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Sommaire Editorial (Ariane HASSID)............................................................................................................................................................................................................................................................................................................. 3 L’idéologie managériale : Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions (Alice WILLOX) .............................................................................................................................. 4 Mon cadre-manager me fait rêver (Alexis MARTINET) .................................................................................................................................................................................................................................. 8 Le stress de tout ce qu’il y a à réussir… (Propos recueillis par Alexis MARTINET et Paola HIDALGO) .................................................................................................... 12 La managérialisation des services publics : un pas vers la modernité ou un ver dans le fruit ? (Olivier STARQUIT)................................................................... 15 Europe : quand l’autorité technique prend le pas sur la démocratie (Bruno PONCELET) ....................................................................................................................................... 19 Un cadre de référence pour la qualité dans les ONG (Denis DUBUISSON) ........................................................................................................................................................................... 23 L’imposture contractuelle (Pierre-Arnaud PERROUTY) ............................................................................................................................................................................................................................. 27 Rationalisation du travail social (Propos recueillis par Mario FRISO et Cedric TOLLEY) ......................................................................................................................................... 30 Consultation du dossier et respect de la vie privée (Micky FIERENS) ........................................................................................................................................................................................ 32 Chronique d’une importation annoncée (Extraits des travaux de Dan Kaminski par Juliette BEGHIN) .................................................................................................... 36 Le manager pénitentiaire : un sous-capitaine qui a le mal de mer (Marc DIZIER) .......................................................................................................................................................... 40 Ma petite entreprise… (Mathieu BIETLOT) ............................................................................................................................................................................................................................................................. 43 Peut-on mettre l’humain en boîte ? (Ababacar NDAW) .............................................................................................................................................................................................................................. 47 PORTAIL : La déconne : une méthode de management qui marche ! (Mario FRISO) .................................................................................................................................................. 49

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ar ces temps moroses d’austérité et de crises infinies, nous n’avons plus le choix : il faut gérer ! Gérer non plus en bon père de famille mais en parfait manager. Force est en effet de constater que l’impératif d’abord, les méthodes ensuite, de gestion développés au sein des entreprises à but lucratif s’immiscent, contaminent ou envahissent des domaines d’activité toujours plus vastes et par là des pans entiers de notre vie quotidienne.

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Les exemples sont légions : bonne gouvernance confiée aux experts gestionnaires de la Troïka européenne, réforme Copernic des services publics belges, kit de la démarche qualité dans les ONG ou les institutions de soins, contrat de gestion et processus d’évaluation des politiques publiques, formations au management associatif, méthode de développement personnel et d’optimalisation de nos compétences relationnelles… Sans parler des deadline, brainstorming, win win, bottom-up, check out, reporting et autre benchmarking qui colonisent nos langages professionnels. Parce qu’il ne recherche que l’efficacité, qu’il se limite à proposer des moyens et des techniques rationnelles et utiles pour atteindre des objectifs sans se prononcer sur ces objectifs, le management se prétend neutre, dénué de toute connotation idéologique, et donc universel. Or l’impératif de gestion efficace n’a pas existé de tout temps. Ce n’est pas une manière de fonctionner naturelle mais une manière de voir et d’organiser les choses apparue à un moment précis de l’histoire. Non seulement, il n’y a pas une seule ou parfaite méthode pour atteindre ses buts mais le fait d’être efficace n’est pas à lui seul gage de vérité. Le management relève d’une certaine vision du monde et de l’homme : positiviste, utilitariste, techniciste… Dès lors, le management ne propose pas que des moyens techniques, il teinte le projet de ses présupposés idéologiques, voire en pervertit les finalités. Il faut le savoir quand on décide d’appliquer des instruments de gestion à une situation précise. Cela ne signifie pas que les techniques de management sont forcément mauvaises. Tout n’est pas à jeter, il y a des outils et des méthodes qui peuvent améliorer le fonctionnement d’un service public, d’une association ou d’un projet personnel. A condition de bien garder à l’esprit les implications sous-jacentes des instruments utilisés et de ne pas perdre de vue les finalités propres de ces institutions ou projets. Il s’agit d’adapter la technique aux finalités du projet et non l’inverse, comme cela semble trop souvent être le cas. En tant que laïques, nous ne sommes évidemment pas opposés à l’idée d’accorder plus de place à la raison dans nos modes d’organisation. Mais il faut se méfier du dévoiement des valeurs qui glisse si vite de rationalité à rationalisation puis à rationnement. Et aussi, en tant qu’humanistes, nous ne pouvons nous contenter de modélisation, de calculs froids, de mises en boîte qui ne laissent aucune place à l’humain et ses affects, aux aléas de la vie, à la remise en question, aux débats sur les orientations politiques ou les choix de société. Le bonheur et le succès ne découlent pas automatiquement d’un plan de management. La lecture des articles qui suivent vous aidera dans vos réflexions à ce sujet.

Ariane HASSID Présidente

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Par Alice WILLOX*

L’idéolog

L’idéologie managériale Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions Les outils du management humain sont partout. Débarqués de la sphère marchande, ils envahissent aujourd’hui les sphères sociales les plus diverses, du secteur non-marchand jusqu’aux multiples “life coachs” qui nous guident vers toujours plus d’ “excellence”. Il est tentant d’y voir une forme de repli rationaliste face aux incertitudes d’une société post-moderne en crise. Et cette hypothèse n’est sans doute pas sans fondements. Pourtant, y voir un phénomène simplement sociologique nous empêcherait de questionner

