Poverty is Good for Business, Invest the Others

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Sommaire

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Editorial (Ariane Hassid) ............................................................................................................................................................................................................................................................................................................... 3

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Pour que l’autonomie ne soit pas un mot creux. (Eliane Deproost).................................................................................................................................................................................................. 4 De l’arbitraire à la justice sociale : évolution d’un concept. (Vincent Dufoing) ...................................................................................................................................................................... 7 La poubelle, fille du monde… Chronique du Forum des travailleurs sociaux au Festival des Libertés (Jean Blairon) ............................................................... 12 Réflexions sur le type de solidarité présente dans le “modèle social européen”. (Vaïa Demertzis) .............................................................................................................. 16 La Boutique d’Emploi et la lutte contre l’exclusion (Ricardo Léonard) ....................................................................................................................................................................................... 21 CPAS et misère, misère des CPAS (Denis Debonnet) .................................................................................................................................................................................................................................. 26 Rencontre entre le Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté et Bruxelles Laïque (Mathieu Bietlot et Rocco Vitali) ........................................................... 30 Charité versus solidarité (Cedric Tolley) .................................................................................................................................................................................................................................................................... 34 Bonnes, douces, gentilles… Pauvres femmes ! (Florence Evrard) .................................................................................................................................................................................................. 38 La culture, l’autre face de l’Exclusion ? (Ababacar Ndaw) ...................................................................................................................................................................................................................... 42 Pour une approche “archéo-marxiste” des politiques de diversité (Edouard Delruelle) ........................................................................................................................................... 46

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PRÊT-À-PENSER : La crise (Cedric Tolley) .............................................................................................................................................................................................................................................................. 50 PORTAIL (Mario Friso) ................................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 52 Présentation du Collectif “Les Morts de la Rue” (Bert De Bock) ..................................................................................................................................................................................................... 54

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AGENDA : échos laïques de vos activités bruxelloises .............................................................................................................................................................................................................................. 57

Avec le soutien de la Communauté française. Bruxelles Laïque Echos est membre de l'Association des Revues Scientifiques et Culturelles - A.R.S.C. ( http://www.arsc.be/) Bruxelles Laïque asbl Avenue de Stalingrad, 18-20 - 1000 Bruxelles Tél. : 02/289 69 00 • Fax : 02/502 98 73 E-mail : bruxelles.laique@laicite.be • http://www.bxllaique.be/

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’hiver est là. Et déjà les médias nous annoncent les premiers corps retrouvés morts de froid dans la rue. Il est scandaleux qu’on meure encore de misère au XXIe siècle dans nos contrées opulentes, au regard du reste du monde. Plus largement, nous sommes interpellés par la précarisation croissante que connaissent bon nombre de nos concitoyens, et pas seulement au sein des couches les plus défavorisées de la population. Une précarisation d’abord économique mais de plus en plus souvent sociale et culturelle, poussant chacun à la lutte pour la survie, à la concurrence avec les autres, au repli sur soi ou au refuge dans les solutions simplistes et rassurantes des sectes et des populistes.

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Pourtant, nonobstant les discours de crise ressassés depuis des décennies, notre monde n’a jamais été aussi riche, avec une productivité et des profits en croissance constante. Le vrai problème concerne la répartition de plus en plus inégale de ces richesses. Cet écart qui se creuse entre la condition des nantis et celle des précaires, contraints de vivre au jour le jour, semble nous replonger au XIXe siècle. A cette époque, le paupérisme en pleine phase d’industrialisation fit des ravages et suscita des révoltes qui marquèrent le début du mouvement ouvrier. La question sociale ainsi posée mena, après quelques décennies, quelques luttes, quelques répressions et quelques négociations, à la création de l’État social. Ce système de solidarité institutionnalisée au niveau national a organisé la répartition des richesses et la gestion des risques de précarisation depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Mais, ces dernières années, parallèlement à l’accroissement des inégalités, nous assistons au délitement de cet État social. Cette aggravation de la situation se voit maigrement compensée par des dispositifs d’assistance et de protection dont la logique d’activation, de contrôle et de paternalisme heurte nos valeurs et tend davantage à pressurer et pénaliser les personnes qu’à les aider à sortir de leur précarité. Face à cette situation, nous ne pouvons nous contenter des belles déclarations d’intention de l’année européenne de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Non seulement, la question ne sera pas résolue lorsque nous passerons à la prochaine année européenne mais vous lirez dans nos pages qu’en matière de politique de solidarité, l’Union européenne est encore loin de permettre des avancées. Face à cette situation, il est temps de réaffirmer le principe de solidarité et d’agir concrètement en vue d’une société plus juste. Cela demande un engament citoyen de toutes et tous, sous le signe duquel nous souhaitons vous inviter à entamer l’année 2011. Un engagement qui se heurte à d’autres obstacles puisque nous observons aussi une précarisation des droits et des libertés. À ce sujet, nous vous proposerons prochainement un documentaire, produit par Bruxelles Laïque, au sujet de ces entraves à l’engagement solidaire : “Du déni au délit de solidarité”.

be/) À très bientôt donc et bonnes fêtes de fin d’année à toutes et tous.

Ariane HASSID Présidente

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Pourquoi les laïques devraient-ils s’engager dans la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale ? En quoi la laïcité et la solidarité auraient-elles quelque chose en commun ?

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’est que la pauvreté et l’exclusion sociale posent de sérieux freins au projet laïque de société où chacun, sans discrimination ni privilège, aurait sa place, où chacun aurait les moyens de son émancipation et de son autonomie.

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En effet, comment décider de sa vie quand on est obsédé par le paiement de ses factures ? Comment s’impliquer dans la vie sociale, culturelle et politique quand on est bloqué par sa situation matérielle ? Pour nous laïques, l’autonomie est une valeur phare. Se donner sa propre loi (traduction littérale de auto-nomos) afin de pouvoir réaliser son projet (quel qu’il soit, libéré des dogmes et des injonctions normatives), c’est depuis toujours notre ambition. Nous voulons donner toute leur place aux parcours “originaux” ou marginaux – décrits ainsi en fonction d’une norme à déconstruire. Nous voulons que les individus aient la liberté de développer la singularité de leur projet de vie sans être freinés par des difficultés matérielles ou des restrictions moralisantes. Le droit à un enseignement public et égalitaire, le droit à mener une vie affective et sexuelle libre, le droit à disposer de son corps (par la contraception ou l’avortement), le droit de mourir dans la dignité, tous ces droits permettent à l’individu de mener une vie autonome. Le droit au travail, à un revenu décent, à un logement digne doivent tout autant être défendus. Car, sans eux, difficile pour l’individu de développer un projet répondant à ses aspirations profondes. On ne peut pas se contenter de valoriser

une autonomie abstraite sans prendre en compte les conditions concrètes nécessaires à sa réalisation. Sans cela, sans cette attention au contexte économique, politique, social, intellectuel et psychologique dans lequel évoluent les individus, l’autonomie est un mot creux. Ainsi, les émancipations intellectuelle, politique et sociale vont de pair. C’est ainsi que la laïcité philosophique n’est pas seulement un projet d’émancipation intellectuelle. Elle entraîne un projet d’émancipation sociale et politique. Tout se lie. En effet, historiquement, c’est l’affranchissement par rapport à une vision du monde dominé et ordonné par la divinité qui a permis de remettre en question les inégalités dites “naturelles”. C’est avec le mouvement de sécularisation que la sphère sociale a pu être investie de fins spécifiquement humaines. Que la transformation des conditions de vie terrestres a été amorcée. Avec comme suite politique, les luttes pour l’instruction publique, le suffrage universel et les droits sociaux. La laïcité philosophique comme projet d’émancipation intellectuelle a nécessairement pour corollaire l’émancipation politique et sociale. Et, réciproquement, l’émancipation sociale est une condition indispensable de l’émancipation intellectuelle. On constate, par exemple, à quel point les conditions socio-économiques des élèves peuvent déterminer leur apprentissage intellectuel. En prenant ainsi en considération l’ensemble des données nécessaires à l’émancipation, on replace la pauvreté dans un

processus dynamique. On n’est pas pauvre, on le devient. Il faut sortir de la pauvreté comme un état de fait, une identité figée et se concentrer sur ce qui produit ou mène à la pauvreté. Bref, il faut parler d’appauvrissement plutôt que de pauvreté. De cette manière, on montre que la pauvreté est d’abord et avant tout un problème politique. Elle est occasionnée par des processus d’appauvrissement qu’il faut comprendre et analyser pour mieux les combattre. On sort ainsi des procédés compassionnels et charitables qui soulagent le pauvre, lui apportent ce qui lui manque. Car, ces stratégies consolatrices apportent un mieux-être passager mais maintiennent les personnes pauvres dans une situation de dépendance, dans un statut où elles reçoivent sans pouvoir rendre. Le don sans contre-don empêche l’échange et ne permet pas au receveur de conserver sa dignité et son estime de soi. On doit faire de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale une véritable responsabilité collective. On ne doit pas tout faire reposer sur les épaules de l’individu, au risque de le culpabiliser et de le démoraliser. Sans cela, sans cette attention au contexte global dans lequel se développe la pauvreté, on risque d’encourager à une autonomie que les personnes ne seront pas en mesure de mettre en œuvre. On risque de tomber dans une injonction d’autonomie qui peut se retourner en son contraire.

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On peut constater, par exemple, ce genre de travers dans les politiques d’activation des chômeurs et des bénéficiaires du CPAS auxquels on demande de s’activer, de développer un projet d’insertion professionnelle. Mais cette injonction de projet n’est souvent pas réaliste pour le public concerné, noyé dans ses problèmes financiers, loin de la réflexion sur un projet de vie à construire. Dès lors, la démotivation guette et l’activation peut être contre-productive. “(…) l’activation est désastreuse quand elle ne respecte pas le rythme des personnes, quand elle culpabilise et aggrave les sentiments d’échec, d’inutilité et de dépendance. Elle est désastreuse quand elle est imposée aux usagers dépressifs dont la maladie est précisément l’impuissance même à vivre, à initier l’action”1. De plus en plus, on utilise donc une approche transversale dans la lutte contre la pauvreté. Ainsi, aujourd’hui, on prend davantage en compte la dimension de la santé mentale dans ce combat. Ceux qui vivent une situation de grande précarité

présentent en effet plus souvent que les autres classes sociales des troubles mentaux et du comportement. Le contexte social peut en effet conduire à une précarité exacerbée susceptible d’entraîner une triple perte de confiance : perte de confiance en l’autre, perte de confiance en soi-même et perte de confiance en l’avenir qui devient menaçant avec une atténuation des désirs, projets et rêves qui appellent à continuer et à transmettre. Il devient impossible de rêver l’avenir.

iceberg d’individualisme exacerbé, de course au profit, de mépris de la fragilité. Contre cela, il nous faut proposer un projet positif de société où les individus, avec leurs émotions, leur vulnérabilité, leurs rêves, viennent au premier plan. Il faut que les moyens soient au service des finalités des individus et non que l’accumulation des moyens soit la seule fin proposée. Il faut que l’économie soit au service de l’humanité et non l’humanité au service de l’économie.

On est alors dans un cercle vicieux où les difficultés socio-économiques conduisent à des troubles mentaux. Evolution qui renforce à son tour la situation de précarité de la personne. De la poule ou de l’œuf, des troubles psychiques ou de la précarité, difficile alors de dire ce qui est premier. L’un se nourrit de l’autre.

En rejetant la loi de la jungle et la compétition de tous contre tous, la solidarité devient possible. Le lien social devient premier. Ce n’est que de cette façon qu’une société peut tenir ensemble, qu’on peut éviter les explosions récurrentes de violence.

Les phénomènes de pauvreté et d’exclusion sociale nous présentent une image en creux de notre monde. Ils sont les symptômes visibles d’une faille de notre société. Comme la partie immergée d’un

Eliane DEPROOST Secrétaire générale du Centre d’Action Laïque

1“ L’aide sociale à l’ère de l’activation des usagers : quels enjeux pour les CPAS ?”, dossier spécial d’Alter Echos, supplément au n°252, mai 2008, p.9.

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un principe immuable depuis un peu plus de deux siècles. Selon les principes de la justice sociale, ce qui est considéré comme juste socialement à un moment donné peut être considéré comme injuste à autre moment.

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Replongeons-nous dans l’histoire du concept de justice sociale

harmonie n’est évidemment en rien synonyme d’égalité.

La notion de justice telle que nous la connaissons aujourd’hui est d’origine occidentale. Il s’agit d’un principe philosophique, juridique et moral reposant sur le respect du droit et de l’équité, valeurs considérées comme les fondements de la vie sociale et de la civilisation. Dans les cultures africaine et asiatique, elle était traditionnellement différente. La pratique de la justice en Afrique était assimilée au respect de la tradition et des ancêtres. En Inde, la justice était vouée à l'acceptation de l'ordre naturel des choses sans notion d’équité puisque cette société était fondée sur des castes immuables. La Chine se méfiait de la justice et des tribunaux. La philosophie chinoise prônait plutôt l'harmonie et la paix du groupe. Ces différences ont été lissées sous l’effet de la colonisation et de la mondialisation. De nos jours, la notion de justice occidentale est uniforme et internationale.

Dans l’antiquité romaine, Cicéron fera évoluer ces idées dans son ouvrage De Natura deorum2 en affirmant que la justice émane d'une société hiérarchisée et qu'elle en est la vertu principale. En cela, elle coïncide strictement avec l'équité. Cicéron considère également que la justice est la vocation naturelle de l'homme.

Les premières réflexions philosophiques qui ont été menées dès l’Antiquité dans le monde occidental n’ont pas concerné la justice sociale mais la notion de justice en tant que telle. Dans l’antiquité grecque, l’homme était tout entier soumis à la nature considérée comme immuable, tandis que les usages étaient considérés comme fluctuants et évolutifs. Dans ce contexte, l'école stoïcienne est la première à exprimer l'universalité de la justice devant être commune à tous. Chez les Grecs anciens, la justice représente un principe d'ordre harmonieux et contraignant à l’image de la cité utopique dont rêve Platon dans La République1. Cette

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Avec le début du christianisme, tout change. En effet, si les conditions sociales varient, les âmes immortelles doivent absolument être égales devant Dieu. Il s’agit des prémisses de la notion d’égalité en droit des personnes humaines pour lesquelles le Christ s'est sacrifié. Il s’agit d’une égalité civique tout à fait théorique qui a pour but de pallier les inégalités sociales que l’Eglise n’entend pas corriger. Au Moyen Age, la notion de justice est cadenassée par le seigneur ou le souverain omnipotent qui doit protéger ses sujets au nom du respect qu’il doit luimême à Dieu. Il apparaît donc à cette époque l’idée d’un contrat social contraignant pour les sujets qui a, dès le début, légitimé l’existence d'une monarchie autoritaire. Le XVIIe siècle, plusieurs philosophes, diverses conceptions Au XVIIe siècle, le philosophe anglais Thomas Hobbes3 a formulé l’hypothèse de deux types de contrat social successifs. D’abord, le contrat social proprement dit, destiné à expliquer l'origine de la société ou de l'Etat : les individus décident

d'abandonner l'état de nature et de se constituer en corps social. Ils renoncent à tout ou partie de leurs droits naturels au profit de la collectivité qui devient souveraine et obtiennent en échange des droits civils. Ensuite, le contrat de gouvernement, conclu entre le peuple et un chef qui acquiert la souveraineté et s'engage en contrepartie à l'exercer en vue de certaines fins tout en sauvegardant les droits des peuples et des individus. Le système envisagé par Hobbes repose sur le double postulat que les hommes sont égoïstes, ne recherchent que leur satisfaction individuelle et doivent être égaux car le plus faible peut menacer la sécurité du plus fort. Selon Hobbes, l’état de nature est un état d'insécurité perpétuelle dont les hommes cherchent à sortir. Le fondement de l'obligation d'obéissance qu'ont les sujets par rapport à leur souverain est à la fois la protection dont ils jouissent et la force de ce dernier qui les y contraint. Il n'y a pas de limite au pouvoir du souverain et celui-ci ne peut être déposé parce qu'il n'y a pas de contrat entre lui et ses sujets.Toute la force est de son côté. A partir de sa vision du contrat social, Hobbes entérine la logique de l'absolutisme puisqu’il cautionne la soumission des sujets au souverain. Toujours au XVIIe siècle, le philosophe anglais John Locke4 fera évoluer cette notion en estimant que le contrat passé est un “trust”, c'est-à-dire une mission confiée par le peuple à des gouvernements en vue de certaines fins. Le trust est un mode particulier d'exercice du pouvoir qui n’est aucunement le fondement de l'Etat, ni de la souveraineté et

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qui met l’accent sur les obligations du gouvernement et les droits du peuple. Locke reconnaît que l’état de nature était un état de paix, de bonne volonté et d'assistance mutuelle. Son défaut était qu’il y manque une autorité commune. Celle-ci sera assumée via le contrat social voulu par les hommes constitués en un corps représenté au niveau du pouvoir suprême par un pouvoir législatif. Siècle de Lumières : des visions antagonistes Au XVIIIe siècle, deux visions antagonistes s’affrontent : Jean-Jacques Rousseau5 d’une part et les Encyclopédistes6 d’autre part. Leur différence de pensée provient d’une vision différente de l’ordre social. Rousseau aspire à une démocratie authentique, fondée sur l’égalité économique. Selon lui, toute la force vient du peuple, qui ne peut être heureux que s’il est souverain. Les Encyclopédistes, suivant en cela Voltaire, prônent quant à eux, le despotisme éclairé. Selon Voltaire7, “un pays bien organisé est celui où le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui, et le gouverne”8. La Révolution Française se reconnaîtra évidemment plus dans les écrits de Rousseau que dans ceux des Encyclopédistes qui légitiment au nom de l’idéal philosophique le maintien du peuple sous l’autorité des nantis. Une autre divergence entre Rousseau et les Encyclopédistes concerne la place consacrée à Dieu dans la justice sociale. Ainsi, Rousseau, dans le Contrat social9, écrit “l’existence de la divinité, puissante, intelligente, prévoyante, la vie à venir, le châtiment des méchants, la sainteté du contrat social, voilà des

dogmes positifs”. Dieu, dont il ne nie donc pas l’existence, est selon lui un référent nécessaire à la justice sociale. Cette idée sera reprise dès avant la Révolution par Robespierre, qui aspirait à ce que Dieu serve enfin à quelque chose ! Il apparaît donc à la fin du XVIIIe siècle une connexion opportuniste entre l’existence de Dieu et la justice sociale. Quitte à prétendre que Dieu existe, Robespierre en inventera d’ailleurs un pendant quelques années, l’Etre Suprême ! Le Contrat social établi par Rousseau est donc le catalyseur de départ pour les avancées en matière de justice sociale. Le contrat social tel qu’il l’envisage se propose de trouver dans l'individu le fondement de la société, de l'Etat ou de l'autorité politique. Il s'oppose aux doctrines qui voient dans la société ou dans l'Etat une réalité une et définie dans ses parties. Le postulat fondamental du Contrat social est l'idée que la société n'est pas un phénomène naturel, mais bien une création artificielle et volontaire qui doit viser la plus grande égalité possible entre les hommes, avec leur consentement. Il reprend donc une grande partie de la théorie formulée par Locke au siècle précédent. La notion de contrat social chez Rousseau postule donc que les individus ont toujours eu besoin de se réunir en société car la nature les a rendus inaptes à une vie indépendante. La perte de leur liberté et de leur indépendance est donc volontaire et leur a permis le passage à un état social qui leur a procuré des avantages. Le contrat social de Rousseau fonde à la fois la société et l'Etat. Rousseau cherche à trouver le fondement logique d'une autorité telle qu'elle rende les individus aussi

libres dans l'état social que dans l'état de nature. Le contrat est passé entre les individus et le corps social qui devient ainsi souverain. Selon Rousseau, il suffit que la loi soit susceptible d’être appliquée par tous les acteurs pour être opérationnelle. Il est évident que ce système était par nature inapplicable. Après Rousseau, cette doctrine amorce son déclin puisque la théorie du contrat ne correspond à aucune réalité historique. Toujours au XVIIIe siècle, le philosophe allemand Emmanuel Kant10 fera encore évoluer la réflexion sur la notion de contrat social. Selon lui, la justice correspond au respect de la personne car elle se fonde sur l'éminente dignité de l’être humain. Kant place au centre de sa réflexion morale l'idée de la personne raisonnable, c'est-à-dire d'un sujet de droit, dégagé de toute transcendance. Avec Kant apparaît l’idée d’une justice faite par et pour les hommes et non plus vis-à-vis de Dieu. Et au XIXe siècle Le XIXe siècle est marqué par les Utilitaristes qui se sont inspirés des travaux du philosophe anglais Jeremy Bentham11 et de son Introduction aux principes de morale et de législation publiée en 1790. Ils ont fait quitter la justice du seul domaine philosophique pour promouvoir le bien-être d'une population, c'est-à-dire son bonheur, concept entendu en termes de plaisir ou de diminution de la souffrance. Les notions de justice et de justice sociale revêtent donc à ce moment de l’histoire une acception économique sans pour autant quitter le champ éthique puisque l’homme ne peut

