Sommaire Editorial ......................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 3 Définitions relatives ........................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 5 Une idée contre laquelle il n’est pas permis de s’élever .............................................................................................................................................................................................................................. 6 Et si l’on “dédogmatisait” le dogme ? Un regard anthropologique sur la transmission et l’appropriation du dogme religieux ........................................ 10 Dura lex sed lex ? ............................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 13 Quel féminisme pour une laïcité interculturelle ?
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LIVRE-EXAMEN : Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité ................................................................................................................................................ 21 L’autre et le bien commun. Du pluralisme des médias et de la démocratie.......................................................................................................................................................................... 22 Prêt-à-penser ....................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 26 Le TCE est mort, vive le traité de Lisbonne ! ........................................................................................................................................................................................................................................................ 29 Le développement durable, nouvel avatar du dogme de la croissance ? ................................................................................................................................................................................ 31 A CONTRE-COURANT : La religion laïciste est-elle dogmatique ? ................................................................................................................................................................................................ 35 LIVRE-EXAMEN : La raison névrotique ...................................................................................................................................................................................................................................................................... 38 PORTAIL .................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 40 AGENDA : échos laïques de vos activités bruxelloises .............................................................................................................................................................................................................................. 42 Exprimez votre point de vue.................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 44
Bruxelles Laïque est reconnue comme association d’éducation permanente et bénéficie du soutien du Ministère de la Communauté française, Direction Générale de la Culture et de la Communication, Service de l’Education permanente. Bruxelles Laïque asbl Avenue de Stalingrad, 18-20 - 1000 Bruxelles Tél. : 02/289 69 00 Fax : 02/502 98 73 E-mail : bruxelles.laique@laicite.be http://www.bxllaique.be/
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EDITOrial a liberté de conscience constitue le premier droit pour lequel se sont battus et se battent toujours les laïques. Ce principe se trouve au cœur de la laïcité, tant politique que philosophique puisque la première prône un cadre politique (un Etat) qui garantit cette liberté à chacun tandis que la seconde revendique une pensée non soumise à quelque autorité que ce soit. C’est pourquoi cette liberté ne représente, pour nous, pas seulement un droit inaliénable, elle désigne également un devoir : celui de n’accepter aucun dogme et de pratiquer le libre examen. Elle assigne aussi une responsabilité : celle de reconnaître aux autres la possibilité de développer leur réflexion personnelle et leurs facultés critiques.
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Si tant est que le libre examen requiert un effort pour émanciper la pensée des liens qui l’étouffent (conditionnements, idées reçues, automatismes, simplismes, contexte affectif, etc.), la libre pensée s’est toujours définie par opposition aux discours et pouvoirs qui s’imposent comme indiscutables et colonisent aussi bien l’espace public que les esprits privés. Le dogmatisme religieux a été longtemps le principal adversaire de la libre pensée : son hégémonie politique et sa puissance d’aliénation des consciences étaient telles qu’on ne faisait pas de différence entre impiété et libre pensée, toutes deux connotées péjorativement. Aujourd’hui, grâce aux combats laïques et suite à des évolutions sociétales diverses, le pouvoir de l’Eglise et l’influence des religions ne bénéficient plus d’une telle hégémonie. Ce n’est pas pour autant que toutes les consciences sont émancipées, que la chose publique est soustraite à toute emprise particulière et que l’obscurantisme ou le dogmatisme appartiennent à un autre âge. Certes, les religions (anciennes ou nouvelles) jouissent encore d’un poids énorme dans le monde mais, n’étant plus officiellement aux commandes de nos sociétés, ce n’est plus par l’affirmation de leur dogme qu’elles exercent leur influence chez nous. C’est davantage par un travail de lobbying ou d’entrisme auprès des instances dirigeantes et par des pratiques de sociabilité venant combler le désarroi des individus les plus précarisés. D’où l’importance de l’action sociale et culturelle, comme nous la développons à Bruxelles Laïque, pour contrer l’emprise des puissances d’aliénation. Le plus inquiétant n’est peut-être pas là. Il existe aujourd’hui d’autres “vérités” que religieuses érigées en dogmes. Nous sommes tous tentés, un jour ou l’autre, d’une manière ou l’autre, de faire passer nos convictions personnelles pour des vérités irréfutables. “L'ennemi de la vérité, ce n'est pas le mensonge, ce sont les convictions” affirmait Nietzsche. La vigilance libre exaministe, bien ordonnée, commence donc par nous-mêmes. Demandons-nous dans quelle mesure des valeurs ou principes – le progrès, la raison, une certaine conception de l’individu,… – que les laïques ont opposés à l’obscurantisme n’ont-ils pas triomphé au point d’être devenus à leur tour des monuments inattaquables ou des sources de terreur ? Et si au nom de la défense de la laïcité, nous ne reproduisons pas des attitudes dogmatiques et intolérantes que nous reprochons à nos ennemis ? Rappelons-nous le propos d’Elysée Reclus : “Tout progrès devenu dogme est un obstacle qu'il faut renverser.” Si la laïcité organisée a élargi son champ d’intervention bien au-delà des strictes relations églises-Etat, c’est notamment pour s’intéresser à ce que l’on pourrait appeler des “nouvelles religions”. Il s’agit de convictions politiques, économiques ou culturelles qui
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se présentent comme des vérités révélées auxquelles tout le monde est prié d’acquiescer sous peine d’être stigmatisé comme hérétique et condamné à l’opprobre. Il s’agit aussi de puissances privées ou d’idéologies particulières qui ont acquis un inquiétant pouvoir d’aliénation de l’espace public et de la liberté individuelle. Ces “nouvelles religions” sont d’autant plus dangereuses qu’elles diffusent leur catéchisme à grande échelle : à partir des sommets du pouvoir (de l’Union européenne et des Etats-Unis où les choses sont encore plus claires quand le chef de l’Etat se croit inspiré par Dieu, ou à tout le moins le laisse croire) et à travers des moyens de communication de masse toujours plus percutants. Leurs préceptes finissent par s’immiscer dans le sens commun et par délivrer à chacun son prêt à penser quotidien. Nos lecteurs fidèles savent que nous nous appliquons, dans Bruxelles Laïque Echos, à identifier et déconstruire, pour chacune des thématiques explorées, les idées reçues et tout ce qui recèle des tendances dogmatiques. Evoquons seulement les dogmes qui fondent la politique de prohibition des drogues, la place et le sens qu’a acquis le travail dans nos sociétés, la construction et l’imposition du discours sécuritaire ou les réductions et préjugés qui gangrènent les relations interculturelles. En pleine réflexion et consultation1 autour des enjeux à venir de la laïcité et de l’inscription de ses combats dans le contexte sociétal, il nous a paru pertinent, dans ce numéro, d’interroger plus explicitement le concept de dogme aussi bien religieux que laïque. C’est une manière de rappeler que le combat laïque, fondé sur le refus de tout dogme, s’il reste d’actualité, ne mérite pas moins d’être sans cesse réactualisé. Notre volonté n’est pas de jouer à l’autorité morale qui dénoncerait tel dogme plutôt qu’un autre, de revêtir l’habit de l’Inquisition ou d’entamer la chasse aux sorcières mais d’appeler à la vigilance, de proposer notre contribution au débat et de laisser au lecteur le soin de se forger son opinion. L’expérience historique a montré que personne n’a le monopole du dogmatisme. Même les idées les plus libres peuvent se figer en dogmes ou les projets les plus émancipateurs se transformer en machine d’oppression (le Stalinisme ou l’invasion américaine de l’Irak en sont deux exemples). La meilleure garantie pour la libre pensée reste dès lors la confrontation des idées, dans l’acception de la diversité et le respect de la dignité de chacun. Ariane HASSID Présidente
Voyez le questionnaire que nous vous proposons à nos dernières pages. Outre le questionnaire, les propos exposés par les différents articles de notre trimestriel visent également à mettre les perspectives de la laïcité en débat. N’hésitez pas à nous communiquer vos réactions. 1
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Définitions relatives istoriquement, la libre pensée et le libre examen se sont constitués et définis en étroite relation avec le dogmatisme. A l’origine, était considéré comme “libre penseur” celui qui n’adhérait pas voire contestait les vérités admises par la société ou communauté dans laquelle il vivait. Jugé péjorativement et stigmatisé, le libre penseur était amalgamé à d’autres qualificatifs révélateurs de l’orthodoxie du moment : impie, dépravateur, libertin, hérétique, sorcière.
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Parmi les pionniers de la libre pensée, on recense Socrate et la plupart des premiers philosophes qui cherchaient à expliquer le monde selon d’autres principes que la référence aux dieux Chtoniens, les premiers chrétiens persécutés par le polythéisme païen, les adeptes de la gnose, les Cathares et toutes les formes d’hérésie mises au bûcher par l’Inquisition catholique, Giordano Bruno ou Gallilée face à la “science” de leur temps, Spinoza exclu de la communauté juive, Luther dissident du Saint Empire, Sade emprisonné par les révolutionnaires de 1789, enfin les penseurs matérialistes (d’Epicure à Marx en passant par Diderot et le curé Meslier) et les théoriciens de l’athéisme (Feuerbach, Stirner, Bakounine, Nietzsche) minoritaires au sein de l’idéalisme dominant la philosophie jusqu’il y a peu,… C’est donc l’orthodoxie, le dogme qui a d’abord défini la libre pensée. A notre tour,
libres penseurs, de proposer une définition du dogme. Le mot est apparu dans la langue française au XVIe siècle et fut revendiqué par l’Eglise catholique pour nommer les vérités révélées (dont l’infaillibilité pontificale…) qu’elle imposait à la foi de ses fidèles. Alors qu’en grec, dogma signifiait “opinion ou décision” et en latin “thèse ou précepte”, il finit par équivaloir en latin de messe à “croyance orthodoxe, catholique”. Comme l’illustrent les quelques exemples cités, le dogmatisme et l’obscurantisme demeurèrent longtemps l’apanage des religions contre lesquelles résistait la libre pensée. L’enjeu de celle-ci résidait cependant moins dans la non croyance que dans la possibilité de croire autrement. Jusqu’au XVIIIe siècle, les libres penseurs ne se disaient pas athées mais déistes. Quant au libre examen, c’est à Luther que nous devons sa première formulation claire et conséquente. Préconisant une libre interprétation individuelle des Ecritures et l’adéquation entre les principes et les actes, il favorisa, bien avant les laïques, l’instruction obligatoire, à Genève, pour donner à tous les moyens de lire les textes. Ces évocations historiques soulignent en outre comment une croyance peut être jugée par le dogme majoritaire comme une hérésie, donc une libre pensée, alors qu’elle repose elle-même sur une série de
dogmes et fonctionne comme une secte. Et lorsque ce dogme minoritaire devient majoritaire, il reproduit sur d’autres les pratiques inquisitoriales dont il fut victime… Il nous semble donc judicieux de dissocier la définition du dogme de toute référence religieuse pour la focaliser sur le processus qui peut se répéter à toute époque et dans toute communauté humaine. Nous le définissons aujourd’hui comme tout discours ou doctrine qui se prétend fondamental, vrai et incontestable, toute prétendue vérité qui impose sa légitimité voire son évidence par l’autorité morale, la contrainte ou le conditionnement de sorte à ne plus supporter la moindre remise en question et à réduire au silence tout ce qui la dément ou à disqualifier tout ce qui la contredit. La libre pensée et le libre examen se définissent toujours négativement – désormais de leur propre initiative – en tant que refus de toute forme de dogmatisme. Nous pourrions chercher à les définir plus positivement mais un tel exercice serait un paradoxe puisqu’il capturerait le mouvement de la pensée dans un cadre contraignant, enfermerait la liberté, limiterait ses possibilités et pourrait figer sous un précepte dogmatique le refus de tout dogme. Mathieu BIETLOT Coordinateur sociopolitique
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Une idée contre laquelle il n’est pas permis de s’élever Interview d’Anne Morelli, historienne des religions Dogmes religieux, politiques, économiques, Anne Morelli1 fait le point sur l’actualité du dogmatisme, un regard à contre courant d’un libre-examen parfois trop frileux.
Comment définissez-vous le dogme ? Le dogme serait une idée contre laquelle il n’est pas permis de s’élever. Il y a bien sûr des dogmes religieux (la Sainte Trinité, la présence réelle du christ dans l’eucharistie, etc.) Mais il y a aussi des dogmes politiques et des dogmes économiques. Le dogme politique actuel par excellence c’est que le meilleur régime politique possible c’est la démocratie de marché et que ce régime crée le bonheur. Une autre manière de décliner ce dogme à la mode c’est d’affir-
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mer que “seul le marché libre peut réaliser le bonheur de l’humanité” ou que la privatisation des services publics améliore automatiquement ces services. Ces idées sont des idées contre lesquelles il n’est pas bon s’élever aujourd’hui. L’idée de “dogme” est souvent associée à la religion catholique, que pensez-vous de l’actualité de cette “association” ? L’Eglise catholique est passeé par des phases très différentes. Jusqu’au concile
de Vatican II, on était évidemment dans une Église extrêmement dogmatique. Celui qui aurait remis en doute un des dogmes de l’Église aurait été considéré comme hérétique. A partir du concile de Vatican II s’ouvre une période de libéralisme pour l’Eglise. C'est-à-dire que de nombreux ouvrages, même issus des rangs de l’Église (comme le catéchisme hollandais par exemple) passaient sous silence des dogmes considérés comme ridicules ou invraisemblables. Toute une série de vérités religieuses qui étaient jusque là obligatoires ont été considérées
comme des vérités “facultatives”. C’est le cas de l’existence de l’enfer, des anges, de l’ange gardien, du purgatoire, du diable….auxquels de fait, plus personne ne croyait véritablement et qui ont été mises entre parenthèses. Mais à partir de JeanPaul II, voire déjà de son prédécesseur Paul VI, on assiste à une reprise en main de l’Église et donc, petit à petit, à une réaffirmation de ces dogmes, que l’on croyait devenus facultatifs. Ratzinger avant d’être pape a remis ces dogmes au centre de l’enseignement de l’Église et a fermement affirmé qu’il ne s’agissait pas de vérités relatives mais de vérités absolues. Concrètement, dans les années ‘70-‘80, de nombreux catholiques considéraient que la communion était simplement le symbole ou le souvenir des gestes posés par Jésus lors de la dernière cène, et cela ne semblait pas scandaleux, mais juste une interprétation libérale et moderne de la foi. Aujourd’hui on en est revenu à la version dogmatique : il faut, par exemple, pour être catholique, croire à la transsubstantiation, c’est-à-dire que l’hostie est réellement le corps du Christ et que le vin est réellement son sang. Si vous ne croyez pas cela, vous êtes protestant ou en tout cas vous vous mettez en marge de la foi catholique. On est revenu à un dogmatisme assez prononcé. Pensez- vous que ce “retour dogmatique” constitue une menace pour la laïcité ? On est aujourd’hui devant une Église qui est beaucoup moins puissante que dans les années ‘50 mais qui est beaucoup plus agressive que dans les années‘70-‘80-‘90. Les catholiques sont un petit groupe
minoritaire, mais un petit groupe qui veut garder ses privilèges, qui veut réaffirmer ses idées et qui développe une certaine agressivité en ce sens. En Belgique nous sommes peut-être dans une situation où cela n’est pas tellement visible parce que nous avons à la tête de l’Église belge, Mgr. Daneels qui est conciliant, plutôt libéral et peu enclin à intervenir directement dans les débats politiques comme ses prédécesseurs (encore que lors de la mort d’Hugo Claus il ait manifesté publiquement son opposition à l’euthanasie, pourtant organisée dans notre pays par une loi votée démocratiquement…). Mais dans d’autres pays, comme l’Espagne ou l’Italie, il y a réellement une attitude vindicative de l’Église qui est omniprésente, notamment dans les médias. On ne peut pas imaginer un Journal Télévisé Italien sans une prise de position de l’évêque ou une vue du pape. Ces Églises n’hésitent pas à prendre la parole sur des terrains moraux, mais aussi sur des terrains politiques. Par exemple, l’Eglise espagnole a appelé ses fidèles à manifester contre le gouvernement Zapatero dans de véritables et énormes manifestations politiques. Le candidat PPE que soutenaient les évêques a été battu et Zapatero réélu, mais il y a quand même cette mobilisation énorme de l’Église contre un gouvernement, contre le droit au divorce, à l’avortement ou au mariage homosexuel. Donc je crois que dans ce sens, il faut être vraiment attentif. On avait l’habitude d’avoir cette Église décadente sous nos yeux, et on disait “ce n’est plus qu’une ambulance sur laquelle il serait malséant de tirer”... Mais aujourd’hui il y a très clairement un mouvement de reprise en main dans le sens du
dogmatisme. Les catholiques de gauche, par exemple, qui remettaient en cause la vision figée des dogmes ont quasiment disparu de la scène. Francis Bacon - study for a Pope IV
En matière de dogmes, faut-il mettre l’islam sur le même pied que le catholicisme ? Je crois que les religions ont des attitudes très différentes selon qu’elles soient au pouvoir ou pas. Les catholiques au pouvoir sont extrêmement virulents, on l’a vu durant l’histoire. Les musulmans au pouvoir sont extrêmement virulents. Et lorsqu’ils sont dans “l’opposition” et minoritaires, ils peuvent être gentils et accommodants, les uns comme les autres. Mais il faut toujours imaginer quel serait le sort qu’ils réserveraient aux autres s’ils étaient majoritaires. Et là si vous regardez dans les pays musulmans le sort qui est réservé aux minorités reli-
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gieuses n’est pas du tout enviable. Je ne vous conseille pas d’être pentecôtiste en Tunisie, Témoins de Jehovah en Algérie, ou évangéliste au Maroc. Donc il y a là, véritablement une attitude de pouvoir qui est extrêmement dangereuse. L’Église catholique, lorsqu’elle est dans une situation de force fait la même chose évidemment. En Italie l’Église soutient le gouvernement et réciproquement. Elle peut donc se permettre des attitudes extrêmement violentes vis-à-vis de ceux qui ne partagent pas ses idées. Par exemple, elle remet la législation en cause. Il y a un droit à l’avortement qui existe en Italie de par un référendum mais l’Église demande aux médecins d’être objecteurs de conscience face à cette possibilité d’avorter. Cela veut dire qu’il y a des villes entières où il n’y a pas moyen d’avorter. Il vient d’y avoir un scandale à Gênes, car un médecin, soidisant objecteur de conscience, refusait de pratiquer des avortements à l’hôpital public, là où les avortements sont gratuits, mais les pratiquait chez lui et même, semble-t-il dans une clinique privée tenue par des religieuses ! On est là dans une situation d’hypocrisie totale, mais officiellement, c’est le triomphe de l’Église, puisqu’il n’y a pas/plus moyen d’avoir dans un hôpital public, un avortement tel que prévu par la loi. A votre avis, à quel moment une valeur peut-elle se transformer en dogme ? La valeur accepte d’être relativisée, le dogme a une stabilité et ne peut pas être remis en question. Moi je suis une femme de doute, donc je me pose des questions. Par exemple, le relativisme culturel, je trouve ça valable dans certains domaines
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mais quand ça rentre en conflit avec d’autres valeurs que je défends, telles que l’émancipation des femmes, je le remets en cause. Quand on m’explique que l’on excise des petites filles, le relativisme culturel entre en conflit avec une autre de mes valeurs qui est le droit des femmes à l’intégrité de leur corps et au plaisir. Une valeur est discutable, un dogme n’est pas discutable. On n’organise pas de débat sur le thème “Y a-t-il trois personnes en dieu, oui ou non ?”. Il faut y croire, sans avoir l’ombre du commencement d’une preuve. A quel moment (par exemple par rapport à l’idéal démocratique dont vous parliez tout à l’heure) peut avoir lieu ce glissement ? La démocratie est instrumentalisée par certains pour en faire un dogme. Je crois que l’on doit pouvoir en discuter. Il y a beaucoup de dogmes aujourd’hui en politique , au sujet de l’Europe, par exemple. On a très peu discuté pour savoir si on doit forcément être dans l’Europe , si c’est mieux pour nous d’être dans l’Europe si c’est inéluctable d’être dans l’OTAN, si l’Euro est lui-même inéluctable… Il n’y a pas eu , par exemple, de vrai débat en Belgique sur l’intérêt (ou non) pour la population de passer à l’Euro. C’était un dogme intangible, on partait de l’idée absolue que “l’Euro c’est bon pour nous”. Nous sommes ainsi entourés de dogmes que l’on ne peut pas remettre en cause. Pensez-vous que le mouvement laïque belge organisé actuel a une tendance à couver certains dogmes ?