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*Bruxelles Laïque Echos

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L’idéologie managériale À la fin du XIXe siècle, Frederic Winslow Taylor se penchait sur la productivité des usines américaines avec l’intention nette d’élaborer une théorie scientifique de l’organisation du travail. Le mythe du “one best way” était né. Plus de cent ans plus tard, force est de constater que le monde du travail reste imprégné de cet énoncé gestionnaire. Il n’est bien évidemment pas insensé de chercher une organisation plus rationnelle du travail. En revanche, le phénomène d’ “implémentation1” des outils du management à pratiquement tous les degrés de la société relève de ce que nous pourrions appeler l’idéologie managériale. Cette managérialisation peut être définie comme “l’usage généralisé des techniques d’orientation des conduites, permettant d’atteindre des objectifs normatifs et politiques2”. Le management actuel dans le monde du travail ne repose plus sur la solution unique. L’heure est à l’adaptation, il s’agit de connaître ses collaborateurs et de leur proposer des modes de travail adaptés à leur personnalité et à la particularité du projet. Par exemple, pour mobiliser une équipe dans un but d’efficacité à court terme, en cas de difficulté passagère, vous concentrerez vos efforts sur des collaborateurs compétents et en besoin de reconnaissance en adoptant une posture de meneur. En revanche, si votre objectif est d’attribuer des responsabilités opérationnelles à des collaborateurs constructifs en besoin d’identification au groupe, vous choisirez de vous montrer coopératif3. La gestion humaine est aujourd’hui une affaire complexe, mais rassurez-vous, pour chaque problème, il y a une solution !

Si l’heure est à l’adaptation, elle est également à l’autonomie des collaborateurs. En effet, le management participatif, par projet ou d’empowerment, vise très précisément cette compétence. Mais il ne s’agit pas de se méprendre sur la finalité de ces méthodes de gestion humaine : “l’autonomie et la créativité exigées à présent des salariés ne suppriment pas pour autant l’encadrement du travail et son contrôle (…) les salariés restent toujours tributaires des contraintes prescrites par les procédures de certification de qualité et de la pression de la demande4”. Quid du non-marchand ? Si ce modèle de gestion humaine n’est pas récent dans les grandes entreprises à but lucratif, le secteur non-marchand semble pris également dans cette dynamique. La coopération au développement est le premier secteur non-marchand a avoir intégré des outils de gestion de projets venus du monde marchand. Mais ils sont suivis de près par le secteur de la santé, de l’insertion socioprofessionnelle et l’action sociale publique. Cette managérialsiation de l’action sociale repose sur une volonté nette de rationalisation des dépenses publiques. Depuis quelques années déjà, on voit se développer l’idée que l’action sociale serait un coût trop important pour l’Etat et que ce dernier doit pouvoir opérer un contrôle plus important sur les organisations qu’il subsidie. Ainsi, les outils du monde marchand, par leur souci intrinsèque du profit, seraient nécessairement le moyen le plus rationnel de garantir l’efficacité de l’action sociale. On peut donc se voir décliner, avec le développement de l’Etat social actif, quelques logiques contemporaines proprement

managériales (voir définition plus haut) qui traversent le champ du travail social en général : - La territorialisation repose sur l’idée que chaque localité est en proie à des difficultés spécifiques. Cette logique impose donc l’élaboration de diagnostics par l’identification des précarités particulières à la zone géographique et la construction de plans d’action à court, voire à moyen terme. Les plans de cohésion sociale en sont l’exemple paradigmatique. On passe donc très nettement de la logique d’assurance universelle à celle de la discrimination positive. - L’hyperspécialisation des services d’accompagnement sociaux sont une manifestation de la volonté publique de proposer une solution adaptée à chaque situation individuelle. C’est cette logique qui explique, par exemple, que les services d’hébergement de l’Aide à la jeunesse se déclinent sous plus de quinze formes différentes selon leurs projets (accueil d’urgence, autonomisation, doubles diagnostics, observation et orientation…) et que bien des enfants restent sur liste d’attente, faute de place dans un service adéquat. - La contractualisation et l’activation se déploient particulièrement dans le secteur de l’insertion socioprofessionnelle. Cette conditionnalité de l’aide assurantielle questionne plus profondément la place que nous réservons aux plus démunis : comment notre société gère-t-elle les pauvres ? Quel contre-don exige-t-on de ceux que nous assistons ? D’une part, elle laisse entrevoir un climat de suspicion vis-à-vis des bénéficiaires de l’aide sociale, qui seraient des “profiteurs pas-

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sifs et assistés”. D’autre part, elle élimine formidablement la question des responsabilités collectives, c’est-à-dire des responsabilités de la société en tant que fabrique de la précarité. - Il en va de même pour la tendance à l’individualisation, teintée de psychologisation. Elle repose sur une prédominance de la cause individuelle dans la conception de la désaffiliation. Après tout, quand on veut, on peut. L’étendard de ce phénomène est sans doute celui de l’égalité des chances. Sous l’apparat d’une égalité moderne, l’égalité des chances ne questionne en rien les inégalités. En effet, “le présupposé individualiste de l’égalité des chances (…) promet de transformer la situation de certains individus, tout en laissant inchangées les structures sociales5”. Nous voilà donc tous sur la même ligne de départ, mais il y aura tout de même des gagnants et des perdants. Dans toutes ces logiques, on peut voir un dénominateur commun, celui de responsabiliser l’individu à un degré qui entrave la subjectivation collective, c’est-à-dire la possibilité de s’identifier à une condition sociale. Et les luttes sociales de s’enliser dans une perte de sens favorisant la démobilisation. A un niveau plus personnel également, les ressources gestionnaires ne manquent pas : introduire “savoir dire non” dans un moteur de recherche Internet vous assure plus d’un million de résultats et recommandations des plus pragmatiques. Il s’agit de se poser en entrepreneur de soi et de mener à bien ses projets pour garantir sa position de “winner”. Et de mesurer com-

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bien les conceptions et le vocabulaire marchands ont infiltré nos vies personnelles.

et qui continue pourtant à dominer le monde de l’entreprise et au-delà.

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Nous voilà donc cernés par les modèles comportementaux dont les prétendues variations adaptatives peinent à cacher l’uniformité de leur finalité normative.

