Bruxelles_Laique_Echos_2008_04

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Sommaire Editorial ......................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 3 Être l’hôte de l’autre sans ôter son altérité (M. Bietlot) ................................................................................................................................................................................................................................. 4 Hospitalité (D. Van Raemdonck) ........................................................................................................................................................................................................................................................................................... 8 Hospitalité et sécurité (C. Tolley)....................................................................................................................................................................................................................................................................................... 11 No good countries for the poor immigrants (A. Ndaw)............................................................................................................................................................................................................................... 13 Morphologie d’un mot (C. Tolley) ...................................................................................................................................................................................................................................................................................... 15 L’hospitalité dans les services publiques (C. Delforge) .............................................................................................................................................................................................................................. 16 Quelle hospitalité ? Quels droits ? (A. Martinet) ................................................................................................................................................................................................................................................. 19 LIVRE-EXAMEN : À l’école de l’hopitalité (T. Lambrechts) ...................................................................................................................................................................................................................... 23 A CONTRE-COURANT : l’école à l’épreuve de l’hospitalité (T. Lambrechts) ......................................................................................................................................................................... 25 Être quelqu’un pour quelqu’un (A. Ehx) ...................................................................................................................................................................................................................................................................... 27 L’hospitalité sous condition (P. Hidalgo) .................................................................................................................................................................................................................................................................... 30 Des personnes d’abord (J. Camarena) ....................................................................................................................................................................................................................................................................... 33 Délit de circuler, dénis d’hospitalité (S. Léonard).............................................................................................................................................................................................................................................. 36 PORTAIL : l’hospitalité (M. Friso)....................................................................................................................................................................................................................................................................................... 40 LA LAÏCITÉ EN DÉBAT : liberté et aliénation de l’individu contemporain (G. Bajoit) ..................................................................................................................................................... 42 PRÊT-À-PENSER : le droit au travail (C. Tolley)................................................................................................................................................................................................................................................... 46 AGENDA : échos laïques de vos activités bruxelloises .............................................................................................................................................................................................................................. 48

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EDITOrial “Voici vingt-cinq siècles que des hommes ont aperçu clairement que la dignité humaine était la seule valeur authentique, et nous en sommes encore, au sein de cette civilisation qui n'existe qu'en se nourrissant de cette certitude morale, à la voir piétinée chaque jour dans la personne de millions d'hommes, de femmes, d'enfants.” Extrait de l’Appel à la fraternité dans Homo, revue de la libre pensée, 1938. L’hospitalité… Il peut sembler surprenant que Bruxelles Laïque Echos se consacre entièrement à cette notion plus souvent reprise dans le discours des religions monothéistes. Pour les chrétiens, l’hospitalité impose de “voir le Christ en chaque étranger qui se présente”. Cette notion est également centrale dans le Judaïsme et l’Islam. La sécularisation de la société aurait-elle entraîné un désintérêt pour cette valeur. Pour nous, laïques, la neutralité de l’espace public doit imposer que chacun, quelles que soient ses qualités, soit traité de façon égale. Notre attachement à la dignité humaine implique le respect de l’intégrité de tous et la garantie de conditions qui permettent à chacun de s’épanouir en liberté. Ne devrions-nous pas nous interroger, dès lors, sur le sort qui, dans notre société, est réservé à celles et ceux que l’on a tendance à définir par leurs différences et à cantonner dans des statuts minoritaires ou subalternes. En effet, la façon dont sont traitées ces personnes renseigne particulièrement bien sur l’état de la société et de la démocratie. Aujourd’hui, l’acte d’hospitalité est devenu une pratique minoritaire. Pourtant, bien des acteurs sociaux et des penseurs humanistes nous proposent de la réactualiser. Pour notre part, il nous semble que si l’hospitalité dans son acception traditionnelle s’adresse à des personnes de passage, présentes momentanément, il importe d’étendre la définition afin que cet acte attentionné et obligeant s’adresse à tous et que se développe ainsi une véritable culture de l’hospitalité. Si l’acte est transitoire, le rapport à l’autre doit devenir constant. Cette culture de l’hospitalité est une affaire de personne à personne, mais elle concerne aussi les groupes, les institutions et les Etats. Elle devrait avoir pour fondement le respect de l’autre et pour corollaire des droits et devoirs réciproques. L’actuelle fermeture à l’autre, toujours peu ou prou identifié comme gêneur ou comme perturbateur, pose question non seulement aux laïques, mais à la société toute entière et à chacune de ses composantes. A titre d’exemple, l’Université Libre de Bruxelles a été récemment confrontée à un dilemme entre ses principes humanistes et la difficulté d’agir concrètement dans une optique hospitalière lorsque quelques centaines de sans-papiers (hommes, femmes et enfants) expulsés de la maison qu’ils occupaient se sont réfugiés dans ses locaux. Saluons l’ULB dont les valeurs humanistes l’ont amenée à trancher pour une option d’ouverture et de bienveillance à l’égard de ces personnes dans le désarroi. Notre présent numéro devrait ouvrir quelques pistes de réflexion. Nous vous invitons à interroger avec nous l’hospitalité et ses éventuelles limites tant d’un point de vue étymologique, historique, philosophique ou juridique que par rapport aux pratiques développées par les politiques et services publics ou les associations à l’égard des personnes à mobilité réduite ou en difficulté psychique, des jeunes scolarisés ou non, des personnes âgées ou des nourrissons, des pauvres ou des migrants (victimes d’une autre forme de mobilité réduite)… Au nom de l’hospitalité, je vous souhaite la bienvenue au cœur de notre questionnement. Et si vous souhaitez y apporter votre bagage, y marquer votre accord ou votre différence, nous vous accueillerons avec plaisir. Ariane HASSID Présidente

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Être l’hôte de l’autre sans ôter son altérité n septembre 2007, Edouard Delruelle participa au débat que nous organisions pour interroger la définition d’un “Nous” qui pourrait rassembler dans un projet d’humanité et de société commune la diversité de ses composantes. C’est en grande partie son exposé qui amorça notre questionnement sur la notion d’hospitalité. Le propos de Delruelle ayant déjà été publié par Espace de Libertés1, nous en reprendrons ici les idées forces et quelques extraits pour ensuite les discuter et préciser notre questionnement.

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De la démocratie à l’hospitalité La démocratie ne peut être appréhendée comme un état de fait acquis ou un système figé. Elle relève d’une dynamique ouverte, inscrite dans l’histoire, faisant

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face aux questions que pose cette dernière pour tenter de les résoudre au mieux. Chaque fois que nouveaux acteurs deviennent visibles dans l’espace public de la démocratie2, celle-ci est amenée à se réinventer. “A chaque fois, un droit fondamental est octroyé, qui garantit l’inscription réelle de ces nouvelles subjectivités dans le “nous” commun (le suffrage universel ; le droit de grève) ; des acteurs collectifs émergent (les partis ; les syndicats) ; des dispositifs institutionnels spécifiques sont instaurés (ainsi, pour la démocratie sociale : les tribunaux du travail, les commissions paritaires, la sécurité sociale, etc.) ;…” Pour que cette émergence soit possible, Delruelle pose deux conditions supplémentaires à cette dynamique démocrati-

que. Il nomme la première condition de “laïcité profonde” : “la société ne repose plus sur aucun fondement, l’ordre social et politique est dépourvu de repère dernier, d’assise transcendante”. La définition de la société, de la communauté qui la compose et des règles qui la régissent, ne sont pas transcendantes (intangibles et inaccessibles à l’action humaine, tels les dieux des croyants) mais immanentes et toujours sujettes à une remise en question critique. A mon sens, le philosophe propose ici une articulation pertinente de la laïcité politique et philosophique en ce qu’il en va de la démarche libre exaministe appliquée au cadre de la laïcité politique. L’autre condition en appelle à la “créativité historique” : l’inscription de nouveaux sujets politiques dans l’espace public supposent la réinvention de cet espace


commun, ces “nouveaux acteurs ne viennent jamais simplement s’ajouter par addition au “nous” ; ils refigurent ses contours, l’invitant à changer son centre de gravité, à se décentrer continuellement”. Aujourd’hui, les nouveaux acteurs qui interpellent la dynamique démocratique sont les migrants ou les minorités culturelles. L’invention d’une nouvelle forme de démocratie, interculturelle, qui les reconnaîtrait comme acteurs politiques, membres de la communauté démocratique, à part entière, paraît possible à Delruelle, moyennant une vigilance démocratique quant à certaines exigences. Je soulignerai avec l’auteur que cette nouvelle démocratie interculturelle ne viendra pas remplacer la démocratie politique et la démocratie sociale mais qu’elle les complète et s’appuie sur celles-ci. Il serait vain de reconnaître des droits culturels aux nouveaux arrivants sans leur octroyer les droits politiques et sociaux qui fondent notre démocratie. Si la question identitaire et culturelle accapare de plus en plus de débats, il ne faudrait pas y voir le seule ou le principal enjeu de société d’aujourd’hui. Les individus se trouvent autant affectés ou préoccupés par les politiques menées et la situation socioéconomique que par les rapports interculturels. Je me demande dans quelle mesure la prédominance accordée aux questions culturelles ne témoigne pas, en fait, d’une défaite sur les plans politique, économique et social. Impuissants à changer l’ordre économique et social, on monte les questions culturelles en épingle pour en faire les principaux objets de revendication et de discours politiques…

Par ailleurs, notre identité ou notre culture, n’est-elle pas la résultante complexe, multiple et mouvante de notre trajectoire, de toutes nos appartenances (autant à une “ethnie” qu’à une classe sociale, un groupe politique, un club de sport ou une bande d’amis) et rencontres, de tous nos choix et contraintes, de toutes nos contradictions et celles du monde dans lequel nous vivons... jamais identiques à nousmêmes (pour reprendre la définition derridienne de la culture par laquelle Delruelle termine son propos). A l’issue de cette digression personnelle, j’en arrive au dernier point développé par Delruelle et à la question de l’hospitalité. Les “enjeux de la démocratie interculturelle sont indissociables de la question cosmopolitique”, trans-nationale et transétatique. C’est parce qu’on trouve sur un même territoire plusieurs identités nationales et que chaque identité nationale est dispersée sur plusieurs territoires étatiques que se pose la question interculturelle. La réinvention permanente de la démocratie devrait donc intégrer cette situation de fait dans ses principes et instaurer des droits liés à l’émergence de nouveaux sujets : “Le droit à l’hospitalité est à la démocratie interculturelle ce que le suffrage universel est à la démocratie politique, et le droit de grève à la démocratie sociale. Ce droit d’hospitalité (pensé dès le 18e siècle par Kant) est le droit de tout homme venant d’ailleurs (avec sa culture, sa langue, sa religion, son mode de vie) d’être accueilli et respecté dans sa singularité et dans son altérité. Le droit d’hospitalité (dont Kant précise qu’il ne relève pas de la “philanthropie”, c’est-à-dire de l’humanitaire,

mais bien du droit) signifie tout simplement que, puisque notre monde est un monde fini, dépourvu d’espaces inhabités où nous pourrions refouler les nomades, puisque “en tant que sphérique, les hommes ne peuvent se disperser à l’infini et qu’il faut donc qu’ils se supportent les uns à côté des autres, personne n’ayant originairement le droit de se trouver à un endroit de la terre plutôt qu’à un autre”, (en conséquence de tout cela, conclut Kant) “tout homme a le droit de se proposer comme membre de la société” - c’està-dire tout homme a le droit de se proposer comme nouveau sujet du nous3.” Tout en abondant dans le sens d’Edouard Delruelle, je me permettrai une petite discussion de ses références philosophiques, non pour m’escrimer dans une querelle d’érudits, mais pour affiner les enjeux de l’hospitalité et préciser notre recherche d’une laïcité toujours plus porteuse d’émancipation et de vivre ensemble épanoui. Une différence philosophique Si l’on doit à Kant d’avoir posé le droit à l’hospitalité comme condition d’une paix entre les nations, au même titre que l’Etat de droit (“constitution républicaine”) – et donc intimement lié à celui-ci –, une relecture du texte4 révèle que la conception kantienne de l’hospitalité s’apparente moins à ce que Delruelle propose qu’aux pratiques peu hospitalières de nos gouvernements et sociétés. Le droit à l’hospitalité consiste pour Kant à pouvoir arriver dans un pays “sans être traité en ennemi” ou “de manière hostile”.

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Ce qu’il serait déjà bon de rappeler aux responsables de nos politiques de l’immigration… Cependant, les limites fixées par le philosophe à son principe ne sont pas sans rappeler la pléthore de restrictions que connaît le droit des étrangers dans nos pays. D’abord, l’hôte peut “renvoyer” ou “refuser de recevoir” l’étranger, sauf si cela entraîne sa “perte” ou sa “mort”. Kant anticipe ici le droit d’asile et la Convention de Genève de 1951, à ceci près que tout son propos concerne la relation entre individus et non entre Etat et individu. L’hospitalité relève pour lui des droits et devoirs des citoyens, non de la puissance publique. Il instaure donc une forme de solidarité internationale ou de droit d’asile privé obligeant chaque citoyen à accueillir les personnes fuyant la persécution. Plus loin, Kant ajoute d’ailleurs que la communauté mondiale en est arrivée au point “où toute atteinte au droit en un seul lieu de la terre est ressenti en tous”. Ensuite, Kant ajoute que “l’étranger ne peut prétendre à un droit de résidence” car l’hospitalité ne concerne qu’un “droit de visite dû à tous les hommes” (en vertu de la possession commune de la surface de la terre mais non de tout ce qui y a été bâti par les humains). Il s’agit donc moins du droit à l’immigration, auquel voudrait se référer Delruelle (“se proposer comme membre de la société” alors que d’autres traductions disent “se proposer à la société” ou “proposer sa compagnie”), que d’un droit au tourisme (sans visa). Enfin, l’étranger sera accepté “tant qu’il se tient paisiblement à sa place” ou “tant qu’il

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n’offense personne” ou encore, dans un autre texte, à condition de rester prévisible en toute circonstance : un “homme de principe, dont on sait avec certitude ce que l’on peut attendre”. Cette condition est celle que de nombreux sociologues de l’immigration, d’Abdelmalek Sayad à Andrea Rea, ont appelé le devoir d’irréprochabilité, de rectitude, de docilité et finalement d’invisibilité auquel sont astreints les étrangers. Elle se traduit, dans la plupart des lois concernant les étrangers, par la possibilité de refuser ou suspendre un droit si l’on estime que l’intéressé pourrait constituer un danger pour l’ordre public ou la sécurité nationale. Elle révèle surtout l’état d’esprit dans lequel est appréhendé (aux deux sens du terme) l’accueil des étrangers, plus proche de la tolérance que de l’hospitalité. L’étranger peut éventuellement demeurer parmi nous, pour peu qu’il ne dérange nullement nos habitudes, ne soit pas étrange ou différent pour un sous, se plie à ce que l’on attend de lui, ne formule pas la moindre revendication, oublie aux vestiaires de l’exil son identité et ses projets. Un être paisible et prévisible. C’est aussi le cas des réceptions dans certaines maisons réputées, où l’on est invité qu’à condition de respecter une foule de codes de bonne tenue. L’hôte n’est accepté que s’il n’est pas l’Autre qui nous demanderait une attitude hospitalière avec la remise en question de soi et l’effort d’égalisation qu’elle requière. En quelque sorte, Kant formule moins un principe d’hospitalité que d’assimilation. Précisons, à sa décharge, que la limite qu’il assigne au droit de visite visait moins la situation des migrants actuels que les exactions des colons de son époque.

Tel n’était évidemment pas le propos d’Edouard Delruelle. Le droit à l’hospitalité qu’il associe à la démocratie interculturelle se réfère moins à sa première formulation kantienne qu’aux réflexions d’autres philosophes autour de ce concept, dont le plus notoire reste Jacques Derrida. Alors que Kant insistait pour que l’hospitalité relève d’un droit et d’un devoir plutôt que de la charité et de la philanthropie, Derrida la situe du côté de l’éthique, non pas une éthique parmi d’autre mais l’éthique même, qu’avec Levinas, il pose comme antérieure à toute ontologie, à toute politique, à tout état de nature et de droit. “En tant qu‘elle touche à l‘ethos, à savoir à la demeure, au chez-soi, au lieu du séjour familier autant qu‘à la manière d‘y être, à la manière de se rapporter à soi et aux autres, aux autres comme aux siens ou comme à des étrangers, l‘éthique est hospitalité...”5. Elle est la culture même, il n’y a pas de lien social sans un principe d’hospitalité. Cette éthique commande d’accueillir l’arrivant sans calcul ni réserve, de s’exposer à sa surprise, à son intrusion6, à son étrangeté, à son altérité et à notre altération réciproque, à l’altérité absolue ou infinie dont il est porteur : “l'hospitalité absolue exige que j'ouvre mon chez-moi et que je donne non seulement à l'étranger [...] mais à l'autre absolu, inconnu, anonyme, et que je lui donne lieu, que je laisse venir, que je le laisse arriver, et avoir lieu dans ce lieu que je lui offre, sans lui demander ni réciprocité (l'entrée dans un pacte) ni même son nom”7. Cet accueil de l’inconditionnel s’adresse cependant à l’autre dans sa singularité. Je dois donc le connaître et le


reconnaître, lui demander comment il se présente et interroger du même geste la manière dont je me présente, en dehors des identités administratives et des inquisitions policières. Nonobstant cette position première de l’éthique, Derrida reprend tout de même la distinction kantienne entre droit de visite, ici l’hospitalité éthique (“la loi inconditionnelle de l’hospitalité illimitée”) qui incombe à chaque individu, et droit de résidence, qui appartient aux prérogatives de l’Etat (“les lois de l’hospitalité, ces droits et ces devoirs toujours conditionnés et conditionnels”8). La Loi et les lois nouent entre elles un rapport impossible et nécessaire, à la fois inconciliables et inséparables. Une nation, comme une famille, ne peut pas ne pas suspendre ou trahir le principe d’hospitalité absolue, non seulement pour protéger sa propriété, sa demeure, son “chez soi” mais aussi “pour tenter de rendre l’accueil effectif, déterminé, concret, pour le mettre en oeuvre. D’où les “conditions” qui transforment le don en contrat, l’ouverture en pacte policé ; d’où les droits et les devoirs, les frontières, les passeports et les portes…”. Les lois de l’hospitalité (par exemple en matière d’immigration) s’avèrent nécessaires pour rendre effective la Loi inconditionnelle de l’hospitalité ; sans quoi elle resterait un vœu pieux voire se pervertirait. Cette mise en pratique ne doit cependant jamais perdre de vue, dans une tension permanente, le principe qui l’anime. “Calculer les risques, oui, mais ne pas fermer la porte à l’incalculable, c’est-à-dire à l’avenir et à l’étranger, voilà la double loi de l’hospitalité.”9

Acceuillons cette hospitalité Cette hospitalité à l’égard de toute forme d’altérité et d’étrangeté inspire notre approche de l’interculturalité. Nous ne l’avons jamais réduite aux seules relations entre groupes ethniques. Elle concerne tout rapport à la différence qu’elle reçoit dans sa différance en l’engageant à rester différente, qu’elle refuse de figer dans une identité déterminée. Elle invite à rencontrer l’altérité, à commencer par celle qui loge en nous-même et se révèle à l’accueil de l’autre. Comme le conclut Delruelle avec Derrida, elle reconnaît l’étranger comme familier et le plus familier comme étrange.

