilation des délinquants politiques aux délinquants de droit commun et le refus de la criminalisation des mouvements sociaux. Le Comité T


Rendez-vous au festival Affolement antiterroriste : menace pour les libertés fondamentales ? La lutte ou la “guerre” contre le terrorisme est devenue, depuis le coup du 11 septembre 2001, une priorité ou une obsession des Etats tant sur la scène internationale que nationale. Ces attentats ont presque représenté une aubaine pour les velléités guerrières des uns et les tentations policières des autres. Des projets de lois qui traînaient déjà dans les tiroirs, mais soulevaient quelques réticences des démocrates, ont ainsi pu être adoptés dans l’urgence, la panique et le consensus généralisés. Sans que l’opinion publique ne s’en rende vraiment compte – son acuité critique et son seuil de tolérance abaissés par le contexte émotionnel et le climat de terreur – ces nouvelles pratiques et politiques ont eu un impact énorme sur le droit international et les droits de l'Homme ainsi que sur l'équilibre entre liberté et sécurité. Les mesures de prévention ou répression du terrorisme autorisent voire induisent des violations flagrantes des instruments internationaux de protection des droits humains. Considérant qu’il s’agit là de graves menaces pour les libertés fondamentales, un comité de vigilance, composé de membres de la société civile et d’experts concernés, s’est constitué en juin 2006, à l’initiative de la Ligue des droits de l’Homme, du CAL et d’autres associations. Le “Comité T”entend mener un travail d’observation et d’analyse critique des dispositions mises en place pour lutter contre le terrorisme et leurs applications (récemment les procès du GICM et du DHKP-C). Ce travail fera l’objet d’un rapport annuel et alimentera la table ronde du 14 novembre, après le film Gitmo The New Rules of War à 20h30. Gitmo The New Rules of War de Erik GANDINI et Tarik SALEH – Mardi 14 novembre à 20H. Suède – 2006 – 80 min – VO (anglais). St fr/nl A travers une enquête sur Guantanamo, le documentaire GITMO nous conduit à la découverte d'un monde dans lequel les vieilles règles, les accords internationaux et les visions de la civilisation moderne sur les droits de chaque être humain sont en train de disparaître. Table ronde en collaboration avec le Comité T Intervenants : Dan Van Raemdonck, porte-parole Comité T, Jean-Claude Paye, sociologue ; Vincent Letellier, avocat (Syndicat des Avocats pour la Démocratie) et Jan Fermon, avocat (Lawyer Progress Network).

7


Les membres du Comité T sont : Laurent Arnauts Georges-Henri Beauthier Mathieu Bietlot Marie-Pierre de Buisseret Bart De Schrijver Jean Cornil Céline Delforge Gérard De Sélys Josy Dubié Jan Fermon Raf Jespers Fouad Lahssaini Manuel Lambert (secrétaire) Vincent Letellier Arnaud Lismond Christophe Marchand Jean-Claude Paye Laëtitia Sedou Benoît Van der Meerschen Jos Vander Velpen Dan Van Raemdonck (porte-parole) (Liste datée de juin 2006) Les associations qui ont parrainé la création du Comité sont : Association pour une Taxation des Transactions financières et l'Aide aux Citoyens (ATTAC Wallonie-Bruxelles) Centre d'Action Laïque (CAL) Centre National de Coopération au Développement (CNCD) Comité pour la Liberté d'Expression et d'Association (CLEA) Liga voor Mensenrechten (LVM) Ligue des droits de l’Homme (LDH) Observatoire International des Prisons (OIP) Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT-Europe) Syndicat des Avocats pour la Démocratie (SAD)

8


Les enjeux de la loi sur l'organisation criminelle et de loi antiterroriste :

La création

d'une jurisprudence d'exception

Depuis quelques années, en Belgique comme partout dans le monde, on assiste à une attaque frontale contre les libertés privées et publiques. Cette offensive a précédé les attentats du 11 septembre 2001. En Belgique, les changements ont commencé à s'inscrire dans le droit, dès 1998, grâce à la loi sur les organisations criminelles. Cette loi mettait déjà en place un délit d'appartenance. Elle permet de poursuivre des personnes simplement parce qu'elles font partie de l'organisation incriminée. Et on sait qu’elle a déjà été

utilisée dans la poursuite de militants altermondialistes. Quatre personnes se sont retrouvées devant le tribunal, en juin 2003, sur base de cette incrimination, pour des faits qui remontent au mois de septembre 2001, concernant l'organisation d'une manifestation relative au sommet Ecofin de Liège. Ces militants ont été l'objet de mesures d'écoutes téléphoniques sur la simple base d'affiches et de tracts invitant à une réunion publique pour l'organisation d'une manifestation. En première instance, le Parquet avait été débouté et le tribunal

9


avait vivement stigmatisé l'enquête “proactive” de la police. Ces attendus critiques, qui remettent en cause la violation systématique de la vie privée, expliquent pourquoi le Parquet a fait appel et pourquoi ces militants se retrouveront devant la Cour d'appel de Liège ce 6 novembre 2006. Le procureur tient à sauver, au niveau de la jurisprudence, la possibilité d'utiliser, vis-àvis des militants politiques, l'enquête “proactive” qui se déroule en dehors de la constatation d'une infraction. Au nom de la lutte antiterroriste, la destruction de l'Etat de droit va encore s'accélérer. En décembre 2003, la Belgique a intégré la décision-cadre européenne relative à l'organisation terroriste. Si les deux dispositifs légaux, celui relatif à l'organisation criminelle et celui relatif à l'organisation terroriste, créent un délit d'appartenance, la loi antiterroriste a un caractère directement politique, elle permet de s'attaquer de front aux mouvements sociaux. En effet, ce qui spécifie un acte comme terroriste est qu'il est commis dans l'intention de faire pression sur un gouvernement ou une organisation internationale. Le fait d’occuper une administration ou un moyen de transport collectif est aussi directement considéré comme un acte terroriste. Une deuxième extension par rapport à la loi sur les organisations criminelles consiste dans le fait qu'elle va permettre de généraliser des procédures d'exception. En effet, la première loi n’installait une telle procédure qu’au niveau de l'enquête policière (elle légalisait l'enquête “proactive”). Dorénavant, des mesures d'exception sont prévues à tous les stades de la procédure pénale, de l'enquête policière à la détention. Depuis lors, les procédures d'exception au niveau de l'enquête se sont fortement développées par le biais de la loi de 2003 sur les méthodes particulières de recherche, loi qui légalise les techniques policières les plus intrusives. Dans ce cadre, les droits de la défense sont abolis : le citoyen n'a plus le pouvoir de contester les “preuves”, car elles peuvent rester secrètes. Le juge de fond peut d’ailleurs aussi vous condamner sans avoir accès à cellesci. Cette loi est tellement liberticide qu'elle a été remise en cause par la Cour d'arbitrage, si bien que le gouvernement a dû remettre le couvert et la faire voter à nouveau, fin 2005, dans le cadre de la lutte antiterroriste.

10

Les lois antiterroristes sont formulées de manière très vague, de sorte que leur application dépend de l'interprétation qui en est faite. Dernier exemple en date, le 11 septembre, à la Cour d'appel de Gand, s’est ouvert le procès de neuf personnes proches du DHKP-C, parti d'opposition au gouvernement turc (le prononcé aura lieu le 7 novembre). Parmi les accusés, un ressortissant belge, Bahar Kimyongür a été condamné, le 28 février, à quatre ans de prison pour appartenance à une organisation terroriste, alors qu'il n'a commis aucun délit matériel. L'enjeu de ce procès est de créer une jurisprudence permettant de criminaliser toute solidarité vis-à-vis d'une organisation désignée comme terroriste. Mais aussi de permettre le recours systématique à des procédures d'exception. Les personnes, actuellement emprisonnées dans le cadre du procès de Gand, sont soumises à des conditions de détention exceptionnelles, tels l'isolement, la privation de sommeil et les fouilles anales systématiques. Pourquoi toutes ces mesures ? Parce que ces détenus sont désignés comme terroristes. Cette labellisation semble justifier la violation des droits humains les plus élémentaires. Après sa première condamnation, Bahar Kimyougür fut arrêté aux Pays-Bas, suite à une demande d'extradition introduite par la Turquie. Véritable piège ! La condamnation avait donné le feu vert à l’action de l’Etat turc et la Belgique, au courant de l’existence du mandat d’arrêt international, n’en avait pas averti son ressortissant (le Tribunal de première instance, qui avait vu en lui un dangereux terroriste, mais l’avait laissé libre de quitter le territoire). Bien au contraire, comme l'attestent les documents produits au Tribunal de La Haye, l’Etat belge a sciemment sacrifié un de ses citoyens. L'enlèvement de Bahar Kimyongür montre une collaboration étroite entre appareils policiers et judiciaires de différents pays. Le mandat international se fondait sur la notion d'appartenance à une organisation figurant sur la liste des organisations terroristes établie par le Conseil de l'Union européenne. Mais on se rappellera que l'inscription sur cette liste résulte d'une pure décision administrative, déterminée par la politique internationale de l'Union, et surtout par les pressions américaines. C’est ainsi qu’en 2002, suite à une demande de la Turquie, appuyée par les


Etats-Unis, le DHKP-C est passé du statut de simple parti politique d'opposition à celui d'organisation terroriste. Quant à l'élément matériel avancé par la justice turque afin de fonder l'appartenance de Bahar Kimyongür à une telle organisation, c’était la dénonciation par lui, devant un ministre turc de passage au Parlement européen en 2000, des tortures subies par les prisonniers politiques, dont certains sont membres du DHKP-C.

d'information de cette organisation à Bruxelles), on avait assisté à la mise en place de procédures d'exception : le juge d’instruction avait été neutralisé au profit des forces de police et le juge de fond avait été expressément désigné pour la cause. Pour le jugement en appel, c'est la même autorité judiciaire qui avait déplacé le juge de première instance qui, cette fois, par une procédure régulière, a eu la possibilité de désigner le juge de fond.

Le 4 juillet dernier, la Chambre d'extradition de La Haye a rejeté la demande de la Turquie et a remis Bahar en liberté, estimant que les faits matériels reprochés à ce militant ne pouvaient fonder son appartenance à une organisation terroriste, mais qu'ils constituaient des actes relevant de la liberté d'expression.

Tout montre donc qu’il s'agit d'un procès organisé pour obtenir un résultat politique déterminé : la possibilité de condamner toute personne solidaire d'une organisation politique diabolisée par le pouvoir.