Tout groupe humain a tendance à s’organiser pour défendre ses intérêts. La laïcité regroupe des personnes qui ont des vues politiques et sociales différentes et se cherchent des points communs. Mais si, comme c’est le cas pour moi, on pense que le propre de la laïcité c’est de prôner le doute je vois mal comment elle peut se construire des “dogmes” , à moins que, par un artifice rhétorique, on considère le doute lui-même comme un dogme ! Ce que j’ai retenu de Voltaire, c’est le doute systématique. Et je tente de l’appliquer à des situations très diverses. Quand on me dit : “le vieillissement de la population implique inéluctablement que vous allez devoir travailler plus longtemps”, je me pose immédiatement la question : “Est-ce prouvé ? N’y a-til pas autre chose à faire ?” Je pense donc que s’il y a une valeur commune aux laïques, c’est bien le doute et pas seulement appliqué au domaine religieux. Que pensez-vous du consensus exprimé par Mgr. Daneels et le sérénissime grand maitre du Grand Orient de Belgique autour de la notion de laïcité ouverte ? Le mot laïcité est perverti de son sens par certains. Si la laïcité c’est simplement permettre à toutes les idées religieuses de s’exprimer, cela ne m’intéresse pas. C’est là une des facettes de la laïcité, mais il y en a plein d’autres. Aujourd’hui, beaucoup de religieux – même des intégristes religieux – se revendiquent de la laïcité afin d’obtenir certains avantages pour leur communauté. Donc ils disent : “Vous êtes laïques ? Vous respectez toutes les religions ? Alors permettez- nous de déve-
lopper notre religion dans l’espace public !” Et ils proposent des comportements sociaux qui sont agressifs vis-à-vis des autres. Le mot laïcité peut être galvaudé à souhait, et je me méfie du type de “laïcité” – restreinte à une non-intervention du politique dans le domaine religieux – que des religieux préconisent. C’est étonnant de voir Eglise catholique et Franc-maçonnerie marcher main dans la main pour une laïcité ouverte face à une religion qu’ils ne citent pas, et qui serait anti-démocratique. Il peut y avoir des alliances momentanées. Il y en a notamment entre l’Église catholique et les musulmans, au niveau international. Dans les grandes conférences sur les droits reproductifs des femmes, il y a automatiquement alliance entre intégristes musulmans et Vatican pour interdire le mariage entre personnes de même sexe, pour interdire l’avortement, pour prôner des familles nombreuses etc. Dans le cadre belge, une tactique plus payante pour l’Eglise catholique que celle- là, c’est de faire alliance avec les laïques “modérés”, mais je serais prudente là aussi. En outre le goût des francs-maçons (ou du moins d’une partie d’entre eux) pour le décorum, les cérémonies, la mystique et la “spiritualité”, les pousse aujourd’hui à s’allier avec les religions. Mais pour moi, il ne faut pas être maçon pour être laïque et ces deux appartenances ne vont pas forcement de pair. Que pensez-vous de ce qui s’est passé avec Tariq Ramadan à l’ULB et de l’usage qui a été fait du principe du libre examen par l’institution académique ?
Le libre examen comme la laïcité peut être utilisé par tout le monde. Pour moi, c’est une notion très ouverte. En ce qui me concerne, j’aurais préféré qu’on le fasse venir pour la Xième fois. J’ai déjà eu l’occasion à l’ULB de modérer un débat entre Alain Gresh et Tariq Ramadam qui, selon moi, s’était bien déroulé et qui avait montré les limites du dialogue possible avec ce dernier interlocuteur (par exemple sur l’évolution). je ne pense pas qu’il soit à ce point dangereux, qu’on ne puisse lui donner la parole une nouvelle fois. Je crois donc qu’il s’agit d’un libre examen frileux s’il a peur d’être entamé par le Xième rendez-vous à l’ULB de Tariq Ramadan. C’est paradoxal d’invoquer le libre examen pour interdire quelque chose. Evidemment, le libre examen doit nous permettre d’examiner librement toutes les thèses et toutes les théories et d’en juger. Et non de rester sourd ou de refuser de prendre en considération les propos de certains. Mais il ne faut pas non plus être candide et ouvrir la porte à tous les prosélytismes religieux sans leur opposer de contradiction. Si l’on discute avec un croyant et que l’on se présente comme athée ou agnostique, la question de la foi et de l’engagement revient souvent. La foi serait indispensable à l’engagement ? C’est très courant comme attitude et… très insultant. Beaucoup de croyants, qu’ils soient catholiques, musulmans ou autres, considèrent que le propre de l’homme, c’est d’être religieux. Et si vous et moi nous nous disons non-
croyants, nous sommes à mi-chemin entre l’animal et l’être humain. A tel point qu’aujourd’hui, il y a même des athées qui disent “moi aussi j’ai une spiritualité”. Mais c’est quoi une “spiritualité” ? Dans le dictionnaire, on lira “spitituel : se dit de ce qui concerne l’âme”. Comme moi je n’ai pas d’âme, je n’ai donc pas de spiritualité. J’ai des émotions, des réflexions,une sensibilité mais pas de “spiritualité”. A force de s’entendre dire que si on n’a pas de spiritualité on n’est pas un être humain, il y a beaucoup d’athées ou d’agnostiques qui s’inventent une spiritualité laïque. C’est quelque chose de tout à fait contradictoire. On serait athée et on aurait une âme ! Cela me semble quelque chose d’absurde, au même titre qu’un “viol affectueux” par exemple. Si je suis athée, je considère que je n’ai pas d’âme et que quand je meurs, tout est fini. C’est dommage mais c’est comme ça. Et c’est pareil pour un lapin ou une mouche : je ne suis pas beaucoup plus qu’eux, juste un peu plus évoluée dans le règne animal et c’est tout. Je n’ai donc pas de “spiritualité”.
Propos recueillis par Thomas LAMBRECHTS Délégué à la communication sociopolitique
1 Directeur-Adjoint du centre interdisciplinaire d'étude des religions et de la laïcité (CIERL) de l'ULB Auteur de “Les religions et la violence” avec Lemaire Jacques et Suzanne Charles (1998)
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Et si l’on
“dédogmatisait” le dogme ? Un regard anthropologique sur la transmission et l’appropriation du dogme religieux n étudiant des groupes religieux controversés, souvent définis comme “fondamentalistes”, la question du dogme et de ses modalités de transmission me taraude au quotidien. Cela fait bientôt plus de deux ans que je m’intéresse au christianisme émergent à Bruxelles. Mon “étude de terrain”, comme il est communément convenu de l’appeler dans la profession, est constituée par une petite constellation d’églises pentecôtistes à Bruxelles. Pour limiter mon champ d’étude, ce sont les ressortissants des continents latino-américain et africain qui constituent la majorité de mes interlocuteurs. Ceux-ci, pour telles ou telles raisons, ont décidé d’intégrer une église ou d’en fonder une. Ce choix s’inscrit souvent de manière significative dans leurs
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parcours migratoires et contribue, dans le même mouvement, à lui donner une nouvelle cohérence.
s’agit d’une croyance hissée par ses défenseurs au rang de principe incontestable.
En anthropologie religieuse, on ne peut aborder le concept de dogme séparément des notions d’idées, de croyances, et de pratiques religieuses. Le dogme fait en effet partie intégrante d’un système religieux et interagit de façon dynamique avec les divers éléments qui forment ce même ensemble. Selon Rodney Needham1, la différence entre une idée et une croyance est plus une différence de degré que de nature. La croyance est une idée qui, au cours du temps, a acquis plus de vivacité et d’intensité. Le dogme religieux, quant à lui, pourrait être placé à l’extrémité de ce continuum puisqu’il
Engagement corporel, émotions et contenu des messages religieux Au cours des entretiens et des discussions que j’ai avec différents interlocuteurs, ma curiosité est guidée par ces questions : “Comment ces personnes sont-elles arrivées dans cette Église ? Quels sont les éléments qu’elles retiennent a posteriori pour expliquer cette appartenance pentecôtiste ?”. Pour certains, c’est l’effervescence émotionnelle qui se dégage lors des cultes qui est primordiale. Celle-ci est alors mise en opposition directe à la situation d’anomie
Henri Matisse - la danse
et d’isolement provoquée par la situation de migrant récent sur le territoire belge. Ils soulignent la joyeuseté qui se dégage des moments rituels ponctués par les chants, la louange et l’exhortation. Le partage et la complicité qui se nouent au travers des prières collectives semblent significatifs dans leur parcours spirituel. Ils reprochent également à l’Eglise catholique belge la pratique de messes “froides” et la rigidité des rituels. Il est vrai que la spontanéité et l’expressivité constituent des traits caractéristiques de la pratique religieuse pentecôtiste. Des événements biographiques douloureux (rupture familiale, divorce, décès, solitude…) les mènent aussi parfois à pousser la porte de ces espaces de consolation. Au travers de ces nombreux entretiens, je ne retrouve pas la trace d’un attrait purement idéologique pour ces Églises pourtant dispensatrices d’un grand nombre de principes et de normes concernant les vérités revendiquées. Les messages religieux ne sont pas évoqués, du moins formellement, et ne semblent pas déterminants dans le discours de la majorité des interlocuteurs. Il semble que la pratique de l’Église, bien plus qu’une adhésion aux dogmes chrétiens ou autres discours théologiques, constitue une étape primordiale dans le processus de conversion. Tout se passe comme si on adhérait d’abord à des pratiques puis le discours viendrait se greffer et donner sens à ces pratiques par la suite. Cela nous amène à reconsidérer la dimension exclusivement propositionnelle des messages religieux. Rarement, l’adhésion à la doctrine passe par une acceptation purement intellectuelle de son contenu. D’autres phénomènes
entrent en ligne de compte : l’engagement corporel (danse, chant, …etc.), le pouvoir des objets cultuels, la participation émotionnelle ou encore le contexte d’interaction sociale dans lequel se déroulent les événements religieux. Les cultes sont aussi l’occasion de tisser de nouveaux liens sociaux. Cette configuration relationnelle particulière n’est pas sans incidence sur la réception du message religieux par le nouveau fidèle. Tous ces phénomènes à l’œuvre simultanément lors des cultes englobent les messages et leur contenu, les incarnent et parfois même les dépassent. L’image d’une assemblée d’individus tel un tableau blanc sur lequel le pasteur viendrait imprimer les idées et principes religieux ensuite adoptés par les fidèles ne correspond pas à la réalité. Car, comme le rappelle Paul Veyne, “le vrai but d’une
idéologie ou phraséologie n’est pas de convaincre et de faire obéir mais plutôt de faire plaisir, en donnant aux gens une bonne opinion d’eux-mêmes”2. Dans le contexte pentecôtiste, le pasteur parle de ces “hommes et femmes d’exception” qui constituent l’assemblée, ces “enfants de dieu” si différents de la banalité et de l’immoralité caractéristique du reste du monde. Synergie entre dogmes, pratiques et biographies individuelles Mais alors, si les contenus doctrinaires ne semblent pas retenir l’attention des nouveaux convertis dans les premiers temps de leur cheminement spirituel, qu’est ce qui les amène finalement à faire leur les croyances et les dogmes ? Par quel pro-
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cessus se les approprient-ils ? Comment ces idées religieuses acquièrent-elles une force, une réalité pour les fidèles qui les adoptent, et qui, à leur tour, les diffusent ? Deux processus me semblent pertinents pour amorcer une réponse à ces questions. Le premier, largement documenté par Kenneth Livingstone3, est celui de l’existence d’une synergie entre le contenu doctrinaire et les pratiques religieuses s’y référant. Cet auteur prend l’exemple du bouddhisme Theravada qui prône la rupture avec l’illusion de permanence qui enferme l’individu dans le cycle infini de la mort et de la naissance. Les pratiques de méditation qui sont recommandées dans ce cadre religieux ont pour effet de mobiliser la zone du cerveau relative à la conscience, à la présence à soi et au lien entre l’individu et son environnement. Le pratiquant va donc au travers de ces pratiques expérimenter des sensations nouvelles qu’il interprètera par la suite au travers de la grille de lecture religieuse. Les sensations rapportées de ne faire qu’un avec l’environnement immédiat, de prise de conscience de l’aspect éphémère des choses terrestres viennent alors confirmer la doctrine. Dans le cadre de mes recherches sur les Églises pentecôtistes, cette confirmation est également rapportée par les fidèles. Ce mouvement religieux, comme son nom l’indique, accorde beaucoup d’importance à l’événement de la pentecôte et donc à la descente de l’Esprit-Saint sur les humains. Ils actualisent cet événement aujourd’hui et cette manière d’entrer en
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connexion avec le surnaturel colore les cultes. Une des manifestations de l’action de l’Esprit-Saint sur le monde est la glossolalie (don de parler spontanément une langue étrangère), moment de prière au cours duquel le fidèle entre en communication avec le dieu chrétien. Celui-ci, emporté par le flot de ses paroles et de ses supplications, devient, selon la grille d’interprétation offerte par la doctrine pentecôtiste, le réceptacle de la présence divine. Ses mots deviennent incompréhensibles et d’autres phénomènes adjacents attestent de cette prise de contrôle divine sur sa vie. Il s’agit principalement de voix étranges qui se font entendre, de gesticulations en tout genre, de fidèles qui s’écroulent sur le sol, de pleurs et de cris. Cette irruption de l’incontrôlable (même si l’ “inattendu” n’échappe pas à un ensemble de règles et de normes) vient confirmer l’existence de forces supérieures qui dirigent la vie des humains, du “plan de dieu pour les hommes”. Le deuxième processus qui permet d’illustrer l’appropriation par les fidèles de messages religieux est celui de l’imbrication entre le contenu du message et la biographie personnelle du fidèle. Certains principes doctrinaires entrent en résonance avec les souffrances ou les conflits émotionnels internes des individus. Peter Stromberg4 rapporte le cas de Jane, une fidèle évangélique américaine qui a connu une rupture familiale importante. Elle parle alors à l’anthropologue des relations qu’elle entretient avec sa famille en termes de distance, d’éloignement. Dans son récit de conversion, elle associe cette distance, objet de souffrance, avec l’amour inconditionnel du Seigneur qui l’aime de
manière absolue. La proximité inhérente de cette nouvelle relation semble apaiser, d’une certaine manière, les difficultés que Jane éprouve par rapport à la froideur de ses liens familiaux. Cette mise en perspective opérée par l’interlocutrice nous montre comment un dogme, une idée religieuse (“Dieu t’aime de manière inconditionnelle, absolue”) acquiert une réalité dans un contexte biographique particulier. Au travers de ces quelques exemples empiriques brossés ici à grands traits, nous avons vu que plusieurs processus concomitants sont à l’œuvre dans la transmission des dogmes. Ceux-ci concourent à donner corps et vie aux doctrines religieuses. Loin d’en faire une reprise rigide, les fidèles appréhendent les messages religieux de manière dynamique.