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se départir d’une volonté de punition à l’égard de celui qui commet une injustice. L’utilitarisme se place dans le champ de la justice distributive. Ce concept poussé à son extrême peut être évidemment profondément immoral. Toujours au XIXe siècle, Karl Marx12 voit en la justice un produit des rapports de classes, une superstructure résultant d'une certaine répartition des intérêts économiques et des relations de production. Il parle d'une justice de classe qui exprime l'ensemble des idées et des croyances de la classe sociale dominante. Dans la suite de la pensée de Kant, Pierre Leroux13, grand penseur socialiste, est le premier à utiliser en 1859 le terme de solidarité dans son livre La grève de Samarez. Il y entend remplacer “la charité du christianisme par la solidarité humaine” et il insiste sur l’interdépendance naturelle qui existe entre tous les êtres vivants. La justice sociale selon Rawls Au XXe siècle, l’ouvrage fondateur de la théorie de la justice sociale est Théorie de la justice qui a été rédigé par le philosophe libéral américain John Rawls14. Il s’agit avant tout d’une critique de la pensée utilitariste qui a prévalu pendant tout le XXe siècle. C’est le concept de justice sociale tel que formulé par John Rawls qui est le fondement de la notion d’équité, elle-même fondée sur celle d’égalité : “chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu des libertés de base égales pour tous”15. Selon l’auteur, la justice sociale

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repose également sur le “principe de différence” qui postule que les inégalités sociales ne peuvent être justifiées que dans deux cas : soit s’il apparaît qu’elles peuvent se révéler avantageuses à chacun ; soit si elles sont liées à des fonctions auxquelles chacun peut prétendre. Ce principe renoue avec la conception de la justice distributive édictée par Aristote : étant donné que la société doit s'enrichir et prospérer, elle doit le faire de manière à ce que les classes inférieures évoluent en proportion. La justice distributive règle donc la répartition des biens entre les membres de la société en vue du bien commun : elle estime les mérites des individus et distribue les biens selon une part proportionnelle à ceux-ci. Cette échelle des mérites n'est pas universelle et varie en fonction du régime politique et des valeurs qu'il proclame : la vertu pour l'aristocratie, la richesse pour l'oligarchie, la liberté ou le mérite pour la démocratie. A la suite des travaux de Rawls, deux principales écoles s’affrontent. L’une, dont le belge Philippe Van Parijs16 fait partie, préconise l’égalité des ressources mises à la disposition des individus sur l’ensemble de leur vie. Il ne s’agit pas simplement des ressources matérielles ordinaires mais aussi des droits fondamentaux et des différents aspects du statut social. Le terme de “ressources” a été préféré à celui de “condition sociale” parce que, selon cette école, la société veille à ce que chacun ait sa juste part de ressources ; il reste alors à l’individu la charge d’utiliser ses ressources pour mener sa vie comme il l’entend. La théorie de l’allocation universelle est évidemment soutenue par cette école. L’autre école défend l’égalité des opportunités. L’accent

sur la responsabilité individuelle y est encore plus marqué que dans la première école, l’idée étant ici de donner à chacun les mêmes opportunités et de veiller à ce que les inégalités finales soient seulement le produit des libres choix individuels. Et ensuite… Pour être complet, il faut préciser qu’en 1919, à la fin de la première guerre mondiale, a été constitué L'Organisation Internationale du Travail sur l'affirmation selon laquelle “une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale”17. Elle a adopté en 2008 la “Déclaration sur la justice sociale pour une mondialisation équitable”. Elle met désormais en œuvre un programme pour “un travail décent pour tous”18. Actuellement, une partie du mouvement altermondialiste utilise ce concept. De nos jours, la notion de justice sociale connaît pourtant des détracteurs dans les milieux ultra-libéraux. Leur chef de file est Friedrich Hayek19 qui considère qu’il s’agit d’un “mirage”20. Selon Hayek, la justice sociale est à la fois une erreur et un atavisme. C'est une erreur car l'idée de justice sociale part de l'attribution des malheurs économiques des individus à l'injustice de l'ordre économique qui est le produit du jeu de forces impersonnelles. Selon lui, la mauvaise situation d'une personne dans l'ordre économique ne peut être attribuée à personne en particulier. Il considère que l'ordre économique n'est ni juste ni injuste, mais seulement heureux ou malheureux. La justice sociale est aussi pour lui un atavisme parce qu’elle résulte

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d’un accolage entre la notion de justice, liée à l'intention de l'homme, et celle de société, qui est par nature dépourvue de volonté. Il va même plus loin en affirmant que la justice sociale victimise les personnes qui en sont bénéficiaires et accroît démesurément les prérogatives de l’Etat censé veiller à la plus grande équité entre les citoyens. Cette vision est évidemment liée au statut ultra-libéral de Hayek qui va totalement à contre-courant de l’égalité des chances et de la justice sociale qui est la plus grande garantie de la démocratie. Vincent DUFOING, Directeur de Picardie Laïque

La République (en grec Perì politeías, “à propos de l'État” ou simplement politeía, “la constitution”), aussi nommée La Politie dans les milieux philosophiques, est un dialogue de Platon portant principalement sur la justice au niveau de l'individu et de la Cité. Il s'agit de l'ouvrage le plus connu et le plus célèbre de Platon en raison, entre autres, du modèle de vie communautaire exposé et de la théorie des Idées que Platon y expose et défend. 2 Ouvrage rédigé en 44 ANC qui inspira certains philosophes des Lumières étant donné la manière dont Cicéron raille les légendes religieuses romaines. 3 1588-1679. Le Léviathan, publié en 1651, est son œuvre majeure. Elle a eu une influence considérable sur la philosophie politique moderne par sa conceptualisation de l'état de nature et du contrat social. 4 1632-1704. L'un des principaux précurseurs de la philosophe des Lumières. Sa théorie de la connaissance est qualifiée d'empiriste car il considère que l'expérience est l'origine de la connaissance. Sa théorie politique est l'une de celles qui fondèrent le libéralisme et la notion d'“État de droit”. 5 1712-1778. Ecrivain, philosophe et musicien genevois de langue française. 6 Les Encyclopédistes forment la “société de gens de lettres” à l’origine de la rédaction de juin 1751 à décembre 1765 du “Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers” sous la direction de Diderot et D’Alembert. La composition des 17 volumes de texte et 11 planches de la célèbre encyclopédie du XVIIIe siècle fut l’affaire d’environ 160 auteurs se réclamant, pour la plupart du groupe intellectuel connu sous le nom de “Philosophes” ayant favorisé l’avancement de la science et de la pensée laïque en soutenant la tolérance, la rationalité et la largeur d’esprit caractéristiques des Lumières. 7 1694-1778. François Marie Arouet, dit Voltaire. Ecrivain et philosophe qui occupe une place particulière dans la mémoire collective des Français : il a inauguré la figure de l’intellectuel engagé au service de la vérité, de la justice et de la liberté de penser. 8 Essai sur les mœurs et l'esprit des nations publié pour la première fois dans son intégralité en 1756. 9 Du contrat social ou Principes du droit politique publié en 1792. 10 1724-1804. Philosophe allemand fondateur de l’idéalisme transcendantal. 11 1748-1832. Philosophe, jurisconsulte et réformateur britannique. 12 1818-1883. Philosophe, économiste, théoricien socialiste et écrivain allemand. 13 1797-1871. Editeur, philosophe et homme politique français. 14 1921-2002. Philosophe libéral américain. La Théorie de la justice a d’abord publié été en 1971 (en anglais, sous le titre : A Theory of Justice, Harvard, HUP). Il a été réédité en 1975 et 1999. Une traduction française par Catherine Audard est parue en 1987 aux éditions du Seuil. 15 http://www.denistouret.net/ideologues/Rawls.html 16 Né 1951. Economiste belge. Docteur en philosophie et docteur en sociologie. 17 http://www.ilo.org/global/About_the_ILO/Origins_and_history/lang--fr/index.htm 18 http://www.ilo.org/global/About_the_ILO/Mainpillars/WhatisDecentWork/lang--fr/index.htm 19 1899-1992. Philosophe et économiste de l'École autrichienne, promoteur du libéralisme, opposé au socialisme et à l'étatisme. 20 C’est d’ailleurs le titre du tome II de son livre Droit, législation et liberté : “Le mirage de la justice sociale”, paru en 1976. 1

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Retour su

Le Festival des libertés 2010 a accueilli le 2ème Forum International des travailleurs de rue. Plus que jamais mobilisés, quelques 700 acteurs de terrain se sont réunis pour contribuer à la construction d’une réelle justice sociale. Jean Blairon (RTA) nous retrace les moments forts d’un des débats ouverts au public : “Travail de rue : résister à la normalisation sociale ?”.

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Retour sur une scénographie

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L'ouverture du Forum des travailleurs sociaux de rue, dans le cadre du Festival des Libertés, s'est effectuée dans la grande salle du Théâtre National. La place de la culture dans le dispositif s'est marquée dès l'abord par une scénographie particulière : sur la scène, les impedimenta classiques des colloques internationaux ont été remplacés par des objets signifiant la présence de “la rue” ; les intervenants sont assis dans des brouettes renversées ; les tables sont remplacées par des bacs de bière. Dans le fond de la scène, à droite, une énorme poubelle nous rappelle que trop d'êtres humains sont désormais traités comme des déchets (des “surnuméraires” selon Robert Castel ; des “inutiles au monde” selon Alain Touraine). Cette mise en scène nous met immédiatement en mémoire un vers célèbre de Jacques Prévert : “La poubelle, fille du monde, ne peut donner que ce qu'elle a”. L'expression d'origine, détournée par le poète, témoigne probablement de la domination masculine : si la plus belle fille du monde est supposée ne pouvoir donner que ce qu'elle a, de quel don, en effet, parle-t-on ? L'amusante réécriture montre que la question sociale (la “poubelle”, les laissés pour compte) est produite par “le monde”, nommément les nouveaux rentiers, la “noblesse” financière, entendons ceux qui tirent leur position dominante du seul échange de l'argent avec l'argent : ceux que R. Castel appelle les “désaffiliés par le haut”, pour qui la réalité se résume aux

échanges qui permettent de maximiser les profits, à quelque prix que ce soit.

y a aussi des désaffiliés par le haut dans les instances politiques, par exemple européennes...

Le “monde” est présent Un refus radical Par cette formule, à contresens de l'acception de la “noblesse financière”, nous ne voulons pas évoquer la présence de représentants de travailleurs de rue issus de plus de trente pays, mais le fait que chacun d'entre eux est venu témoigner – contre le discours de maîtrise des institutions (“nous gérons, y compris les risques”) – de l'existence d'un “monde” irréductible aux schémas, à l'emprise gestionnaire, au calcul des probabilités1. La rue est bien ce monde à double face, lieu où se concentrent les misères extraordinaires produites par un système qui veut fonctionner, comme le dit Alain Touraine, “avec de moins en moins de monde” – et avec de plus en plus de richesses de plus en plus inégalement réparties –, mais aussi lieu d'invention de nouveaux possibles, de solidarités inédites, de socialités et d'affiliations bien réelles. A ce titre, certains des discours officiels d'ouverture du Forum, notamment européens, apparaissaient comme surréalistes, lorsqu'ils évoquaient la pauvreté en termes de stock, de cible, de programmation, avec des formules marketing ridicules comme “20 % de pauvreté en moins à l'horizon 2020”, toutes choses restant égales par ailleurs. Diminuerait-on la pauvreté comme les émissions de C02 ? Et si c'était le cas, pourquoi avoir tant attendu ? Et que deviendront, comme l'a demandé Christine Mahy, les autres “pour cent” ? Il

Face à une telle inconscience (indécence) gestionnaire (mais que devrait-on dire de ceux pour qui le terme “social” a disparu des raisonnements ?), les engagements qui fondent le travail de rue nous invitent à une tout autre attitude. Ricardo Petrella a ainsi fermement invité à un refus radical, en nous pressant de contribuer à décréter illégales les confiscations privées des ressources publiques, et de rejeter un modèle de développement qui nous précipite dans un devenir inacceptable, dont les jeunes, les femmes et les enfants seront les principales victimes. Sa pensée rejoint ici l'appel au Sujet lancé par Alain Touraine ; pour lui, il s'agit en effet de “comprendre comment l'expérience humaine est à la fois soumise à la nécessité économique et capable de la briser en s'assignant des objectifs et en formant des mouvements qui s'opposent à toutes les logiques économiques, au nom d'un appel au “sujet” humain, à ses droits et aux lois qui les font respecter.”2 Mais de quels mouvements pourrait-il s'agir ? Pour certains, les mouvements sociaux appartiennent à un passé révolu. Pour d'autres (comme Alain Touraine), ces mouvements sont devenus culturels et devraient regrouper tous ceux qui refusent la réduction de l'individu au statut de pion dominé par des stratégies qui le

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dépassent (et le considèrent comme une quantité, d'abord, et comme une quantité négligeable, ensuite – pensons aux ouvriers victimes des spéculations ou des appétits débridés des actionnaires), ou qui le réduisent au statut de cibles (via la manipulation de ses désirs dans une orientation consumériste), voire qui nient à l'individualité toute légitimité (on pense ici aux logiques consuméristes). Pour Touraine, nous l'avons vu, “seul l'appel aux droits universels du sujet humain peut arrêter la destruction de toute la vie sociale par l'économie globalisée” ; ces droits universels sont “le droit à l'existence, le droit à la liberté et à la reconnaissance par les autres de cette liberté, en même temps qu'à des appartenances sociales et culturelles qui sont menacées par le monde inhumain du profit.” L'auteur ajoute : “cette tâche immense ne pourra être menée que par des militants et des figures exemplaires organisés, non plus verticalement comme les partis et les syndicats, mais horizontalement, par une opinion publique et par des acteurs informés surtout par les médias et par internet et décidés à ne pas laisser se construire un nouveau pouvoir encore plus autoritaire que l'ancien”3. Pour d'autres encore, au contraire, comme Pierre Bourdieu, les mouvements sociaux n'ont rien perdu de leur légitimité, mais ils sont affaiblis, y compris par leurs propres divisions internes : seule une union des associations, des organismes de mobilisation (comme les syndicats) et des chercheurs pourrait, selon lui, permettre de s'opposer à une exploitation qui rêve de redevenir sans limites.

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Et si le Forum des travailleurs sociaux de rue avait montré la voie en s'intégrant au Festival des Libertés (et inversement), en indiquant combien il est nécessaire d'articuler les luttes sociales et les luttes culturelles (et réciproquement) ? “Chacun est dans la lutte entière”4 L'œuvre et les interventions de Firouzeh Nahavandi, quant à elles, nous ont permis de comprendre comment on pouvait passer du plus local au plus global. Elle démontre en effet que les relations internationales sont dominées par un processus de stigmatisation. La globalisation à laquelle nous assistons se fonde en effet sur une surévaluation par l'Occident de ses propres standards, présentés comme universellement souhaitables, sur un dérèglement de l'action publique en matière d'aide au développement et, enfin, sur une stigmatisation d'un ensemble de pays dits “sous-développés” (alors qu'ils expérimentent probablement des formes alternatives de développement). Le terme “stigmate” est issu des travaux du sociologue Goffman ; il désigne le rejet hors du monde des “humains” de membres de la Communauté, sur base d'un attribut qui jette sur eux un discrédit durable et profond. Il peut s'agir d'un problème physique, d'une “tare du comportement” (être gauchiste, homosexuel, ou, désormais, vivre dans la rue ou plus simplement porter les signes de la pauvreté), ou d'une appartenance problématique (par exemple ethnique ou religieuse).

L'utilisation audacieuse, par Firouzeh Nahavandi, d'une analyse des interactions entre individus pour décrire les relations entre pays nous montre que la critique du modèle de développement n'est pas hors de portée : ce modèle emprunte les mêmes voies que la violence sociale la plus ordinaire. Un travail d'éducation permanente rigoureux et pertinent pourrait probablement permettre à chacun de saisir les mécanismes les plus globaux à partir de l'expérience la plus locale, y compris la sienne propre. Des trompe-l'oeil à foison Abraham Franssen, pour sa part, a très bien démontré que les idéaux du travail social lui-même pouvaient être “retournés” pour servir des causes qu'il croit combattre. Toute une série de revendications “culturelles” (au sens de Touraine) comme l'autonomie, le “projet” personnel, l'épanouissement, etc. sont devenus des “textes” pour diffuser l'idéologie dominante, pour imposer à chacun de se comporter comme “l'entrepreneur de son existence” ; bref les “libertés” revendiquées sont devenues des obligations de s'investir en investissant (c'est-à-dire en consommant), sous peine... de stigmatisation et de perte réelle des droits : l'Etat Social Actif s'emploie activement à les réduire pour les “pauvres non méritants” (c'est-à-dire ceux qui n'ont pas les moyens de montrer qu'ils sont “alignés”). L'action politique, sans plus attendre Mais l'analyse de ces mécanismes intégrateurs globaux ne doit pas occuper tout l'espace de la réflexion. L'action des

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Réseaux de lutte contre la pauvreté, et celle d'innombrables associations, les initiatives prises par des instances politiques non “désaffiliées” comme le Délégué général aux droits de l'enfant permettent de réouvrir au quotidien des espaces de possibles. Si ces espaces sont partiels et s’ils ne trouveront tout leur sens que dans une articulation avec des mouvements sociétaux de grande ampleur, ils indiquent dès à présent des résistances et des progrès possibles. Sans plus attendre, ce foisonnement d'initiatives combat les libertés que les dominants prennent avec nos libertés pour renforcer les inégalités à leur profit. Ils préparent le surgissement d'un monde qui n'a rien à voir avec “le monde”, cause efficiente de la déshumanisation qui frappe tant d'entre nous.

Jean BLAIRON directeur de l'asbl RTA 1 Nous reprenons ici la distinction opérée par Luc Boltanski entre “réalité” et “monde”, in De la critique, Précis de sociologie de l'émancipation, Paris, Gallimard, 2009. 2 A. Touraine, Après la crise, Paris, Seuil, 2010, p. 31. 3 Ibidem. 4 L'expression est d'Edgar Morin.

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L’appel à la défense, modernisation ou réforme (selon les points de vue idéologiques) du “modèle social européen” fait désormais partie intégrante du débat public et politique européen. L’expression ne renvoie néanmoins pas à un corpus de données précises énoncées dans un document de référence : sa définition fait au contraire l’objet d’une controverse quant à savoir ce que recouvre exactement le “modèle social européen” en termes de contenu et d’enjeux et quelle est donc sa portée politique.