Il y a de bonnes raisons de craindre qu’à Gand, l'indépendance de la justice ne soit pas respectée de la même manière. En effet, lors du premier procès de Bahar Kimyongür, condamné pour appartenance à une organisation terroriste (en fait pour la simple traduction d’un document du DHKP-C et le fait d’être membre du bureau

Des activités qui relèvent de la liberté d’opinion et d'expression sont aujourd’hui condamnées dans notre pays comme appartenance à une organisation terroriste et le seront davantage demain si le citoyen ne se mobilise pas. Ce procès nous concerne tous, car il engage l'avenir de nos libertés. Jean-Claude PAYE Sociologue, auteur de La fin de l'Etat de droit. La lutte antiterroriste : de l'état d'exception à la dictature, éd. La Dispute, 2004

Rendez-vous au festival Documentaires : State of Fear (Etat de peur) – dimanche 12 novembre à 20H30 Dans les années ’70, Abimaël Guzman crée et dirige le Sentier Lumineux, un mouvement révolutionnaire qui prône la lutte armée pour renverser l'État péruvien. Particulièrement violent, il assassine à tour de bras et sème la terreur dans le pays. La “guerre populaire prolongée” fait des ravages dans les années 1980 et plonge le pays dans “l’état de peur”. Alberto Fujimori accède à la présidence du pays en 1990 et connaît son heure de gloire, puisque Guzman est arrêté en 1992 et que les quinze années de guérilla prennent fin sous son mandat. Mais “State of Fear” met aussi en lumière les massacres et autres abus graves perpétrés par l’armée protégée par Fujimori — qui fut démis par le Congrès en 2000 — et la nécessité pour les Péruviens de faire la lumière sur leur histoire, à travers la Commission de la Vérité, pour pouvoir regarder vers l’avenir.

11


Documentaires : Apaga y vamonos (Emportés par le courant) – vendredi 17 novembre à 20H Le peuple Mapuche est une ethnie du cône sud de l’Amérique latine. Au Chili, les Mapuches qui ont réussi à garder leurs traditions, malgré le rouleau compresseur de la modernité, vivaient il y a encore quelques années sur les rives du fleuve Biobio. Le remarquable “Apaga y vamonos”, raconte comment des intérêts privés ont pu spolier en toute impunité les terres ancestrales des Mapuches. Non seulement la multinationale espagnole Endesa a forcé les Mapuches à se réfugier dans l’hostile montagne voisine aux terres stériles, inondé la vallée et construit un barrage en 2004, mais elle a aussi, avec la complicité du gouvernement chilien, fait condamner pour terrorisme les Mapuches qui résistaient de façon non-violente. La lutte contre le terrorisme se globalise et criminalise ainsi des minorités défendant le peu de droits qu’il leur reste, une dérive que de plus en plus de personnes osent remettre en question. Ce documentaire a reçu de nombreux prix dont le prix du meilleur film au festival Ecocinéma 2005 (Athènes) et au festival Planet in Focus 2005 (Toronto).

Rapport Amnesty International 2006 Amnesty international a présenté son rapport 2006 sur la situation des droits humains dans le monde. Lors de la conférence de presse tenue le 23 mai dernier, la secrétaire générale de l’organisation, Irène Khan, a déclaré que les pays puissants avaient fait passer leurs préoccupations en matière de sécurité au premier plan, au détriment de la résolution de graves crises des droits humains qui sévissent dans le monde. “Pour défendre leurs stricts intérêts en matière de sécurité, des États, collectivement et individuellement, ont paralysé les institutions internationales et dépensé en pure perte des fonds publics, sacrifié des principes au nom de la “guerre contre le terrorisme” et fermé les yeux sur des violations massives des droits humains. Le monde paie aujourd’hui le lourd tribut de ce comportement qui a entraîné la remise en cause de principes fondamentaux, provoqué des pertes humaines considérables et ravagé les moyens d’existence de citoyens ordinaires”, a souligné Irène Khan. Une note d’espoir cependant : jamais la société civile internationale ne s’est autant mobilisée pour faire valoir les droits humains, mais la pression populaire n’est pas encore assez forte pour inciter la communauté internationale à mettre en oeuvre les principes qu’elle prétend défendre. La totalité du rapport est consultable sur : http://www.amnestyinternational.be/doc/rubrique1184.html

12


LU POUR VOUS

L’insécurité sociale Ne pas parler de l’insécurité sociale aurait manqué dans un numéro de notre trimestriel consacré au thème de la “résistance à la panique sociale”, puisqu’elle est précisément devenue, à juste titre, la cause la plus répandue d’appréhension de nos concitoyens. Nous avons choisi de le faire à travers le livre de Robert Castel, directeur d’études à l’école des Hautes Etudes en sciences sociales à Paris, qui n’est pas des plus récents (2003) mais dont l’analyse des enjeux sociaux, dans un contexte de crise de l’Etat Providence que traversent de nombreux pays comme la Belgique et la France, relève d’une qualité et d’une actualité remarquables. Le mythe du risque zéro Le besoin de protection est inhérent à la nature humaine mais les façons de l’assurer ont varié dans le temps. En rappelant les solutions apportées par les sociétés occidentales à travers l’Histoire, Robert Castel égratigne dans un premier temps les apports de la modernité qui, en affranchissant l’individu des communautés (qui autrefois assuraient sa protection en contrepartie d’une forte dépendance), l’a rendu plus vulnérable encore : “Les sociétés modernes sont construites sur le terreau de l’insécurité parce que ce sont des sociétés d’individus qui ne trouvent, ni en eux-mêmes, ni dans leur entourage immédiat, la capacité d’assurer leur protection”1. D’où l’obligation pour l’Etat de protéger ses citoyens. Ainsi vivons-nous dans des sociétés assurantielles ou les

de Robert Castel

préoccupations sécuritaires restent pourtant omniprésentes. C’est ce que Castel appelle la frustration sécuritaire : le besoin de sécurité n’est jamais assouvi parce que les mesures de protection ne peuvent être pleinement accomplies et que leur relative réussite fait émerger de nouveaux risques. “Etre protégé, c’est aussi être menacé”2. Le risque zéro n’existe pas. L’insécurité, autant sociale que civile Robert Castel replace le besoin de sécurité dans un questionnement d’ordre philosophique — Qu’est-ce qu’être protégé ? — et fait la distinction fondamentale entre deux types de protections : civiles et sociales3, ce qui lui fait aborder tous les aspects de la problématique sécuritaire, et non pas seulement celle des biens et des personnes. Il rappelle utilement que “l’insécurité du travail est sans doute devenue (…) la grande pourvoyeuse d’incertitude pour la majorité des membres de la société”4. L’insécurité civile et l’insécurité sociale doivent être également combattues. Pourtant, les politiciens français5 concentrent l’essentiel de leur discours et de leur action sur l’insécurité civile, privilégiant par là les stratégies répressives. Ceci évite aux autorités de prendre en compte l’ensemble des facteurs à l’origine du sentiment d’insécurité qui relève au moins autant de l’insécurité sociale que du terrorisme ou de la délinquance6. “Faire de quelques milliers de jeunes souvent plus paumés que

Castel R., L’insécurité sociale, Seuil, 2003, p.7 Ibid., p.7 3 Les protections civiles garantissent la sécurité des biens et des personnes et renvoient à la constitution d’un Etat de droit alors que les protections sociales couvrent contre la maladie, l’accident, la vieillesse et autres aléas de l’existence et renvoie à la construction d’un Etat social. 4 Castel R., op. cit., p. 85 5 La réflexion amenée sur le cas français est valable à bien des égards pour d’autres pays européens comme la Belgique. 6 C’est ce que préconise également le rapport général sur le sentiment d’insécurité de la fondation Roi Baudouin “A l’écoute du sentiment d’insécurité” : “Les nouvelles politiques publiques doivent marquer leur présence sur les trois terrains de l’insécurité”, p. 178, FRB, mars 2006, à savoir “l’insécurité relative aux droits et aux personnes [insécurité civile], l’insécurité sociale et l’insécurité liée à la mobilité tant en terme de déplacements physiques que d’instabilité des trajectoires [une troisième catégorie que Robert Castel intègre aux deux premières dans sa classification]”, p. 179. 1 2

13


méchants le noyau de la question sociale devenue la question de l’insécurité qui menacerait les fondements de l’ordre républicain, c’est opérer une condensation extraordinaire de la problématique globale de l’insécurité.” C’est pourquoi Robert Castel met en garde contre les velléités de réduire le rôle de l’Etat à celui de gardien de l’ordre public, dont le discours sousjacent est celui de l’impuissance du pouvoir à protéger socialement les citoyens des effets néfastes des déréglementations au niveau mondial. “Un Etat purement sécuritaire se condamne à creuser une contradiction entre l’exercice d’une autorité sans faille, en restaurant la figure de l’Etat gendarme pour assurer la sécurité civile, et un laxisme face aux conséquences d’un libéralisme économique qui alimente l’insécurité sociale.”7

assiste à une mise en mobilité généralisée du monde du travail : adaptabilité, disponibilité, flexibilité, travailleurs interchangeables, trajectoires professionnelles mobiles,… La diversité des situations et des parcours professionnels explose, les processus d’individuation-décollectivisation traversent toutes les catégories d’opérateurs.

Le rôle central de l’Etat dans la protection sociale

Selon Castel, bien qu’on puisse admettre le caractère obsolète des dispositifs classiques de protection sociale, l’alternative ne se trouve cependant pas dans les assurances privées ou le désengagement de l’Etat des protections sociales, mais dans la reconfiguration de celles-ci et dans la sécurisation du travail.

Au XIXe siècle, conformément à la doctrine libérale, c’est la propriété qui protège socialement le citoyen en assurant l’autonomie de ses opinions et de ses choix, ce qui entraîne un clivage propriétaires/non propriétaires. Au cours du XXe siècle, on réhabilite le statut des non propriétaires en attachant de fortes protections au travail, protégeant la majorité des membres de la société qui est salariale, et en construisant un nouveau type de propriété : la propriété sociale avec la production d’équivalents sociaux qui étaient auparavant seulement donnés par la propriété privée, comme par exemple la retraite. Robert Castel note que cette société salariale où l’Etat est parvenu à juguler l’insécurité sociale, reste cependant très inégalitaire. Mais l’Etat a pu jouer ce rôle central grâce à deux types de conditions (les unes conjoncturelles, les autres structurelles) qui ne sont plus réunies depuis un quart de siècle et qui obligent à repenser la question sociale : d’une part la croissance économique forte et d’autre part l’inscription des individus dans des collectifs protecteurs. Depuis le début des années 80, les crises économiques récurrentes dans un contexte de mondialisation et de concurrence exacerbée rendent difficile le rôle de l’Etat en tant que pilote de l’économie au service du maintien de l’équilibre social. Le compromis social des années de croissance a permis une “gestion collective de la conflictualité sociale” mais l’homogénéité des catégories professionnelles, qui protégeait aussi le travailleur, a été profondément remise en question. On

14

Reconfiguration des protections sociales et sécurisation du travail A ces phénomènes s’ajoute l’apparition de “nouveaux risques” (industriels, écologiques, sanitaires qui restent largement imprévisibles et donc non mutualisables) qui ont donné lieu à une culture du risque encourageant la maîtrise des risques de façon individuelle.