Maïté MASKENS Doctorante en Anthropologie Centre Interdisciplinaire d’Études des Religions et de la Laïcité
1 Rodney Needham, Belief, Language and Experience, Chicago, University of Chicago Press, 1972. 2 Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien (312394), Paris, Éditions Albin Michel, 2007, p. 237. 3 Kenneth R. Livingston, “Religious Practice, Brain and Belief”, Journal of cognition and culture, 5. 1/2. Leiden, Koninklijke Brill, 2005, pp. 75-117 (43). 4 Peter G. Stromberg, “Language and Self-Transformation. A study of the Christian conversion narrative”, Cambridge, Cambridge University Press, 1993.
Dura lex sed lex ? a loi, perçue par certains comme le bastion intolérable de la coercition étatique, par d’autres comme l’unique rempart garant du contrat social et de la démocratie, se retrouve trop souvent instrumentalisée et dénaturée. L’aspect dogmatique des lois ne tient pas tant, selon nous, à l’obligation générale de les respecter car cette hypothèse soutiendrait la remise en question de leur existence même et nul n’est besoin ici de rappeler le rôle primordial qu’elles jouent au sein de toute société.
les hommes, par exemple en matière d’emploi, sont égaux en droit et inégaux de fait).
C’est la manière par laquelle certains se reposent sur ces textes afin d’affirmer une vérité, de couper court à tout débat, d’empêcher toute remise en question et, partant, toute amélioration au sein de la collectivité qui soulève certains questionnements. La posture laïque et citoyenne préconise de respecter les lois justes mais de faire entendre sa voix lorsque des lois ne sont pas ou plus adaptées à la société.
Par ailleurs, lorsqu’elle s’avère “juridiquement irrégulière”, une opinion politique peut se trouver exclue du débat. La question de la dépénalisation de l’usage des drogues est révélatrice de ce phénomène. L’opposition soutient que la dépénalisation est impossible car elle violerait divers traités internationaux. C’est un argument massue. On suppose qu’aucune remise en question n’est possible. Or, l’interprétation des conventions internationales n’est pas univoque et il existe des mécanismes permettant d’émettre des réserves ou encore de relancer le débat pour parvenir à une modification du traité.1
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Partons de deux réalités : d’abord, si le droit positif suppose une adaptation aux besoins inhérents à une société en constante évolution, il se trouve en retard constant par rapport à celle-ci. Ensuite, l’égalité en droit ne se marie pas toujours avec l’égalité dans les faits (les femmes et
Pour autant que l’égalité soit assurée en droit, un combat pourrait trop souvent passer à la trappe ; les politiques se désintéressent généralement des problèmes qui subsistent. L’argument juridique entrave dès lors la contestation. Considérons le droit égal à l’enseignement : si celui-ci est inscrit dans la loi, les inégalités sociales demeurent flagrantes.
A coté de la loi écrite, le principe de droit international dit “de précaution” est encore
un frein à l’adoption de nouveaux textes adaptés à l’évolution de la société et des idées (les réticences concernant l’adoption de la loi sur l’homoparentalité en sont l’exemple). Outil indispensable à la prise de décision, il incite les élus à s’abstenir de légiférer tant que toutes les conséquences de cette décision n’auront pas pu être étudiées. Ce principe devrait être utilisé précautionneusement afin de ne pas entraver les prises de décisions en adéquation avec les structures sociales. A la lumière de ce qui précède, nous constatons que la loi, par le biais de la doctrine de l’Etat de droit, pourrait être la justification d’inégalités, la légitimation ou la déviation d’une position du pouvoir, bref la justification de la décision politique en tant qu’argument d’autorité. Ce phénomène de “dogmatisation du droit” ne s’avère cependant pas cantonné aux agissements des pouvoirs publics. Nombres d’individus évoquent le droit afin de couper court à une discussion, de faire valoir certains de leurs « droits » de manière abusive ou encore d’essayer de justifier la prétendue impossibilité citoyenne de soutenir certaines causes.
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Il demeure important de ne pas se laisser anesthésier par un discours dogmatique du genre “le droit l’affirme et des experts le garantissent, il ne faut donc pas trop réfléchir”. Nul n’est dispensé de la réflexion personnelle et politique permettant de se forger sa propre opinion. L’adhésion au droit doit demeurer le fruit d’une démarche critique.
reconnue dans notre code pénal en son article 71.
Si la création d’une règle n’est pas exclusivement dictée par des critères juridiques, le droit n’est jamais que politique. La réalité sociologique révèle que les choix des décideurs sont dictés, non seulement par des raisons d’ordre personnel, mais aussi par des contraintes qui L’idée d’un droit limitent leur étendue Entendez-vous qu’il faut se souperçu comme sys(la dépénalisation de mettre aux lois de la société dont tème fermé et inflexil’avortement apparaît on est membre ? Il n’y a pas de difble est régulièrement être, sous l’impulsion ficulté à cela ; prétendez-vous que remise en cause par de la société civile, si ces lois sont mauvaises, il faut la doctrine juridique un compromis entre garder le silence ? Ce sera peutactuelle. Même (et certains partis et être votre avis, mais comment le surtout) pour le juge, l’Eglise avec ses législateur reconnaîtra-t-il le vice l’interprétation des nébuleuses). de son administration, le défaut de textes de la loi conses lois, si personne n’ose élever la stitue une réalité Dans cet esprit, le voix ? Et si par hasard une des toujours présente. rôle du juge se verra détestables lois de cette société Enoncer qu’un texte largement renforcé décernait la peine de mort contre est clair fait déjà par rapport à la doccelui qui osera attaquer les lois, partie d’une interprétrine formaliste clasfaudrait-il se courber sous le joug tation ; dans toute sique. Ce juge, tout de cette loi ? Diderot interprétation, existe en interprétant selon une part de création. la volonté du législaLa théorie jurisprudentielle de l’état de teur, s’assure du fait que les règles édictées nécessité comme cause de justification soient appliquées en fonction des valeurs illustre ce phénomène créateur. Elle socialement admises (la loi punit le vol mais concerne la situation dans laquelle se le juge ne punira pas forcément la mère trouve une personne qui, pour sauvegar- démunie qui vole une pomme pour nourrir der un intérêt supérieur, n'a d'autre res- son enfant affamé). source que d'accomplir un acte prohibé par la loi pénale. Le médecin qui est Le juge est dès lors considéré comme un appelé pour une urgence et se gare en des acteurs permettant au droit positif de double file pour sauver la vie de son rester en concordance avec le droit vivant. patient mourant est un exemple fréquent ; Pourtant, l’acteur principal se révèle être la la vie est communément considérée société elle-même. Le législateur crée, comme intérêt supérieur à la fluidité du abroge, modifie des lois, et celles-ci sont trafic. Cette théorie s’est vue par la suite susceptibles de tomber en désuétude. Le
citoyen, lui, donnera l’impulsion nécessaire aux changements ; ses silences sont perçus comme indice de soutien au statu quo. La folie, disait A. Einstein, c’est de se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent… Ainsi, si chacun se tait, le gouvernement ne réagira pas. La rédaction des accords concernant la régularisation des sanspapiers tels qu’ils furent négociés quelques mois plus tôt, par exemple, ne sera probablement jamais à l’ordre du jour. En revanche, si les citoyens se mobilisent en masse pour dénoncer ces injustices, pour crier l’inadéquation des lois et des agissement actuels concernant la politique d’immigration avec la réalité vivante de la société et les aspirations des citoyens, les politiques n’auront d’autre choix que de s’expliquer et le cas échéant d’y conformer le droit. Les mots de Gilles Deleuze “résister, c’est créer” ne pouvaient trouver meilleur domaine d’application que celui du droit ! Être homme, c’est précisément être responsable. C’est connaître la honte en face d’une misère qui ne semblait pas dépendre de soi. C’est être fier d’une victoire que les camarades ont remportée. C’est sentir, en posant sa pierre, que l’on contribue à bâtir le monde. Saint-Exupéry La réalité de la notion de démocratie contraint les pouvoirs publics à entendre la voix des citoyens et à y répondre par l’adoption des textes. Si les pouvoirs publics n’entendent pas cette voix (ou font la “sourde oreille”), il est du devoir des
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citoyens de parler plus fort jusqu’à être entendus. A ce stade, des moyens légaux existent : aussi bien le droit de manifester, le droit d’interpeller les pouvoirs publics, la liberté d’expression sur la place publique, le droit de pétition, les médiateurs fédéraux, les recours en justice… Si le pouvoir ne réagit pas et laisse derrière lui les appels de sa population en adoptant des lois injustes, balayant les fondements mêmes de sa légitimité, il viole les droits du peuple. Robespierre déclara ce qui fut repris dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1792 en son article 35 : “Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple le plus sacré et le plus indispensable des devoirs”. La désobéissance civile face aux injustices criantes d’un système politique dit démocratique ne devrait cependant être encouragée qu’après réelle circonspection et à titre d’exception. Aucun système n’est infaillible. Des décisions adoptées par les élus selon des formes apparemment légales peuvent être le fruit de jeux d’influences occultes très éloignées du souci de l’intérêt général : décisions technocratiques, lobbies, corruption, corégulation illégitime peuvent se rencontrer dans le moins mauvais des régimes. Dans de telles failles, une légitimation de l’idée de désobéissance civile pourrait se glisser, notamment lorsque des décisions aux suites irréversibles pourraient être adoptées. Très éloignée du “chacun sa loi”, une telle désobéissance civile pourrait être perçue comme un moyen formateur, limité dans le temps et dans son objet, destiné à
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ouvrir le débat public sur une question grave et urgente. Plutôt que de contester la démocratie, elle vise à la défendre en la protégeant de ses maux.
péenne “de la honte” qui chemine au sein de notre gouvernement, nous ne pouvons que constater que nos élus ne nous entendent pas, que la loi est en inadéquation avec notre société, que des lois supérieuAucune violence ne res sont constamLes mouvements citoyens tels les semble se manifester ment violées, que collectifs sont des producteurs de dans l’esprit de l’Etat abuse illégitimesavoirs populaires et démocratila désobéissance ment de sa violence. ques, des révélateurs de problècivile : l’opposition à Nous conclurons dès mes émergents. Les mouvements la loi cohabite avec la lors en citant les célède désobéissance civile et d’actifidélité à une loi bres vers de Martin visme non-violent sont la vie considérée comme Niemöller : même d’une société démocratique supérieure. La vio“Lorsque les nazis si la démocratie n’y est pas réduite lence, qu’elle soit sont venus chercher à l’art de gérer un troupeau. Si les économique, psychiles communistes ; Je chercheurs du possible contre le que ou physique est me suis tu, je n'étais probable sont criminalisés, rien ne vue comme le fait de pas communiste. pourra faire obstacle au désespoir, l’Etat qui l’exerce et Lorsqu'ils sont venus au cynisme, à une violence aussi qui seul dispose, chercher les syndicaaveugle que celle qui la provoque. selon Weber, d’une listes ; Je me suis tu, Isabelle Stengers “violence légitime”. je n'étais pas syndicaliste. Des médecins ont pratiqué illégalement Lorsqu'ils sont venus chercher les sociauxl’interruption volontaire de grossesse avant démocrates ; Je me suis tu, je n'étais pas que l’Etat arrive enfin à un accord aboutis- social-démocrate. sant à la loi du 5 avril 1990. D’aucuns occu- Lorsqu'ils sont venus chercher les juifs ; Je pent actuellement illégalement des habita- me suis tu, je n'étais pas juif. tions vides pour tenter de mettre au grand Puis ils sont venus me chercher ; Et il ne jour et modifier la politique du gouverne- restait plus personne pour protester.” ment en matière de logement, dénoncent une promotion immobilière excessive qui Alexis MARTINET provoque la prolifération offensante de juriste chancres urbains et l’augmentation excessive des loyers. La commission drogue du CAL a consacré une étude approfondie sur le sujet et a justement profité de cette possibilité d’interprétation des traités pour rédiger une proposition de loi et d’arrêté royal concernant la réglementation des drogues. Ces documents sont consultables en suivant l’url http://www.ulb.ac.be/cal/commissions/drogues/Commission _Drogues.html Voyez également notre dossier : “Avaler la pilule de la prohibition” Bruxelles Laïque Echos, n°60, 1er trimestre 2008.
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Aux vues de l’intolérable politique actuelle relative aux sans-papiers, des rafles, de l’enfermement en centres fermés, de la pénalisation de l’aide apportée à des hommes, femmes et enfants sans titre de séjour valable, du projet de la circulaire euro-
Quel féminisme pour une laïcité interculturelle ? armi les principes chers à notre mouvement, l’égalité des genres s’érige comme un fleuron, comme la plus-value qui nous permettra de marquer “notre différence dans le débat philosophique qui nous oppose aux religions”1.
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D’un côté, l’engagement dans des combats comme celui pour la dépénalisation de l’avortement a placé notre mouvement à l’avant-scène des luttes pour l’émancipation des femmes. D’un autre côté, la démarche des féministes – que cela soit à l’époque des Lumières, lors de son émergence, ou lors de la 2ème grande vague du mouvement, au 20e siècle –, consiste à déconstruire et à dénoncer la supériorité et l’universalité du sexe masculin dans le Droit naturel (Olympe de Gouges, Wollstonecraft) et dans les savoirs (Simone de Beauvoir). Cette démarche pleinement libre-exami-
niste démontre les irrationalités au sein du Droit et au sein de la pensée scientifique. Une bonne partie du travail critique de figures comme Simone de Beauvoir s’est attaché à dénoncer le fait que les sciences (naturelles et humaines) “oublient” d’appliquer à elles-mêmes la critique méthodologique d’interrogation de leurs idées fondatrices ; cette critique permettrait de mettre en question le postulat de bon nombre de disciplines qui définissent les femmes comme les “autres”. Néanmoins, au delà de l’engagement laïque dans la lutte pour l’égalité des genres et des fondements libre-exaministes de la démarche féministe, les moyens proposés actuellement par une majorité de militants laïques pour atteindre l’égalité flirtent avec une “tentation dogmatique” : celle d’imaginer qu’il y aurait un seul modèle d’émancipation et un seul moyen d’y parvenir.