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n effet, dès ses débuts, l’expression2 de “modèle social européen” se pose comme une alternative au modèle américain de capitalisme – dans l’objectif de développer une interaction européenne entre la croissance économique et la cohésion sociale – et est caractérisée par l’existence de valeurs sociales communes à tous les Etats membres (démocratie, liberté, dialogue social, égalité des chances, sécurité sociale et solidarité pour reprendre l’énumération de la Commission européenne en 1994). Dans le courant des années nonante et avec les réflexions suscitées par la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs (1989) et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000), ce sont les caractéristiques communes des Etats membres en matière de droit du travail et de droit social qui sont mises en exergue. Depuis, l’usage de cette expression s’est élargi jusqu’à englober la diversité sociale des Etats membres comme richesse européenne à préserver, ainsi que le révèlent les conclusions de la présidence du Conseil européen de Lisbonne de mars 2000. Certains vont même jusqu’à évoquer l’existence de plusieurs “modèles sociaux européens” afin de souligner que c’est la grande diversité sociale qui constitue la règle dans l’Union européenne.

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Cependant, l’expression de “modèle social européen” ne peut pas seulement s’analyser en termes de valeurs et droits européens dits “sociaux” tels qu’exprimés explicitement dans le débat politique européen, elle renvoie également à ce qui peut lier socialement les citoyens européens entre eux, c’est-à-dire l’existence

d’un modèle commun de société exprimant un certain degré de solidarité collective. La citoyenneté européenne ne peut pas se limiter à l’existence de droits octroyés à l’échelon communautaire mais doit inclure également le sentiment d’appartenance et de responsabilité entre citoyens de l’UE, c’est-à-dire la dimension identitaire de la citoyenneté européenne. La construction d’une solidarité européenne constitue donc un enjeu, un enjeu politique et social de taille, puisque c’est elle qui fonde les relations de responsabilité entre les membres d’une société : cette question est non seulement relative à la détermination du niveau de la responsabilité collective (européen supranational, national ou régional) mais également des bénéficiaires concernés (citoyens ou territoires). Dans le cas de l’Union européenne, il s’agit de savoir qui est prêt à être responsable (avec toutes les implications notamment budgétaires) de quoi parmi les échelons locaux, régionaux, nationaux et européens. Il s’agit également de déterminer quelles relations lient les citoyens européens, quelle cohésion sociale les rassemble pour former une société européenne. Une solidarité européene entre les territoires Un coup d’œil sur l’usage du concept de solidarité dans les traités européens (qui définissent le cadre de l’action légale des institutions européennes) met en exergue les controverses qui agitent la définition d’une “solidarité européenne”3. Néanmoins cette analyse révèle une constante dans le discours européen : la

proclamation de la solidarité européenne renvoie toujours à une solidarité entre les territoires, qu’il s’agisse des territoires nationaux ou régionaux. En 1957, l’appel à la solidarité européenne repose sur la concrétisation d’une solidarité de fait entre les Etats membres par le biais de l’intégration européenne. Et depuis 1992, cette solidarité entre les Etats membres se double de l’appel à une cohésion économique et sociale entre les régions européennes. Si la cohésion socio-économique constitue un objectif de redistribution classique en vue d’un renforcement de la solidarité européenne, elle vise à réduire les disparités entre le développement des différentes régions et non à compenser les inégalités sociales entre personnes. La solidarité interpersonnelle au sein d’un groupe (ou d’une société) pour regrouper les individus autour d’une identité partagée et d’intérêts communs – telle qu’elle est pratiquée au sein des Etats membres (via la constitution d’Etats-providence) – n’a pas cours dans le débat européen. L’analyse des politiques européennes dites “de solidarité” pose un constat identique : par ses politiques redistributives d’un côté et sociales de l’autre, l’UE met en œuvre une solidarité plus spatiale que personnelle. Au-delà du processus d’intégration européenne qui a développé une relation globale de solidarité entre les Etats membres, on peut déceler la construction d’une solidarité européenne dans trois politiques de l’UE : la politique agricole commune, la politique régionale (aussi appelée politique de cohésion) et la politique sociale. Les deux premières sont des politiques redistributives alors que la dernière est considérée comme une

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politique de régulation. Les deux types de politiques démontrent chacune la restriction de la construction d’une solidarité européenne aux territoires et non aux personnes. Les politiques de redistribution relèvent de la compétence exclusive de l’UE, ce sont donc des politiques communautaires, décidées au niveau supranational visant à redistribuer une partie des ressources mises en commun par les Etats membres. Par comparaison avec les systèmes politiques nationaux, les ressources financières que l’UE peut envisager de redistribuer sont néanmoins limitées puisque le budget de l’UE est modeste si on le compare aux budgets nationaux4. Cependant, environ 80% du budget européen était dévolu en 2004 aux dépenses en matière de redistribution à raison de 45 % pour la politique agricole commune et 35 % pour la politique régionale5. Les instruments financiers de la politique régionale européenne que sont les fonds structurels génèrent des communautés d’intérêt fondées sur la spécificité de leur territoire en vue de l’attribution des fonds : il y a des alliances entre régions maritimes ou entre régions frontalières par exemple. Le cas de la politique agricole commune est plus délicat puisque la redistribution concerne effectivement des personnes – les agriculteurs – mais considérées en leur qualité d’agents économiques d’un secteur particulier et non comme des citoyens. A l’inverse, la politique sociale européenne n’inclut aucune redistribution entre les citoyens, entre les employeurs et les travailleurs ou entre les riches et les pauvres. Le cœur des pouvoirs redistribu-

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tifs des Etats-providence domestiques – responsables de la fourniture de biens et services sociaux (assurance sociale, santé, éducation, logement…) – reste sous le contrôle des Etats nationaux. C’est pourquoi la politique sociale européenne est considérée comme une politique de régulation visant à compenser les failles du marché et non pas à redistribuer les ressources. La sensibilité politique des questions sociales et la diversité des systèmes sociaux nationaux empêchent une compétence communautaire exclusive en matière sociale. L’intégration européenne reste dès lors marquée par une “asymétrie constitutionnelle” (pour reprendre les termes de Fritz W. Scharpf6) entre les politiques économiques – fortement intégrées – et de protection sociale – maintenue à l’échelle nationale. Dans l’ambition d’améliorer la coordination entre ces politiques, l’UE a élaboré en mars 2000, lors d’un Conseil européen extraordinaire à Lisbonne, un nouveau mode de gouvernance européenne : la “méthode ouverte de coordination”. Néanmoins, cette nouvelle méthode de gouvernance ne vise pas à établir une solidarité supranationale mais à délimiter les différentes solidarités nationales : elle ne cherche qu’à améliorer la coordination entre les Etats membres (via la définition d’objectifs communs et les mécanismes de “benchmarking” et “policy learning”) pour favoriser à terme une meilleure convergence dans la manière de penser les politiques sociales nationales (à défaut d’une convergence dans la façon de mettre en œuvre la protection sociale). Mais rien n’indique que cette convergence vise à plus de solidarité, que du contraire si l’on considère la concomitance des réformes sociales

menées dans les Etats-membres, notamment l’emblématique réforme des pensions, très représentative de la solidarité entre les citoyens d’un Etat... Entre solidarité et compétition européenne des territoires Car s’il n’y a pas de solidarité européenne entre les citoyens, la solidarité européenne entre les territoires elle-même est mise à mal par l’objectif stratégique de compétitivité que s’est fixé l’Union européenne dans la stratégie de Lisbonne, puis dans la stratégie Europe 2020 qui lui succède depuis peu. Dans le contexte du dernier élargissement de l’UE et de la discussion autour de la Directive européenne des services, les appels à une compétitivité accrue ont ravivé le spectre du dumping social interne7, risque inhérent à la compétition intra-européenne : les écarts entre les systèmes sociaux nationaux de l’Europe élargie induisent-ils une pression sur les coûts salariaux et une érosion de la protection sociale des Etats membres ? A ce titre le dumping social constitue un excellent point d’achoppement pour discuter de la confrontation entre solidarité et compétition européennes des territoires. Le dumping social résulte de la volonté d’un Etat ou d’une entreprise de bénéficier d’un avantage comparatif de compétitivité en raison d’une réglementation sociale moins contraignante ou d’une protection sociale moins coûteuse, permettant d’obtenir des baisses de prix des produits à l’exportation et entraînant des distorsions de concurrence assez importantes qui influencent le choix des investissements et réimplantations d’entreprises. Sur le

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plan communautaire, deux thèses s’opposent sur l’effectivité du dumping social intra-communautaire et elles reflètent deux conceptions différentes de l’Europe sociale selon la référence à un “modèle social européen” ou à des “modèles sociaux européens”, c’est-à-dire selon que l’on mette l’accent sur ce qui rapproche les Etats membres en matière sociale (leurs caractéristiques communes qui établiraient la spécificité du “modèle social européen”) ou ce qui les différencie (la diversité de leurs approches et institutions sociales nationales qui constituerait plusieurs “modèles sociaux européens” différents). Pour les uns, le dumping social est un mythe : la relative homogénéité sociale européenne – fondée sur l’existence de niveaux de développement et de protection sociale relativement proches entre les Etats membres – et le fonctionnement du marché unique européen produiraient une harmonisation sociale par le haut et peu de délocalisations d’entreprises. Tant dans le milieu scientifique que le milieu politique, la plupart tendent à distinguer certains éléments communs à tous les systèmes sociaux nationaux qui permettent de définir, à l’opposé du “modèle social américain”, un “modèle social européen” caractérisé par un niveau de rémunération et de protection sociale élevé (valable pour tous les Etats membres). Mais le contenu de ce “modèle social européen” reste pour une part indéterminé : les éléments reconnus communs à tous les Etats membres varient selon les points de vue8. Pour les autres, le dumping social intra-communautaire existe déjà : la

fragmentation sociale de l’UE en coût du travail, droit du travail, protection sociale et rôle des partenaires sociaux influence la stratégie des agents économiques (à la recherche d’un avantage comparatif) et pourrait potentiellement entraîner une délocalisation des entreprises et un alignement vers le bas des législations sociales. Les nombreuses recherches comparatives contemporaines ont effectivement fait la preuve de la variété non seulement des capitalismes en Europe mais également des systèmes sociaux européens, caractérisés par différentes façons aussi bien de faire la protection sociale (variété des institutions) que de la penser (variété des principes et objectifs). Et l’avènement du marché unique en 1992 et de l’Union Economique et Monétaire en 1999, en privant les Etats membres de la zone euro de leur marge de manœuvre monétaire et budgétaire, les pousse à déplacer la concurrence sur le terrain social en utilisant la protection sociale comme une variable d’ajustement de la politique économique, c’est-à-dire en exerçant une forte pression sur les salaires et sur le coût du travail. Cette stratégie induit des risques de distorsions de concurrence (entre les Etats membres adoptant une politique salariale accommodante et les autres) puis de surenchère en vue de limiter la progression des salaires et de réduire les avantages sociaux, sans compter les dégâts sociaux de ces mesures qui font payer la note aux travailleurs. La débâcle des finances publiques grecques au printemps 2010 illustre, elle aussi, les failles du système politique et économique européen : la solidarité européenne

a des limites financières. Le cas grec a souligné la difficulté, pour la zone euro, de trouver des réponses lorsque l'un de ses membres, lourdement endetté, fait face à une crise de confiance. Le nouveau mécanisme de soutien aux Etats membres en difficulté, bricolé à la hâte en marge des traités et voté après des semaines d’atermoiements qui ont mis la Grèce à genoux face aux spéculateurs, est loin d’être satisfaisant. Il est conditionné, d’une part, à un plan d’austérité drastique, aux conditions du FMI dont on connaît la dureté envers les services publics, et, d'autre part, au “ferme engagement d'accélérer l'assainissement budgétaire, dans les cas où cela se justifie”... L’activation du programme de soutien à la Grèce n’est dès lors pas la manifestation d’une solidarité européenne retrouvée. Le Conseil européen l’a décidée contraint et forcé par la chute de l’euro et elle n’a qu’un but prioritaire – stabiliser la zone euro –, dans la droite ligne de l’objectif purement monétaire de la Banque Centrale européenne (assurer la stabilité des prix), contrairement à la Federal Reserve qui inclut également le plein-emploi dans ses objectifs. C’est la même raison qui pousse le Conseil à offrir son soutien à l’Irlande en cette fin d’année 2010. La solidarité européenne : un enjeu politique de taille Il n’y a donc pas une conception de la “solidarité européenne” mais plusieurs qui s’affrontent sur la portée et l’interprétation qu’il faut lui donner. L’absence patente de tout consensus politique en la matière – révélée par les revirements de la portée juridique de cette solidarité européenne

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(d’objectif à principe ou valeur puis à caractéristique commune) – conforte cette vision. On est loin, à l’échelon supranational européen, de l’institutionnalisation d’une solidarité entre les citoyens, semblable à celle qui lie, à l’échelle des Etats-providence nationaux, les personnes reconnues comme membres de la collectivité. Dans un contexte général de globalisation économique, c’est sur le territoire que l’Union européenne met l’accent dans sa construction d’une solidarité européenne et non sur le citoyen, contrairement à la situation nationale où la légitimité des Etats-providence est fondée sur une soli-

darité entre les personnes au sein d’un espace commun. Nous avons mis en évidence l’un des facteurs explicatifs de cet état de fait : l’absence de consensus entre les Etats membres de l’UE sur une harmonisation sociale européenne en raison de la diversité nationale des systèmes sociaux (et donc de la variété des conceptions de la solidarité). A cela s’ajoutent des facteurs complémentaires parmi lesquels la sensibilité politique des questions sociales puisqu’elles touchent au fondement même d’une société (dimension collective de la citoyenneté) et donc constituent un enjeu électoral essentiel dont les Etats membres ne veulent pas se départir (en transférant cette compétence à l’éche-

lon supranational). L’Union européenne jouit ainsi d’une dimension individuelle fragmentaire de la citoyenneté européenne (l’établissement d’élections européennes, l’octroi de droits civils et politiques aux citoyens européens malgré leurs difficultés d’application) mais manque totalement d’une dimension collective de la citoyenneté qui lui permettrait de définir son identité et d’asseoir sa légitimité.

Vaïa DEMERTZIS Chargée d’études à la CGSP wallonne Contact : vaia.demertzis@cgsp.be

1 Cet article est le condensé actualisé de recherches menées à l’Université Libre de Bruxelles en 2006-2007, financées par le F.R.S.-FNRS et parues sous le titre “Vers une solidarité entre les citoyens ?” dans Jenson J., Marques-Pereira B., Remacle E. (dir.), L'état des citoyennetés en Europe et dans les Amériques, Presses Universitaires de Montréal, Montréal, 2007. 2 L’expression de “modèle social européen” est introduite par le Livre Blanc de la Commission européenne “Politique sociale européenne - Une voie à suivre pour l'Union” (COM(94) 333), rédigé et publié sous la présidence de Jacques Delors. 3 Pour une analyse détaillée des textes, voir V. Demertzis, “Vers une solidarité entre les citoyens européens ?”, op.cit. 4 Le budget prévisionnel, pour 2007-2013 finalement accepté au Conseil européen de décembre 2005, est de 862,3 Mds d’euros soit 1,045% du PIB de l’UE. 5 Commission européenne, DG Budget, Rapport sur l'allocation des dépenses de l’UE par Etat membre en 2004, septembre 2005, http://europa.eu.int/comm/budget/library/documents/ revenue_expenditure/agenda_2000/allocrep_2004_fr.pdf (15 mars 2006). 6 Scharpf, Fritz W., “The European Social Model : Coping with the Challenges of Diversity”, Journal of Common Market Studies, vol. 40, no 4, 2002, p.645-69. 7 Par sa construction fondée dès le départ sur le développement d’un marché commun entre Etats membres, l’UE a créé l’existence potentielle d’un double dumping (entre autres social) : un dumping intra-communautaire entre les Etats membres et un dumping extra-communautaire avec les autres Etats de la communauté internationale non membres de l’Union européenne. 8 Pour une revue des débats, voir Jepsen, Maria et Pascual, Amparo Serrano, “The European Social Model : an exercise in deconstruction”, Journal of European Social Policy, vol. 15, 2005, p.31245.

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L’équipe de la Boutique d’Emploi soutient des personnes exclues d’un système qui continue de se fissurer d’un peu partout. Exclues, c’est d’abord du circuit du travail mais nous rencontrons maintenant davantage de personnes qui ne parviennent plus à réintégrer le monde du travail et sont alors éjectées du système global.

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e risque aussi pour ces personnes est d’entrer dans un groupe d’appartenance d’où il leur sera difficile de sortir, c’est le groupe des personnes qui présentent des troubles psychologiques en tout genre et qui viennent questionner l’identité de l’individu mais également celle de la société. Nous avons de moins en moins de prises sur ce niveau d’exclusion.

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Présenter les implications concrètes de la Boutique d’Emploi dans la lutte contre l’exclusion sociale doit se faire en intégrant nos différents constats. Ceux-ci interrogent directement le sens de nos démarches et nous invitent à réfléchir, sans perdre de temps, à nos actions futures et à notre participation aux dispositifs de lutte contre l’exclusion. Depuis plus de dix ans, la Boutique d’Emploi s’est attelée à fournir principalement aux chercheurs d’emploi un soutien tant au niveau des conseils que d’une infrastructure mise gratuitement à leur disposition. Quels sont ces services ? La Table d’Emploi joue un rôle de soutien matériel par la mise à disposition des outils de recherche : PC et Internet, téléphones, journaux, documentations spécialisées, timbres, etc. Cette Table d’Emploi vise donc à apporter aux chercheurs d'emploi un accompagnement technique et à soutenir le public moins autonome dans leur démarche de recherche d’emploi. La collaboration avec ACTIRIS (l’Office Régional Bruxellois de l’Emploi) nous a

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conduits à mettre en place deux autres services :

démarches juridiques lors de situations de surendettement.

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Tout d’abord, un Accompagnement pour un Public Spécifique. Ce service entre dans le cadre de l’insertion socioprofessionnelle. Il propose une guidance sociale et professionnelle destinée aux chercheurs de longue durée, infra scolarisés, en difficultés psychosociales, administratives, et qui peuvent rencontrer d’autres obstacles chroniques qui entraveraient la recherche d’emploi.

Historiquement, c’est principalement l’emploi qui a défini l’identité de la Boutique d’Emploi mais, très rapidement, nous avons mis en place deux autres services qui devaient répondre aux besoins croissants du public que nous rencontrons.

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L’autre service proposé en collaboration avec ACTIRIS est celui de la Recherche Active d’Emploi. Il doit permettre aux chercheurs d'emploi qui ont la possibilité de mobiliser rapidement leurs ressources d'établir un bilan personnel et professionnel, de reprendre confiance en leurs compétences et qualités, de cerner et préciser leurs objectifs professionnels, d’acquérir des techniques efficaces (CV, lettre de motivation, entretien téléphonique et d’embauche…), de structurer leur recherche et de disposer gratuitement d'une infrastructure. Cette activité se déroule en groupes ou de manière individuelle. Le troisième service qui a été mis en place à la Boutique d’Emploi est celui des Consultations Juridiques. Il s’agit ici de clarifier les questions d’ordre juridique du public dans différents secteurs du droit : droit commercial, financier, familial, locatif,…Aujourd’hui ce service apporte un support d’informations aux différents services de la Boutique d’Emploi concernant divers aspects juridiques : droit des étrangers, du travail,… Enfin, il assiste le Service de Médiation de Dettes dans les

Un service de Soutien Moral et Psychologique : il s’agit ici de proposer en première ligne un lieu d'accueil et d'écoute général de toutes difficultés d'ordre psychologique pour toute personne en éprouvant le besoin. Les difficultés rencontrées sont souvent d’ordre relationnel, familial, mais avant tout elles sont liées à de l’angoisse, de l’isolement, des états dépressifs… Enfin, un Service de Médiation de Dettes qui a pour objectif de rétablir la communication entre les débiteurs et les créanciers, de mettre en place un accompagnement budgétaire et un plan de remboursement pour toute personne en situation de surendettement. Voila donc la cartographie des services actuellement proposées à la Boutique d’Emploi. Une méthodologie laïque Tous ces projets ont une méthodologie commune qui essaie de répondre idéalement à l’émancipation de chacun et de développer son autonomie. • En partant des ressources et des expériences de chacun, en considérant que

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• En amenant chaque personne à communiquer et collaborer en activité de groupe pour mettre en lien et reconnaitre les différences qui émergent… et enfin, pour construire une identité de groupe ou chacun trouve sa place en fonction de ses différences.

