Sommaire Editorial (A. Hassid) ........................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 3 Projet de paix et droits de l’Homme. Des déclarations de l’ONU à l’instrumentalisation étatique (A. Martinet) .................................................................................. 4 Une société qui ruse avec ses principes (A. Ndaw) ....................................................................................................................................................................................................................................... 10 Autonomie et responsabilité à l'ère du néolibéralisme (M. Bietlot) ................................................................................................................................................................................................ 12 Autonomie et responsabilité à l'ère de l’État social sécuritaire (J. Béghin) ........................................................................................................................................................................... 17 Atelier d’expression citoyenne à la prison de Forest (J. Van Neijverseel et C. Tolley ) ............................................................................................................................................... 20 LIVRE-EXAMEN : La double pensée. Retour sur la question libérale. (T. Lambrechts) .............................................................................................................................................. 24 Emergence politique ou confiscation de l'interculturel ? (M. André) ............................................................................................................................................................................................ 26 5% de démocratie en plus ? (T. Lambrechts) ....................................................................................................................................................................................................................................................... 30 Du péché originel au destin intelligent (J. Semal) ............................................................................................................................................................................................................................................ 34 Séparer les Églises et l’État : une évidence ? (M. Bietlot) ........................................................................................................................................................................................................................ 38 J’écris ton nom................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 44 PORTAIL : Mots à Maux (M. Friso) .................................................................................................................................................................................................................................................................................. 46 AGENDA : échos laïques de vos activités bruxelloises .............................................................................................................................................................................................................................. 48
Avec le soutien de la Communauté française. Bruxelles Laïque Echos est membre de l'Association des Revues Scientifiques et Culturelles - A.R.S.C. ( http://www.arsc.be/) Bruxelles Laïque asbl Avenue de Stalingrad, 18-20 - 1000 Bruxelles Tél. : 02/289 69 00 • Fax : 02/502 98 73 E-mail : bruxelles.laique@laicite.be • http://www.bxllaique.be/
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émocratie, autonomie, émancipation, solidarité, plaisir,... Autant de valeurs que nous défendons comme nôtres, que nous appelons souvent, par raccourci, les “valeurs laïques”. Mais comme tout raccourci, il peut créer de la confusion et appelle donc quelques précisions.
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Tout d'abord, il convient de distinguer valeurs au sens strict et principes. Les principes sont des références qui président à l’organisation d’un collectif. Une société doit se mettre d’accord sur des principes de fonctionnement qui sont valables pour tous et qui permettent la coexistence de chacune et chacun. En ce sens, la laïcité politique propose des principes (séparation des Églises et de l'État, impartialité, droits de l'Homme, ...) qui peuvent valoir pour toute la société. Il ne faut pas être laïque “encarté” ni libre penseur pour y adhérer. Par contre, les valeurs relèvent davantage d’un système moral, d’une vision du monde. Elles permettent à un groupe de s’identifier, de régler les comportements de ses membres mais elles sont plus particulières que les principes. La laïcité philosophique, par exemple, définit un ensemble de valeurs, à partir d'une vision du monde sans références transcendantes, que d’autres groupes de la société ne partagent pas forcément. Les sociétés modernes se caractérisent par le pluralisme des valeurs revendiquées par leurs membres. S'il est de l'essence des principes laïques d'être admis bien au-delà de la communauté non confessionnelle, on remarque aujourd'hui qu'une série de valeurs laïques – telles que l'émancipation, l'esprit critique ou le plaisir – sont également mobilisées par d'autres courants de pensée. Nous n'allons pas déplorer que ces valeurs auxquelles nous tenons se répandent dans la société. Cela signifie que nos combats ont réalisé certaines avancées et, plus généralement, que la société se sécularise. Loin de nous l'idée de revendiquer le monopole de ces valeurs et de crier au vol dès que d'autres se les approprient. Cependant, le fait que des valeurs soient utilisées à tout va et dans tous les sens peut poser question. Les mots ont-il toujours le même sens pour tout le monde ? Ne sont-ils pas parfois galvaudés, instrumentalisés, détournés (volontairement ou non) de leur sens initial ? Le dossier que nous vous proposons ne prétend pas révéler le sens exact et universel de ces grands mots mais interroger leurs usages multiples et les problèmes qu’ils peuvent poser en terme de confusion, de récupération ou de perte de sens. Nous nous intéresserons particulièrement aux rapports de force dans lesquels se trouvent coincés ces concepts et où ils se voient trop souvent détournés de leur esprit initial. Comment, en effet, mener le débat démocratique auquel nous tenons si les concepts n’ont pas la même signification pour tout le monde ? Cette polysémie ou ce galvaudage risque aussi de générer de la méfiance ou du désintérêt pour ces notions chez de nombreux citoyens qui peuvent avoir le sentiment légitime de vivre dans un monde de supercherie. Préciser le sens des mots est l’une des conditions nécessaires à toute forme d’expression et au dialogue constructif au sein de la société. J’espère que cette 68ème édition de Bruxelles Laïque Échos contribuera à ce débat démocratique et vous fournira certains arguments. Je vous en souhaite une agréable lecture. Ariane HASSID Présidente
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Lorsqu'il s'agit de tremper sa plume avec l'intention de traiter un sujet si vaste et tortueux que celui des valeurs et principes au sein de l'ordre mondial, il semble important de préciser que les développements sommairement exposés ici ne remettent pas plus en question qu'ils n'ôtent une quelconque pertinence aux énormes avancées qu'ont permis la création des Nations Unies (ONU) et la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH). Ils tenteront cependant de démontrer que leur efficacité s’amenuise, que le sens premier qui a permis leur établissement est fréquemment oublié ou détourné, enfin, que la définition de certains principes qui furent à l'origine de leur création fut modifiée au fil du temps ou des aspirations diverses des Sujets de cet ordre mondial. Tout en affectant immanquablement les conditions d'intervention et le fonctionnement de l'ordre juridique international qui gravite autour de la Charte des Nations Unies, c'est la légitimité-même d'une telle institution qui s'en trouve fragilisée. Essayons de comprendre les mécanismes qui causèrent un tel revirement du sens des principes qui furent admis en 1945, semblerait-il, par un consensus mondial hors du commun.
De tout temps, les relations de voisinage entre entités souveraines ont cherché, dans la défense de leur intérêt propre, à codifier leurs relations pour éviter les guerres inutiles. C’est avec la création des États modernes, au XVIIe siècle, que l’ordre international a commencé à progressivement se structurer (Traité de Westphalie). Cette structuration prit un tournant décisif au XXe siècle. De la grande guerre à la paix perpétuelle En 1918, les écrits de Kant refirent surface dans l’esprit de certains dirigeants. Vulgairement résumée, sa théorie pourrait être comprise ainsi : les humains ont quitté l'état de nature où chacun était un loup pour l'autre. Réunis en société autour de l'État, ils bénéficient tous, selon Kant, de sa protection. Mais ces États se substituent aux rapports primitifs de l'Homme
animal et sont en conflit permanent les uns avec les autres. Tour à tour bourreau et victime, chaque Etat doit sans répit se protéger... et tant que l'on ressassera à tout va que la meilleure défense, c'est l'attaque, la guerre paraît être l'incroyable destin du genre humain ! Pour sortir de cette impasse, les Hommes devront alors conclure, à l'étage étatique, le pacte qu'ils ont passé entre eux en tant qu'individus. Ce pacte devrait être contracté entre des Etats de droit, qui respectent la séparation des pouvoirs et les droits des personnes. Les cocontractants accepteraient ainsi de régler leurs différends devant un tribunal international instituant une société civile mondiale, idéal de la raison selon Kant. Seraient alors réunies les aspirations de tous les peuples, et les Etats de droit reconnaîtront
la guerre pour l'absurdité qu'elle est : contraire à la raison comme à leurs intérêts réciproques. Kant indique le chemin à suivre en rédigeant son Projet de paix perpétuelle. Il y condamne les guerres de conquête, les armées permanentes, la diplomatie secrète. Il traite du droit civil et du droit international en y ajoutant la dimension du droit cosmopolitique qui concerne “la possession commune de la surface de la terre”. Les Hommes y ont des droits en vertu de leur seule appartenance à l'espèce, en tant que “citoyens du monde”. La guerre dévastatrice de 14-18 permit l'impulsion nécessaire à la tentative d'instauration d'un ordre juridique mondial chargé de maintenir la paix. La philosophie diplomatique qui a présidé à la
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création de la Société des Nations (SDN) représentait un changement fondamental dans la pensée belligérante des siècles précédents. L’impuissance de la SDN ne tarda cependant pas à se faire sentir : l’échec en matière de désarmement, l’agression japonaise en Chine, l’invasion de l’Ethiopie par Mussolini, sans oublier la montée de l’Allemagne nazie, en sont les témoins. L'intérêt des Etats au maintien de la paix s'est vite vu détrôné par l'intérêt que certains Etats pensaient pouvoir trouver dans la guerre. Fragile, impuissant, ce colosse aux pieds d'argile sera officiellement dissout pour faire place à l'Organisation des Nations Unies, créée au sortir de la deuxième guerre mondiale, laquelle s'est terminée en laissant le monde dans l'état que l’on sait. De la SDN à l’ONU “La SDN est morte, vive l’ONU !” C’est ainsi qu'un animateur britannique de la SDN commenta sa dissolution, en avril 1946. Le Président de son Assemblée, reconnut, quant à lui, que “nous avons souvent manqué de courage moral, que souvent nous avons hésité quand il eût fallu agir, que nous avons parfois agi quand il eût été sage d’hésiter.” Pour son représentant français, la SDN n’avait pas failli : “c’étaient les gouvernements qui n’avaient pas su s’élever au-dessus de leurs intérêts particuliers”. Sans soutenir ce genre d'auto-disculpabilisation, si chère à nos amis politiciens, il aura le mérite d'avoir mis le doigt sur le facteur principal – pour ne pas dire unique – des échecs en matière de relations internationales censées apporter aux êtres humains le minimum de sécurité et de bien être requis.
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L'impact de ces intérêts particuliers et opposés sera étudié par la suite. Pour l’anecdote, Albert Einstein aurait proposé de graver sur le fronton du Palais des Nations la devise suivante : “Je soutiens les forts et je réduis les faibles au silence sans effusion de sang”. En conclusion, les principes constituants, qu'étaient entre autres le cosmopolitisme, la paix perpétuelle ou la dignité humaine lors de cette première expérience, furent à mille lieues de l’esprit des acteurs internationaux. Lorsque la SDN est dissoute, ce sont les vainqueurs de la seconde guerre mondiale, Etats-Unis en tête, qui portent, comme en 1918, le nouveau projet. Le 26 juin 1945 la Charte des Nations Unies est signée à San Francisco. Le préambule de cette charte énonce les principes sur lesquels le nouvel ordre international doit s'élever. Il s’agit premièrement de “préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indivisibles souffrances.” Les fonctions de l’ONU sont proches de celles de feu sa grande sœur : maintien de la paix, égalité des peuples, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, intervention pour régler les problèmes économiques, sociaux, culturels à l’échelle de la planète. Certes, les fonctions de l’ONU sont élargies par rapport à celle de la SDN, mais l’objectif principal est bien le maintien et la garantie de la paix. Au but fondamental de la SDN s’ajoutent d’autres objectifs visant à modifier la nature-même des rapports entre les hommes et groupes sociaux : la défense des droits de l’Homme, l’affirmation de l’égalité entre les
nations, entre les sexes, le souci de favoriser le progrès économique et social, le respect de la justice, de la tolérance, etc. Tant de principes qui, à la sortie de la seconde guerre mondiale et de ses horreurs, trouvèrent un consensus plus qu’inhabituel entre des puissances si différentes. Celles-ci, affaiblies et sous le choc des ces années de barbarie, ont été plus enclines qu’à l’accoutumée à effectuer la recherche d’une solution durable pour empêcher ce genre d’atrocités à l’avenir. Il faut également préciser – et ce n'est pas une raison minime de la réussite de ce projet – qu’il n’était pas de très bon ton (politiquement et économiquement) d’aller à l’encontre des positions des grandes puissances victorieuses de la guerre qui, elles, à juste titre, souhaitaient en majorité cette réforme. L'histoire des Nations Unies nous apprendra rapidement que cette envolée des valeurs et principes universels sera souvent relayée par les bons vieux intérêts particuliers des Etats, experts dans l’alchimie de la transformation de l’or en plomb. Je vous propose la lecture de deux exemples d’instrumentalisations récurrentes qui permettent à certains Etats de galvauder ces principes qui nous sont chers afin de s’édifier un trône sur leurs poussiéreux restes. Le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Article 1 – Les buts des Nations Unies sont les suivants – Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces
en vue de prévenir et d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d'agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l'ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix […]. C’est par le Conseil de sécurité, lieu de négociation des principales décisions, et notamment l’institution du droit de veto que s’effectue cette instrumentalisation. Le Conseil de sécurité comporte quinze membres dont cinq permanents que sont les Etats-Unis, la Russie, la France, la Grande-Bretagne et la Chine ainsi que dix non-permanents élus pour deux ans par l’Assemblée générale. En dehors des questions de procédures, la majorité de neuf voix, comprenant automatiquement celle des cinq membres permanents, est requise. Responsable de la sécurité internationale, le Conseil prend toutes les mesures pour la maintenir ou la restaurer. En cas de menace de guerre, il décide l’envoi de soldats de la paix (bel oxymore). Le droit de veto, détenu par les membres permanents, permet dès lors aux grandes puissances sorties victorieuses de la seconde guerre mondiale, de paralyser le Conseil de Sécurité. L'octroi d'un tel droit fut l’objet de controverses et d’intenses débats mais les moindres puissances n’ont pu soutenir un tel rapport de force. Le système inégalitaire du conseil de sécurité, traduit par le droit de veto, a
conduit, en période bipolaire, à une paralysie absolue. En effet, les Etats-Unis et l’Union Soviétique utilisèrent ce droit assez fréquemment lorsqu’ils étaient en désaccord : les premiers y ont eu recours soixante-sept fois et les seconds, cent dix-huit fois. Chacun commença alors à chercher des subterfuges pour contourner le droit de veto de l'autre, sans égards aux mécanismes fragiles mis en place par la communauté internationale. La résolution Acheson de 1950 par exemple aurait permis aux Etats-Unis et ses alliés de mener “une action militaire en vue du maintien de la paix” contre la Corée du Nord sans l'aval du Conseil de sécurité, par le biais de l'Assemblée générale. Sans considération idéologique, nous assistons bien ici à un tour de force d'une grande puissance qui transforma le principe du maintien de la paix si difficile à mettre en œuvre en un outil lui permettant de gagner quelques centimètres au bras de fer qu'elle est en train de mener de son côté. Depuis la fin de la guerre froide, ce droit est quantitativement revenu à son usage initial, c'est-à-dire exceptionnel. On assiste pourtant à une véritable mainmise des cinq puissances mondiales sur les décisions, recherchant ainsi à défendre leurs intérêts particuliers en laissant la sécurité mondiale sur la touche. Les principes de paix et de non agression se voient donc petit à petit rongés par les ambitions économiques et politiques à peine dissimulées des grandes puissances. Le sens et la définition de la sécurité mondiale s'est réduit à peu de choses : ne faites pas obstacle aux ambitions du plus
fort et votre sécurité sera assurée. Sur la touche, les conflits géopolitiques des régions démunies du monde, ayant peu d'intérêt ou de poids face aux géants économiques, sont trop souvent ignorés. Sous la menace à peine maquillée du refus de l’octroi d’un prêt ou de la suppression de subventions, certains pays ne peuvent se permettre de contredire telle ou telle position. L’article 51 de la Charte qui permet un recours légal à la force en cas de légitime défense a également été utilisé de façon déviante par les grandes puissances. Invoquant ce principe, ils se sont autorisés à mener leurs guerres dites “préventives”. Depuis les attentats du 11 septembre, les Etats-Unis ont à nouveau abusé de leur force en faisant voter la résolution 1368 dont voici un extrait court mais parlant : “Le Conseil de Sécurité […] se déclare prêt à prendre toutes les mesures nécessaires pour répondre aux attaques terroristes du 11 septembre 2001”. Le détournement des principes érigés dans la DUDH La DUDH fut la concrétisation du refus de l'extrême cruauté connue lors de la seconde guerre mondiale. Elle n'eut jamais de valeur juridiquement contraignante pour les Etats mais, en tant que pétition de principe, eut une telle légitimité morale que ses débuts furent prometteurs. Nonobstant la multitude d'éléments prouvant qu'elle symbolise le moment de la conscience morale la plus aiguisée de l'humanité, elle s’inscrit toujours dans un processus ayant permis des avancées énormes mais additionne encore des
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échecs retentissants qu'il faut dénoncer afin de lui redonner le cap et la mener à terme.
se servent contre leur population pour imposer et maintenir un pouvoir fort et liberticide.