Laïcité et féminisme : même combat ? Ces deux mouvements semblent se fondre dans une même démarche et semblent partager des objectifs communs. Certains auteurs affirment que “Le féminisme est une plante qui ne peut pousser que dans le terreau de la laïcité”2. Faut-il être laïque pour être féministe ? Toutes les femmes qui, un jour ou l’autre, prennent conscience de leur condition, se révoltent contre une configuration des rapports de genre qui les placent dans une position de subordination et s’engagent dans la lutte pour changer cette situation peuvent être appelées féministes. Cette prise de conscience se fait à partir de l’expérience de chacune, elle-même façonnée à partir du contexte où elle a évolué. Il y a une infinie diversité de fem-
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mes et elles ne composent pas un groupe social déterminé. Avant d’avoir conscience d’être femme et subordonnée en tant que telle, on appartient à une classe, à un “groupe ethnique”, à une communauté, etc. Souvent, la prise de conscience de la discrimination de genre vient se greffer sur d’autres discriminations sociales, de couleur de peau, d’appartenance à une communauté, d’orientation sexuelle, etc. C’est à partir de l’appartenance à un contexte spécifique que les femmes s’inscrivent dans une démarche féministe et c’est en identifiant ce qui est à l’origine de leur subordination qu’elles développent leur action. Cela peut inclure une remise en cause des croyances religieuses, mais pas toujours et pas nécessairement. Il est possible de remettre en cause certains dogmes religieux, qui seraient à l’origine de l’inégalité de genre, sans toutefois renoncer en bloc à l’idée de l’existence de dieu. Par exemple, il existe actuellement, un mouvement qui prône une re-lecture des textes religieux, notamment parmi les féministes musulmanes, et qui remet en cause le statut inférieur des femmes au sein de leur communauté. Cette démarche peut ne pas être laïque, mais elle est anti-dogmatique et définitivement féministe. Ainsi, au sein de chaque groupe social et de chaque société, les femmes vivent des formes spécifiques d’oppression, d’où la difficulté à unifier les stratégies pour arriver à l’égalité : à partir de chaque contexte, les moyens adaptés pour abolir
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les discriminations doivent être ciblés puisqu’ils s’attaquent à un mécanisme de domination particulier. Plus que le fait de partager le même sexe, c’est l’universalité de leur subordination qui rapproche les femmes et, malgré les combats gagnés, aucun pays ou aucune société ne peut se targuer d’être arrivé à vaincre le patriarcat. Même les sociétés démocratiques, où la laïcité est reconnue, où l’égalité de genre est acquise au niveau juridique, où la loi proscrit les discriminations n’ont pas réussi à détruire l’inégalité de fait, le plafond de verre, la double journée de travail, la sous représentation politique des femmes…
que des femmes dans leur combat et, ce faisant, ils ont ajouté de la cohérence à leur démarche, s’inscrivant dans une tradition anti-dogmatique et libre-exaministe. La laïcité n’a pas permis, à elle toute seule, de créer une société égalitaire pour tous les sexes, c’est pour cela que la lutte féministe continue. Mais, le féminisme ne peut être véritablement universel que s’il prend en compte les différences de contexte qui sont à l’origine des différentes stratégies de libération des femmes. Conquêtes du féminisme libéral… En Europe, la conquête de l’égalité formelle s’est faite d’abord à travers le suffrage universel, puis sur base d’autres politiques de promotion de l’égalité des genres majoritairement et traditionnellement issues d’une vision libérale de l’individu et du féminisme. A partir de cette vision, qui est en filiation directe avec les idéaux de la Révolution française, la liberté individuelle et l’égalité sont les deux axes principaux de la lutte.
Certes, historiquement, le combat laïque a réussi à préserver l’espace public des dogmes religieux qui instauraient l’inégalité des genres, mais ce sont les femmes qui ont démontré où s’arrêtait l’universalité prônée par les Lumières, où se situaient les limites des raisonnements progressistes. Le mérite des militants laïques a consisté à intégrer pleinement, mais ultérieurement, cette démarche criti-
Ce courant estime que les réformes des lois vont permettre d’atteindre l’égalité complète : les sociétés démocratiques modernes seraient perfectibles et passibles d’être mieux adaptées aux femmes. Dès lors, un effort doit être fourni en termes de lutte contre les valeurs rétrogrades, souvent véhiculées par les religions, rendant possibles les discriminations. Alors, les moyens les plus efficaces pour enrayer les discriminations seraient la représentativité politique des femmes, l’éducation non-sexiste et un arsenal juri-
dique approprié à la lutte contre les discriminations. Dans la vision libérale du féminisme, on croit à la possibilité d’atteindre l’égalité des genres dans le système actuel. C’est pour cette raison qu’on appelle ce courant “réformiste” ou “modéré” et ce malgré les apparences combatives que ses tenants pourraient endosser. En effet, les féministes libéra-ux-les seront souvent mal à l’aise avec les lois sur la parité, les systèmes de quotas et autres mécanismes basés sur l’identité de genre qui tentent de proposer des solutions aux échecs des mesures formelles. Finalement, dans cette perspective, l’universalisme libéral serait tout à fait capable de s’accommoder des différences de toute sorte si toutefois l’individu se montre capable de laisser ses appartenances de côté au sein de la sphère politique. Nous sommes dans une grille de lecture, inscrite dans la tradition moderne qui, depuis Descartes, repose sur le mythe du sujet en tant que substitut de Dieu dans la philosophie : sujet conscient, autonome, unifié, rationnel, calculateur, transparent... Cette tradition se traduit, dans le domaine politique, par une conception des citoyens équivalents entre eux et abstraits, déliés de leurs particularités et imperméables à une quelconque détermination sociale, économique, culturelle ou politique qui engendre la maîtrise d’un groupe dominant sur les autres composantes de la société. A un tel niveau d’abstraction, tous les individus peuvent être dit égaux en droit alors que dans les faits cette conception masque la maîtrise d’un groupe domi-
nant sur les autres composantes de la société. Toute la pensée “post-moderne” (psychanalyses, anthropologues, philosophes, etc.) a consisté à déconstruire ce dogme de l’individu et à montrer qu’il ne correspond en rien à la réalité des hommes et des femmes concrèt-e-s. … et défis féministes de la laïcité interculturelle. Face à l’échec des mesures formelles (accès au droit de vote, égalité juridique) pour donner une place aux femmes dans la sphère publique et dans un contexte d’effervescence sociale et politique, émergent d’autres positions et d’autres voix. Certains vont qualifier ces nouvelles démarches féministes de “radicales”. Ce courant radical va dénoncer l’impossibilité de lutter contre l’oppression des femmes sans une profonde remise en question des fondements de la société, de la démocratie et des rapports sociaux. Les réformes ne suffisent pas à distribuer le pouvoir et les ressources entre l’ensemble des citoyens. Le changement que les femmes exigent n’est pas une adaptation du système à leurs intérêts sur base de mesures d’exception, mais une part active dans la prise des décisions qui concernent la chose publique et “si les impératifs sociaux sont tels que la majorité de la population ne puisse s’y adapter, c’est qu’ils sont inadéquats et qu’il faut les changer.”3 De même, le courant radical s’est nourri de l’analyse d’autres féminismes, venus d’ailleurs, nourris des expériences de femmes noires, des lesbiennes, des transgen-
res, des femmes du Sud et, en général, des femmes issues des sociétés postcoloniales. Elles ont dénoncé la réalité des discriminations multiples et le vécu d’un quotidien marqué par le racisme et les injustices à l’égard de leur communauté ou de leur “race”. Pour beaucoup d’entre elles, la prise de conscience de leur oppression en tant que femmes est indissociable de la prise en compte de l’oppression qui les rend aussi solidaires avec leurs hommes. Les constats qu’elles apportent exigent l’élargissement des stratégies de lutte contre les inégalités. Plus que jamais, les voies pour l’émancipation des femmes semblent se multiplier et se diversifier. Néanmoins, malgré cette richesse, nous retrouvons, dans nos sociétés occidentales confrontées à la diversité de leur population, un discours excluant et stigmatisant qui, sous couvert d’un discours émancipateur, prône une seule voie, prétend verrouiller la démarche de lutte pour l’égalité de genre et l’utiliser pour créer une division et une classification entre les femmes. Les démarches qui visent à dénoncer le sexisme spécifique au sein d’un groupe social – souvent ethnicisé – le qualifiant “d’extraordinaire” provoquent, à juste titre, le refus des femmes que ce discours voudrait émanciper. De même, en dénonçant le sexisme chez les “autres” on tente de nier les inégalités présentes dans toute la société. Cette démarche se présente comme féministe, mais “tout ce qui minimise le patriarcat ou
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la conscience de son existence va à l’encontre du féminisme comme action et comme théorie”4. Pour une laïcité sensible à la polyphonie féministe et féminine Tout au long de son histoire, la laïcité a su intégrer les voix de ceux et de celles qui ouvrent des brèches dans la pensée unique. Actuellement, le défi est celui d’intégrer ces nouvelles voix féminines qui dénoncent le fait que l’égalité entre les sexes prétende être l’apanage d’un seul groupe social. Idéalement, la laïcité devrait enrichir son projet du “vivre ensemble” tout en créant des alliances avec des femmes qui se retrouvent dans cette intention anti-dogmatique. Mais, attention “si on dit que l’égalité homme-femme ne se conçoit qu’en se débarrassant des religions, aucune femme croyante n’adhèrera à cette idée d’égalité parce qu’elle percevra le féminisme comme une menace pour ses valeurs religieuses. Tout en sachant, en plus, que les hommes pratiquant la même religion auront vite fait de diaboliser le féminisme…”5 Dans la démarche actuelle du mouvement laïque belge, qui vise à créer des “rencontres avec (… ) celles qui aspirent à la reconnaissance de leurs droits et s’organisent pour se défendre et y parvenir”6 une attitude d’ouverture pour une polyphonie féministe semble plus nécessaire que jamais. Paola HIDALGO Déléguée à la communication sociopolitique
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P Galand “Regards sur la laïcité. Vers une société plus juste”. Passerelles n°66 p 9. Teresa López Pardina in “Feminisme et laïcité” Révue Chimères, n° 65 p138. 3 F Collin “La démocratie est-elle démocratique ?”, repris dans “Cahiers du Grif” (La société des femmes), Bruxelles, Ed Complexe, 1992. 4 C Delphy “Antisexisme ou antiracisme ? Un faux dilemme” Nouvelles Questions féministes, n°1 – 2004, p 77. 5 Mwana Muke “Je suis une féministe bourgeoise” http://www.feministes.net/ 6 P Galand “Regards sur la laïcité. Vers une société plus juste”. Passerelles n°66 p 9. 1 2
LIVRE-EXAMEN
Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité. [Judith Butler • Ed. La Découverte/Poche • 276 pages • 2005]
La phrase “on ne naît pas femme, on le devient” de Simone de Beauvoir, guida la pensée et les actions de plusieurs générations de féministes, permit la déconstruction des catégories sexuelles et la création du “genre” comme concept. Depuis son apparition, on cessa de considérer les sexes de manière dogmatique et la destinée des femmes pût s’affranchir du poids des traditions qui voulaient la reléguer dans le domaine du privé, dans une maternité subie et dans la fatalité d’un corps qui ne leur appartenait pas.
uelques décennies plus tard, Judith Butler pousse la réflexion plus loin et tente de déconstruire le concept de genre. Elle s’interroge sur sa “naturalisation”, sur un déplacement du dogme – autrefois lié à la naturalisation du sexe – vers la sphère culturelle. Si le genre est une construction, se demande Butler, comment le construiton ? Quelle matrice sexuelle permet de penser cette construction ? “De quoi parle-t-on lorsqu’on parle d’“identité” ? Et qu’est-ce qui nous fait croire que les identités sont identiques à elles-mêmes, qu’el-
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les le restent dans le temps, dans leur unité et leur cohérence interne ?”1 Les réponses proposées dans l’ouvrage nourrissent et se nourrissent de la pensée queer : une démarche qui interroge l’“hétéronormativité”, ce dogme qui érigerait l’hétérosexualité comme modèle, à côté duquel les autres préférences sexuelles seraient les “troisièmes sexes”. Loin de limiter par ce questionnement la force subversive du féminisme, il l’ampli-
fie, pour conclure sur la question “Quelles autres stratégies locales de contestation du 'naturel' pourraient nous conduire à dénaturaliser le genre en tant que tel ?”2 Paola HIDALGO
1 J. Butler, Trouble dans le genre, traduit de l’anglais (États Unis) par Cynthia Kraus, Ed La Découverte, Paris 2005/2006 pour la trad. Française, p. 85. 2 Ibidem p. 276.
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L ’ a u t r e et le bien commun Du pluralisme des médias et de la démocratie
Qu’ils défendent la diversité culturelle ou les droits humains, la liberté d’expression ou le libre examen, qu’ils luttent contre le racisme et les préjugés ou pour la fermeture des centres fermés, qu’ils sensibilisent à la cause des indiens Mapuche ou qu’ils oeuvrent à la sauvegarde de l’environnement, de nombreux acteurs de la société civile prennent peu à peu conscience de la nécessité d’une réflexion approfondie et critique sur les médias et leur impact sur nos représentations et notre perception du monde. Car pour qu’un autre monde soit possible, l’un des préalables incontournables est que d’autres points de vue puissent s’exprimer et se faire entendre. C’est sans doute là un des enjeux majeurs de la question médiatique aujourd’hui.