Au-delà des pistes concrètes lancées par le sociologue pour combattre l’insécurité sociale, nous commenterons deux remarques d’ordre général, qui ont le mérite de reposer le débat sécuritaire sur un mode réaliste et non pas alarmiste : 1. En terme de protections sociales, l’enjeu est bien de résister à la régression de la problématique des protections, réduites à une aide souvent médiocre, réservée aux plus démunis. “Etre protégé signifierait alors être juste pourvu du minimum de ressources pour survivre dans une société qui limiterait ses ambitions à assurer un service minimum contre les formes extrêmes de déprivation”8, en conclut Robert Castel. On est loin de la conception de l’autonomie défendue par le mouvement laïque, où la protection sociale participe à l’émancipation de chacun. Celle-ci doit être pensée et mise en oeuvre conformément aux droits économiques et sociaux, dont la proclamation officielle ambitionne bien plus qu’assurer la survie de l’humanité mais vise bien “une amélioration constante des conditions d’existence”9 de tous les individus. 2. Concernant la sécurisation du travail, il préconise l’assurance d’une continuité de droits à une population active de façon discontinue et par conséquent de transférer les droits du statut de l’emploi à la personne du travailleur. Il insiste sur la


nécessité de conserver un rôle central au travail même si le rapport à l’emploi est devenu de plus en plus problématique. “C’est dans une large mesure selon que le travail sera, ou non, sécurisé que pourra, ou non, être jugulée la remontée de l’insécurité” .

Une réflexion qui, si elle est discutable, incite justement à une réflexion de fond sur la place à venir du travail en Belgique à laquelle tous les citoyens devraient pouvoir s’associer et que les laïques, en première ligne, doivent impulser.

10

Olivia WELKE Castel R., op. cit., p.57 Ibid., p. 73 9 Cf. Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 1966, article 10. 10 Castel R., op. cit., p.86 7 8

Rendez-vous au festival Ciné-rencontre Documentaire Dia de Festa Mercredi 15/11 - 20h30 de Toni VENTURI et Pablo GEORGIEFF Brésil/France – 2006 – 77 min - VO Port. ST fr Quatre femmes aux destins similaires, vivant dans un pays marqué par d’immenses inégalités sociales. Dans leur combat pour se loger, elles ont rencontré un mouvement social et politique qui leur a donné une raison de vivre : “Le Mouvement Sans Toit du Centre”. Le film retrace sept grandes occupations d’immeubles abandonnés au centre ville, vécus à travers le quotidien de ces femmes. Mention d’honneur, Association du Documentaire Brésilien ; 11° Festival IT’S ALL TRUE, SP, 2006. Rencontre le film sera suivi d’un débat sur la thématique du droit au logement avec la Ligue des Droits de l’Homme.

15


Délinquance et immigration :

usage politique d’une association symbolique

1

L’association immigration et délinquance jouit d’un traitement spécial, presque d’un traitement de faveur. D’autres associations entre le phénomène social qu’est la délinquance et une catégorie de la population ne conduisent pas à la formation d’un problème politique, voire médiatique. Ainsi, le fait que neuf dixièmes de la population incarcérée soit masculine ne produit pas de débats au Parlement ni dans les médias. De même, l’association entre fraude fiscale et patrons d’entreprise ou entre hommes politiques et corruption ne constitue que rarement l’objet de débats parlementaires. Tout au plus assiste-t-on à des fièvres médiatiques ponctuelles à l’occasion de telle ou telle affaire. Une construction sociale et politique Il en va tout autrement de l’immigration, ou du moins des catégories de population dont l’histoire personnelle croise l’histoire de l’immigration. La spécificité de la relation entre délinquance et immigration réside dans deux éléments implicites : d’abord l’énonciation de la relation délinquance-immigration induit presque automatiquement la corrélation entre ces deux variables et ensuite toute interrogation à son sujet se construit selon une discursivité qui passe de la formulation d’un stéréotype à la recherche d’une vérification statistique. Or, on peut soutenir que la relation délinquance-immigration, ou encore la délinquance des immigrés, ne constitue pas, en soi, un problème social et politique, un sujet vérifiable. Il est une construction sociale et politique dont il faut restituer le processus de formation et qui vise à faire de l’immigré ou du descendant d’immigrés, des membres d’un "peuple à part" nécessitant un traitement séparé. En somme, la relation délinquance-immigration ne devient pas un problème politique parce que des impressions subjectives ou des statistiques enregistrées établissent un lien entre ces deux variables. Ce sont les pratiques et les croyances de la reproduction de l’État nation et de l’imaginaire de la communauté nationale, de la séparation entre national et étranger, qui conduisent à ériger en problème politique tout ce qui concerne l’immigration, et notamment ce qui relève de l’ordre public.

16

Au départ de la question de la relation entre délinquance et immigration, on retrouve le rejet, par tout État d’immigration, de l’étranger indésirable (qu’il soit l’étranger demandant l’accès au territoire ou qu’il soit résident). En effet, les deux figures de l’étranger indésirable sont d’une part, celui qui pourrait menacer l’ordre politique (le militant politique ou le militant syndical) et d’autre part, celui qui pourrait menacer les biens privés, l’intégrité physique ou l’ordre public (le délinquant ou le criminel). C’est de ce dernier dont il sera ici question. A. Sayad montre que l'ordre des migrations , même s'il peut répondre à des exigences dans le champ économique, perturbe l'ordre national dans la mesure où il vient bousculer les frontières de l'identité nationale au point de les rendre troubles à l'intérieur du territoire national. A. Sayad puise l'exemple limite pour relever et révéler la structure mentale profonde de la pensée d'État d'immigration dans le traitement réservé aux délinquants immigrés qui ont gardé leur nationalité d'origine : ceux-ci sont soumis à la double peine, à savoir la peine d'emprisonnement purgée dans l'État où ils résident et l'expulsion dans leur pays d'origine. Cette double peine fonctionne comme la condamnation d'une double faute. La première est celle du délit commis et la deuxième, consubstantiellement attachée à l'immigration, est celle d'être un immigré : “Tout se passe comme si c’était l’immigration qui était en elle-même délinquance, délinquance intrinsèque, au regard de nos catégories de pensée qui, en la matière, sont, on ne le dira jamais assez, des catégories nationales. Tout se passe comme si l'immigré étant déjà en faute du seul fait de sa présence en terre d'immigration, toutes les autres fautes dont il pourra se rendre coupable durant son immigration sont comme redoublées, aggravées en raison de cette faute première que serait l'immigration” . L'immigré peut, par ses pratiques quotidiennes, faire oublier cette faute originelle mais celle-ci se réactive dès qu'il commet un écart par rapport à la loi, un acte de délinquance. Par cet écart, l'immigré déroge à une des règles les plus essentielles de son statut, celle implicite de l'irréprochabilité qui est attendue de lui 2

3


et constitue, dans l'esprit des nationaux, la contrepartie de l'hospitalité. L’association immigration et délinquance comme enjeu politique La relation entre délinquance et immigration interroge le lien entre l’État et le national, en rappelant le caractère exceptionnel du statut de l’étranger, ou de celui qui l’a été, toujours soumis à un traitement d’exception. La double peine applicable à l’immigré suppose qu’il est toujours politiquement légitime de se demander si son comportement est irréprochable. L’immigré ou le descendant d’immigré doit comprendre qu’il est toujours surveillé et que c’est légitimement que les citoyens, les hommes politiques ou les médias tentent constamment de le mettre en défaut et de le prendre en défaut. Ce sont la légitimité de la double peine et celle de la mise en défaut qui font de l’association symbolique entre immigration et délinquance un problème politique. Par ailleurs, ce problème peut aussi devenir un enjeu politique lorsqu’on en fait un objet de concurrence électorale. Ici aussi il est nécessaire qu’existe une acceptation partagée par les partis que ce sujet puisse être politiquement, voire électoralement, exploité. Une série d’évolutions ou de processus ont rendu possible ce consensus, parmi lesquels, la création d’une catégorie raciale et la racialisation des rapports sociaux. Toutes les questions sociales sont traduites dans une opposition entre des établis, les Belges, et des outsiders, les "immigrés". A Bruxelles, cette opposition est d’autant plus forte que la question sociale (le chômage et l'exclusion) se superpose à la question nationale. Les immigrés sont d'abord rejetés et désignés comme boucs émissaires dans un discours globalisant et culturalisant : "Les immigrés", "les Arabes", "les Marocains". Mais l'efficacité de cette attitude discriminante dépend de la capacité à la relier à un objet, et tout particulièrement au chômage et/ou à la délinquance. Le chevauchement d'une identité culturelle et d'un problème social, synthétisé par les qualifications de "Marocain délinquant" ou "Marocain chômeur", façonne le stigmate racial dont une des propriétés est de contaminer l'ensemble des personnes de la même nationalité ou de la même origine nationale. Vers une complexe déconstruction des stéréotypes Contrer les stéréotypes que véhiculent le

racisme ordinaire et le racisme politique n’est pas chose aisée. Il s’agit de répondre à tous les stéréotypes par des procédures argumentatives permettant de présenter une réalité bien plus complexe que celle contenue dans des assertions caricaturales. Malheureusement, ce procédé nécessaire n’ira pas à l’encontre de l'efficacité des affirmations racistes et générales parce que tous les locuteurs ne mesurent pas ces affirmations à l’aune d’analyses générales mais à l'aune de leur expérience personnelle et ordinaire. Dire que les immigrés sont statistiquement moins délinquants sur l’ensemble du territoire belge ne permet pas de contrer l'expérience, et les rumeurs entretenues, de personnes vivant à Anvers, à Schaerbeek ou à Cheratte confrontées aux délits commis par de jeunes immigrés. Restaurer la vérité de l’interprétation des statistiques n’est pas suffisant. Il convient aussi de démontrer comment se constitue le caractère exceptionnel qui entoure la figure de l’immigré, et qui se prolonge même lorsque celui-ci change de nationalité. La relation entre délinquance et immigration est une construction sociale, tout comme la relation entre délinquance et origine sociale défavorisée qui, elle aussi, n’est que rarement évoquée. Bien sûr une recherche sur ce dernier sujet montrerait que le système d’administration pénale est un entonnoir dans lequel des processus sélectifs puissants sont à l’œuvre et qui aboutit à ne retenir principalement que ceux qui ne disposent pas des ressources pour déjouer ou neutraliser les pratiques judiciaires de la nouvelle pénologie contribuant, par l’incarcération, à alimenter les prisons de la misère . Toutefois, en ce qui concerne l’immigration s’ajoute un élément spécifique : celui des pays qui ne se considèrent pas comme des États d’immigration et qui voudraient qu’un immigré soit un être irréprochable, aujourd’hui et pour l’éternité. Inverser cette tendance et démontrer l’illégitimité de cette pensée d’État, suppose de passer par une dénationalisation des origines nationales et une refondation de l’identité nationale dés-ethnicisée ou encore d’instaurer une politique de la reconnaissance , avalisant les différences constitutives des États-nations multiculturels. 4

5

Andrea REA Groupe d’études sur l’Ethnicité, le Racisme, les Migrations et l’Exclusion Université Libre de Bruxelles