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On part donc du principe que l’émancipation passe par des aspects de reconnaissance des ressources individuelles, de l’expérience de la différenciation et de la place qu’on attribue à chacun. Annonçons d’ores et déjà qu’il nous est de plus en plus difficile d’atteindre ces objectifs. Pourquoi ? Parce que même si vous faites émerger un savoir, que vous le reconnaissez, va-t-il forcement rencontrer une réponse à l’extérieur. Trouve-t-il un moyen de s’exprimer ? Constats, interrogations et pistes Selon les indicateurs actuels, le seuil de risque de pauvreté correspond à un revenu de 900 euros par mois pour un isolé. En Région bruxelloise, 26 % du public sont sous ce seuil... Ce public nous le rencontrons à la BE, il fait malheureusement partie de nos statistiques dans les mêmes proportions. Et tous les autres ? 18 % sont au CPAS. Nous sommes en contact avec une autre catégorie de précarisation dont le risque de basculer un jour sous le seuil est tout aussi important. On est donc à nos yeux au chiffre de 44 %... Les 56 autres

pourcents bénéficient quant à eux d’un CCI (Chômage Complet Indemnisé). En conclusion, plus de deux personnes sur cinq qui entrent à la Boutique d’Emploi vivent dans la précarité et, en imaginant aisément que le CCI ne garantit en rien de ne pas s’y retrouver, on entrevoit bien entendu des chiffres bien plus important que ceux annoncés. La question que nous sommes en droit de poser est, en fin de compte : comment notre société en vient-elle à fabriquer de la précarité en masse et à quoi ça sert ? A l’heure actuelle, trouver un emploi relève d’un sacré défi, au point que nous pouvons lire ou entendre dire parfois que l’insertion par le travail n’est pas une option réaliste, que notre identité ne se construit pas qu’à travers le travail1, que nous devons nous centrer sur la construction de liens sociaux à travers des projets déliés de la sphère professionnelle, que le volontariat peut constituer un mécanisme d’insertion2, etc. Ces remarques ne relèvent-elles pas surtout d’un aveu d’impuissance des services sociaux toujours plus nombreux à chercher des moyens d’insertion et d’accès à l’emploi ? La complexification de la recherche d’emploi et des outils utilisés peut déjà être interprétée comme un signe de la rareté de l’emploi. Remarquons ici qu’il est facile de tomber dans la lecture selon laquelle “si tu n’as pas de travail, c’est que tu n’as pas les bons outils ou que tu ne recherches pas convenablement”. Dans cette optique, on va tout de suite s’atteler à rechercher la cause à l’intérieur de l’individu.

Bien qu’avoir du travail ne garantisse pas de sortir d’une certaine précarité, sans lui c’est peut-être une précarité en cascade qui risque de s’installer : précarité économique, précarité des liens sociaux et, pourrait-on ajouter, précarité au niveau de la santé, précarité culturelle également… favorisant le repli sur soi. Notre société met en place des structures de soutien à la recherche d’un emploi de plus en plus rare… Une mission qui devient tout aussi impossible pour le travailleur social et les institutions qui le placent dans une situation très inconfortable. Les résultats à atteindre ne sont pas conformes à la réalité de terrain mais, surtout, nous nous retrouvons dans un réseau où la mise en compétition entre partenaires sociaux signe une reproduction d’un modèle plus général. Les actions sociales ne sont donc pas épargnées par une logique de concurrence dans une certaine croissance coupée du bon sens. Une autre question posée est : comment pouvons-nous véritablement agir une solidarité si elle est à ce niveau contaminée par des intérêts qui la dépasse ? Pour revenir un peu sur notre modèle de fonctionnement, il semble qu’on se retrouve finalement dans un système qui s’auto-entretient, qui s’auto-alimente. D’une part, on crée un système d’aide avec ses effets pervers. Certaines personnes nous expliquent, comme de véritables spécialistes du travail social, les inconvénients d’accepter un travail car, avec celui-ci, elles perdraient un tas d’avantages qu’elles connaissent excessivement

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bien et dont elles bénéficient en étant au CPAS par exemple… ou d’autres encore dont la recherche active vise davantage à accéder au statut octroyé par le CPAS qu’à trouver un emploi. On observe aussi depuis de nombreuses années une sorte de parcours qui consiste avant tout à bénéficier d’une aide sociale et au cours duquel se développe une construction identitaire qui a l’air de faire le deuil d’une identité construite sur un certain développement personnel lié à l’emploi réalisé. D’autre part, le travail, quand il est disponible, demeure quand même précaire lui aussi et donc il vaut mieux vaut rester au CPAS ou au CCI que de s’y astreindre car il y a finalement moins de risque de perdre ce statut qu’un futur travail ! Ces deux niveaux se renforcent l’un l’autre et, comme il y a de plus en plus de personnes inoccupées, la société crée des systèmes de remise à l’emploi voués à des difficultés sans cesse grandissantes. Donc, tout ce public fragilisé se retrouve à côtoyer des institutions qui leur rappellent leur statut dont ils ne se déferont plus facilement, des institutions qui leur proposeront des activités qui les rassemblent pour soutenir leur identité… mais laquelle ? C’est un peu de cette manière qu’on retrouve des demandeurs “chroniques”, des dépendants de nos services, que nous participons parfois à fabriquer. Nous devenons, peut-être malgré nous, acteurs de chronicisation de ces états. On voit bien dans ce schéma que pour se

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construire une autre parcelle de notre identité, il est primordial de s’extraire d’un tel système. Il faut remarquer aussi que le manque d’emploi provoque à la longue une pression sur les autres groupes auxquels la personne appartient. Ainsi, la personne exclue du système attendra plus de choses venant du couple, de la famille, des amis… Ce qui éprouve les relations existantes et provoque parfois des crises inattendues. Le manque d’appartenance professionnelle conduit très rapidement à un processus de dévalorisation de soi pouvant aller parfois jusqu’au suicide. Ce principe de dévalorisation, nous le retrouvons aussi dans les situations qui émergent maintenant régulièrement dans certaines entreprises où l’individu se suicide au travail… Cela ne laisse pas véritablement beaucoup de choix à l’individu, non ? Pour conclure, revenons à notre question de départ : à quoi sert de fabriquer cette précarité de masse, sinon à maintenir, à préserver et à alimenter cette idée selon laquelle nous devons intégrer le modèle de réussite et de responsabilité individuelle exempte de tout rapport à notre environnement. Et répondre finalement à l’idée qu’on puisse ériger le modèle de l’intérêt particulier à son apogée au détriment des autres et de la valeur humaine. L’homme devient ainsi, dans ce système, une sorte de produit recyclable ou non et déshumanisé. On assiste de la sorte à un phénomène social et culturel où l’individu, qui baigne dans un océan d’individualisme et de

primat de l’intérêt particulier, recherche un sens à sa vie complètement déconnecté de son environnement qui, en retour, ne lui donne pas l’occasion de se connecter. On ne doit pas s’étonner dès lors que les groupes qui proposent de se relier à travers des messages extrêmes aient tant de succès. Comment sortir de cette sclérose ? Il est un fait certain : nous devons continuer nos actions, répondre aux différents besoins qu’expriment les citoyens par leur détresse. Agir bien entendu sur d’autres champs aussi tels que l’éducation et la formation… Mais, aujourd’hui, il y a urgence, nous devons prendre un autre risque, celui d’agir à un autre niveau. Gardons en mémoire le principe selon lequel notre manière de vivre, nos moyens de production et de consommation, doivent être repensés. La laïcité doit être aussi présente sur un autre terrain, celui de la création d’emploi et de construction de leviers utiles pour le rendre déjà plus accessible. Il importe aussi de mettre l’accent sur sa valorisation à tous les niveaux et de l’humaniser. Rendre ces niveaux indissociables pour imaginer et surtout mettre en place une autre manière de vivre. C’est à ce prix que nous pourrons donner l’opportunité à chacun d’exprimer et de proposer à la société ce qu’il a de meilleur en lui. On peut prendre une place dans la société lorsque les autres autorisent, encouragent et mettent en œuvre les moyens pour créer de la place.

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Le travail reste encore primordial pour la socialisation et l’émancipation des individus mais c’est plutôt sa redéfinition dans un contexte global qui devrait être l’enjeu de demain. Le travail ne doit pas être le bouc émissaire de nos difficultés, il est ce que nous voulons qu’il soit dans les travers du fonctionnement général de notre société. Mais aujourd’hui, la société a peut-être perdu le pouvoir de rêver et de se donner les moyens de changer les choses en intégrant ce qui essentiel, l’humain. La pauvreté touche toute notre planète. Malheureusement c’est elle qu’on a choisie pour être universelle. Pour terminer, rappelons-nous l’étude menée par l’université des Nations Unies : 2 % des adultes dans le monde possèdent plus de la moitié de la richesse mondiale. “L'étude la plus approfondie jamais entreprise sur la richesse personnelle révèle aussi que 1 % des adultes les plus riches possédaient 40 % de la richesse totale dans le monde en 2000 et que 10 % des plus riches détenaient 85 % de la richesse mondiale”2. Ricardo LÉONARD Coordinateur de la Boutique d’Emploi 1 Nous sommes bien d’accord sur ce point mais pas pour autant convaincu par l’idée, de plus en plus répandue, que nous n’avons plus besoin d’appartenance professionnelle pour construire notre identité. 2 Est-ce pour cela que l’année européenne du volontariat succèdera à celle de la lutte contre la pauvreté ? 3 http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=1331 5&Cr=UNU&Cr1

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Cela fait plusieurs années que les CPAS – flamands, wallons et bruxellois – dénoncent d'une seule voix leur manque criant de moyens et les missions toujours plus lourdes qu'ils se voient confier. Ultime filet de protection sociale, lors de la dernière régularisation des sans-papiers ou, plus encore, face à l'exclusion exponentielle de chômeurs par l'ONEm, ils ont encore rappelé avec force qu'ils ne pourraient pas

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pallier tous les problèmes de société, ni “tout ce qui avait échoué en amont”.

Une version longue de ce texte paraîtra sur http://das.babelleir.be/

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n ne peut que les soutenir dans cette légitime protestation et lorsqu'ils en appellent au niveau fédéral, lequel se défausse de plus en plus sur eux. Toutefois, même s'il existe heureusement des exceptions, cette situation les amène trop souvent à répercuter ce régime de disette sur les allocataires, en se faisant à leur tour des gestionnaires de plus en plus sélectifs et arbitraires de l'aide sociale. Le tout, selon une logique qui s’inscrit dans le droit fil de l’État social actif, celle-là même qu’ils condamnent en chœur dans le chef de l’ONEm…

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C'est à l'orée de la crise, en 1976, que les Centres Publics d'Aide Sociale ont été instaurés en remplacement des antiques Commissions d'Assistance Publique. Deux ans auparavant, avait été créé le Minimex, “minimum de moyen d'existence”, lequel rompait avec la logique caritative qui avait prévalu jusque-là, en reconnaissant et consacrant désormais une dette de la société envers ses exclus. Pour peu que le demandeur soit réellement en “état de nécessité”, cela non “délibérément et de son propre chef”, qu'il n'ait pas de parents directs (ou d'enfants) aptes à le prendre en charge (“obligation alimentaire” découlant de cette solidarité familiale imposée) et, enfin, qu'il fasse preuve d'une “disposition au travail” (autrement dit soit prêt à chercher et/ou accepter un travail pour subvenir à ses besoins), le “droit à un revenu” de substitution lui devenait acquis. Mais, en 2002, sous l'égide de Johan Vande Lanotte, une importante contreréforme a complètement changé la donne, revenant sur certains des aspects les plus progressistes du régime en vigueur, qui

avait pourtant dans l'ensemble donné satisfaction pendant un quart de siècle et empêché bien des drames sociaux. De l'aide à l'“action” sociale... Aux termes de cette nouvelle loi sur les Centres Publics d'Action Sociale, l'usager a désormais droit à “l'intégration sociale”, laquelle “peut prendre la forme d'un emploi et/ou d'un revenu d'intégration sociale” (le R.I.S, qui a remplacé le minimex). Ainsi, non seulement le droit à un revenu n'est plus garanti, mais en outre, pour reprendre les termes d'une responsable de CPAS1 : “la réforme de 2002 a clairement accentué l'aspect de subjectivité, en imposant via les Projets Individualisés d'Intégration Sociale (PIIS) toute une série d'obligations supplémentaires, en termes de formation et/ou de recherche d'emploi, dont le non-respect peut entraîner la suspension totale ou partielle de l'aide”. Ce changement de paradigme s'inscrit explicitement dans la logique de l'Etat Social Actif, la nouvelle religion en matière de sécurité et d'aide sociales, impulsée au niveau européen à partir de l'“exemple” anglais. A savoir, d'une part, le dogme de “l'employabilité” à marche forcée et, d'autre part – et en conséquence –, une conditionnalité accrue et une “contractualisation” de l'aide sociale, laquelle ne serait plus un droit, mais devrait désormais “se mériter”. Significativement, la réforme Vande Lanotte a d'ailleurs précédé de deux ans et pavé la voie à celle du régime de chômage par Frank Vandenbroucke – le soi-disant “Plan de contrôle de la recherche active

d'emploi”, en abrégé “plan de contrôle et de suivi des chômeurs” – qu'avec de nombreux autres acteurs sociaux et syndicaux, notre Collectif a d'emblée dénoncé comme une authentique “Chasse aux Chômeurs”. Arbitraire et opacité Si la traduction concrète de la réforme des CPAS est moins unilatéralement dévastatrice que celle de l'assurance chômage, le cadre légal et réglementaire de l'octroi de l'aide sociale est beaucoup plus flou et sujet à interprétation que celui de l'ONEm, nettement plus transparent. De surcroît, au nom de la sacro-sainte autonomie communale des CPAS, chacun d'entre eux a une large latitude dans l'application de cette aide. En conséquence, c'est la bouteille à encre et on ne peut tirer aucun bilan global de cette réforme sur le terrain, sous l'angle de ses effets pour les allocataires. Une chose par contre est sûre : sur base des “coups de sonde” que nous avons pu effectuer et des informations qui nous parviennent de divers bords, les pratiques sont extrêmement variables d'un CPAS à un autre – voire, en leur sein, d'un service et d'un assistant social à un autre, le pire côtoyant le meilleur. Ce qui, sous l'angle du droit, pose évidemment un problème fondamental en termes d'égalité des citoyens devant la loi. Selon que vous serez puissant ou misérable... Iniquité encore renforcée par l'effet pervers de cette organisation au niveau communal. Car il va de soi que les CPAS les plus en difficulté sont ceux des communes les plus

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pauvres, souvent elles-mêmes en faillite virtuelle et sous tutelle régionale, cumulant donc deux désavantages : une importante population précarisée et, leur assiette fiscale étant par définition bien moindre, des moyens budgétaires toujours en retard d'une guerre. Autrement dit, le système reproduit et accentue même l'inégalité entre communes riches et pauvres, et la solidarité nationale et régionale est toujours plus mise à mal. Ce que Claude Emonts, le président de la Fédération Wallonne des CPAS et président de celui de Liège dénonce comme “une localisation rampante de la pauvreté”, par laquelle l'Etat fédéral se déleste de ses exclus vers l'échelon institutionnel le plus faible. Diète sévère pour les CPAS... Dans ces conditions, quels que soient les griefs fondés que l'on peut adresser à certains CPAS dans leurs pratiques, il ne faut pas que l'arbre cache la forêt. Au-delà des dérives de tel ou tel CPAS ou des dérapages de l'un(e) ou l'autre de ses agents, le fond du problème est cette pénurie structurelle, financière, matérielle... et humaine, dans laquelle ils se débattent. En tout cas dans les grandes villes, et surtout à Bruxelles, la plupart vivent en effet un déficit récurrent de personnel par rapport au cadre légal, les candidats ne se bousculant pas aux portillons d'institutions réputées pour leurs conditions de travail peu attractives, également sur le plan salarial – lesquelles entraînent aussi un énorme turnover, déstructurant et ralentissant encore plus le travail. Le cercle vicieux et la quadrature du cercle...

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Le problème est que, pour tenter, sinon de s'en sortir, du moins de tenir, étranglés et dotés de budgets chroniquement insuffisants face à l'afflux de demandes, en ces temps de crise énergétique, économique et sociale, de plus en plus de CPAS en viennent à opérer une sélection de plus en plus drastique de leurs bénéficiaires, et ce, on l'a vu, sur des critères très arbitraires. ... Régime de famine pour les allocataires C'est ainsi par exemple qu'il y a un peu plus d'un an, la nouvelle majorité dirigeant le CPAS d'Anderlecht a décidé de supprimer l'octroi de la carte médicale aux femmes enceintes et à leurs nouveaux nés, au motif qu'il ne s'agit pas de “malades”. Ou qu'en avril dernier, le CPAS d'Ixelles a décrété que tous les allocataires (ou les membres d'un ménage) dont le revenu (allocations familiales comprises), une fois déduits leur loyer et leurs charges de gaz et d'électricité, atteint ou dépasse dix euros par jour, doivent en principe être à même de subvenir seuls à leurs soins de santé. Des demandes de dérogation peuvent certes être introduites auprès du Comité Spécial mais y font alors l'objet d'un examen très pointilleux et sévère – recours des plus aléatoires, vu l'important taux de rejets. Cela alors qu'auparavant, la seule condition pour bénéficier de l'octroi automatique de la carte médicale était de ne disposer au total que d'un revenu inférieur à une fois et demi le montant donnant droit au RIS ou à une aide équivalente. Un retrait qui a touché un nombre qu'on sait déjà important d'allocataires, dont une majorité de (très) petits pensionnés.

Ce ne sont là que deux cas parmi bien d'autres de ce vent de “rigueur” qui souffle sur les CPAS. Et même chez des mandataires plutôt progressistes, on voit s'insinuer cette idée d'une aide conditionnelle et conditionnée, sujette à contrepartie, dans une relation soi-disant “contractuelle”2. Ainsi, a-t-on vu, il y a quelques années, une présidente Ecolo supprimer le RIS aux étudiants dépendant de son CPAS durant les grandes vacances, au motif qu'ils n'avaient qu'à se trouver un job “comme le faisaient nombre de leurs semblables”, quand bien même les intéressés avaient une seconde session. Au-delà de ces cas symptomatiques, plus globalement, s'il est déjà difficile de connaître le nombre, le montant et la nature des aides allouées par chaque CPAS, il est franchement impossible de savoir combien d'allocataires sont sanctionnés ou exclus. Sans parler de ceux qui sont tout simplement refusés “à l'entrée”, souvent de façon tout à fait abusive. Tels ces CPAS qui s'alignent purement et simplement sur les décisions d'exclusion de l'ONEm, considérant que celles-ci suffisent à désigner les demandeurs qui les ont subies comme des éléments faisant preuve d'une mauvaise volonté (voire d'une mauvaise foi) dans leur recherche d'emploi, et leur opposent dès lors d'emblée une fin de non recevoir. L'ère du soupçon généralisé Le tour de passe-passe consiste à assimiler le motif le plus courant d'exclusion de l'ONEm : une prétendue “non disponibilité sur le marché de l'emploi”, à une des conditions requises dans la législation sur les CPAS pour l'octroi d'une aide sociale,

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laquelle dans son intitulé semble similaire, mais qui en diffère fortement : la fameuse “disposition au travail”. Or, la loi stipule clairement que chaque nouvelle demande d'aide doit faire l'objet d'un examen indépendant et à part entière. Le fait d'adopter purement et simplement le point de vue de l'ONEm sans autre forme de procès est donc une grave entorse à la loi. Une pratique pourtant naguère d'usage courant mais qui semble heureusement en recul, depuis qu'elle a été dénoncée par des travailleurs ou des mandataires de CPAS (encore que, tout laisse à croire qu'elle soit discrètement encore d'application en de nombreux endroits).