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’évolution des médias, ces trois dernières décennies, à travers la prise en main des médias par de grands groupes industriels, les phénomènes de concentration et la marchandisation de l’information, ont effectivement amené des changements considérables au processus démocratique et à l’un de ses fondements : le pluralisme. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cette question fut au centre de la réflexion animée en 2005 par le Sénat belge autour des enjeux actuels de la citoyenneté.1 Dans les conclusions publiques des quatre journées d’exposés et de débats qui réunirent auparavant journalistes, éditeurs et divers acteurs associatifs et publics, Edouard Delruelle mit d’emblée en évidence les enjeux démocratiques de ce débat : “il n’y a pas de citoyenneté authentique sans pluralité active, et réciproquement, le pluralisme ne peut être garanti qu’à travers une citoyenneté active et responsable” ; pour s’interroger ensuite : “Même si les journalistes ont une haute conscience citoyenne et démocratique, la logique médiatique ne fabrique-t-elle pas d’elle-même de l’uniformité, ne fabrique-t-elle pas d’ellemême de la pensée unique, ne sécrète-telle pas d’elle-même une forme de totalitarisme soft et lisse ?”2
L
Les logiques économiques qui réduisent de plus en plus l’information à sa seule valeur commerciale ont des effets majeurs sur le rôle des médias et le traitement de l’information. Elles font aujourd’hui peser sur les rédactions de nouveaux critères, érigés en “dogmes médiatiques”, sur ce que doit être une information pertinente au regard des objectifs de rentabilité, de concurrence et de profit. Passons quel-
ques-uns de ces nouveaux dogmes au crible d’autres critères3, démocratiques ceux-là, à savoir notamment l’accessibilité et la compréhensibilité de l’information ainsi que la pluralité des points de vue. L’info spectacle et notre perception du monde L’accessibilité et la compréhensibilité constituent évidemment une condition démocratique sine qua non : pour s’approprier les grands débats qui déterminent notre avenir, pour jouer son rôle de “stimulant positif du modèle démocratique”4, le citoyen doit avoir accès à une information qui rende compréhensible, sans pour autant la nier, la complexité des enjeux sociétaux, ce qui implique par exemple une mise en contexte systématique des faits. Or dans les grands médias de masse – ceux-là même qui détiennent un “monopole de fait sur la formation des cerveaux d’une partie importante de la population”5, la valeur démocratique de l’information semble être bel et bien supplantée par sa valeur marchande, avec pour effet certaines conséquences non négligeables sur le traitement de l’information : “faitdiversification”6, accent mis sur l’émotionnel, le sensationnel et le divertissement, “peopleïsation” des questions politiques, analyses et informations structurelles délaissées au profit d’une vision simpliste de la réalité… Comme le soulignait Jean-Jacques Jespers7 lors du Festival des Libertés 2003, ces caractéristiques du populisme médiatique, ont non seulement des
conséquences sur la décision politique, mais ont également des effets importants sur la perception qu’a la société d’ellemême. “Aux Etats-Unis, la couverture médiatique des crimes de sang et de la violence non politique (civile, domestique) a augmenté de 700 % en dix ans, alors que la criminalité diminuait de 20 % dans le même temps. La société américaine est gangrenée par une angoisse irrationnelle qui favorise la paranoïa dans les rapports sociaux, voire – selon la thèse de Micheal Moore dans son célèbre documentaire Bowling for Columbine – dans la politique internationale de Washington !” Prenant un autre exemple, belge celui-là, J.-J. Jespers mettait aussi en garde contre le traitement émotionnel des enjeux sociétaux. “Lors de la faillite de la Sabena, les médias belges ont consacré beaucoup plus de temps à montrer, et même à ressasser, le désarroi des membres du personnel (larmes, commentaires désabusés, dénonciations véhémentes, gestes de détresse…) qu’à évaluer les responsabilités dans le processus qui a mené à la faillite. Cette priorité à l’émotionnel contribue à accroître le fatalisme et le défaitisme : comme l’information n’explique rien et ne désigne aucun responsable, la seule attitude possible, pour le public, c’est la compassion avec la douleur des victimes.” Nous voilà bien loin d’un “rôle de stimulant positif de la démocratie”. Et l’on perçoit de quelle manière la conscience “sécuritaire” et “humanitaire” peuvent être éveillées sur le terrain du populisme médiatique… Une autre caractéristique de l’information
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aujourd’hui, largement influencée par les nouvelles technologies de communication, est sa rapidité, avec comme point d’orgue le direct. “Informer, ce n’est pas répondre à des questions, c’est faire assister à l’événement”8. Cet autre impératif médiatique qui n’a cessé de progresser depuis la naissance de CNN et la première guerre du Golfe n’est pas non plus sans conséquence sur la démocratie. Outre le fait qu’il n’est guère propice au b.a.-ba de la déontologie journalistique (recoupement des sources, enquête sur le terrain, analyse et prise de recul), le dogme de “l’instantanéité” se marie mal avec le rythme “plus lent de la délibération collective et de l’organisation démocratique.”9 Mais là encore, peut-être s’accorde-t-il mieux du simplisme des réponses apportées par un certain populisme politique ? Le syndicaliste et la fille voilée Revenons à présent à la question du pluralisme, autre condition démocratique essentielle : pour pouvoir “examiner librement” et poser de réels choix, le citoyen a besoin de pouvoir s’informer de la pluralité des points de vue en présence sur tel ou tel sujet. Dans une conception de responsabilité sociale des médias, cette question du “droit à l’information” pose non seulement la question de l’accès à l’information en tant que “récepteur” (conditions matérielles mais aussi pluralité des sources), mais elle touche également à la problématique de l’accès aux médias, cette fois comme “émetteur”. Autrement dit, les médias de masse, considérés par d’aucuns non plus comme des proies mais des acteurs de premier
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plan du système dominant, donnent-ils suffisamment la place à un autre point de vue ? Celui des paysans du Lubéron, des réfugiés afghans, des squatteurs ou des femmes notamment ? Comment “la fabrique du consentement”10 rend-elle compte aujourd’hui des luttes sociales et de la diversité ? “Avec mépris…”, répondra le directeur du Monde Diplomatique.11 Analysant l’une des formes journalistiques les plus proches, en apparence, de la fonction de forum pluraliste des médias, le débat télévisuel, Pierre Bourdieu s’est intéressé à la mise en scène de ces débats de société. A travers le rôle du présentateur, les règles du jeu à géométrie variable (par exemple concernant le temps de parole), la composition du plateau ou encore la place des “professionnels du plateau” (les fast thinkers), le sociologue mit en évidence de nombreux dispositifs de verrouillage de la parole et les conditions inégalitaires d’expression selon que l’on soit “syndicaliste ou M. Peyrefitte de l’Académie française”. Dans Médias et mobilisations sociales, au sujet de la “Marche du Siècle” de JeanMarie Cavada, “longtemps présentée comme un modèle de débats de société”, Henri Maler et Mathias Raymond12 vont jusqu’à parler de “censure”, au regard de l’absence quasi totale de représentants syndicaux (0,2 %) et des catégories populaires (0,7 % d’ouvriers et 0,7 % d’employés) parmi les invités de l’émission. Mais il faudrait aussi parler d’une certaine criminalisation de la contestation sociale,
notamment à travers le langage médiatique qui tend à transformer les citoyens, porteurs de revendications, en “preneurs d’otages”, voire en “terroristes”. Il faudrait également aborder les “vraies questions” par rapport auxquelles la logique unanimiste des médias ne laisse guère de place à la nécessaire confrontation des points de vue (l’exemple récent des débats concernant le traité européen restera sans doute emblématique à ce niveau). Il faudrait encore parler des “faux débats” qui véhiculent de “vrais préjugés” tout en masquant de “vraies questions”. Les recherches d’auteurs comme Laurent Mucchielli13 ou Pierre Tevanian14 à propos, par exemple, de “l’islamisation des problématiques sociales” sont à ce titre interpellantes. Concernant l’hystérie médiatique autour du “foulard islamique”, Tevanian met notamment en évidence la manière dont les médias occultèrent la parole des principales concernées.
Résister à la “spirale du silence” A côté du développement d’une analyse critique des médias, d’une information sur l’information15, les médias du tiers secteur (associatif et non-marchand), parce qu’ils échappent, le plus souvent, aux logiques marchandes, au “prêt à penser” et au formatage à outrance, constituent une alternative réelle. Ils sont des outils essentiels pour faire remonter une parole ignorée par les médias de masse, ou devrait-on dire, une infinité de paroles et de réalités sociales occultées par la machine médiatique. Conscients de ce fait, mais également des difficultés inhérentes à leur spécificité, certains revendiquent aujourd’hui la reconnaissance légale de médias, dit “du troisième type” et demandent à ce qu’ils bénéficient d’un soutien particulier eu égard à leur rôle démocratique. “Il s’agit de préserver et de créer des espaces de liberté, d’expérimentation, de créativité ; des médias qui réinvestissent l’aspect local, échappent au formatage du langage et des formats audio-visuels, refusent la publicité, permettent une appropriation citoyenne et une éducation critique des médias, privilégient l’expression de catégories de la population qui en sont habituellement privées… Ce ne sont pas les nouvelles technologies qui rendront possible l’avènement de tels médias, c’est la volonté politique.”16 Le politique entendra-t-il cette revendication davantage que celles qui portèrent jadis (les voix se font désormais rares) sur la déprivatisation de la presse ? La question est pertinente puisque la Communauté française de Belgique s’ap-
prête à traduire en droit interne la nouvelle directive européenne sur les services de médias audio-visuels. Une “vraie question” donc, mais sera-t-elle compatible avec “la vente de temps de cerveau humain disponible”17 aux publicistes ?
Sophie LÉONARD Déléguée à la communication sociopolitique
1 Lors du 175ème anniversaire de la Belgique, le Sénat mit en débat la citoyenneté à travers quatre thématiques : l’éducation, l’exclusion sociale, le fédéralisme et les médias. Ce dernier thème fut abordé au cours de différentes sessions de travail : médias et liberté d’expression, pluralisme des médias, multiculturalité dans les médias et éducation aux médias.. 2 Pour accéder à l’exposé dans son intégralité et aux comptes rendus des sessions de travail : http://www.senat.be/event/citizenship/05-05-10-media/fr/report.html. 3 Lire à ce sujet Médias et citoyens sur la même longueur d’onde – Panorama des pratiques journalistiques favorisant la pratique citoyenne, Fondation Roi Baudouin, 2002. 4 Voir la Résolution déposée au Sénat en 2003 sous l’impulsion du groupe Bruschetta (www.bruschetta.be) qui a pour objet de promouvoir la liberté et la qualité du travail journalistique dans une perspective “d’affirmation du rôle majeur du journaliste en tant qu’acteur de la démocratie”. 5 Mwana Muke, Je suis une féministe bourgeoise http://www.feministes.net/ 6 Pierre Bourdieu. Sur la télévision, 1996. 6 Le fait divers est au sommet de la hiérarchie de l’info et l’ensemble des problèmes sont traités comme des faits divers. 7 Jean-Jacques Jespers est un ancien journaliste de la RTBF. Il est professeur à l’ULB au Département des sciences de l’information et de la communication. Pour lire l’intégralité de son intervention www.bxllaique.be (séances publiques – Vivre dans la diversité). 8 Ignacio Ramonet, La fin du journalisme, 1999 (source ACRIMED) 9 Serge Halimi, Contestation des médias ou contestation pour les médias ?, intervention au Forum social européen, 2003 (source ACRIMED). 10 Edward S. Herman and Noam Chomsky, Manufacturing Consent, 1988. 11 Ignacio Ramonet, “Combats pour les médias”, in Manière de voir n° 80, avril-mai 2005. 12 Animateurs du réseau ACRIMED (Action-critique-médias– www.acrimed.org). 13 Laurent Mucchielli est sociologue, chercheur au CNRS, directeur du CESDIP (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales), auteur notamment de Violences et insécurité. Fantasmes et réalités dans le débat français (2002) et de Le scandale des “tournantes”. Dérives médiatiques, contre-enquête sociologique (2005). 14 Pierre Tevanian est professeur de philosophie et l’un des fondateurs du collectif Les mots sont importants (LMSI). Auteur notamment de Mots à maux, dictionnaire de la lepénisation des esprits, (avec Sylvie Tissot, 1998) ; Le ministère de la peur. Réflexions sur le nouvel ordre sécuritaire (2004) ; Le voile médiatique. Un faux débat : “l'affaire du foulard islamique” (2005) , La République du mépris. Métaphores du racisme dans la France des années Sarkozy (2007), Les filles voilées parlent (avec Ismahane Chouder et Malika Latrèche, 2008). 15 Plusieurs initiatives ont été citées dans la présente contribution : ACRIMED, LMSI… 16 Lire notamment Gwenaël Breës, Le CSA belge fête ses dix ans, loin des usagers et des médias associatifs, Radio Panik, 2007. 17 Selon l’expression désormais célèbre et emblématique du PDG de TF1, Patrick Le Lay (Les dirigeants face au changement, 2004)
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Prêt-à-penser C o n s i d é r a t i o n s a u t o u r d u D i c t i o n n a i r e d u p r ê t - à - p e n s e r, Emploi, protection sociale et immigration, les mots du pouvoir, Matéo Alaluf, Edition Vie Ouvrière, Bruxelles-Charleroi, 2000.
Le dogme, de tout temps, a été imposé, au moins partiellement, mais parfois violement, par la force. D’ailleurs, selon Nicolas Machiavel, la ruse est une forme évoluée de la force qui consiste à “donner des effets à ce qui n'existe pas”1. Le pouvoir est appelé par Machiavel à user habilement de la ruse et à rester maître des apparences. Imposer des significations aux mots, fabriquer des expressions – orientées idéologiquement – à partir de mots préalablement chargés de sens, voilà les dispositifs propres du prêt-à-penser. Dans son Dictionnaire du prêt-à-penser, comme dans chaque numéro de la revue Politique2, Matéo Alaluf déconstruit des expressions et l’utilisation politique et médiatique qui est faite de certains mots qu’il nomme “les mots du pouvoir”.
Trois expressions déconstruites dans le Dictionnaire. L’activation, qui s’applique au chômage ou au chômeur, plongea ce dernier dans l’alternative infernale qui doit lui faire choisir soit la tourmente de l’imposition d’activités vaines de formations ou d’emplois
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sans valeur dans un système de contrôle et de sanctions diaboliques, soit l’anathème et le stigmate de passivité, de torpeur ou de paresse. Humaniser. L’humanisation est associée, dans le discours des « décideurs » politiques, à tous les dispositifs qui s’éloignent le plus notoirement de l’humain et du
bien-être des personnes qui dépendent de ces dispositifs : les conditions de travail, le chômage, le libre marché, les prisons, les centres fermés pour étrangers… Ressources humaines. Le travailleurs n’est plus considéré comme un sujet social, il n’y a plus d’ouvrier, plus de personnel, le travail humain est considéré comme une
ressource, comme un input de l’entreprise, au même titre que le matériau. Il ne s’agit plus, à aucun moment, de considérer des personnes, mais seulement de faire correspondre la disponibilité du travail aux besoins de l’entreprise. Ouvrant ainsi la porte à toutes les considérations qui permettraient de façonner l’humain à l’entreprise. Toute volonté de négocier les qualifications, la stabilisation de la vie de chacun est dès lors considérée comme un frein au “développement” et donc… reléguée. Processus Si Matéo Alaluf axe sa critique des mots du pouvoir sur l’emploi, la protection sociale et le traitement réservé aux étrangers, le prêt-à-penser est un processus qui se retrouve dans tous les domaines en tension dans notre société. Comme son nom l’indique, le prêt-à-penser irrigue notre société d’un cadre pour la pensée. Cadre qui exclut la critique et l’analyse au profit d’un regard stéréotypé, voire binaire, sur les enjeux sociaux et politiques. Une manière techniquement très aboutie d’assurer la propagande des dominants et de consolider l’inertie d’une société dont les institutions sont plus au service d’intérêts privés qu’au service de toute la population. L’enjeu qu’il y a à dénoncer l’usage d’un langage clos est donc de première importance. Il s’agit de fabriquer des outils pour résister à toute forme d’oppression. Il s’agit de s’émanciper par la critique des raisonnements fallacieux brandis par le pouvoir et qui sont érigés en dogmes, en réalités immuables. Le travail de déconstruction dont Matéo Alaluf nous montre la pratique, mériterait
d’être systématisé. Tout le monde peut se l’approprier. Tentons l’exercice… Toute la misère du monde “La France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part” lançait Michel Rocard en janvier 1990. Il n’en est resté que la première partie qui revient fidèlement dans le discours des gens de pouvoir lorsqu’il leur faut justifier les politiques à la fois économiquement absurdes et humainement insoutenables d’immigration des pays d’Europe : On ne peut pas accueillir toute la misère du monde… La rengaine va de pair avec le mythe de l’appel d’air. Mythe selon lequel une régularisation des personnes vivant clandestinement sur le territoire provoquerait une augmentation incontrôlée des flux migratoires vers le pays aventureusement accueillant. Toute la misère du monde et l’appel d’air sont des “grains de chapelets” bien reposant car ils n’invitent à aucune réflexion. Pourtant, il vaudrait la peine de se pencher sur deux constats qui contredisent ces “vérités” véhiculées par le discours prêt-à-penser : d’une part, l’écrasante majorité des mouvements migratoires suscités par la misère et la guerre se font vers des pays limitrophes, d’autre part, les flux migratoires vers les pays occidentaux sont à peu près inélastiques (varient peu quels que soient les facteurs extérieurs). Si bien qu’aucune politique restrictive (sauf génocidaire) n’a jamais été en mesure de réduire les flux. La tolérance zéro…
L’offre et la demande L’offre et la demande sont présentées comme constitutives d’une loi naturelle de l’économie : celle de l’offre et de la demande (déjà, il y a anguille sous roche). L’offre étant toujours supposée répondre à une demande. Comme s’il s’agissait d’instiller dans nos esprits l’idée selon laquelle chaque produit répondrait à une nécessité ressentie par un public de consommateurs. C’est ainsi, par exemple, que la Solvay Business School soutient, sans sourciller, la création de la Glace pour Chien, finalement commercialisée par Anin’Ice3 en 2005… Et dire qu’il a fallu attendre 2005 pour qu’Anim’ice réponde à cette demande lancinante, alors que la loi de l’offre et de la demande, elle, trouvait déjà ses prémisses sous la plume d’Adam Smith en 1776 et qu’en 1776, il y avait déjà des chiens. Le moral des ménages Le “moral” des ménages est un indicateur économique qui est censé témoigner du regard des consommateurs sur leur environnement et ainsi, permettre d’anticiper leurs comportements en termes d’épargne et de consommation. On ne pouvait mieux choisir le terme si l’intention était de rendre hommage à la novlangue d’Orwell. Des économistes médiatiques nous expliquent chaque matin où en est le moral des ménages et, lient ce moral à une certaine propension à la consommation. Pour faire court, une question : est-ce que l’augmentation de la consommation d’antidépresseurs est reprise dans l’indicateur ?