1 Edouard Delruelle, “L’interculturel est-il soluble dans la démocratie ?”, Espace de Libertés, septembre 2008, n°367 : “Décoder la diversité”, Centre d’Action Laïque, pp. 5-7 2 C’est-à-dire sortent de l’obscurité et du silence où ils sont confinés même s’ils étaient présents depuis longtemps dans la société. Ce fut par exemple le cas des femmes au début du XXe siècle. Avant cela, le “peuple” ou “tiers-état” émergea comme acteur à l’occasion de la Révolution française et les ouvriers ou “prolétaires” dans la foulée de la Révolution industrielle. 3 E.Kant, Projet de paix perpétuelle, trad. Gibelin, Vrin, 1984, p.30. 4 Et une comparaison de ses diverses traductions françaises. 5 Derrida Jacques, Cosmopolites de tous les pays, encore un effort !, Paris, éd. Galilée, 2007, p. 42 6 Jean-Luc Nancy, L’Intrus, Paris, éd. Galilée, 2000 7 Dufourmantelle Anne et Derrida Jacques, De l'hospitalité, Paris, éd. Calmann-Lévy, 1997, p. 29 8 Ibidem 9 Entretien de Dominique Dhombres avec Jacques Derrida, “Il n’y a pas de culture ni de lien social sans un principe d’hospitalité”, in Le Monde, 2 décembre 1997.

L’hospitalité propose ainsi une clé non seulement pour aborder les questions de migration mais également de logement, de cohabitation, de communication, d’apprentissage, de mœurs, de vivre ensemble, d’identités, de présentation de soi et de rapport à soi puisqu’elle part du “chez soi”, l’ouvre et invite à ne pas y rester. Une exigence de ne jamais s’enfermer dans l’acquis ou le passé, de ne figer aucune certitude, de permettre à l’avenir de s’inventer en invitant tout le monde à table, de mettre en œuvre la justice et la solidarité. Une exigence de laïcité… cosmopolitique.

Mathieu BIETLOT Coordinateur sociopolitique

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haque Homme, du fait qu'il est un être humain, dispose de droits inaliénables (il n'est pas possible de l'en priver sans le déchoir de son humanité) et imprescriptibles (il n'est pas possible de les abolir). Ces droits de l’Homme fondent la dignité humaine, qui empêche de réduire l'Homme au rang d'objet. La reconnaissance et le respect de la dignité sont vus comme une exigence impérative : alors que la valeur de chaque objet s’énonce en terme de prix, la valeur de l’être humain est sa dignité – l’Homme n’est pas une marchandise. La reconnaissance et le respect de la dignité humaine seraient réalisés par la reconnaissance et le respect de l’ensemble des droits énoncés dans la Déclaration Universelle des droits de l’Homme, dont nous célébrons en cette année 2008 le 60ème anniversaire. Ainsi, une atteinte à l’un quelconque des droits de l’Homme serait considérée comme une atteinte à la dignité humaine.

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Si la visée d’une communauté consiste en l’organisation de la vie en commun (du “Nous tous”, les uns avec les autres et non les uns contre – voire sans – les autres) la plus digne possible avec les institutions les plus justes possibles, la dignité humaine s'inscrit dans la perspective d’une tension entre l’individuel et le collectif. À partir d’une nécessaire estime de soi, conçue comme l'évaluation positive de sa capacité de faire des projets raisonnés, en fonction du contexte social, et de prendre des initiatives pour réaliser ses projets, le sujet-acteur de droits s’ouvre à l’autre et lui reconnaît cette même capacité. Non pas de manière unilatérale, imposée, dans une caritative bienveillance, mais dans une réciprocité de recon-

naissance essentielle à la réalisation de soi. Le sujet acteur ne peut être abstrait de son ancrage sociétal. C’est dans son contexte social qu’il se réalise, que ses droits sont reconnus, qu’il s’accomplit. C’est la communauté qui lui reconnaît et lui garantit sa dignité. Ce qui implique que les droits dont il peut se prévaloir sont nécessairement doublés de la réciprocité de la reconnaissance de la dignité et des droits d’autrui. L’autre considéré non seulement comme un alter ego, mais surtout comme un alter égal. Cette vision éthique de la dignité projette résolument l’organisation de la vie en commun des êtres humains hors toute référence à une transcendance, autorité supérieure qui serait l’arbitre des valeurs de l’Homme. Le rapport à la transcendance est dès lors laissé à la libre appréciation de chacun. Ce qui cimente la communauté est la déclaration de garantie et de respect réciproques de la dignité humaine. Cependant, la dignité humaine, comme les droits de l’Homme, ne se cantonnent pas à une éthique, ni à une morale, qui, pour rendre cette éthique effective, édicterait des impératifs ou des interdits au gré du courant social dominant. Ils dépassent le champ de l’incantatoire pour investir les champs juridique et socio-politique Ils constituent des outils et des normes de droit, qui, comme tels, façonnent notre mode de vie en commun, voire des instruments politiques en vue d’un changement sociétal. Si le principe est entendu, reste à définir l’égale attitude du Soi à l’égard de l’Autre.

Cette attitude a longtemps été habillée du terme de tolérance. Or à y regarder de près, la vie de ce terme n’est pas aussi rose que son esprit invite à le croire1. L’idée de départ n’est pas très égalitaire : dérivé de tolérer, tolérance signifie d’abord, du XIVe siècle à la fin du XVIIe siècle, l’“action de supporter patiemment les maux”. Passé au XVIe siècle dans le domaine religieux, d’abord avec un sens plutôt négatif (le tolérant regarde l’Autre du haut de son bon droit), tolérance commence, via notamment l’Édit de tolérance à l’égard des protestants (1562), à marquer une attitude plus positive à l’égard de la différence, attitude qui domine dans l’esprit des Philosophes et des Lumières du XVIIIe (le Traité de la tolérance de Voltaire, en 1763). C’est de cette acception que se revendique la plupart du temps l’utilisateur contemporain. Mais sous ce vocable aujourd’hui investi et connoté positivement, perce encore çà et là le verbe tolérer, qui persiste à installer la relation de condescendance. “Je te tolère” ne te positionne guère, vous en conviendrez, comme mon alter égal. Tout au plus, cette relation oblique, voire verticale, installe le tolérant, sûr de son fait, en position d’arbitre exigeant de la part du toléré qu’il ne lui complique pas l’existence, c’est-à-dire qu’il s’intègre sans bruit dans le système sans en bouleverser l’organisation. Cette intégration, qui glisse insensiblement vers une assimilation-désintégration, s’opère au prix du sacrifice d’une partie de l’identité du toléré, qui est prié de ne pas faire de vague, et dont on exige presque qu’il devienne un autre moi-même. Après tout, n’entend-on pas dire souvent “Qu’ils

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soient déjà contents qu’on les reçoivent ; je ne serais pas reçu avec les mêmes faveurs chez eux” : l’argument de nonréciprocité avancé pour justifier la nonremise en question de nos pratiques d’accueil. S’ensuivent les “On ne peut pas accueillir toute la misère du monde”, oubliant – ou feignant d’oublier – que l’étranger migrant contribue aux richesses, notamment mais pas seulement économiques, tant du pays d’accueil – les derniers rapports européens font état du dopage de la croissance du fait d’un accueil sans restriction des migrants néo-adhérents de l’Union – que du pays d’origine. Le tolérant préfèrera toutefois l’immigration choisie, unilatérale, qui oublie de considérer équitablement les intérêts des deux parties du mouvement migratoire. Or l’accueil d’un Autre ne peut nous laisser indemne : il nous interroge, nous oblige à questionner nos limites, parfois à les bouger au bénéfice de tous. Bref, il nous complique l’existence et, en fait, c’est tant mieux. Il nous rend vivant, nous fait éviter la sclérose et nous enrichit. Dès lors, un changement de mentalité doit s’opérer, qui réinstaure l’horizontalité des rapports. Tout en affirmant quelques valeurs intangibles, reconstruites ensemble (droits de l’Homme, démocratie, État de droit, non-discrimination, égalité de droits homme-femme, laïcité de l’espace public…) et qui bénéficient effectivement à tous, il nous faut voir l’Autre comme un apport et le recevoir comme un égal. Dans notre lexique, le mot hospitalité rend parfaitement le type de relation que nous prônons ici. Ce mot dérive d’un mot latin

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‘hostire’, qui signifie ‘compenser’ ou ‘égaliser’. L’histoire de ce mot est riche d’enseignements. Il produit tant le terme d’hostie, qui, à partir du sens de ‘victime expiatoire en compensation d’un crime’, conduit au sens chrétien que l’on lui connaît aujourd’hui, que le terme latin hostis ‘hôte’, traité d’égal à égal, qui va connaître une évolution contrastée. Combiné à une racine indo-européenne qui signifie le pouvoir, il produit hospes, “celui qui reçoit l’autre”. Ces deux mots hostes et hospes aboutissent, au terme d’une évolution phonétique parallèle, au même hôte, désignant, dès le XIIe siècle, tant celui qui reçoit que celui qui est reçu, et qui rend bien, à partir du traitement d’égal à égal, la relation horizontale que nous recherchons dans le rapport social. Dérivé également de hospes, le terme d’hospitalité, après avoir désigné “un accueil charitable des indigents”, prend au XVIe siècle la valeur de “droit réciproque de protection et d’abri”, pour le contexte antique, et, pour le contexte général, de “fait de recevoir, loger, nourrir quelqu’un sans contrepartie” et de “bon accueil”, qui subsistera. Même au prix d’un accident de la phonétique historique, la relation d’égalité est ainsi posée, qui devrait être sans cesse revendiquée dans nos rapports à l’Autre. Ironie de l’histoire, c’est également à partir du hostes ‘hôte’ que se forgent les sens d’‘étranger’, puis d’‘ennemi’ (d’où hostile), d’‘armée ennemie’, et enfin d’‘armée’ (ost ou host en ancien français, aujourd’hui éteint) : l’enfer est bien pavé de bonnes intentions et les glissements sémantiques sont le fait de rapprochements que l’esprit

humain semble opérer à l’insu de son plein gré. Néanmoins, instruits de cette ironique histoire, nous serions bien inspirés d’éviter les amalgames qui se répètent jusque dans notre vision contemporaine du rapport à l’Autre, et qui assimilent à nouveau l’étranger au danger et à l’ennemi. C’est dans notre agir social, et notamment par les mots que nous choisirons pour le dire, que nous réaffirmerons nos idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité, clef de voûte, certes républicaine, de nos droits fondamentaux.

Dan VAN RAEMDONCK Président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme Vice-Président de la FIDH

1 Les informations sur l’histoire des mots sont tirées du Dictionnaire historique de la langue française, dirigé par Alain Rey (éd. Le Robert, 2006).


Hospitalité et sécurité ’hospitalité recouvre à la fois une dimension de protection et d’apaisement. Il s’agit d’accueillir une personne affublée d’étrangeté et de faiblesse issues du statut d’étranger, d’errant, de voyageur fatigué ou de miséreux. L’étranger est supposé diminué en dignité par les circonstances qui l’ont mené à l’exil, à l’errance et, dans une situation où il manque d’un toit et d’un couvert, de son “chez-soi”.

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En latin, hostis désigne à la fois l’hôte et l’étranger. La confrontation avec l’étrangeté de l’autre comporte un risque. Sa présence est vectrice d’altérité. Ainsi hostis désigne aussi l’ennemi. L’hôte – tant celui qui donne l’hospitalité que celui qui la reçoit – est à la fois étrange, mais aussi, par définition, hostile. De la sorte, l’hospitalité n’est pas accordée comme un acte de pitié ou de compassion. Il s’agit de faire passer l’étranger d’un statut de faiblesse à celui d’un égal et, par là, de réduire le risque. Il convient, en faisant acte d’hospitalité, de traiter l’autre, le faible, l’étranger et même l’ennemi, tel un égal. Et de l’élever à un niveau de dignité similaire à celle que l’hôte qui accueille reconnaît normalement à ses pairs. Le fait de nommer celui qui accueille et celui qui est accueilli par le même vocable, l’hôte, comporte à la fois cette idée d’égalisation des statuts, mais aussi un projet de réciprocité. Outre que l’égalisa-

tion est mutuelle, le statut de celui qui offre l’hospitalité et celui de l’étranger sont indissociable. L’indigène n’existe pas en tant qu’indigène s’il n’y a pas d’étranger. Et inversement. Ceci n’est pas dit seulement pour le plaisir d’introduire par une note ethno-historique, mais surtout pour souligner cette façon répandue dans le temps et parmi les peuples de traiter l’étrangeté et la dangerosité supposée d’autrui. Les sociétés ou les faisceaux sociaux dont l’organisation garde des fondements holistes, excluant le libre arbitre des individus ou non, sont moins enclins à considérer le voisin direct, le frère ou le cousin comme un danger potentiel. Ceux-ci sont en effet mus par des règles qui sont connues de tous et ils adoptent une place identifiable par tous dans les hiérarchies et les classements autochtones. Celui qui vient d’ailleurs, par contre, ne porte pas nécessairement sur lui ce qui est indispensable à identifier ses intentions, son rôle, ses statuts. Il est donc étrange, étranger et porteur de risque. Sa présence n’est pas sécurisante. Et c’est l’obligation d’hospitalité qui permet la pacification des relations entre l’autochtone et cet étranger qui progressivement, par l’accueil hospitalier qui lui est fait, acquiert une égale dignité. Il en va autrement dans notre société dans laquelle l’individualisme a crû pour atteindre le paroxysme que nous lui connais-

sons aujourd’hui. Certes, en principe, le libre arbitre et l’autonomie de chacun sont supposés plus grands et, puisque ces deux qualités sont censées être épanouissantes, nous sommes invités à célébrer leur avènement. Ceci ne va cependant pas sans un déficit notoire de la solidarité mécanique qui, dans les sociétés holistes, liait les individus et les obligeait les uns par égard aux autres. Ici et maintenant, les membres d’un groupe d’humains ne sont pas pris dans un tout, chaque individu est étranger à chaque autre et, chaque individu est apparemment risqué pour chaque autre. Guy Bajoit, lors de la conférence qu’il a donnée dans le cadre de la campagne “Laïcité en débat”1, nous invite à considérer qu’actuellement, les Individus, Sujet, Acteurs sont censés répondre à quelques injonctions (qu’il appelle “commandements”) : le droit-devoir de se réaliser soimême, le droit-devoir du libre choix, le droit-devoir de plaisir et, le droit-devoir de sécurité. Ce dernier commandement nous intéresse particulièrement. Il s’agit du droit et du devoir d’assurer sa complète sécurité, qui suppose l’élimination des risques pour chacun. Paradoxalement, notre société de tous les risques identifie ceux-ci par des classements qui réifient des groupes, des morceaux de la population : les jeunes qui sont inciviques, les vieux qui menacent la

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sécurité sociale, les personnes handicapés qui risquent de nous contaminer, les homosexuels qui menacent l’institution familiale, les drogués dont les actes sont imprévisibles, les femmes qui remettent en question les fondements patriarcaux, les ouvriers qui font la grève, les financiers qui provoquent la crise, les politiciens qui mentent, les pauvres qui ne payent pas d’impôt, les riches qui s’en mettent plein les poches, les employés qui vont prendre la place des cadres, les intérimaires celle des employés, les chômeurs celle des intérimaires et les sans-papiers celle des chômeurs, les terroristes, les voleurs, les psychopathes, les chiens méchants, les videurs de boîte de nuit, les étrangers… Tous des étrangers, tous potentiellement dangereux. Et comme chacun d’entre nous ne fait partie que de certaines de ces catégories, nous avons tous une bonne raison d’avoir peur de tous les autres qui eux-mêmes ont peur de nous. Entre mon étranger de voisin et moi il faut donc trouver une interface qui tienne compte de notre dangerosité supposée et de notre peur mutuelle. Or puisque “tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne”2 l’État de droit, les institutions et les entreprises libérales vont mettre en place des “solutions”. Pour réduire le risque, nous mettons des agents de police devant les écoles, les mosquées et les synagogues, des agents de sécurité de sociétés privées sillonnent les métros, les trams, les bus, les supermarchés, les banques, les immeubles administratifs. Les villas s’entourent de murs et de portails télécommandés, des caméras de surveillances scrutent nos

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rues et les entrées de nos édifices publics en permanence. Une porte d’entrée sur sept nécessite plus d’une clé pour être ouverte. Une personne sur mille est en prison et un million-six-cent-mille personnes sont fichées par la police fédérale. Ainsi dans notre société individualiste, l’étrangeté conférée à chacun, son hostilité supposée, n’est pas apaisée par le mécanisme de l’hospitalité. Au contraire, c’est l’irrépressible peur de l’autre qui

l’emporte et l’abêtissement sécuritaire qui fait figure de solution au risque présumé. Dommage. Cedric TOLLEY Délégué à la communication sociopolitique Voir à ce propos l’article page 42. Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, article 7. 1 2


NO GOOD COUNTRIES

FOR THE POOR IMMIGRANTS Le monde serait-il devenu inhospitalier pour les pauvres, confrontés au dilemme de n’être les bienvenus ni chez les pauvres eux-mêmes ni chez les riches ?! 13

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n mai 2008, les violences xénophobes dans les townships de Pretoria en Afrique du Sud avaient fait 22 morts parmi les immigrés en quête d'emplois, venant en particulier du Zimbabwe en pleine récession économique et des pays de la région. En mars déjà deux personnes avaient été brûlées vives et près d'un millier laissées sans abri, après que leurs masures aient été incendiées par leurs voisins sud-africains, aussi pauvres qu’eux.