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Dans un registre moins scandaleux, mais qui pose néanmoins sérieusement question, beaucoup de CPAS exigent du demandeur qu'il produise des preuves des efforts qu'il a entrepris pour tenter de se sortir de sa situation précaire avant même de venir frapper à leur porte. Si le “malheureux” ne peut fournir un dossier jugé convaincant, ne fût-ce que parce qu'il a été accaparé par sa lutte pour la survie, ou simplement pour se retourner (après un divorce, une perte de logement, une exclusion du chômage...), il y a fort à parier qu'on jugera sa demande irrecevable au prétexte de sa trop grande “indolence” ou son manque “d'initiative”.

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Mais il arrive aussi que ce soit au contraire le fait que le demandeur soit parvenu, à force d'expédients, à survivre quelque temps avant de s'adresser au CPAS qui soit retenu à charge contre lui comme cause de refus ! Implicitement, on suppose qu'il a une source de revenu cachée, que ce soit un travail au noir ou un soutien fami-

lial. On est donc dans une logique parfaitement kafkaïenne : si l'on fait preuve de “débrouillardise”, on est un fraudeur potentiel, si par contre on n'a ni le ressort, ni les ressources pour assurer sa survie, on se voit reprocher d'être un parasite. Ajoutez-y que cette approche “rétroactive”, par laquelle on juge le “mérite” du demandeur dans la période précédant sa demande, est en soi très contestable, et d'ailleurs contestée sur le plan juridique. Car ce qu'on juge alors, ce n'est pas la “disposition à travailler” au moment de l'introduction de la demande comme le prescrit la loi. On s'en doute : si dans un tel cas de figure, la demande émane d'un exclu du chômage, la tentation de donner raison d'office à l'ONEm, même si c''est de façon voilée, est encore plus forte. Bref, on baigne plus que jamais dans un climat de suspicion, tout demandeur étant un présumé paresseux ou fraudeur. Une “ère du soupçon” qui n'est d'ailleurs pas l'apanage des CPAS, mais est dénoncée par tous les acteurs du social et de la santé, reflet de l'idéologie de “l'activation” à tout prix et à tous les étages. Le moindre paradoxe n'est pas que les CPAS critiquent par ailleurs la Chasse aux sorcières menée par l'ONEm, non seulement parce qu'ils se voient refiler la patate chaude et doivent en payer partiellement la note3, mais en fustigent souvent aussi la méthode, s'indignant du “profil” souvent “border-line” des chômeurs exclus qui leur parviennent et/ou des motifs souvent dérisoires et implacables des sanctions. Certains, parmi les plus radicaux de leurs porte-paroles, réfutent même jusqu'à la

logique en tant que telle de l'Etat Social Actif4, menant à ces décisions inhumaines... Alors que, sur le fond sinon dans la forme, ce sont les mêmes mécanismes de contractualisation, de contrôle et d'exclusion que reproduisent les CPAS, certes à une moindre échelle, vis-à-vis de leurs propres publics... Comprenne qui pourra. Ou plutôt, on comprend trop bien ce “deux poids, deux mesures”, selon que cette logique les serve ou les desserve.

Denis DESBONNET Collectif Solidarité Contre l’Exclusion

1 Sauf mention contraire, les témoignages et citations sont extraits des nombreux numéros de la revue Ensemble ! publiée par le Collectif Solidarité Contre l’Exclusion pour lequel l’auteur travaille et milite. Tous les numéros sont consultables sur le site : http://www.asbl-csce.be 2 Ce que nombre d'observateurs contestent comme un leurre, faisant à juste titre remarquer qu'il ne peut être question de contrat, autre que léonin, entre des « demandeurs » en situation d'extrême nécessité et une institution dotée d'un terrible pouvoir de contrainte et de chantage, quant à la satisfaction de besoins élémentaires, voire vitaux... 3 Mais partiellement seulement : d'après une étude menée par Ricardo Cherenti, en Wallonie, seuls 38 % des exclus de l'ONEm aboutissent au CPAS, tandis qu'une autre recherche menée, elle, au niveau national, conjointement par le HIVA (KUL) et METICES (ULB) et publiée en septembre 2009, portant sur la période du début 2005 à la fin 2007, arrive à des chiffres encore bien plus inquiétants : seuls un peu plus de 10 % des exclus seraient “repêchés” par les CPAS. La question à (t'as pas) cent balles : qu'advient-il des autres ? Sans doute pour une part, survivent-ils de la “solidarité familiale”, encore plus contrainte, d'autres via le travail au noir et, pour les plus démunis, ils doivent constituer une part de celles et ceux qui font la manche dans les métros... voire le tapin, surtout (mais pas seulement) pour les femmes. Sans compter ceux qui crèvent purement et simplement en rue quand le thermomètre tombe sous zéro... 4 Tel Ricardo Cherenti, responsable de l'insertion socioprofessionnelle et chef du bureau d'études de la Fédération Wallonne des CPAS, qui ne mâche pas ses mots pour déconstruire et pourfendre cette régression et l'idéologie moralisatrice et antisociale qui l'inspire.

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A l’occasion de la journée mondiale du refus de la misère, fixée depuis 1987 au 17 octobre, Bruxelles Laïque et le Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté se sont associés à une initiative proposée par le CPAS de Saint-Gilles. Autour d’une exposition du photographe Michel Loriaux, d’un petit reportage de Bruxelles Laïque et du symbole de la journée mondiale – des draps blancs noués accrochés aux façades – les habitants de Saint-Gilles ont été conviés à échanger autour des différents niveaux de richesse et de pauvreté qui se côtoient sur le Parvis de Saint-Gilles, un carrefour de la vie et de l’histoire saint-gilloise.

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e projet fut l’occasion pour nos deux associations d’approfondir leurs liens et de souligner des convergences d’approches, de méthodologies et de revendications. En effet, le Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté (FBLP) et Bruxelles Laïque (BL) se connaissent de longue date, s’échangent leurs informations, fréquentent les mêmes réseaux, ont des administrateurs communs,… mais ne s’étaient pas rencontrer récemment en vue d’actions communes.

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Suite à la journée mondiale et dans le cadre thématique de ce dossier de Bruxelles Laïque Echos, nous présentons donc le Forum et ses lignes de convergence avec Bruxelles Laïque afin de nous mettre “en mouvement” vers de nouveaux partenariats. Articuler l’hétérogène sans verser dans la superficialité Le FBLP a pour objet social la mise en réseau des acteurs de la lutte contre la pauvreté travaillant en région bruxelloise ainsi que la transmission de leur parole vers le politique. De par la variété des associations, ce contexte d’action est particulièrement complexe. La lutte contre la pauvreté intéresse en effet une multitude d’acteurs de natures très disparates : à titre d’exemple, citons les associations spécialisées dans la prise en charge des sans-abris, les acteurs de la santé et de la santé mentale, les représentants des usagers des CPAS ou des allocataires de l’assurance chômage, les spécialistes du travail communautaire, de l’interculturel ou encore les diverses

fédérations travaillant en deuxième ligne. La lutte contre la pauvreté est un domaine transdisciplinaire qui oblige le FBLP à se constituer en tant que lieu de rencontre d’organisations et de personnes venant de milieux parfois assez distants aussi bien du point de vue de la nature de leurs composantes que des méthodes de travail utilisées. L’hétérogénéité et la complexité constituent donc un véritable défi dans la mesure où leur gestion ne doit pas se traduire dans la négation des spécificités des différentes composantes du FBLP. Le forum se trouve donc confronté à une double difficulté. En premier lieu, mettre en réseau ne doit pas signifier réduire les différences et les contrastes. En second lieu, faute de compétences spécifiques, le FBLP ne doit pas poser un regard superficiel sur les diverses problématiques abordées par ses membres. BL se trouve, à sa manière, face à des ambitions et des difficultés similaires. Ce n’est pas tant au niveau des acteurs – au profil laïque relativement proche – employés ou fédérés par la régionale bruxelloise du Centre d’Action Laïque qu’au niveau de la diversité des actions menées que se situent les défis. Alphabétisation, apprentissage du français pour les primo-arrivants, ateliers d’aide à la réussite, insertion socioprofessionnelle, médiation de dettes, médiation interculturelle, soutien psychologique et moral, organisation de cérémonies laïques, travail socioéducatif en milieu scolaire, formation des acteurs associatifs, éducation permanente, analyses et publications sociopolitiques, organisation de débats, colloques ou

tables rondes, proposition d’activités culturelles liées aux droits humains, Festival des Libertés,… il importe d’articuler la cohérence d’un tel éventail d’activités ! Certes, elles s’inspirent toutes des principes laïques et du projet de contribuer au développement d’une société plus juste faite d’égalité, de liberté, d’autonomie, de solidarité, de reconnaissance et de participation mais encore faut-il les mettre en lien, les agencer concrètement, en tenant compte des spécificités de chacune et sans qu’elles ne se fassent de l’ombre. D’où l’importance d’une approche globale, transdisciplinaire et intégrée. En outre, les thématiques travaillées par les animations, formations ou analyses sont, elles aussi, multiples et variées : l’école, les médias, la communication non violente, les lois antiterroristes, la gestion de la diversité, la normalisation psychiatrique, la prison, les migrations, le logement, … BL ne peut prétendre maîtriser toutes ces questions aussi profondément que les associations ou chercheurs qui en ont fait leur objet spécifique. Mais elle ne peut se contenter d’une approche superficielle. Face à ces enjeux, les deux associations ont développé des méthodes de travail analogues et qui pourraient s’enrichir mutuellement. Pour réduire l’hétérogénéité ou la distance entre les membres du FBLP et les différents secteurs de BL, il faut permettre à chacun de connaître les activités des autres et favoriser la création de liens. Il importe de valoriser le travail de

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chacun, tant en interne que dans la communication externe. Le développement de projets communs, lorsqu’il n’empiète pas sur le travail de chacun mais lui donne sens, est un excellent moteur de cohésion. Pour réduire les risques de superficialité des approches, il faut entreprendre une démarche d’accumulation d’expertises spécifiques dans les divers domaines concernés. Cette accumulation se fait à travers un développement progressif par projets. Chaque projet a pour objectif d’approfondir la connaissance d’une problématique spécifique. Ils se mènent en collaboration avec les secteurs de BL ou les organisations – membres du FBLP ou proches de BL – spécialisés dans les thématiques. Il importe ensuite de souligner l’interdépendance entre le sujet de tel projet et les autres problématiques envisagées, en soulignant combien toutes les questions s’imbriquent les unes dans les autres selon une logique de puzzle ou de poupées russes. Les résultats des observations effectuées lors de la mise en œuvre des projets doivent être traduits en un discours structuré, évaluatif, représentatif des acteurs, politiquement et pédagogiquement compréhensible. Il importe de diffuser l’expertise construite grâce aux projets, les discours structurés et les propositions politiques à travers une politique de communication verticale (vers le politique) et horizontale (vers le réseau ou l’ensemble de l’association). L’idéal étant que chacun se reconnaisse dans la communication verticale et puisse accéder à l’expertise accumulée au travers des projets.

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Les revendications et recommandations du FBLP Les analyses et revendications de BL en général sont relativement connues des lecteurs de Bruxelles Laïque Echos. Celles qui concernent la précarisation croissante que connaît notre société font l’objet du présent numéro. Nous présentons donc ici celles du FBLP. Soulignons néanmoins que le FBLP et BL ont encore en commun leur approche globale et structurelle de la pauvreté et s’intéressent donc davantage aux processus de précarisation qu’à l’état de pauvreté, aux politiques générales à mettre en place pour lutter contre celle-ci et non aux sparadraps à apposer afin de rendre la pauvreté moins visible. En matière de politiques de l’emploi et dans le cadre du Plan fédéral de lutte contre la pauvreté, le FBLP a piloté la table ronde “Emploi, non emploi et pauvreté dans les grandes villes”. Organisée dans le cadre de 2010, année européenne de lutte contre la pauvreté et au courant de la Présidence belge de l’Union européenne, la table ronde a permis de transmettre vers les instances fédérales et européennes les contenus des travaux du FBLP. Issues d’un travail de collaboration entre le FBLP, les associations spécialisées partenaires et les experts universitaires, le rapport final constitue aussi bien un instrument analytique soulignant les difficultés liées au monde du travail bruxellois qu’un cahier revendicatif demandant des mesures telles que l’abandon des pratiques actuelles d’activation des chômeurs ou la suppression du statut de cohabitant.

Un autre chantier important en matière de lutte contre la pauvreté est celui qui touche à la problématique scolaire et à la pauvreté infantile. L’accrochage scolaire reste un des enjeux majeurs de la lutte contre la pauvreté infantile. Depuis les années ’70, les écoles de devoirs en ont fait leur cheval de bataille. Mais aujourd’hui, on peut déplorer qu’elles s’écartent d’un rôle qu’elles sont pourtant presque les seules à jouer : l’accrochage scolaire des enfants pauvres par l’aide aux devoirs. C’est le résultat d’une étude à paraître, menée par le Forum bruxellois. Au-delà de la question du rôle des écoles de devoirs, le FBLP creusera plus avant cette problématique du décrochage des enfants pauvres en 2011. En association avec les autres réseaux régionaux du pays, le FBLP a également inauguré et implémenté des projets en matière de “santé et pauvreté”, de “logement et pauvreté” et de “politiques européennes et pauvreté”. Tous ces projets ont été réalisés au niveau local, régional et fédéral selon les méthodologies participatives décrites plus haut et ont fait l’objet d’une diffusion politique importante afin de satisfaire aux fonctions de lobbying du Forum. Enfin, le FBLP est régulièrement consulté au niveau régional pour tout ce qui concerne les politiques publiques de lutte contre l’exclusion sociale et, dans ce contexte, a émis son avis sur le nouveau “plan d’action bruxellois de lutte contre la pauvreté 2010” (table ronde du 30 novembre 2010). Dans ce contexte et en association avec d’autres organisations

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spécialisées, le FBLP a demandé une budgétisation conséquente des instruments bruxellois de lutte contre la pauvreté ainsi que la conception d’instruments modernes de mise en œuvre des politiques pauvretés (coordination, suivi, monitoring et évaluation participative). A suivre… Rocco VITALI Directeur du Forum bruxellois de lutte contre la pauvreté et Mathieu BIETLOT Bruxelles Laïque Echos

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Nous concevons la solidarité comme l’action d’entraide et l’action politique qui doivent permettre aux êtres humains, dans leur société commune, de tendre vers l’égalité des droits et de fait. C’est un engagement moral de responsabilités mutuelles en vertu de l’égale dignité des êtres humains. A nos yeux, la finalité de la solidarité et de l’égalité entre les personnes doit être de permettre à chacun de prendre en charge sa vie et ses choix de manière autonome et libérée de toute sujétion.

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e la construction de l’Etat social, qui prévoit des mécanismes institutionnels supportés par tous pour soutenir les personnes qui sont en situation de fragilité sociale ou économique, à la solidarité interpersonnelle ou organisée par les citoyens, jusqu’à la désobéissance civile qui pousse certains à mettre en place des solidarités envers les “exclus des exclus” avec lesquels il est légalement “interdit” d’être solidaire (les sans-papiers, par exemple), l’éventail est large et remporte notre adhésion.

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Pour définir par la négative notre action de solidarité et de promotion de la solidarité, nous avons parfois l’habitude de l’opposer à la charité et, en particulier, à la charité chrétienne. Regardons-y de plus près. Afin de mieux comprendre ce qui différencie notre valeur laïque de solidarité de la valeur religieuse et chrétienne de charité, nous avons récolté le témoignage du Père Daniel Alliet, curé de l’église du Béguinage à Bruxelles, qui souvent accueille des sans-papiers, et celui de Barbara Mourin, coordinatrice laïque, chargée de l’accueil au Relais de Mons (Picardie Laïque).

il participe à toute une gamme d’expressions désignant l’attachement, la reliance et la tendresse. Dans les faits, l’Eglise (catholique en particulier) œuvre, via une multitude foisonnante d’associations dans le monde, à venir en aide à ceux qu’elle désigne comme les pauvres et les miséreux. Notre propos n’est pas, et ne pourrait pas être, d’étudier les motivations, sans doute très diverses, qui président à cette action que l’Eglise désigne sous le vocable “charité”. Sans doute qu’à l’instar de nombreux mouvements politiques et religieux, une part de la motivation vient d’une attitude prosélyte, mais il ne faut pas négliger les nombreux acteurs de la charité qui œuvrent en toute bonne foi pour le bienêtre de leur prochain auquel ils vouent un amour convenu tel l’amour de Dieu...

La charité chrétienne...

Reconnaissons que ce qui nous dérange, a priori, dans l’idée que nous nous faisons de la charité, est le principe du don unilatéral visant à combler un manque face auquel la personne qui reçoit est réputée ne rien pouvoir. Cette sorte de don qui ne serait accompagné d’aucune valeur citoyenne si ce n’est celle de la simple compassion. Une aide qui donne bonne conscience et maintient l’autre dans la dépendance.

Charité est une francisation du mot latin “caritas” qui signifie amour ou cherté. Il apparaît dans la première épître de Jean avec la phrase “Deus caritas est” (Dieu est amour). On le retrouve aussi en hébreux : “hesed” dans l’ancien testament pour désigner l’amour de Dieu et l’amour du prochain1. Plus généralement,

Pourtant, lorsque l’on interroge les responsables de Caritas Catholica, ils avancent des valeurs et des motivations qui sont très semblables aux nôtres : “réduction des inégalités, lutte contre la pauvreté et la discrimination sociale, garantie des droits des minorités, préservation des pays occidentaux comme lieu de refuge

et de protection pour les personnes persécutées, élimination des causes de l’immigration forcée...”. Et comme principe directeur inscrit sur leur site Internet, on lit : “Ce réseau, inspiré par l'Evangile et la tradition sociale catholique, est ainsi totalement engagé contre toute forme d'oppression et pour la justice. La dignité inviolable de toute personne humaine est son principe essentiel car il n'y a sur terre de sacré que l'homme et la femme, images et ressemblances de Dieu.” Même parmi les auteurs les plus réactionnaires de la doctrine catholique, il semble que notre différence fondamentale soit leur référence à Dieu et à la foi. Nous lisons dans l’encyclique “Caritas in veritate” du pape Benoît XVI que “Seule la charité, éclairée par la lumière de la raison et de la foi, permettra d’atteindre des objectifs de développement porteurs d’une valeur plus humaine et plus humanisante. Le partage des biens et des ressources, d’où provient le vrai développement, n’est pas assuré par le seul progrès technique et par de simples relations de convenance, mais par la puissance de l’amour qui vainc le mal par le bien et qui ouvre à la réciprocité des consciences et des libertés.” Le Père Alliet, progressiste et particulièrement critique à l’égard des positions rétrogrades de l’Eglise, nous en dit quelque chose de similaire. “La charité commence par le fait d’être touché par le sort des autres. Si personne n’avait jamais été touché par cela, nous n’en serions jamais arrivés à cette solidarité qui est devenue essentielle et qui se traduit dans les droits de l’Homme.[…] La charité c’est avoir de

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l’amour pour l’autre. Et avoir de l’amour pour l’autre suppose avant tout de lui accorder des droits. Certains [parmi les chrétiens] pensent que la charité chrétienne se limite à faire quelque chose pour l’autre. Mais cette vision des choses est dangereuse parce que l’on peut s'assujettir à l’aide aux autres sans aider vraiment, sans aider à se construire et à devenir capable de se prendre en charge soi-même. Le but de la charité est surtout de libérer l’autre de l’esclavage et donc, avant même de penser à apporter de l’aide à ceux qui semblent en avoir besoin, il est important d’étudier les causes qui mettent ces personnes dans le besoin et de s’attaquer à ces causes. Je me souviendrai toujours de ce que disait Helder Camara2 à ce propos : “Quand je donnais aux pauvres, j’étais un saint, même pour les riches, mais lorsque j’ai commencé à demander pourquoi ils étaient pauvres, j’étais devenu un communiste”

un véritable scandale. Ce que nous voulons, c’est que les personnes qui vivent en Belgique et qui s’intègrent dans la société belge, qui veulent travailler, etc., aient le droit de rester ici sans subir toutes les tracasseries que subissent actuellement les sans-papiers. Ce droit n’est pas inscrit dans la loi mais nous voulons dépasser la loi. Il faut se battre pour le droit des gens, contre l’exploitation. Donner ne suffit pas. Quand on donne d’emblée, on est généralement instrumentalisé et on n'aboutit pas aux objectifs principaux qui portent sur les droits des gens. La charité, c’est donc être ému par l’autre, mais c’est une émotion adulte, qui signifie que chacun soit égal en dignité et en droit. La charité c’est le début de la justice.” Ainsi, pour le Père Alliet, les principes mis en avant pour caractériser la charité sont l’égalité, la justice, l’autonomie, la dignité humaine et la critique sociale. Autant de principes qui président aussi à l’action de solidarité promue par le mouvement laïque.