17


Rendez-vous au festival Ciné-rencontre “Enfermer les migrants, gouverner par la peur” avec Mathieu Bietlot, philosophe et politologue – Dimanche 12 novembre à 20H A partir d’une réflexion sur l’émergence ou la résurgence des camps pour étrangers (centres fermés ou ouverts, de rétention ou d’identification, etc.) en Europe, au tournant des années quatre-vingt (installation de la crise, abandon de l’optimisme keynésien, apologie du marché et du libre échange, inflation technologique, croissance de la précarité, flexibilité et repli sur soi), Mathieu Bietlot en arrive à pointer quelques tensions et paradoxes de la mondialisation et des transformations sociales, économiques, politiques et policières qu’elle charrie. Comment se fait-il qu’à l’heure où l’on chante les louanges de la mobilité et de la mondialité, on érige de nouveaux barbelés et désigne de nouveaux barbares ? Dans un certain désarroi entretenu, les politiques d’immigration fermes et efficaces (jusqu’à l’incarcération et l’expulsion manu militari) visent autant à effrayer, dissuader voire terroriser les déshérités du tiers-monde en quête d’une vie plus sûre qu’à rassurer un électorat en proie aux sirènes démagogiques et à relégitimer un pouvoir étatique en perte de crédit (tant sur le plan de la politique nationale qu’internationale). Le traitement des étrangers apparaîtrait alors comme la chambre noire – laboratoire et révélateur – d’une nouvelle logique de gouvernement de la crise. Cette logique articule de manière ambiguë la dérégulation néolibérale et la rigueur sécuritaire. Un de ses ressorts fondamentaux loge dans la peur (d’un avenir incertain, de la précarisation, de l’insécurité, de la menace terroriste, du prétendu risque d’invasion étrangère,…). Derrière les camps, se dessinerait-il un monde où toute promotion de la liberté se compense par la propagation de nouvelles peurs, où les vertus de la “main invisible” ne jouent plus sans les vertiges de la “main de fer” ? Discutons-en autour du film Partir ou mourir. Partir ou mourir de Raymonde Provencher Cramponnés à des trains, entassés dans des barques, cachés dans des cargos, agrippés sous des camions, ils sont plus nombreux chaque année à risquer leur vie pour gagner L’Europe ou l’Amérique du nord. Raymonde Provencher raconte trois histoires vécues de tentatives ratées laissant parfois de graves séquelles physiques. Ce documentaire soulève une question fondamentale : quelle est la responsabilité des pays occidentaux face à l’immigration clandestine et quelles sont les solutions à développer dans un contexte de mondialisation et de pauvreté extrême ?

1

2

3

NDLR : Ce texte est composé d’extraits de la contribution d’Andrea Rea au livre coordonné par F. Brion, A. Rea, C. Schaut et A. Tixhon, Mon délit ? mon origine. Criminalité et criminalisation de l’immigration, De Boeck, 2001, 316 p. Les coupures et les quelques contractions effectuées avec l’accord de l’auteur ne sont pas indiquées afin de faciliter la lecture. SAYAD A., “L'ordre de l'immigration entre l'ordre des nations”, in L'immigration ou les paradoxes de l'altérité, Bruxelles, De Boeck-Université, 1991, pp. 259-311. SAYAD A., “Immigration et pensée d’État”, op. cit., p. 401. WACQUANT L., Les prisons de la misère, Paris, Seuil, Coll. “Raisons d’agir”, 1999. AYLOR Ch., Multiculturalisme. Différence et démocratie, Paris, Aubier, 1994.

18 4 5


Assemblée des Voisins

Rencontre – témoignage – solidarité

Appel aux voisins Nous avons de nombreux voisins sans-papiers… Ils ont besoin de nous. 300 Afghans (hommes, femmes, enfants) occupent l’église Sainte Croix (place Flagey) depuis ce jeudi 24 juillet. Les adultes font une grève de la faim depuis ce jour ! Ils refusent l’ordre collectif de quitter le territoire. Pourtant on sait qu’aujourd’hui, en Afghanistan, la situation est loin d’être sécurisée. La question des réfugiés et des sans-papiers est de plus en plus présente dans les quartiers de nos villes. De plus en plus souvent, nous côtoyons ces personnes, ils communiquent et échangent avec nous. Pourtant, ils vivent dans une grande insécurité et dans la clandestinité. • Les Sans -papiers sont criminalisés alors qu’ils cherchent asile. • Nombreux sont ceux qui sont enfermés, expulsés dans l’ombre, sans défense. • De plus en plus d’habitants sont en désaccord avec la situation qui frappe leurs voisins. D’autres voisins s’organisent en assemblée dans d’autres communes (Saint-Gilles, …) Il y a urgence à parler ensemble de tout cela, afin de comprendre, de se solidariser, d’agir et de se manifester. Première Assemblée des voisins à Ixelles : vendredi 1er août à 18 h 30 sur les marches de l’église Ste Croix (place Flagey) Été 2003. C’est par un “toutes-boîtes” (encadré 1) que naît, à Ixelles, l’Assemblée des Voisins : près de quatre cents voisines et voisins réunis, par une caniculaire soirée d’été, sur les marches de l’église Sainte-Croix et qui apportent leur soutien aux trois cents Afghans qui y ont, quelques jours plus tôt, entamé une grève de la faim en vue d’obtenir l’autorisation de séjour en Belgique. Une dizaine de groupes de travail sont mis en place le jour même : alimentation (les femmes enceintes et les enfants ne sont pas en grève de la faim), animation enfants, lessives, suivi médical, chaîne téléphonique, presse, suivi juridique…, tous les besoins de l’action des Afghans sont rencontrés. Et, durant les trois semaines que durera l’action, très régulièrement, le perron de l’église Sainte-Croix se métamorphosera en une impressionnante agora. Avec, en bout de parcours, la régularisation de près de mille deux cents Afghanes et Afghans. Puis, dans la foulée, ce seront pas loin de dix mille Sans-papiers qui, sur base des critères définis par le Ministre de l’Intérieur pour permettre la régularisation de ceux de Sainte-Croix, verront leur droit au séjour établi.

Ce n’est donc pas par hasard si, deux ans plus tard, des Sans-papiers regroupés au sein de l’UDEP, choisissent une église voisine pour entamer leur action : ils savent que, dans les parages de l’église Saint-Boniface, existe un ferment de solidarité. L’UDEP organise l’occupation autour de quatre groupes de travail : logistique, politique, juridique et communication. Pour l’Assemblée des voisins qui s’est proposée tout naturellement et dès le premier jour en soutien aux occupants de Saint-Boniface, il ne peut être question de se limiter aux seuls aspects logistiques de l’occupation : assurer l’alimentation et le confort des quatre-vingt occupants de l’église est, certes, capital. Mais, en occupant cette église, les Sans-papiers posent un acte fort : eux qui n’ont pas même accès à la parole, ils se sont mis sur la place publique pour y revendiquer leur droit à l’existence. Donner écho à ce cri est, dès lors, le devoir essentiel de l’Assemblée des Voisins. Tout d’abord, il nous faut organiser la rencontre des Sans-papiers qui occupent l’église avec le quartier, la ville qui

19


l’entoure… C’est cette rencontre qui permettra aux occupants de l’église de voir leur combat connu et reconnu. Cette rencontre qui fera connaître à la population l’injuste abomination de tant de situations vécues par des êtres humains qui, de surcroît, sont – temporairement – leurs voisins. Cette rencontre qui favorisera, à terme, l’émergence de solidarités. Une présence régulière – quasi-permanente – de voisins aux côtés des occupants constitue, à double titre, un autre axe important. En premier, cette présence marque une reconnaissance forte, un encouragement pour ces Sans-papiers dans leur recherche de dignité. En second, comme l’a montré l’expérience de Sainte-Croix, cette présence a valeur de témoignage : c’est, par exemple, parce que les voisins accompagnaient au quotidien les Afghans en grève de la faim qu’ils ont pu éteindre la rumeur dévastatrice propagée par certains hommes politiques, rumeur selon laquelle ces derniers auraient été manipulés par des groupes extrémistes… Parmi les outils de l’Assemblée des voisins, il en est un déterminant qui s’appelle créativité. “Gueules d’amers”, cette exposition des “Gueules” de Sans-papiers dans les vitrines de la bien nommée rue de la Paix – la rue qui abrite l’église SaintBoniface – sera un moment déterminant. Quatre-vingt pour cent des commerçants de cette rue ont accepté d’afficher pendant deux mois le portrait d’un Sans-papiers au beau milieu de leur vitrine : ainsi, les Sanspapiers sortent pour dialoguer directement avec la rue, avec la presse. Le plus grand danger auquel peuvent être confrontés les voisins amenés à soutenir ce genre d’action est un certain angélisme. La longue durée de l’occupation de SaintBoniface a, c’est normal, favorisé l’émer-

gence de conflits de pouvoir au sein même des occupants. C’est ainsi que certains groupes d’occupants se sont vus, progressivement et plus ou moins volontairement, exclus de la décision. Au bout du compte, il est troublant de constater que ce furent en particulier deux communautés nationales qui n’obtinrent pas, à quelques exceptions près leur régularisation. Ceci nous fait dire que l’Assemblée des voisins a, bien plus qu’un droit, un devoir d’ingérence afin qu’au sein de la communauté des personnes aux côtés desquelles elle s’engage ne se reproduisent pas des pratiques que, par son engagement même, elle est censée combattre. Quand ils se regroupent, les Sans-papiers constituent une communauté humaine comme n’importe quelle autre au sein de laquelle peuvent s’exercer des pratiques arbitraires ; c’est ce que nous avons vécu dans les derniers mois de l’occupation à Saint-Boniface, ce à quoi certains parmi les voisins n’ont pas voulu prêter attention. Sans cela, il n’est pas impossible que plusieurs centaines de Sans-papiers aient vu leur situation régularisée au terme de cette occupation. Aujourd’hui, à Ixelles, il n’y a plus d’occupation d’église. Pourtant, dans chacun de nos quartiers, chacune de nos rues, nous cotoyons toujours – sans le savoir souvent – des voisins sans papiers. Ils sont redevenus indécelables, engoncés dans l’anonymat protecteur. Un anonymat qui rend plus aiguë encore leur insoutenable angoisse dans l’inexistence. Un anonymat peu propice à la rencontre… Estce une raison pour que nous baissions les bras ? Jean-Marie LISON

Rendez-vous au festival Exposition “Gueules d’humains” : Au début, il y eut les “Gueules d’Amer”, une initiative de quelques habitants du quartier de l’église Saint Boniface (à Ixelles), occupée l’hiver dernier par des dizaines de sans-papiers. Les “Gueules d’Amer”, c’est le moyen qu’ont trouvé Dominique, Jean-Marie et les autres pour sensibiliser leurs voisins à la situation des sans-papiers en Belgique. Après cette occupation, cette exposition photographique fut actualisée pour mettre en évidence le caractère arbitraire des régularisations. Toujours amères, les “Gueules d’Amer” sont devenues des “Gueules d’Humains”, parce que derrière ces visages, il y a des récits de vies, et des vies en jeu. Accès gratuit pendant toute la durée du festival Rencontre avec l’Assemblée des Voisins – vendredi 10 novembre à 20H

20


Nous exploitons

toute “la misère du monde”