E

La Libye de Momar El Khadafy, hérault de l’unité et de la fraternité africaines, vient d’expulser le 13 novembre dernier, 420 ressortissants maliens jugés indésirables sur le territoire libyen. A l’atterrissage des deux avions qui les ont transportés à Bamako, capitale du Mali, nombreux parmi eux se sont plaints face aux micros des journalistes, de vexations, privations, discriminations et violences que leur ont fait subir l’administration et la police libyennes. Certains venaient de sortir de plus de neufs mois de prison pour défaut de papiers, d’autres travaillaient au noir depuis un an ou deux. Dépouillée de ses maigres ressources, la plupart est rentrée au pays encore plus pauvre qu’auparavant. Dans son numéro du 05 juillet 2007, le journal le Monde dénonçait l’expulsion en France de quatre étrangers gravement malades, malgré les avis défavorables de l’administration hospitalière et du corps médical. Rappelons au passage, qu’en France le gouvernement s’était résolument fixé comme objectif fin 2007 d’effectuer 25000 expulsions d’étrangers. La Belgique n’est pas en reste, loin s’en faut. Ici, comme partout aujourd’hui, du Nord, au Sud, de l’Est à l’Ouest, on chasse, on pourchasse, on enferme et on expulse ces nouveaux parias, ces “damnés de la terre”1 éti-

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quetés migrants clandestins, africains, sudaméricains, kurdes, philippins, arabes ou asiatiques coupables de tentatives d’échapper à leurs conditions de pauvres. La crise économique et sociale dans le monde peut-elle à elle seule justifier l’hostilité de nos sociétés vis-à-vis de l’étranger pauvre, apatride, nomade ou déshérité ? Dans le passé, Ibn Battûta2 célèbre voyageur et chroniqueur marocain, partit de son Tanger natal au début du XIVe siècle, pour entreprendre un voyage de trente ans du Mali à Sumatra et du Kenya aux steppes russes. Il a laissé d’abondantes chroniques qui décrivent les us et les coutumes des pays et des villes où il a séjourné durant ces longues années de pérégrinations. Ses témoignages montrent qu’au-delà de leurs différences religieuses ou culturelles, les sociétés d’alors partageaient un sens et une règle commune en matière d’accueil et d’hospitalité dus à l’étranger, à l’hôte ou au visiteur du moment. Tout le monde semblait respecter ce “droit cosmopolite”3 de l’être humain à être bien reçu partout et traité pacifiquement. L’hospitalité faisait partie de l’art de vivre chez les riches comme chez les pauvres. Honorer l’étranger, car c’était la signification qu’on donnait alors au mot hospitalité, était partagé par tous, comme un devoir et un privilège enviables, au point que certains n’hésitaient pas à se priver ou à s’endetter pour s’en acquitter. Honorer l’étranger, l’hôte ou le visiteur, c’était d’abord le reconnaître comme un semblable, un égal et vouloir célébrer cette parenté commune, ce lien, en partageant avec lui ou en lui offrant ce qu’on a de mieux et de meilleur. La nourriture la plus succulente, la pièce la plus spacieuse, les draps les plus fins et le lit le plus confortable.

Ce qu’enseignent surtout les récits d’Ibn Battûta, c’est que l’hospitalité s’apprend. En Afrique, on dit d’une personne qu’elle possède ou ne possède pas le sens de l’hospitalité selon la manière dont elle traite les visiteurs. L’hospitalité est à la fois une valeur et un rituel social qui ne consiste pas seulement à accueillir et à rendre service. Ce n’est pas de la compassion non plus. Quand les églises, les mosquées ou les temples ouvrent leurs portes aux sans-papiers et aux sans-abris en leur offrant gratuitement gîtes et couverts, ce n’est pas de l’hospitalité, mais de la charité. Et ce n’est pas parce qu’on sourit aux visiteurs en les accueillant qu’on est forcément hospitalier, car l’hospitalité n’est ni de la bienveillance, ni même un service. C’est une manière de prouver son humanisme à l’autre quels que soient son origine, sa couleur, son sexe, sa religion en l’accueillant chez soi et le traitant mieux que soi. Elle n’est donc pas une qualité qui nous est naturelle, une aptitude innée. Elle s’acquiert dans un apprentissage de soi et de l’autre, de la réciprocité des prérogatives et droits qui nous incombent les uns vis-à-vis des autres en tant qu’êtres humains. La perte du sens de l’hospitalité dans nos sociétés, les faits mentionnés plus hauts le prouvent, ne saurait uniquement s’expliquer par la dégradation de conditions socio-économiques aussi dramatiques soient-elles. C’est quelque part, et peut-être plus gravement, le sens de l’homme qui est en train de s’effondrer. Ababacar NDAW Formateur titre d’un essai de Franz Fanon, Les damnés de la Terre. Ibn Battûta , Voyages / Edition La Découverte / Paris 1982 Kant, Doctrine du Droit in Métaphysique des mœurs Flammarion, p. 179

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M o r p h o logie d’un mot

Le sens du mot tolérance est en débat dans le mouvement laïque1. Mais plus que son sens, son “aspect extérieur” est source d’incompréhensions. Lors d’une discussion avec des représentants d’associations laïques, un membre d’une de ces associations est intervenu pour mettre en cause la place précaire qui est laissée aux étrangers dans notre société. Pour mettre en évidence la contradiction majeure qu’il voyait entre cet état de fait et nos principes laïques, il invoquait avec force la notion de tolérance qu’il présentait comme maîtresse des valeurs humanistes. Comme pour beaucoup des membres de l’assistance, mon sang n’a fait qu’un tour : comment pouvons-nous encore tomber dans le piège de la condescendance à l’égard de ceux qui ne nous sont pas culturellement semblables en tous points ? Pour moi, il était évident que la tolérance avait au moins cette qualité qui confine à l’injustice : l’idée d’égalité en est totalement absente. Après avoir haussé les épaules et vu quelques paires d’yeux rouler, je me suis dit qu’il ne fallait pas en rester là. Et après un échange de vues, il m’est apparu que cette notion de tolérance, outre qu’elle pose des problèmes sémantiques en rapport avec les valeurs d’égalité, de dignité et de neutralité de l’espace public, cette notion n’est pas perçue de la même façon par tous. Pour certains elle est cet emplâtre dénué d’égalité et de dignité : on tolère l’étranger tel un intrus, on tolère l’idée de l’autre autant qu’on ne lui confère aucune valeur. Pour d’autre, elle est l’expression de la liberté que l’on reconnaît à autrui et du respect que l’on doit à chacun. Et si l’égalité n’y est pas incluse, c’est parce qu’elle va de soi.

Si nos principes sont en débat, la façon d’exprimer notre laïcité profonde est évolutive et contingentée par l’air du temps. La tolérance a pu être une notion maîtresse, elle a pu faire partie du vocabulaire de ceux qui représentaient les plus progressistes d’entre nous. Trente ou quarante ans plus tard, elle fait pâle figure parce qu’elle a été galvaudée (notamment dans le discours des partis d’extrêmedroite), parce que l’affinage de nos idées nous permet d’avancer vers une plus grande ouverture à l’autre, parce que le sens du mot a évolué. On lui préfère maintenant la notion d’interculturalité qui ne manquera certainement pas de faire l’objet de critiques dans un avenir plus ou moins proche. La morale (laïque) de cette histoire est une fois de plus que la charge que nous donnons aux mots et les préjugés que nous en concevons rendent plus ardu l’échange sur les idées. Et qu’il vaut toujours la peine de faire œuvre d’ouverture à l’égard d’un interlocuteur qui utilise des termes qui nous heurtent. Question d’hospitalité. Son idée n’est pas le média qu’il utilise pour nous la communiquer, elle est encore moins ce que nous en recevons lorsqu’elle est passée par le filtre de nos propres a priori. Cedric TOLLEY Délégué à la communication sociopolitique

1 Voir à ce propos la note du CAL : “La tolérance n’est pas l’égalité”. http://www.ulb.ac.be/cal/presse/campagne/2008/tolerancenestpaslegalite.html

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L’hospitalité dans les

services publics

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P

our définir l’hospitalité, basons-nous sur la langue néerlandaise qui utilise le mot “gastvrijheid”, où l’on retrouve la notion d’invitation et de liberté. Partant de là, l’hospitalité serait donc une invitation ouverte à tous.

au bénéfice d’autres dépenses ou en diminuant des recettes, il met en péril la capacité des services publics d’accueillir tout le monde. Mais cela nous amènerait à questionner l’hospitalité bien au-delà des seuls services publics.

Quant au service public, même s’il est délégué par les pouvoirs publics à un opérateur privé, il doit répondre au principe d’égalité, qui prévoit un accès égal de tous au service offert.

Afin d’éviter des interprétations erronées, nous éviterons aussi d’aborder les situations dans lesquelles le manque de ressources explique peut-être ce qui semble être de l’inhospitalité et nous concentrerons sur ce qui relève de choix non guidés par des questions financières mais bien par le désir ou non de recevoir également tout citoyen.

L’hospitalité pourrait donc être considérée comme inhérente à celle de service public, du moment où la volonté d’y accueillir de la même façon tout citoyen répond au principe d’égalité. La question dès lors, est de savoir si les services publics ouvrent indistinctement leurs portes à tous et si le citoyen y est le bienvenu, sans qu’une contrepartie soit attendue. Partant de ce point de vue, l’hospitalité dans les services publics n’est pas réductible au confort offert par ses infrastructures. Un service public peut ne disposer que d’une salle d’attente avec de vieilles chaises en bois tout en étant hospitalier tandis qu’un autre, peut offrir de confortables fauteuils et ne pas l’être. Des infrastructures dégradées peuvent traduire une volonté d’inhospitalité mais le lien ne peut être systématique. Le sous-financement de nombreux services publics peut également être interprété comme une carence d’hospitalité. Dès le moment où l’Etat opère le choix de sacrifier les moyens octroyés au service public

Penchons-nous sur le service public auquel on est susceptible de recourir le plus souvent mais surtout, celui qui est physiquement partout ou presque : le transport en commun. Ce transport en commun dont le pouvoir public fait la promotion, qu’il dit vouloir voir fréquenté par le plus de monde possible, est-il aussi accueillant envers tous les usagers ? Si nous étudions plus précisément le cas de la STIB, mais la tendance est la même dans les autres sociétés publiques de transport, plusieurs éléments, dont certaines évolutions récentes, laissent penser qu’il n’en est rien. Il existe un passager idéal qui adopte les comportements souhaités tandis que les usagers ne correspondant pas à ce modèle sont soumis à des méthodes visant à les conformer au modèle attendu ou à les éloigner du réseau de transport en commun. L’obligation de disposer d’un titre de transport pour pouvoir emprunter le

réseau tout d’abord. Il s’agit d’un choix politique. Une grande partie des dépenses de la STIB est couverte par des dotations des pouvoirs publics. Il serait donc parfaitement envisageable que ces dotations financent tout le budget de la STIB. D’ailleurs, certaines catégories d’usagers reçoivent gratuitement un titre de transport uniquement en fonction de leur âge : les plus de 65 ans et les moins de 12 ans, quel que soit leur niveau de revenu. Par ailleurs, de nombreux usagers voient leur abonnement remboursé en tout ou partie par leur employeur, pensons par exemple aux fonctionnaires. Pourtant, la direction de la STIB est farouchement opposée à une fiscalisation totale du transport en commun, estimant qu’on ne respecte que ce que l’on paye. Et quand on réfléchit au public qui paie réellement son usage du transport en commun, il reste les 12-65 ans, habitant généralement Bruxelles, qui n’ont pas d’emploi ou un travail précaire qui ne prévoit pas le remboursement d’un abonnement de transport en commun. Ici déjà, on comprend que tous les usagers de la STIB ne sont pas vus du même œil, certains étant respectueux par nature, les autres devant payer pour prouver leur respect. Mais l’obligation du titre de transport permet d’aller bien plus loin : acheter un ticket coûte désormais sensiblement plus cher si l’achat se fait à la montée dans le véhicule. L’usager doit adapter son comportement aux impératifs de rentabilité de la STIB, l’inverse n’étant pas vrai. L’usager qui ne dispose pas d’accès à certains types de paiement (carte de banque, Internet, budget pour l’achat d’un abonnement) ou qui simplement n’anticipe pas ses déplacements se voit pénalisé. De même, l’apparition prochaine de portillons

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aux entrées de métro, officiellement dans le but d’augmenter la sécurité, comme si un agresseur potentiel ne pouvait s’acheter un titre de transport, envoie surtout un signal de restriction d’accès et signifie clairement que tout le monde n’est pas le bienvenu.

certaines dispositions telles que l’interdiction de manger sont en fait laissées à l’appréciation du verbalisant comme expliqué par la STIB et son ministre de tutelle. On introduit donc un arbitraire qui va entraîner des traitements différenciés selon les voyageurs.

De même, sans jeu de mot, la STIB instrumentalise la musique. Désormais, en soirée, c’est de la musique classique, à un volume assez élevé, qui est diffusée dans les stations de métro. Première explication démentie par la suite : faire fuir les jeunes, seconde version donnée par la Ministre mais effacée du compte rendu parlementaire : ne pas voir traîner dans les stations de métro les gens qui n’ont pas à y être comme les clochards et mendiants. C’est étonnant quand on sait que par ailleurs des études sont menées pour connaître les usages qui sont faits des transports en commun (lieux de rendez-vous, de lecture, …) à des fins d’offre de services commerciaux. Dans le registre musical toujours, le pictogramme de la clé de sol barrée a fait son apparition dans les stations de métro. Seuls des musiciens accrédités peuvent jouer de la musique sur des emplacements qui leur sont désignés.

Enfin, là où le désormais client se voit dicter un comportement très précis, un autre acteur gagne de plus en plus de liberté. Cet acteur, c’est le monde publicitaire. En effet, l’espace dédié aux surfaces publicitaires est en expansion permanente : là où un jeune risque gros pour un tag, certains ont, contre monnaie sonnante et trébuchante, le droit de recouvrir des trams entiers avec des messages à finalité commerciale. Une station de métro a même été, le temps d’une campagne de publicité, recouverte du sol au plafond par un message vantant des assurances auto. Il est ici flagrant que tout le monde n’est pas accueilli de la même façon dans le service public qu’est la STIB.

L’apparition des amendes administratives sanctionnant tout une série de comportements est également étonnante : en aucun cas on ne sensibilise les voyageurs au fait qu’ils pourraient déranger les autres, leur faire courir un risque ou entraver le bon fonctionnement du service. On indique juste que c’est interdit et donc puni. Mais là où cette méthode devient particulièrement dérangeante, c’est quand

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Ces exemples tirés d’un service de transport en commun suivent une philosophie qui se retrouve ailleurs sans difficulté. Il suffit de prendre l’exemple des hôpitaux où l’on essaie de diminuer au maximum le temps de séjour des patients mais où également la publicité est entrée, principalement dans les maternités sous forme d’offre d’échantillons mais également dans des brochures d’accueil. On le voit, la dimension d’hospitalité que comprend la notion de service public si on l’analyse sous l’angle de l’égalité, est mise à mal par leur évolution récente. Cette égalité d’accueil, et par delà l’hospitalité

qu’elle implique semble définitivement incompatible avec l’infiltration de logiques marchandes dans leur gestion. Quand un service public est fréquenté par des usagers, cela signifie qu’il est tout simplement destiné à être fréquenté par les personnes qui ont choisi d’y recourir et qu’elles y sont dès lors les bienvenues. Lorsque l’usager se transforme en client, seuls ceux qui peuvent y mettre le prix sont les bienvenus ou les mieux traités, comme dans n’importe quelle relation commerciale. Hors, cette logique commerciale est de plus en plus présente dans les services publics et les éloigne toujours plus de l’hospitalité qui devrait être la leur. Céline DELFORGE Députée bruxelloise (Ecolo)

“Se respecter pour bouger mieux” ? Au moment de mettre le blé sous presse, nous arrive une nouvelle interpellante. La Stib annonce que son “Service de Sécurité a pour fonction première d'aider les clients et le personnel de la STIB”. Parallèlement elle nous apprend que les agents de sécurité de la société de transport ont désormais le droit de fouiller les voyageurs, de leur passer les menottes et de les mettre en détention durant une demi heure. (NDLR) source : http://www.stib.be/lastnews.html?l=fr&news_rid=/STIBMIVB/INTERNET/ACTUS/200811/WEB_Article_1227693593718.xml


Quelle hospitalité ?

Quels droits ? L’hospitalité, au sens noble du terme, se conjugue de prime abord, difficilement avec le formalisme actuel du droit. L’une des fonctions essentielles de l’hospitalité réside dans la régulation sociale : l’étranger, le voyageur affaibli par sa condition voit, au travers de cette valeur, sa survie assurée. Cette forme d’entraide se fonde sur un principe de réciprocité tacite : l’hôte se verra accueilli avec la même attention lorsqu’il se trouvera, lui-même, en terre inconnue. La conversion de cette valeur en un véritable devoir est peu à peu devenue indispensable à la survie de nombreuses sociétés nomades, marchandes, voyageuses…

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. Frydman souligne qu’au sein de la forteresse européenne actuelle, tout circule sauf les pauvres. Celle-ci semble plus encline à se réfugier derrière le second concept étymologique de l’hospitalité (hotis) qui prend en compte le caractère menaçant de l’étranger, l’ennemi potentiel. Kant condamnait déjà “le comportement inhospitalier des États policés de notre continent”. Une telle analyse, toute visionnaire qu’elle soit, paraît très en-deçà des problèmes liés à l’évolution actuelle du droit des étrangers dans nos sociétés européennes.