Lorsqu’elle prend place dans des sociétés archaïques, elle est définie comme résultant du poids des valeurs communes et d’une conscience collective forte issue de la proximité qu’impose la vie en collectivité. Ce qu’il a nommé “solidarité mécanique”, par opposition à la “solidarité organique” désignant les obligations mutuelles liées à la division sociale du travail dans les sociétés modernes complexes et que l’on pourrait traduire succinctement (et sans doute de façon un peu caricaturale) en disant que pour que le système structuré se maintienne, il faut que chacun y mette du sien. Dans les deux cas, nous avons affaire à une solidarité rendue nécessaire structurellement par le simple fait de vivre en groupe pour le maintien de la société même. Erigée en principe moral, la solidarité devient la responsabilité et la dépendance réciproque des personnes qui constituent la société. De façon à ce que ce qui affecte un ou plusieurs membres de la société la concerne dans son ensemble et concerne chacun de ses membres.

La solidarité... La charité chrétienne, comme je l’entends, a un objectif essentiellement politique. Si nous avons fermé l’église du Béguinage qui avait longtemps accueilli des sans-papiers, c’est parce que le combat politique était fini et parce que l’église n’était plus qu’un lieu d’hébergement, ce qu’elle n’avait pas à être par vocation. Et aujourd’hui, lorsqu’on me demande si on va rouvrir l’église, je réponds non, si on l’ouvre une nouvelle fois, ce sera à grand renfort de presse pour dire que ce que nous faisons subir aux sans-papiers est

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Solidarité vient du latin “solidus”, entier, consistant, lien unissant entre eux les débiteurs d'une somme. Solidus qui, en français, a aussi donné “solide”. Notons qu’il peut être intéressant de faire le rapprochement entre le solidus latin et le hesed hébreux signifiant l’attachement, la reliance. La solidarité consubstantielle à la vie sociale a été définie par le sociologue français Emile Durkheim de deux façons.

Voici ce que Barbara Mourin nous dit de l’action du Relais de Mons, qui est exemplaire de l’action de solidarité menée par le mouvement laïque. “Dans le cadre de notre travail, nous cherchons à relier l’aide aux personnes, les rencontres et les témoignages que nous collectons à des phénomènes de société. Nous prenons conscience de la proximité entre les histoires personnelles des gens que nous rencontrons et le contexte socio-économique qui conduit à ce genre

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de situation. Au-delà de l’aide que nous apportons, ce qui importe pour nous, c’est que les personnes que nous aidons puissent redevenir maîtres de leur propre vie, de leur histoire, de leurs choix et retrouver leur autonomie dans la société. L’émancipation et le libre examen sont des principes qui dirigent notre action dans cette perspective. La valeur principale à laquelle nous adhérons est la solidarité. Dans notre société de diversité en termes culturels et sociaux, nous pensons qu’il est indispensable de mettre en place des mécanismes de reliance entre les personnes. Notre façon de la mettre en pratique est multiple mais elle passe, par exemple, par la défense de droits égaux pour tous. En soutenant politiquement le maintien des allocations de chômage et des aides sociales. Le Relais est vraiment un observatoire des réalités sociales de la région Mons Borinage qui est une région sinistrée sur le plan socio-économique. Les personnes que nous recevons sont dans une situation d’extrême fragilité, notamment sur le plan du logement, du suivi scolaire des enfants… En ce qui concerne le logement, nous avons été à l’initiative d’un collectif sur la région, le Collectif Sans Toit, qui milite avec les citoyens concernés auprès des politiques pour rendre une réelle égalité des droits dans l’accès au logement, pour améliorer l’offre de logement à destination des personnes qui ont un faible revenu. Et ces actions de revendication politique, nous les menons avec notre public. Il ne s’agit pas d’une simple action de lobbying mais, avec le public

directement concerné, nous menons des actions de mise en lumière et nous réfléchissons à des actions à plus long terme pour en finir avec ce type de problème social. Alors certes, les citoyens directement concernés n’ont pas le poids nécessaire pour infléchir la politique de logement et personne n’est dupe que les associations qui les encadrent leur donne du poids. Mais les personnes concernées sont entièrement partie prenante, jusqu’à la question des orientations politiques de notre mouvement.” Alors ? On peut douter de la bonne foi du Pape Benoît XVI et force est de constater que la recherche du pouvoir par l’Eglise et de nombreuses religions qui prônent la charité est un moteur indéniable de l’aide apportée à ceux qui en ont besoin et qui sont ciblés par ces entreprises religieuses. Nous ne pouvons cependant nier une convergence de vue entre notre façon de mettre en œuvre la solidarité et la façon dont certains croyants progressistes, tel que le Père Alliet et l’Archevêque Camara qui l’inspire, agissent en vue de la charité chrétienne. En définitive, si l’on s’en tient au point de vue du Père Alliet, héritier de la théologie de la libération, ce qui doit nous différencier fondamentalement se place bien en amont de l’action, dans la source de l’humaine dignité, enseignée pour nous par la démarche des Lumières et dogmatisée pour eux par le truchement de l’amour de Dieu. La notion de charité, telle qu’elle est enseignée par Benoît XVI, telle qu’elle est déclinée par Caritas Catholica et, dans

une certaine mesure, telle qu’elle nous est rapportée par le Père Alliet, peut être vue comme un engagement moral qui invite à venir en aide à son prochain, à lui être secourable parce que tous les humains seraient semblables, créatures de Dieu pareillement investies de son amour. Et elle doit aboutir, comme pour nous la solidarité, à plus de justice, d’égalité et de droits. Ne nous y trompons donc pas. Si la solidarité humaine que nous mettons en actes et que nous entendons promouvoir ne peut être confondue avec la charité telle qu’elle est conçue par les chrétiens, même progressistes, ce n’est pas seulement par l’absence de référence transcendantale dans notre chef. Mais c’est aussi parce que, bien avant tout engagement moral, elle porte dans sa définition (notamment durkheimienne) une réciprocité nécessaire entre les êtres humains qui tient au partage de conditions matérielles d’existence et au fait même d’être constitués en société. Pour le coup, à l’image de l’homme et non à l’image de Dieu.

Cedric TOLLEY Bruxelles Laïque Echos

≥ 1 Il est à noter, comme nous l’apprend Johannès Robyn, que le terme “prochain”, qui sonne à notre oreille moderne tel un synonyme de “autrui”, signifiait, dans ses origines hébraïque, celui qui est proche. Au sens du voisinage, non seulement le voisin physique mais aussi le semblable culturellement et religieusement. 2 Helder Camara était Archevêque de Recife (Brésil). Il s’est distingué par une action sociale tournée vers la défense des droits de l’Homme. Opposant à la dictature des généraux et à la tendance conservatrice de l’Église, il incarne une figure emblématique de la théologie de la libération.

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outes les composantes de la population sont concernées par la pauvreté : les femmes et les hommes, les jeunes et les vieux, les personnes belges et immigrées. En tout, 1,5 millions de personnes subissent la pauvreté en Belgique. En Europe, elles sont 80 millions. Dans le monde, 2,5 milliards.

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Dès lors, pourquoi se focaliser sur la pauvreté des femmes ? Car, la malnutrition, les problèmes de santé, le sans-abrisme, le chômage, tout cela concerne autant les hommes que les femmes. Analyser la pauvreté en termes de genre, n’est-ce pas introduire une division superflue ? N’estce pas se détourner du problème essentiel, celui de la structure économique et sociale ?

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En réalité, comme le dit l’économiste indien Amartya Sen, prix Nobel d’économie en 1998, “[…] le sexe en tant que paramètre essentiel de l’analyse économique et sociale est complémentaire – et non concurrent – des variables relatives à la classe sociale, à la propriété, à la profession, aux revenus et au statut familial”1. Prendre en compte la dimension du genre permet de mieux analyser les causes et les conséquences de la pauvreté. Par ce biais, en effet, l’importance des perceptions et des représentations mentales apparaît plus clairement. Mettre en question le concept de ménage En oblitérant la dimension du genre, les analyses économiques en restent souvent à une approche de la pauvreté en termes

de revenus censés se répartir naturellement au sein de la famille. Mais, en considérant le ménage comme une entité indivisible, cela induit l’hypothèse d’une mise en commun des ressources et d’une cohésion entre les membres. Cela suppose un “chef de ménage” qui, dans un souci altruiste, réparti équitablement les ressources. Or, la réalité est loin d’être aussi simple. On constate par exemple que les budgets entre hommes et femmes sont souvent séparés et affectés à des postes différents : les femmes consacrent une plus large part de leurs revenus au bien-être de la famille tandis que les hommes les dédient davantage à des dépenses personnelles (alcool, tabac par exemple). Par ailleurs, la procédure de décision au sein du ménage fait l’objet de processus complexes où les perceptions que la femme a d’elle-même ou que la société projette sur elle tiennent un grand rôle. Amartya Sen a analysé ces processus en termes de “conflits de coopération”. Les conflits d’intérêt entre hommes et femmes ne relèvent en effet pas de la même logique que les conflits de classe car, au contraire d’un ouvrier et de son patron, les femmes et les hommes vivent sous le même toit, partagent les mêmes soucis et les mêmes expériences. Les conflits entre les femmes et les hommes se règlent plutôt selon un mélange de conflit et de coopération. Ainsi, “[…] les membres du ménage sont confrontés simultanément à deux types différents de problèmes, concernant l’un la coopération (ajouter aux disponibilités totales), l’autre le conflit (répartir les disponibilités totales entre les

membres du ménage). Les arrangements sociaux qui déterminent qui fait quoi, qui peut consommer quoi et qui prend quelles décisions peuvent être considérés comme des réponses à ce problème combiné de coopération et de conflit”2. La perception des femmes de leur intérêt et de leur contribution au ménage Les perceptions et les représentations mentales ont alors un poids décisif. Les “intérêts perçus” ainsi que la conception du mérite et de la légitimité, notamment la perception des “contributions productives” de chaque membre à la richesse de la famille, tout cela influence la position dans la négociation. Ainsi, dans les sociétés traditionnelles (et modernes), la perception de son propre intérêt par la femme est souvent absente et s’associe à un grand souci du bien-être familial. Ce type d’attitude la place en position de faiblesse au sein du ménage et contribue à perpétuer les inégalités traditionnelles. Par ailleurs, la femme a en général une moindre perception de sa contribution à la richesse du ménage. Pour bien le comprendre, il faut distinguer les “contributions perçues” des contributions réelles. Dans ce cadre, est considéré comme une contribution importante l’apport de monnaie sonnante et trébuchante. C’est la recherche de revenus à l’extérieur qui est valorisée alors que le travail domestique à l’intérieur du ménage, est considéré comme de moindre importance. “La distorsion dans la perception semble se rapporter au volume du gain monétaire direct

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plutôt qu’à la quantité de temps et d’effort déployés (ou au rôle des activités non marchandes des autres membres de la famille, qui permettent indirectement ces gains)”3. Cette distinction, entre une activité rémunératrice à l’extérieur du ménage assumée par l’homme et une tâche improductive à l’intérieur du foyer prise en charge par la femme, renvoie à la distinction entre travail productif et reproductif. La division entre travail productif et reproductif Le travail productif comprend la production de marchandises et de services pour la consommation et le commerce. Le travail reproductif concerne les services liés à l’“entretien” de la force de travail : soins aux enfants et aux personnes âgées, cuisine et ménage destinés à la famille, collecte de l’eau ou des combustibles, achats courants, … Ce type d’activités est massivement féminin et est exclu du calcul économique. Cette division sexuelle des tâches maintient les femmes dans une situation sociale et économique précaire. Cela entretient leur dépendance vis-à-vis de la famille ou de la communauté. D’autre part, pour les familles monoparentales dirigées par des femmes, la part irrépressible de travail reproductif pèse lourdement sur leur possibilité d’investissement de la sphère productive, génératrice de revenus. Dans les pays industrialisés, la prise en charge par des services publics (crè-

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ches, garderie, homes pour personnes âgées, hôpitaux,…) d’une grande part du secteur reproductif, a eu un impact immense sur l’émancipation des femmes, sur leur possibilité de gagner un revenu propre. Des femmes fortement scolarisées et diplômées ont pu envisager une véritable carrière. Néanmoins, ce sont massivement les femmes qui travaillent dans les services publics ou privés liés au secteur reproductif. En Belgique, dans les soins de santé et les services sociaux, les femmes représentent 77,1 % du secteur contre 22,9 % d’hommes4. Le personnel domestique pour les ménages comprend 84,1 % de femmes contre 15,9 % d’hommes. Les tâches que les femmes accomplissent gratuitement à destination de leur propre famille, ce sont également elles qui, comme salariées, les effectuent pour des personnes étrangères. La division sexuelle du travail assigne dès lors toujours prioritairement aux femmes le travail domestique, salarié ou gratuit. Certes, la précarisation des femmes est moindre car elles disposent d’un revenu en leur nom propre mais les métiers du secteur reproductif sont sous-payés, mal reconnus et précaires. Comme il s’agit de tâches effectuées gratuitement dans la sphère privée, ces emplois sont considérés comme ne requérant aucune compétence ou formation particulière. Par ailleurs, comme le domaine reproductif n’est pas directement générateur de richesses, c’est en général le premier qui passe à la trappe quand l’heure est à l’austérité budgétaire.

Les femmes précarisées par leur image socialement et culturellement construite Les qualités de douceur, d’empathie, de générosité et de soin qui sont généralement attribuées aux femmes ont des conséquences sociales et économiques. Elles les confinent dans le foyer ou dans des métiers liés au travail domestique. Elles les poussent davantage à travailler à temps partiel pour s’occuper des enfants ou d’un membre dépendant de la famille. En Belgique, il existe ainsi une proportion plus importante de femmes travaillant à temps partiel : 43 % des femmes contre 7,8 % des hommes. Par ailleurs, toujours en Belgique, 65 % des aidants proches sont des femmes. La réduction du temps de travail, voire l’arrêt complet de l’activité, qui accompagnent la prise en charge d’une personne dépendante, ont pour conséquence une perte de revenus et de droits sociaux. Pour les femmes qui maintiennent une activité à temps plein, cela se paye par un surcroît de fatigue et d’épuisement. Lié largement à ces phénomènes, on constate un écart moyen de rémunération entre les femmes et les hommes qui, au niveau européen, est de l’ordre de 17,8 %. Cette différence salariale se répercute au niveau des pensions : en Belgique, 24 % des femmes ont une retraite de moins de 500 euros contre 12,6 % pour les hommes. Changer nos représentations On l’aura compris, pour lutter contre l’appauvrissement des femmes, le travail sur

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les perceptions et les mentalités est essentiel. Le défi, c’est de faire bouger les représentations qui attribuent des rôles déterminés aux femmes et aux hommes ; c’est de dénoncer les discours machistes trop souvent admis car se basant sur la “naturalité” des rôles ; c’est de lutter contre les conceptions culturelles et religieuses qui développent une position inférieure de la femme. Rendre visible le travail reproductif Lutter contre l’appauvrissement des femmes, c’est aussi sortir le travail reproductif de sa sphère privée, invisible ; c’est montrer sa contribution à la création de la richesse ; c’est expliquer que, grâce à lui, le travail productif est rendu possible ; c’est l’intégrer dans l’analyse économique qui, sans cela, développe une vision tronquée. Mettre en valeur ce type de travail, ce n’est pas avaliser un essentialisme des fonctions féminines. C’est, au contraire, le mettre à jour pour qu’il soit davantage réparti entre hommes et femmes.

Individualiser les droits sociaux Enfin, il conviendrait de rompre avec la conception familialiste et non individuelle des droits sociaux qui a cours en Belgique. En effet, nombre de droits sociaux sont attribués selon un modèle familial traditionnel du père pourvoyeur de revenus et de la mère, femme au foyer. Alors que les cotisations sont perçues au niveau individuel, les allocations sociales (chômage, invalidité, pension) tiennent compte du ménage et non de l’individu (ex. : allocation diminuée pour les cohabitants, pensions de retraite au taux “ménage”...). Dès lors, des femmes allocataires sociales (au statut “cohabitant”) perçoivent un revenu diminué alors qu’elles ont cotisé au même taux que les autres travailleurs. A l’inverse, les droits dérivés font, par exemple, en sorte que la pension de survie (d’une veuve) est calculée sur la base des salaires perçus au cours de la carrière de son mari. Ainsi, des femmes au foyer se retrouvent souvent avec une pension bien plus élevée que celle de femmes ayant travaillé et cotisé toute leur vie.

Cette logique vaut aussi pour les soins de santé. Outre l’injustice que cela constitue, ces mécanismes obligent nombre de femmes à dépendre de la solidité de leur mariage pour survivre financièrement. La lutte contre l’appauvrissement des femmes doit donc aussi passer par une telle réforme de notre système de sécurité sociale. Revendication que le mouvement laïque et de nombreuses associations de terrain portent depuis des années.

Florence EVRARD Cellule Etudes et Stratégies du CAL

1 Amartya Sen, “La distinction entre les sexes et les conflits de coopération” in Ethique et économie, Paris, P.U.F., 1993, p. 229. 2 Ibidem, pp. 238-239. 3 Ibidem, p. 254. 4 L’ensemble des chiffres cités sont issus de “Femmes et hommes en Belgique. Statistiques et indicateurs de genre. Edition 2006” mis au point par l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes.

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J’ai pu constater lors du Forum international des travaileurs de rue, accueilli dans le cadre du Festival des Libertés 2010, combien dans le milieu du travail social, la question culturelle était dissociée de la question de l’exclusion. Les problèmes d’inégalités et ceux liés à la différence culturelle ne m’ont pas semblés être mis en lien, ni imbriqués dans la perception du raport entre Culture et Exclusion (thème de l’atelier auquel, j’ai participé en tant que représentant de Bruxelles Laïque).

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e contenu des échanges portait surtout sur les moyens mis en place, les expériences et les stratégies développées par les uns et les autres pour favoriser l’accès à la culture des plus défavorisés. Il y avait, m’a-t-il semblé, reprise par l’assemblée, tout comme dans le discours politique sur la culture, une représentation basée sur un amalgame entre les demandes de justice sociale d’un côté et, de l’autre, celles de reconnaissance des différences culturelles et identitaires.