Le déficit généralisé du respect des droits et libertés s’est étendu encore ces dernières années. Le crime inqualifiable perpétré le 11 septembre 2001 fut loin de donner lieu à une poursuite des criminels par les moyens pénaux les plus appropriés, ce pourquoi il y avait offre de coopération de l’entièreté de la communauté internationale. En lieu et place, un appel à la guerre contre le terrorisme, phénomène criminel exécuté par des acteurs non étatiques fut lancé. Cette méthode est non seulement inadaptée mais va à l'encontre du sens initial du but premier de l'ONU qu'est le maintien de la paix, rendant justement la guerre continuelle. Une tragédie humanitaire en est la conséquence quotidiennement. Face à cette situation, le système des Nations Unies demeure imperturbable, discréditant par là-même la Charte et la Déclaration.
Alors que les Etats dits démocratiques déjouaient facilement une telle logorrhée en maintenant – du moins en façade – une stature relativement respectueuse de tels droits, Bush a offert à ces Etats dits “voyous” le prétexte qu'ils attendaient depuis longtemps pour ne plus donner l'occasion aux Etats-Unis de leur jouer ce même refrain de la démocratie et des droits de l'Homme. Les autres démocraties occidentales n'ont pas été beaucoup plus épargnées par le discrédit.
Une autre brèche dans le système s'est ouverte suite aux abus continus de l'administration Bush. En effet, le nombre de pays membres de l'ONU a quasiment triplé depuis sa création et la situation géopolitique mondiale a bien changé après la guerre froide. Aujourd'hui, l’universalité-même des droits de l'Homme fait débat dans certains “nouveaux” pays qui critiquent la vision trop occidentale qui les imprègne et un grand nombre d'entre eux interprètent tout appel à respecter les droits de l’Homme comme une forme d’impérialisme. Pour parler franc, il s’agit souvent de gouvernants qui n'ont pas envie d'abandonner les exactions dont ils
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Comme le présente clairement le documentaire La bataille des droits de l’Homme d’Arte, des blocs de soutien se sont alors formés dans l'hémicycle, et utilisent la force du nombre pour détourner les acquis des Nations Unies en faveur de leurs petits intérêts. Ces blocs sont soudés et arrivent à obtenir une majorité des votes au sein du Conseil des droits de l'homme. Ainsi, la Libye fut élue à la présidence de la Commission Droits de l'Homme en 2003 (et ouvra sa première séance par une prière). Un esprit quelque peu revanchard contre l’Occident pèse de plus en plus lors des assemblées. Pour légèrement caricaturer les séances du Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies, les régimes totalitaires se congratulent l'un l'autre pour leurs belles avancées en matière de droits humains et fustigent les Etats-Unis et/ou Israël avec une jubilation non dissimulée. Même si les exactions commises par ces deux Etats doivent évidement être
jugées et sanctionnées, elles ne peuvent constituer le voile permanent permettant à tous les autres d’agir à leur guise. Ces sessions deviennent une telle mascarade que beaucoup de représentants ne s'y rendent presque plus. Le bloc de l'Union africaine prend la parole lors d'une session en février 2009 pour féliciter la Chine de la manière dont les droits de l'Homme sont respectés dans ce pays. C'est du donnant-donnant, la Chine est en train d'investir de grosses sommes en Afrique et ce serait malheureux de vexer ses représentants alors que déblatérer de telles énormités lors du Conseil ne coûte rien… Un autre bloc qui a fait parler de lui récemment est celui des pays membres de l'Organisation de la Conférence Islamique. Il a été créé à l'initiative de l'Arabie Saoudite qui a, par ailleurs, toujours refusé de signer la DUDH. Ce groupe a réussi un coup de maître au sein de l'hémicycle, en permettant une limitation sans précédent de la liberté d'expression. Le sens et l’étendue d’une liberté historiquement des plus fondamentales a été modifié pour y inclure les intérêts religieux de certains membres de la communauté internationale. Leur bloc, soutenu par d'autres non-alignés tels la Chine, la Russie ou Cuba – qui en l'occurrence n'en ont jamais rien eu à faire de la liberté religieuse – ont fait passer une Résolution interdisant la diffamation des religions. Le droit fondamental à l’expression est dès lors considéré par l'ONU comme limité en cas de blasphème ! Il est inutile de s'étendre davantage sur le désastre qu’une telle perte de sens d’une
de ses libertés peut avoir sur l’intégralité de la Déclaration elle-même. La fermeture en cours de Guantanamo et l'accession au pouvoir de l'administration Obama redorent quelque peu le blason de nos démocraties qui arrivent tant bien que mal à se sortir de cette période de chaos. En guise de conclusion, rappelons que les principes et les valeurs sont définis dans un contexte bien précis et peuvent être confrontés à tout moment à un revirement de sens en fonction de l'évolution des choses, par le fait de confusions ou comme c'est le cas dans le cadre des développements qui précèdent, d'un rapport de force, le menant au modèle qui correspond le mieux aux aspirations d'une entité qui détient le pouvoir, quelle que soit sa nature. Etre en mesure de contrôler le sens ou la définition d’une valeur universelle est source de grande responsabi-
lité internationale et permet de revêtir ses actions d’un bouclier, leur accordant une légitimité qu’elles ne méritent peut-être pas. Normand Baillargeon, en parlant des Nations Unies, aboutit à cette gracieuse position : “Tout cela, hélas, est trop largement inefficace et certains l'expliquent en disant que le modèle imaginé par Kant n'est pas assez contraignant. Le consentement diplomatique et l'espoir placé par lui en la moralisation progressive de la loi et du politique seraient insuffisants à mettre fin à la guerre : il faudrait lui adjoindre la force d'un bras armé, aller bien au-delà de la seule interdiction des guerres d'agression prévue à la Charte des Nations unies et surtout repenser la souveraineté des États. D'autres, et c'est le cas de votre humble
serviteur, sont d'avis que c'est de l'Étatnation lui-même qu'il faut s'émanciper pour trouver d'autres modes de vie associatifs ainsi que d'autres manières de produire, de consommer et d'échanger qui ne fassent pas appel à l'État : dans un monde sain, il n'y aurait ni frontières ni États” Alexis MARTINET Bruxelles Laïque Échos
Bibliographie : Normand Baillargeon , Kant et le projet inachevé de l'ONU - L'idée de l'Organisation des Nations unies est intimement liée à celle du cosmopolitisme, 8 avril 2006, Le Devoir de philo. Marc Ferro, “Les ravages d’une guerre arbitraire”, Monde Diplomatique, avril 2003. Frédéric Lazorthes, La démocratie dans l’horizon des valeurs - Retour à Alexis de Tocqueville, Cairn, décembre 2006. Université de Lyon : http://fdv.univ-lyon3.fr/moodle/file.php/1/FPV/Licence%25203%2520Droit%2520Public/sem5et6_droitinternational/04_Relations_entre_l_assemblee_generale_et_le_conseil_de_securite.pdf Film La bataille des droits de l’homme - Arte.TV - 21 avril 2009.
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Au jugement de la conscience et au regard de l’éthique, notre société, à bien des égards, est indéfendable. Indéfendable parce qu’elle ruse de façon éhontée avec les principes et les valeurs qu’elle proclame si ouvertement.
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Elle prétend être citoyenne et démocratique mais se méfie de ses propres citoyens, considérés comme potentiellement dangereux et immatures. Aussi, tente-t-elle de contrôler leurs pensées, modéliser leurs comportements et leurs conduites, surveiller leurs faits et gestes, circonscrire et restreindre leurs droits et leurs libertés de crainte qu’ils n’en abusent ou n’en fassent un usage non approprié. C’est dire combien elle tente de les protéger contre euxmêmes ! La multiplication des caméras de surveillance dans nos places publiques, aux coins de nos rues, dans nos trams, nos bus, nos gares et nos aérogares, est là pour témoigner de ce souci permanent et accentuer, s’il le faut, le sentiment diffus de vivre dans une société carcérale. L’authenticité d’une société démocratique se mesurant à la façon dont elle traite ses minorités, voyons ce qu’il en est de la nôtre dans ce domaine. A la lumière des statistiques et des réalités sociales, les ressortissants des minorités ethniques sont majoritaires en prison, dans le pourcentage des échecs scolaires, en tête des hitparades du chômage, de la précarité, de l’exclusion, des discriminations et des injustices ! Le comble du cynisme, c’est ici de vouloir faire croire que c’est de leur faute et de conclure de façon expéditive : “Ils n’ont qu’à s’intégrer !”. Cependant, on veille bien à faire sournoisement de l’intégration, pour ce qui les concerne, un challenge sans fin. Un parcours interminable dont l’aboutissement est souvent l’auto-exclusion volontaire par impuissance, fatalisme ou découragement ! Elle est indéfendable, parce qu’impuissante à régler les problèmes que génèrent sa réalité et son fonctionnement, elle tente de les
déguiser, de les travestir et plus insidieusement de transformer ses citoyens en “dupes de bonne foi d’une hypocrisie collective habile à mal poser les problèmes”1 (chômage, sécurité, immigration), à ignorer les vraies priorités (égalité, justice sociale), à établir de fausses équations (terrorisme=islam, immigration=pauvreté), à amalgamer des réalités sans lien direct (immigration=insécurité), pour mieux légitimer les solutions inhumaines et cyniques qu’elle leur apporte. La représentation construite sur l’immigration justifie les mesures inqualifiables et humainement injustifiables prises à l’égard des immigrés dits clandestins. L‘immigration telle qu’elle nous est présentée dans le discours social et politique, les images et les relations de nos medias, est un mensonge, une supercherie. Mensonge construit au départ en réduisant dans les opinions, l’immigration aux seuls effets de la misère et de la pauvreté au sens économique. Les immigrés, a-t-on fait croire démagogiquement, sont à la recherche de meilleurs salaires, de droits mieux garantis, de meilleures conditions de vie. Et nos pays, frappés par le chômage et la crise sociale, sont, en conclusion, non seulement dans l’impossibilité de les accueillir mais également, et surtout, dans l’impérieuse urgence de stopper ce qui est présenté comme une invasion risquant de mettre en péril l’équilibre de la société. Et pourtant des études sérieuses et des analyses non moins sérieuses ont montré que dans notre monde globalisé, l’immigration, déjà phénomène naturel depuis toujours, est une réalité incontournable. Et comme telle, “enracinée dans les structures mêmes de nos systèmes économiques et sociaux”2. Plutôt que la nier ou de faire la guerre aux immigrés déclarés “illégaux”, il conviendrait
d’en prendre acte et de la gérer de façon humaine et cohérente. Mais, désormais imperméable à la cohérence et au réalisme, notre société persiste dans son aveuglement. Elle assure ostentoirement lutter contre les réseaux de trafic clandestin et les passeurs mais, dans les faits, elle s’en prend surtout aux victimes (prostituées, travailleurs-esclaves, etc.). Elle est Indéfendable, parce qu’elle s’entête dans des politiques aveugles, fait souvent l’inverse de ce que dictent le bon sens et la raison. Elle s’attaque aux pauvres plutôt qu’à la pauvreté, aux chômeurs plutôt qu’au chômage. Elle insécurise tout en prétendant sécuriser. Et se dédouane en permanence sur le dos des plus fragiles. Ceux auxquels incombent souvent les contraintes les plus lourdes, les plus avilissantes pour la dignité de la personne, les obligations les plus incohérentes, les moins justifiables d’un point de vue moral et humain. Indéfendable enfin, parce qu’impuissante à unir elle semble choisir de diviser par la peur, l’interdit, le contrôle et la désinformation pour légitimer son échec, fermer les yeux sur sa réalité. N’est-il pas vrai qu’ “une civilisation qui ferme les yeux à ses problèmes les plus cruciaux, est une civilisation atteinte.” ?3 Que dire alors d’une société adoptant le même comportement, sinon qu’elle génère elle-même ce qui la met en danger. Ababacar NDAW Bruxelles Laïque Echos Aimé Cesaire : Discours sur le Colonialisme. Sous la direction de Clire Rodier et Emmanuel Terray : Immigration ; fantasmes et réalités. 3 Aimé Cesaire : Discours sur le Colonialisme. 1 2
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Au ciel des idées, principes et valeurs peuvent avoir un sens universel. Mais loin de notre sol, ils n'ont aucune portée ou effectivité. Ils doivent s'incarner ou se mettre en œuvre, par des pratiques et si nécessaire des dispositifs contraignants. Or, trop souvent, ceux qui les revendiquent authentiquement ne disposent pas suffisamment de marges de manœuvre, de force d'action et encore moins de contrainte pour y parvenir. Ils se heurtent à la loi du plus fort. Et dans notre monde, la force se situe du côté de la puissance économique et, ensuite, étatique. Nous montrerons dans cet article et le suivant comment les transformations récentes de l'organisation du travail et les reconfigurations de l'action publique qui les accompagnent ont formaté une série de valeurs ou principes dans un sens contraire à leur vocation initiale. En effet, des revendications d'autonomie, d'émancipation, d'épanouissement ou de responsabilisation se sont vues, ces dernières décennies, récupérées pour mieux asseoir l'exploitation économique ou l'oppression étatique qu'elles étaient censées réfréner.
Transformations Juste après la seconde guerre mondiale, l'organisation fordiste de la production industrielle, la régulation publique de l'économie par des politiques keynésiennes et la prise en charge de la solidarité par un État social fort étaient à leur apogée. Entre la fin des golden sixties et les années '80, ces trois dimensions de la société furent ébranlées de toutes parts, en particulier par le phénomène de mondialisation. Avec la troisième révolution technologique, la production est devenue postindustrielle et se déploie désormais selon un modèle post-fordiste. Celui-ci se caractérise par la tertiairisation de l’économie (prédominance du secteur tertiaire et tertiairisation des deux autres), le pouvoir absolu de la sphère financière
internationale, la production immatérielle (production et échange d’informations et d’affects) et l’économie en réseau (production déterritorialisée qui dispense de contacts physiques entre producteurs, vendeurs et acheteurs). Au cœur de l’entreprise – l’industrie automobile servant d’étalon – le “toyotisme” a succédé au “fordisme”. Il organise la production “à flux tendus” ou “just in time” avec ses cinq zéros : zéro stock, zéro délai, zéro défaut, zéro panne, zéro papier. Avec pour conséquences, la segmentation, la flexibilité et la précarité du travail ; la déterritorialisation des travailleurs qui doivent désormais être polyvalents et infiniment modulables en fonction des besoins du marché.
cipes fondateurs d'Adam Smith contre la théorie de Keynes, ce discours fait l'apologie du tout au marché. Ni l'État, ni les conventions collectives, ni la concertation sociale n'ont plus à intervenir sur le marché régi par la seule loi de l'offre et de la demande. C'est ce qu'on appelle la dérégulation économique. Au nom d'un liberté individuelle absolue et de la nécessité d'assainir les finances publiques, l'État doit également réduire ses interventions et investissements dans le social. Les services publics doivent être confiés à l'initiative privée et stimulés par la concurrence. Il est de la responsabilité de chaque individu d'être prévoyant, d'épargner et de souscrire à des assurances privées pour faire face aux aléas de l'existence.