B

Selon Kant, l’hospitalité est présentée en tant que devoir moral au même titre que le sont d’autres valeurs issues de sa triple doctrine du droit : le droit public interne, le droit des gens et le droit cosmopolitique. Il s’agit ici d’un devoir impératif du droit cosmopolitique. Ce devoir relève donc de la justice et non de la charité. En 1789, dans l’allégresse de la Révolution naissante qu’on estime pacifique et unanimiste, règne en France l’idée que tous les hommes sont égaux et frères d’une nation désignant à tous la voie de la liberté. Il s’agit d’une période marquée par l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme, à vocation universelle, et d’une quantité de décrets ou déclarations philanthropiques. La législation à l’égard des étrangers reflète les mêmes intentions humanistes. L’Assemblée vote, entre autres, un Décret relatif au souci de trouver un juste équilibre entre l’espérance “que les hommes ne formeront un jour devant la loi, comme devant la nature, qu’une seule famille, une seule association” et la conviction que “les amis de la

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liberté, de la fraternité universelle n’en doivent pas être moins chers à la nation qui a proclamé sa renonciation à toutes conquêtes, et son désir de fraterniser avec tous les peuples”. La brièveté des délais de séjour sur le territoire imposés pour être considéré comme Français ainsi que l’application très large du droit d’Asile, notamment octroyé aux déserteurs étrangers prouvent la volonté d’ouverture des Conventionnels. A cet égard, il est intéressant de constater un déplacement de la frontière qui fait de l’autre un étranger : celle-ci glisse du concept de frontière géographique à celui de frontière des idées. La Révolution unanimiste accueille toute personne, quelle que soit son origine, pour autant qu’elle soit fidèle à sa conception politique. Plus tard, tandis que la Révolution se fige sur ses positions, que le pays est menacé d’invasion étrangère et de guerre civile, la défiance s’installe à l’encontre des étrangers couramment considérés comme espions ou conspirateurs. La délation envers tout étranger suspect devient fortement encouragée. Les conditions d’octroi de la citoyenneté se raffermissent et désormais cette qualité se mérite. Avec le triomphe la Révolution bourgeoise, l’aisance financière, et plus spécifiquement la propriété, deviennent les critères principaux d’accession à la citoyenneté. Force est de constater que c’est de cette mouvance que sont issues nos politiques actuelles en matière de droit des étrangers… Dans un tel contexte, le droit n’a pas clairement codifié le concept d’hospitalité ;

cette valeur n’est plus perçue comme traditionnelle mais philanthropique : une affaire privée. L’étranger, ne jouit d’aucun droit à l’accueil ; l’hôte détient le droit d’accueillir… et son versant de ne pas accueillir. Quelquefois, les appareils actuels ne permettent plus à l’hôte de disposer de la possibilité matérielle d’accueillir (nécessité d’un Visa pour l’étranger, interdiction d’aider un étranger en situation irrégulière…) A l’heure actuelle, aucun texte juridique ne consacre un quelconque droit à l’hospitalité en tant que tel dans nos pays. Cette analyse me semble restrictive car l’hospitalité est une notion complexe aux nombreuses facettes : la tradition a été créatrice de multiples concepts juridiques particuliers. En effet, divers aspects de cette notion, pris individuellement ont trouvé écho dans le droit international contraignant à l’égard des Etats. Les politiques actuelles de régularisation étant extrêmement contraignantes, nous allons examiner le cas du droit des personnes non encore régularisées. En effet, pour nous, les personnes régularisées ne bénéficient plus d’une hospitalité en tant que telle car le prix pour y parvenir est tellement élevé qu’aucun sentiment de solidarité ne pourrait être invoqué. Nul n’a jamais loué l’hospitalité d’un grand restaurant après le règlement d’une facture salée, pas plus que celle du propriétaire de l’appartement occupé moyennant loyer. Le droit d’asile constitue l’une des facettes de l’hospitalité en tant que concept multiple. Ainsi, un réfugié au sens de la Convention relative au statut des réfugiés


et des apatrides de 1951 est une personne qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité ou dans lequel elle a sa résidence habituelle ; qui craint avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, et qui ne peut ou ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou y retourner en raison de ladite crainte. Selon cette même Convention, les pays doivent accorder l'asile aux réfugiés et ne peuvent pas forcer un réfugié à retourner dans son pays d'origine. Toute personne bénéficiant du statut de réfugié est protégée par une législation internationale qui prévaut sur le droit interne. Elle bénéficie en outre de droits en matière d'emploi, d'éducation, de résidence, de liberté de mouvement, de recours juridique et de naturalisation. Le droit d’asile est cependant relativement limité en pratique : ainsi que le soulignent divers rapports de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, ce droit est victime d’aléas des politiques migratoires de plus en plus contraignantes. De nombreuses régions du monde ont connu et connaissent encore des crises politiques, des conflits armés qui débouchent sur de graves violations des droits de l’Homme aux effets dévastateurs. Loin d’être exclusivement des migrants économiques fuyant la misère et l’extrême pauvreté ou recherchant un Eden utopique ailleurs, les migrants d’aujourd’hui sont fréquemment des réfugiés fuyant l’oppression. L’accueil de ceux qui entament, au péril de leur vie, le périple qui les amène dans un nouveau pays constitue une obligation internationale.

Nombre des personnes concernées ne peuvent cependant accéder au statut de réfugié et la reconnaissance de ce statut n’implique pas systématiquement l’attribution de droits égaux à ceux des nationaux. La France et la Grande-Bretagne s'apprêtent à expulser, par charters entiers, des centaines d’Afghans réfugiés dans ces pays avec l’espoir d’échapper aux violations de droits humanitaires, aux souffrances, aux injustices qu’ils endurent dans leur pays d’origine ; cet exemple ne constitue qu’une maigre illustration de l’application inégale d’un texte pourtant sans équivoque. Les situations périlleuses que les populations fuient en masse et les difficultés à se mouvoir dans le monde actuel ne permettent, par ailleurs, que très rarement à un persécuté de réussir à atteindre un pays d’accueil. Comme c’est trop souvent le cas, ce ne sont pas les plus nécessiteux qui en bénéficieront mais les plus fortunés ou les mieux adaptés à la modernité. Un accès égalitaire à la protection juridique pour tous (et non seulement les nationaux) pourrait constituer les prémices d’une démarche procédurale et formelle de l’hospitalité. Selon l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, toute personne jouit du droit à voir sa cause entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée

contre elle. Pour rappel, cette Convention fait partie du droit international contraignant pour la Belgique, à un niveau hiérarchique supérieur à celui de la Constitution belge elle-même. Quoi qu’il en soit, l’impartialité de la justice n’est pas toujours garantie : l’égalité de droit n’est pas toujours suivie de près par l’égalité dans les faits. En Belgique, par exemple, selon La Libre Belgique (28-062006), au niveau du parquet, la probabilité pour un jeune hors Union européenne d’être envoyé dans le bureau du juge est quasi deux fois plus importante que pour les mineurs belges d’origine. Le recours aux mesures alternatives (médiation, réparation,…) est également deux fois plus fréquent à leur égard. D’autres mesures moins répressives, telles la réprimande et la surveillance simple, sont d’un usage moins fréquent pour ce type de population. La Convention sur la protection des travailleurs migrants et des membres de leur famille fournit un cadre universel de référence en matière de droits des migrants se rapprochant d’une vision idéale de l’hospitalité. Adoptée en 1990 par les Nations unies, cette Convention détaille l’ensemble des droits devant être reconnus aux migrants réguliers comme irréguliers. Ainsi, ceux-ci, même en situation irrégulière ont : le droit de ne faire l’objet d’aucune mesure d’expulsion collective, le droit d’être protégé de toute forme de torture ou d’autre traitement cruel, inhumain ou dégradant, le droit à la vie, le droit en cas d’arrestation d’être jugé par un tribunal compétent, indépendant et impartial, avec toutes les garanties d’un

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procès équitable, le droit à la liberté et à la sécurité, la protection effective de l’Etat contre la violence, les dommages corporels, les menaces et intimidations, que ce soit de la part de fonctionnaires ou de particuliers, de groupes ou d’institutions... Sa mise en œuvre est suivie par un organe se réunissant une fois par an pour vérifier l’application effective de la Convention par les Etats parties. Il est également compétent pour examiner des plaintes individuelles. Il est regrettable qu’à ce jour, seuls 39 Etats aient ratifié cette Convention et qu’aucun de ceux-ci ne soit un Etat dit “industrialisé” et sujet à de fortes vagues migratoires. Dans l’attente de la ratification de cette convention, il est utile de rappeler la Déclaration de l’O.N.U. de 1985 sur les personnes qui ne possèdent pas la nationalité du pays dans lequel elles vivent. Cette déclaration n’est sertie que d’une force politique et morale mais son importance reste néanmoins évidente. Elle accorde aux étrangers (même s’ils se révèlent irréguliers), un cadre juridique identique dans les grandes lignes à celui de la convention de 1990 précitée. Le travail du droit est en constante évolution et un concept aussi complexe que celui de l’hospitalité ne sera que difficilement cadré globalement dans un texte de loi, par essence, limpide. Aux vues de l’inadéquation entre la situation réelle des personnes en demande d’hospitalité et leur traitement dans les faits, chacun est en droit de se demander si la justice peut réellement servir la cause de l’hospitalité. Se pose alors la question de l’efficacité de ces quelques droits accordés par des

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instruments juridiques contraignants mais appliqués de manière inégale dans les faits. On peut également penser que le droit, de par ses lois inhospitalières entourant la question de l’immigration se focalise de prime abord sur la gestion des illégaux qui en sont issus plutôt qu’à l’adaptation de normes répondant aux besoins réels de notre société. L’octroi ou le refus de l’hospitalité à un étranger est en pratique souvent déterminée par des considérations politiques bien pragmatiques : “accueillir” un nombre d’étrangers dans le but de renforcer la puissance du pays et de son armée ou encore, si naturalisation il y a, de conforter une majorité politique par des individus étrangers mais partageant les convictions du parti au pouvoir. Ces arguments sont pris en considération en tenant compte de la crainte de voir s’éparpiller la richesse nationale entre un trop grand nombre d’ayants droit ou encore l’appréhension de voir des traîtres profiter de l’hospitalité que leur accorde une nation pour mieux la saper de l’intérieur. Cependant, en démocratie, ce sont les citoyens qui donnent l’impulsion nécessaire à la prise de décision législative, le politique redoutant la sanction électorale. Le problème premier provient dès lors de la mentalité de la majorité de la population concernant cette question. Pour que le droit puisse se rapprocher de l’idéal d’hospitalité, il faudrait commencer par inverser cette tendance. Or, le politique a engendré historiquement ce penchant en se basant sur deux discours : rassurer sur ses belles intentions en mettant en avant sa volonté d’ “intégrer” les immigrés

légaux et discréditer les futures victimes de la répression, illégales, boucs émissaires de tous nos maux. Ceci fait, il veut satisfaire les attentes supposées de son électorat en durcissant sa politique. Pour contrer les puissants lobbies qui s’acharnent à renforcer la politique d’immigration avec la confiance d’une population formatée, la seule possibilité est de faire en sorte que la majorité de la société civile prenne conscience de la situation injuste qui entoure ces questions et soutienne l’égalité des droits et l’idéal universaliste et humaniste. Ce n’est qu’après cette lutte que le droit sera contraint de règlementer dans cette voie. Avec l’espoir que dans un avenir proche, les souffrances iniques dont sont victimes aujourd’hui des milliers de migrants soient reconnues comme des crimes de notre histoire. Avec l’espoir que plus jamais des citoyens de bonne volonté ne soient privés du droit à offrir leur hospitalité.

Alexis MARTINET juriste


LIVRE-EXAMEN

A l’école de l’hospitalité [Patrick Hullebroek et Michel Gueude • La ligue de l’enseignement a.s.b.l. • Bruxelles 2007 • 64 pages]

Michel Gheude et Patrick Hullebroeck respectivement président de la section ixelloise du PS et directeur de la Ligue de l’enseignement nous livrent une étude sur la nature (in)hospitalière de l’école. C’est sous forme de dialogue que les deux érudits alimentent une réflexion sur le concept d’hospitalité en connexion avec les différentes questions qui traversent le monde scolaire. Pour les auteurs, l’hospitalité ne se limite pas à une posture souriante et accueillante, mais s’ouvre davantage à la question de l’altérité, de l’autre, de l’étranger. Cette question, “quelle place donner à l’autre” traverse donc bon nombre d’aspects de la vie en société. Il s’agit ici d’un véritable plaidoyer pour “se mettre” à l’école de l’hospitalité et par là, définir peut-être les contours d’une école plus humaine.

S’interroger sur la place de l’autre aussi bien dans la pensée que dans la culture, amène les auteurs à décréter que “toute pensée se doit, pour être pensée, d’être hospitalière”. Dès lors il apparait que “de ce point de vue, le refus du dialogue avec l’étranger s’apparente à un rejet hors de cette appartenance commune [à l’humanité]. L’inhospitalité dans le débat apparaît comme une entreprise de déshumanisation”. (p.11) Si la première partie de l’étude porte sur la place de l’hospitalité dans la société au sens large, aussi bien dans l’antiquité que dans la société contemporaine, la seconde partie de l’étude est strictement consacrée à l’école. Seront alors abordés le décret mixité aussi bien que la question du voile, de la religion ou le contenu du cours d’histoire. Ces réflexions partent d’une indignation partagée par les deux

auteurs, à savoir : “Que l’école puisse devenir une zone de vie inhospitalière est un scandale pour tous ceux qui ont fait de l’éducation une vocation et de l’enseignement leur métier. Cette situation est en contradiction totale autant avec les principes du service public, qui est conçu pour répondre aux besoins de la population, qu’avec les valeurs de l’école publique, qui est l’école de tous et pour tous. Elle choque autant notre éthique individuelle que notre déontologie professionnelle. Et c’est pourquoi, nous ne pouvons tolérer qu’il en soit ainsi sans réagir.”(p.5) La présence d’un Autre, permet souvent de remettre en question les acquis et les habitudes, c’est aussi l’occasion de faire le ménage, de dépoussiérer… Sans pour autant que se dessinent des solutions précises, le constat d’une certaine obsolescence permet déjà d’initier la réflexion.

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“Nos écoles ont construit leurs programmes au temps des consciences nationales : histoire nationale, littérature nationale, géographie nationale. Objectif : intégrer les futurs citoyens dans la nation en leur donnant un héritage commun. Ce n’est plus possible : l’étranger est partout dans le pays et le pays n’est qu’un petit pays dans l’Europe et le monde. A nouveau, nous sommes dans un temps de transition. Les histoires nationales n’ont plus de sens, mais l’histoire mondiale n’existe pas encore. Ce qui explique que, parmi les savoirs et les compétences des étudiants rencontrés dans l’enseignement supérieur, c’est l’histoire qui est vraiment le point faible principal.” (p.30) Nous vous invitons à vous plonger dans la lecture de cette étude qui, au-delà des quelques fragments repris ci-dessus, nourrit les réflexions, bien nécessaires, autour de la question de l’école. Thomas LAMBRECHTS Délégué à la communication sociopolitique

Lien internet : http://www.ligue-enseignement.be/ligueenseignement/db/aig/gallery/Documents_et_d ossiers/Enseignement_et_education/Etudes_/ alecoledelhospitalite.pdf

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À CONTRE-COURANT

L’école à l’épreuve de l’hospitalité Comprise comme une “maison de savoir”, l’école est un lieu de passage, c’est une étape dans la vie des humains qui constituent notre société. En tant que telle, l’école peut, devrait, être hospitalière. Mais l’école telle que nous la connaissons, telle que notre histoire l’a produite peut-elle obéir aux lois de l’hospitalité ? Pour répondre à cette question, prenons quelques éléments simples qui constituent le rapport d’hospitalité : Un premier élément concerne la liberté de l’étranger. L’invité, celui que l’on reçoit, est de passage, une fois arrivé, il est libre de partir à tout moment, mais plus important encore, de prendre le chemin qui lui plaira. Un second élément, qui concerne lui aussi le statut de l’invité, est que même s’il est totalement étranger, il est accepté comme un tout. L’autre est inconnu et il est reçu et accepté en tant que tel. Si l’hospitalité suggère une certaine réciprocité, même indirecte, c’est que l’on suppose au fond que les hôtes sont égaux. Troisième élément, l’hôte, celui qui reçoit, est le maître de sa maison. Si en recevant l’étranger il peut éventuellement prendre un risque, s’il accepte de voir son environnement modifier, il n’en reste pas moins le seul maître à bord. L’acte hospitalier n’a de sens que si l’on ouvre la porte de sa propre demeure ou du moins d’un “chez soi”, dans les limites que l’on a soi-même fixé, à l’étranger. [voir encadré]

LA CONDITION SINE QUA NON DE L’HOSPITALITÉ, C’EST D’HABITER. L’hospitalité, suppose au moins une condition indispensable, il faut habiter. Mais qu’est ce qu’habiter ? Habiter n’est pas se loger, habiter suppose un “chez soi” qui comprend davantage que ce que contiennent les quatre murs d’un appartement. On habite son domicile, mais pas seulement. Habiter un quartier, une ville, un pays rend bien compte qu’il n’existe pas de frontières clairement définies de ce que l’on habite. De plus habiter ne comporte pas qu’une dimension spatiale, mais comporte aussi les façons d’habiter (habitudes) qui ne sont probablement jamais identiques. Martin Heidegger apporte un éclairage sur “l’habiter” qu’il définit comme suis : “être présent au monde et à autrui”.1 Pour Ivan Illich2, habiter est le propre de l’espèce humaine. Il s’agit d’un art qui fait partie de l’art de vivre. Illich, penseur polyglotte, relève d’ailleurs que la plupart des langues utilise le terme “vivre” au sens “d’habiter”. La question “où vivez-vous” se traduit dés lors comme “en quel lieu votre existence façonne le monde” ce qui rejoint la définition de Heidegger rapportée plus haut. Illich regrette que le “logé” ai perdu énormément de son pouvoir d’habiter, a tel point que les marques, les traces qu’il dépose sont considérées comme des accrocs, des anomalies qu’il s’agit de nettoyer. “Le logé, vit dans un monde qui a été fabriqué” par opposition à l’habitant qui vit dans un monde qu’il façonne par ses propres habitudes. Le logement assigne aux gens des casiers de résidences standardisés auxquels l’accès constitue d’ailleurs souvent un privilège. En somme, dans les métropoles, les habitants occupant l’espace qu’ils modèlent ont été remplacés par des résidants abrités dans des constructions produites à leur intention. Ceux qui revendiquent aujourd’hui leur liberté d’habiter sont soit fortunés, soit traités de déviants. La pensée radicale d’Illich nous fournit peut-être une clé de compréhension du déficit d’hospitalité que connaissent nos sociétés. 1 Martin Heidegger, “Bauen, Wohnen, Denken”, in Martin Heidegger, Vorträge und Aufsätze, Stuttgart, Klett-Cotta [1952], 2004, p. 139-156. [http://www.espacestemps.net/document1138.html] 2“ L’art d’habiter”, discours devant “The Royal Institute of british Architects” York, Royaume unis, juillet 1984, in Ivan Illich, Oeuvres Complètes Volume 2, Paris, Fayard, 2004 p.755.