Non, je passe, trop facile.
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La Santé n’a pas de prix Qu’est ce qui est contenu dans la notion de “santé” ? Pour la France, Jean Peneff4, met en évidence que les dépenses de santé gigantesques sont liées à une surconsommation induite par l’offre médicale et pharmaceutique qui “donne des effets” à des maux “qui n’existent pas”. La “santé” a coûté à l’Etat belge 23 milliards et demi d’euro en 2002, soit 8,7 % de son PIB. Est-ce bien raisonnable d’affirmer qu’elle n’a pas de prix ? Ou vaut-il mieux considérer qu’on nous invite à dépenser pour “elle” (et les intérêts privés qui la produisent) sans compter ? Au risque de réduire notre Saint “Pouvoir d’Achat” (quel pouvoir, d’acheter quoi ? D’ailleurs.). Prendre les usagers en otages Lorsque des salariés se mettent en grève pour réclamer de meilleures conditions de travail, il ne s’agit plus dans le discours médiatique et politique, de défendre des intérêts. La grève devient une “prise d’otages” des usagers du service ou des destinataires de la production de l’entreprise dont les salariés sont en lutte. A croire que les tenants de cette rhétorique ne savent pas ce que signifie une réelle prise d’otages. Ce discours est notamment présent lorsqu’il s’agit de salariés des transports publics. D’un côté, il y a les travailleurs preneurs d’otage (les grévistes) et de l’autre les travailleurs pris en otages (les navetteurs). L’effort est ici concentré pour monter des salariés les uns contre les autres. Comme si l’augmentation des cadences, l’allongement des journées de travail, la fragilisation de l’emploi n’étaien t pas partagés par les uns et les autres.
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Comme si la qualité du service rendu par les entreprises (plus ou moins privées) de transports publics était indépendante des conditions de travail de ses salariés. Toutes réalités masquées par le discours de la prise d’otage. La Liberté Même la Liberté ! L’action d’essence volontaire dénuée d’ignorance et de contrainte5. Celle-là qui était de tous les combats pour se défaire de l’oppression et du dogme, est enfermée, avec le prêtà-penser, dans une acception qui va contre son histoire, contre l’histoire de l’émancipation et de la libération de la conscience et de l’expression, contre la liberté de se gouverner soi-même. Elle perd son essence volontaire quand elle devient, par exemple, “la liberté d’entreprendre” et s’applique à tous, notamment à ceux qui n’ont pas les moyens d’entreprendre. “Entre le riche et le pauvre, entre le faible et le fort, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui libère.” Disait Henri Lacordaire… Est-ce à un curé qu’il faudra emprunter la formule qui contraindra la liberté d’entreprendre ?
Cedric TOLLEY Délégué à la communication sociopolitique
Le Prince. http://politique.eu.org/chroniques/le_dictionnaire_du_pret_ a_penser.html 3 www.animice.be 4 Jean Peneff, La France malade de ses médecins, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 2003. 5 Selon Aristote. 1 2
Le TCE est mort, vive le traité de Lisbonne ! En 2005, les peuples français et néerlandais rejetaient par referendum le traité constitutionnel européen (TCE). En France, au lieu de saluer la formidable mobilisation citoyenne ayant permis un débat nourri sur un texte ardu, les élites politico-médiatiques abasourdies par ce résultat ont rivalisé de mauvaise foi pour qualifier les opposants au TCE. Anti-européens, xénophobes, populistes, irresponsables,… pas la moindre auto-critique de leur part, si ce n’est le manque de communication, voire de “pédagogie” dont ils auraient fait preuve pour expliquer tous les bienfaits du projet constitutionnel. Faisant semblant de prendre en compte les critiques des “nonistes”, tout en les accusant de mettre l’Europe dans l’impasse, nos dirigeants élaborèrent un “nouveau traité” ou “traité simplifié”. En réalité, le traité de Lisbonne n’est ni simple ni nouveau, il est la réincarnation du TCE et n’a d’autre objectif que de sauver les apparences démocratiques. Le nouvel habit du TCE Rien de tel qu’un toilettage pour rendre le TCE aussi élégant qu’un eurocrate en costume trois pièces. On retire du texte les symboles de l’Union – drapeau, hymne, devise – alors que leur existence est déjà effective. On élimine l’adjectif constitutionnel et lui donne la forme habituelle d’un traité modificatif des traités existants. Même si on prétend renforcer le pouvoir des parlements nationaux concernant le contrôle du principe de subsidiarité, le droit européen continuera à primer sur les
législations nationales. On le pare de quelques valeurs qu’on avait malencontreusement oubliées d’énoncer dans le TCE : protection des minorités, idéaux de pluralisme, de tolérance, de justice, de solidarité et d’égalité des hommes et des femmes. Cette belle intention ne se traduit pourtant pas dans les directives de la Commission européenne en termes de droits sociaux et de sécurité1. Même si la fameuse “concurrence libre et non faussée n’apparaît plus être formellement un objectif de l’Union, les règles de base de la politique de la concurrence demeurent
inchangées”2. De l’aveu de tous (à commencer par Valérie Giscard d’Estaing, “père” du TCE), le contenu reste le même : “Le traité de Lisbonne reprend presque la totalité du traité constitutionnel.”3. Tour d’Europe des ratifications Bien que relooké, le traité de Lisbonne ne semble pourtant pas encore assez “sexy” pour prendre le risque de le soumettre au vote des Européens. Rappelons que ni le TCE, ni le traité de Lisbonne n’ont été rédigés par des représentants élus du
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peuple européen et n’ont pas de légitimité démocratique. Seule le recours à une consultation populaire pouvait encore la leur conférer. Si nos dirigeants sont si sûrs de l’adhésion de leurs peuples au nouveau traité, pourquoi n’ont-ils pas profité des élections européennes de juin 2009 pour soumettre le texte à leur approbation ? Au contraire, ils ont préféré prendre un maximum de précautions en ayant recours à la ratification parlementaire dans tous les pays membres où cela était possible, c’est-à-dire 26 sur 27, quitte à devoir changer la constitution du pays comme ce fut le cas en France. Jusqu’à présent, le traité de Lisbonne a été ratifié par 13 des 27 pays membres. En Belgique, il est sur le point de l’être. Seul l’Irlande peut encore mettre des bâtons dans les roues européennes lors d’un referendum dont la date n’a curieusement pas encore été fixée. Cela a peut-être un rapport avec le fait que le journal anglais Daily Mail a révélé le 14 avril dernier comment les ministres irlandais préparaient une campagne délibérée de désinformation afin de faire gagner le “oui” au Traité de Lisbonne.
l’aboutissement de nos modèles de sociétés démocratiques – que nous ne devons pas exiger mieux ? Devrions-nous vraiment nous contenter d’un traité de Lisbonne qui permet le démantèlement des services publics ? Devons-nous nous résoudre à une Banque Centrale Européenne indépendante ad vitam æternam ? Devons-nous nous contenter d’une Commission européenne, qui sans aucune légitimité démocratique, garde l’initiative législative ? D’un Parlement européen, qui malgré l’augmentation de son domaine de compétences, reste exclu du processus de codécision dans des domaines essentiels (fiscalité, marché intérieur, politique monétaire, politique étrangère et de sécurité, etc.) ? Devons-nous acquiescer à la mention de l’héritage chrétien comme “source de démocratie, de l’Etat de droit et des libertés fondamentales” alors que le mot laïcité brille par son absence ? Plus que jamais l’Eglise est un partenaire privilégié du “dialogue régulier et transparent” avec les institutions européennes et menace par là des droits chèrement conquis, notamment en matière d’égalité des genres. Du déficit démocratique à l’imposition d’un dogme
Le choix des ratifications par voie parlementaire et le profil bas adopté par les médias de masse4 ont eu l’effet escompté : en France, après les passions déchaînées par le TCE, le traité de Lisbonne a été adopté dans l’indifférence presque générale. En Belgique, il semble que personne n’en parle5. Il y a pourtant matière à débattre, notamment de la mise en œuvre des valeurs dont l’Europe se veut l’étendard. Dans des sociétés qui évoluent, ces valeurs que nous partageons doivent constamment être rediscutées au risque de devenir les instruments d’imposition dogmatique. Or, elles sont trop souvent sacralisées, assénées comme des vérités n’étant plus à discuter, comme si chacun en avait la même conception. Le traité de Lisbonne incarne une construction européenne soumise aux diktats de la globalisation. A terme, un projet politique pensé dans une perspective uniquement économique et tenant si peu compte des aspirations de ses citoyens, n’est-il pas condamné à l’échec ? Olivia WELKE Déléguée à la communication sociopolitique
L’absurde droit d’initiative populaire – repris du TCE dans le traité de Lisbonne, qui permettrait à un million de citoyens européens d’inviter la Commission à présenter une proposition législative (qui n’est en aucun cas obligé d’y répondre) ne suffira pas à combler le désolant “déficit démocratique” – un bel euphémisme de l’eurojargon – des institutions européen-
1 Voir par exemple le dernier projet de directive sur la rétention et l’expulsion des étrangers soumis au parlement européen ce mois-ci qui créé une vague de contestation en ce qu’elle porte encore plus atteinte aux droits fondamentaux des étrangers. Voir http://www.directivedelahonte.org 2 Pascal Gilliaux, Le traité de Lisbonne, CRISP, Courrier hebdomadaire, 2007, p.23 3 Ibidem, p.83 4 Lire “le service après vente du traité de Lisbonne” sur http://www.acrimed.org 5 À l’exception du collectif de résistance au Traité de Lisbonne qui peine à faire entendre sa voix. http://www.cr-tl.be
Un Non de combat A contenus presque égaux, les critiques de fond persistent du TCE au traité de Lisbonne. En 2005, certains partisans du TCE, plus résignés que convaincus, ont affirmé que s’il n’était pas parfait, il était “le mieux qu’on puisse obtenir”, et que leur oui était un “Oui de combat”. Est-ce parce que le TCE avait apporté quelques améliorations par rapport aux traités antérieurs – améliorations largement insuffisantes pour un texte qui est censé être
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nes, qui ne trompe aucun citoyen bien informé.
Le développement durable,
nouvel avatar du dogme de la croissance ? Depuis près de quatre décennies, le “dogme de la croissance” a été mis en évidence et dénoncé par des intellectuels critiques. La croissance du PNB entendue comme la marche naturelle des choses ou comme la panacée économique et sociale – seule garante de la prospérité des nations et du bien-être des populations, seule solution au fléau du chômage… – avait atteint le statut de vérité incontestable. Aujourd’hui, les limites du modèle économique reposant sur une croissance économique infinie sont devenues perceptibles à travers les sombres constats écologiques. Le dogme de la croissance est il pour autant l’affaire du passé ? Voici quelques extraits choisis pour alimenter notre réflexion.
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e qui fait problème, ce n’est pas tant la croissance que son idéologie, c’est-à-dire le fait de croire que “plus” serait nécessairement égal à “mieux”. L’idéologie du développement fut propulsée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans le point IV du programme du Président américain Truman : elle visait alors à offrir une alternative au tiers monde face à la menace communiste. L’idéologie du “développement durable” est apparue ensuite dans le contexte de la contrerévolution conservatrice mondiale et a permis aux dominants de reprendre la main. Les politiques de gauche comme de droite partagent en effet un bilan écologique monstrueux, car toutes deux ont fait de l’environnement la variable d’ajustement de leur système, avec certes des résultats sociaux fort différents… Mais, face à l’urgence environnementale, les milieux d’affaires et la droite peuvent rebondir en profitant d’un rapport de force moins favorable aux peuples, pour faire de nouveau de la pauvreté leur principale variable d’ajustement. Cette possibilité reste encore fermée à la gauche, qui se retrouve donc aphone.