Ces transformations se sont accompagnées de la montée en puissance de l'idéologie néolibérale. Réactivant les prin-
Ce travail de sape du rôle de l'État s'est trouvé renforcé par la mondialisation et le pouvoir croissant des instances
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internationales, d'un côté, par la recrudescence des régionalismes, l'effritement des sentiments nationaux et la déception ou la méfiance des citoyens à l'égard du politique. Ces transformations des missions de l’État et leurs conséquences sont développées dans l’article suivant (p.17). Contestations Dans Le nouvel esprit du capitalisme, Luc Boltanski et Eve Chiapello ont prolongé la démarche de Max Weber au sujet de L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme. Leur thèse commune part d'une définition du capitalisme comme un système qui exige une accumulation illimitée du capital mais qui, ne pouvant la stimuler uniquement par lui-même, doit trouver des moyens formellement pacifiques pour y parvenir. Autrement dit, il doit trouver en dehors de lui-même des incitants, notamment des motifs éthiques, des raisons individuelles et des justifications collectives, susceptibles d'inspirer les entrepreneurs dans leurs actions favorables à cette accumulation. C'est l'ensemble de ces motifs éthiques (dont la finalité est étrangère à la logique capitaliste) que Weber nomme l'esprit du capitalisme. Lors de l'émergence du capitalisme familial au XIXe siècle, l'idée d'accumulation et de profit – de travailler plus pour gagner plus – n'était pas dans l'air du temps. C'est, selon Weber, avec le concours de la Réforme qu'elle a pu acquérir ses lettres de noblesse. L'éthique protestante repose, entre autres, sur le fait que seuls certains sont élus pour le salut éternel. Et la marque de cette élection se manifeste par la réussite terrestre. Du coup, “le
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devoir s'accomplit d'abord par l'exercice d'un métier dans le monde, dans les activités temporelles, par opposition à la vie religieuse hors du monde, que privilégiait l'ethos catholique”1. Luthéranisme et capitalisme convergèrent ainsi dans la promotion de la méritocratie. Dans les années 1930, avec le développement de la grande industrie, un deuxième esprit du capitalisme, que nous ne détaillerons pas ici, vit le jour, fait de croyances au progrès technique, à la rationalisation, à la planification et au rôle social de l'entreprise. A la fin des années '60, le besoin d'un nouvel esprit s'est fait ressentir, à la fois parce que les modalités de développement du capitalisme s'était transformées et parce que les valeurs ou l'éthique dominantes avaient également changé. C'est, en grande partie, dans les revendications issues de mai 68, que les penseurs du capitalisme – et plus précisément du management des entreprises – ont puisé des motifs éthiques susceptibles de justifier l'engagement des travailleurs, en priorité des cadres, dans le capitalisme post-industriel. Toujours selon les auteurs, le capitalisme se heurtait à cette époque à deux types de critiques. Une critique sociale s'opposait à l'exploitation et était constituée par les revendications salariales des syndicats et, plus radicalement, par les programmes révolutionnaires des partis ou groupuscules d'extrême gauche. Elle réclamait plus d'égalité et de sécurité économiques. Cette critique fut clairement “cassée”, réduite presque à néant, par la production à flux tendus qui empêche désormais toute organisation collective des travailleurs (du moins dans
ses formes habituelles) et, au besoin, par la répression brutale. Une critique artiste s'en prenait, elle, à l'aliénation et dénonçait le désenchantement d'un monde ultra-matérialiste, la misère de la vie quotidienne, la standardisation de la consommation de masse, la déshumanisation technologique, l'inauthenticité des relations, l'absence de créativité, la morale patriarcale, l'autoritarisme et la bureaucratie. Elle proclamait l'imagination au pouvoir et voulait libérer toutes les dimensions de l'existence. Dans le monde laborieux, ses partisans souhaitaient sortir de la routine et de la division taylorienne du travail, jouir de plus d'autonomie et de mobilité dans leur carrière, être plus créatifs, s'épanouir et se réaliser à travers leurs tâches, ne plus être des numéros, réduire l'autoritarisme et le paternalisme du patron pour une organisation plus horizontale et autogérée... A partir d'une analyse fouillée et comparée de toute la littérature managériale des années '60 et '90, Boltanski et Chiapello ont pu montrer que les patrons, leurs conseillers en ressources humaines et les idéologues du néolibéralisme ont pris ces revendications très au sérieux et y ont vu des ressources pour relancer l'accumulation capitaliste tout en réduisant encore les coûts qu'engendraient l'organisation fordiste de la production et le contrôle hiérarchique des travailleurs. “L'intérêt porté aux conditions de travail, la critique du travail à la chaîne, la conscience de la relation entre la satisfaction au travail et l'accomplissement de tâches plus complexes, réalisées de façon plus autonome, constituent autant de thèmes qui sont apparus dès 1970-1971 dans la littérature
patronale comme des pistes à explorer pour faire face à la contestation de l'autorité et surtout pour prévenir des révoltes à venir.”2 Récupérations Sans reprendre les 800 pages de démonstration, nous résumerons la thèse de l'ouvrage en affirmant que le nouvel esprit du capitalisme s'est déployé à travers la mise en place d'un néo-management dont les maîtres mots sont le réseau et le projet. Dans la sphère professionnelle, ce management repose sur l'organisation du travail en réseau, fondée sur l'initiative des acteurs et leur relative autonomie, la définition des tâches par projet et non plus à l'heure ou à la pièce, la substitution du rapport contractuel à la relation hiérarchique, la responsabilisation des salariés et leur intéressement aux résultats de l’entreprise, la flexibilité et la mobilité des employés... Au niveau commercial, le management a réorienté ses stratégies vers l'immatériel et l'imaginaire en développant les dimensions identitaires, récréatives et culturelles des produits, le marketing “éthique” et “écologique”, le profilage des consommateurs et les offres promotionnelles individualisées... Les soixante-huitards entendaient se libérer du travail. Le nouvel esprit du capitalisme leur a imposé des formes de libération au sein de l'entreprise et de son organisation jadis figée et bureaucratique. La plupart des exigences de libération ont été vidées de leur contenu par leur subordination aux impératifs de profit. Les employés ont obtenu plus d'autonomie et de mobilité dans leur carrière mais dans un
monde complètement éclaté, au prix d'une perte d'emprise sur leur environnement, d'une difficulté à se projeter dans l'avenir (seul compte le court terme), d'une précarisation des conditions d'existence et d'une insécurité professionnelle qui entraînent une dévalorisation de soi. La demande initiale visait une autonomie qui permet de se réaliser, de s'épanouir, d'améliorer le bien-être et l'estime de soi, dans le travail comme en dehors. Le nouveau management exige des compétences relationnelles (où se superposent leurs réseaux professionnels et privés) et une implication personnelle dans le projet qui amènent les employés à se dévouer corps et âme pour leur entreprise – de peur d'être supplantés par un concurrent – en négligeant leurs aspirations personnelles et leur vie privée. La frontière entre sphère privée et professionnelle devenant toujours plus floue, ceux qui voulaient réduire l'aliénation du travail pour jouir sans entrave se retrouvent à coloniser leur temps libre par leurs exigences professionnelles. Ils voulaient plus d'autogestion et de démocratie dans l'entreprise, ils les ont obtenues mais leur relation contractuelle les oblige à intérioriser les normes de leur employeur. La substitution d'un contrat commercial au contrat de travail, notamment via des employés qui travaillent dans l'entreprise avec un statut d'indépendant, permet aussi de contourner le droit du travail et de réduire les protections sociales. La hiérarchie a été remplacée par l'autocontrôle (auquel s'ajoute le contrôle informatique en temps réel) et le travail en petites équipes pluridisciplinaires dont chaque membre est coresponsable de l'aboutissement du projet et donc surveille les autres. Ils contestaient la division du travail entre
tâche de conception et d'exécution. Les voilà devenus polyvalents, adaptables à toutes les situations, aptes à prendre des risques, responsables du projet de son début à sa fin et éjectés de celui-ci si les résultats ne sont pas satisfaisants pour les actionnaires. De telle sorte que leurs aspirations émancipatrices se révèlent synonymes pour les salariés d’un accroissement considérable de la pression qu’ils subissent dans la mesure où le risque inhérent à toute entreprise commerciale est transféré sur leurs épaules. Au refus de la consommation de masse et de ses comportements standardisés, le néolibéralisme a répondu par une diversification des produits et des services. Autrement dit, une commercialisation des différences qui passe par la marchandisation de biens (tels que les loisirs) et de qualités humaines (l'émotion, la communication) demeurés jusque là en dehors de la sphère marchande. Elle suppose en outre la prospection de nouveaux gisements d'authenticité (un Quick halal, par exemple) pour les transformer en produits de vente et donc contrôler leur circulation et codifier leur “différence” pour en faire une plus-value. De manière plus générale, pour ceux qui en ont le droit et les moyens, les principales libertés que valorise le néolibéralisme sont la liberté d'entreprendre et d'investir (dans une entreprise ou en bourse), la liberté de consommer et de jouir (de plaisirs commercialisés) et la liberté de circuler pour que l'argent circule toujours plus. D'autres libertés plus politiques ou sociales, les premières qui animaient la mouvance de mai 68, connaissent de leur côté des restrictions de plus en plus inquiétantes.
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Le cadre parfait doit être flexible mais authentique, être adaptable mais développer sa propre spécificité, être lui-même mais entièrement dévoué au projet,... Une série d'injonctions paradoxales résultent ainsi du nouvel esprit du capitalisme. Elles s'avèrent encore plus violentes quand elles ne s'adressent plus aux employés privilégiés qui sont encore inscrits dans des projets mais, d'une part, à l'armée de réserve des travailleurs précaires ou intérimaires qui remplissent les rangs des chaînes de sous-traitance, d'autre part, aux “surnuméraires” qui ne trouvent plus leur place dans ce système et qui font l'objet de l’article suivant (de Juliette Béghin).
Car ce nouvel esprit du capitalisme entraîne une différenciation et une segmentation accrue des populations. La “classe laborieuse” se désintègre, son homogénéité cède la place à des cloisonnements entre un “noyau stable”, formé par les travailleurs polyvalents, adaptables, continuellement formés par l’entreprise ; une “main-d’œuvre périphérique” peu qualifiée, composée du personnel d’entretien, de surveillance et de bureau, éventuellement complétée, si la conjoncture l’exige, par une main-d’œuvre d’appoint engagée de manière précaire ; et la “main-d’œuvre externe” de la soustraitance. Segmentation qui joue en duo
avec la flexibilité : flexibilité fonctionnelle pour le noyau, flexibilité numérique pour la périphérie et flexibilité externe pour la sous-traitance. Quant aux inutiles dont cette nouvelle organisation du travail n'a plus besoin, c'est la flexibilité de l'échine, de la soumission absolue que voudraient leur imposer les appareils répressifs du système.
Mathieu BIETLOT Bruxelles Laïque Echos
1 Luc Boltanski et Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard (“Essais”), Paris, 1999, p. 43 2 Ibidem, p. 266
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Alors que, comme l’a décrit l’article précédent, le fordisme et son organisation disciplinaire cherchaient à intégrer les masses dont les forces productives leur étaient nécessaires, aujourd’hui de plus en plus d’individus se révèlent de trop ou problématiques pour le capitalisme mondial intégré. Population en voie d’expansion qu’avec Robert Castel nous appelons les “surnuméraires”. Il s’agit d’individus ou de groupes d’individus jugés inutiles pour le système de production et/ou – l’un entraînant souvent l’autre – indésirables pour l’ordre social. Déqualifiés économiquement, civiquement et politiquement, dispersés, impuissants, ne disposant pas de la moindre conscience collective ni possibilité d’organisation, il ne leur reste que la résignation ou la rage, souvent autodestructrice1.
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Une aubaine pour un État en perte de crédit ? C’est pourquoi les dispositifs (socio)-sécuritaires, chargés de protéger la population intégrée, cherchent à contenir les surnuméraires soit en les occupant malgré leur inutilité (passage du “Welfare” au “Workfare State”, activation, substitution de la responsabilité à la solidarité) soit, pour les irrécupérables, en les casant dans des zones d’exception ou de non-droit telles que les quartiers-ghettos, les prisons, les centres fermés pour mineurs ou pour étrangers... Si l’on comprend que le néolibéralisme doit s’atteler à gérer et contenir le nombre croissant des exclus du post-fordisme, de la dérégulation et des solidarités privatisées (les inflexibles, inadaptables, inutiles, indésirables ou simplement excédentaires), ces derniers sont aussi en même temps une sorte d’aubaine pour un pouvoir étatique en perte de légitimité. Ne pouvant plus affirmer son autonomie sur la scène internationale ni sa toute puissance dans les champs de la politique économique ou sociale, le pouvoir étatique semble se rabattre avec d’autant plus de fermeté sur les individus les plus vulnérables (étrangers, marginaux, désaffiliés, clandestins,…) et dans les domaines où il en a encore la possibilité, c’est-à-dire autour de ses fonctions policières de gestion du territoire et des populations ou de maintien de l’ordre public2. C’est, dans les termes de Balibar, le syndrome de “l’impuissance du Tout-puissant”3, dans ceux de Wacquant, le passage de l'État social à l'État pénal4 ou encore à l'État social-sécuritaire dans les termes de Cartuyvels, Mary et Rea5. Une remise en question de l’Etat social qui n’empêche pas son déploiement au niveau
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local – davantage selon les préceptes de l’activation que de la solidarité – de sorte à assurer un contrôle plus serré des individus marginalisés et à instaurer une certaine confusion entre les fonctions d’aide et de police (cf. les “contrats de sécurité”). Cette réduction d’échelle incite, par ailleurs, à focaliser l’attention et les politiques sur les problèmes ponctuels et de proximité (notamment “le sentiment d’insécurité” et la petite délinquance) au détriment d’une vision plus large des problèmes structuraux et du modèle de société qui se met en place. Le management des risques Un modèle de société – loin du projet d’émancipation ou de transformation des conditions sociales6 – basé sur le paradigme de la gestion des risques qui devient le nouveau cadre régulateur de l’action publique : “Il est moins question […] de créer un sens collectif que de résorber au moindre mal les perturbations d'un système dont il importe de réguler les déséquilibres. Ce néofonctionnalisme de la régulation traduit une dérive gestionnaire dans laquelle contrôle et management, gestion des stocks et désengorgement de la machine (judiciaire, par exemple) l'emportent sur les préoccupations de sens et d'institution, de projet et de transformation.”7. Des dispositifs sont donc développés sur base d’une idéologie managériale et sur des velléités de contrôle pour neutraliser les risques engendrés par nos sociétés dérégulées. Cette gestion des risques “décollectivisée” permet d’estomper la visibilité des divisions et des inégalités en faisant porter le chapeau du malaise sociétal sur les individus : “alors que le projet politique est normalement une projection risquée, il
s’immunise aujourd’hui dans la protection contre les risques. Quand un problème ne peut pas être traité, il n’a plus qu’à être conçu comme un risque ou alors on le renvoie à la responsabilité et à l’autonomie du “porteur” du problème”8. On assiste donc à une modification du type de pilotage qu’adopte l'État : l’attention est davantage mise sur les effets et efforts individuels que sur les causes structurelles des processus de disqualification sociale. En conséquence, concernant par exemple les politiques publiques d’aide sociale, “on passe d’une politique d’égalité, fondée sur l’assistance et la protection, à une autre qui prétend rechercher l’équité, et qui pour cela voudrait promouvoir l’activation, la responsabilisation, l’autonomisation des bénéficiaires et la sécurisation des citoyens. Pour justifier ce changement d’orientation, les concepteurs de telles politiques invoquent le droit des bénéficiaires à la dignité : l’assistance et la protection seraient des principes contraires à la dignité, parce qu’elles auraient pour effet d’enfoncer les ayants droit dans la dépendance, n’exigeant pas d’eux un effort personnel pour sortir de leur besoin, et en fabriquant ainsi, au mieux, des apathiques, au pire des profiteurs. A l’inverse, la nouvelle politique, en associant étroitement les aidés au travail social, en les responsabilisant, en exigeant d’eux un engagement civique, en ferait des sujets autonomes”9. Mais, comme Robert Castel, nous pensons qu’il “peut y avoir une dérive redoutable dans le fait de transférer à l’individu luimême une responsabilité exagérée dans la mise en œuvre des politiques publiques. C’est oublier le fait que les individus sont inégalement armés pour entrer dans une logique de la contrepartie. En la leur
imposant, on demande souvent davantage à ceux qui ont le moins de ressources qu’à ceux qui en ont le plus. Le beau mot d’ordre d’avoir à se comporter comme un individu responsable risque alors de se retourner en son contraire pour rendre responsables, mais afin de les condamner et de les culpabiliser, tous ceux qui restent en deçà de cette exigence, simplement parce qu’ils sont incapables de l’assumer, sans pour autant mériter le mépris dont on les affuble”10. Les détenus, un exemple flagrant L’analyse de cette idéologie du risque – empreinte de moralisme – dans le champ du contrôle du crime est particulièrement parlante. D’autant plus, au niveau carcéral, dernier chaînon de la pénalité et lieu de réception des déchets “hors la loi” de la société. Les surnuméraires par excellence seront à la fois traités dans une perspective serrée de gestion des risques mais sans se départir d’injonctions de responsabilisation malgré l’échec des sphères de socialisation en amont. En témoigne11, la réforme de la libération conditionnelle intervenue en 1998 qui a introduit un système mêlant responsabilisation et gestion des risques. Responsabilisation du détenu – tout d’abord – qui, en vue de sa libération, doit fournir un plan de reclassement par lequel, selon les termes de la loi, il doit montrer sa volonté et son effort de réinsertion dans la société. Gestion des risques, ensuite, par les instances de décision qui examinent ce plan de reclassement à l’aune d’une liste exhaustive de “contre-indications” prévues par la loi et qui ne sont en fin de compte rien d’autre que des indicateurs de risque : possibilités de reclassement, personnalité, comportement durant la détention, attitude à l’égard des victimes et risque de récidive,
ce dernier étant le critère central de décision. Les principales garanties examinées par les instances de décisions dans le plan de reclassement sont d’ailleurs : un lieu d’accueil sûr (logement), un entourage stable et solide (famille, amis), des revenus réguliers, un emploi du temps structuré et une guidance ou un traitement complémentaire adapté concrètement à la problématique sous-jacente”. Or, à cette demande d’intégration, correspond bien souvent la situation de désaffiliation : le détenu ne dispose dès lors que rarement des capitaux nécessaires (économique, social, culturel…) pour, au-delà de la gestion de son quotidien, envisager son reclassement, a fortiori, au vu des carences de l’aide psychosociale en prison, réduite, en ce qui concerne l’administration pénitentiaire, à des missions d’expertise et, en ce qui concerne le secteur associatif, à des initiatives locales désargentées. Cela explique pourquoi certains détenus en arrivent à préférer aller “à fond de peine” plutôt que de subir un tel contrôle. De manière générale, ce sont donc ceux qui disposent le moins de ressources pour se prendre en mains qui sont le plus soumis à une telle injonction mais, en outre, faute de pouvoir y répondre, ils en viennent à être considérés comme des personnes “à risque”, qui, “n’y comprennent rien” ou sont de mauvaise foi, devenant alors d’incessants objets de soupçons. Une telle instrumentalisation et renversement des priorités en termes de valeurs à assumer témoignent d’un climat sociétal inquiétant. Dépolitiser la responsabilité (ne l’envisager qu’au niveau individuel et non plus collectif), miser sur l’idéologie du risque et de la peur, c’est mettre fin à la solidarité. Or nous sommes convaincus que
l’autonomie de l’individu ne reçoit son essor qu’à partir du filet de la solidarité. La responsabilité fondamentale est celle de la volonté collective de faire face aux multiples incertitudes qui nous traversent et encerclent afin de réduire les causes profondes – et non les symptômes – de l’insécurité d’existence. Juliette BÉGHIN Bruxelles Laïque Échos
1 Robert Castel, Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Librairie Arthème Fayard (Gallimard, “folio essais”), 1995, pp. 665-667. 2 Ce recentrement de l'État sur les fonctions de maintien de l'ordre n’empêche pas pour autant une tendance à la privatisation des fonctions de police, voire de justice. 3 Etienne Balibar, “Le droit de cité ou l’apartheid ?”, Balibar E., Chemillier-Gendreau M., Costa-Lascoux J., Terray E., Sans papiers : l’archaïsme fatal, Paris, éd. La Découverte, coll. “Sur le vif”, 1999, pp. 96-97 4 Loïc Wacquant, Les prisons de la misère, Paris, éd. Raisons d’agir, 1999. 5 Cartuyvels Y., Mary P. et Rea A., “L’Etat social-sécuritaire”, Van Campenhoudt Luc et al., Réponses à l’insécurité – des discours aux pratiques, Bruxelles, Labor (“La Noria”), 2000. 6 Cf. Beck Ulrich, La société du risque, trad. de l’allemand par Laure Bernardi, Paris, Flammarion (“Champs”), 2001 (1986). 7 Cartuyvels Y, Mary P. et Rea A., “L’Etat social-sécuritaire”, op. cit., p. 422. 8 Dan Kaminski, “L’insécurité : plainte sociale et solution politique”, Revue Politique, hors-série : “Insécurité : travailler à l’être ensemble”, n°9, septembre 2008. 9 Guy Bajoit, “La place de la violence dans le travail social”, Pensée Plurielle, n° 10, 2005/2, p. 122 (c’est nous qui soulignons). Lire aussi Abraham Franssen, “Etat social actif et métamorphoses des identités professionnelles. Essai de typologie des logiques de reconstruction identitaire des travailleurs sociaux”, Pensée Plurielle, op. cit., pp. 137-147. Voir aussi les articles de Jean Blairon et Quentin Mortier sur le plan d’activation des chômeurs : www.intermag.be 10 Robert Castel, La montée des incertitudes. Travail, protections, statut de l’individu, Paris, Seuil, 2009, p. 45. 11 Cette partie reprend in extenso des extraits de l’article suivant : Ph. Mary, Fr. Bartholeyns, J. Béghin, “La prison en Belgique : de l’institution totale aux droits des détenus ?”, Déviance et Société, 2006, Vol. 30, N°3, pp. 399-400.