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Ces trois exigences de l’hospitalité peuvent-elles s’accorder avec les réalités de l’institution scolaire ? Pour en avoir une certaine idée, Il nous suffit d’appliquer ces principes dans le cadre de l’école afin d’en révéler la nature. Premièrement, concernant la liberté de parcours, outre le fait que l’enseignement soit obligatoire1, et que dans la plupart des cas l’enfant soit obligé d’être en classe tous les jours et ce jusqu'à la fin de l’obligation scolaire, ce qui fait de lui une sorte de prisonnier, il est également soumis à l’orientation tant dans son parcours scolaire que dans son parcours professionnel. Toutes les politiques scolaires s’entendent sur la mission formatrice / qualifiante de l’école, les décideurs et derrière eux les experts et leurs électeurs forgent un consensus sur la nécessité d’être adapté au marché du travail en sortant de l’école. Ce qui réduit considérablement la liberté de ce voyageur temporel qu’est l’élève, tant il est tenu de s’intégrer dans un système donné. Deuxièmement, l’enfant lorsqu’il arrive à l’école est considéré dans une large mesure comme un incapable, pas totalement responsable, qu’il s’agit d’élever. Il n’est pas considéré comme un tout, un être à part entière mais plutôt comme un être partiel à qui il manque un bagage que l’école va lui fournir. Si lorsque l’on demande l’hospitalité, il peut y avoir une motivation liée au besoin fondamental de se nourrir et de se reposer, dans le cadre scolaire, ce besoin est moins évident dans le chef de l’enfant qui, s’il est généralement curieux et avide d’apprentissage et d’expériences, ne ressent pas forcément

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l’école comme un besoin. La relation asymétrique qui lie l’hôte à l’invité n’empêche pas l’un et l’autre de se considérer comme égaux. Dans l’école, l’asymétrie réelle de la relation entre le maitre et l’élève cède volontiers la place à une relation simplement inégalitaire. Troisièmement, l’hospitalité suppose que celui qui reçoit soit maître chez lui. Un maître de maison doit pouvoir disposer de son foyer selon ses propres règles afin de recevoir l’étranger. A l’école, l’enseignent n’est pas le maître de maison, le directeur non plus, il obéit a des règles qu’il n’a pas fixées lui-même. La place que va y tenir l’élève tout comme la sienne sont fixées par avance dans un R.O.I ou un décret. Voici donc trois éléments incontournables qui semblent faire obstacle à une nature hospitalière de l’école. Mais ne nous arrêtons pas à un constat fataliste d’une école condamnée à rester inhospitalière et essayons plutôt d’envisager ce qu’impliquerait une école libérée de ces obstacles à l’hospitalité. Un élève qui reste libre de son parcours aussi bien durant sa scolarité que par la suite remettrait en question tous les dispositifs d’orientation et par là même les mécanismes de sélection mais aussi jusqu’au principe d’obligation scolaire tel qu’il est communément admis. Un élève qui est l’égal de son enseignant, unis dans une relation au savoir où la réciprocité de l’apprentissage l’emporte sur le respect d’un statut. Où le rôle de l’enseignant ne se borne pas à inculquer un savoir déterminé et à faire observer une

certaine discipline mais à contribuer à faire de l’élève son égal. Une école que peut habiter aussi bien l’enseignant et l’élève qui y est reçu, ou l’un comme l’autre jouisse d’une autonomie indispensable à l’élaboration d’un vivre ensemble. Une maison où il est possible d’être reçu par ses habitants qu’ils soient enfants ou adultes. Si ces obstacles à l’hospitalité peuvent être dépassés, il est moins sûr que ce qui en résulte puisse toujours s’appeler une école. Mais qu’est-ce qui importe le plus, entretenir l’école coûte que coûte ou bien assurer par les meilleurs moyens la transmission des savoirs et l’émancipation autonome des individus ? Les valeurs laïques que nous portons sont davantage des moteurs pour l’action et la réflexion que des objectifs à atteindre. Cette démarche vaut pour l’école comme pour le reste de la société. Si l’action politique est soumise à nombre de contraintes et de compromis, la pensée quant à elle, ne doit se soumettre à aucun dogme ou idée préconçue.

Thomas LAMBRECHTS Délégué à la communication sociopolitique

1 En Belgique l’enseignement est obligatoire, mais l’école reste théoriquement une option parmi deux pour satisfaire cette obligation.


Un lit anti-psychiatrique L’association l’Autre “lieu” - RAPA (Recherche-Action sur la Psychiatrie et les Alternatives) est née en 1981 dans la foulée des mouvements anti-psychiatriques des années 70. Mouvement de contestation du système psychiatrique officiel, l'anti-psychiatrie n'était pas seulement dirigée contre certaines pratiques médicales (l'électrochoc, la bâche, le port de la camisole de force etc.) mais aussi contre certains principes, certaines croyances sociétales proprement dites, à commencer par une distinction rigide entre le “fou” et le “sain d'esprit”. Dès lors, ce mouvement a ouvert le champ à une définition radicale de la folie, conçue comme l'expérience des limites de la raison, et non plus comme l'absence ou la perte de celle-ci. Cette remise en question de la distinction normal/pathologique a permis d'envisager la folie de façon positive, en tant que “voyage”, ou “vécu autre”, vision pour le moins antagoniste de la conception psychiatrique traditionnelle. Elle impliquait une volonté non-diagnostique, opposée à l'opération d'étiquetage et postulait une relation thérapeutique basée sur la noninterférence, sur le respect de l'expérience du “fou”, de sa parole et de sa différence.

Etre quelqu'un

pour quelqu'un... Une approche de l'hospitalité 27

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25 ans plus tard… Service d’Education permanente, initiative en Santé Mentale et dispositif d’insertion par le logement, l’Autre “lieu” se donne aujourd’hui pour mission d’interroger la population, les professionnels du secteur, les politiques et le tissu associatif sur le mauvais remède que peut parfois constituer, pour des personnes en souffrance, la médicalisation des problèmes de vie ainsi qu’un trop long séjour en psychiatrie. Puisque de nombreuses études en santé mentale démontrent que l’environnement est l’un des facteurs essentiels au bien-

être physique et mental d’une personne et que le concept d’habitat est au centre de ses préoccupations, l’Autre “lieu” a choisi de valoriser la capacité d’hospitalité et de soutien qu’est en mesure de développer la population envers des individus plus fragiles. Pour les personnes perturbées psychiquement, que l’hôpital fait sortir après la seule prise en charge de la phase aiguë, les conditions de leur accueil dans la cité et notamment de leur habitat, n’ont été posées que très partiellement par les pouvoirs publics. Cette carence est à l’origine

du désarroi des travailleurs sociaux, confrontés à une population qu’ils ne sont pas préparés à accueillir, de la souffrance des familles ou d’amis qui tentent de faire soutien, mais aussi d’une représentation de plus en plus importante d’individus dits “borderline” parmi la population des sansabri ainsi que dans les prisons. Entre des allers-retours (parfois utiles) à l’hôpital et l’assignation à résidence “thérapeutique”, une qualité de vie élargie dans la communauté devrait aussi être rencontrée. Elle ne peut exister que si l’ensemble de la population voit sa qualité de vie améliorée et la justice sociale mieux “balancée”. C’est pourquoi l’Autre “lieu” invite à réfléchir à une psychiatrie plus démocratique, davantage responsable, dont les savoirs et les institutions se discutent, s’interrogent, et cela dans l’acceptation politique du conflit quotidien que pose la personne troublée psychiquement au sein de la Cité. Soucieuse d’une proximité “non-thérapeutique” avec ses visiteurs, l’association développe et soutient des initiatives qui parent à la stigmatisation des personnes psychiquement fragiles, à la médicalisation et la psychiatrisation de leurs difficultés de vie, voire à leur abandon pur et simple. Son action tend à ce que ces personnes puissent, autant que possible, résister collectivement et prendre une place de citoyen critique dans la Cité. Ainsi un certain dispositif d’accueil, la créativité culturelle et sociale, des recherches-actions, des campagnes d’information et de sensibilisation et des journées de réflexion participent de ce processus visant à déterminer ensemble comment

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construire concrètement des lieux qui évitent la stigmatisation et permettent l'insertion et l'action collective : des lieux qui soient des lieux de parole et de vie quotidienne, et non des lieux d'individualisation. L’expérience du réseau d’accueil chez l’habitant A l'Autre “lieu”, nous sommes en contact régulier avec des personnes dont les difficultés de vie leur font ressentir le besoin de briser une trop grande solitude ou simplement de souffler un peu, le temps de se refamiliariser avec le dehors, éventuellement après une hospitalisation. Venir en aide aux personnes isolées et/ou en souffrance psychique en les accueillant dans un milieu hospitalier plutôt qu'à l'hôpital, voilà la visée de ce projet de réseau d'accueil chez l'habitant. Pratiquement, la personne désirant être accueillie est reçue pendant quelques jours ou quelques semaines par des particuliers (familles, personnes seules, communautés...) dont l'hospitalité est l'unique pré-requis. Un accompagnement est de mise pendant toute la durée de l’accueil, impliquant une disponibilité et une mobilité de l’équipe de l'Autre “lieu”. Celle-ci assure une présence auprès des personnes accueillantes et accueillies et a la capacité d’établir des liens, si besoin, avec les ressources médico-psychosociales de proximité. Ce soutien se traduit notamment par l'organisation d'une rencontre préalable, encadrée par l'Autre “lieu”, entre les deux parties : outre l'occasion de faire connaissance, de s'apprivoiser, cette rencontre permet de fixer

des modalités pratiques comme la durée de l'accueil et la participation aux frais. L’accueil transitoire chez l’habitant permet de renouer des relations amicales et conviviales dans un milieu non institué. Il permet également aux personnes de prendre de la distance par rapport à une situation ou de choisir des orientations nouvelles concernant des problèmes quotidiens et leur offre une occasion de se re-lier à autrui, de reprendre ancrage dans la vie sociale, de (se) récupérer pour mieux affronter les difficultés et renforcer leur pouvoir d’agir. Il aide au ressourcement. Les maisons communautaires L’Autre “lieu” anime également deux maisons communautaires “peules” offrant un logement à plus long terme à des personnes fragilisées psychiquement. Par la mise en place d’un accueil particulier dans ces maisons, l’Autre “lieu” veille à ce que des individus en malaise psychique puissent rester insérés dans la Cité et avoir des occasions d’échange.

tion d’appartements dans une maison appartenant à la commune de SaintJosse-Ten-Noode. Cette troisième maison représente également une approche alternative à la psychiatrie. A la différence des maisons peules, l’accueil proprement dit n’y est exercé que par un seul locataire. L’accueilli se voit ainsi offrir un logement décent à prix très modéré, et ce dans un appartement individuel. Les occasions d’échanges sont favorisées aussi bien intra muros qu’extra muros, le quartier constituant une occasion en plus de tisser des liens.

Aurélie EHX Chargée de projet à l'Autre “lieu”

Infos : L’Autre “lieu” - RAPA Rue Marie-Thérèse, 61 1210 Bruxelles Tél : 02/230 62 60 Fax : 02/230 47 62 www.autrelieu.be

La particularité de ces maisons consiste en la présence, en leur sein, de membres de la communauté peule (ethnie d’Afrique de l’Ouest). Les résidents peuls des maisons accueillent les individus fragilisés et leur offrent hospitalité et solidarité, deux valeurs traditionnelles de leur culture qui fondent l’aspect dynamique d’un accueil spécifique où des ex-demandeurs d’asile donnent, à leur tour, l’asile à d’autres. Dans le cadre d’un projet qui unit logement, vie de quartier et santé mentale, l’Autre “lieu” propose également la loca-

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L’hospitalité sous

condition Dans un contexte mondialisé, où les femmes se divisent souvent entre celles qui peuvent se libérer de l’injonction à prodiguer les soins aux plus fragiles et celles qui doivent en procurer pour s’insérer dans le “marché mondial des soins et des affects”, l’hospitalité vis-àvis de ces dernières est depuis l’apparition des études sur le care (le soin, le souci des autres) considérée comme une préoccupation féministe.

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n effet, qui assume massivement les “tâches hospitalières” dans le cadre domestique et dans les institutions ? Qui prodigue des soins et garantit le fonctionnement des foyers des mères qui “font carrière” ? Le partage des tâches domestiques entre les sexes est loin d’être une réalité très répandue. Dans l’organisation de la vie quotidienne des ménages, la “libération féminine” ne passe généralement pas par l’implication masculine. La double journée de travail des femmes “actives” est une réponse. L’extériorisation des soins et des tâches domestiques en est une autre. Très souvent, ces soins et ces tâches “extériorisés” sont assurés par des femmes venues du Sud, dans un projet migratoire familial ou individuel, pour intégrer le marché mondialisé des services aux personnes là où la demande est plus grande : le Nord. Ce sont les bonnes, les nounous, les infirmières, les prostituées… Autant de femmes qui incarnent cette “face cachée de la mondialisation” vouée à l’invisibilité par la dévalorisation des métiers liés au soin et à la clandestinité que la fermeture des frontières impose, et que les logiques de “délocalisation sur place” du marché du travail stimulent.

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Les questions que nous aimerions pouvoir aborder ici sont les suivantes : est-ce que nos sociétés sont hospitalières vis-à-vis des “autres (plus) vulnérables” ? Est-ce que nous accueillons ces autres dans la dignité ? Comment rendre hospitalier l’accueil des femmes étrangère ? La femme migrante ou l’autre absolu L’hospitalité interroge les places que l’on se réserve à soi et à la personne qu’on

accueille. Dans une conception libérale des rapports interpersonnels et sociaux entre individus égaux, autonomes et indépendants, l’hospitalité aspire à rétablir un certain équilibre puisqu’elle s’exerce toujours à l’égard d’un étranger au lieu d’accueil. Ainsi elle vise à faire en sorte que cet accueil se fasse dans une “égale dignité”. Alors, si l’hospitalité vise à restaurer l’égalité, elle pose problème dans une société où l’égalité est une condition des rapports entre les gens et pas un idéal à atteindre. Or “la beauté de l’hospitalité – ou plus exactement de la rencontre – c’est que la réalité du don et du contre-don ne soient pas réductibles à un commun dénominateur…”1. L’égalité serait-elle moins urgente que la possibilité d’une véritable rencontre, où l’on peut être sincèrement ouvert et attentif à l’autre, à ses besoins spécifiques et à sa singularité ? Ainsi, le type de lien que suscite la relation hospitalière pose problème dans nos sociétés. Elle constitue une brèche dans la “conception d’un moi fort et identique à travers le temps ou d’une conscience de soi autoconstituée malgré les assujettissements, dont ceux du genre”2. Dans le même sens, l’hospitalité nous semble proche d’une autre notion qui pourrait mettre à mal le postulat de l’indépendance du sujet comme préalable indispensable à la vie “civilisée”. Il s’agit de la sollicitude. Dans son dernier ouvrage, Fabienne Brugère la définit comme étant “un souci responsable des autres qui prend la forme d’une activité éthique et politique en faveur de la vulnérabilité humaine, dans l’idée de la stabiliser ou de la diminuer”3.

La sollicitude serait une forme d’hospitalité vis-à-vis des plus faibles d’entre nous. Ceux avec qui ce rapport égalitaire et réciproque – que l’hospitalité vise à restaurer – ne peut exister. On pourrait comprendre la sollicitude comme une réponse à la dépendance humaine. Celle-ci s’avère incontournable dans nos expériences vitales et révèle l’indépendance comme un idéal plutôt qu’une condition allant de soi. S’intéresser à la sollicitude nous oblige à “quitter toute compréhension idéale du sujet humain pour revenir à l’existence corporelle, affective ou sociale, toujours plus ou moins engluée dans des déterminations extérieures qui valent comme autant de manifestations de la dépendance”4. En étant à la fois femmes, étrangères et travaillant (dans le secteur des soins) sur la vulnérabilité humaine, les femmes migrantes incarnent cet autre absolu, qui pose problème puisque très éloigné du modèle du citoyen (mâle-blanc-occidental) autonome et indépendant à la base des sociétés libérales. Leur accueil serait en quelque sorte l’indicateur du degré d’hospitalité de ces sociétés. Or les migrations se féminisent justement au moment où l’on observe une fermeture progressive des frontières en Europe : à partir de 1970, les vagues d’immigration – jusque là, essentiellement masculines – comptent de plus en plus de femmes. 1970 est aussi la décennie qui a vu naître les lois d’arrêt de l’immigration de travail. L’accès des femmes à partir de cette période va se faire quasi exclusivement sur des critères de “regroupement familial”, c’est à dire, en tenant compte de leur statut de mères, femmes ou filles de travailleurs immigrés.

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Cette coïncidence provoque un malentendu qui a longtemps pesé sur l’étude de l’immigration féminine : on a longtemps supposé que les trajectoires migratoires des femmes étaient liées à un projet familial et non pas personnel, renforçant certains stéréotypes sur les femmes d’origines non-européennes. De la même façon, à cause des stéréotypes, l’accès au statut de demandeuses d’asile est tout aussi difficile pour les femmes, puisqu’on suppose que les femmes ne sont pas impliquées dans des activités politiques et donc, qu’elles n’en connaîtraient pas les dangers. Or, souvent, elles sont victimes de persécutions quand elles ne se conforment pas à certaines normes sociales culturelles ou religieuses. Néanmoins, ce type de risque spécifique n’est pas reconnu et n’ouvre pas l’accès au statut de réfugiée. Paradoxalement, ces stéréotypes sont parfois le seul moyen pour que ces femmes en situation irrégulière sortent de la clandestinité : si elles se présentent comme victimes et non en tant que sujets et actrices de libre choix, elles peuvent accéder à un statut reconnu par les administrations. Ces dernières se trouvent ainsi confortées dans leurs stéréotypes sur les femmes du Sud dépendantes et victimes de “leurs” hommes, violents et machistes5. Nous sommes loin d’une situation de symétrie entre des êtres autonomes, libres et désengagés de leurs appartenances particulières, et encore plus loin de cet idéal de la rencontre entre des êtres dont la singularité permet de s’enrichir mutuellement.

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Accueil sous condition ou révolution par la sollicitude ? Une situation paradoxale se profile : malgré les stéréotypes (dépendantes, soumises, traditionnelles) véhiculés à l’égard des femmes non-européennes, celles-ci ont souvent pris le chemin de la migration dans une volonté d’adhérer à ces idéaux d’autonomie, de confort matériel et de rupture avec des modèles familiaux oppressants qui sont glorifiés par les sociétés d’accueil. Cette volonté d’émancipation est très vite confrontée à une réalité tout autre : la fermeture des frontières, qui pousse beaucoup d’entre elles à rester dans la clandestinité, les oblige à s’orienter vers le travail au noir, souvent liés aux soins aux personnes et dissimulés dans la sphère privée. De même, lorsque leur situation est régularisée, elles intègrent massivement le marché du travail dans les métiers du care, liés aux soins, à la domesticité et en continuité avec les modèles traditionnels de genre toujours d’actualité dans les sociétés d’accueil, qui voient en elles des figures presque archétypique du dévouement maternel, et ce malgré le fait que, souvent elles ont des diplômes et une expérience professionnelle dans d’autres domaines. Ainsi, leur stratégie, qui est originellement en rupture avec les modèles traditionnels de genre, se voit limitée non seulement par les conditions légales de leur statut, mais aussi par les discriminations dans la société d’accueil et, surtout, par le fait d’être proches de la vulnérabilité que la société voudrait évacuer – puisque trop problématique pour l’idéal de sujet perfor-

mant, autonome et libre qu’elle s’impose – et limitées à ces tâches qui relèvent du care, de leur acceptation de la sollicitude assignée. Mais, si d’un côté, la sollicitude assignée à un sexe devient une contrainte pour celles qui sont censées l’assumer “naturellement”, d’un autre côté la sollicitude comme démarche éthique et politique au niveau de toute la société pourrait être la solution pour que les métiers et les activités liées aux soins aux plus vulnérables soient porteurs d’émancipation pour celles qui les intègrent massivement. Pour ce faire, il faudrait que la société valorise le care et la sphère de la reproduction, dans la mesure où ils sont la base du lien social. L’hospitalité à l’égard des femmes venues d’ailleurs servirait d’indicateur de l’état d’une autre valeur fondamentale pour la démocratie : la fraternité. Comment se porte-t-elle aujourd’hui ? On a l’impression qu’elle est aussi vulnérable que celles à qui nous assignons le soin des plus fragiles.