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On pouvait aussi constater que le mot culture n’avait pas le même sens pour tout le monde. Dans les faits, le sens le plus commun se résumait à une vision matérielle centrée sur l’industrie des biens culturels, l’accès à l’offre de pratiques et de services culturels, c'est-à-dire, productions audiovisuelles, musicales, théâtrales, artistiques ou chorégraphiques, etc. Ce qui, à mes yeux de participant et d’observateur, relevait plus d’un problème d’accès à un type particulier de consommation que réellement de la culture en relation avec l’exclusion sociale. Il suffisait de substituer le paradigme “culture” par électricité, eau courante, gaz ou internet, pour se rendre à l’évidence que sur la question culturelle, comme sur d’autres, il existe bien une vision banalisante et uniformisante, construite, dont la fonction est de masquer une réalité, considérée comme antinomique et problématique, parce que menacante pour l’harmonie globale. Le discours sur la culture est un discours de politique culturelle tendant à occulter ce que toute culture porte de fondamental et qu’il faut assumer dans le rapport entre-

tenu avec elle, c'est-à-dire, des droits humains, des identités, des systèmes de valeurs, de croyances, des modèles d’émancipation et des modes de vie. Ce qu’on évacue, ce sont les exigences et les implications structurelles qu’impose une gestion cohérente et égalitaire des différences culturelles, des identités plurielles et multiples, dans l’espace public, compris comme lieu de rationnalité, d’égalité, de justice sociale et de citoyenneté. La culture est un enjeu qui renvoie à l’image que la société se donne d’ellemême, de son identité, de ses valeurs et de ses modèles. Elle repose par nature sur une vision homogène. Et c’est précisément cette homogénéité qui est, aujourd’hui, apparemment remise en cause par l’hétérogénéité de notre vie sociale et politique, ainsi que les changements nécessaires qu’elle impose et que, parallèlement, on se refuse à reconnaître et à appliquer. Les différences culturelles et identitaires, remettent en question “la correspondance État – Culture – Société Nation”1. La légitimité de la culture dominante (européanité, démocratie, laïcité, droits de l’Homme…) semble interpellée sur son territoire et dans un espace social déjà symbolisé par des minorités qui revendiquent un droit à la reconnaissance culturelle et politique. D’un autre côté, les mêmes minorités existantes acceptent de cohabiter mais refusent de composer ou de recomposer, chacune étant persuadée, vis-à-vis de sa voisine, du risque d’y perdre sa visibilité, sa singularité et son identité. Les tensions culturelles sont, dans notre société, à la fois verticales et horizontales.

La culture dominante, même si elle n’occupe plus entièrement l’espace public, continue néanmoins de façon insidieuse à imposer socialement et culturellement ses catégories, ses normes et ses valeurs. Les individus issus des minorités ont ainsi le sentiment d’être sans cesse soumis à une épreuve identitaire qui leur impose soit un enfermement volontaire ou forcé dans le particulier, soit l’adhésion aux normes instituées. L’uniformisation, on le sait, appelle la différenciation. Ne se sentant plus liés par un sentiment d’appartenance commune, ils ont désormais tendance à se définir chacun par ce qui les particularise – religion, culture, ethnie, communauté – souvent avec la volonté de l’imposer à l’autre. Dans sa perspective globale, la société paraît considérer les différences culturelles et identitaires, comme des freins à son développement social, politique et scientifique. Elle oscille sans cesse, dans sa manière de les gérer, entre la tentation de la dillution dans un moule commun et une forme de tolérance à géométrie variable dans la vie publique. Et c’est précisément, cette variabilité aléatoire qu’expérimentent dans leur quotidien, les personnes marquées par leurs différence : immigrés, homosexuels, musulmans, personnes handicapées, femmes, etc. Et il y a manifestement, sous cet aspect, une crise du rapport culturel qui se traduit par des formes de plus en plus répandues de discriminations liées à l’identité sociale, l’appartenance ethnique, communautaire ou confessionnelle, aux orientations sexuelles et aux différences de conceptions de vie. Et elles sont pratiquées par tous.

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L’exclusion identaire est devenue une sorte de réflexe social de protection, alimenté par des peurs construites, le refus de contact avec l’Autre (différent par son âge, sa religion, sa sexualité ou ses appartenances), les fantasmes et les réprésentations créées, mais aussi suscitées chez les uns, comme les autres. Goran Bregovic2, dans une interview accordée récemment, concluait, en ayant certainement en filigrane inscrite dans sa mémoire son expérience de survivant d’un génocide : “Aujourd’hui, on ne peut plus tuer tout ce qui est différent. Le monde entier doit apprendre à vivre ensemble !”.

Certes, mais en sommes-nous capables ? Sommes-nous vraiment capables d’être différents et égaux ? Des velléités en ce sens existent, notamment dans les intentions et les discours, rarement dans les actes. A bien y regarder, la seule culture globale qu’on peut prétendre partager – maintenant qu’il s’avère de plus en plus que les vagues principes de citoyenneté, de démocratie et d’égalité ne suffisent plus à nous relier – est malheureusement fondée sur l’individualisme, la consommation et la pratique volontaire de l’exclusion directe ou indirecte. La crise du rapport culturel à l’altérité est le moteur principal

des antagonismes sociaux et politiques. La culture comme lien et savoir commun, pour l’heure, reste donc une perspective à construire et à développer entre nous. Et elle nécessite pour ce faire, parallèlement, des compétences à acquérir par chacun pour pouvoir appréhender et reconnaître la différence de l’Autre, sans hiérarchisation, ni supériorité, ni infériorité.

Ababacar NDAW Bruxelles Laïque Echos

1 Michel Wieviorka, “La différence culturelle, une reformulation des débats”, préface au Colloque de Cerisy, Balland, 2001. 2 Musicien et compositeur serbo-croate, invité du Festival des Libertés 2010.

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Lors des débats sur l’intégration, les banlieues ou le repli identitaire, il est devenu presque inconvenant de rappeler qu’à la base, il existe toujours des “causes socioéconomiques”. Si vous suggérez qu’il faudrait parler un peu moins du foulard ou des minarets et un peu plus du chômage et de l’exclusion sociale, vous serez vite traité “d’archéo-marxiste”, comme je le fus récemment lors d’un débat public. C’est que les agités du bocal interculturel, sectateurs de la République et de l’identité nationale comme militants du multiculturalisme, voudraient pouvoir s’invectiver ad vitam sur l’islam, l’Occident et les accommodements raisonnables sans être importunés par de basses considérations matérielles comme l’accès à l’emploi, le logement ou la formation. 46

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ourtant, les problèmes sont simples : ou il y a du travail ou il n’y en a pas ; ou il y a des logements ou il n’y en a pas ; ou les médicaments sont abordables ou ils sont hors de prix ; ou l’eau appartient à tous ou elle est confisquée par quelquesuns. Sans politique globale de partage des ressources rares, c’est la guerre de tous contre tous. Des riches contre les pauvres, des jeunes contre les vieux, du Nord contre le Sud, de l’Occident contre l’islam, tout ce que vous voudrez. “Guerre des cultures”, “choc des civilisations” ? Soit. Mais le contraire du choc des civilisations, ce n’est pas le dialogue des civilisations, c’est un monde vivable pour tous. L’enjeu n’est pas éthique – ouverture aux autres plutôt que repli sur soi – il est politique : construire un monde commun.

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Tout conflit “culturel” doit donc être ramené à la matérialité première de l’existence humaine : vie, travail, langage ; et à l’historicité de toute organisation sociale : parenté, économie, école, loisirs. Tels sont les éléments constitutifs de la subjectivité humaine, que l’on confond constamment, dans les débats qui nous occupent, avec les identités. Les identités ne sont que des segments de subjectivité (“race”, ethnie, religion, genre, orientation sexuelle, etc.) qui permettent aux hommes de se différencier les uns les autres à travers des appartenances (Blanc/Noir, homme/femme, chrétien/musulman, etc.). Toute assignation identitaire, parce qu’elle cherche par principe la différence pour la différence, donc l’opposition et la distinction, produit mécaniquement de la discrimination et de la rivalité. Il n’y a pas de “reconnaissance mutuelle” des identités, pas de monde où nous serions “riches de nos différences”. Il

n’y a de monde que dans le dépassement de ces différences, dans une mise en commun des puissances subjectives au sein d’un même espace-temps partagé. Or le monde, ainsi entendu comme site sensible et vital des sujets humains, est bien ce qui est mis en péril par l’ordre marchand (ou si vous voulez : le capitalisme) qui domine notre époque. L’ordre marchand liquide toute forme sociale stable dans les flux marchands, dissout tout étant1 dans les flux financiers et commerciaux, noie toute valeur “dans les eaux glacées du calcul égoïste” (selon la formule de Marx). Ce que nous voyons se dessiner aujourd’hui, c’est une hiérarchie entre le centre du système-monde, capable de capter les flux financiers, humains et communicationnels les plus rentables, la périphérie, où sont dirigés les flux moins rentables, et les zones poubelles où sont rejetés les flux indésirables – déchets matériels mais surtout déchets humains, masse des superflus et des “inutiles au monde”, comme on les appelait au Moyen-âge. La même société qui nivelle et appauvrit les ressources matérielles et symboliques des individus, les expose les uns aux autres, et les pousse ainsi à se ségréger. La dynamique uniformisante libère les puissances nationalistes, ethnicistes et fondamentalistes. Le déracinement mondial encourage la fixation identitaire, dans toutes les zones du monde global – centres, périphéries, poubelles. Récemment, un sociologue français, Hugues Lagrange, a agité le landerneau intellectuel français en soutenant, dans Le déni des cultures, que la surreprésentation des jeunes issus de l'Afrique

sahélienne dans la délinquance était due, non pas à des facteurs socio-économiques, mais à un facteur culturel : la famille patriarcale africaine, imposant la soumission des femmes, l’autoritarisme des pères et la polygamie2. A ses yeux, et contrairement à ce que je soutiens, ce n’est pas la désaffiliation sociale qui fait problème, mais la suraffiliation de ces immigrés à des liens sociaux archaïques et à des emprises familiales incompatibles avec la culture européenne. Il en tire comme conclusion que les politiques d’intégration actuellement menées en France sont inadéquates, car elles ne tiennent pas compte des difficultés liées aux particularités ethniques des populations-cibles – ce dont il conclut que les quartiers auraient besoin dorénavant d’une “politique publique attentive aux différences culturelles”3 (sous-entendu : une politique plus ferme et moins angélique). Le succès de ce livre est symptomatique dans un contexte dominé par la suspicion à l’égard des immigrés et les rodomontades sécuritaires et identitaires de Sarkozy et Cie : Lagrange ferait sauter un tabou, il briserait l’omerta des intellectuels de gauche qui ne veulent pas reconnaître le lien entre délinquance et immigration. Mais quels sont les indicateurs réels de l’influence de la culture sahélienne sur la “racaille” de banlieue ? Lagrange les énumère : la promiscuité physique dans des logements exigus, l’indigence des loisirs (et donc de la réflexion, de l’abstraction, de la narration), les difficultés de communication intrafamiliale, l’excès d’autorité du père et le manque d’autonomie de la mère. Ce mélange créerait des acteurs sociaux imperméables aux normes et aux

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valeurs de la société française. Mais ne s’agit-il pas là de caractéristiques propres aux familles pauvres en général ? Et si la structure patriarcale exerce certainement une influence négative sur l’intégration des jeunes générations, n’est-elle pas commune à un grand nombre de populations d’origine rurale (qu’elles soient sahéliennes, maghrébines, pakistanaises, roumaines, ou au siècle dernier, italiennes ou bretonnes) ? Lagrange lui-même est bien obligé de reconnaître que le taux de délinquance moindre des élèves d’origine maghrébine, par rapport à son échantillon sahélien, est dû à l’entrée de nombre de ces familles dans les classes moyennes. Et il établit lui-même que le taux de réussite et de délinquance est corrélé avec la situation de chômage du père de famille (51 % de taux de réussite en 6e pour un enfant de chômeur, 71 % pour un enfant de cadre). En outre, si les jeunes Noirs se retrouvent plus souvent au commissariat, n’est-ce pas aussi qu’ils sont significativement plus contrôlés que les autres ? En fin de compte, l’auteur lui-même nous montre que les variables économique (le chômage) et institutionnelle (les discriminations) restent bien plus déterminantes que la variable culturelle. Pour expliquer les difficultés des jeunes issus de l’immigration, il est certainement pertinent d’alléguer, comme l’avait déjà fait Emmanuel Tood, l’écart différentiel entre les sociétés d’accueil et les sociétés d’origine, et non les caractéristiques intrinsèques de celles-ci4. On doit aussi s’interroger sur l’interaction entre les différents plans (économique, politique et culturel) de la vie sociale, ce qui nous ramène à nouveau à la question de la position

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relative des différents groupes de la population par rapport au clivage centre / périphérie / poubelles. Il est certain que les référents culturels – et, parmi ceux-ci, les structures familiales plus que les croyances religieuses ou les origines ethniques – interviennent dans les difficultés de certaines populations immigrées ; mais ils n’interviennent pas de la même façon selon que ces populations se trouvent en position centrale, périphérique ou surnuméraire dans l’espace social global. Les tensions “culturelles” que l’on constate au niveau local, celui des “quartiers”, ne sont pas détachables de la compétition planétaire de plus en plus exacerbée pour les ressources rares. Le problème des diasporas n’est pas d’être marquées par un archaïsme dont elles n’arriveraient pas à s’extraire, mais d’être des catégories “perdantes” ou à tout le moins “flottantes” dans la mondialisation, en prise avec des classes populaires européennes ellesmêmes fragilisées par le déclin de l’Etat social.

pas avoir à remettre en cause la domination qui traverse toutes les autres : celle des riches sur les pauvres ? L’objection est recevable, reconnaissons-le. Pour autant, je n’en conclus pas, comme Walter B.Michaels, que la diversité est par essence “contre” l’égalité. Car inversement, la lutte contre les discriminations est indispensable pour combattre les processus inégalitaires. Des mesures de “diversité” comme l’anonymisation des CV ou la discrimination positive sont des instruments aujourd’hui indispensables à toute politique de réduction des inégalités sociales. Mais symétriquement, un “plan de diversité” risque de n’avoir aucun effet concret s’il n’est pas croisé avec des mesures sociales “classiques”. Rien ne sert de favoriser l’embauche des personnes d’origine étrangère, des personnes handicapées ou des femmes si c’est pour proposer des CDD ou des horaires à temps partiel qui ne feront que maintenir ces publics “minoritaires” dans le précariat.

Une politique spécifique de lutte contre les discriminations et de promotion de la diversité culturelle n’atteindra donc ses objectifs que si elle est associée à des politiques sociales générales. Sinon, il faudra concéder à Walter B. Michaels que la diversité joue “contre” l’égalité5. En effet, une société dont les classes dirigeantes reflèteraient la diversité de genre, d’origine, de religion, aura-t-elle vraiment progressé sur le chemin de la justice sociale ? Après tout, l’égalité des chances, c’est la concurrence parfaite au sein d’une pure économie de marché ? Comme si l’ordre marchand s’engageait à diversifier la couleur de peau et le sexe des élites pour ne

Il est donc tout aussi illusoire de vouloir combattre les discriminations ethniques, culturelles ou autres sans s’attaquer en même temps aux inégalités sociales, que de vouloir mener une politique de justice sociale sans l’assortir d’instruments luttant contre les discriminations ou favorisant la diversité. Il faut inlassablement répéter qu’une politique d’égalité des chances doit toujours se trouver intégrée dans des dispositifs plus larges de lutte contre la pauvreté, le chômage, le déficit de formation, ou encore dans des politiques d’aménagement du territoire et d’urbanisme ou d’accès aux loisirs et à la culture.

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Dans les institutions publiques spécialisées dans la lutte anti-discrimination comme la HALDE (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité) en France ou le Centre pour l’égalité des chances en Belgique, il est significatif que le travail ne soit pas organisé sur base des publics-cible (défense de la communauté juive contre l’antisémitisme, défense de la communauté musulmane contre l’islamophobie, défense de la communauté lesbigay contre l’homophobie, etc.), ni même sur base des motifs de discrimination (religion, race, origine, handicap, orientation sexuelle, etc.), mais par champs d’application : emploi, logement, enseignement, santé, biens et services, etc.. La lutte antidiscrimination est donc transversale, plongée dans l’infrastructure matérielle de la société – seule façon de cerner les mécanismes structurels, souvent inconscients, de discrimination. C’est aussi la raison pour laquelle il ne serait pas opportun de mettre en place des législations spécifiques en matière d’islamophobie ou d’antisémitisme, comme s’il s’agissait de protéger des communautés menacées dans leur identité culturelle, alors qu’il faut défendre des individus menacés dans leur subjectivité générique (vie, travail, langage). Pour orienter et évaluer ces politiques d’action positive et de diversité, il est nécessaire de disposer d’outils statistiques. En France, le débat s’enlise autour de la question hautement symbolique des statistiques ethniques qui répertorieraient les communautés d’appartenance ou de “ressenti identitaire” (sur le mode de l’auto-identification, autrement dit). La Belgique est mieux inspirée, qui expéri-

mente actuellement un système statistique basé sur la nationalité ou l’origine nationale des travailleurs – données objectives, officielles, anonymes, qui permettent de déterminer, par secteur d’activités (HORECA, banques, enseignement, etc.), la proportion de personnes étrangères et d’origine étrangère, ce qui est nécessaire et suffisant pour identifier les mécanismes discriminatoires structurels. Certes, dans un tel système, il n’y a pas de statistiques des discriminations pour motif de religion ou de couleur de peau ; mais pour mesurer celles-ci, il faudrait faire intrusion dans la vie privée des travailleurs, et cela afin d’obtenir des informations qu’il est possible de recueillir par d’autres procédés scientifiques (tests de situation, enquêtes, sondages).

Etats auront pris conscience de l’enjeu qu’elle représente. Inutile de dire qu’on est loin du compte … Edouard DELRUELLE Philosophe (ULg), Directeur-adjoint du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme 1 Au sens philosophique : l’ensemble des choses qui sont [ndlr]. 2 Hughes Lagrange, Le déni des cultures, Seuil, 2010. 3 Ibid., p. 333. 4 Emmanuel Todd, Le destin des immigrés. Assimilation et ségrégation dans les démocraties occidentales, Seuil, 1994. 5 Walter B. Michaels, La diversité contre l’égalité, Raisons d’agir, 2009.

Une politique de migration et d’intégration nécessite elle aussi des instruments de mesure et d’évaluation qui font largement défaut à l’heure actuelle. Les pouvoirs publics manquent d’outils statistiques permettant de mesurer de manière fiable les flux et les stocks migratoires, ou d’assurer un suivi longitudinal des trajectoires individuelles des migrants, depuis leur entrée sur le territoire jusqu’à leur situation en fin de parcours d’intégration. Pourtant, seule une telle “traçabilité” permettrait d’évaluer l’efficacité des politiques menées en matière d’intégration. Au XIXe siècle, des pans entiers de la sociologie sont nés de la volonté politique de connaître la “question sociale” (c’est-à-dire la situation de la classe ouvrière) et d’évaluer les politiques menées en vue de la résoudre. Le jour où un effort analogue sera entrepris avec la question de la migration et de l’intégration, on pourra dire que les

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C L’idée selon laquelle “si ça continue, il faudra bien que ça craque” fut toujours en vogue parmi ceux qui attendent que “ça bouge”. Dans les années 1970, certains “optimistes” du mouvement social pensaient que le seuil de 200 000 chômeurs en Belgique serait celui de l’inévitable révolte du peuple. Alors que nous abordons aujourd’hui les 800 000 chômeurs et que plus de 1,5 millions de Belges vivent sous le seuil de pauvreté, “on ne voit toujours rien venir”. En face, d’autres, qui préfèrent miser sur la consommation des ménages que sur les luttes politiques et sociales, ont inventé le “moral des ménages” pour caractériser un sentiment de plus grande amplitude chez les personnes qui les incitent mieux à la consommation des produits de l’offre générale. C’est un équilibre fragile qui garde la population en état liminaire, conservant suffisamment le “moral” pour consommer et faire tourner l’économie, cultivant suffisamment la déprime et la mise sous pression pour qu’elle ne puisse s’organiser dans la perspective d’un changement politique ou économique qui mettrait à mal l’intérêt des actionnaires et le profit des plus riches.

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ar, en effet, comment penser le changement quand nous sommes préoccupés par ce qu’il y aura dans l’assiette de nos enfants la semaine prochaine ? Comment s’organiser collectivement dans la perspective d’une action citoyenne de transformation de notre société lorsque notre activisme quotidien se tourne principalement sur la résolution de ce problème : “joindre les deux bouts” ? D’autant que face à ce penchant démocratique à consacrer notre (maigre) “temps de cerveau disponible” pour penser la vie ensemble, certains érudits du marketing cherchent par tous les moyens à vendre ce temps disponible à Coca-Cola...