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Atelier d’expression citoyenne
à la prison de Forest “Le détenu n’est soumis à aucune limitation de ses droits politiques, civils, sociaux, économiques ou culturels autre que les limitations qui découlent de sa condamnation pénale ou de la mesure privative de liberté ; celles qui sont indissociables de la privation de libertés et celles qui sont déterminer par ou en vertu de la loi. Durant l’exécution de la peine ou mesure privative de liberté, il convient d’empêcher les effets préjudiciables évitables de la détention.” 12-01-2005, Loi de principe concernant l’administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus. Art. 6. 20
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Nous pouvons réfléchir au sens des valeurs et prendre ces valeurs ainsi sensées à témoin, tels des étalons de mesure des actes posés. Vérifier leur actualisation ou leur non actualisation dans des situations que nous pouvons observer. Une autre manière, plus inductive, est d’éprouver le sens des valeurs dans des pratiques mises en œuvre dans des univers où elles semblent particulièrement mises à mal. Et agir pour leur donner un sens effectif. C’est ce que nous essayons de faire dans le milieu carcéral.
Les personnes qui sont incarcérées dans ce que le sociologue canadien Erving Goffman désignait comme des “institutions totalitaires” (ou “totales” selon les traductions) sont en perte des droits qui sont généralement garantis aux citoyens. Au premier titre, l’autonomie de la personne est réduite à néant tant celle-ci est placée dans une situation d’absolue dépendance jusque dans les domaines les plus intimes de l’existence, en particulier l’entretien des fonctions vitales. L’individualité est niée par le mode de gestion sécuritaire jusqu’à priver l’emmuré de la dernière once de sa liberté de conscience et d’expression. A cet égard, le philosophe Michel Foucault met en évidence l’exercice d’un contrôle qui entend “contraindre les corps pour discipliner les âmes”. Constat Cette réalité mortifère est inacceptable au regard des valeurs que nous défendons. Concrètement, les prisons fonctionnent par un système de “faveurs” : chaque nécessité pour le détenu fait l’objet d’une négociation potentiellement tendue avec les agents pénitentiaires, chaque
demande, aussi légitime soit-elle, est concrètement soumise au pouvoir discrétionnaire – dans un sens positif ou négatif – laissé aux personnels pénitentiaires. Par ailleurs, les conditions de détention, caractérisées par une vétusté extrême, une promiscuité insoutenable et une surpopulation croissante qui affecte les capacités d’intervention et de gestion du personnel de la prison, placent les agents, débordés, en situation d’urgence permanente qui ne leur laisse aucunement le temps d’accorder aux détenus l’attention nécessaire à la satisfaction de leurs besoins, même les plus essentiels. Souvent enfermés vingt-trois heures par jour à plusieurs dans une cellule de neuf mètres carrés, les personnes incarcérées sont maintenues dans des conditions d’existence qui confinent à la survie et ne leur permettent pas de mettre en actes les droits citoyens qui leur sont reconnus, pas plus que de développer pour eux-mêmes les valeurs que nous défendons. Plus particulièrement, leur libération sera conditionnée par l’évaluation de leur capacité à être des “citoyens”, à se montrer “responsables” et “autonomes”1. L’injonction qui leur est faite est en
complète contradiction avec les conditions effectives auxquelles ils sont soumis en prison. Un détenu libéré nous confiait à cet égard : “Depuis que je suis en dehors je dois apporter tous les quinze jours des preuves de mon intégration. A qui on demande ça ? A personne. Pourtant, j’ai passé sept mois [en prison] où je ne pouvais prendre aucune initiative, où on me disait tout : prends ta douche, fais ci, fais ça... Et maintenant, je n’ai même pas le temps de reprendre confiance en moi et on me dit tous les 15 jours. Et si je ne le fais pas, je retourne en prison.” (Mounir Azzaoui) L’amour propre, le respect de soi-même et tout ce qui représente les bases sur lesquelles se construit un engagement citoyen sont suspendus ou détruits par la prison. Pour cette raison, Bruxelles Laïque, en collaboration avec la Fondation pour l’assistance morale aux détenus (FAMD), organise un Atelier d’Expression Citoyenne à la prison de Forest. Atelier d’expression citoyenne L’objectif principal de l’atelier consiste à favoriser la prise en charge citoyenne d’une participation effective au débat
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public. Les principes directeurs de l’initiative sont la liberté d’expression et l’autonomie. Il s’agit de mener une expérience qui rencontre l’esprit de la loi de principe selon lequel les détenus sont des citoyens à part entière jouissant des mêmes droits que tout autre citoyen ; d’ouvrir un espace de liberté de conscience et de liberté d’expression au sein de la prison ; de créer un pont entre l’intérieur et l’extérieur de la prison permettant, notamment, aux personnes incarcérées de participer au débat public ; de construire ensemble et d’apprendre à maîtriser des habiletés sociales en vue d’une participation active à la vie citoyenne et à la prise en charge des affaires publiques. Au titre de la liberté d’expression et de l’autonomie, cet atelier offre deux originalités. La première est que les productions de l’atelier sortent librement de la prison pour être présentées en public sans qu’il n’y ait d’autorité pour exercer le rôle de censeur. L’enjeu est ici que les participants de l’atelier sont acteurs du propos qu’ils diffusent. La seconde est que la direction de la prison, qui entend favoriser notre initiative, offre au collectif de l’atelier un accès particulièrement aisé aux moyens de communication tels que l’audiovisuel. Après trois mois d’atelier, nous avons eu l’occasion de diffuser une première fois les idées élaborées à l’atelier lors d’un cycle thématique au cinéma Nova. A l’aube de 2010, le collectif d’atelier2 a décidé de se donner un objectif général qu’il a libellé comme ceci : “Poser des actes de changement réels liés à la situation carcérale, pour l’ensemble des
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personnes enfermées en prison”. Et plusieurs thématiques spécifiques ont été dégagées, sur lesquelles nous travaillons en vue d’interpellations publiques diverses. La méthode que nous utilisons pour se mettre au travail est inspirée des expériences de “capacitation citoyenne”3. Il s’agit de considérer que tous les participants au collectif d’atelier, qu’ils soient animateurs ou non, ont des compétences à mettre au service du projet commun. Si les animateurs sont dépositaires du cadre de travail et sont en position de transmettre l’information au “travers des murs”, toutes les options sont prises par le collectif d’atelier. Qu’il s’agisse des thématiques à développer, des modalités de communication, des formes d’interpellations ou des outils à mobiliser pour faire aboutir le projet. Nous présupposons que chacun, dans cette expérience, a quelque chose à apprendre de la mise en commun du travail et que chacun peut s’approprier les compétences auxquelles nous faisons appel pour le projet. De la sorte, toutes les actions menées par le collectif d’atelier et toutes les idées qu’il faut faire émerger et structurer à cet effet, sont le fruit d’un travail commun. Notre pratique d’animation de l’atelier repose donc sur les principes d’égalité, de reconnaissance a priori de l’humanité de chacun et de l’absence de jugement. De la sorte, nous nous efforçons de mener l’expérience jusqu’à une relative abolition de la “distance méthodologique” ou de la “distance thérapeutique” qui appartient généralement aux agents sociaux qui exercent dans ce type de milieu. Les animateurs que nous sommes ne sont, effectivement, pas pris dans un
rapport de type thérapeutique ou de soutien psychosocia mais ils se situent, à l’égard des autres participants, en tant que “co-citoyens” potentiellement animés d’esprit critique. Ainsi, la distance qui s’installe entre les participants et entre les participants et les animateurs n’est-elle rien d’autre que celle qui s’installe entre des humains qui entrent en interaction. Nous ne pouvons pas encore mesurer l’impact de notre action. Cependant, quelques conséquences insolites nous incitent à poursuivre. D’abord, le nombre de demandes de participation est sans précédent de mémoire d’animateur d’atelier en prison. Cette initiative bénéficie d’une popularité assez grande dans la prison, qui ne peut venir que du bouche à oreille. Ce qui témoigne vraisemblablement de l’intérêt des usagés de l’atelier. Ensuite, et c’est aussi original, certains participants, lorsqu’ils sont libérés, reviennent nous voir et formulent la demande de rester associés au projet. C’est ainsi que le pont que nous entendons bâtir entre l’intérieur de la prison et le “monde libre” s’affermit encore de la présence, dans l’espace public, de porte-paroles du collectif d’atelier qui ne sont pas les animateurs de l’atelier mais des participants libérés. Enfin, le rapport de confiance qui se tisse avec la direction de la prison de Forest témoigne du fait que notre projet rencontre les préoccupations citoyennes de praticiens parmi les mieux placés pour connaître ce dont les personnes qui vivent en prison ont besoin. Nous constatons enfin qu’un rapport particulier s’instaure entre les participants au collectif d’atelier. Un rapport basé sur
la confiance mutuelle et sur l’effectivité de l’existence d’un collectif. Une dynamique peu commune dans le milieu carcéral qui est structurellement architecturé pour individualiser, isoler les personnes et les réduire à une identité déviante. Depuis le temps que nos associations organisent des ateliers dans les prisons, c’est peutêtre la première fois que nous voyons apparaître cette solidarité sans qu’elle soit jouée par des participants qui répondraient à une injonction (même tacite) des animateurs. A partir de l’instant où nous avons pris l’option de nous mettre dans une optique de capacitation citoyenne, connaissant l’univers carcéral, nous avons abandonné l’espoir de cette perspective. Pourtant, nous l’observons et la vivons. Nous ne sommes pas encore en mesure de dire si notre méthode en est un des moteurs ou si elle apparait de façon qui nous échappe complètement, dans les deux groupes successifs que nous avons réunis pour cet atelier. Cependant, les témoignages que nous offrent les participants incarcérés nous confortent sur le bienfondé de nos méthodes : “cela fait dix-huit mois que je suis là, et c’est la première fois que quelqu’un me regarde comme un humain” (Balo) ; “Je venais juste pour voir, parce que moi, après tant d’années, je n’y crois pas aux ateliers,
c’est juste pour qu’on se tienne tranquille. Mais ce que vous faites là, c’est pas un atelier, c’est un truc où on existe vraiment. Alors je reviendrai la semaine prochaine” (Houssein) ; “Bien que je ne sois pas de ce monde là, et que je n’avais pas l’intention de garder un contact avec ce monde-là, lorsque je sortirai, vous [le collectif d’atelier] pourrez toujours compter sur moi” (Michel)… Cependant, cet atelier est une expérience pilote qui, en réalité, touche une infime partie des dix mille cinq cents personnes incarcérées en Belgique. Nonobstant la centaine de demandes de participation que nous avons reçues, seule une quarantaine de personnes ont put être associées à la démarche depuis octobre 2009. Mais aussi modeste soit l’expérience, elle ouvre des perspectives intéressantes. Notamment, nous sommes en train d’essayer de formaliser notre méthode et les outils que le collectif d’atelier met en place ou s’approprie à l’occasion du travail. L’intérêt est de permettre à notre initiative d’être reproduite dans d’autres prisons par d’autres animateurs à l’issue de l’expérience pilote. Par ailleurs, nous amorçons une démarche de rencontre avec d’autres associations et régionales laïques afin de transmettre notre expérience et de
collecter les diverses initiatives qui partagent nos objectifs afin de coordonner d’éventuelles campagnes de sensibilisation et de capacitation citoyenne. Certes, si le collectif d’atelier aboutit à une plus grande prise en compte des problématiques qu’il entend médiatiser, il au-ra rencontré des objectifs importants. Modestement, si l’atelier d’expression citoyenne et par lui, Bruxelles Laïque et la FAMD, parviennent à ce que la parole des personnes incarcérées puisse se libérer dans l’espace public, nous aurons participé à donner un contenu effectif au principe de la liberté d’expression et à atténuer “démocratiquement” l’opacité des murs des prisons. Julie VAN NEIJVERSEEL Fondation pour l’assistance morale aux détenus Cedric TOLLEY Bruxelles Laïque Echos
Voir à ce sujet l’article de Juliette Béghin p.17. Par “collectif d’atelier”, nous entendons la réunion des participants détenus et des participants animateurs. Bruxelles Laïque et la FAMD ont fixé les objectifs généraux de l’atelier (explicités plus haut) mais le collectif d’atelier définit lui-même ses objectifs en termes de contenus et de moyens. 3 Capacitation est la traduction approximative du terme anglais “empowerment” qui signifie la prise en charge de l'individu par lui-même, de sa destinée économique, professionnelle, familiale et sociale. http://www.capacitation-citoyenne.org/ 1 2
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LIVRE-EXAMEN
La double pensée
Retour sur la question libérale [Jean-Claude Michéa • Champs-Flammarion • Paris, 2008 • 275 pages]
Parmi les philosophes francophones contemporains, il en est un qui échappe à beaucoup de clichés, loin des cénacles académiques et souvent à contre courant de la pensée “de gauche”. Il s’agit de Jean-Claude Michéa, un auteur qui trace son chemin intellectuel quelque part entre Guy Debord et Georges Orwell. Jean Claude Michéa1 nous propose une compilation de textes inédits et d’interviews qui ont suivi la parution de son ouvrage précédant, L’empire du moindre mal. Ces textes abordent la logique libérale d’une manière générale et la double pensée en particulier. L’auteur consacre une partie de l’ouvrage à décrire et expliquer la logique libérale dont il considère qu’elle est apparue historiquement comme une solution pour éviter les guerres de religions qui ont traumatisé l’Europe du XVIe siècle. Cette mise en perspective historique prend place pour arriver à comprendre un paradoxe de
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la logique libérale. Ce paradoxe, c’est l’apparente double nature du libéralisme. Le libéralisme économique et le libéralisme culturel (ou politique) sont pour Michéa indissociables, tant ils reposent l’un sur l’autre. L’abolition progressive des règles morales, des traditions et de ce qu’elles impliquent comme formes d’organisations sociales est en effet indissociable du progrès du capitalisme industriel et financier. Mai 68 constitue alors un exemple révélateur de cette duplicité. C’est cette duplicité2 qui serait le fondement de ce que nous appelons ici la double pensée.