Paola HIDALGO Déléguée à la communication sociopolitique 1 Françoise Collin, “Du portrait et/ou de la visitation” in Devillers Virginie et Sojcher Jacques Portraits de l’Autre, ah ! Revue de l’Universite Libre de Bruxelles, 2007, p.17 2 Fabienne Brugère, Le sexe de la sollicitude, Seuil, Paris 2008, p. 19 3 Brugère F., Le sexe de la sollicitude, Seuil, Paris 2008, p. 19 4 idem p. 25-26 5 Lesselier, C. “Femmes migrantes en France” in Hersent Madeleine et Zaidman Claude, (Publ. Univ. Denis-Diderot) Genre, Travail et migrations en Europe (CEDREF), Paris, 2003, p. 57


Je fais un rêve et je rêve du jour où il n’y aura plus de Secrétaire d’Etat, ni même de Ministre des Personnes Handicapées, mais une volonté générale dans tous les ministères d’œuvrer à l’égalité des chances pour tous et d’abolir les obstacles qui maintiennent ces populations dans une espèce d’esclavage pervers entre dépendance, soumission et mise à l’écart plus ou moins volontaire.

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Dix pour cent de la population en situation de handicap : toute la population de Bruxelles, pour la Belgique, le Benelux à l’échelle de l’Europe. Et pourtant… On remarque que malgré des avancées substantielles en matière d’accessibilité des organismes et des services publics, il est encore loin le temps où l’accès sera libre, pour ces personnes, à la culture, aux formations et à un enseignement digne, à l’emploi, aux loisirs, aux moyens de transport, à l’ensemble des sites d’intérêt public… De fait, combien de personnes handicapées voyez-vous circuler librement en ville ? Combien accompagnées, en dehors des quatre ou cinq habituelles, rencontrées au hasard des allées ou des caisses des grandes surfaces ? On pourrait se dire que ces personnes, si on ne les voit pas, c’est qu’elles ne veulent se montrer… On pourrait également retourner la question et se demander si ce n’est pas le manque d’adaptation de nos sociétés –des trottoirs aux bus, en passant par les lieux de loisir, etc. – qui scelle leur manque de “visibilité”. Non, nos sociétés ne sont pas encore prêtes à accueillir dignement, je veux dire complètement, naturellement, les personnes porteuses de handicap. Pourtant, la Constitution ne laisse aucun doute quant à l’égalité de tous devant les lois, pas plus que la Charte de l’ONU sur les Droits de l’Homme. Que se passe-t-il ? Car, je veux éviter le poncif qui verrait d’un côté les “gentils” handicapés et de l’autre, les “méchants” valides. De fait, ces deux franges de la population ne se connaissent pas ; elles se côtoient parfois, se rencontrent de temps en temps, cohabitent lorsqu’une personne

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proche vit en situation de handicap, mais rarement elles se connaissent. Rarement, l’une ou l’autre ose le pas de la rencontre. Et pour cause, rien de plus difficile que d’aller à la rencontre de l’autre, de cet autre porteur de différences dont on ne veut rien savoir car renvoyant à des peurs et des angoisses inconscientes qu’il est de bon ton de refouler. Si à cela j’ajoute l’idéologie dominante dans nos sociétés qui met en avant la “valeur” des personnes – entendez la “valeur” marchande ou d’échange – leur productivité, une société qui fantasme la jeunesse éternelle et renvoie à la marge, loin, tout ce qui est de l’ordre de la maladie ou de la mort, et nous aurons compris qu’il s’agit bien d’un changement de mentalités auquel nous devons assister. Changement des mentalités général – du côté des valides comme des moins valides – et qui signerait une nouvelle étape du vivre ensemble dans la diversité… “Vivre ensemble dans la diversité”. Rengaine à la mode, diront certains et ils n’auront pas tout à fait tort. Sauf qu’entendu comme vivre ensemble dans le respect, la dignité et l’égalité, cette phrase ne constitue pas un poncif mais bien une fin que l’on se doit de se fixer comme objectif sur le chemin d’une société plus évoluée, plus moderne, plus riche, plus heureuse. Car qui se soucie de notre bonheur, en dehors des publicités des grandes marques ? Qui ose mettre ce paramètre comme étalon premier de notre être au monde ? Vivre avec un handicap ce n’est pas être handicapé, c’est être au monde d’une certaine manière ; comme le gros, le chauve, le noir, la femme, ne sont pas tout entiers dans cette différence par

rapport aux “standards” mais vivent une vie –la leur– en fonction de ce qu’elles sont : des personnes, par ailleurs noires, grosses, de sexe féminin, etc. Des personnes d’abord. Nous sommes tous des personnes d’abord. Alors, de grâce, cessons ces bondieuseries, ces regards miséricordieux, ces grandes messes médiatiques où l’on se donne bonne conscience, le temps de virer une petite somme d’argent, ces volontariats “sociaux” qui veulent sauver non pas le monde mais un certain “monde” et agissons tout de suite, ici et maintenant, ensemble, vers une société plus juste, plus rationnelle, plus humaine : une société sans exclusions. Le problème, pour ce qui est des personnes handicapées, réside en ceci qu’il s’agit d’une problématique transversale (à savoir que l’on peut cumuler les différences et être handicapée, noire, femme et homosexuelle) mais aussi qu’il s’agit d’une problématique qui exige cette même transversalité dans les réponses aux problèmes ponctuels qu’elle soulève et qui engagent – que l’on en soit conscient ou pas – l’ensemble de la société. Comment, en effet, parler de l’emploi des personnes en situation de handicap sans parler des formations, de l’enseignement, des transports, de l’urbanisme, de la mentalité des collègues et de la “nécessité” capitalistique des patrons d’engranger des bénéfices et donc de la plus-value sur l’ensemble des travailleurs ? Alors, je fais un rêve et je rêve du jour où il n’y aura plus de Secrétaire d’Etat, ni


même de Ministre des Personnes Handicapées, mais une volonté générale dans tous les ministères d’œuvrer à l’égalité des chances pour tous et d’abolir les obstacles qui maintiennent ces populations dans une espèce d’esclavage pervers entre dépendance, soumission et mise à l’écart plus ou moins volontaire. Je ne sais qui disait que l’on reconnaît le degré de civilisation d’une société à la manière dont celle-ci traite ses minorités. Je sais seulement qu’il avait raison. Comme je ne sais plus si c’est moi qui ai lancé il y a une décennie cette espèce de slogan qui disait que ce qui est bon pour les personnes handicapées, l’est aussi pour l’ensemble des citoyens. Je sais seulement que cela se vérifie chaque jour avec l’amélioration des trottoirs, de l’accès aux bus et aux trains, de l’abord des administrations, etc. Autant de progrès qui améliorent la vie des personnes âgées, des femmes enceintes, des jeunes mamans, des personnes momentanément en perte de mobilité, des ouvriers transportant des charges lourdes, des enfants en bas âge, etc. Claude Lévi-Strauss, dont on vient de fêter le centenaire il y a quelques semaines, lâchait sa phrase, devenue célèbre, lors de son discours à l’ONU en 1947 : “le barbare est d’abord celui qui croit en la barbarie.” Je rêve d’un monde où ce terme n’aura plus lieu d’être. Plus lieu !

José CAMARENA, Fondateur de l’asbl Handiplus, Traducteur et Psychanalyste.

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Délit de circuler

déni d’hospitalité Pour le sens commun aujourd’hui, l’hospitalité relève le plus souvent de la sphère privée, d’une qualité personnelle, voire d’une valeur culturelle lorsqu’elle qualifie plus largement certains groupes ou sociétés. Cette manière d’appréhender l’hospitalité, au mieux comme valeur civique, occulte pourtant dangereusement un des acquis majeurs de la Révolution française qui non seulement posa l’hospitalité en valeur fondatrice, mais en fit une valeur publique normative1 devant se traduire en actes, en pratiques dans le chef d’une nation porteuse d’un idéal de liberté, d’égalité et de fraternité.

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eux siècles et des poussières plus tard, dans notre pays comme dans celui de Condorcet, des milliers de personnes, y compris des enfants, sont chaque année privés de leur liberté parce qu’ils sont “illégaux”, “irréguliers”, “sans papiers”. Deux siècles et des poussières plus tard, Sémira Adamu est morte étouffée sous couvert des lois de l’inhospitalité2. Deux siècles et des poussières plus tard, chaque jour, on compte les morts aux frontières de plus en plus infranchissables de l’Occident.3

D

Comment avons-nous laissé se mettre en place cette logique meurtrière qui peu à peu a transformé les politiques de l’immigration en véritables machines à exclure et à réprimer ? Comment avons-nous pu assister sans broncher à la lente désagrégation des libertés fondamentales, à la dénégation du respect de la dignité humaine, à autant d’atteintes lourdes de conséquences pour l’Etat de droit ?

C’est pourtant au cœur même de ces politiques qu’il faut d’urgence, et en premier lieu, s’attaquer au dogme de la nécessité d’une “maîtrise des flux migratoires” et à celui qui consiste à croire que cette maîtrise est possible sans porter atteinte aux libertés fondamentales. Plus largement, il s’agit de comprendre comment, dans une surenchère xénophobe, l’immigré est peu à peu devenu le bouc émissaire idéal de tous les maux des dernières décennies. Il est donc aussi essentiel de replacer cette question dans le contexte historique dans lequel elle s’inscrit, en particulier des logiques économiques qui la sous-tendent : les conséquences sociales, environnementales désastreuses des politiques néolibérales notamment, les rapports entre pays du Nord et du Sud, ou encore la répartition inégale des richesses et la précarisation généralisée du plus grand nombre au profit de quelques privilégiés. L’immigré, bouc émissaire… et première victime d’une guerre économique

Parce qu’il n’y a pas d’autre alternative… A l’heure actuelle, l’idée que l’“on ne peut accueillir toute la misère du monde” a à tel point réussi son chemin que cette représentation fantasmée des migrations a contaminé bien au-delà des tenants d’idéologies nationalistes et xénophobes. Elle gagne aujourd’hui les rangs dits démocrates, humanistes ou progressistes pour lesquels il s’agit de plus en plus souvent, non de remettre en question les fondements des politiques de l’immigration actuelles, mais bien de veiller à minimiser les dommages collatéraux de ce qui se révèle être une véritable guerre.

Après l’arrêt de l’immigration de travail en 19744, suite à la première crise pétrolière et tandis que les politiques de l’immigration vont avoir de plus en plus comme axe principal la “maîtrise de flux migratoires” (au détriment des politiques d’accueil et d’intégration), le migrant va devenir, dans le discours officiel tout comme dans l’opinion majoritaire, l’objet de toutes les suspicions et la source de menaces importantes : une menace d’invasion d’abord, due à l’écart croissant entre les pays riches et les pays pauvres, la mise en péril de nos équilibres économiques et de nos acquis sociaux ensuite, enfin la mise à mal de nos identités nationales et de la

paix civile. Dans un contexte de chômage endémique, de crise du logement, d’effritement de la protection sociale, dans un monde globalisé en perte de repères, l’immigration “illégale” va faire figure, à force de contre vérités et de fantasmes assénés, de bouc émissaire idéal pour tous les maux actuels. C’est ainsi que, soutenue par l’activation de mythes tels “la fermeture des frontières” ou l’ “immigration choisie”, va se voir légitimée, à l’échelle européenne, une politique répressive dont les mesures administratives, judiciaires, policières et militaires vont non seulement être un échec en terme de “maîtrise des flux”, mais vont peu à peu constituer autant d’entorses aux libertés fondamentales. L’européanisation des politiques de l’immigration n’a pas constitué la solution augurée par certains. En faisant de la lutte contre l’immigration irrégulière sa principale préoccupation, elle a au contraire favorisé un alignement par le bas. C’est le cas du droit à vivre en famille et des mesures de plus en plus restrictives concernant le regroupement familial. C’est aussi le cas du droit d’asile dont le chemin pour l’obtention est à tel point semé d’embûches qu’il dissuade des millions de persécutés de le tenter. C’est encore le cas lorsque la clandestinité, tout comme le conditionnement du séjour au travail, permet l’exploitation d’une main d’œuvre docile et flexible à souhait, favorisant le dumping social et précarisant ainsi l’ensemble des salariés. Et puis, il y a ce qui est moins insidieux, ce qu’on ne peut plus ignorer, ce dont on ne

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pourra pas dire qu’“on ne savait pas”. Car on sait. On sait les expulsions5, la violence et les barques échouées. On sait l’arbitraire et les centres fermés. On connaît les drames humains et, derrière les exemples médiatisés, on sait qu’ils se comptent par centaines, par milliers. On le sait… “Ainsi tout ira pour le mieux dans la plus libérale des économies”, et tant pis si ce n’est pas “dans le plus scrupuleux des Etats de droit…”6 “Organiser la famine et criminaliser ceux qui la fuient”7 Dans Barcelone ou la mort8, Modou veut quitter son village. Il sait que c’est au péril de sa vie, mais il veut tenter sa chance. Ce qui le motive, ce n’est pas tant la misère que le désespoir. A Thiaroye-sur-mer, le village où il a grandi au Sénégal, les pêcheurs ont faim et ne peuvent plus nourrir leurs familles. Ils ne peuvent rien contre les chalutiers européens, chinois ou japonais qui écument leurs eaux et détruisent la richesse halieutique de leur pays. Alors beaucoup se reconvertissent en passeurs et transforment leurs barques en bateaux de fortune pour tenter la traversée vers l’Europe forteresse. C’est l’un des visages nombreux, l’une des conséquences très concrète, de la libéralisation non régulée du commerce international et des politiques d’ajustements structurels. Des termes très abstraits mais qui se traduisent pourtant pour Modou, comme pour des millions d’autres de par le monde, par une réalité mortifère qu’il s’agit de fuir. Une réalité parmi tant d’autres qui “contredit ouverte-

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ment les discours vertueux qui prétendent promouvoir des politiques actives d’aide au développement afin de permettre aux candidats à la migration de rester et travailler chez eux.”9 Bien sûr, on ne peut ignorer notre part de responsabilité dans l’émergence de ces réalités. Parce que là aussi, on sait. On sait, par exemple, comment la politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne a peu à peu mené à la disparition de l’agriculture vivrière et poussé à l’exode des millions de paysans africains. On sait le pillage des ressources. “On sait aujourd’hui qu’il existe un lien étroit entre la croissance que les pays occidentaux revendiquent comme un droit pour leurs populations et l’appauvrissement des pays du Sud”. Et l’on n’ignore pas non plus l’impact de notre mode de vie sur les changements climatiques actuels. Selon le Giec10, environ 150 millions de réfugiés du climat pourraient être déplacés d’ici 2050. On le sait ! Alors va-t-on encore longtemps continuer à verser “des larmes de crocodile”11 ou allons-nous enfin mesurer l'urgence des menaces réelles à écarter et des défis à relever ? Ce n’est pas Modou que nous devons craindre, c’est l’inconscience de ceux qui, en dépit de la crise sans précédent que nous traversons, notamment au niveau alimentaire et environnemental, refusent toujours “la mise en cause du cœur du système”.12

Sophie LÉONARD déléguée à la communication socio-politique

1 Lire à ce sujet la contribution de Sophie Wahnich, publiée dans Les Lois de l’inhospitalité. Les politiques de l’immigration à l’épreuve des sans-papiers, ouvrage collectif sous la direction de Didier Fassin, Alain Morice et Catherine Quiminal, éditions La Découverte/Essais, Paris, 1997. (pp. 11-27). L’auteur y rappelle notamment que dès le lendemain de la Révolution française, l’hospitalité révolutionnaire et universaliste se vit limitée au regard du pragmatisme politique d’un temps de guerre révolutionnaire qui devait se protéger de l’étranger malveillant, de l’espion ou du traître potentiel. 2 Ibidem 3 Sur le mur érigé entre les Etats-Unis et le Mexique, lire notamment Frontière Le mauvais côté de la barrière, article paru dans The Economist et publié dans Le Courrier International n°940 (du 7 au 12 novembre 2008). 4 En France en Belgique notamment 5 Lire l’article de Tassadit Imache, “L’envers du décor Protocoles d’expulsion” in Le Monde Diplomatique, novembre 2008, p.32. 6 Immigration : fantasmes et réalités. Voir encart. 7 Jean Ziegler, “Réfugiés de la faim” in Le Monde Diplomatique, mars 2008. 8 Documentaire de Idrissa Guiro, France, 2007. Ce film a reçu une mention spéciale du jury au Festival des Libertés 2008. 9 Immigration : fantasmes et réalités. Voir encart 10 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat 11 Emmanuel Terray, “Douvres, des larmes de crocodile”, in Libération, 22 juin 2000. 12 Serge Halimi, “Penser l’impensable”, in Le Monde Diplomatique, novembre 2008


A lire

Immigration : fantasmes et réalités. Pour une alternative à la fermeture des frontières Sous la direction de Claire Rodier et Emmanuel Terray, Editions La Découverte, Paris, 2008 (150 pages). 4ème de couverture : L’idée de ce livre est partie d’un double constat : la référence aux droits de l’homme ne suffit pas, ou ne suffit plus, pour remettre en cause les politiques migratoires qui leur portent atteinte. Par ailleurs, beaucoup de contrevérités circulent sur la question des migrations : “l’immigration pèse sur le budget national », « il faut privilégier l’immigration choisie contre l’immigration subie”, “l’aide au développement peut interrompre les flux d’émigration”, “la lutte contre l’immigration clandestine favorise l’intégration des migrants installés”… Ces idées fausses traduisent une grande méconnaissance de la réalité de l’immigration et de la politique migratoire menée en France par la droite comme par la gauche depuis les années 1970, et plus encore de celle mise en place dans les années 2000 et qui se profile au plan européen. Face aux fantasmes et aux mensonges, cet ouvrage a pour objectif de poser les bonnes questions, d’analyser les conséquences des politiques menées et de démonter les solutions hâtives, afin de montrer la réalité des situations et de susciter le débat. Il s’adresse aux personnes qui, bien qu’attachées au respect des droits de l’homme doutent, ébranlées par les discours sécuritaires ou économistes. Il suggère qu’une politique alternative à la fermeture des frontières n’est pas forcément irréaliste ou utopique.

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PORTAIL L’hospitalité constitue une notion fondamentale commune à l’humanité et un signe majeur de civilisation. Néanmoins, cette culture de l’accueil s’exprime différemment en fonction des époques et de sa géographie. Certains expliquent l’origine de ces variations par le fait que les peuples possédant de vastes espaces cultivables, les terriens, n'ont pas eu à tenter fortune sur la mer, à s'établir comme colons dans des régions lointaines, à commercer et à rencontrer des étrangers, comme les Grecs ont dû le faire très tôt, pour compenser l'aridité d'un pays essentiellement montagneux. Quoiqu’il en soit, cette obligation quasi incontournable du don à celui qui passe, a plutôt tendance aujourd’hui à étonner nos mentalités d'Occidentaux que l'accumulation rationnelle des biens matériels a rendus peu ouverts à la générosité désintéressée. On peut dès lors se poser la question : nos sociétés contemporaines, à l'heure de la mondialisation, ont-elles perdu le sens de l’hospitalité ?

Hospitalité Lorsque Ulysse abordait un nouveau rivage, la même question revenait : “Vais-je trouver des brutes, des sauvages sans justice ou des hommes hospitaliers craignant les dieux ?”