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C’est ainsi que le terme “crise”, qui signifiait “jugement”, “discernement” ou “décision” pour les grecs anciens (krisis), “manifestation brutale d’une maladie” en latin (crisis), et qui fut utilisé à notre époque pour parler des guerres, de la grande dépression de 1929 ou du choc pétrolier de 1973, devient maintenant un instrument de propagande de la peur qui, loin d’inciter à la prise de décision, confine à l’immobilisme et à la tétanie généralisée. La crise est devenue un mot caractérisant un état de l’économie ou de la politique auquel on ne peut pas grand chose sinon d’attendre qu’il passe. Lorsque

le 1er septembre 2004, Stéphane Paoli réunit sur le plateau du 7-9 de France Inter, le Baron Seillière de Laborde, patron du patronat français, et des chroniqueurs de gauche comme de droite, tous acquiescent à cette conclusion aux débats : “la seule chose sur laquelle nous sommes tous d’accord, c’est que l’économie c’est comme la météo, quand il fait mauvais, on sort son parapluie et on attend que ça passe.” En particulier, la crise économique, telle qu’elle est annoncée et rabâchée dans les médias et par nos ministres, justifie la tétanie du politique. Il n’est plus question de prendre des décisions (krisis), ni de travailler à l’amélioration du sort des personnes parce que les marges de manœuvres des organes de décisions politiques seraient trop faibles. Cette sentence semble sans appel, comme l’effet d’une catastrophe naturelle ou celui des conditions météorologiques. Les digues ne peuvent rien contre le tsunami. L’économie et ses pathologies brutales (crisis) nous sont imposées tel le jugement (krisis) de dieu contre lequel on ne peut rien. Face à elle, nous sommes sommés d’abandonner tout discernement (krisis) au profit de l’attente d’une hypothétique éclaircie que les économistes médiatiques nous promettent pour l’été 2012. Comme

disait Coluche : “Serrez-vous la ceinture encore cinq ans, après, vous serez habitués !” Pourtant, qu’on ne nous la joue pas ! Il n’est pas question de laisser endormir notre esprit critique par une propagande aussi grossière. L’économie n’est pas un phénomène météorologique ni même un phénomène naturel. Elle est un dispositif pleinement humain et social qui n’est soumis qu’à la politique que les hommes lui appliquent. Si elle nous parait transcendante, c’est uniquement parce qu’elle nous est présentée comme telle et que ses mécanismes et dispositifs restent opaques pour la plupart d’entre nous... Si les soi-disant crises de l’économie et de la finance, et les atermoiements des politiques économiques tétanisent le plus grand nombre et maintiennent une partie de l’humanité en situation de précarité, ce n’est que sous l’effet de décisions politiques prises par des personnes et des organisations dont chaque membre est identifiable nommément. Alors, après la pluie, le beau temps ?

Cedric TOLLEY Bruxelles Laïque Echos

Si l’argent semble s’évaporer... Il est pourtant quelque part : Bénéfice Bayer 2008 : 1,7 milliards d’euros (source : Bayer) Bénéfices Pfiser 4e trimestre 2009 : 767 millions de dollars (source : Pfiser) Résultat opérationnel net Sodexo 2009 : 771 millions d’euros (source : Sodexo) Bénéfices Sony 2008 : 23 milliards d’euros (source : Le Figaro) Bénéfices Microsoft 2008 : 22 milliards de dollars (source : Microsoft) Bénéfice Total 2008 : 13,9 milliards d’euros (source : Total) Bénéfice Total 2009 : 7,78 milliards d’euros (source : Total) Chiffre d’affaire Total 2009 : 131,3 milliards d’euros (plus du tiers du PIB de la Belgique) (source : L’Echos)

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La char Vicente


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http://frontsdf.be/ STOP à l’assistance, OUI à l’autonomie Le Front commun des SDF est une plateforme de plusieurs associations d’anciens et d’actuels SDF à Bruxelles, en Flandre et en Wallonie. Il s’est créé, il y a douze ans, lorsqu’un groupe de SDF a commencé à manifester dans les rues de Bruxelles car la loi leur permettant d’avoir des revenus, même sans domicile, n’était ni applicable, ni appliquée. Le front commun dénonce les vides juridiques qui privent des gens à la rue de leurs droits et tente d’influencer les politiques. Le site propose de nombreuses rubriques et analyses par régions ainsi que des documents multimédia souvent pertinents. A noter, le guide pour les sans-abris en mode téléchargement.

pour lutter contre l'exclusion et construire des rapports de force permettant le développement d'une société plus égalitaire et plus juste. Depuis sa création, le Collectif diffuse ses analyses a travers son journal Ensemble ! dont tous les numéros sont disponibles “On line”. Il propose régulièrement des articles de qualité. http://www.rbdh-bbrow.be/ L’asbl Rassemblement bruxellois pour le droit à l’habitat (RBDH) est un regroupement bilingue d’une cinquantaine d’associations qui, chacune sur leur terrain, défendent le droit à l’habitat et œuvrent pour un accès à un logement de qualité à prix abordable. De nombreuses formations sont proposées ainsi (entre autres) qu’une brochure téléchargeable sur les différentes actions du réseau.

http://www.asbl-csce.be/ http://www.webzinemaker.com/diogenes/

Créé en 1996, le Collectif Solidarité Contre l’Exclusion associe des personnes (avec ou sans emploi), des associations et des acteurs syndicaux unissant leurs énergies

DIOGÈNES partent chaque jour à la rencontre des habitants de la rue de notre capitale. Diogènes veut constituer une passerelle entre la rue et le monde social. Leur site est malheureusement à l’image de leur cadre de travail : Précaire… http://www.endpoverty2015.org/ Mettre un terme à la pauvreté en 2015 : telle est la promesse historique qu’ont faite 189 leaders internationaux à l’occasion du sommet “Millennium” des Nations Unies en 2000. Ils ont signé la déclaration du Millennium et donné leur accord pour rencontrer les huit objectifs anti-pauvreté du Millennium. Pour s’assurer que les politiques tiennent leurs promesses, la “campagne du Millennium” rassemble des citoyens du monde entier désireux de soutenir par différentes actions la réalisation des huits objectifs du Millennium.

À l’image du philosophe grec qui parcourait les rues d’Athènes “à la recherche d’un homme”, les travailleurs de

de notre s et de plu eux”, dev é, re sociét er e particip de s même

La charité est le moyen d'entretenir la pauvreté, de la fomenter, de la pérenniser. Vicente Blasco Ibanez

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L’existence du Collectif des “Morts de la Rue” témoigne d’une réalité insoutenable, celle des inutiles aux monde qui non seulement vivent mais meurent dans une oppressante indifférence au cœur d’une des villes les plus riches d’Europe. Bruxelles Laïque soutient les démarches du Collectif en proposant des cérémonies laïques lors des hommages consacrés à ces déshérités. Ce qui ne nous empêche pas de nous battre avant tout pour que chacun puisse vivre dans la dignité et bénéficier d’un toit.

Le Collect mel né, il découvert la gare du décès et, droit au lo lectif regro associatio tions et de On a été nes en 20 48 ans. No bre réel d rues de Br sée. Il s’a (une partie ont trouvé d’accueil, Parfois, e moment d été inform pendant le problèmes là pendan l’accès te les sansBruxelles, un logeme logements marché pr Objectifs

Ce logo a été développé, suite à l’initiative d’un membre de notre collectif. Ce membre est décédé au cours de cette année-ci, et est devenu, lui aussi, un ‘mort de la rue’.

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e Collectif “Les Morts de la Rue” à Bruxelles est une organisation qui travaille pour et avec les habitants de la rue, afin d’offrir un adieu digne si l’un d’eux décède.

(Pologne), le Collectif a pour objectif de tout mettre en œuvre pour assurer un traitement digne de la mort de chaque habitant de la rue et de témoigner du décès et de la vie des personnes de la rue.

Le Collectif à Bruxelles est un réseau informel né, il y a six ans, suite, d’une part, à la découverte révoltante de deux personnes à la gare du Midi, plusieurs mois après leur décès et, d’autre part, aux actions pour le droit au logement d’octobre 2004. Ce collectif regroupe des habitants de la rue, des associations de première ligne, des institutions et des citoyens concernés.

Un des buts principaux est que les gens ne meurent pas anonymement et que les gens qui ont connu la personne (la famille, les ami(e)s, les travailleurs sociaux, les équipes soignantes...) soient mis au courant du décès, et qu’avant celui-ci, ils aient la possibilité de leur dire adieu.

On a été informé du décès de 35 personnes en 2009. Leur moyenne d’âge était de 48 ans. Nous n’avons aucune idée du nombre réel de personnes ayant vécu dans les rues de Bruxelles et décédées l’année passée. Il s’agit des personnes qui ont vécu (une partie de) leur vie en rue. Parfois elles ont trouvé une solution dans une maison d’accueil, une maison de repos, un garni... Parfois, elles vivaient encore en rue au moment de leur décès. Nous n’avons pas été informés de plus de décès en hiver que pendant les autres périodes de l’année. Les problèmes structurels des sans-abris sont là pendant toute l’année. Nous visons ici l’accès tellement difficile au logement pour les sans-abris (les loyers trop élevés à Bruxelles, les longues listes d’attente pour un logement social – alors qu’il y a tant de logements vides – la discrimination sur le marché privé…) Objectifs du Collectif A l’exemple des actions menées par les collectifs de Paris, Québec et Kielce

Le travail du Collectif est aussi un travail structurel : nous voulons témoigner de la dureté de la vie en rue envers la société, pour que les gens et les autorités comprennent mieux les difficultés auxquelles les habitants de la rue sont confrontés. Tout ça, en essayant d’améliorer leurs conditions de vie et de mort. C’est un travail quotidien tout au long de l’année.

cérémonie, comme cela se fait souvent, avec des petites choses humaines, qu’on essaie de faire ensemble avec les gens qui ont connu la personne : écrire un petit texte, chercher une photo, rédiger un fairepart, choisir la musique, faire en sorte qu’il y ait des fleurs, une petite bougie… Pour les habitants de la rue, avoir quelque chose de concret, comme un faire-part avec la photo de la personne, signifie souvent beaucoup. C’est aussi tout un travail de contenu, et de ‘reconstruction’ de la vie et de la personnalité de la personne décédée, pour que la personne reste vivante pour ceux qui sont encore parmi nous : essayer de retracer la conviction de vie de la personne, de déterminer quelle forme de cérémonie est la plus appropriée, faire en sorte que les gens concernés soient tous avertis...

Le Collectif est une organisation de fait. Chaque personne qui se sent touchée par la problématique ou chaque institution qui touche à ces questions autour de la dignité dans la mort des habitants de la rue, peut en être membre. Dans nos actions, nous essayons d’impliquer au maximum les gens de la rue.

Nous essayons, en organisant une cérémonie, de respecter les convictions religieuses ou laïques de la personne. Le collectif travaille en collaboration avec des imams, des pasteurs protestants, des prêtres catholiques, des délégué(e)s laïques… Nous ne pouvons pas sous-estimer la grande valeur de la collaboration avec Bruxelles Laïque et son pendant flamand, le Centrum voor Morele Dienstverlening.

Cérémonies d’adieu

Visite collective au cimetière

Pour chaque mort de la rue, nous essayons de veiller à ce qu’il y ait une cérémonie d’adieu. Le cas échéant, le travail avec les familles est très important : veiller et aider à ce que la famille soit avertie du décès de leur proche, éventuellement préparer une cérémonie avec la famille. Préparer une

Début novembre, nous avons fait une visite collective au cimetière de Bruxelles. Nous nous rassemblons en groupe autour de la tombe de chaque personne décédée pendant l’année écoulée pour un moment de recueillement. Nous lisons un texte pour chaque défunt et mettons une petite

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lumière et un symbole sur la tombe (en ce mois de novembre 2010, c’était un petit sapin, comme signe de vie). Nous prenons aussi le temps de nous recueillir devant les tombes des gens de la rue qui sont décédés antérieurement. Réunions mensuelles Nous organisons des réunions mensuelles, où les (ex-) habitants de la rue et les organisations se rencontrent pour organiser des cérémonies, témoigner des défunts, définir les objectifs pour améliorer les conditions des décès de notre public… Ces réunions sont des espaces de paroles où tout le monde a la possibilité de s’exprimer librement. Cérémonie annuelle Dans ce cadre, nous organisons une cérémonie annuelle pour commémorer les habitants de la rue qui sont décédés l’année

précédente. Cette cérémonie d’hommage a un aspect interconvictionnel car les morts de la rue ont différents cultes et convictions. Nous avons développé cet aspect avec l’asbl Axcent. Pour commémorer tous les morts de la rue de 2010, ainsi que ceux dont nous n’avons pas été informés, nous organiserons la prochaine cérémonie annuelle le mercredi 2 mars 2011, dans la salle gothique de l’Hôtel de ville de Bruxelles. Cette cérémonie annuelle est organisée en collaboration avec Madame Chantal Noël, Echevin des Cultes et Monsieur Hamza Fassi-Fihri, Echevin de l’Etat Civil. La Ville de Bruxelles, par l’intermédiaire de ces deux échevins, s’est distinguée par sa collaboration active avec notre collectif : elle le soutient non seulement à l’occasion de la cérémonie d’hommage mais encore durant toute l’année.

Cette fois-ci nous aurons la collaboration du Collectif “les poètes de villes”.Ce sont les habitants de la rue qui prennent en charge une grande partie de la préparation de la réunion annuelle et participent directement à cette cérémonie.

Bert De Bock, au nom du Collectif les Morts de la Rue à Bruxelles straatdoden.mortsdelarue.bxl@hotmail.com 0476 74 81 37

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L’ASSOCIATION DES AMIS DE LA MORALE LAÏQUE D’AUDERGHEM EN COLLABORATION AVEC LES AML D’IXELLES ET DE WATERMAELBOITSFORT proposent une conférence-débat : Religion, guerre de religion, laïcité par Monsieur Elie Barnavi, historien. Date : vendredi 21 janvier 2011 à 20h. Lieu : auditorium des Ecuries de la Maison Haute, 3, place Paul Gilson à Watermael Boitsfort. P.A.F : 5 euros pour les membres des AML organisatrices et du CEPULB, 6 euros pour les non membres. Renseignements : T. : 02/673 13 12 (Mme Vanlanduyt)

LA LIGUE DE L'ENSEIGNEMENT ET DE L'EDUCATION PERMANENTE ASBL propose de nombreuses formations. Ces activités sont destinées aux professionnels et aux volontaires du secteur non-

marchand, qui souhaitent développer leurs compétences personnelles dans les domaines du management associatif, de la relation d’aide, de l’animation et de la créativité, de la communication interculturelle, etc. Des activités de loisirs, des visites, des promenades et des excursions culturelles pour tous les goûts. Parmi les activités prévues au premier trimestre 2011 : - Evaluer nos projets pour améliorer la qualité - Quelles subventions pour mon projet ? - La conduite de réunion - La prise de parole en public - Développer votre réseau relationnel - Formation à l'entretien individuel - Les relations avec la presse - Pédagogie de l'animation - Enfants et adolescents au comportement violent à l'école et en accueil extra-scolaire - Professionnels du monde socio-éducatif : comment initier, clarifier, planifier et gérer son projet de partenariat avec l'école

- La gestion d'un entretien en situation de crise - L'accueil et la remobilisation du public - Se sensibiliser à l'écoute active - Comment améliorer l'estime de soi ? - Bien-être et émotions au travail dans le secteur non marchand - Visite de la RTBF - Ensor démasqué - Entre paradis et enfer : mourir au Moyenâge … Pour toutes les informations pratiques (nombre de participants, dates, lieux, prix...) consultez : www.ligue-enseignement.be Ou prenez contact avec la Ligue de l’Enseignement et de l’Education permanente asbl Rue De Lenglentier, 1A – 1000 Bruxelles Secteur formation : T. : 02/511.25.87 Mail : formation@ligue-enseignement.be

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LA MAISON DE LA LAÏCITÉ LUCIA DE BROUCKÈRE propose une conférence suivie d’un débat : Lumières dans l’obscurité. La montée de l’intégrisme par Monsieur Jean-Louis Smeyers. Date : mercredi 9 février 2010 à 19h30. Lieu : Maison de la Laïcité Lucia de Brouckère, rue de la Croix de Fer 60-62 à 1000 Bruxelles. P.A.F : 3 euros. Renseignements : T. : 02/223 46 13 Mail : maisonlaique.bxl@gmail.com

LA MAISON DE L’INITIATIVE CITOYENNE ASBL propose : Permanence administratives et juridiques (consultations juridiques gratuites) ainsi que des formations au civisme. Date : les mercredis et samedis. Lieu : rue de l’Eglise Sainte-Anne n°6 à 1081 Bruxelles. P.A.F : gratuit. Renseignements : T. : 0474.031.106 Web : http://www.freewebs.com/mic-hib

LA CONFÉDÉRATION PARASCOLAIRE ET BRUXELLES LAÏQUE proposent : Festival Regards Croisés Date : jeudi 3 mars 2011, vendredi 4 mars 2011, samedi 5 mars 2011. Lieu : Théâtre Marni, rue de Vergnies 25 à 1050 Bruxelles. P.A.F : gratuit ou payant selon les évènements. Renseignements : : Alix de Biey Soh T. : 02/289 69 28 Mail : a.debriey@laicite.be http://festivalregardscroises.be

LA CONFÉDÉRATION PARASCOLAIRE EN COLLABORATION AVEC L’ÉQUIPE DU B.I.F.F. proposent : Concours d’écriture de nouvelles fantastiques Le concours s’adresse aux jeunes, le premier prix sera, entre autres, la particpation au jury du prochain B.I.F.F. (Brussels International Fantastic Film Ferstival) section “courts-métrages” en avril 2011.

Date : de décembre 2010 à avril 2011. Renseignements : : Philippe Buschen : p.buschen@laicite.net Onofre Molina : onofre.molina@laicite.net T. : 02 512 16 11 http://festivalregardscroises.be

Toute l’équipe de Bruxelles Laïque vous souhaite une excellente année 2011 !

Au KVS “Déclarons la pauvreté illégale comme a été déclaré illégal l’esclavage au 19ème siècle”. C’est à partir de cette déclaration de Riccardo Petrella que le KVS clôture l’année 2010. Durant un mois, des personnes vivant dans la pauvreté, des politiques, des économistes, des philosophes, des travailleurs sociaux et des artistes mettent la pauvreté à la carte et ce au moyen de discussions, de propositions et d’interventions artistiques dans la ville. Jusqu’au 16 janvier 2011. Avec entre autres : le 10/01/10 à 19h Riccardo Petrella et Karel De Gucht (débat) – le 04/01/11 Brussels Street All Stars Orchestra (concert). Programme complet et renseignements : http://armwoedepauveritepowerty.kvs.be www.kvs.be Tel. : 02/210 11 12

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Conseil d’Administration

Direction Comité de rédaction

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Philippe BOSSAERTS Jean-Antoine DE MUYLDER Anne DEGOUIS Isabelle EMMERY Francis GODAUX Ariane HASSID Christine MIRONCZYK Michel PETTIAUX Johannes ROBYN Benoît VAN DER MEERSCHEN Cédric VANDERVORST Myriam VERMEULEN

Fabrice VAN REYMENANT

Juliette BÉGHIN Mathieu BIETLOT Mario FRISO Thomas LAMBRECHTS Sophie LEONARD Alexis MARTINET Ababacar N’DAW Cedric TOLLEY

GRAPHISME Cédric BENTZ & Jérôme BAUDET EDITEUR RESPONSABLE Ariane HASSID 18-20 Av. de Stalingrad - 1000 Bruxelles ABONNEMENTS La revue est envoyée gratuitement aux membres de Bruxelles Laïque. Bruxelles Laïque vous propose une formule d’abonnement de soutien pour un montant minimum de 7€ par an à verser au compte : 068-2258764-49. Les articles signés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.

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