Le concept de double pensée est emprunté à Georges Orwell, dont Michéa est un lecteur passionné. C’est dans 1984 que la double pensée est présentée de la manière suivante : “Winston laissa tomber ses bras et remplit lentement d’air ses poumons. Son esprit s’échappa vers le labyrinthe de la doublepensée. Connaître et ne pas connaître. En pleine conscience et avec une absolue bonne foi, émettre des mensonges soigneusement agencés. Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à toutes deux. Employer la logique contre la
logique. Répudier la morale alors qu’on se réclame d’elle. Croire en même temps que la démocratie est impossible et que le Parti est gardien de la démocratie. Oublier tout ce qu’il est nécessaire d’oublier, puis le rappeler à sa mémoire quand on en a besoin, pour l’oublier plus rapidement encore. Surtout, appliquer le même processus au processus lui-même. Là était l’ultime subtilité. Persuader consciemment l’inconscient, puis devenir ensuite inconscient de l’acte d’hypnose que l’on vient de perpétrer. La compréhension même du mot “double pensée” impliquait l’emploi de la double pensée”.3 Etonnamment, Michéa prend l’apparition du concept de pensée unique, dans les années nonante, comme révélateur d’une forme de double pensée libérale. Paradoxalement, cette pensée unique, par sa large acception, rencontre la double nature du libéralisme et une certaine forme de double pensée. La pensée unique fait le consensus – personne ne se revendique de la pensée unique – mais tout le monde n’y voit pas la même chose. Pour les tenants du libéralisme culturel, la pensée unique dicte sa loi qui n’est autre que celle du marché. Alors que pour les tenant du libéralisme économique, c’est la pensée unique – permissive soixante-huitarde – incarnée par la culture de masse (ou de jeunes) qui est omniprésente dans l’espace médiatique. Or pour Michéa la logique libérale inclut cette double logique. Ce qui permet selon lui d’expliquer la position de la gauche et de l’extrême gauche (“libérales”) des trois dernières décennies. “La question des questions : par quelle mystérieuse
dialectique, la gauche et l’extrême gauche (qui incarnaient autrefois la défense des classes populaires et la lutte pour un monde décent) en sont-elles venues à reprendre à leur compte les principales exigences de la logique capitaliste, depuis la liberté intégrale de circuler sur tous les sites du marché mondial jusqu’à l’apologie de principe de toutes les transgressions morales possibles”. Il serait vain de reprendre ici toutes les idées développées par l’auteur autour de l’idée de double pensée, nous vous invitons plutôt à la lecture, mais retenons ici que d’une certaine manière le galvaudage des valeurs qui a inspiré cette publication, pourrait selon l’auteur, trouver – en partie – une explication structurelle dans la nature du libéralisme. Par ailleurs, “Michéa l’Orwellien”, lutte pour l’usage correct des mots auquel Orwell était déjà très attentif que ce soit dans ses essais ou dans ses romans, notamment dans sa critique de la novlangue.
Thomas LAMBRECHTS Bruxelles Laïque Echos 1 Jean-Claude Michéa, agrégé de philosophie, enseignant dans un lycée de la région parisienne. Auteur notamment de Orwell, anarchiste tory, Climats, 1995 ; Les Intellectuels, le peuple et le ballon rond, Climats, 1998 ; L'Enseignement de l'ignorance et ses conditions modernes, Climats, 1999 ; Les Valeurs de l'homme contemporain, éditions du TricorneFrance Culture, 2001 (avec Alain Finkielkraut et Pascal Bruckner) ; Impasse Adam Smith. Brèves remarques sur l'impossibilité de dépasser le capitalisme sur sa gauche, Climats, 2002 ; Orwell éducateur, Climats, 2003 ; L'Empire du moindre mal : essai sur la civilisation libérale, Climats, 2007. 2 Voir l’article de Mathieu Bietlot, p.12 dans ce numéro. 3 Georges Orwell, 1984, première partie, chapitre 3. 4 J-C Michéa, La double pensée. Retour sur la question libérale, Champs-Flammarion, 2008, p. 123.
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L’interculturalité n’a pas à être décrétée, promulguée ou proclamée. Elle se produit de fait et nous la vivons tous, au quotidien, chacun avec ses appartenances et identifications, chacun avec son cadre de référence, sa subjectivité. C’est un phénomène qui, en tant que tel, ne nous oblige a priori qu’à en faire le constat et à le prendre en compte. Cette prise en compte signifie et implique qu’ensuite le phénomène sera étudié et, éventuellement, accompagné et pris en charge collectivement, à travers des projets et des dispositifs reconnus par l’Etat comme étant “d’utilité publique”. Ce qui implique un choix politique.
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Des pratiques quotidiennes à l’officialisation politique De fait, le constat de l’ampleur du phénomène interculturel, de sa généralisation et de son intensification croissantes, a rendu incontournable sa prise en compte par les pouvoirs publics. Pourtant il y a une difficulté à parler d’interculturalité, comme si une signification évidente de ce concept était communément admise et partagée, ce qui n’est pas du tout le cas. Certains acteurs politiques semblent d’ailleurs utiliser le concept sans jamais s’être demandés ce qu’il pouvait vouloir dire. Et c’est précisément la multiplicité des significations et des interprétations, du concept comme du phénomène anthropologique qu’il désigne, qui constitue l’enjeu principal de l’émergence actuelle de l’interculturalité dans la dimension politico-médiatique. Du point de vue des acteurs sociaux qui, depuis des dizaines d’années, élaborent et mettent en œuvre dans leurs pratiques quotidiennes des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être qui répondent aux réalités et aux défis de la société multiculturelle (savoirs qui constituent la pragmatique aussi bien que les modèles théoriques de l’action interculturelle), il est évidemment nécessaire, indispensable même, que la question interculturelle soit enfin reconnue et émerge au niveau politique institutionnel. Mais cette émergence politique suscite également chez les acteurs de l’interculturel, ceux qui en font l’expérience quotidienne comme citoyens, militants ou
professionnels, pas mal de méfiance légitime. L’espèce de reconnaissance officielle dont l’interculturalité fait l’objet aujourd’hui – que ce soit à travers les travaux de l’ex-Commission du Dialogue Interculturel (dont les recommandations sont d’ailleurs demeurées des recommandations, sans plus) ou à l’occasion de l’Année Européenne (2008) du Dialogue Interculturel, ou encore, actuellement, dans le cadre des Assises de l’Interculturalité – pourrait bien signifier l’enterrement officiel de ce qui, dans les dynamiques interculturelles, vient déranger l’ordre établi des identités, des appartenances et des communautés. Les dynamiques interculturelles sont en effet des processus dont la spécificité est de venir remettre en question, voire de contester, ce qui est déjà institué, et donc plus ou moins figé, dans l’ordre culturel des identités, des appartenances, des identifications et des institutions. De l’apparition de nouveaux clivages… Nous voyons aujourd’hui que ces dynamiques, et les questions qu’elles soulèvent, provoquent l’apparition de nouveaux clivages. Ainsi voyons nous ceux qui aiment à se penser comme les “progressistes”, se diviser. Il y a ceux, d’une part, qui veulent rester fidèles à une position ethnocentrique qui leur permet de croire en leur propre supériorité idéologique, à vocation universaliste, qu’il s’agit d’inculquer au reste de l’humanité, composée de barbares et d’obscurantistes. Prétendre à l’universalité de sa propre position est en effet la façon la plus simple d’éviter de prendre conscience du caractère particulier et ethnocentré de cette position. Claude
Lévi-Strauss, dans son célèbre texte antiraciste “Races et histoire” (1952), considère d’ailleurs cette attitude mentale comme archaïque par excellence, l’essence même de la barbarie. D’autre part nous voyons ceux qui font le choix d’interroger leurs évidences culturelles et d’essayer d’élaborer des références communes, à défaut d’être universelles, transversales aux identités et appartenances. Parmi ces transversalités et ces références partagées, notons principalement la dénonciation des logiques mortifères de l’économie capitaliste et, au delà de ces logiques, celle de cet ennemi commun qui menace toutes les cultures humaines, à savoir une culture mondialisée de l’avidité, du mépris et de la peur. C’est principalement autour de la question de la laïcité, et du sens à donner à ce concept, ainsi qu’autour de celle de l’émancipation des femmes, qui mobilise aussi différentes interprétations, que se dessinent les lignes de front de ce nouveau clivage. Cependant, plus profondément, c’est au niveau de la définition la plus personnelle de nos identités et de nos appartenances que les dynamiques interculturelles font apparaître de nouveaux enjeux et de nouveaux clivages. Les frontières de ces catégories culturelles que sont le privé et le public, le sacré et le profane, le politique et le religieux, le masculin et le féminin, etc… sont systématiquement interrogées et souvent bousculées par l’expérience concrète de l’interculturalité. Ainsi, par exemple, le champ des appartenances confessionnelles et des croyances devient-il, lui aussi, le lieu d’un questionnement systématique sur
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ce que peut signifier être juif, chrétien ou musulman. Les mondes communautaires ne sont pas homogènes et c’est chacun qui est interpellé et qui doit décider ce que signifie, pour lui, telle ou telle appartenance et quels sont les poids respectifs de ces différentes facettes identitaires dans l’économie générale de sa subjectivité. Ce questionnement est certes exigeant, souvent inconfortable (et là il se heurte à une des pseudo-valeurs principales de la culture dominante : le confort), jamais tout à fait terminé, mais il détermine enfin à quels choix politiques, à quelles prises de position et à quels engagements concrets nos décisions identitaires nous conduisent. Les discussions et les choix porteront aussi bien sur la façon d’éduquer les enfants que sur les rôles au sein de la famille ou du couple, sur nos manières de nous alimenter et sur l’impact écologique de nos modes de vie que sur nos responsabilités citoyennes, sur nos rythmes de vie et emplois du temps que sur les solidarités et les alliances que nous décidons de développer. Déstabilisation des anciens consensus institutionnels L’interculturalité apparaît alors comme un très profond phénomène de brassage et de déstabilisation des accords institutionnels anciens, aussi bien politiques que psychiques, ainsi que des rapports de force et de domination qui fondent l’ordre social. Cela se vérifie d’ailleurs du niveau d’un couple à celui, local également, d’une concertation communale où il serait nécessaire de rediscuter la répartition des subsides, jusqu’au niveau global des rapports Nord-Sud. L’exemple de ce qui s’est
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joué autour du fameux discours de Sarkozy à Dakar est significatif à cet égard : de vieilles dominations et toute l’arrogance qu’elles véhiculent sont désormais dénoncées jusque dans les dimensions symboliques où elles fondent leur autosatisfaction. Il est dès lors légitime de se demander dans quelle mesure les gestionnaires de l’ordre établi des identités et des appartenances, les garants des catégories et des découpages officiels de la réalité dans laquelle nous vivons, peuvent vraiment accepter les dynamiques et les questions portées par l’interculturalité et qui risquent de mettre à mal leurs positions acquises aussi bien que leurs fonds de commerce idéologiques. Parmi ces gestionnaires, citons en vrac, pour éviter les malentendus, les “responsables” et les “représentants” institutionnels, mais aussi les “savants” et les “experts”, tous ceux dont le statut est lié à la maîtrise politique ou symbolique, intellectuelle ou institutionnelle, maîtrise liée à un certain état des choses, à un ordre institué des appartenances et des dominations que, justement, les dynamiques interculturelles tendent à secouer et à contester. C’est ici que l’hypothèse de la récupération institutionnelle, politique et médiatique de l’interculturalité, ainsi que de la neutralisation du caractère subversif des dynamiques interculturelles, prend tout son sens et toute sa pertinence. Nous vivons dans un monde culturel global qui se caractérise par des séries de distorsions dans la perception de la réalité. Cela engendre un sentiment de confusion et de méfiance qui tend à
s’accroître. Les procédures de traitement des données induisent un sentiment de falsification diffuse, de glissement généralisé des significations, de manipulation tellement ambiante qu’elle tend à devenir une nouvelle structure de nos subjectivités. Cette distorsion ambiante, c’est particulièrement celle qui subordonne l’expérience sociale vécue, la quotidienneté collective de nos vies, à leur mise en représentation médiatique et institutionnelle. Comme si nous ne parvenions plus à nous percevoir nous-mêmes que dans les miroirs déformants des médias ou des institutions, comme si l’authenticité immédiate de notre expérience nous était confisquée. Parler de manipulation serait sans doute accorder trop de crédit à ce qui ne se produit finalement que comme un effet de système, une sorte de déterminisme dans lequel tous les acteurs sociaux sont pris dès lors que les logiques de fuite en avant, de survie et de peur continuent de détruire les différentes cultures humaines. Les attitudes et les compétences qui permettent le développement interculturel Pour les acteurs sociaux impliqués dans les dynamiques interculturelles, la reconnaissance politique de l’importance du phénomène interculturel devrait se traduire par une prise de conscience de la nécessité de développer et de disséminer le plus largement possible, dans nos villes et quartiers, les attitudes et compétences qui permettent le développement interculturel. Ce sont des attitudes de confiance et de respect, ce sont des compétences de décentration, d’écoute, de médiation,
de traduction culturelle, d’évaluation réflexive et de négociation, d’organisation de débats critiques dans une optique d’éducation permanente. Dans ce sens l’approche interculturelle devrait être l’axe principal des politiques dites de “cohésion sociale”. Cela implique des moyens financiers, cela implique une reconnaissance du travail accompli sur le terrain dans des conditions souvent précaires, cela implique des dispositifs de formation aux compétences interculturelles de tous les intervenants sociaux, que ce soit dans les formations initiales des enseignants, des assistants sociaux, des éducateurs et animateurs, des fonctionnaires, du personnel infirmier, ou aussi bien dans la formation continuée de tous ces métiers. Nous pouvons craindre qu’au contraire l’émergence de l’interculturalité dans la sphère politico-médiatique ne se traduise à terme par d’oiseuses et infinies discussions sur ce qu’il s’agit d’interdire ou non et sur le sens à attribuer au fait que certaines musulmanes décident de porter le foulard. Gadget de diversion pratique parmi d’autres, ce faux problème, il faut y insister, ne provient que de la décision de
la plupart des écoles d’exclure les élèves qui portent le foulard (les obligeant à se rassembler dans les rares écoles qui les acceptent), ainsi que du confinement socio-économique et géographique des populations d’origine immigrée. Le vrai problème est donc plutôt celui des discriminations racistes et/ou islamophobes pratiquées par des représentants de l’institution scolaire. C’est un dossier volumineux de témoignages accablants sur le racisme ordinaire. Le combat de celles qui portent le foulard pour que soient respectés leurs droits constitutionnels est donc un combat interculturel parfaitement légitime. Mais est-ce cela qu’il faut imposer au grand public comme question interculturelle principale ? Faut-il réduire l’ampleur du phénomène de l’interculturalité à ce qui n’en constitue qu’un aspect particulier, en oubliant la diversité globale et tout le travail quotidien de dialogue, de rencontres et de construction de projets ? Quand on sait par ailleurs que les musulmans ne représentent que 3 % de la population belge ? Pourquoi faut-il que l’opinion publique se représente la question de la présence musulmane comme un tel problème ? Cette interculturalité-là
sert-elle à détourner l’attention d’autres problèmes collectifs ? Sommes-nous pris en otages par des contextes géopolitiques ? Victimes, en tant que société, de tendances pathologiques à la crainte et au repli identitaire ? Voilà bien des questions, qu’il est utile de poser et d’adresser à ceux qui prétendent officiellement débattre d’interculturalité. La légitimité des questions interculturelles se trouve du côté du terrain et des pratiques collectives des citoyens. Et cette légitimité, c’est la partie immergée, invisible de l’iceberg interculturel, sa profondeur et sa masse, la multitude anonyme de ses passagers. Nous sommes tous embarqués, mais pas sur le Titanic d’un certain ordre du monde qui n’en finit pas de sombrer, car nous sommes cet iceberg sur lequel il se brise.
Marc ANDRÉ Centre Bruxellois d’Action Interculturelle
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’élection au suffrage universel constitue l’essentiel de la qualité démocratique (stricto sensu) de notre régime mais, derrière le moment citoyen qu’est le vote, il existe des mécanismes complexes qui transforment les millions de votes exprimés en attributions de sièges dans les différents parlements de notre État fédéral.