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Les limites de l’humain modélisé L’organisation scientifique du travail – ou de sa vie privée – prend aujourd’hui des formes diverses, mais elle reste cloisonnée dans des cadres logiques qui font peu de cas de facteurs humains plus aléatoires tels que l’improvisation, la rêverie, les accidents, le jeu, l’intuition, l’humour… Et pour cause, ces spécificités personnelles mais surtout imprévisibles ont été analysées par nombre d’auteurs qui, s’ils ont parfois rendu une théorie cohérente, n’ont pu le faire qu’au prix d’une complexité de raisonnement peu compatible avec l’intention schématisante des modèles managériaux. Ce qu’on peut appeler les “comportements d’humeur” appartiennent par définition au domaine de l’imprévu. Mais ils sont également porteurs de possibles, de création et d’innovation. Tenter de modéliser ce potentiel serait par définition le faucher en plein vol. Nous sommes ici dans un dilemme proche de celui du fameux chat de Schrödinger6. Impossibilité qui met en lumière l’étroitesse de vue de la gestion moderne des ressources humaines. Le mythe du “one best way” plane sur les organisations humaines depuis la pensée taylorienne. Une pensée dont les limites ont été démontrées à de nombreuses reprises

Ce constat pourrait se révéler sans conséquences si les courants managérialistes ne revendiquaient pas leur neutralité et donc leur fiabilité. Et aussi, s’ils ne s’érigeaient pas au rang de dogme indiscutable. Or, si l’on s’y attarde quelque peu, on constate aisément que l’idéologie managériale est tout sauf neutre. Elle repose en effet sur des paradigmes qui relèvent d’une “certaine conception de l’économie et du développement économique7” : objectivisme, fonctionnalisme, utilitarisme… Ces paradigmes eux-mêmes entendent étayer avec force le modèle néolibéral dominant. Leur atout majeur est certainement de constituer une idéologie qui ne dit pas son nom, et de construire des catégories de pensées qui façonnent nos représentations de ce qui est efficace, de ce qui est raisonnable et rationnel, et donc de ce qui est bon pour nous. L’idéologie managériale et son infiltration dans (presque) toutes les sphères de notre vie pose donc la question de sa fonction sociale et politique. Sous le slogan “Il n’y a pas de problème, il n’y a que des solutions”, on devine aisément les contorsions morales nécessaires à maintenir la productivité, l’efficience et la rentabilité économiques exigées par les outils du management. D’une part, cet arsenal représente un formidable dispositif de reproduction du système économique et social moderne. D’autre part, sa fonction idéologique se pose nécessairement en pensée massive,


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Il semble donc essentiel, face à ce phénomène, de nommer le caractère idéologique de la managérialisation, afin de repositionner ces outils prétendument neutres

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1 Implémentation : Commercialisation, lancement, Implantation, mise en œuvre, utilisation effective. Source : http://fr.wiktionary.org/ 2 Mehdi Arrignon, “La managérialisation de l’Etat social actif : une perspective comparée (France, Pays-Bas, Espagne)”, Congrès AFSP, 2011 3 https://www.youtube.com/watch?v=-V_NpfvzGbQ 4 Mateo Alaluf, “Le retour du puritanisme au travail”, www.econospheres.be, mis en ligne le 24 mars 2012. 5 Alain Bihr, La novlangue néolibérale. La rhétorique du fétichisme capitaliste, Lausanne, Page Deux, 2007 6 La théorie du chat de Shrödinger est à l’origine une critique de la mesure dans la physique quantique : un chat est enfermé dans une boîte avec un dispositif qui tue l'animal dès qu'il détecte la désintégration d'un atome d'un corps radioactif. Or, pour savoir si le chat est mort ou vivant, il faut ouvrir la boîte…et donc tuer le chat. Plus d’informations : http://fr.wikipedia.org/wiki/Chat_de_Schr%C3%B6dinger 7 Vincent de Gaulejac, “La part maudite du management : l’idéologie gestionnaire”, Empan, n°61, p.30-35

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Par Alexis MARTINET*

Mon cadre-manager

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C’est lors d’une soirée amicale qui débuta somme toute comme tant d’autres que mon vieux pote Fabien me prit en grippe. “C’est de saison”, me suis-je entendu penser. Consultant de profession depuis cinq ans, Fabien jouit d’une voiture de société tant chérie qu’Audi l’aurait façonnée en son honneur, se fagote de costumes cintrés qu’il ne tombe jamais tant ils ont le don de réfléchir sa nouvelle condition et se persuade chaque jour d'en savoir encore plus sur le monde qui nous entoure. Il a fait ses classes à l’ICHEC, rebaptisée il y a peu “Brussels management school”1, ça fait plus smart, l'école du parfait manager. Tellement parfait qu’il ne lui a été dispensé aucun cours consacré à la critique du système enseigné ni aux différents contre-courants de pensée actuels. Pour lui, comme pour tant d’autres, le management n’est rien d’autre qu’un moyen pour rendre une société plus efficace dans sa globalité.

*Bruxelles Laïque Echos

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ous remplissions donc nos verres respectifs lorsque, sans crier gare, la bombe fut larguée :

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“Tu vois mon gars, le monde, c’est d’investissements et de profits dont il a besoin pour se développer. Et c’est précisément ce qu’on génère chez Deloitte en augmentant la performance des entreprises. Ce sont les grosses boîtes qui dynamisent la croissance et le pouvoir d’achat pour tous. Alors toutes ces grèves...”. Vous imaginez mon désarroi, sachant que depuis vingt ans, nos retrouvailles trimestrielles se déroulaient tantôt à s’échiner sur de vieux jeux vidéo, tantôt à se rappeler nos anciens déboires affectifs, une bière dans chaque main. Il est cependant malaisé de ne pas réagir lorsqu’on surprend un ami s’embarquer, tambour battant, dans la morne campagne lancée par les petits hommes gris2 contre la dignité humaine, la pensée, l’amour du travail intellectuel, l’authenticité, les doutes, la légèreté, la spontanéité. Pour couper court et gagner du temps, je lui proposai d’en débattre pendant son lunch en one to one, avec son psy d’entreprise3, lorsque son conference call sera over4. La situation n’était pas désespérée, il avait souri… Mais tenait à ne pas en rester là… “Tous ceux qui ont un tant soit peu étudié l’économie savent que cela a toujours fonctionné de cette manière, arrête de vouloir toujours tout remettre en question ! On nous apprend des techniques efficaces pour accroître les bénéfices en tenant compte de tous les aspects, y compris humains. Et

toute la société en profite, de ces bénéfices”.

la rescousse d'une petite entreprise en difficulté.