La question des “sans-papiers” hante le débat politique sans trouver de réponse satisfaisante pour bon nombre d’acteurs associatifs et académiques. Qui de responsable aujourd’hui refuserait d’admettre que “nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde”? Qui de responsable aujourd’hui ne subordonne pas “le devoir de solidarité” à “la protection de notre ordre social” ? Poser la question, c’est y répondre. Vraiment ? En effet, derrière l’apparence pernicieusement péremptoire de cette manière de cadrer l’analyse se cache le caractère hautement idéologique de notre représentation des “sans-papiers”. Il suffit pour s’en convaincre de confronter notre perception de la question à quelques données… objectives qui font, bien trop souvent, cruellement défaut dans ce débat. Ainsi, le pseudo “appel d’air” qui, pour d’aucuns, aurait suivi la régularisation de 1999 s’est, en réalité, accompagné, entre 2000 et 2002, d’une diminution constante de la population étrangère enregistrée en Belgique. En 2005, le nombre d’étrangers résidant officiellement dans notre royaume était inférieur à son niveau de… 1999. D’une part, le solde migratoire des non-Européens a baissé entre 1999 et 2001 et, d’autre part, les Marocains et les Turcs, invités à immigrer dans le cadre de la période d’expansion économique d’après-guerre et à présent ancrés en Belgique souvent depuis plus d’un demisiècle, ainsi que leurs descendants, ont acquis la nationalité belge. Si l’on considère les flux migratoires, le solde migratoire des non-Européens est en 2002 d’un peu plus de 30 000 personnes… du même ordre, à l’échelle de la population belge, que le nombre de Belges qui ont choisi cette année-là de s’installer à l’étranger. Cet accroissement annuel de moins de 0,5 % de notre population ou la centaine de milliers de “sans-papiers” communément évaluée en Belgique (pas même 1% de la population belge) seraient-ils une menace pour l’ordre social de plus de… 10 millions de personnes ? Se pourrait-il que notre modèle social soit mis en danger par

une augmentation de la population aussi marginale ? Les études sur le sujet infirment cette hypothèse, à la différence patente des pays paupérisés qui accueillent, en réalité, l’immense majorité “de la misère du monde”. En effet, “les demandeurs d’asile et les réfugiés qui tentent leur chance en Europe et en Amérique du Nord ne représentent qu’à peine 5 % du total des réfugiés et déplacés dans le monde. Et seuls 0,2 % de ce total finissent par s’installer dans les pays riches, dont plus de 95 %… en Amérique du Nord”. Ainsi donc, si l’immigration est un ”fardeau”, il l’est essentiellement et avant tout pour les pays paupérisés. En ce qui concerne nos pays, bien plus qu’une menace pour notre ordre social, “les sans-droits”, déshabillés de toute protection juridique ou sociale et livrés à toutes les formes d’exploitation, en sont en réalité davantage les victimes. En effet, “la délocalisation sur place”, équivalent, pour les secteurs économiques qui ne peuvent délocaliser leur production, de l’émigration de nos personnes morales, permet de parachever “l’exploitation de la misère du monde” que constitue la mise en concurrence, au niveau mondial, des niveaux et cadres de vie des travailleurs. Nous profitons tous de cette exploitation de la misère du monde. Effectivement, seule une faible partie de la valeur de notre production délocalisée rémunère le travail et les matières premières des pays du “sud” et de la “périphérie”. L’essentiel de cette valeur irrigue notre économie et les différentes strates de notre société à des degrés divers. Par ailleurs, l’exploitation économique criminelle des “sans-papiers” est un véritable soutien à notre pouvoir d’achat. A titre d’exemple, la seule Région de la Vénétie, en Italie, économise plus de 180 millions d’euros par an (environ un quart de l’aide au développement annoncée en 2006 par la Belgique !) en recourant aux aides à domicile en provenance de l’Europe de l’est. Combien en Belgique pour l’horeca, le bâtiment, les employés de maison, les soins à domicile, l’agriculture saisonnière,… ?

21


Enfin, quant à la très faible proportion de non-Européens (2%) qui composent la population active belge, leur ségrégation dans les segments d’activités les plus précarisés et la discrimination dont ils sont victimes ne sont plus à établir. Exploité économiquement, le “sans-papiers” l’est une deuxième fois idéologiquement. Représenté au mieux comme un problème, au pire comme un prédateur menaçant nos richesses, voire un criminel, le “sans-papiers” est instrumentalisé afin de légitimer l’imposition de l’austérité et le détricotage de nos acquis sociaux. Mis en concurrence avec des “sans-droits”, combien de temps les citoyens de ce pays pourront-ils préserver les leurs? N’est-il pas temps de comprendre que la défense de nos acquis sociaux passe par la protection des plus fragiles d’entre nous ? L’intérêt bien compris n’impose-t-il pas l’alliance objective avec les victimes de notre ordre socio-économique? La solidarité ou la violence comme base du rapport à l’autre ? Telle est la question qui est au coeur du débat sur la régularisation, en particulier, et sur la mondialisation, en général.

Notre ordre social et la bonne conscience qui y règne semblent démontrer que nous pouvons impunément “exploiter toute la misère du monde”. Mais pour combien de temps ? Souhail Chichah (Chercheur au département d’économie appliquée ULB). Fouad Lahssaini (Président du Centre National de Coopération au Développement-11.11.11) Benoît Van Der Meerschen (Président de la Ligue des Droits de l’Homme) Pierre Galand (Professeur ULB) Ali Guissé (Coordinateur & Porte Parole Général UDEP National) Mateo Alaluf (Professeur ULB) Nouria Ouali (Chercheure au groupe de recherches “Genre et Migration” ULB) Serges Noël (Coordinateur SOS migrants) Jacques Bude (Professeur honoraire ULB) Nicole Mayer (Chef de travaux honoraire ULB) Lise Thiry (Professeur ULB)

Exile Family Movie - Samedi 11 novembre à 20H30 Arash, fils d’exilés politiques iraniens, a grandi en Autriche. Il filme les membres de sa famille installés en Europe et aux Etats-Unis, et les occasionnelles retrouvailles avec l’un ou l’autre parent resté vivre au pays. Pour pouvoir organiser une réunion de famille exceptionnelle, ils se donnent rendez-vous à la Mecque où, en tant que pèlerins, ils peuvent organiser de discrètes rencontres dans la chambre d’hôtel. Pendant quelques semaines, Arash nous offre une image de la société iranienne bien éloignée de celle que nous servent les médias. Ce documentaire à la fois drôle et émouvant montre à travers les retrouvailles d’une famille que l’histoire a séparé pendant vingt ans, l’universalité des liens du sang et on trouve des ressemblances avec l’un ou l’autre de ses personnages attachants.

22


L’instrumentalisation des peurs,

une bombe contre la connaissance de l’autre

Dans le contexte social européen, américain, comme ailleurs dans le reste du monde, nous sommes face à l’instrumentalisation des peurs collectives, qui deviennent de plus en plus le cheval de bataille de certains élus, pour des fins politiques de discriminations et d’exploitation économique. Les migrants qui cherchent un avenir meilleur voient déferler sur eux une vague de haine, d’injustice, de discriminations, de peur planifiée et de discours alarmistes alors qu’ils sont une source de richesse dans le cadre d’une concurrence économique mondiale exacerbée et effrénée. Ces stratégies de “compétitivité”, de “rentabilité” et de “marchandisation” conduisent à la remise en cause des acquis sociaux, du “modèle social”, c'est-à-dire des conquêtes sociales de l’après seconde guerre mondiale, dont les manifestations sociales désastreuses sont la montée du chômage, de la précarité et du travail clandestin. L’image des immigrés a évolué dans ce contexte social désastreux. Le travailleur immigré et discret des années 45/70 est progressivement devenu “une menace, un voleur d’emploi”, etc.… De ce fait, l’incompatibilité culturelle est érigée comme une opposition entre communautés dans un contexte où “le choc des civilisations, des cultures, des religions” est théorisé sur le plan mondial comme accompagnement idéologique des concurrences économiques et de la recherche de mainmise sur les matières grises

en général et plus particulièrement sur les matières premières stratégiques. Sur le plan interne, les grandes puissances riches adoptent la logique sécuritaire. Question : les peurs relatives à l’étranger sont-elles préexistantes ou celles-ci sontelles plutôt suscitées par des politiques dont les buts sont inavouables ? La politique de l'immigration zéro n'est pas une réalité mais bien un discours politicien visant à dénigrer la présence de nouveaux étrangers en Europe. L’illusion ou l’hypocrisie de la politique de tolérance zéro envers les étrangers ne tient pas seulement à l'impraticabilité des expulsions massives et systématiques, elle répond aux exigences économiques. L’obtention du permis de séjour n'est plus un droit, mais plutôt une faveur étatique, en fonction du besoin de main d'œuvre bon marché et corvéable à merci pour favoriser la croissance des pays européens. L’instrumentalisation des peurs collectives devient de plus en plus la scène d’un affrontement, entre l’accueillant et l’accueilli. Étant donné que, chez l’accueillant, il y a une instrumentalisation de quelque chose d’enfoui dans l’imaginaire collectif qui prend racine dans le système colonial, l’image du colonisé est à la fois celle de la docilité et de la révolte. La docilité serait l’œuvre de la “mission civilisatrice” de la colonisation et la révolte serait un attribut du colonisé, le danger étant inscrit dans ce “barbare” (aujourd’hui “le terroriste”).

23


Cette peur a favorisé l’acceptation par la majorité silencieuse de la répression policière, des discriminations ou même du racisme déclaré ou déguisé sous la liberté d’expression. Au point que, certaines personnes insufflent des idées xénophobes qui leur servent de slogans simplistes et de raccourcis raciaux apparemment séduisants, pour ensuite dire qu’elle ne font que relayer ce que pensent les gens. En attisant la peur universelle de l’Autre, que l’éducation et la rencontre devrait apprendre à surmonter, on déshumanise les communautés les plus stigmatisées : les Noirs, les Maghrébins, les Turcs, les Sudaméricains,…. Ce processus de criminalisation et de “chosification” des “allochtones” dénie instantanément le fait qu’ils portent tous en eux un réel vécu, une histoire, une valeur culturelle, intellectuelle et des sentiments. Mais la peur est aussi présente chez le migrant en quête d’une hypothétique régularisation : la peur de la répression policière, la peur de s’exprimer, la peur de l’expulsion, la peur de revendiquer ses droits les plus fondamentaux, la peur du lendemain, et la peur de ne pas savoir où se cacher, dans une immense détresse. Toutes ces peurs font de lui un défaitiste, qui se croit incapable de pouvoir garantir un avenir à son enfant et, ayant intériorisé l’étiquette d’infériorité qu’on lui a collé, il s'apitoiera sur son sort. Pire encore, il fera un amalgame haineux envers le “dominant”, formulé en les termes suivants : “Tous les belges et tous les européens sont racistes”, ou il se soumettra au paterna-

lisme occidental. Et s’il en est ainsi, c’est parce que le reste de la société se laisse aller au fatalisme ambiant. C’est pourquoi il faut avant tout renforcer la connaissance de l’autre, car la peur transforme la compréhensibilité des Uns, en une haine inadmissible des Autres. Dans ce combat contre la peur de l’Autre, l’interculturalité est l’une des armes les plus efficaces. • Il faut que l’histoire scolaire et populaire des minorités dites visibles, et principalement des étrangers, soit rectifiée, car l’Histoire actuelle est une Histoire plus idéologique que critique. Il faut rectifier l’image des autres, des sans papiers et des étrangers, car l’image actuelle est une représentation stigmatisante, et dévalorisante, loin de ce que nous sommes réellement. - Il ne faut pas céder à l’impuissance dans cette lutte pour l’ouverture des mentalités, c’est à chacun d’entre nous d’empêcher que le poison de la haine continue sa propagation. Il faut la combattre sans cesse, la démasquer toujours. Il faut la traquer tous les jours, parce qu’elle représente un danger terriblement meurtrier pour nous et pour nos enfants. Ali GUISSÉ Coordinateur et porte-parole de l’UDEP, le mouvement de sans-papiers pour la régularisation de tous les sans-papiers et des critères clairs et permanents de régularisation.