L
En Belgique, à tous les niveaux de pouvoir, le mode de scrutin est dit proportionnel, par opposition aux scrutins majoritaires tels qu’on les connaît en France ou aux USA. Le scrutin proportionnel a pour principal effet de favoriser la coexistence au pouvoir de plusieurs partis politiques là où le scrutin majoritaire rend les partis mutuellement exclusifs dans leur exercice du pouvoir.
exclusivement quelques politologues amateurs de chiffres. Il s’agit en fait d’un choix hautement politique2. En 1999, le gouvernement arc-en-ciel Verhofstadt Ier proposait dans son accord de gouvernement de “replacer le citoyen au centre du processus de sorte qu’il ait davantage d’emprise sur la politique”. A cette fin, une commission du “renouveau politique” a été mise en place pour aboutir à l’accord du 26 avril 2002 qui modifiera le régime électoral3. A l’issue du travail de la commission, et après de nombreux avis de la Cour d’arbitrage (devenue Cour constitutionnelle), un seuil électoral de 5 % sera appliqué tant au niveau fédéral que dans les entités fédérées4. De quoi s’agit-il ?
Concernant l’attribution des sièges, la méthode de calcul (le diviseur D’Hondt) est en soi un système d’une complexité certaine. Diviser successivement le nombre de voix de chaque parti par des diviseurs – une liste de nombres commençant par 1 –, les nombres ainsi obtenus par chaque parti correspondant à la moyenne de voix par siège lorsque ceuxci sont fictivement attribués. Les sièges sont ensuite distribués dans l’ordre des listes qui présentent la plus forte moyenne de voix par siège. Ce système s’avère déjà plus favorable aux grands partis que ne le serait une méthode dite “du plus grand reste”. Cette méthode de calcul semble être un simple détail technique qui intéresse
On l’a vu, notre mode de scrutin suppose l’intervention d’un diviseur, ce qui fait qu’il existe un seuil électoral naturel qui varie d’une circonscription à une autre en fonction du nombre d’électeurs et du nombre de sièges à pourvoir. L’instauration d’un seuil légal de 5% est donc une mesure qui va imposer d’atteindre un nombre supérieur de suffrages avant d’accéder à la répartition des sièges. Du point de vue du citoyen soucieux de démocratie, il est légitime de s’interroger sur la nature de la motivation du législateur lorsqu’il entreprend de modifier le code électoral. On sait par ailleurs que ces modifications ne sont jamais neutres et que l’exemple du jeu de découpage des circonscriptions doit nous encourager à rester vigilants.5
Qu’est ce qui fonde et justifie cette réforme ? Outre la volonté générale de “replacer le citoyen au centre du processus de sorte qu’il ait davantage d’emprise sur la politique” dont le lien avec le seuil des 5 % ne relève pas de l’évidence, c’est dans un souci de lutter contre la fragmentation du paysage politique que ce seuil a été proposé. Ce n’est pas, comme certains l’ont prétendu, dans une volonté de lutter contre l’extrême droite mais, plutôt, d’éviter la multiplication de petits partis, notamment en Flandre suite au schisme de la VolksUnie en Spirit et NVA. Le gouvernement Verhofstadt Ier a plusieurs particularités : c’est une coalition qui comporte pour la première fois des partis écologistes et qui par ailleurs se passe des partenaires socio-chrétiens pour la première fois depuis quarante ans. Sauf à considérer que le seuil de 5 % porte atteinte de manière disproportionnée au principe de la représentation proportionnelle, il n’est pas nécessaire de modifier la Constitution pour effectuer cette réforme du code électoral. Il fut donc facile à l’arc-en-ciel d’instaurer ce seuil au niveau fédéral puisqu’une majorité simple suffisait6. On peut s’étonner de voir les partis écologistes soutenir une mesure allant à l’encontre des plus petits partis. A ce propos, François Onclin remarque que la position d’Ecolo “démontre la primauté des intérêts stratégiques des acteurs
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sur leurs motivations idéologiques” 7. Position d’autant plus paradoxale que les mêmes écologistes s’opposèrent à l’instauration du même seuil au niveau des entités fédérées. En effet, les élections fédérales de 2003 avaient vu disparaitre Agalev, précisément en raison du seuil. Un sénateur Ecolo justifia ce revirement par l’incapacité du seuil à empêcher l’apparition de l’extrême droite en Wallonie et sa progression en Flandre.8 Arguments en défaveur de cette disposition
B-H-V et de Louvain, les discriminations entre régimes linguistiques, dues à la possibilité ou non d’un groupement de listes, et la proximité avec les élections législatives. Aucun de ces arguments n’a été retenu par la Cour d’arbitrage. De même, un mécanisme reconnu comme déterminant dans la littérature des sciences politiques, à savoir la manière dont les voix sont dispersées entre les différentes listes, a également été ignoré. En conclusion
Il y eu bien sûr des recours déposés devant la Cour d’arbitrage, parmi lesquels on peut distinguer les contestations générales (qui s’attaquent au principe même) des contestations particulières (qui, acceptant le principe, affirment néanmoins son invalidité au niveau technique). L’atteinte disproportionnée à la représentation proportionnelle, des discriminations injustifiées entre petits et grands partis et entre électeurs, constituèrent les contestations générales. Et pour ce qui est des contestations particulières, on citera les discriminations entre électeurs et entre candidats dans les circonscriptions de
On peut considérer qu’il n’y eut pas de grands effets directs, à part l’éviction de quelques partis, notamment Groen ! Mais les effets indirects furent la constitution, en Flandre, de cartels en vue d’anticiper l’effet du seuil légal. C’est un des facteurs qui a entraîné la crise politique la plus conséquente que le royaume ait connu depuis la question royale. Par ailleurs, il n’est pas certain que la fragmentation du paysage politique – ce contre quoi le seuil est censé concrètement lutter – constitue quelque chose d’inquiétant pour la continuité du pouvoir.
Enfin, l’analyse in concreto ne permet pas de justifier l’instauration du seuil légal a 5 %, personne ne peut honnêtement défendre que cette mesure a atteint l’objectif général annoncé, à savoir “replacer le citoyen au centre du processus de sorte qu’il ait davantage d’emprise sur la politique”. Les partis au pouvoir, avec le soutien de la Cour d’arbitrage, changent les règles de la démocratie sans que cela n’entraîne un réel débat public. Apres quelques années, on peut se rendre compte des limites de cette mesure et certains peuvent légitimement souhaiter la disparition de ce seuil légal. A l’heure où le doute anime de nombreux mandataires politiques, que ce soit à propos de leurs projets ou de leurs politiques passées, il est plutôt mesquin de vouloir protéger l’espace parlementaire de l’arrivée de nouveaux acteurs politiques.
Thomas LAMBRECHTS Bruxelles Laïque Echos
Cet article est basé sur le dossier hebdomadaire du CRISP n° 2041-2042, rédigé par François Onclin en fin 2009. F. Onclin, “L’instauration et les effets du seuil électoral de 5 %”, Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 2041-2042, Bruxelles, 2009, p.8. 3 Certains projets de lois (électorales) ont néanmoins été soumis au parlement. Ainsi les réformes du vote automatique, des dépenses électorales, de la parité hommes-femmes et du financement des partis politiques ne sont pas issues du travail de cette commission. 4 A l’exception des circonscriptions de Louvain et de Bruxelles-Hal-Vilvorde pour les scrutins fédéraux en raison de la particularité de ces circonscriptions. 5 C’est en effet un classique. Un ou plusieurs partis au pouvoir peuvent redessiner les circonscriptions à leur seul avantage. 6 Pour les entités fédérées, il a fallu modifier une loi spéciale, ce qui nécessite une majorité des deux tiers, qui a été obtenue assez facilement. 7 Ibidem p.20. 8 Cet argument résiste d’autant moins à l’analyse que c’est précisément au niveau régional que ce seuil peut avoir un effet sur l’extrême droite francophone… 1 2
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Mot à Mot Henry Deleersnijder Les mots comportent une charge symbolique considérable. Utilisés consciemment ou non à des fins idéologiques, ils peuvent devenir de redoutables armes ou de non moins efficaces étouffoirs d'esprit critique. D'où la nécessité de les décrypter et de les faire dégorger : surgiront ainsi les diverses significations qu'ils charrient le plus souvent à notre insu. A cet égard, l'étymologie, ce salutaire retour aux sources, est une faiseuse de clarté toujours bienvenue. C'est à cette tâche que l'auteur, attentif à la polysémie de vocables tirés du langage commun, s'est en particulier attelé dans les chroniques recueillies ici et précédemment publiées dans la revue Aide-Mémoire. Info et commande sur www.territoires-memoire.be
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L'année Darwin étant derrière nous, nous allons pouvoir traiter de l'évolution de l'évolution sur base de données scientifiques récentes, qui furent rarement prises en considération dans les écrits et les émissions audio-visuelles en 20091. Car il s'agissait davantage de lutter contre le Créationnisme et le Dessein Intelligent que de faire le point sur les modalités de l'Évolutionnisme... Je m'inspirerai pour ce faire de Jacques Monod, considérant que l'évolution est une philosophie du XIXe siècle qu'il convient de traiter avec les outils scientifiques du XXIe siècle.
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[NDLR : L’auteur nous a spontanément envoyé cet article. Il ne s’inscrit donc pas, a priori, dans le questionnement proposé par notre dossier. Il montre cependant que les concepts scientifiques aussi évoluent, peuvent prêter à plusieurs interprétations et susciter des débats.]
Les gènes du péché originel Comme mise en bouche, j'ai choisi un ouvrage que nous devons à Christian de Duve, seul prix Nobel belge encore en vie. Le vicomte de Duve a publié en avril 2009, chez Odile Jacob, un livre interpellant sous le titre Génétique du péché originel. J'ai toujours apprécié les réalisations du professeur de Duve, tant comme biologiste que comme penseur capable de tenir Dieu à distance de la science. Mais je ne cacherai point qu'à la lecture de son dernier opus, j'ai sursauté comme un chimpanzé devant une peau de banane. Car le professeur de Duve considère que l'humanité est entachée d'un défaut fondamental qu'il qualifie de péché originel génétique. Ce péché originel résulterait de la sélection naturelle, chez nos lointains ancêtres, de caractères génétiques qui ont certes fait le succès démesuré de notre espèce mais en privilégiant abusivement l'avantage immédiat au détriment du long terme. Pour nous sauver des effets de ce péché, il nous faudrait un rédempteur issu de l'humanité elle-même, afin de nous aider à agir contre la sélection naturelle en dotant notre esprit d'une sagesse qui n'est pas inscrite dans nos gènes.
Cette irruption de concepts tels que “péché originel” et "rédempteur" dans la science génétique est sans précédent et sans intérêt. Mais de Duve n'en reste pas là : il nous prescrit des potions pour revenir à la raison. Faisant appel aux religions, il écrit : “les églises sont exceptionnellement qualifiées pour nous aider à sauver l'humanité. Les religions par leur influence et les sciences par leurs connaissances, doivent collaborer d'urgence à notre sauvegarde. […] Les églises offriraient leurs installations, leur clergé, leurs membres et leur influence pour dispenser l'éducation. Elles pourraient lancer une nouvelle croisade au profit de la rédemption destinée à sauver l'humanité des conséquences de son péché originel génétique”. Pour ma part, je suis peiné de voir un savant éminent, de la stature du professeur de Duve, proposer de placer notre avenir sous la tutelle ecclésiale, alors que la science, l'éthique et la gouvernance sociétale ont mis des siècles à se débarrasser du carcan des clercs. Et je récuse ses propositions comme je récuse son messianisme rédempteur chargé de nous laver du péché originel. Outre que les notions de “péché” et de “rédemption” n'ont rien à faire en l'occurrence, leur nature supposée “génétique” apparaît comme un placage purement théo-
logique dans un ouvrage essentiellement scientifique, dans la mesure où les concepts en cause ne sont ni justifiés, ni même discutés. Pour ma part, j'ai une toute autre vision du destin de l'Humanité, qu'avec mes amis José Croisier et Jean Delahaut, nous avons qualifiée d’“Auto-Evolution vers un Destin Intelligent”2. L’évolution de l’évolution Depuis le début du XXIe siècle, des découvertes scientifiques fondamentales ont éclairé d'un jour nouveau certains aspects de l'évolution des organismes vivants. Déjà l'importance de l'embryogenèse dans les processus évolutifs avait été mise en évidence en développant le concept d'évolution-développement ("Evo-Devo"). Mais c'est surtout la transmission horizontale d'ADN, notamment via des virus et des transposons (éléments génétiques transposables), qui semble avoir joué un rôle majeur dans la différentiation et l'évolution des espèces. Si l'on considère le génome humain, dont les séquences ont été publiées en 2003, il est apparu que les quelques 25.000 gènes codant pour des protéines humaines ne représentaient que 3 % de la masse de
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l'ADN séquencé. Quid des 97 % restants ? Dans un premier temps, cet ADN surnuméraire fut qualifié de “poubelle”. Mais on a découvert ensuite que l'ADN “poubelle” regorgeait de séquences exerçant des fonctions essentielles dans le fonctionnement de notre organisme. Ces séquences ont été introduites dans l'ADN des cellules de nos ancêtres lointains, souvent depuis des dizaines de millions d'années. Il s'agit, pour environ 8 %, d'ADN provenant de rétrovirus dont le génome, devenu endogène, a été incorporé autrefois dans nos chromosomes. Par ailleurs, une masse considérable (40 % environ de l'ADN total) trouve son origine dans des éléments génétiques mobiles (transposons devenus endogènes). Toutes ces structures sont répliquées lors des divisions cellulaires depuis de très longues périodes. Illustrons le cas de l'évolution induite par un rétrovirus sans lequel l'humanité n'existerait pas, car il conditionne la formation du placenta dont nous avons tous bénéficié. L'ADN de ce rétrovirus a été intégré il y a des millions d'années dans le génome des ancêtres des mammifères placentaires. Il est devenu indispensable chez tous leurs descendants en intervenant dans la formation de la zone mitoyenne du placenta (appelée syncytium) qui sépare la mère du foetus. A l'état endogène, des séquences de ce virus ont été identifiées d'abord chez le mouton, puis chez la souris et la femme. Si on inhibe l'expression de ces séquences, il y a malformation du placenta suivie d'avortement. Nous voici loin des mutations ponctuelles dues au hasard qu'implique la théorie darwinienne de l'évolution.
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Les mégavirus : étions-nous aveugles à ce point ? En 1992, on a isolé dans le système de refroidissement d'un hôpital de Bradford (Royaume Uni) des amibes porteuses de structures de grande taille qui furent considérées comme étant des bactéries. Elles furent mises à congeler en attendant mieux. En 2002, lors d'un stage à Marseille, un étudiant reprit l'examen de ce matériel. On découvrit que les bactéries putatives étaient en réalité d'énormes virus qui furent appelés “mimivirus” (pour mimicking microbe virus). En 2008, des virus encore plus volumineux (appelés “mamavirus”) furent identifiés dans des amibes récoltées au sein d’un système de réfrigération de la région parisienne. Cerise sur le gâteau, il y eut, en décembre 2009, la description de “mégavirus” (dénommés “Marseillevirus”) structurés comme des “melting-pot” génétiques contenant à la fois des gènes d'eucaryotes, de bactéries et de virus. En utilisant les séquences de mimivirus comme sonde, on a constaté que le plancton de tous les océans regorgeait de séquences homologues à celles des mégavirus. La première décennie du XXIe siècle a donc bouleversé en profondeur notre compréhension de la génétique des virus. Les spécialistes de la question considèrent que les mégavirus pourraient être des formes relictes3 de cellules de la “soupe primitive”. Ces mégavirus, tout comme les rétrovirus, pourraient donc avoir joué un rôle déterminant dans le transfert de gènes au cours de l'évolution.