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Considérant qu'il est urgent de retrouver cette mémoire hospitalière du monde humain, le portail se mobilise afin que quelques click rendent accessibles des lieux, des cultures, des mythes et des chiffres qui font de l’hospitalité la plus indispensable des valeurs humaines.


Hospitalité et Utopie http://www.youtube.com/watch?v=TXD mPW1CJvc Près d’une heure d’exquise discussion philosophiques et historiques sur l’hospitalité (en 5 parties) entre le philosophe libertaire René Scherer (auteur notamment du brillant “Eloge de l’hospitalité”) et le regretté philosophe Jacques Derrida, deux éminents spécialistes du thème de l’Hospitalité.

Le top du top http://www.servas.org Servas est une association pacifiste internationale, non gouvernementale et multiculturelle gérée par des volontaires dans près de 100 pays. Fondée en 1949 en tant que “mouvement pacifiste”, Servas International est engagée dans “la construction d’une compréhension et d’une connaissance de l’autre, dans la défense de la tolérance et de la paix dans le monde”. Servas travaille à travers un large réseau d’accueillants dans le monde mais ne se limite pas à l’offre d’un hébergement gratuit pour les “Travelers”. Les voyageurs utilisant le réseau Servas sont en principe animés par l’envie de connaître “la réalité” des pays qu’ils visitent et de s’inscrire dans une dynamique de participation à des projets de développements sociaux. Servas jouit également du statut consultatif au sein du Conseil économique et social des Nations Unies, en tant que ONG.

http://www.couchsurfing.com/

http://www.warmshowers.org/welcome

“CouchSurfing a pour but de mettre en relation les gens et les lieux au niveau international, de créer des échanges culturels, de promouvoir la conscience collective ainsi que la tolérance et de faciliter la compréhension entre les différentes cultures.” Le CouchSurfing (littéralement “surfer sur des canapés” n'est donc pas juste un moyen de trouver un hébergement gratuit n'importe où dans le monde ; il s'agit plutôt de créer des connections à l'échelle de la planète et de rendre possible l’échange culturel. Le principe est simple, choisissez votre destination (229 pays différents sont représentés) et vous y serez accueillis par un membre local de la communauté (plus de 825000 membres) qui s’engage à vous faire découvrir l’authenticité du lieu. Pour plus de détails, un petit click…

En voilà une démarche sectaire, les membres de la communauté d’internautes “Vélo-Hospitalité” accueillent tous ceux qui le désirent. Seule condition : être accompagné d’un vélo.

Le Hospitality club! http://www.hospitalityclub.org/ “Un réseau d’hébergement et d’hospitalité internationale sur toute la planète !” Présent dans 207 pays à travers plus de 328000 membres, le hospitality club se positionne dans une démarche gratuite et interculturelle similaire à celle des deux sites précédents. Le Club est animé par des volontaires qui défendent l’idée suivante : “si les voyageurs entrent en contact avec les habitants des régions qu’ils visitent et si les résidents ont la possibilité d’aller à la rencontre d’autres cultures, la compréhension mutuelle est meilleure et la paix sur la planète peutêtre renforcée.”

www.gcim.org “Comme les vacances n’ont pas le monopole du voyage, il nous faut aussi aborder “l’hospitalité”, ou plutôt faudrait il dire “l’accueil” à destination des voyageurs pour raisons économiques ou politiques, ceux que l’on appelle les migrants. Par un étrange phénomène, les pays pourtant traditionnellement loués pour leurs cultures hospitalières séculaires perdent leurs bonnes habitudes face à “l’étranger à longue durée”. Pour les insomniaques, voici une bonne manière de joindre l’utile à l’agréable : parce que les migrations internationales sont devenues une priorité de l’agenda politique mondial, la commission mondiale sur les migrations internationales a remis en 2005 son rapport intitulé : “Les migrations dans un monde interconnecté : nouvelles perspectives d’action.” Si après ça vous n’avez toujours pas votre compte, enchainez avec le rapport européen sur les camps de détention des migrants. Résultat garantit. http://www.cimade.org/uploads/File/admin /Gianni_Rufini_2007_Rapport_final_PE.pdf

M@rio FRISO Relations publiques

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LA LAÏCITÉ EN DÉBAT Un nouveau dieu qui interpelle les laïques

Liberté et aliénation de l’individu contemporain L’individu contemporain Je partage, avec beaucoup de sociologues contemporains, la conviction que les transformations que connaissent les sociétés modernes occidentales ne sont pas de simples évolutions progressives, mais une mutation très profonde : ce n’est pas seulement une somme de changements “dans le système”, mais un changement “de système”, c’est-à-dire une mutation, à la fois technologique, économique, politique, sociale et culturelle. C’est, plus précisément, la mutation culturelle qui retiendra notre attention ici, parce que c’est elle qui produit la nouvelle subjectivité de l’individu contemporain. Selon mon interprétation de “ce qui se passe”, cette mutation se traduit, dans l’esprit d’un nombre croissant d’individus, par la hausse constante de la crédibilité d’un nouveau “dieu régnant”, que j’appelle – avec un peu de dérision, histoire de garder mes distances –, “le Grand ISA” : le grand Individu, Sujet, Acteur1 ! Comme ses prédécesseurs – Dieu luimême, puis la Raison, dans les sociétés occidentales –, ce nouveau “dieu” est :

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- un principe culturel abstrait et ultime ; - produit par les humains, dans la pratique de leurs relations sociales, pour donner du sens à (orienter et signifier) leurs conduites ; - mais projeté hors des consciences personnelles comme une réalité indépendante de leur volonté (un “Personnage Majuscule”) ; - et auquel ils sont socialement invités à, voire sommés, de se soumettre comme s’il existait vraiment. A ce titre, ce nouveau “dieu” est évidemment aussi contraignant2 que ses prédécesseurs : ses “commandements” inspirent directement les croyances relatives au bien, au beau, au vrai, au juste, au légitime, au désirable dans les sociétés occidentales contemporaines. Et quels sont ces commandements ? Le droit-devoir d’autoréalisation personnelle Chaque individu tend de plus en plus à croire qu’il a le droit de s’épanouir, de se réaliser, de faire ce qu’il aime vraiment dans la vie, de suivre les voies (ou les voix)

qu’il ressent au fond de lui comme appartenant à sa “nature”, ou bien qui lui ont été “révélées” par ses expériences. Il lui en coûte, par conséquent, de se livrer à des activités qui lui paraissent absurdes, qui contrarient ses désirs, dont il ne saisit pas le sens ou l’utilité, qui lui semblent en désaccord avec ce qu’il est, avec ce qu’il aspire à devenir. Devoir travailler juste pour gagner sa vie ou pour réussir ses examens engendre chez lui de l’apathie : il a besoin de passion, de créativité, de responsabilité pour se sentir motivé. Le droit-devoir de libre choix Dans tous les champs de la vie sociale, chaque individu concret estime de plus en plus avoir le droit de choisir sa vie, d’être le sujet de son existence, de décider luimême de ce qu’il juge bon pour lui. Il comprend bien cependant que sa liberté doit s’arrêter là où commence celle des autres et qu’il faut bien que ses choix soient limités par des normes régulatrices de la vie sociale. Mais il ne veut pas que ces normes lui soient imposées du dehors par une autorité invoquant son statut social. Il veut les comprendre, participer si possible


Le droit-devoir de plaisir

toi”) est devenu, de nos jours, pour tout le monde – mais, cela va de soi, surtout pour les jeunes –, un nouvel impératif catégorique.

Dans tous ses liens sociaux, chaque individu se sent en droit de jouir si possible de la vie, de se sentir bien dans son cœur, dans son corps, dans sa tête, de faire peu de sacrifices, de ne pas reporter à demain le plaisir qu’il peut prendre aujourd’hui. Nous entrons dans une époque qui bannit la souffrance3 : que ce soit pour naître, pour apprendre, pour vivre ensemble, pour travailler, pour affronter la maladie ou la mort, nous ne voulons plus souffrir !

Sans nous y étendre, il convient de signaler que ces orientations, et les significations qui s’y rattachent, envahissent, lentement mais sûrement, tous les champs relationnels de notre vie quotidienne : la famille (le couple et les relations parents-enfants), l’école, la religion, le travail, la politique… et, bien entendu, les instances culturelles (télévision, cinéma, littérature…) et plus encore les messages de la publicité.

Le droit-devoir de sécurité

Il importe de ne pas confondre “appel à l’Individu” et “individualisme”. Chacun peut, en effet, vouloir pour soi les moyens de se conformer aux injonctions du “Grand ISA”, mais il peut aussi le vouloir pour les autres, par solidarité, convivialité, générosité. Une société d’individus n’est pas un monde sans valeurs et sans normes, ni sans justice et sans solidarité.

à leur élaboration, les négocier, les assumer, les évaluer, les changer.

Face au monde d’incertitudes dans lequel sont entrées nos sociétés depuis la crise des années ’70, chacun veut aussi se protéger des nombreux risques qui le guettent : le chômage après les études, les menaces écologiques, l’insécurité dans les villes, la manipulation des besoins de consommation, la compétition exacerbée, la fragilité des liens affectifs, le sida, la solitude, les troubles sociaux et mentaux… Donc les choix sont dangereux et il vaut mieux les retarder, s’y préparer longuement, en étant bien sûr de l’utilité de ce qu’on apprend. Toujours avec un brin de dérision, je considère que ces quatre grandes orientations sont comme les nouvelles “Tables de la Loi”. Ce sont les commandements du “Grand ISA” : avoir un projet (“deviens toimême”), personnel (“choisis ta vie”), intéressant (“cherche la passion et le plaisir”) et cependant réaliste (“prends garde à

Nous voici donc, depuis quelques décennies, en présence d’individus, chaque année plus nombreux – surtout parmi les nouvelles générations –, qui s’estiment en droit de recevoir de la société les moyens de se conformer aux commandements du “Grand ISA”. Les formes contemporaines de l’aliénation Le “Grand ISA” met la barre très haut ! Car pour obéir à ses commandements, chaque petit individu concret – comme vous et moi – doit disposer de beaucoup de

ressources : de l’alimentation, de la santé, de l’éducation, de l’information, de la distraction, des qualifications compétitives, des emplois créatifs et stables, des réseaux de relations, de l’amitié, de l’amour et de la sexualité, bref, tout ce qui fait “le bonheur”, et si possible, beaucoup d’argent, pour y contribuer ! Hélas, plusieurs fois hélas ! nos sociétés n’ont pas assez de tout cela pour tout le monde. Pourquoi ? Si nos sociétés ont besoin de produire des individus capables d’être des sujets et des acteurs (conformes aux commandements du “Grand ISA”), ce n’est pas pour les rendre heureux : c’est parce que leur survie (en tant qu’entités politiques et économiques parmi les autres) dépend de leur aptitude à mettre en pratique trois grands principes : - la compétition : elles fonctionnent selon les lois du marché, qu’elles appliquent non seulement dans le domaine strictement économique, mais partout ailleurs : elles ont donc besoin d’individus compétitifs, imaginatifs, créatifs, flexibles, autonomes, responsables, qui peuvent se passer de solidarité publique ; - la consommation : elles ont besoin de vendre, dans le monde entier, tout ce qu’elles sont capables de produire : il leur faut donc des individus dont les besoins soient manipulables, susceptibles de se laisser séduire par la publicité, dont l’estime de soi dépend de leur avoir, de leur aptitude à suivre le renouvellement perpétuel des modes ; - la communication : leur capacité d’accumulation dépend principalement de la maîtrise du secteur de la communication

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et de l’information : elles ont besoin d’individus connectés entre eux, constamment reliés par des réseaux et pris dans le flux de la communication. Compétition, Consommation, Communication : c’est ce qui me fait dire que nos sociétés occidentales fonctionnent aujourd’hui selon le “modèle CCC”. Mais la logique structurelle de ce modèle est exclusive : elle élimine, elle rejette à sa marge tous ceux qui ne sont pas assez compétitifs, n’ont pas assez d’argent pour consommer, pour s’informer et pour communiquer. Il est vrai que l’État essaye aussi d’aider ses citoyens à acquérir ces ressources, mais les efforts qu’il fait pour cela sont nettement insuffisants pour compenser les inégalités d’intégration que le système produit. Il y a donc, et cela me paraît essentiel, une contradiction, un décalage – plus ou moins grand selon les ressources dont dispose chacun de nous – entre les attentes culturelles que les individus intériorisent et leurs possibilités réelles de s’intégrer au modèle des sociétés “CCC”. Devant ce décalage, ils peuvent réagir de plusieurs manières, et ce sont ces réactions qui les entraînent dans les formes contemporaines d’aliénation du sujet. En m’appuyant sur les analyses d’Alain Touraine, je crois qu’on peut en distinguer deux formes générales, qui, chacune, peuvent se présenter sous deux variantes. Les individus peuvent, en effet, interpréter les commandements du “Grand ISA”, soit comme un appel à instrumentaliser la société, soit comme un appel à y réaliser leur identité.

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- Instrumentaliser la société signifie se replier sur un hyper-individualisme utilitariste, voire cynique : je me jette dans l’arène, je suis aussi compétitif que possible, je me bats pour garder mon emploi, je suis loup parmi les loups, et tant pis pour les autres (aliénation compétitiviste) ; et / ou je consomme tous les gadgets technologiques qui se renouvellent sans cesse, je suis toujours à la mode, je m’endette au-delà de mes moyens, je suis “quelqu’un” grâce, notamment, à mon GSM et à mon ordinateur portable (aliénation consumériste) ; - Réaliser son identité dans la société signifie se replier sur un hyper-individualisme identitaire : je cherche à devenir moi-même, à suivre mes préférences, mes goûts, mes passions, à réaliser mes talents, à prendre le plus de plaisir possible, à souffrir le moins possible, à éviter les risques (aliénation narcissiste) ; et / ou j’adhère à des communautés fortes, qui me proposent des croyances, des valeurs qui donnent du sens à ma vie, qui fusionnent mon identité personnelle avec une identité collective sûre d’elle-même, arrogante, méprisante pour les autres, voire même agressive (aliénation communautariste).4 Il est difficile – surtout pour ceux qui ont peu de “capitaux” sociaux et culturels, mais aussi pour ceux qui en ont beaucoup – de ne pas succomber à l’une ou l’autre de ces formes d’aliénation. Car, en effet, les commandements du “Grand ISA” comportent des pièges : - que faire avec “deviens toi-même”, si je n’ai aucune idée des dons, talents, dispositions, goûts, préférences… que je pour-

rais épanouir, alors que je pense pourtant que je devrais normalement en avoir, et que, par ailleurs, je m’imagine qu’il ne convient pas de souffrir pour les développer ? - que faire avec “choisis ta vie” si ce que je veux devenir est condamné par les autres (mes parents, mes profs, le marché du travail), et si ce dont je rêve est irréalisable faute d’en avoir les moyens ? - que faire avec “vis ta vie avec passion” si les seuls emplois que la société me propose sont précaires, pénibles et profondément ennuyeux, si je suis poursuivi comme profiteur quand je bénéficie des indemnités de chômage, et si les couples sont si fragiles qu’ils se brisent avant même de s’installer ? - et que faire avec “prends garde à toi” si le monde qui m’environne est truffé de dangers de toutes sortes : chômage, sida, menaces écologiques, guerres. La question de la liberté aujourd’hui Si la question de la liberté se pose aujourd’hui d’une manière particulière, ce n’est pas seulement parce qu’il y a de l’aliénation – il y en a toujours eu, dans tous les systèmes sociaux, sous l’empire de n’importe quels dieux et de ceux qui prétendent les représenter sur la terre. C’est surtout parce que le “Grand ISA” est un “dieu” très capricieux. On peut même penser qu’il est plus tyrannique que ses prédécesseurs, parce que sa manière d’imposer ses injonctions a quelque chose de paradoxal, de sournois, d’hypocrite. Il semble, en effet, s’effacer derrière les individus concrets : il les invite à se libérer de l’emprise du social, et il nous présente comme des droits ce que sont,


en fait, nos devoirs. Le “Grand ISA” est un brillant illusionniste. Sois toi-même, choisis ta vie, sois heureux… ou crève ! Cette culture de l’individu, sujet et acteur nous oblige, me semble-t-il, à remettre en cause ce que beaucoup d’auteurs rationalistes – de Kant à Hegel – ont appelé “liberté” et, plus précisément, à rediscuter le rapport de l’acte libre au modèle culturel régnant. L’acte libre est [synthèse] : Être libre, vis-à-vis de son univers matériel, de soi-même et de son milieu social, c’est savoir être un “individu-sujetacteur” : - qui sait pourquoi il veut ce qu’il veut : la liberté, c’est d’abord une prise de conscience ; - qui veut ce qu’il à choisi de faire : c’est ensuite une volonté délibérée de mettre en œuvre un choix ; - qui fait ce qu’il peut pour se libérer : c’est aussi une action, un passage à l’acte contre l’aliénation (qu’elle vienne des autres, de lui-même ou du monde matériel), tout en tenant compte des limites imposées par la réalité ; - et qui, parfois, participe d’une solidarité avec les autres : avec ceux qui partagent la même aliénation. Être libre sous l’empire du “Grand ISA” Il convient d’abord de prendre le “Grand ISA” pour ce qu’il est : un “dieu” comme les autres – comme la Raison, comme Dieu lui-même –, un produit culturel des relations sociales, qui donne sens aujourd’hui aux activités humaines. S’y

soumettre n’est en rien faire preuve de liberté ; pas plus d’ailleurs que le rejeter pour se soumettre à un autre. La liberté ne saurait être définie par une soumission, à qui ou à quoi que ce soit. Elle consiste plutôt à comprendre pourquoi ce nouveau “dieu” veut de nous ce qu’il veut, à prendre une distance réflexive par rapport à ses commandements, que ce soit pour les accepter ou pour les refuser, mais consciemment et volontairement. Nous ne pouvons pas nous passer d’un “dieu” – sous peine de verser dans l’absurde et l’arbitraire –, mais nous pouvons le construire nous-mêmes, quitte à le “bricoler” en puisant des valeurs dans le stock inépuisable de la créativité humaine. La liberté, aujourd’hui, consiste aussi à combattre – en tout cas pour soi-même et, si on le juge bon, si on le choisit, en solidarité avec d’autres –, les formes spécifiques d’aliénation qui dérivent des interprétations idéologiques des commandements du “Grand ISA” : se tenir à distance, ne se laisser emporter ni par la compétitivisme, ni par le consumérisme, ni par l’hédonisme narcissiste, ni par le communautarisme, qu’il soit ethnique ou religieux. Dès lors, le rapport de l’acte libre au modèle culturel régnant est complexe : d’un côté, il consiste à prendre une distance critique vis-à-vis des orientations normatives qu’il propose et à s’engager dans une lutte sans merci contre les formes de domination sociale et technique qui sont exercées en son nom ; de l’autre, il consiste aussi à défendre fermement l’utopie humaniste que ce modèle pro-

pose : le droit de chaque individu de disposer des ressources de son épanouissement personnel (“deviens toi-même”), de décider librement de son avenir (“choisis ta vie”) et de vivre heureux (“prends du plaisir”), dans un milieu naturel, technique, économique, social et politique, sur lequel il exerce effectivement son contrôle (“prends garde à toi”) ; la défense de cette utopie étant évidemment plus efficace si elle repose sur des formes actives de solidarité. C’est au prix de cette double lutte – contre et pour – que l’individu contemporain pourra penser et agir librement Guy BAJOIT sociologue, professeur émérite de l’UCL Extrait de la conférence donnée à “Bruxelles Laïque” le 24 septembre 2008.