Je me trouve, certes, en minorité idéologique, mais vu ce à quoi ressemble le monde du travail, la navigation à contrecourant ne m’émoustille pas outre mesure. Quoi qu’il en soit, j’allais prendre les armes5 contre Fabien et ses idées qui n’en étaient pas contre cette discipline qui ne vise finalement qu'à l’enrichissement d'un groupe restreint d'individus. Ceux que l’on devrait suivre aveuglément sous prétexte que ces mêmes personnes seraient susceptibles de nous “offrir” un emploi. Et quel emploi…

Je décidai d’appuyer mon argumentaire à partir de l’analyse développée par Luc Boltansky et Eve Chiapello dans Le nouvel esprit du capitalisme6.

Tes œillères, cher Fabounet, semblent exceptionnellement efficaces puisqu’elles t’empêchent d’avoir ressenti la souffrance psychique et physique des employés des entreprises dans lesquelles tu consultes tous les jours ou alors aurais-tu simplement été à bonne école et camouflerais-tu tes doutes par ce sourire et ce voile apparent d’aisance ostentatoire ? Ce sont précisément ces méthodes de gestion, en raffinement constant et aux effets éprouvés – tant en termes de réduction des coûts que d’intensification du travail – que tu es habilité à mettre en place qui en sont la cause. De plus en plus de travailleurs sont harcelés, déstructurés, broyés au travail par ces méthodes qui, depuis plus de vingt ans, se sont développées et deviennent la norme. Elles entraînent, mois après mois, selon les cas, burn out, tentatives de suicide et maladies professionnelles lorsque le travailleur se tait, avertissements et licenciement lorsqu’il proteste. Elles sont le fruit d'une évolution idéologique structurelle et n’ont rien de simples méthodes isolées lancées à

Selon eux, l'accumulation illimitée du capital exige la mobilisation d'un grand nombre de personnes qui ne jouissent plus du résultat de leur travail et n’ont, dès lors, a priori, aucune motivation à participer à cette accumulation : les salariés. Le capitalisme, complètement détaché de la sphère morale, nécessite, pour prospérer, la mise en œuvre d'une idéologie qui justifierait cet engagement inconsidéré. Pour ce faire, il ira chercher, en dehors de sa propre logique de base, des incitants et des légitimités culturelles pour l’implication de tous les travailleurs dans l’entreprise. C’est le lien qu’avait établi Max Weber entre l’esprit du protestantisme et l’accumulation captaliste. Vers la fin des années 1960, Il a fallu modifier l’esprit du capitalisme pour répondre à un changement des valeurs dominantes et s’adapter aux deux critiques majeures qui lui étaient alors opposées : d’une part, la critique sociale, soulevée contre l’exploitation, réclamant notamment plus de justice sociale, d’égalité, un meilleur salaire etc. et d’autre part, la critique dite artiste orientée entre autres contre l’aliénation, la standardisation, la production et la consommation de masse, contre l’archaïque autorité patronale paternaliste, et donc animée par un désir de plus de créativité, d’autonomie, de mobilité et de spontanéité.

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Les penseurs du néolibéralisme ont pu percevoir, dans la critique artiste, de nouvelles pistes favorisant l’accumulation du capital, tout en réduisant encore les coûts afférents à la production fordiste ou au contrôle hiérarchique des travailleurs. Le nouvel esprit capitaliste ne tarda donc pas à intégrer ces concepts exigés en les vidant de leur sens initial et en leur attribuant un objectif de profit. Ce faisant, à travers le management par projets et réseaux (néo-management) qui signe la fin de l’entreprise fonctionnelle, le capitalisme créa des contradictions de valeurs qui ne tardèrent pas à produire un éclatement du monde du travail et la souffrance d’une grande partie des travailleurs. Le capitalisme pencha, par exemple, dans le sens d’une libération qui permit une flexibilité, un changement d’activité et de projet ainsi qu’une rupture vis-à-vis des appartenances locales. Mais cette libération s’est faite au détriment de la libération revendiquée par la critique artiste : la délivrance d’un système ou d’une situation d’oppression. La critique d'inauthenticité était quant à elle orientée contre la production standardisée massive et industrielle qui aboutit à la création d’une masse humaine à la pensée unique. La réponse capitaliste a été la mise en œuvre d’une marchandisation par la diversification à outrance des biens et des produits qui entraîna la marchandisation de domaines qui, jusque là, avaient échappé à la sphère marchande (activités culturelles, loisirs…).7 Cette marchandisation accrue entraîna de surcroît la prospection et la mise en valeur de gisements d’authenticité, sources inépuisables de profit.