On peut se demander pourquoi il a fallu un siècle de recherches sur les virus pour découvrir des structures virales aussi énormes que celles des mégavirus. Hypothèse : les virus étant considérés comme “petits”, les mégavirus étaient de fait condamnés à rester longtemps des Ovni (Objets viraux non identifiés ). Affaire à suivre... L’auto-évolution humaine C'est sur le plan mental que l'évolution humaine s'effectue à l'échelle des générations. Grâce aux caractéristiques de notre système nerveux et de notre pharynx, la parole et le langage nous ont permis en quelques siècles d'envahir et de transformer le monde. Dans un contexte de plus en plus complexe et incertain, notre avenir est à la merci d'un surplus de sagesse dans nos comportements. Pendant combien de temps encore notre complexité, notre adaptabilité et notre créativité échapperont-elles à la servitude volontaire ? Seule une stratégie intelligente de maîtrise de notre destin pourrait permettre aux Humains de répondre aux situations futures qui attendent notre espèce. Après avoir rétréci l'Univers et la Terre jusqu'aux limites de notre entendement, il nous faut désormais faire le trajet inverse en élargissant notre compréhension à la totalité des phénomènes dans l'hyper-complexité de leurs devenirs. Dès lors, l'auto-évolution humaine aura à évaluer les situations, à procéder à l'analyse critique de leur devenir et à réaliser
les ajustements opportuns par rapport aux nécessités futures, en se basant sur les réalités épigénétiques dans un monde qui a basé son existence mentale sur le “tout génétique”. Il s'agit d'aider les Humains à être à la fois acteurs d'euxmêmes et bâtisseurs d'une société ouverte, en quête de bonheur de vivre. Transhumanisme versus perhumanisme Deux voies principales se dessinent en vue de doter les Humains de caractéristiques susceptibles de leur permettre de poursuivre leur cheminement après 10 000 ans de conquête de la Terre depuis le néolithique : le Transhumanisme et le Perhumanisme. Le Transhumanisme se rapporte à une auto-évolution fondée essentiellement sur les sciences et les techniques ; il vise à accroître les performances individuelles, physiques, physiologiques, mentales, sportives et autres par une sorte de Viagra universel. Il s'agit de façonner un destin évolutif “contre-nature” qui permette de transgresser toutes les limites dites “naturelles”. Prothèses, puces, robots génétiques ou électroniques, nano-particules sont appelés à la tâche afin que l'Humain reste jeune, vigoureux, performant et pourquoi pas immortel. On voit mal que des milliards d'Humains puissent bénéficier de tels “bienfaits”. Actuellement, les avancées les plus spectaculaires du Transhumanisme se situent dans les domaines militaire, policier, publicitaire ou cosmétique. Pour le neurologue Jean-Didier Vincent une
telle évolution, si jamais elle se produit, aboutira à façonner des criquets pèlerins plutôt que des “Supermen.” Le Perhumanisme est un néologisme qui qualifie une évolution culturelle, morale et éthique visant aux performances accrues du coeur et de l'esprit. Il s'agit d'éclairer les voies d'un destin qui n'aurait pas pour vocation de suréquiper quelques individus mais bien de comprendre le monde des Humains, de le valoriser, de l'enrichir et de le guider dans la conquête du bonheur. Il s'agit de combler notre indétermination mentale à la naissance par une éducation formatrice. Il s'agit de protéger notre complexité, notre adaptabilité, notre créativité qui élaborent les connaissances, les sentiments et les consciences, contre l'asservissement par les rabatteurs médiatiques et les faux prophètes. Le Perhumanisme s'appuie sur le caractère épigénétique du cerveau qui gère ses perceptions dans un état permanent de tension, de construction et de renouvellement des neurones. Tout être humain représente l'aboutissement simultané d'une double lignée : la lignée physique et la lignée culturelle. D'un côté la chaîne ininterrompue des structures vivantes qui furent reproduites, propagées et sélectionnées avec acharnement pendant plus d'un milliard d'années. De l'autre côté, la conscience des Humains qui, depuis quelques dizaines de milliers d'années, ont assuré la filiation évolutive de l'esprit.
concept flexible d’“Evolution naturelle” qui reconnaît le fait évolutif dans la Nature, en coexistence avec la "Sélection artificielle" des agriculteurs, des éleveurs... et des éducateurs. L'avenir de l'Humanité repose sur les interactions réciproques des lignées physique et culturelle dans leurs rapports avec la pensée, la conscience, le sentiment. Dans ce contexte, à nous de maintenir avec opiniâtreté la cohérence du couple symbolique qui associe liberté et responsabilité au sein de l'infinie diversité des Humains. Sans oublier que, selon Camus, il est un devoir qui prime : celui d'Aimer...
Jean SEMAL
1 Semal, J., L'Évolution dans tous ses états, éd. du CIPA, Université de Mons, 2010. 2 Croisier J., Delahaut J. et Semal J., L'Écosystème Humanetum, éd. du CIPA, Université de Mons, 2009. 3 NDLR : Espèce vivante qu’on croyait éteinte (c’est-à-dire n’existant plus que par les fossiles) mais qui s’avère exister encore de nos jours dans des niches écologiques restreintes.
C'est pour traduire la globalité de ce processus que, au-delà de la sémantique, je préfère à la Théorie de “Sélection naturelle” de Darwin et de Duve, le
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e principe de la séparation des Églises et de l’État – tout comme la reconnaissance de la liberté de croire ou de ne pas croire – semble aujourd’hui recueillir un large consensus dans nos sociétés occidentales. Même lorsque la laïcité de l’État n’est pas explicitement revendiquée ou inscrite dans les textes fondateurs, la grande majorité des régimes occidentaux entérinent le principe d’une distinction claire entre le pouvoir temporel et spirituel. Historiquement, ce principe se révèle intrinsèque à l’avènement des sociétés modernes et de la démocratie. A l’échelle de la planète, il est loin de faire l’unanimité. Bien que certains, dont le MR tout récemment, lui accordent une portée universelle1.
L
Si le principe est acquis dans nos contrées, sa mise en œuvre peut être entendue de manières très différentes, avec des implications parfois antinomiques. Une diversité de régimes politiques2 Ces différences se constatent déjà au niveau des modèles ou systèmes d’organisation de l’État et de ses relations avec les Églises. À partir d’un principe commun, les régimes de séparation varient, en effet, d’un pays à l’autre. Ces variations résultent des différentes histoires et cultures nationales mais aussi de la position qu’y ont occupé la ou les Églises et des arrangements trouvés avec elles. Non seulement on observe des régimes très différents mais, dès qu’on s’y intéresse de plus près, on découvre une grande confusion quant aux interprétations auxquelles ils donnent lieu. Chaque régime possède
sa complexité et ses exceptions voire ses contradictions. La France est considérée comme la mère patrie de la laïcité et des droits de l’Homme. L’article premier de sa Constitution proclame “une République indivisible, laïque, démocratique et sociale”. La célèbre loi de 1905 formalise un régime de séparation totale entre les Églises et l’État en stipulant que la République “ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte” mais garantit la liberté de religion et de culte. Cette séparation n’est pourtant pas si absolue qu’on ne le pense parfois. Comme le souligne Jean Baubérot3, la laïcité française, que certains voulaient intégrale et intransigeante, a su ou dû se montrer pragmatique et faire quelques concessions, soit par stratégie (pour que les croyants ne boycottent pas les institutions de la République, en particulier l’école), soit par respect de la liberté de culte. Ainsi l’État met à disposition des Églises et prend en charge l’entretien des édifices du culte. Ainsi l’État rémunère les aumôniers dans certains milieux captifs (prison, hôpital, armée, pensionnat) afin que leurs résidents puissent jouir de leur liberté religieuse. Depuis sa Constitution de 1937, l’État turc se définit, lui aussi, comme “républicain, nationaliste, populiste, étatiste, laïque et réformateur”. Cependant, la laïcité turque organise moins la séparation de l’Église (ici l’Islam) et de l’État, c’est-à-dire leur non-ingérence réciproque, qu’un contrôle étatique de la religion nationale. L’Église ne peut interférer dans les affaires de l’État. Par contre, celui-ci finance et forme
les imams, contrôle les écoles religieuses, les mosquées et les livres de prières à travers la Direction des Affaires religieuses placée sous l’autorité du Premier ministre. On peut donc parler d’un État laïque avec une religion d’État. Notons que Kémal Atatürk a introduit la laïcité de force, sans l’aval de la population et sans que la société n’ait connu un processus de sécularisation. Comme un retour du refoulé, la religion majoritaire a pu reprendre le pouvoir par la voie des urnes. Paradoxalement, le seul contre-pouvoir à l’Islam est aujourd’hui l’armée qui rétablit régulièrement un minimum de laïcité par des coups d’État militaires… Parmi les rares autres États qui organisent une séparation rigoureuse de l’État et des cultes qu’ils ne reconnaissent ni ne financent, on compte les Pays-Bas et l’Irlande. Surprenant quand on sait que le catholicisme est un instrument fort d’affirmation de la conscience nationale irlandaise, qu’il gère en grande partie l’enseignement et qu’il imprègne fortement la morale officielle : criminalisation de l’IVG, récente interdiction du blasphème, conception chrétienne de la famille inscrite dans la Constitution qui stipule, en outre, que toute autorité découle de la “sacro-sainte Trinité”. Au Pays-Bas, les Églises, protestante et catholique, ne sont pas subventionnées mais assurent des services publics en matière de santé et d’enseignement, notamment. A l’opposé théorique de ces États, se situent les régimes où règne encore – à tout le moins formellement – une religion d’État. Les ministres du culte y ont un statut de fonctionnaire, sont parfois nommés
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par l’État et une série de services publics ou d’actes d’état civil sont prestés par les Églises. C’est le cas du protestantisme dans les pays scandinaves, de la religion anglicane en Angleterre, de l’Église orthodoxe en Grèce et catholique à Malte. Pourtant, ici aussi, on trouve des nuances et arrangements complexes. L’existence d’une religion d’État a été tempérée par la liberté religieuse (nul n’est obligé d’y adhérer) et n’a pas empêché le développement d’autres communautés confessionnelles ou philosophiques, parfois, jusqu’à leur financement et la reconnaissance étatique du pluralisme religieux. Au Royaume-Uni, la Reine dirige l’Église, l’État contrôle la doctrine officielle, des sièges sont réservés aux évêques à la Chambre des Lords mais les ministres du culte ne sont par rémunérés par l’État et l’Église est financièrement autonome. D’anciens pays où le catholicisme était jadis religion d’État sont passés à un régime intermédiaire appelé Concordat. Il s’agit d’un accord entre l’État et le Vatican dont la portée juridique est similaire à celle d’un traité international. Ces pays, tels que l’Espagne, le Portugal, l’Italie et l’Allemagne, n’ont plus de religion d’État et ont instauré un régime de séparation (depuis les années ’70 ou ’80) mais le catholicisme conserve un statut privilégié (dans l’école publique, les médias,…). Il est intéressant de relever que c’est dans certains de ces pays qu’existe le mécanisme de l’impôt dédié. Les citoyens précisent dans leur déclaration fiscale à quelle religion ils souhaitent allouer la part des impôts consacrée au financement des cultes. Les Églises y ont donc un statut de droit public, apte à percevoir des impôts
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mais c’est l’État qui les prélève pour leur compte. Au sein de ce panorama, la Belgique peut se définir par un régime de pluralisme philosophique ou système dit des “piliers”. Fruit d’un compromis historique, le système belge se caractérise par une séparation fictive mais une indépendance mutuelle des Églises et de l’État. Ce dernier reconnaît de manière théoriquement égale différentes sensibilités religieuses ou philosophiques et politiques. Il les finance et leur attribue des missions publiques (enseignement, santé, mutualités, distribution des allocations de chômage,…). On sait que l’Église catholique emporte la plus grosse part du financement des cultes et que des reliques symboliques de son ancienne domination persistent encore ici ou là. Bien que leur Constitution instaure une séparation plus stricte en ne subventionnant pas directement les cultes mais indirectement à travers les services publics qui leur sont confiés et des avantages fiscaux, les Pays-Bas ont un fonctionnement assez proche. Un pilier “humaniste” y a été reconnu. Au cœur de ces variations et déclinaisons multiples de la laïcité politique, quelques traits communs se dégagent tout de même. La liberté de conscience (croire ou ne pas croire), inscrite dans les chartes internationales de protection des droits humains, a été transposée dans toutes les législations nationales. L’autonomie des organisations religieuses a été acquise dans la très grande majorité des pays. À des degrés divers, l’ensemble des sociétés se caractérise aujourd’hui par un
pluralisme religieux et philosophique. Cela dit, la séparation entre les Églises et l’État ne se révèle jamais totale et absolue. L’organisation des relations entre le temporel et le spirituel résulte, dans chaque situation nationale, d’une solution négociée par les promoteurs de la laïcité avec l’Église qui dominait jusque là leur pays. La société étant en mouvement et sa population s’étant diversifiée, ces solutions ne sont plus toujours adaptées au temps présent. Il convient donc de renégocier ces solutions. Cette concertation s’annonce bien plus compliquée qu’auparavant. Principalement parce que la diversification des confessions et philosophies a multiplié considérablement le nombre d’interlocuteurs à réunir autour de la table. En Belgique, ils sont déjà sept reconnus et d’autres se pressent au portillon. Jusqu’où cette prolifération est-elle gérable, chaque tendance pouvant connaître des schismes ? En outre, ces interlocuteurs ne disposent pas tous d’une structure représentative légitime, démocratique et homogène. Ils ont enfin des poids démographiques et des positions dans les rapports de force très différents. Dans ces conditions, les modèles d’hier – le système de financement belge, par exemple – ne sont peut-être plus fonctionnels. Des principes, de leur interprétation et de leur articulation Comme on l’a vu, si très peu d’États (une dizaine) se définissent officiellement comme laïques, la laïcité constitue un enjeu social et politique dans la plupart des pays démocratiques. Et cet enjeu suscite de nombreuses discussions relatives aux concepts qu’il mobilise et à ses
implications concrètes. Ici aussi règne une grande confusion d’où peuvent émerger de possibles détournements de sens ou tentatives d’instrumentalisation des principes laïques. On s’aperçoit en effet que c’est au nom de la laïcité que certains – le RAPPEL ou le CAL par exemple – se prononcent en faveur d’une interdiction des signes d’appartenance religieuse ou philosophique à l’école et dans les institutions publiques. C’est également en référence à la laïcité que d’autres – la Plate-forme laïque féministe contre l’interdiction ou les auteurs de Du bon usage de la laïcité, par exemple – s’y opposent. Une profusion de qualificatifs tente de débroussailler cette confusion : laïcité ouverte ou rigide, inclusive ou exclusive, positive ou négative, de combat ou tolérante, intégrale ou accommodante, … Nous tenterons ici de synthétiser ces débats en les structurant autour des grands principes constitutifs de la laïcité : la non-ingérence réciproque des Églises et de l’État, la neutralité de l’État, l’égalité des citoyens quelles que soient leurs convictions, la liberté religieuse et la distinction des sphères privée et publique. La question de l’ingérence se pose désormais plus du côté de l’immixtion du religieux dans la chose publique que dans l’autre sens4. Selon les points de vue, on peut limiter le principe à la non-intervention de l’Église en tant qu’institution dans les affaires de l’État ou l’étendre à toute immixtion ou manifestation du religieux dans des institutions publiques (sans qu’il y ait pour autant ingérence dans les décisions et la gestion de ces institutions). On peut, selon le cas, s’inquiéter davantage
du lobbying, discret ou manifeste, de certaines Églises auprès des instances décisives (au Palais royal, à l’Union européenne) ou du fait qu’une députée affiche ostensiblement sa religion au sein du Parlement. La non-interférence dans l’organisation de l’État et la décision politique peut concerner soit les seules structures confessionnelles, soit également les idées de ce type. Une approche radicale pourrait ainsi aller jusqu’à proscrire l’existence de partis confessionnels ou toute référence aux convictions religieuses ou philosophiques lors des débats politiques. D’autres rétorqueraient qu’il est de l’essence-même du système parlementaire de représenter les différentes sensibilités présentes dans la société et donc que leurs porte-voix s’y expriment. Le principe de non-ingérence se limite alors à empêcher qu’aucun groupe de conviction n’impose sa domination ou ne soit privilégié dans l’élaboration des normes collectives. Le principe de neutralité soulève des interprétations bien plus problématiques encore. Qu’est-ce que la neutralité ? Une définition exclusive interdit toute expression de particularismes tandis qu’une conception inclusive promeut l’égalité de toutes les expressions de particularisme. L’absence totale de toute sensibilité particulière est-elle possible ? Ne dissimule-telle pas souvent, sous couvert d’universalisme, la sensibilité majoritaire et tellement intériorisée qu’on la croit neutre ? La neutralité de l’État constitue-t-elle une fin en soi – comme voudrait l’instaurer la proposition de loi Mahoux et consorts – ou un moyen, un instrument de réalisation de l’égalité et de la non-discrimination – comme le préconise la commission
Bouchard-Taylor au Québec ou la doctrine du droit administratif telle qu’analysée par Sébastien Van Drooghenbroeck5. Dans cette seconde perspective, le moyen peut, à certaines occasions, être aménagé pour mieux servir la finalité. Mais jusqu’où ? La discussion porte aussi sur les destinataires de l’obligation de neutralité. Sont-ce les institutions publiques – et lesquelles : l’État, l’administration ou le gouvernement, les services publics et parapublics, les écoles dites libres, les hôpitaux, les mutualités… ? – ou les personnes dans ces institutions – agents ou usagers ? – qui doivent être neutres ? Est-ce le fonctionnement d’une institution ou ses symboles (ses bâtiments, ses protocoles) qui doivent être neutres ? Sont-ce les actes ou les apparences qui doivent être neutres ? La neutralité des actes des agents publics est déjà contrôlée et sanctionnée. Une nouvelle législation concerne donc ce que d’aucuns appellent la “tyrannie des apparences”. Ses partisans soulignent que l’usager doit avoir confiance en l’institution publique neutre et ce rapport de confiance s’établit dès le premier contact – visuel – avec un agent. Un débat s’ouvre alors sur la généralisation de l’obligation à tous les fonctionnaires (pour ne pas créer des tensions en interne et respecter l’égalité) ou sa limitation aux seuls agents qui ont une fonction de visibilité ou de représentation ou d’autorité… De l’autre côté, on dira que les apparences sont superficielles et ne garantissent nullement la neutralité des pratiques, que la notion d’apparence est trop floue et susciterait d’interminables discussions sur leur définition, ou encore qu’il est juste et favorable à un meilleur vivre ensemble que les institutions reflètent la diversité culturelle de la société.