Rendez-vous au festival Rencontre Sans-papiers : bilan d’un mouvement - mercredi 15 novembre à 18H30 Jamais auparavant le mouvement des sans-papiers n’avait su mobiliser et sensibiliser autant sur ses préoccupations et ses revendications. Un an après la première occupation de Saint Boniface, qu’en est-il des résultats obtenus par cette mobilisation sans précédent ? Fiction Africa Paradis de Sylvestre AMOUSSOU – mercredi 15 novembre à 20H30 France/Bénin – 2006 – 86 min – V.O. fr st nl Dans un futur imaginaire, l'Afrique est entrée dans une ère de grande prospérité, tandis que l'Europe a sombré dans la misère et le sousdéveloppement. Olivier, informaticien sans travail est prêt à tout pour en trouver et vit avec Pauline, institutrice elle aussi au chômage. Vu leur situation déplorable en France, ils décident de tenter leur chance en Afrique où ils émigrent clandestinement. A peine arrivés, ils sont arrêtés par la police des frontières et incarcérés dans une résidence de transit, en attendant d'être renvoyés en France.

24


Lu pour vous /A lire

Lignes, n° 15

“Politiques de la peur” En matière de résistance à la panique sociale, le numéro d’octobre 2004 de la revue Lignes1, intitulé “Politiques de la peur”, demeure, nous semble-t-il, une référence qui mérite autant le détour qu’elle n’en fait prendre à la réflexion pour la dévier des autoroutes de la pensée courante et dominante. D’un texte à l’autre, l’histoire et l’actualité, la philosophie et la littérature, la sociologie et la psychologie, l’humour et le doute se font échos, s’articulent, se répondent, se complètent ou se contrastent pour décliner les multiples facettes, les figures et les fissures, le sort et les ressorts, les horreurs et les erreurs, les dessins et les desseins de la peur. Avec toujours en point de mire les possibles ou les impasses politiques. Depuis Hobbes et sa théorie du contrat social fondé sur une forme de retournement de la peur2, celle-ci est devenue un ressort émotionnel, fondamental et presque naturel du pouvoir. Cependant, précise Christine Vollaire, il est en permanence retravaillé par le culturel. La question est alors de discerner ce qui différencie la ou les “petites” peurs d’aujourd’hui de la “grande” peur de l’époque de Hobbes (ravages des rivalités féodales, des guerres de religions,…). Dans une postmodernité individualisante, une société démocratisée et fragmentée, une partitocratie en perte de crédit, ou encore un village mondial, le pouvoir n’est plus en position de force, ne s’incarne plus dans la figure terrible d’un souverain tout puissant. Les craintes se démultiplient, se modulent, se mélangent et se diffusent3. De quoi a-t-on peur ? “Au juste, de rien en particulier. Ou, de tout, aussi bien. Le fait est : cette petite peur, répandue par tous et sur tout, atteint maintenant un point tel qu’elle n’a plus nul besoin d’objet. On a peur, peu importe de quoi : de la peau des autres, du temps qui règne, des bêtes qu’on mange, du ciel qui fond, de l’eau qui monte, des livres qu’on lit, des films qu’on voit, de l’amour qu’on

fait (du vin, du tabac, qui sait de quoi encore : les enfants des adultes, les adultes de leurs désirs d’enfants…)”4 Tout cela n’est évidemment pas sans effets politiques… La peur infantilise. Le pouvoir le sait et y trouve son compte. En mal d’affirmation de soi et de légitimité, il lui suffit de laisser l’angoisse envahir l’existence de la population pour n’avoir à gouverner que des enfants. Ne décèle-t-on pas, de fait, dans les nouvelles politiques d’activation un certain retour des politiques paternalistes du XIXe siècle ? Infantilisés ou effrayés d’eux-mêmes, les gouvernés aspirent de plus en plus à être surveillés, à réclamer plus de police et de caméras, “tellement on craint d’être le même que tout ce dont on est arrivé à avoir peur”5. Dans un climat de panique (et le terrorisme ou l’intégrisme sont à cet égard des aubaines politiques), la population non seulement accepte et banalise mais sollicite un renforcement des contrôles, une intervention drastique des pouvoirs publics, des dérogations à la démocratie qui “auraient été dites d’extrême droite il y a quelques années encore”. Les impératifs sécuritaires justifient petit à petit l’instauration d’un état d’urgence ou d’exception permanent6. L’angoisse divise. Elle érige des murs entre des victimes apeurées et d’autres victimes apparentées au danger ou à l’ennemi. Peur de l’autre, de l’étranger, de la différence. Peur aussi de tout concurrent potentiel quand c’est la précarité qui menace. Sur fond de crise, de dérégulation économique et de démantèlement des protections sociales, émerge une nouvelle conflictualité de proximité qui, selon Jean-Paul Dollé, réintroduit la guerre de tous contre tous. L’insécurité sociale replonge les individus dans la “grande peur” hobbesienne du retour possible à “la vie misérable, animale” où le risque de mort violente est omniprésent7. Paradoxalement, remarque

25


Christine Vollaire, la peur de la désaffiliation est productrice de désolidarisation : “rassembler sur la peur, c’est nécessairement diviser”. Et l’on sait comment diviser aide à régner. Pour asseoir son pouvoir normalisateur, un gouvernement qui repose sur la peur a besoin de stigmatiser, et, au besoin, de produire, ce que Brossat appelle depuis longtemps “la plèbe”. L’effet pervers de la panique sociale amène à désigner les exclus (victime du système social) comme un danger pour ce système, à percevoir ceux dont l’existence comporte le maximum d’insécurité (les précaires, les sans-papiers, les réfugiés, etc.) comme facteur principal d’insécurité… “Présenter le politiquement faible comme dangereux pour le politiquement fort, ou le pauvre comme dangereux pour le riche, c’est ainsi présenter le dominant non comme profiteur, mais comme garant de l’ordre et de la sécurité ; mais c’est aussi créer, par la discrimination, les conditions de l’insécurité sociale pour s’affirmer en recours sécuritaire.”8 C’est alors à se demander si certains tenants du pouvoir n’ont pas tout intérêt à ce que le climat de panique et d’insécurité se perpétue afin de justifier leur rôle protecteur et leurs politiques répressives qui prétendent l’apaiser. Des politiques de plus en plus liberticides qui inquiètent la population autant qu’elles ne la rassurent, qui peut-être l’inquiètent précisément pour pouvoir la rassurer. “Ce qui protège est aussi ce qui menace.”9 Les médias attisent. Les médias qui fonctionnent de plus en plus à l’émotion et au sensationnel ont évidemment “un goût immodéré pour la peur” et sont des vecteurs prioritaires de sa diffusion. La télévision joue un rôle central dans la réflexion de Gael Jacquot sur le comportement d’autruche que suppose, selon lui, toute politique de terreur. La télévision, en effet, à la fois effraie par les informations qu’elle

propage et ferme les yeux par les divertissements qu’elle propose. L’auteur en arrive alors à remettre en question la valeur de “tolérance” qui, telle qu’elle est aujourd’hui répandue, conduit à la démission et à tolérer l’intolérable10. D’autres articles abordent encore les processus psychologiques de représentation ou d’occultation de la peur (Jean-Paul Curnier) et le rôle de l’autopersuasion dans l’émergence de ce sentiment assez proche de la servitude volontaire (Henri-Pierre Jeudy). Quant à Mathilde Girard et Djenab Noël, c’est du côté de la littérature (Kafka, Poe, Brecht, Baudelaire,…), de la psychanalyse freudienne et de la philosophie deleuzienne que leur contributions tentent d’approcher l’inquiétante étrangeté de la peur. Plus concrètement, Sylvia Klingberg relate une rencontre avec des travailleurs et militants syndicaux lors d’une restructuration d’entreprise (“Ils ont habitué les ouvriers à avoir la trouille”) et Laure CoretMetzger décrypte comment la peur, si ancienne au Rwanda, si traumatisante depuis les massacres de 1959, a créé des habitudes qui ont rendu possible le carnage de 1994. Nous conclurons avec Daniel Bensaïd ces réflexions sur la place prépondérante de la peur dans nos sociétés et dans les politiques qui les gouvernent : “…le rôle politique de la peur a souvent été déterminant. Il n’en découle nullement que la peur fasse une politique. Dans la mesure où, dit-on, elle paralyse, elle fonderait plutôt une antipolitique.”11 Dans la mesure où elle fait primer l’émotion sur la réflexion, où elle s’empare de la raison et fait la part belle à l’irrationnel, elle paralyse aussi l’esprit critique et le libre examen. Mathieu BIETLOT

Lignes, n°15 : “Politiques de la peur”, éd. Lignes & Manifeste, octobre 2004. Trop peu connue du grand public, la revue se trouve dans la plupart des bonnes librairies. Les anciens numéros, tel que celui que nous vous recommandons, ne sont pas épuisés et peuvent se commander via un libraire ou en contactant la revue : http://www.editions-lignes.com/ . 2 Par peur de leurs semblables, les humains décident rationnellement de se soumettre au pouvoir absolu du “Léviathan” (le monarque absolu) et de craindre sa terreur afin d’être protégé par lui contre la menace du “loup pour l’homme” que représentaient leurs congénères lorsque régnait la loi de la jungle de l’état du nature. 3 Alain Brossat, “Le sale air de la peur”, pp. 25-36 4 Michel Surya, “Journal de l’été 2004. En guise d’éditorial intermittent”, p. 14 5 Michel Surya, op. cit., p. 16 6 “Au nom de la “tranquillité publique”, ce souverain est bien fondé à poursuivre comme séditieuses toutes les doctrines dissidentes, et comme conspiratives toutes les actions qui lui paraissent pouvoir rallumer les brandons de la discorde civile. Les exigences de la sûreté et la sécurité vont ouvrir au souverain un crédit illimité de violence légitime, dont le propre est de rendre indistincte la frontière entre l’exception et la règle, aucune norme extérieure ou supérieure à l’autorité du souverain ne pouvant s’établir.” (Alain Brossat, “Le sale air de la peur”, p. 32). Qu’on songe aux dérives liberticides que provoque aujourd’hui la lutte antiterroriste… 7 Jean-Paul Dollé, “Politique de la peur”, pp. 115-118 8 Vollaire Christiane, “Modulations politiques et manipulations sécuritaires de la peur”, pp. 49, 50 9 Jean-Paul Curnier, “La peur de soi, l’horreur de l’homme”, p. 61 10 Gael Jacquot, “La politique autruchienne en temps de guerre. Plaidoyer pour l’intolérance”, pp. 68-77 11 Daniel Bensaïd, “Mur et murailles de la peur”, p. 43 1

26


Lu pour vous /A lire

Jean Delumeau

La peur en Occident Quatrième de couverture Non seulement les individus pris isolément, mais les collectivités et les civilisations elles-mêmes sont engagées dans un dialogue permanent avec la peur. Celle-ci prend toutefois des visages différents, depuis les terreurs médiévales jusqu’à l’obsession contemporaine de la sécurité. Jean Delumeau montre à la fois les continuités et les ruptures, ainsi que la diversité des formes prises par la peur en Occident. Des peurs collectives, comme celles engendrées par la peste, aux séditions popu-

laires, des visages de Satan aux procès en sorcellerie, ce livre a profondément renouvelé l’histoire des mentalités et des comportements. Cet ouvrage inaugure ainsi la grande enquête consacrée par Jean Delumeau à l’histoire des représentations collectives, des inquiétudes et des espoirs de l’humanité occidentale, qui s’est poursuivie par l’exploration du péché et de la culpabilité, puis par celle de la rédemption et du paradis.