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Parallèlement à ce phénomène, la liberté devint la liberté d’acheter, le plus possible et le plus souvent possible. Le travailleur subit une démultiplication de son aliénation par cette incitation à la consommation de masse qui l’enferme en le persuadant que son salaire, même s’il fait vivre les siens, ne suffit plus ; il doit travailler plus dur pour pouvoir se procurer cette superfluité. Alors que l’autonomie revendiquée visait celle qui s'entend de pair avec l'émancipation de Todorov et la réalisation de soi, l’accroissement d’autonomie s’est construit au détriment de la protection et de la sécurité de l’emploi, ainsi que d’une perte d’emprise du travailleur sur son environnement. On exige à présent de lui, sur ses projets professionnels, une implication personnelle qui empiète sur sa vie privée, ne lui laissant aucun répit. Le néo-management organise un véritable viol de l'intimité et détruit ce mur qui, depuis plus d'un siècle, protégeait de l'entreprise, la vie privée du salarié. Il s’agit pour l’employeur d’asservir également l'esprit des travailleurs, de contrôler à son profit l’ensemble de leur temps et de leur subjectivité (la biopolitique de Foucault caractérise ce contrôle social au niveau de la Cité). On exige des individus la soumission absolue et de tout instant de leur subjectivité imposant à chacun d'être responsable de son “employabilité” dans une flexibilité maximale. Le travailleur peut aujourd’hui souffrir tant au travail par la mise en place de méthodes de management pathogènes (objectifs inatteignables, cadences insoutenables, perte d’identité…), qu’après le travail (travail à ramener à domicile, disponibilité sur smartphones…) et même de l’absence de travail

(synonyme de perte de l'estime de soi et d'exclusion sociale). Là où la critique artiste exigeait une hiérarchie moins accablante et plus d’autogestion, on assiste à un renforcement de l’autocontrôle, du contrôle informatique en temps réel, de la surveillance accrue des travailleurs entre eux, tous tenus responsables de la bonne exécution du projet en cours. Le management par projet fonctionne couramment sur base d’objectifs annuels à atteindre “en toute autonomie”. Lorsque les objectifs d’une année sont réalisés, la hiérarchie considère qu’elle peut élever d'un cran le niveau exigé pour l’année suivante. Chaque année devient de facto plus insurmontable, et ce, jusqu’à ce que le travailleur renonce, au nom de ces objectifs, à des parts de plus en plus importantes de sa vie privée. Tant le besoin de reconnaissance de ses pairs que la crainte du licenciement et les pressions insurmontables le précipitent dans le mal-être, la dépression, voire la tentative de suicide8. Le salarié a l'obligation d'être flexible, de pouvoir se couler dans tous les moules, mais doit conjointement développer sa spécificité propre et la mettre en avant afin d'intéresser les autres, rite indispensable pour pouvoir passer de projets en projets et devenir “quelqu’un” dans le monde de l’entreprise. Une autre contradiction déstructurante du néo-management réside dans le fait, comme on l'a dit, qu'il faut être soimême, être libre, pour conquérir d'autres projets dans ce réseau interconnecté alors que l'homme n'est pas dupe et vit avec le ressenti permanent et justifié d'être manipulé, exploité ou récupéré.

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L’économiste Frédéric Lordon9 a mis en exergue une des caractéristiques du capitalisme actuel, à savoir, la forme de “domination symbolique” (Bourdieu) exercée en vue d’enrôler les individus dans son projet. Le néolibéralisme tente de convaincre les individus que le travail est le lieu de la réalisation de soi, en l’associant intrinsèquement à des “affects joyeux”, plutôt qu’extrinsèquement, c’est-à-dire lorsque le travailleur perçoit son salaire. On va manipuler ce qui est de l’ordre des désirs en requérant du salarié, non seulement qu’il fasse ce qu’il faut faire, mais qu’en plus, il trouve cela agréable. Alors, on va organiser de grandes soirées arrosées de mousseux aux étiquettes dorées, organiser des team-buildings au Club Med et autres grandes messes en tous genres. Pour Paul Ariès10, le concept d’autonomie est tellement falsifié qu’il est réduit à néant. Le recrutement sert à déceler les candidats les plus aptes à la soumission, ceux qui semblent prêts à vivre pour leur entreprise et à accepter cette mère assouvissant leurs besoins primaires au prix de la privation de leur autonomie et de leur dignité. Le néo-management conteste de plus en plus aux salariés le droit à la jouissance de leur identité propre dans le cadre de l'entreprise, en visant systématiquement à imposer aux travailleurs une identité nouvelle, qui n'est même plus celle des métiers, qui est celle de l'entreprise elle-même. Les procédés mis en place pour y arriver ne manquent pas : nouveaux modes d'organisation du travail qui brisent les cultures de métier, instauration de règles de travail identiques et standardisées, code vestimentaire, tutoiement, expressions de langage imposé

pour les commerciaux, etc.10 Et il s’agit moins d’être plus efficace que de déshumaniser, de désubjectiviser ce qui se passe dans l’entreprise.

déjà contaminé le monde des entreprises et poursuit inlassablement sa chevauchée à l’assaut des services publics, des associations, des écoles…

L'entreprise moderne rompt ainsi avec le paternalisme d'antan et développe aujourd'hui un maternalisme encore plus pervers, car fondé sur une logique de dévoration de son personnel. Oscillant de la Clémentine de Vian à la Folcoche de Bazin, d’une mère étouffante, castratrice, refusant à ses enfants leur indépendance et leur autonomie à celle qui les exclut et les rejette. Le lien à l’entreprise devient fondamental alors qu’il est de plus en plus éphémère.