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L’égalité de tous les citoyens quelles que soient leurs convictions, désigne quant à elle une finalité fondamentale de la laïcité et de la démocratie. S’atteint-elle par une politique de traitement égal de tous les individus considérés abstraitement comme égaux ou par des politiques adaptées et des traitements différenciés – voire des discriminations positives – visant à corriger les inégalités concrètes qui divisent notre société ? S’agit-il de n’accorder aucune faveur aux religions et philosophies ou de leur accorder à toutes les mêmes faveurs ? En matière de financement des cultes, le mouvement laïque belge est passé, au cours de son histoire et face au blocage qu’il rencontrait, de la première position à la seconde. Puisqu’on ne peut pas supprimer le subventionnement de l’Église catholique, il faut que toutes les sensibilités religieuses ou philosophiques soit rémunérées de manière égale. La liberté de conscience pose à première vue moins de problème. Comme nous le rappelait Vincent de Coorebyter, d’un point de vue philosophique, la conscience est toujours libre : même derrière des barreaux, personne ne nous empêchera de penser ce que l’on veut6. Du reste, la liberté de conscience est consacrée par les chartes internationales et les constitutions étatiques. Le débat porte alors sur d’autres libertés (d’expression, d’association) liées à la liberté de conscience. Tout le monde est libre de croire, de ne pas ou de ne plus croire à ce qu’il veut mais peutil exprimer ses convictions partout et de toutes les manières7 ? Cette liberté doitelle juste être respectée par des obligations négatives de l’État (il ne peut rien
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faire qui puisse y nuire ou y faire obstacle) ou garantie, en outre, par des obligations positives de celui-ci (il doit intervenir pour mettre à disposition de tous les moyens nécessaires à la jouissance de cette liberté). Lorsque l’État finance des aumôneries en milieu captif, il intervient positivement pour rendre cette liberté possible. Doit-il aussi intervenir pour organiser via ses infrastructures la fête de l’Aïd ou pour mettre des salles publiques à disposition des cérémonies laïques ? La liberté religieuse soulève aussi des polémiques quant aux espaces où elle peut s’exprimer. La laïcité et son principe de séparation posent explicitement que la religion et les convictions philosophiques doivent relever de la sphère privée. Mais comment délimite-t-on ce qui relève du privé et du public. Ces délimitations sontelles les mêmes pour tout le monde ? Si la culture occidentale connaît une évolution vers le repli dans des appartements privés, d’autres cultures vivent davantage en plein air, dans la rue. Surtout, il convient de s’entendre sur la formule “relever de la sphère privée”. Signifie-t-elle que ces convictions n’ont droit à l’existence que dans le domicile privé ou qu’elles n’ont pas à déterminer ou monopoliser la sphère publique ? Est-ce pour autant qu’elles ne peuvent s’y exprimer ? Le terme “espace public” prête par ailleurs à confusion. Il peut être entendu soit au sens politique (espace de la démocratie, du débat public) ou topographique (les lieux publics, la rue, etc.). Ce débat-ci se clarifie, selon nous, lorsqu’on précise que, par “sphère publique”, on entend la sphère des relations
entre l’État (ou ses institutions) et les citoyens ; par “sphère privée”, la sphère des relations privées entre individus n’impliquant pas de rapport à la chose publique. La sphère publique doit impérativement être régie par les principes d’égalité et d’impartialité tandis que des traitements différents peuvent s’exprimer dans la sphère privée et en font intrinsèquement partie (les relations affectives sont, par définition, partiales). Des positionnements privés peuvent s’exprimer dans l’espace public (deux amoureux qui se tiennent la main, par exemple) mais ne peuvent pas prendre le contrôle de l’État. Sortir de la mêlée Comme on le voit, chacun des principes constitutifs de la séparation des Églises et de l’État peut recevoir des acceptions larges ou strictes. L’importance accordée à chacun d’entre eux, leur articulation ou hiérarchisation, se trouve également au cœur des débats qui agitent ou divisent la laïcité. Certains feront primer la liberté religieuse sur la neutralité de l’État, d’autres, l’inverse, etc. Dans les faits, on constate cependant une tendance de nos sociétés libérales et individualistes à faire primer les libertés individuelles (ici religieuses) sur les impératifs collectifs (neutralité de l’État). Elle s’illustre aussi bien dans les Constitutions des États (la plupart garantissent la liberté de conscience, beaucoup moins la neutralité de l’État) que dans les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme et autres juridictions similaires. Cette tendance qu’on observe aussi dans d’autres domaines (recul de la solidarité,
privatisations diverses) interpelle votre serviteur qui reste attaché à l’idée de faire société, de construire le bien commun en dépassant les égoïsmes et en sacrifiant, au besoin, certains intérêts particuliers. Bien que cet article souhaite, avant tout, souligner la complexité des débats relatifs à la laïcité et la multiplicité de ses interprétations, sans trancher clairement en faveur d’une position, je terminerai par quelques réflexions plus personnelles. Il me semble regrettable que ce débat si compliqué ne se focalise aujourd’hui que sur des détails visibles au détriment des questions de fond. De part et d’autre, on se braque sur un bout de tissu. Je me demande en quoi est-ce si choquant pour l’intéressée de devoir le retirer à certains moments (en quoi sa foi ou son intégrité sont-elles remises en question) tout comme en quoi est-ce si choquant pour les autres de croiser une femme recouverte d’un bout de tissu dans des espaces où ils ne s’y attendent pas (en quoi leur culture ou le fonctionnement de leurs institutions sont-ils menacés) ? Les mesures politiques proposées ne peuvent, dans ce contexte, qu’agir sur des symptômes alors qu’on sait qu’une vraie politique doit agir sur les causes des problèmes constatés.
plaidoyer contre l’interdiction du voile reconnaisse la soumission imposée à certaines femmes musulmanes et propose des mesures pour l’empêcher. Il est tout aussi rare qu’un plaidoyer pour l’interdiction reconnaisse que les politiques en matière d’intégration alimentent l’intégrisme islamique et propose des mesures pour lutter contre celui-ci. C’est pourquoi, je nous invite à élever le débat à un niveau plus global, à élargir la réflexion en intégrant l’ensemble des questions, à s’éloigner du détail et des arrangements locaux ou individuels, pour revoir – renégocier avec toutes les parties prenantes – notre système de normes et d’organisation sociale afin qu’il corresponde à la réalité sociologique d’aujourd’hui et à la difficile articulation des libertés individuelles et des impératifs collectifs. Cette redéfinition d’un contrat social s’inscrit dans l’idée d’une “laïcité profonde” telle que proposée par Édouard Delruelle : la définition de la société, de la communauté qui la compose et des règles qui la régissent, ne sont pas transcendantes (intangibles et inaccessibles à l’action humaine, tels les dieux des croyants) mais immanentes et toujours sujettes à une remise en question critique.
1 “Ces valeurs [droits de l’Homme, égalité entre hommes et femmes, séparation des Églises et de l’État] ne sont pas l’apanage d’une culture ou d’une époque. Elles présentent une portée universelle car elles sont incontournables, en tout lieu et en tout temps, dans une société qui ambitionne de favoriser l’émancipation de chacun de ses membres.”(Mouvement Réformateur, “Quel modèle de société pour demain ? Dix propositions pour favoriser le vivre ensemble”, octobre 2009) 2 Le tableau qui suit s’inspire des articles suivants : Anne Fivé, “Les relations Églises/États en Europe”, Espace de Libertés : Document n°10 : Laïcité en Europe, juillet 2003 ; Caroline Sägesser, “La mosaïque européenne”, Politique – revue de débats, n°52 ; “La Belgique et ses cultes”, décembre 2007, pp. 22-23 ; Charles Arambourou, « Et la laïcité en Europe ?”, in Démocratie et socialisme, article en ligne http://www.democratie-socialisme.org/spip.php?article702. 3 Lors des différents exposés qu’il a présenté à Bruxelles Laïque. 4 Pourtant lorsque l’État surveille et parfois conteste les nominations de l’Exécutif des Musulmans de Belgique ou qu’il critique l’objet des dépenses de l’assistance morale laïque, ne contrevient-il pas au principe de séparation ? Certes, l’autonomie des organisations religieuses ou philosophiques n’empêche pas l’État de garantir qu’elles respectent, au même titre que tous les citoyens, des obligations démocratiques ou les droits humains. 5 “Les transformations du concept de neutralité de l’État. Quelques réflexions provocatrices”, Intervention au colloque “Le droit belge face à la diversité culturelle” organisée le 6 novembre 2009 à l’UCL. 6 Un point de vue philosophique popularisé par Michel Berger, France Gall et Johnny Hallyday avec la chanson “Diego libre dans sa tête”. 7 Le fait que ces manières doivent respecter les droits humains nous semble relever de l’évidence et ne fait donc pas débat ici.
Mathieu BIETLOT Bruxelles Laïque Échos
Il est déplorable aussi de voir à quel point ce débat est manichéen et tourne au dialogue de sourds. Il y a les “pour” et les “contre”, sans nuance possible entre les deux. Personne ne semble en mesure d’intégrer – voire même de lire ou de publier – les arguments proposés de l’autre côté. Il est extrêmement rare qu’un
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PORTAIL Nous savons les MOTS “porteurs de sens” lorsqu’ils traduisent au mieux le contenu que nous souhaitons leur donner ; mais nous ignorons parfois que les mots sont aussi “producteurs de sens” et que leur usage dévoyé peut viser à désarmer la pensée ou la contraindre à une interprétation erronée.
Mots à Maux “Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots” Jean Jaurès 46
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Les mots sont importants. Vivre dans l’omission de cette évidence laisse la voie libre aux plus lourds stéréotypes, amalgames, sophismes et présupposés clôturant la pensée et la création mieux que ne le ferait la plus efficace des censures. Espace d’expression libre et critique, le réseau planétaire devrait nous offrir quelques refuges réconfortants…
http://lmsi.net/ Dictionnaire critique du discours politique, le site “Les mots sont importants” analyse certains langages dévoyés en soulignant l’ampleur et la gravité de leurs effets : entretien des préjugés et des politiques racistes ; légitimation de l’oppression dite “sécuritaire” ; euphémisation de nombreuses violences, notamment étatiques ; occultation des questions dites “mineures” comme le sexisme ou l’homophobie ; triomphe du mépris de classe et de la “guerre des civilisations”...
http://www.lesmotsontunsens.com/ Lesmotsontunsens.com est un site d'information libre et indépendant qui s'échine à décrypter les maux de l'actualité à partir d'extraits de médias Internet ou traditionnels (presse papier, télévision, radio). Particulièrement orienté vers les abus de langage des médias ou des personnes publiques, ce site se donne pour objectif de replacer des déclarations, des informations ou des évènements dans un contexte plus global.
http://www.toupie.org/Dictionnaire/ind ex.html Site français, la toupie fait un constat : tous les acquis de la République sont attaqués, son indivisibilité, l'Etat et son rôle de régulation et de redistribution, la laïcité, les services publics, la fiscalité progressive, le code du travail, les droits sociaux... En attendant le grand soir, “La Toupie” ne prétend pas connaître la solution miracle, le système de rechange prêt à l'emploi pour se substituer efficacement au capitalisme sauvage. Son but est de contribuer à réveiller la conscience politique des citoyens “qui est savamment, pour ne pas dire sciemment, endormies”. Dans cette optique, un dictionnaire politique est un outil intéressant.
http://www.cnrtl.fr/portail/ Rempart ultime contre la barbarie sémantique, outil révolutionnaire face aux usurpateurs linguistiques, un bon dico on line fonctionnel, en voilà une belle invention. Morphologie, lexicographie, etymologie, Synonimie, antonymie, proxémie… Aucun domaine n’échappe à ce portail lexical performant.
M@rio FRISO Bruxelles Laïque Echos
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L’ASSOCIATION DES AMIS DE LA MORALE LAÏQUE DE JETTE propose une soirée cabaret poésie : Les mots de Prévert et les vers de Queneau, conférence par Guy Jaspart. Date : vendredi 26 mars 2010 à 20h00. Lieu : Centre Armillaire, boulevard de Smet de Nayer, 145 à 1090 Jette. P.A.F : 5 euros. Renseignements : 0479/55.57.44 ou mironczyck_christine1@yahoo.fr
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L’ASSOCIATION DES AMIS DE LA MORALE LAÏQUE D’AUDERGHEM EN COLLABORATION AVEC LES AML D’IXELLES ET DE WATERMAELBOITSFORT proposent une conférence : - La femme musulmane face à la laïcité, la franc-maçonnerie par Madame Fatoumata Sidibé. Date : vendredi 23 avril 2009 à 20h. Lieu : auditorium des Ecuries de la Maison Haute 3, place Paul Gilson à Watermael Boitsfort. P.A.F : 5 euros pour les membres des AML organisatrices et les membres du CEPULB, 6,5 euros pour les non membres et 2,5 euros pour les étudiants. Renseignements : tél 02/673 13 12 ou vogelsa@scarlet.be.( Mme Vanlanduyt)
L’ASSOCIATION DES AMIS DE LA JEUNESSE LAÏQUE DE WOLUWÉ SAINT-PIERRE propose Une excursion familiale à Namur, Date : samedi 8 mai 2010 de 9h à 19h. P.A.F : 30 euros. Renseignements :: 02 770 19 45 ou ajlwsp@skynet.be
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Débats de Bruxelles Laïque à venir : 24 avril 2010 : Bruxelles Laïque et la PAC affréteront un car pour se rendre à la journée de commémoration du curé Meslier, fondateur d’une philosophie radicalement athée et laïque. La visite des deux villages dans lesquels il officiait sera suivie d’un débat et de la projection du film d’Alain et Kioko Dhouailly avec les réalisateurs et Serge Deruette, auteur de Lire Jean Meslier aux éditions Aden. Avril 2010 : Nous recevrons Christophe Lejeune, autour de la parution de son ouvrage Démocratie 2.0. Une histoire politique d'Internet (aux éditions Espaces de Libertés). Avril 2010 : Dans le cadre de la campagne “Ecole en questions” (voir ci-dessous) : nous vous inviterons à réfléchir avec nous sur la possibilité d’une fusion des réseaux scolaires. 27 mai 2010 : Débat contradictoire sur la neutralité des institutions publiques. Avec Marc Snoeck (avocat et directeur de la commission “Séparation Églises/État et financement des cultes” du CAL) et Sébastien Van Drooghenbroeck (chargé de cours en droit constitutionnel et droit européen des droits de l’Homme au FUSL). Mai 2010 : Dans le cadre de la campagne “Ecole en questions”, nous organiserons avec d'autres partenaires une journée de réflexion sur les processus d'exclusion scolaire. Juin 2010 : Une soirée organisée à l’occasion du 50ème anniversaire de l’indépendance du Congo nous invitera à lire l’histoire en dehors des sentiers battus.
Pour en savoir plus, visitez notre site Web : www.bxllaique.be. Inscrivez-vous à notre mailing list (rubrique “contact”) pour être tenus au courant de nos activités.
Cette campagne est le fruit d’une collaboration active entre des associations qui veulent travailler ensemble dans la diversité pour affronter, sans tabous, des questions d’aujourd’hui et de demain autour de l’école. Retrouvez l'ensemble des actions d'animation partout en Communauté francaise dans l'agenda de la campagne. (www.ecoleenquestions.be)
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Conseil d’Administration
Direction Comité de rédaction
Philippe BOSSAERTS Jean-Antoine DE MUYLDER Anne DEGOUIS Isabelle EMMERY Francis GODAUX Ariane HASSID Christine MIRONCZYK Michel PETTIAUX Johannes ROBYN Benoît VAN DER MEERSCHEN Cédric VANDERVORST Myriam VERMEULEN
Fabrice VAN REYMENANT
Juliette BÉGHIN Mathieu BIETLOT Mario FRISO Paola HIDALGO Thomas LAMBRECHTS Sophie LEONARD Alexis MARTINET Ababacar N’DAW Cedric TOLLEY
GRAPHISME Cédric BENTZ & Jérôme BAUDET EDITEUR RESPONSABLE Ariane HASSID 18-20 Av. de Stalingrad - 1000 Bruxelles ABONNEMENTS La revue est envoyée gratuitement aux membres de Bruxelles Laïque. Bruxelles Laïque vous propose une formule d’abonnement de soutien pour un montant minimum de 7€ par an à verser au compte : 068-2258764-49. Les articles signés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.
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