Jean Delumeau, La peur en Occident, Fayard, 1978, 607 pages

Rendez-vous au festival Conférence Peurs d’hier et d’aujourd’hui 11 novembre – 20h Peut-on faire face aux peurs d'aujourd'hui sans avoir correctement identifié celles d'hier ? L'histoire ne donne peut-être pas de leçons pour l'avenir. Mais elle permet de l'éclairer par l'expérience du passé. La peur est de tous les temps, mais les peurs se modifient au cours des âges. La connaissance de cette évolution nous est plus que jamais nécessaire. Par Jean Delumeau, historien des religions, auteur notamment de La peur en Occident (XVIe-XVIIIe siècle) (Fayard, 1978) ; Le Péché et la peur. La culpabilisation en Occident (XIIIe-XVIIIe siècle) (Fayard, 1983) ; Rassurer et protéger. Le sentiment de sécurité dans l’Occident d’autrefois (Fayard, 1989).

27


Quel rôle jouent les médias ?

Promotion de la peur : Il est de plus en plus essentiel de se livrer à une analyse critique du discours médiatique, surtout en matière de représentations sociales. D’abord parce que les médias – et en particulier la télévision – atteignent littéralement tout le monde : 96,8 % des Belges francophones sont reliés au câble. Mais, surtout, parce que leur impact sur le lien social, donc sur la démocratie et sur les libertés, est de plus en plus préoccupant. Deux belges sur trois reconnaissent s’informer exclusivement grâce à la télévision. Le succès croissant de la télévision, ses méthodes et ses formes ont déteint sur celles des autres medias (par exemple la tabloïsation de la presse quotidienne). La concurrence entre medias entraîne la perte d’originalité et la standardisation des medias. Le rôle socio-politique des médias Quel est l’impact des médias sur la vie en société ? D’abord, ils constituent la première source de l’agenda-setting de la vie publique. Les sujets sur lesquels les médias mettent l’accent deviennent des thèmes de débats parlementaires, de campagne électorale ou de communication politique. Dans l’espoir de conquérir davantage de visibilité médiatique, les mandataires adaptent la forme et le contenu de leurs décisions ou de leur discours à l’évolution de l’opinion publique, et celle-ci est puissamment influencée par les stratégies médiatiques. C’est une sorte de cercle vicieux qu’Umberto Eco appelle le populisme médiatique. Le discours politique s’aligne sur les résultats des sondages, et ces résultats eux-mêmes évoluent en fonction de la fréquence de certains thèmes dans les médias, principalement à la télévision. Un exemple désormais emblématique : de janvier à mai 2002, la télévision française, toutes chaînes confondues, a consacré 987 sujets par semaine en moyenne (soit 141 sujets par jour) aux délits, petits et grands, aux jets de pierre et aux vols de voiture, aux braquages et aux interventions policières, soit une croissance de 126 % de ces matières par rapport aux mois précédents, et cela alors que les crimes et délits n'ont nullement progressé en France durant cette période. Selon une enquête de TNS

28

Secodip, le thème largement dominant, dans 80 médias français imprimés, radiophoniques ou télévisés, de mars 2001 à mars 2002, a été l’insécurité, loin devant le chômage ou les retraites. À la suite de ce véritable matraquage, Jacques Chirac, et Lionel Jospin après lui, ont fait de l’insécurité leur leitmotiv de campagne électorale, avec le résultat que l’on connaît au premier tour : 17,5 % des voix pour Le Pen. À noter qu’entre les deux tours de l’élection présidentielle, la présence du thème de l’insécurité a diminué de 67 % sur les chaînes françaises de télévision. Aux États-Unis, la couverture médiatique des crimes de sang et de la violence non politique a augmenté de 700 % en dix ans, alors que la criminalité diminuait de 20 % dans le même temps. La société américaine est gangrenée par une angoisse irrationnelle qui favorise la paranoïa dans les rapports sociaux, voire dans la politique internationale… Pourquoi cette polarisation sur la violence ? Parce qu’elle fournit de l’image et de l’émotion, et parce que la télévision, et dans son sillage les autres médias, utilisent essentiellement l’image et l’émotion pour créer un rapport de connivence avec le public. Cet “effet de loupe” de la couverture médiatique sur certains aspects, plus spectaculaires et plus émouvants, de la réalité sociale n’influence pas seulement la décision politique. Il a également des effets notables sur la perception qu’a la société d’elle-même. La métaphore caricaturale du monde diffusée par la télévision prend, surtout aux yeux d’un public de plus en plus individualisé, passif et sédentaire, la place du monde réel. Ainsi, notre époque est perçue par beaucoup comme nettement plus violente qu’elle ne l’est en réalité. Laurence Hauttekeete, de l’université de Gand, a constaté : “Plus les gens font confiance au journal télévisé pour leur information, plus leur aversion pour la politique, leur frustration et leur cynisme deviennent grands. Cela serait notamment dû au caractère négatif, anti-institutionnel et conflictuel des sujets télévisés.” Si l’on en croit une étude française, la vision du journal télévisé de 20 heures serait, pour une majorité de Français, vécue comme “une souffrance”.


Comment cela peut-il s’expliquer ? Toujours dans le but de créer la connivence, les médias privilégient la dimension émotionnelle des enjeux de société. Les conflits, les crises sont souvent évoqués, dans les médias, par le biais des réactions émotionnelles de leurs acteurs, et font bien plus rarement l’objet d’une analyse de leurs enjeux. Lors de la faillite de la Sabena, les médias belges ont consacré beaucoup plus de temps à montrer le désarroi du personnel (larmes, commentaires désabusés, gestes de détresse, etc.) qu’à évaluer les responsabilités dans la faillite. Cette priorité à l’émotionnel contribue à accroître le fatalisme et le défaitisme : comme l’information n’explique rien et ne désigne aucun responsable, la seule attitude possible, pour le public, c’est la souffrance et compassion avec la douleur des victimes. Une compassion qui s’accompagne d’un sentiment d’impuissance devant ce qui est perçu comme une fatalité. L’unanimisme médiatique Information marchandisée, formatée, politique rédactionnelle dictée par le marketing, le tableau est sombre. Et cependant, il y a des lueurs d’espoir. L’éducation aux médias se développe à l’école, trop lentement mais sûrement : le succès des opérations Quinzaine de la presse ou Journalistes en classe le démontre. Il va de pair avec une légère remontée de la diffusion de la presse quotidienne en Belgique francophone. Des quotidiens et des magazines d’information de grande diffusion poursuivent un travail sérieux d’information et résistent plus ou moins au marketing rédactionnel, parfois même avec un certain succès commercial. Je pense par exemple au Courrier international. Des médias différents, échappant au marketing rédactionnel, existent et même prospè-

rent, comme Le Canard Enchaîné, Le Monde Diplomatique, Charlie Hebdo, Place publique, Tocsin, l’agence Infosud, l’agence Alter, Fair, Alternet, MetaMedia, Altermédia, etc., notamment sur Internet. C’est là que s’exprime aujourd’hui avec le plus de vigueur la liberté de la presse, conçue comme garante des autres libertés. Et grâce à l’intérêt croissant pour le discours alternatif, ces médias alternatifs augmentent leur audience. Par exemple : Le Monde Diplomatique atteint aujourd’hui, rien qu’en France, une audience de 1 635 000 personnes, sans compter ses 21 éditions papier à l’étranger ni ses 21 éditions en 17 langues étrangères sur Internet. Son audience globale progresse de près de 8 % par an. Un nouveau modèle citoyen est peut-être en train d’émerger. Mais son ébauche est fragile. Sa croissance dépend en grande partie de la survie de l’école en tant que centre de résistance à la manipulation mentale et laboratoire de l’autonomie de la pensée. Elle dépend aussi d’une prise de conscience des grands médias euxmêmes, et à cet égard on peut se réjouir de la multiplication des sociétés de journalistes, désormais reconnues comme interlocutrices des détenteurs du capital, et de l’action de plus en plus décidée des organisations professionnelles pour faire prévaloir les préoccupations déontologiques et éthiques sur les soi-disant “lois du marché”. Mais sans un sursaut citoyen, les médias risquent de s’enfoncer chaque jour davantage dans une propagande, consciente ou non, en faveur de ce rêve, ou plutôt de ce cauchemar, de Margaret Thatcher : “pas de société ; entre l’individu et le marché, rien.” Jean-Jacques JESPERS

Rendez-vous au festival Conférence Peur et médias vendredi 17 novembre à 20H A l'heure de la mondialisation, l'information et la communication, autrefois facteurs de liberté et de progrès, sont-ils en passe de devenir au XXIè siècle des facteurs de guerre? Quel rôle jouent les médias dans la construction des peurs collectives? Peut-on parler de discours médiatique sécuritaire? Par Dominique Wolton, directeur du laboratoire CNRS, Information, communication et enjeux scientifiques, auteur de nombreux ouvrages dont Il faut sauver la communication (Flammarion, 2005); Télévision et civilisations (entretiens avec H. Le Paige, Labor, 2004); L'autre mondialisation (Flammarion, 2003).

29


Rendez-vous au festival Ciné-rencontre Traitement de l’information et indépendance des médias au Vénézuela et en Belgique - lundi 13 novembre 2006 à 20H30 Documentaire Médias contre tambours de Dominique BERGER et Sarah FAUTRE Belgique – 2005 – 52 min – VO (français, espagnol) st fr. Deux belges arrivent au Venezuela 6 mois après le coup d'Etat et découvrent un paysage médiatique extrêmement polarisé : des médias commerciaux qui appellent à la destitution du Président, le canal d'Etat qui se fait à l'occasion porte parole de Chavez et des médias communautaires encouragés par le gouvernement. Partant de cette situation conflictuelle, les auteurs de “Médias contre tambours” s'interrogent sur les motivations cachées des médias, tant vénézuéliens qu'européens. Prix du public aux Escales documentaires de La Rochelle Le film sera suivi d’une rencontre avec Maurice Lemoine (Monde Diplomatique), Frédéric Lévêque (coordinateur du site RISAL sur l'Amérique latine, membre du Comité pour l'annulation de la dette du tiers monde CADTM) et Olivier Mukuna (journaliste). Modération : Olivier Starquit (AMDB). En présence des réalisateurs du film (sous réserve).