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La communauté scientifique est aujourd’hui unanime pour dire que la notion de “développement durable” n’est pas un concept scientifique, mais idéologique. Ce consensus mou s’est établi autour de la pensée et des intérêts des dominants. Les choses ont commencé à mal se passer pour la gauche lorsque sa pensée théorique s’est affaiblie et qu’elle a épousé les mots poisons de ses adversaires : le lecteur en aura un bon symptôme en suivant la carrière de Jacques Attali. En 1973, la revue la Nef publiait un
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dossier sous le titre “Les objecteurs de croissance”. Parmi les signataires, René Dumont, bien sûr, mais aussi Jean-Pierre Chevènement, Michel Rocard et… divine surprise : le grand Jacques (Attali). Ce dernier, pas encore conseiller de Mitterrand et encore moins de Sarkozy, refusait l’équation devenue « incontestable », croissance = progrès social : « Il est un mythe, savamment entretenu par les économistes libéraux, selon lequel la croissance réduit les inégalités. Cette argumentation permettant de reporter à “plus tard” toute revendication redistributive est une escroquerie intellectuelle sans fondement…” Attali opposait donc deux stratégies, l’une de droite, l’autre de gauche : “L’une, fondée sur l’exacerbation des besoins marchands par l’inégalité, conduit à la concentration urbaine, à la centralisation des pouvoirs en un petit nombre de centres de décisions privés et publics. Une telle stratégie permet une croissance très rapide du PNB et entraîne une aggravation simultanée des coûts sociaux […] ; la mobilité des travailleurs n’est pas un signe de dynamisme économique mais une sujétion de la croissance ; le renouvellement rapide des produits n’est pas un signe de progrès mais la source de gaspillages inacceptables […] ; la croissance a toujours été la glorification du travail.” L’autre stratégie, que soutenaient alors Attali et la gauche socialiste, consistait à maîtriser la croissance économique en remettant en cause “la superpuissance des entreprises capitalistes multinationales”, qui “prive de plus en plus les États de leur souveraineté véritable, en matière monétaire, économique, sociale”. Puis, en remettant en cause “la règle du profit” qui
“entraîne inévitablement la priorité du marchand sur le non-marchand, de l’économique sur le social, du quantitatif sur la qualitatif”. Enfin, en changeant les “règles de dévolution du pouvoir dans les entités économiques”, qui “favorisent les comportements hiérarchiques et les aspirations à l’inégalité et conditionnent une demande de plus en plus ostentatoire”, telle que Veblen l’avait prédit [NDLR : c’est-à-dire l’imitation des modes de vie de la “petite bourgeoisie”]. Attali proposait finalement, face à la dictature de la croissance nécessairement inégalitaire, l’adoption d’une planification décentralisée dans le respect de trois grandes questions : quel pouvoir organise la production ? Qui détermine les besoins ? Qui impose les limites du possible ? Attali concluait son étude par ce jugement toujours d’actualité : “S’ils ne le font pas, un jour peut-être, toute la profession économique sera condamnée pour non-assistance à société en danger de mort.” Mais ce même Attali préside, en 2007, une commission de réforme sur “les freins à la croissance économique” à la demande de Nicolas Sarkozy… Les milieux de la décroissance doivent donc prendre aujourd’hui très au sérieux tout ce qui se trame dans les cercles de pensée économiques et techno-scientistes. Les colloques internationaux sur le thème de l’après-développement durable se multiplient sans que le grand public en connaisse les enjeux. Le Grenelle officiel oppose déjà les tenants des deux thèses : d’un côté, ceux qui prêchent avec Hulot le développement durable à la sauce moraliste, bref les tenants, selon leurs adversaires, d’une écologie culpabilisatrice ; d’un
autre côté, ceux qui n’ont foi que dans les perspectives radieuses d’un “développement durable” à la sauce Allègre, c’est-àdire d’une “écologie réparatrice”. Entre les deux, quelques réseaux égarés dans cet univers (im)pitoyable qui, eux, pensent que l’avenir n’est pas à la techno-science ni à toujours plus de croissance…
Autant nous avions raison de nous gausser des fumisteries autour du thème du “développement durable” à la Hulot, autant, cette fois, l’adversaire est sérieux. La première idée de “développement durable” a en effet du plomb dans l’aile faute de satisfaire pleinement lobbies économiques et techno-scientistes… Les
D’une part, les Français ont les moyens de retrouver la voie d’une croissance forte, financièrement saine, socialement juste et écologiquement positive. D’autre part, tout ce qui ne sera pas entrepris dès maintenant ne pourra bientôt plus l’être. La croissance de la production, cependant, est la seule mesure opérationnelle de la richesse et du niveau de vie disponible, permettant de comparer les performances des différents pays. Par ailleurs, cette mesure est fortement corrélée avec l’innovation technologique, indispensable au développement durable et à la réalisation d’autres objectifs de développement (santé, éducation, services publics, etc.).[…] La croissance économique n’entraîne pas systématiquement la justice sociale, mais elle lui est nécessaire : l’enrichissement n’est pas un scandale, seule l’est la pauvreté. Plus de 100 pays dans le monde ont aujourd’hui un taux de croissance de leur Produit intérieur brut (PIB) supérieur à 5 %. L’Afrique elle-même, comme l’Amérique latine, croissent à plus de 5 % par an. La Chine connaît des taux supérieurs à 10 % depuis plusieurs années, l’Inde la talonne, à près de 9 %, l’économie russe se rétablit avec 7 % de croissance, la Turquie affiche des taux de 11 % et ouvre à nos portes un immense marché où les deux tiers de la population ont moins de 25 ans. Les puissances détentrices de rentes peuvent croître et investir grâce à la hausse du prix des matières premières. L’avenir réserve au monde un potentiel de croissance plus considérable encore : des progrès techniques majeurs s’annoncent, venus du Sud comme du Nord ; la population mondiale va augmenter de 3 milliards de personnes en moins de 40 ans et un énorme capital financier est disponible. Si la gouvernance politique, économique, commerciale, environnementale, financière et sociale de la planète sait s’organiser, la croissance mondiale se maintiendra très durablement au-dessus de 5 % par an. (Extrait du Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française, sous la présidence de Jacques Attali)
tenants du système étaient bien obligés d’avouer en partie leurs méfaits : ils ont bousillé la planète, mais, promis juré, ils s’engageaient à faire désormais attention. Bref, la farce du “développement durable” pouvait se résumer dans la formule “comment polluer un peu moins pour polluer plus longtemps”… Mais les milieux économiques et techno-scientistes n’avaient enfourché ce thème que faute de mieux, et parce qu’ils avaient besoin de cette bouée percée pour permettre au petit peuple de croire encore dans les vertus de leur système. Les mises en garde ne manquaient cependant pas du côté des puissants : on se souvient des États-Unis refusant de signer le protocole de Kyoto parce qu’ils préféraient investir l’argent qui aurait pu servir à réduire les émissions de CO2 dans la recherche, afin de trouver une réponse technique au problème. Le “développement durable” était certes un oxymore, mais il donnait à penser que le monde économique était au moins partiellement responsable de la situation, qu’il fallait donc encadrer ses initiatives et pourquoi pas les limiter… Les grandes entreprises et ceux qui les servent (économistes, politiques et techno-scientistes) ont donc suivi Hulot et consorts, mais à contrecœur. Impossible en effet pour eux de laisser dire que la croissance ne serait pas la solution. Impossible de laisser penser que les acteurs de l’économie seraient fautifs et qu’il faudrait les soumettre au contrôle des citoyens et des usagers… La seule façon pour eux de reprendre totalement la main est donc d’abandonner cette vision culpabilisatrice de l’écologie pour une nouvelle vision plus positive, bref
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pour un autre terme plus “économiquement correct”. Exit donc le développement durable à la Hulot. Bienvenue la croissance durable à la Allègre. Pas question cette fois de laisser sous-entendre que la croissance économique serait en soi responsable des “dysfonctionnements” écologiques actuels. Pas question non plus de mettre en accusation les puissances économiques. Pour cela, il faut dépasser la conception qui oppose encore une bonne croissance (une croissante dite “verte”) et une mauvaise croissance (cause de pollutions). Cette façon duale de se représenter le monde économique serait (nous dit-on) absurde : la croissance propre étant la suite logique de la croissance sale. Pas seulement parce que la pollution commencerait à baisser sitôt un certain niveau de PIB atteint (puisque la demande en environnements propres progresserait et que les investissements nécessaires à cette technologie deviendraient rentables), mais parce que la pollution elle-même créerait le besoin de dépollution… La nouvelle maxime ne serait donc plus de “polluer moins pour polluer plus longtemps” mais de “polluer un max pour pouvoir dépolluer davantage”… Là où le mot d’ordre de “développement durable” avait provoqué l’éclosion d’un discours moraliste (sur l’éthique des entreprises et leur sens des responsabilités), la nouvelle écologie réparatrice a besoin, elle, du mythe technoscientiste. Après l’époque des “grands patrons” généreux et responsables à la Bill Gates, voici venir celle des “savants fous” aux solutions puisées dans la science fiction. Le dogme de la croissance reste fixé comme objectif économique à l’UE, à
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l’opposé de ce qu’il conviendrait de faire pour assurer un avenir à l’humanité. Concrètement, ce dogme rend notamment insignifiantes les déclarations en faveur de la lutte contre les changements climatiques ; il s’oppose au combat contre le gaspillage et la maîtrise de la consommation énergétique. Il réduit les biens communs comme les services de première nécessité, l’eau ou la terre, l’éducation, la santé ou la culture à l’état de simple marchandise. (Paul Lannoye et Michèle Gilkinet, 2007).
La seule alternative est donc bien d’en finir avec le mythe de la croissance. Mais la décroissance ne pourra devenir une politique au service des dominés que si les objecteurs de croissance cessent de croire à la décroissance faute de mieux ! [Et s’ils ne l’érigent pas en dogme… NDLR]. Même si une croissance infinie était envisageable, surtout si c’était possible, ce serait une raison de plus de la refuser pour rester simplement des humains. Notre société a totalement sombré dans la démesure, c’est-à-dire dans ce que les Grecs anciens considéraient être le péché suprême et contre lequel ils ont inventé la tragédie et la politique. On ne pourra donc en finir avec les méfaits de la croissance que si nous renouons avec le sens des limites, donc si nous accordons la primauté non seulement à la culture mais à la politique et à la loi. Paradoxalement, avec l’effondrement environnemental qui menace l’humanité, les valeurs de gauche (telles que je les comprends) n’ont jamais été aussi actuelles : si on ne peut plus espérer faire croître indéfiniment le gâteau, la question première redevient
bien celle de son partage, donc de sa recette : que produire pour satisfaire les besoins et rendre les usagers maîtres de leurs usages ? Le chemin que nous proposons offre le mérite de ne plus opposer le but et les moyens : nous nous méfions de ce qui serait une simple addition d’interdits (certains fondés sur notre préoccupation sociale, d’autres environnementales…). La distinction politique de ce qui relève à un moment donné du “bon usage”, et doit être à ce titre (quasi)gratuit ; et de ce qui relève du gaspillage (le mésusage), et doit être renchéri ou interdit, permettra de rendre vie à une démocratie authentique et de donner du grain à moudre à une démocratie participative.
Paul ARIÈS1 politologue 1 Extrait issus de l’article “Renouer avec le sens des limites” paru le 18/10/07 dans le journal Politis. Pau Ariès est Politologue, directeur de la revue Le Sarkophage. Dernier ouvrage, à paraître, Une autre croissance n’est pas possible : décroissance ou barbarie, Golias, 2007.
À CONTRE-COURANT
La religion laïciste est-elle
dogmatique ?
Q
ue l’adhésion à la laïcité et à ses valeurs puisse relever du dogmatisme n’est plus à exposer depuis très longtemps. Flaubert a créé, dans Madame Bovary, avec le pharmacien Homais un véritable type idéal de l’homme enchâssé dans les certitudes de la science exacte qu’avait enfanté l’âge positif.
Mes questions seront donc beaucoup plus précises. D’abord, en quel sens peut-on parler de religion laïciste, en accordant un sens rigoureux et pas seulement métaphorique à l’usage de la notion de religion ? Ensuite, à quelles conditions et dans quelle mesure l’adhésion à cette religion relève-telle d’une forme de dogmatisme ?
Que la laïcité organisée, dans un pays comme la Belgique, doive être considérée, d’un point de vue institutionnel, comme un culte parmi d’autres, avec ses structures représentatives, son sacerdoce, ses rites et ses fidèles relève de l’évidence.
On oppose fréquemment la religion à la science ou à la pensée rationnelle en général comme relevant respectivement de l’ordre de la croyance ou de la connaissance. Distinction tout à fait superficielle dès lors que le rapport des humains à la technique et à la science relève lui aussi
de façon prépondérante de la croyance : nous nous fions aux innombrables instruments techniques que nous utilisons sans pour autant connaître ni leurs mécanismes de fonctionnement ni leurs principes physiques et, à l’exception d’une petite minorité de scientifiques, nous croyons sans les comprendre à la validité des affirmations des sciences. La différence passe ailleurs : la religion, en tant que conception du monde, est une formation psychique totale. Elle comporte indissociablement les trois dimensions que déjà Platon distinguait dans l’âme. La religion comporte un ensemble de repré-
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sentations porteuses de sens qui visent à fournir une interprétation globale du monde, et de la vie. Elle répond aux plus puissants affects humains en apportant consolation et espérance par rapport à l’angoisse, à la peur, à la finitude, à la mortalité. Elle fournit une orientation pratique, notamment par sa dimension rituelle consistant en opérations visant à réduire les distances (de la terre au ciel, du temps à l’éternité, du fini à l’infini, du limité à l’illimité) et à aménager une place protégée à l’homme dans l’ordre cosmique. C’est en cela, et il faut insister, que la religion n’est pas d’abord d’ordre intellectuel, mais existentiel et pragmatique. Elle raconte une histoire qui permet à l’homme de se situer et d’agir sur le monde. Aussi rationalisée soit-elle, elle se rattache ainsi à la pensée mythique et à l’agir magique. Fonction que la science stricto sensu est incapable d’assurer. Lorsqu’en son temps Lénine écrivit “La doctrine de Marx est toute-puissante, parce qu'elle est vraie. Elle est harmonieuse et complète ; elle donne aux hommes une conception cohérente du monde, inconciliable avec toute superstition, avec toute réaction, avec toute défense de l'oppression bourgeoise”, il marquait ainsi le passage du marxisme au statut de religion séculière. Et si, au cours du dernier quart de siècle, la religion marxiste s’est sérieusement délitée, de nouvelles religions séculières sont apparues ou se sont développées, à partir de l’écologie par exemple, ou de la mémoire de la Shoah, ou encore sous forme d’une “religiosisation” de l’idéologie
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économique libérale qui confirme une ancienne intuition de Walter Benjamin : “Il faut voir dans le capitalisme une religion” même si c’est, ajoute-t-il, une religion qui conduit “dans la maison du désespoir”1. Est-ce aussi le cas du laïcisme2 ? Après la réalisation (pour l’essentiel) de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ce dernier avait vécu quelques décennies de digestion paisible dans le contexte de la déchristianisation continue et comme automatique des sociétés d’Europe occidentale. Et puis un beau jour, le voilà confronté à l’implantation en terre d’Europe de l’islam. Une religion en expansion numérique et géographique et non en déclin. Une religion majoritairement coupée des réalisations culturelles de la modernité, fermée au doute et à l’esprit de recherche, réfractaire à la séparation du politique et du religieux. L’essor de l’islam confrontait la laïcité européenne à une situation nouvelle, à des tâches inédites. Comment les a-t-elle abordées ? Certains théologiens protestants, par exemple Jacques Ellul dans La subversion du christianisme, ont avancé la thèse qu’une partie des caractères acquis par le catholicisme médiéval (le rapport au pouvoir, la notion de guerre sainte, etc.), provenaient d’une assimilation mimétique de l’islam au cours des premiers siècles de leur confrontation (VIIIe-XIe). De même aujourd’hui, on peut penser que l’affrontement à l’islam contribue à précipiter la métamorphose religieuse du laïcisme. Le meilleur exemple en est fourni par la querelle du foulard. La mobilisation laïciste sur ce thème l’a placé sur le registre du sacré. Le sacré c’est d’abord l’établissement
d’une topographie générale du monde qui marque des limites entre espace sacré et espace profane (avec les oppositions relatives pur/impur, permis/défendu, sainteté/souillure, respect/transgression). La participation au sacré permet d’intégrer l’individu dans le groupe, en en assumant toutes les exigences et les demandes, même les plus “délirantes” en apparence (anthropophagie, orgies sexuelles) ou les plus extrêmes (le sacrifice de sa vie). Inversement celui qui viole le sacré (un tabou) est foudroyé, anéanti par le groupe parce qu’il met son existence en danger. Tout se passe comme si l’espace de l’école publique avait acquis un caractère sacralisé et qu’il faille à tout prix le protéger de la souillure dont sont porteuses les filles aux cheveux recouverts. Ce qui pour les musulmans incarne la protection de la pureté virginale de leurs filles devient chez les laïcistes un attentat à la pudeur morale et philosophique des condisciples de celles-ci. La préservation de l’espace sacré et de la cohésion symbolique du groupe s’est alors traduite par l’adoption de mesures répressives qui par rapport à n’importe quels enjeux profanes auraient tout de suite été jugées contre-productives. On pourrait donner d’autres exemples, auxquels nous avons récemment assisté, comme la diabolisation du théologien musulman Tariq Ramadan, confinant par instant au procès en sorcellerie. C’est en ce point que le laïcisme se mue en un nouveau dogmatisme, lorsqu’il se fonde sur des croyances indémontrées, qu’il fait confiance à des paroles ou à des personnes sans se soucier de les contrô-
ler par l’expérience, qu’il cherche des “pourquoi” le plus souvent fictifs et construit des “comment” sans lien au réel. Le dogmatique reste imperturbable dans l’arbitraire de ses convictions malgré les preuves contraires qui ne le touchent pas et il se fie plus à son système interprétatif global qu’à toutes les démonstrations. Le jour où le laïcisme équivaudra à une forteresse de dogmes assurés, se fortifiant les uns les autres, plutôt qu’un champ ouvert de questions et de recherches, il faudra bien se résoudre à réinventer la laïcité.
Jean VOGEL Professeur à l’ULB Membre du collectif “100 valeurs” créé, à l’occasion de l’interdiction de Tariq Ramadan à l’ULB en 2007, dans le but de s’opposer à toute tentative d’établir une orthodoxie du libre examen. W. Benjamin, “Le capitalisme comme religion”, in Fragments philosophiques, politiques, critiques, littéraires, Paris, PUF, 2000, pp. 111-113. 2 J’entends par là la construction, à partir des valeurs de la laïcité, d’une conception du monde à prétention globalisante. 1
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LIVRE-EXAMEN
La raison névrotique [Marc Jacquemain • Edition Labor/Espace de liberté-2002 • 93 pages]
Afin que nos valeurs et nos principes ne se transforment pas en dogmes, il s’agit de les interroger sans cesse et de rester attentifs aux dérives qui, derrière une apparence convenue et raisonnable, pourraient se révéler destructrices. C’est la démarche adoptée par Marc Jacquemain dans cet essai. a t-il une limite au mouvement d’émancipation de la raison et de l’individu qui prend son essor avec la modernité ? Un point à partir duquel ce mouvement pourrait se retourner contre lui-même ? Le totalitarisme de demain pourrait-il se révéler à la fois rationaliste et individualiste ?
certitudes traditionnelles quant à la finalité de l’existence humaine. Face à l’absence de sens due à la disparition des repères traditionnels, la raison moderne a substitué une accumulation de moyens à la recherche de sens. C’est cette compulsion à l’accumulation de moyens que l’auteur qualifie de “raison névrotique”.