1 Tout comme Solvay qui s’accoutre dorénavant d’un irritable “Business School”. 2 A la Simenon, ces petits hommes gris représentent la matérialisation finale du cauchemar imaginé par Robert Musil dans L'Homme sans qualités (Seuil, 1979). Dixit Benasayag. 3 La mise à disposition de psychologues d’entreprise est une technique utilisée dans un grand nombre de sociétés. Si l’employé n’est pas satisfait, que les conditions de travail ne lui conviennent pas, ce n’est pas de la faute de l’organisation du travail, c’est lui qui a un problème personnel et l’entreprise, protectrice, va l’aider à le résoudre. C’est surtout une bonne manière de lui renvoyer ses difficultés à la figure en se tournant vers une pathologisation du social destinée à court-circuiter toute action collective. 4 L’anglais, pour désigner certains concepts (le wording), est très usité en management. Il servirait à fonder une communication rapide et internationale. Il sert plutôt à masquer le vide des concepts, de la pensée et à enrober d'un voile pseudo branché des formules puériles, infantilisantes. Même le burnout ils vous l’imposent en anglais… 5 Des armes de Ferré, celles “au secret des jours; Sous l'herbe, dans le ciel et puis dans l'écriture; Des qui vous font rêver très tard dans les lectures; Et qui mettent la poésie dans les discours”. 6 Le nouvel esprit du capitalisme, Luc Boltanski et Eve Chiapello, Gallimard (“Nrf essais”), 1999. 7 En écrivant ce texte, j'enrage précisément sur chaque pub qui entrecoupe ma playlist musicale sur Youtube depuis que le site de partage de vidéos a été racheté par Google. 8 Comme le souligne Durkheim, le suicide est avant tout un phénomène social et ne saurait se résumé à une folie interne ou héréditaire comme certains chefs d’entreprises tentent souvent de s'en convaincre ou de convaincre le grand public. La même analyse s’applique aux autres symptômes du malêtre au travail. 9 Frédéric Lordon, Capitalisme, désir et servitude. Marx et Spinoza, La Fabrique, 2010. 10 Paul Aries, Harcèlement au travail ou nouveau management, éditions Golias, 2002. 11 Ce n'est pas sans raison que l’on refuse dorénavant aux ouvriers de décorer leurs ateliers comme cela se faisait avant, avec des posters parfois de mauvais goût, ou si on ne peut plus écouter son poste de radio, ou encore que des safety rules de type “obligation de tenir la rampe pour descendre les escaliers sous peine d’avertissement” (règlement de travail Exxon Mobile) sont imposés, qu'une charte informatique vient déterminer ce que l'entreprise considère être une navigation correcte ou “morale” sur Internet, la généralisation de pratiques comme l'imposition d'un prénom unique pour un même poste ou de contraintes corporelles (maquillage, …).

“Bon allez, prend ta manette, on se fait une petite partie et oublions tout ça, t’es lourd…” N’en espérant pas moins, je voulais tout de même conclure mon propos sur une autre note que celle du dépit, car si ce nouveau capitalisme semble triompher, une idéologie qui s’appuie sur le paraître et la manipulation des valeurs dans un but d’exploitation d’une majorité de personnes ne pourrait être viable à long terme. Un jour, les collectivités se reformeront et seront suffisamment fortes pour lutter à nouveau pour le changement. En attendant, transmettre l’information, discuter, partager entre travailleurs, recréer des identités propres et briser l’isolement semblent les meilleures dispositions à prendre pour faire comprendre à tous que les incitants proposés par ce nouveau management ne conviennent plus, n’ont jamais convenu. Une adaptation – ou pourquoi pas une réelle réforme – doit s’opérer au plus vite. Le néo-management a

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Propos recueillis par Paola HIDALGO* et Alexis MARTINET*

Témoignage anonyme

Le stress de tout ce qu'il y a à réussir… Quels effets ont les nouvelles formes de gestion sur les employés du secteur privé ? Combinées au climat de crise et à l’impression d’urgence qu’elles injectent dans la réalité économique, ces politiques et stratégies de management semblent exercer des pressions de plus en plus fortes sur les individus. Entre la nécessité de survivre dans un environnement déshumanisé et le manque de clarté dans les objectifs des sociétés, les employés semblent fragilisés. Pour essayer de saisir les effets de cette pressurisation quotidienne, nous avons recueilli le témoignage d’une cadre dans le département marketing d’une multinationale. X1 travaille pour cette société depuis plus de six ans et est en charge de gros projets ayant un impact sur le chiffre d'affaires et sur l'image de la société. Elle a quarantetrois ans, deux enfants et elle détient deux masters.

*Bruxelles Laïque Echos

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out a commencé avec une charge de travail qui était de plus en plus conséquente et continuelle tout au long de l'année. C'est-à-dire que, par le passé, nous étions confrontés à quatre ou cinq moments importants pendant l'année, qui exigeaient une charge de travail et un investissement personnel très importants. Ceux-ci alternaient avec des périodes beaucoup plus zen, qu’aux horaires de travail normaux2.

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Mais, depuis les deux dernières années, suite à des changements au niveau stratégique de la société, accompagnés de changements de politique interne, nous avons été confrontés à un turn-over accru du personnel, à la mise en concurrence entre les collègues et au manque de transparence par rapport aux responsabilités et à la prise de responsabilités individuelles. Dans un tel climat, la communication entre départements semblait poser de sérieux problèmes. À partir du moment où la crise s’est fait ressentir clairement chez nous, on a eu l’impression d’être confrontés à une frilosité grandissante par rapport à la prise des décisions et aux choix d'investissements. Les plans d'action et les objectifs à atteindre étaient de moins en moins clairs. Cette situation a entraîné la multiplication de demandes de la part du management dans le sens de plus d’analyses, de plus de documents administratifs, de plus d’exigences pour suivre des procédures qui changeaient tous les deux ou trois mois car ils n'arrivaient pas à se mettre d'accord, du dédoublement des réunions et des présentations… Toutes ces sollici-

tations ont fait que, à un certain moment, nous n’avions plus de phases de travail plus calmes sur l’année et nous étions confrontés à une surcharge permanente de travail et de stress. Nous n’avions plus aucun moment de répit, ni pour nous-mêmes ni pour communiquer avec les collègues. J’en suis arrivée à travailler soixante heures par semaine toutes les semaines pendant plus d'un an et demi. Soixante heures par semaine, cela signifie renoncer aux soirées entre amis, aux activités sportives. Il y avait toujours une raison pour prolonger le travail : un mail, par exemple, qui arrive à seize heures et qui demande quelque chose pour neuf heures le lendemain (pour finalement s’apercevoir que cela pouvait attendre). Le rythme de travail exigeait que nous mettions en place des alarmes afin que nous n’oubliions pas de rentrer le soir. Tout cela avec une vie de famille pour chacun d'entre nous. Cependant, cela n'était pas, pour moi, la partie la plus compliquée. Avec cette nouvelle politique interne, le personnel a été de plus en plus mis en compétition. C'était à un tel point que tous les mois, un peu à l'américaine, nous étions mis devant une assemblée de soixante personnes au cours de laquelle on décernait les bravos à ceux qui avaient réussi. Quant à ceux qui n’avaient pas atteint leurs objectifs, ils étaient appelés dans le bureau de la direction. Pourtant, il était difficile de savoir ce qu’ils attendaient de nous car il n'y avait pas de transparence sur les objectifs ou les moyens pour les atteindre.