PORTAIL

les lumières de la raison

Contre l’obscurantisme des peurs, “La rencontre avec l’autre se fait toujours dans un contexte de réticence et d’émerveillement. Le pire, c’est de rater la merveille par peur ou paresse et de rester claquemuré en soi, dans le provincialisme de son identité.” Pascal Bruckner Emotion commune aux être vivants, la peur revêt pour l’homo sapiens une valeur ambivalente. Elle oscille entre peur instinctive, existentielle et utile à la survie de l’individu; et peur culturelle, issue d’élaborations parfois abstraites dont les stigmates apparaissent de plus en plus dans l’évolution sécuritaire de nos sociétés. “Nous nous trouvons confrontés, dans l'Europe d'aujourd'hui, à une situation d'une extrême complexité dans laquelle la plus grave des menaces émane du populisme, (...) qui se nourrit de la peur, de la propagation de la peur et de la demande croissante de sécurité de la part des citoyens” . Face aux mécanismes d’instrumentalisation d’émotions légitimes, et au détournement insidieux de notre capacité de jugement, il 1

30

est urgent de mettre en œuvre des dynamiques de résistances à la hauteur de l’enjeu. Le libre examen, valeur laïque par excellence, semble pouvoir constituer un mode salutaire d’appréhension de la réalité. Impliquant non seulement la revendication d’un droit, celui de l’absolue liberté de conscience mais surtout l’affirmation d’un devoir : celui de ne reconnaître aucun dogme, de procéder avec esprit critique à la mise en question des idées reçues ; le libre examen apparait comme un outil de déconstruction efficace susceptible de restituer à l’homme l’autonomie de sa vision du monde et sa cohérence humaine avec les autres. Quelques sites pour nous y inciter…


www.conflits.org (Français) Lieu de confrontation intellectuelle pluridisciplinaire, la revue trimestrielle de science politique, Cultures & Conflits s’est donné comme mission l’analyse des différentes expressions de la conflictualité. Réunis au sein du centre d’Etudes sur les Conflits, des chercheurs étudient les transformations sociales, la manière dont se construisent les insécurités, les peurs ainsi que les pratiques de gestion de la sécurité. Si l’interface semble de prime abord relativement désuète, le site met néanmoins à la disposition de l’internaute un grand nombre de ressources documentaires à travers un accès à tous les numéros parus. A noter tout particulièrement les dossiers “Cultures & Conflits fait le point sur le terrorisme” ainsi que “Antiterrorisme et société” qui devraient retenir votre attention. www.libertysecurity.org (Français-Anglais ) 2

Dans un environnement fait de flux migratoires, de politique d’asiles et de lutte contre le terrorisme, quel équilibre existe-t-il, ou devrait-il exister, entre stratégie anti-terroriste et protection des libertés fondamentales ? Textes universitaires, rapports publics, revues de presse, documents associatifs, bibliographie sélectives ainsi que de nombreux dossiers thématiques tentent d’apporter une réponse cohérente et font de ce site une mine de ressources inestimables. laurent.mucchielli.free.fr (Français) Historien et sociologue de formation, chargé de recherche au centre national français de recherche scientifique (CNRS), Laurent Mucchielli met en ligne de nombreux textes liés à ses différents domaines de recherche. Parmi ceux-ci, la sociologie politique du débat sur la sécurité (discours médiatiques, discours politiques, groupes de pression) est particulièrement attractif. Si la procédure de chargement des textes est un peu pénible à la longue, le contenu en vaut largement la peine. Les rubriques ‘Sociologie’, ‘Histoire’, ‘Criminologie’ et surtout ‘Débat public’ (cfr La

France, les USA et la violence ; Après les attentats du 11 septembre 2001…) donnent accès à une grande variété de textes d’un niveau académique parfois pompeux, mais toujours riches d’analyses pertinentes. nopasaran.samizdat.net/ mot.php3?id_mot=27 (Français) Le réseau “No Pasaran”, comme son nom le suggère, revendique fièrement un ancrage à gauche de la gauche, “anticapitaliste et révolutionnaire”. Si certains pourront difficilement contenir l’esquisse d’un sourire à l’écoute de cette présentation, ce site français vaut radicalement le détour. Issu du mouvement antifasciste, auteur de nombreuses analyses sur la montée de l’extrême droite et les idéologies sécuritaires, le réseau a développé des échanges et actions avec des groupes de nombreux pays. Le résultat de ces réflexions est accessible sur ce site. Grâce à une interface simple mais efficace, le site permet des recherches par pays, ville ou thème. Une profusion d’articles et d’analyses critiques (Ordre sécuritaire, Antifascisme, contre-cultures et alternatives…) sur des thématiques diversifiées devrait retenir votre attention. ec.europa.eu/justice_home/ index_fr.htm (Français, Anglais, Allemand) Les membres de l’Union européenne (UE) se sont engagés, conformément au traité d’Amsterdam (1999), à faire de l’UE un espace de liberté, de sécurité et de justice. Destiné tant au grand public qu’aux spécialistes, ce site entend témoigner de l’évolution de cet ambitieux programme. Un vaste centre de documentation virtuel permet un accès aisé aux documents les plus importants relatifs à l'ensemble des matières couvertes par l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Architecture juridique, communiqué de presse, discours, large classement thématique (Terrorisme, Immigration, Droits fondamentaux, Citoyenneté…) entre autres, donnent à l’internaute l’accès à une large base de données “institutionnelle”. Un passage obligé. Mario FRISO

Sandro Gozi, membre de la chambre des députés italienne. Déclaration au Parlement européen lors de la réunion interparlementaire sur la liberté, la sécurité et la justice (3/10/2006). 2 Certains articles sont également accessibles en Italien et espagnol. 1

31


Résister à la peur et interroger l’altérité,

à travers l’œuvre universelle de Mahmoud Darwich Mahmoud Darwich est considéré comme l’un des plus grands poètes arabes vivants. Parfois critiqué pour sa poésie apolitique, il revendique que la lutte ne peut être son unique thème d’inspiration. Sa vie est, depuis très tôt, marquée par l’exil et par la réalité du conflit israélo-palestinien. Né en 1941, près de Saint-Jean d’Acre en Galilée, il a du fuir à deux reprises. Sa décision de s’installer à Ramallah, en 1996, le confronte aux difficultés de l’occupation et l’unit d’avantage à ce peuple qu’il a toujours défendu et aimé.

Ecrit à Ramallah, en 2002, Etat de siège est un poème qui décrit l’univers émotif d’un peuple assailli. Le poème marque un tournant, une prise de position, dénonce et interpelle l’Autre. Cet Autre c’est le martyr et l’occupant. Le ton de cette interpellation est rempli d’humanisme. On le sent, Darwich imagine que la voix de l’espoir, la capacité de voir en l’Autre un semblable est plus forte que tous les hurlements, plus forte que la mort, plus forte que la peur. Paola HIDALGO

Etat de siège - Extraits Dans l’état de siège, l’espace devient temps Qui a manqué son hier et son lendemain. Le martyr m’encercle chaque fois que je vis un nouveau jour Et m’interroge : Où étais-tu ? Ramène aux dictionnaires Toutes les paroles que tu m’as offertes Et soulage les dormeurs du bourdonnement de l’écho. Le martyr m’éclaire : je n’ai pas cherché au-delà de l’étendue Les vierges de l’immortalité car j’aime la vie Sur terre, parmi les pins et les figuiers, Mais je ne peux y accéder, aussi y ai-je visé Avec l’ultime chose qui m’appartienne : le sang dans le corps de l’azur. Le martyr m’avertit : Ne crois pas leurs youyous Crois mon père quand il observe ma photo en pleurant Comment as-tu échangé nos rôles, mon fils, et m’as-tu précédé. Moi d’abord, moi le premier ! Le martyr m’encercle : je n’ai changé que ma place et mes meubles frustes. J’ai posé une gazelle sur mon lit, Et un croissant lunaire sur mon doigt, Pour apaiser ma peine. Le siège durera afin de nous convaincre de choisir un asservissement qui ne nuit Pas, en toute liberté ! Résister signifie : s’assurer de la santé Du cœur et des testicules, et de ton mal tenace : Le mal de l’espoir.

Source : http://www.lekti-ecriture.com/contrefeux/Etat-de-siege.html

Autres publications : Etat de siège, Poèmes traduits de l’arabe (Palestine) par Elias Sanbar ; Photographies d’Olivier Thébaud ; titre original : Hâlat hisâr ; éditeur original : Riad elRayyes, Beyrouth, 2002. Actes Sud / Sindbad, 2004

32


DU 10 au 19 NOVEMBRE 2006 OPERATION 11.11.11. 2006

LA PAUVRETE C’EST NOS OIGNONS !

La pauvreté et la faim ne sont pas une fatalité. Elles sont souvent le résultat de choix politiques. Défendre le droit pour les populations de déterminer les politiques agricoles et alimentaires qui leur conviennent, sans que ces décisions soient néfastes pour d'autres populations, c'est le thème de la campagne 11.11.11. 2006 du CNCD.

Projets LHAC inscrits : 1. Formation d’enseignants et de formateurs de formateurs aux droits de l’Homme (05021) 2. Jumelage d’écoles de Matonge XL et Kinshasa : construction d’un dispensaire et d’une bibliothèque pour les écoles primaires de Matonge (06011)

Produits :

Thé noir indien, biologique, 100 % équitable, labellisé Max Havelaar Prix : 5 € pour 20 sachets

Le calendrier 2007 : 12 photos pour mettre en valeur l’hémisphère Sud et voir le monde autrement. Prix : 15 €.

Optez pour ! 10 cartes au format 21,5x10,5 cm Prix : 10 € les 10 cartes

Contacts “Laïcité et Humanisme en Afrique centrale” asbl Siège : Campus de la Plaine ULB CP 236 - 1050 Bruxelles Tél : 02 649 00 36/37 - Fax: 02 627 68 01 Nathalie Biefnot, lhac@laicite.net Site : http://www.ulb.ac.be/cal/lhac/html Compte : 210-0968096-88

33


d’Administration

Conseil

Direction Comité

de rédaction

Philippe BOSSAERTS Clément DARTEVELLE Francis DE COCK Jean-Antoine DE MUYLDER Francis GODAUX Ariane HASSID Eliane PAULET Michel PETTIAUX Paul-Henri PHILIPS Yvon PONCIN Johannes ROBYN Pascale SCHEERS Laurent SLOSSE Dan VAN RAEMDONCK Cédric VANDERVORST

Fabrice VAN REYMENANT

Sophie LEONARD Ababacar N’DAW Olivia WELKE Mathieu BIETLOT Hülya ERTORUN Paola HIDALGO Mario FRISO

GRAPHISME Cédric BENTZ & Jérôme BAUDET EDITEUR RESPONSABLE Ariane HASSID, Présidente de Bruxelles Laïque, 18-20 Av. de Stalingrad - 1000 Bruxelles ABONNEMENTS La revue est envoyée gratuitement aux membres de Bruxelles Laïque. Bruxelles Laïque vous propose une formule d’abonnement de soutien pour un montant minimum de 7€ par an à verser au compte : 068-2258764-49. Les articles signés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.