Ce qui est “nouveau”, ce n’est pas l’importance de l’Individu en soi – qui est beaucoup plus ancienne – mais son règne, c’est-à-dire le fait que ce soit lui qui régente notre vie culturelle, qu’il soit devenu un principe ultime de sens, qu’il n’ait de comptes à rendre à aucun principe plus important que lui. 2 Cette contrainte n’est cependant que sociale et culturelle : elle n’est jamais vraiment physique, comme elle l’a été avec d’autres principes de sens. Aussi, certains préfèrent aujourd’hui se rabattre sur d’autres“dieux”. 3 C’est d’ailleurs pour cette raison que le thème de la souffrance sociale est aujourd’hui tellement à la mode. 4 Alain Touraine ne les nomme pas exactement de cette manière, mais je pense ne pas trahir ici le fond de sa pensée. Voir deux de ses livres : Critique de la Modernité (1992) et Pourrons-nous vivre ensemble, égaux et différents (2001). 1

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PRÊT-À-PENSER Billet consacré à la déconstruction d’un mot ou d’une expression d u p o u v o i r à v o c a t i o n d e p r o p a g a n d e 1.

Le droit au travail Le tribunal contre la grève, la jurisprudence contre le droit. Pour réduire la pression occasionnée par la grève, de tout temps, les patrons ont eu recours, outre aux travailleurs non-grévistes, à des salariés ponctuels et précaires pour remplacer les grévistes aux postes de travail. On les appelle parfois “les jaunes” par référence au mouvement syndical anti-grève qui vit le jour en France à la fin du 19ème siècle. Pour faire face à cette pratique, les travailleurs mettent en place des piquets de grève qui consistent à empêcher l’accès à l’outil de travail. Il est maintenant courant que, face à un tel mouvement, le patronat engage des poursuites contre les grévistes. L’introduction d’une requête unilatérale au tribunal civil, permet au patron d’obtenir une ordonnance en une heure. Et l’on voit maintenant des huissiers de justice qui, armés de la précieuse ordonnance et en compagnie de la police, viennent faire cesser les piquets de grève. Ceci sans que les travailleurs aient eu la possibilité de se défendre devant le tribunal. En conséquence, pour la modique somme de 52 euro (prix de l’introduction de la requête) et avec la bienveillance d’un huissier qui accepte de réaliser son exploit toutes affaires cessantes, une action de grève est réduite à une action symbolique d’un simple claquement de doigts du patron qui invoque le “droit au travail” pour aller en justice. aire ainsi appel à la justice devient presque systématique lors de conflits sociaux. Depuis 1984, une jurisprudence foisonnante consacre en effet le “droit au travail” contre les actions de grève. Mais que recouvre exactement cette notion de “droit au travail”, parfois désignée “liberté de travailler” dans les ordonnances de

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justice ? Pour y faire référence, la jurisprudence se base sur trois articles de lois : les articles 12 et 23 de la Constitution2 et l’article 7 du décret du 17 mai 17913. L’article 12 de la Constitution garantit la liberté individuelle, mais ceci pour encadrer les relations entre l’individu et la

justice4. Son article 23 consacre le droit de chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine, le droit au travail et au libre choix d’une activité, ceci visant à assurer un niveau de vie stable, des conditions de travail dignes et le droit à la négociation collective. Le décret de 1791, pris en France sous Louis XVI, consacre le


libre choix de l’activité professionnelle de chacun. Le droit “de consultation et de négociation collective” (Constitution, art. 23) à lui seul implique que l’employeur ne peut imposer aux travailleurs l’adhésion à un projet que les travailleurs estimeraient contraire à leurs intérêts. Ainsi, nous le voyons, les dispositions légales auxquelles font appel les tribunaux pour condamner les grévistes, sont en réalité des dispositions dont l’esprit vise à protéger les travailleurs contre l’exploitation, le travail forcé, contre la précarité et à lui garantir un droit égal à accéder au statut du travail. Dans les faits, les tribunaux et, partant, la jurisprudence, dénaturent ces droits et permettent qu’on se serve des lois protectrices pour entraver la liberté des travailleurs de faire respecter leurs intérêts par l’ultime moyen de la grève. En invoquant “le droit au travail” ou “la liberté de travailler”, l’employeur en conflit avec le personnel de son entreprise voudrait se présenter comme le dépositaire de la liberté des travailleurs. Il n’en est pourtant rien. En effet, en terme judiciaire il est contestable que le patron saisisse la justice sur base d’un droit qui ne met pas directement en jeu ses propres intérêts. Le patron peut se prévaloir du droit de propriété ou du droit d’entreprise (lui aussi consacré par le décret de 1791). Mais pas du droit au travail qui concerne le travailleur lui-même. En outre, il est curieux de

voir des patrons qui précarisent et fragilisent l’emploi, appeler la justice au secours du droit au travail. Ne serait-ce pas aux chômeurs, aux précaires et aux exclus qui sont privés d’un travail décent de le faire ? D’autre part, l’action de grève elle-même, dernier recours des salariés en cas d’échec de la concertation, est le moyen par lequel les travailleurs peuvent alors faire entendre qu’on respecte leurs conditions d’emploi et de travail, leur “droit de mener une vie conforme à la dignité humaine”. Leur ravir ce moyen de pression reviendrait purement et simplement à leur imposer un contrat d’adhésion avec les projets patronaux qui peuvent être en contradiction avec les intérêts propres des travailleurs. Et ainsi, retirer aux travailleurs leur qualité d’interlocuteur et d’acteur de l’activité économique. Et ceci au titre de la liberté de travailler et du droit au travail. Cocasse ? Or, en réalité, l’État de droits consacre les droits sociaux et syndicaux. L’action des tribunaux et l’effet de la jurisprudence actuelle bafouent ces droits. Si le patronat et la justice belge feignent de l’ignorer, ce n’est pas le cas du comité européen des droits sociaux qui a plusieurs fois condamné la Belgique pour non-respect du droit de grève. Ainsi, avec le mythe de “l’usager pris en otage”, les notions de “droit au travail” et de “liberté de travailler” utilisées comme mots du pouvoir sont une façon à la fois propagandiste et opératoire de faire passer quelque chose pour ce qu’il n’est pas et de l’éteindre : l’action de grève, qui vise à améliorer les conditions de travail ou à

éviter que celles-ci se détériorent, devient une entrave au droit des travailleurs. Et ce, malgré ce que nous en dit l’esprit du droit belge et des traités internationaux. De la sorte, c’est de façon insidieuse qu’un droit censé protéger les intérêts des travailleurs se retourne contre le moyen qu’ils ont d’effectivement protéger leurs intérêts. Plus fondamentalement, c’est aussi la liberté individuelle poussée dans une logique outrancière (“le droit au travail”) qui fait face à la solidarité de ceux qui ensemble veulent faire respecter des conditions de vie dignes pour tous (le droit du travail). Certes quelques jours de piquet de grève peuvent donner une impression inhospitalière aux usagers d’un supermarché, mais ce piquet est le moyen par lequel les travailleurs entendent obtenir des conditions de travail qui leur permettront de garantir à long terme un accueil de qualité pour les usagers. Marx alors !

Cedric TOLLEY Délégué à la communication sociopolitique 1 Discipline à l’initiative de Matéo Alaluf. Dictionnaire du prêtà-penser, Edition Vie Ouvrière, Bruxelles-Charleroi, 2000. Et dans la revue Politique. 2 Constitution belge : http://www.senate.be/doc/const_fr.html 3 Voir à ce propos : Lagasse, François, “Grève, piquets de grève et occupation d’entreprise”, Droit Fiscalité Belge, 2002. 4 Constitution belge Ibid.

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L’ASSOCIATION DES AMIS DE LA MORALE LAÏQUE D’AUDERGHEM EN COLLABORATION AVEC LES AML D’IXELLES ET DE WATERMAELBOITSFORT propose un exposé suivi d’un débat Pour une philosophie du bonheur : itinéraire d’un laïque heureux de son cheminement par Mr Paul Danblon Date : vendredi 13 mars 2009 à 20h15 Lieu : auditorium des Ecuries de la Maison Haute, 3 place Paul Gilson à Watermael-Boitsfort. P.A.F : membres des associations organisatrices et du CEPULB 5 euros, non membres 6,5 euros, étudiants 2.5 euros. Renseignements : 02/673 13 12 ou vogelsa@scarlet.be

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L’ASSOCIATION DES AMIS DE LA MORALE LAÏQUE DE JETTE, AVEC LE SOUTIEN D’AMNESTY INTERNATIONAL ET DE LA LIGUE DES DROITS DE L’HOMME propose une exposition : The Forgotten “Birmans : les oubliés” exposition de photos de Francis Duwyn dans le cadre du 60e anniversaire des Droits de l’Homme. Une conférence s’inscrira dans le cadre de cette manifestation ( date à déterminer ) Date : du 31 janvier 2009 au 9 février 2009 ( vernissage le 30 janvier 2009 à 19h ) Lieu : Abbaye de Dieleghem, rue Tiebackx 14 à 1090 Bruxelle. P.A.F : gratuit. Renseignements : 0495/14 81 94 ou mironczyk_christine1@yahoo.fr

L’ASSOCIATION DES AMIS DE LA MORALE LAÏQUE DE MOLENBEEK SAINT-JEAN propose deux activités 1. Une rencontre-débat, table ronde : L’offensive créationniste contre la science avec Mr Charles Suzanne, anthropologue, professeur à l’ULB et la VUB. La théorie de l’évolution est attaquée par des fondamentalistes religieux qui demandent que les thèses créationnistes soient enseignées dans les écoles européennes parallèlement ou même à la place de cette théorie ! Or le créationnisme, dans aucune de ses déclinaisons, telles que “l’intelligent design” n’est fondé sur des faits, ni n’utilise le raisonnement scientifique. Il est urgent, face à une offensive concertée et mondiale, de résister. Date : lundi 12 janvier 2009, ouverture des portes à 18h30 ( rencontre conviviale bar, sandwichs), début de l’exposé à 19h30, débat vers 20h30. Lieu : école 11 “Aux sources du gai savoir” chaussée de Ninove, 1001-1080 Bruxelles. P.A.F : 1euro Renseignements et réservations : 02/468 57 57 ou thirion.gul@skynet.be 2. 30e édition de la fête de l’Enfant Ombre et lumière Spectacle de danse, de chant, de poésie, stand d’informations laïques, stand de maquillage, bar, petite restauration Date : samedi 7 février 2009 de 14h à 18h. Lieu : école communale n°16, avenue Carl Requette 37/8 à 1080 Bruxelles. P.A.F : 1euro, ouvert à toutes et à tous ! Renseignements : 02/468 57 57 ou thirion.gul@skynet.be


L’ASSOCIATION DES AMIS DE LA MORALE LAÏQUE DE SCHAERBEEK propose deux activités 1. Evolution et puis quoi ? Conférence de Charles Suzanne, professeur à l'ULB et à la VUB Date : Jeudi 29 janvier 2009 à 20h00 Lieu : encore à déterminer P.A.F : gratuit Renseignements : 0477/49 21 15, diane41513@hotmail.com 2. Assemblée Générale de l’AML de Schaerbeek. Date : jeudi 26 mars 2009 à 19h00 Lieu : salle de conférence de l'Ecole numéro 1, rue Josaphat à 1030 Schaerbeek. P.A.F : gratuit Renseignements : 0477 49 21 15, diane41513@hotmail.com COLLOQUE DE LA LAÏCITÉ Enseignement public : quel engagement ? Quelle neutralité ? Y a-t-il progressisme véritable sans volonté d’une éducation libératrice ? Y at-il laïcité cohérente sans souci majeur de la qualité de l’enseignement ? Y a-t-il démocratie solide sans une majorité de citoyens conscients, autonomes et responsables ? Ces trois questions fondamentales peuvent se décliner en beaucoup d’autres, plus précises, plus concrètes. Mais elles dominent la problématique que la FAML veut examiner, au crible du libre-examen lors de son XXIe congrès le 14 mars 2009. Date : samedi 14 mars 2009 Lieu : Salle La Grange du Château du Karreveld, 3 avenue Jean de la Hoese à 1080 Bruxelles.

P.A.F : 5 euros Renseignements : auprès de Mr Charles Suzanne, scharles@ulb.ac.be

LA LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT ET DE L’EDUCATION PERMANENTE ASBL vous propose diverses activités 1. Visite guidée de la RTBF en compagnie de Patrick Verdeye, guide des studios de la RTBF depuis 30 ans. Découverte des coulisses de la RTBF et de leurs secrets : les studios d’enregistrement et leurs particularités acoustiques, la réalisation d’une émission, les métiers de la radio et de la télévision, le traitement de l’information… Une visite guidée pour connaître l'envers du décor de la radiotélévision, qui fait l'opinion et anime notre quotidien. Date : samedi 7 février 2009 à 14h15 Lieu: rendez-vous à l’entrée « Diamant » de la RTBF, Bld Reyers, 52 – 1044 Bruxelles. P.A.F : 9 euros Renseignements : 02/511 25 87 formation@ligue-enseignement.be 2. Visite du Centre Belge de la Bande Dessinée autour du thème la nouvelle BD pour enfant. l’évolution de 1990 à nos jour. Depuis les années 90’, la bande dessinée a connu une évolution remarquable due à la créativité grandissante de nombreux jeunes auteurs. Sfar, Trondheim, Robin, Cornette ou Larcenet, font partie de ces raconteurs d’histoire polyvalents, composant autant pour les adultes que pour le jeune public. Avec Toto l’Ornithorynque, Ludo, Le Petit vampire ou Le Petit Père Noël, ils lui ont dédié de nouveaux univers graphiques. Le Centre Belge de la Bande

Dessinée nous propose une exposition temporaire consacrée à la nouvelle BD pour enfant. Fêtant en 2009 ses 20 ans d’existence, le Centre a décidé que, cette année, ses expositions seraient autant de réponses à la question suivante : “Qu’est-ce qui a changé dans la BD en vingt ans ?” Parallèlement, un programme d’activités et d’animations spécifiques sera organisé dans ce vaste espace comprenant aussi une bibliothèque. A (re)découvrir seul ou en famille, tout en profitant de la splendeur de cet édifice Art Nouveau signé Victor Horta. Date : 17 janvier 2009 à 10h15 (début de la visite à 10h30). Lieu : Centre Belge de la Bande Dessinée : rue des Sables, 20 – 1000 Bruxelles P.A.F : 12 euros Renseignements : 02/511 25 87 ou formation@ligue-enseignement.be

LA MAISON DE L’INTÉGRATION ET DU CITOYEN EN COLLABORATION AVEC VIVRE À KOEKELBERG, ASBL DE COHÉSION SOCIALE organisent des permanences juridiques. Dates : 1er et 3e mercredi de chaque mois (de 17h à 19h) ainsi que les 1er et 3e samedi de chaque mois (de 9h30 à 12h). Lieu : rue de l’Eglise Sainte Anne, 6 à 1081 Koekelberg. P.A.F : gratuit Renseignements : 0475/48 44 68 ou icid.belgium@yahoo.com ou http://www.freewebs.com/mic-hib/

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Convention Laïque le 7 mars 2009 • Dès 13 heures, accueil convivial à l’Université du Travail • De 13h30 à 17h30, ateliers d’agitation d’idées • À 18h00, les 40 bougies du CAL et walking-dinner au Palais des Beaux-Arts • À 20h30, spectacle explosif de Michel Fugain

Dans ce cadre, Bruxelles Laïque vous propose :

DES SOIRÉES PUBLIQUES : Le 11 février 2009 à 20h Faut-il être athée pour être laïque ? Avec Philippe Grollet (past-président du CAL) et Jean Baubérot (sociologue des religions et de la laïcité CNRS – Ecole pratique des hautes études). Au Botanique, salle Rotonde - Rue Royale, 236 - 1210 Bruxelles.

Le 19 février 2009 à 20h Un espace public menacé ? Envahi ou colonisé ? Par qui ? Comment ? Avec Vincent de Coorebyter (Philosophe et directeur général du Centre de Recherche et d’Information Socio-Politiques) et Dan Van Raemdonck (Président d’honneur de la Ligue des Droits de l’Homme et Vice-président de la Fédération Internationale des Droits de l'Homme). A Bruxelles Laïque, 18-20 avenue de Stalingrad, 1000 Bruxelles.

DES DÉBATS À LA CARTE : Nous vous proposons de venir débattre vous selon une formule à convenir (en journée ou en soirée ; en atelier, forum ou table ronde). Afin de faciliter cette démarche, nous vous présentons plusieurs thématiques susceptibles d’amorcer une rencontre :

Qu’est-ce que la Laïcité en Belgique ? Le mouvement laïque belge : spécificité, sens, valeurs et revendications.

Laïcité, religions et croyances La Laïcité est-elle antireligieuse ? Les laïques revendiquent-ils une société d’incroyance ?

Laïcité, pluralisme et diversité La Laïcité s’oppose-t-elle au multiculturalisme et au pluralisme ? Reconnaît-elle la diversité culturelle et identitaire des individus et des communautés ?

Laïcité et projet de société Quel idéal social anime la laïcité organisée et quel modèle de société propose-t-elle ? Pour toute information ou pour convenir d’un rendez-vous, merci de s’adresser à Bruxelles Laïque asbl

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Ariane HASSID, Présidente

Conseil d’Administration

Direction Comité de rédaction

Philippe BOSSAERTS Clément DARTEVELLE Francis DE COCK Jean-Antoine DE MUYLDER Francis GODAUX Eliane PAULET Michel PETTIAUX Yvon PONCIN Johannes ROBYN Laurent SLOSSE Cédric VANDERVORST

Fabrice VAN REYMENANT

Mathieu BIETLOT Mario FRISO Paola HIDALGO Thomas LAMBRECHTS Sophie LEONARD Alexis MARTINET Ababacar N’DAW Cedric TOLLEY

Toute l’équipe de Bruxelles Laïque vous souhaite une excellente année 2009. GRAPHISME Cédric BENTZ & Jérôme BAUDET EDITEUR RESPONSABLE Ariane HASSID, Présidente de Bruxelles Laïque, 18-20 Av. de Stalingrad - 1000 Bruxelles ABONNEMENTS La revue est envoyée gratuitement aux membres de Bruxelles Laïque. Bruxelles Laïque vous propose une formule d’abonnement de soutien pour un montant minimum de 7€ par an à verser au compte : 068-2258764-49. Les articles signés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.

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