Dans un tel contexte de compétition, la communication devient impossible : les gens ne se parlent plus, ils se méfient l'un de l'autre et la confiance n'est plus présente. On se bat pour sa place. On a l'impression d'être jugé à chaque moment. De ce fait, pendant six mois, j'ai dormi au maximum trois heures par nuit. Les nuits difficiles s’enchaînaient. J’allais au lit en me disant “ce n'est pas grave ! Je prends un bloc-notes à côté de moi et je note les trucs que je ne dois pas oublier de faire le lendemain”. Pour finir, je me rendais compte que, après deux heures de prises de notes – dans le noir d'abord et puis à l’aide d’une lampe de chevet – il valait mieux se lever pour aller devant le PC. Donc, si l’on ajoute ces nuits très courtes aux soixante heures par semaine, au sommeil perturbé par le fait que l’on ressasse tout, dû au stress de tout ce qu'il y a à réussir... C’est l’image de l’élastique sur lequel on tire trop et qui finit par lâcher. Et malgré cette pression sur ma santé et mon équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, je trouvais le moyen de tenir le coup. La goutte qui a fait déborder le vase… et des mesures urgentes à prendre Dans certaines réunions, ils me demandaient de prendre toute la responsabilité sur mes épaules, d'aller faire un show et, quelque part, de camoufler des choses qui n'étaient pas en accord avec les décisions communiquées à un autre niveau (international). A partir du moment où j’ai commencé à ressentir que l’on attendait

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de moi de mentir, c’en était trop. C'est cela qui a tout déclenché. Après des mois de fatigue, de relations tendues en permanence avec certains collègues, on attendait de moi de ne plus être en accord avec moi-même : un soir, je me suis retrouvée perdue, vidée, tout à fait déconnectée du temps présent avec comme seule solution la prise en charge médicale. Dans ces conditions, il y a urgence à définir les objectifs à atteindre et les moyens pour y arriver. Avoir un minimum de transparence, quels que soient les niveaux de la société, quelles que soient les personnes, pour que chacun sache exactement ce qui est attendu de lui. 1 2

Ensuite, il est important de retrouver une responsabilité face à cette situation : actuellement, personne n'ose en parler. Nous sommes dans une société qui a oublié que l'humain devrait passer avant le business. Il faut des règles du jeu. Il faut qu'il y ait de l’humanité pour que les gens soient heureux. Si on est là simplement pour atteindre un chiffre et qu’on attend de nous d’être prêts à faire n'importe quoi, cela n'a plus aucun sens. Or, les solutions qui sont mises en place sont complètement insuffisantes et non adaptées. Je les appelle l’humain artificiel. Il s’agit des team building, des coaching

individuels et collectifs, des séminaires… Même les temps d’échanges informels commencent à être cadrés et pris en charge par l’entreprise. Comme ça, au lieu de nos pauses-café d’antan, des “rencontres informelles” d’entreprise ont été mises en place, en principe pour discuter des thèmes variés, n’ayant rien à voir avec le travail… Le problème, c’est qu’au bout de quelque temps, ils ont été utilisés comme un moyen pour faire passer des communications de la direction des ressources humaines.

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Par Olivier STARQUIT*

La managérialisation des services publics : un pas vers la modernité ou un ver dans le fruit ? Face à des services publics constamment critiqués pour leur lenteur et leur immobilisme, les pays anglo-saxons tout d’abord ont mis en avant le concept de New Public Management, soit la nouvelle gestion publique, supposée introduire dans le secteur public les règles de fonctionnement du secteur privé.

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Mais la mise en œuvre de cette technique de gestion est-elle aussi neutre qu’elle veut le laisser croire ? Partant, quelles sont ses conséquences sur les services publics et sur la société en général ?

*Membre du collectif Le Ressort, coordinateur des Amis du Monde Diplomatique (Belgique), auteur de L’individu privatisé. Le service public pour la démocratie (2009)

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e modèle de bonne gouvernance se base sur les méthodes managériales du privé et sur ses méthodes d’évaluation des risques. Il va donc permettre d’opposer “la rigueur et l’efficacité de la gestion telle qu’elle est pratiquée dans le secteur privé à un certain immobilisme et à l’efficacité boitillante de la gestion publique”1.

C

Ce qu’on va appeler le New Public Management va donc introduire avec les règles de fonctionnement du privé un “mode néolibéral de gouvernance à l’attention des agents publics, [où] le citoyen est redéfini en client et [où] les administrateurs publics sont encouragés à cultiver l’esprit entrepreneurial”2. Examinons précisément ce phénomène à l’aune de ces trois acteurs. L’agent Cette introduction exclusive de critères issus du privé dans le secteur public se manifeste notamment par l’introduction de tableaux de bord et de tous les outils de management modernes (audits, task forces, comités d’évaluation,…), au sein des institutions chargées, par exemple, d’accueillir les demandeurs d’emploi. Et le travailleur se voit bien évidemment évalué et jaugé à l’aune du nombre de dossiers traités. Nous voyons les valeurs de performance et de productivité mises en avant, avec la restauration de la concurrence et de la responsabilité personnelle, l’éloge de l’effort et de la récompense. Les critères d’efficacité et de rentabilité, les tech-