A ces questions, le petit livre de Marc Jacquemain, tente de répondre en interrogeant deux facettes de la modernité : son aspect compulsif ou névrotique d’une part et la nature réflexive (se prenant ellemême pour objet de questionnement) de la raison moderne d’autre part. L’avènement d’une raison de type instrumentale et calculatrice, propre à la modernité, a eu notamment pour effet de détruire les
A la figure traditionnelle du Sage, se substitue, celle résolument moderne de l’expert. Les types de savoirs qui découlent de ces deux figures sont de natures bien différentes. En effet, si le Sage dit la loi et possède un savoir holiste et non formalisable, l’expert au contraire, possède un savoir complexe et parcellaire qui n’implique pas par lui-même un ordre social. Cependant la science moderne tend à
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céder à une double tentation : établir des certitudes et constituer une morale à partir d’elles… Cette double tentation a pu s’illustrer de différentes manières jusqu’à la moitié du XXe siècle. Actuellement le savoir des experts a tendance à être relativisé jusque chez “l’homme de la rue”, que ce soit par le doute répandu lors des querelles d’experts, par exemple, autour de la question des OGM, ou bien par l’émergence d’un savoir des victimes notamment dans les grandes affaires de pédophilie. Si la réflexivité du savoir est propre à la science moderne, elle commencerait seulement à se manifester vers la fin du XXe siècle. C’est à partir des années septante que la
modernité prend un tournant déterminant, ce que l’auteur appelle le tournant “post”, en référence à ce que philosophes et sociologues ont décrit derrière les concepts de post-modernisme et de postmatérialisme. La génération issue de l’après guerre connaît des conditions de confort matériel et d’accès à l’éducation sans précédent, ce qui la distingue radicalement de la génération précédente. Une fois l’individu désenchaîné des formes d’autorités traditionnelles et sa liberté individuelle acquise, il se révèle finalement être un consommateur isolé, livré à la flexibilité du marché du travail et capable d’autocontrôle. Cela peut paraitre paradoxal si on se réfère à l’imaginaire associé à mai 68, mais pas tant si l’on prend en compte le caractère névrotique de la raison moderne.
qu’Orwell s’est trompé, du moins sur la forme du totalitarisme à venir. Plutôt que l’assujettissement total à l’État, ce serait l’absence de toute transcendance collective qui serait source d’autodestruction. Examiner nos valeurs, ce qui les relie ; chercher et inventer des “vivre ensemble” ; relire Orwell, c’est ce que suscite en nous ce “petit livre”.
Thomas LAMBRECHTS Délégué à la communication sociopolitique
“La domination progressive de la figure du consommateur sur celle du citoyen est en somme l’analogue, dans le cadre de l’émancipation de l’individu, de la modernité compulsive dans le contexte de l’émancipation de la raison.” C'est-à-dire l’absence, chez l’homme moderne, de finalité politique autre que le statu quo, la réussite professionnelle et l’accumulation de moyens sans fins. Le statut contradictoire de la liberté acquise s’explique, pour l’auteur, par la distinction à faire entre liberté individuelle et liberté collective, cette dernière faisant défaut. Jacquemain considère que la conception de l’autonomie de l’individu doit être liée à une certaine dépendance vis-à-vis de l’autre. C’est cette réflexion sur la relation entre autonomie et dépendance qui fait dire à Jacquemain
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PORTAIL
D’origine philosophique, le dogme s’est vu avec l’émergence du christianisme, réduit à une acception purement théologique. Perçu comme l'affirmation d'une vérité absolue, irrévocable et solennellement proclamée sous inspiration divine, le dogme fut longtemps opposé à la science, porteuse de vérités relatives ne prétendant que s’approcher de la réalité.
Grand voyageur devant l’éternel, le dogme a choisi par la suite d’investir de nouveaux territoires de conquêtes, démontrant de la sorte l’immanente capacité de l’homme à créer des idées et raisonnements figés sans se référer à une source divine. Certaines croyances non religieuses, dans les domaines politiques ou sociologiques par exemple, lorsqu’elles traduisent une vision péremptoire et absolue sont aujourd’hui qualifiées de dogmes. Cette appellation recouvre une connotation péjorative car elle suppose des conceptions imprégnées de conformisme et d’absence d’esprit critique.
Si la laïcité en tant que conception de vie, s’est longtemps définie par opposition aux dogmes religieux, l’évolution de notre contexte historique ne signifie pas pour autant la disparition des entraves à l’exercice du libre examen et à l’expression des valeurs d’émancipation à l’égard de toute forme de conditionnement, auxquels les laïques ne reconnaissent qu’un seul fondement : l’humanisme.
Dès lors, “les nouveaux dogmes” ne pouvaient laisser indifférents les laïques que nous sommes, toujours soucieux de combattre les entraves à la pensée libre et de promouvoir l’exercice du libre examen.
Internet étant chaque jour un peu plus le reflet de notre société, la toile relaie autant de visions dogmatiques que d’outils pour les combattre.
Un petit tour d’horizon s’impose…
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Le dogme de l’esthétisme La mode féminine est parfois perçue comme le dogme de l’esthétisme imposé telle une démocratie soviétique. Il suffit qu'un couturier décide un beau matin que cette année, le string se porte sur la tête pour que le lendemain 300 millions de femmes se mettent à porter leur string sur la tête. La mode, c'est le nivellement de la beauté par le bas... nylon. (Varice et versa) http://www.style.com/ Les québécois du groupe “Les vulgaires machins” s’insurgent et dénoncent en musique l’hyper-sexualisation dans les médias et plus spécifiquement dans les clips vidéos (et en plus on comprend les paroles !!). http://www.youtube.com/watch?v=oC NYLgEQXAA&eurl=http://64.233.183.10 4/search?q=cache:5VU2ZQPebHUJ:ww w.radioenergie.com/carrefour/node/21 964+le+dogme+des+m%C (Plus rapide : Aller sur youtube et taper “anéantir le dogme”)
Le dogme de l’économie “Nous entrons dans une ère où beaucoup d'entre nous laissent le sens filer entre leurs doigts. Beaucoup d'entre nous s'écartent du meilleur de ce qu'ils sont, sans même y prêter attention. Eclairons ce sens du vide, élaboré comme une norme par le pouvoir économique et médiatique. Ecartons ces valeurs souvent affreuses, distillées par les médias et soutenues par nos peurs d'être nous-mêmes. N'acceptons que ce sens que nous ressentons et vivons comme
étant bon pour nous tous et pour la planète. Réapproprions-nous le sens de notre vie et développons simplement notre esprit critique.” Si ce passage vous intrigue, poussez plus loin votre curiosité et jouez de la souris : http://www.lesensdenosvies.org/
ces inepties dont on vous bourre le crâne depuis votre naissance sans que vous ayez jamais eu une seule fois dans votre vie la preuve de leur efficacité... Suivez le guide : http://critidogme.free.fr
Le dogme hédoniste Le dogme de la croissance Pour les décroissants, un enfant de cinq ans comprend qu’une croissance infinie est impossible dans un monde aux ressources limitées, a fortiori quand nous en touchons les limites. Se déresponsabiliser sur la science, (“les scientifiques trouveront bien une solution !”) ne fait qu’aggraver les problèmes. “Le premier objectif du Parti pour la décroissance est donc de participer à la déconstruction de cette idéologie folle et irrationnelle d’une croissance et d’un développement économique sans limites. Le Parti pour la décroissance veut contribuer en premier lieu à rétablir de l’esprit critique, étape indispensable avant d’amener toute proposition.” Décroissez relax : http://www.partipourladecroissance.net
Le dogme religieux “Critique des dogmes religieux autoritaires et aliénants” Oubliez les dieux, les oracles, les mages, les vaudous, les marabouts, les enchanteurs, les devins, les cartomanciens, le zodiaque, l'astrologie, les médiums, les sorciers, les tarots, les runes, les tables tournantes, les esprits frappeurs et toutes
Le divertissement est-il le nouvel opium du peuple ? Dans la lignée de Debord et Bachelard (voire de Pascal…), Julien Ducharme tente de répondre à cette question ambitieuse. Amis de la philosophie, bonsoir. http://www.cvm.qc.ca/flashinfo/Automn e2003/8decembre/Dogmehedoniste.pdf
Le dogme du travail “Hommes aveugles et bornés, ils ont voulu être plus sages que leur Dieu; hommes faibles et méprisables, ils ont voulu réhabiliter ce que leur Dieu avait maudit. Moi, qui ne professe d'être chrétien, économe et moral, j'en appelle de leur jugement à celui de leur Dieu; des prédications de leur morale religieuse, économique, libre penseuse, aux épouvantables conséquences du travail dans la société capitaliste.” L’œuvre complète de Paul Lafargue est à portée d’un clic : http://www.marxists.org/francais/lafargue/index.htm
M@rio FRISO relations publiques
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L’ASBL AIGUILLAGES vous propose de célébrer avec elle son 20e anniversaire qui se déroulera sous la forme d’une réunion festive destinée aux représentants des organismes officiels, des antennes sociales collaborantes et des amis qui soutiennent l’action de l’association. Date : samedi 20 septembre 2008 de 17h00 à 21h30. Lieu : Hôtel Communal de Saint-Gilles 39 Place Van Menen à 1060 Saint-Gilles. PAF : gratuit. Renseignements : Aiguillages asbl, 45 rue Gustave Defnet à 1060 SaintGilles, aiguillages@skynet.be
LES AMIS DE LA MORALE LAÏQUE DE SCHAERBEEK propose deux activités : 1 - Exposition “Les histoires de Moralia”. Exposition de travaux et d’histoires écrites et illustrées par 7 classes de Morale de 4ème primaire de Schaerbeek organisé par Bibla, avec le soutien financier de la Cocof Date : du 16 juin au 18 septembre, vernissage le 16/6/2008 à 18h. Lieu : Bibliothèque Mille et Une pages, 1 place de la Reine, 1030 Schaerbeek. PAF : gratuit. Renseignements : andre.asselman@skynet.be 2 - Exposition “Reflets d’Images Images Reflets”. Présentation du travail réalisé par 7 classes de l’Ecole 1, de l’Ecole de la Vallée et de l’Institut Frans Fischer, sur l’image organisé par le Musée d’Art spontané et les Amis de la Morale Laïque de Schaerbeek, avec le soutien financier de la Cocof. Date : vernissage jeudi 19 juin, à 15h30. Lieu : l’Ecole 1, 229 rue Josaphat, 1030 Schaerbeek. PAF : gratuit. Renseignements : andre.asselman@skynet.be.
LA LIGUE vous propose : 1 - trois stages résidentiels dans les Ardennes en théâtre, méditation et création plastique ainsi qu'en développement personnel. • Petites formes théâtrale sur le thème de l’amour avec Geneviève Ryelandt. • Des sens à l’essence, méditation et création plastique avec Marianne Obozinski et Harry Birkholz • Carte de vie, “j’ai rendez-vous avec moimême” avec Xavier Denoël Date : du 30/06/2008 au 4/07/2008. Lieu : Domaine des Masures (centre de dépaysement CFWB), 40 rue des Chasseurs Ardennais à 5580 Han-surLesse. Renseignements : 02/511 25 87 ou formation@ligue-enseignement.be 2 - trois stages résidentiels de trois jours pour se remettre en forme avant la rentrée • Prendre la parole en public avec Geneviève Ryelandt • Ressourcement “last minute” avec Marianne Obozinski • Développer son projet personnel avec Bruno Barbier Date : 27/08/2008 au 29/08/2008. Lieu : Domaine des Masures (centre de dépaysement CFWB), 40 rue des Chasseurs Ardennais à 5580 Han-surLesse. Renseignements : 02/511 25 87 ou formation@ligue-enseignement.be
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Exprimez
votre point de vue Bruxelles Laïque et l’ensemble du C.A.L. initient un vaste cycle de rencontres et d’échanges autour des enjeux, positions, projets et questionnements de la laïcité organisée en Communauté Française. Parallèlement aux divers rendez-vous qui seront fixés, nous vous proposons de nous communiquer vos points de vue au sujet des quelques questions et affirmations reprises à la page suivante. Il s’agit d’une consultation à titre indicatif qui ne prétend à aucune représentativité. Les différents avis que vous aurez exprimés, par une voie ou l’autre, nourriront notre réflexion et questionnement permanent sur l’engagement laïque, en particulier lors de la Convention Laïque du 7 mars 2009. La collecte des réponses et leur traitement se font de façon entièrement anonyme. Si vous désirez signer vos réponses, merci de le mentionner dans votre communication. Vos réponses à tout ou partie du questionnaire, ainsi que vos réactions à nos articles ou toute autre réflexion sur la laïcité, peuvent nous parvenir par courrier postal, électronique ou télécopié : Bruxelles Laïque 18-20 Avenue de Stalingrad • 1000 Bruxelles Courriel : bruxelles.laique@laicite.be Fax : 02 502 98 73 Le questionnaire en version informatique est disponible sur simple demande.
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ECHOS N°60
1. L’expression des convictions philosophiques en dehors de la sphère privée doit-elle, selon vous, être : - interdite - dissuadée - tolérée - garantie - reconnue - promue
2. La laïcité défend le principe de traitement égal des individus quelles que soient leurs options confessionnelles ou non confessionnelles. Le mouvement laïque devrait-il promouvoir l’application de ce principe à d’autres sources d’inégalité ? Si oui, lesquelles ?
3. Où se situe, pour vous, la limite entre sphère privée et sphère publique ?
4. Peut-on parler de tout et avec tout le monde ? La liberté d’expression doit-elle être limitée ? Si oui, où doit-on fixer les limites ? Si non, pourquoi ?
5. Aujourd’hui ou dans un futur proche, la laïcité est-elle menacée ou menaçante ? Sur quoi porteraient de telles menaces ? D’où proviendraient ces menaces ?
6. Voici une série d’affirmations. Pouvez-vous vous positionner par rapport à elles, éventuellement les nuancer et argumenter ? • La laïcité politique postule la neutralité ou l’impartialité de l’espace public et des institutions publiques. La réalisation d’un tel cadre implique de rendre invisibles les convictions et particularités de chacun. • Dans la Belgique d’aujourd’hui, l’impartialité de l’espace public est mise en question et même en péril. (Par qui ?) • On ne peut donner de sens à la vie sans croire. • Les laïques autorisent tout ce que les religions interdisent. • La neutralité ou l’impartialité de l’espace public, chère à la laïcité, impose de garantir un espace public d’expression pluraliste et égalitaire, sans mainmise hégémonique. • Il faudrait remplacer les cours de religions et de morale laïque par un cours unique, commun à tous les élèves, d’histoire des religions et des philosophies, ainsi que par un cours d’éducation civique. • Il faut être athée ou agnostique pour être laïque.
7. Quels devraient être les enjeux ou combats prioritaires du mouvement laïque pour les dix prochaines années ?
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Émancipation neutralité La laïcité en débat liberté athéisme religion sphère privée sphère publique vivre ensemble impartialité La laïcité n’est pas un concept figé, c’est d’abord l’acceptation d’un débat dans l’espace démocratique. Au-delà de l’emballement médiatique autour de cette question et des logiques d’affrontement en présence, de nombreux acteurs partagent la volonté de dépassionner et de pacifier le débat, tout en préservant ses exigences de contradiction. Alors que le mouvement laïque entame un vaste cycle de rencontres et d’échanges autour des enjeux, positions et questionnements de la laïcité, le débat est également initié par de nombreux acteurs dont témoigne la parution de l’ouvrage collectif “Du bon usage de la laïcité”. De quoi parle-t-on quand on évoque la laïcité ? Y a-t-il deux laïcités en Belgique ? Quel est le rôle d’un Etat laïque ? Qu’entend-on par neutralité ? Qu’est-ce que l’émancipation ?
Mercredi 25 juin 2008 - Rencontre-débat avec
Marc Jacquemain, sociologue et professeur à l’Université de Liège, et Nadine Rosa-Rosso, professeur de français dans l’enseignement de promotion sociale, auteurs et coordinateurs d’un ouvrage collectif “Du bon usage de la laïcité”, publié en mai 2008 aux éditions Aden. Pierre Galand, président du Centre d’Action Laïque.
Modération : Sophie Léonard (Bruxelles Laïque asbl).
Lieu : Bruxelles Laïque asbl, 18-20 avenue de Stalingrad, 1000 Bruxelles Horaire 19h : accueil 19h30 : début de la rencontre.
Renseignements : 02 / 289 69 00 – www.bxllaique.be – bruxelles.laique@laicite.be
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ECHOS N°61
Ariane HASSID, Présidente
Conseil d’Administration
Direction Comité de rédaction
Philippe BOSSAERTS Clément DARTEVELLE Francis DE COCK Jean-Antoine DE MUYLDER Francis GODAUX Eliane PAULET Michel PETTIAUX Yvon PONCIN Johannes ROBYN Laurent SLOSSE Dan VAN RAEMDONCK Cédric VANDERVORST
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GRAPHISME Cédric BENTZ & Jérôme BAUDET EDITEUR RESPONSABLE Ariane HASSID, Présidente de Bruxelles Laïque, 18-20 Av. de Stalingrad - 1000 Bruxelles ABONNEMENTS La revue est envoyée gratuitement aux membres de Bruxelles Laïque. Bruxelles Laïque vous propose une formule d’abonnement de soutien pour un montant minimum de 7€ par an à verser au compte : 068-2258764-49. Les articles signés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.
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