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niques d’évaluation s’imposent partout comme autant d’évidences indiscutables. Cette métamorphose de l’appareil public par l’entremise des critères du privé se traduit par la culture de l’audit, par la multiplication des managers au détriment des professionnels sur le terrain, par la fixation d’objectifs inatteignables, par l’établissement de classements dénués de toute pertinence sociale, par la surveillance perpétuelle, par le harcèlement moral et par la prolifération impitoyable de vétilles bureaucratiques. Cette nouvelle gestion publique témoigne donc du “remplacement du jugement, de l’éthique et du contrôle professionnels par les pratiques du management assimilées en bloc – audit, inspection, surveillance, efficacité, rentabilité”3. En fin de compte, l’agent public est de plus en plus assimilé à ce que le système d’évaluation a mesuré de ce qu’il a fait : par cette gestion par le stress, “la dimension qualitative du travail s’en trouve évacuée. Le management n’est donc pas qu’une simple affaire technique, il représente des enjeux politiques et sociaux majeurs”4. Et comme l’évaluation finit par commander toute l’activité, elle induit également un autre danger : “le contrôle requiert un management étendu et, outre la marchandisation, il s’agit ici de la deuxième plaie qui ne cesse de se répandre : la fonction principale de la couche supérieure non productive consiste à se maintenir par le contrôle permanent des autres”5.

Le service public Cette introduction exclusive des critères de gestion et de son lexique va donc contraindre le secteur public à singer le privé et va brouiller ainsi encore un peu plus la frontière et la distinction entre les deux6. Ce qui n’est pas sans conséquences car elle ouvre la porte à la poursuite du démantèlement des services publics. Si plus rien ne permet de distinguer le secteur public du privé, pourquoi maintenir un secteur public ? Or, il convient de rappeler que si le secteur privé peut choisir ses clients, le secteur public est là pour tous les citoyens. Forcer le secteur public à trier parmi ses usagers revient à le dénaturer et à l’affaiblir. Ces outils de gestion remettent en cause le principe fondamental au cœur de la mission de service public : celui de leur gratuité ou de leur accessibilité à tous. Elle permet en outre au néolibéralisme de soumettre la sphère politique et les politiques publiques aux seuls critères de profitabilité ou d’efficacité productive, contre tous les autres critères possibles de définition du bien commun. Les organismes de service public doivent alors souvent signer un contrat d’administration avec l’autorité de tutelle. Mais, la plupart du temps, les moyens ne suivent pas et cette autonomisation soutenue par l’introduction dans le champ public de la logique du management engendre de nombreux dysfonctionnements. Par ce travail, avec des enveloppes fermées, les agences ou établissements publics sont étranglés et incapables de fonctionner correctement. Il sera alors

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ensuite aisé de les critiquer et de prôner les vertus d’une privatisation. Mais cette managérialisation renferme également d’autres dangers latents : - La transformation des services publics en secteurs qui doivent être rendus opérationnels par des managers, recrutés par des chasseurs de tête, va induire une perte d’expertise dans le domaine du public. Ces managers, prêts à intervenir hier dans le domaine des soins de santé et demain dans le secteur de l’audiovisuel, n’ont pas nécessairement la connaissance du terrain requise. De manière polémique, nous pourrions arguer que cela ne leur est guère nécessaire puisqu’ils ont toujours recours aux mêmes canevas et aux mêmes recettes : il faut rationaliser et viser le profit à court terme.

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- Puisque le secteur public se voit contraint de singer le marché dans ses opérations internes, il doit recruter des personnes à même de mener à bien ces missions. Alors qu’auparavant, le secteur public permettait l’insertion des personnes peu qualifiées par l’emploi, cet objectif ne cadre plus avec les visées modernes. L’évolution récente de la fonction publique fédérale, pour ne citer qu’elle, corrobore cette vision : il n’y aurait plus de place pour les niveaux inférieurs dans l’appareil d’Etat.

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- Cette managérialisation, qui se traduit notamment par une externalisation des activités publiques (recours à la consultance, sous-traitance à des firmes privées, PPP), va également induire un

affaiblissement de l’expertise publique qui est en quelque sorte une privatisation en amont de l’information : “aujourd’hui, la compétence technique n’est plus aux mains de l’administration publique mais aux mains d’un privé… Les autorités publiques sont de plus en plus dépendantes de la bonne volonté du partenaire privé, avec tous les risques de chantage que cela comporte, dès lors que l’on ne peut plus vérifier ce qu’il avance. C’est d’autant plus perturbant que ce type de phénomènes de “capture” apparaît dans des domaines très sensibles : réseau de distribution d’électricité, téléphonie, etc.”7 - Cette externalisation mène à un “recentrage sur des fonctions jugées essentielles conduisant par là-même à un amaigrissement du rôle du service public”8. Cette spirale de la privatisation est par ailleurs un serpent qui se mord la queue puisque la dette publique (issue d’une dette privée et non d’une hausse inconsidérée des dépenses publiques9) est l’argument sine qua non permettant soit de se séparer d’outils publics en temps de crise budgétaire, soit de les saigner à blanc. - Enfin, cette technicisation de la gestion n’est pas neutre : contrairement à ce que la bonne gouvernance tend à faire accroire, “la modernisation de l’action publique reste avant tout un acte politique et non un exercice purement technocratique ou managérial”10. Cette perspective gestionnaire et techniciste permet de présenter “les valeurs fondamentales, les objectifs politiques, les projets de société comme fondamenta-

lement consensuels et repoussés en conséquence en marge du débat public”11. Cette approche permet d’éluder “un imaginaire politique construit sur la reconnaissance du peuple comme vecteur de l’égalité et dont l’établissement et la consolidation des droits seraient le fondement de l’action politique”12. Le citoyen Ce mimétisme du marché induit aussi une mutation du citoyen : le sujet moral et politique se réduit à un calculateur enjoint de choisir en fonction de son intérêt propre. La pratique politique, telle qu’on peut l’observer aux États-Unis et, de plus en plus en Europe, illustre cette mutation : le citoyen est invité à se prononcer comme s’il n’était qu’un consommateur qui n’entend pas donner plus qu’il ne reçoit, qui en veut pour son argent. Nous voyons “se développer un type d’individu qui n’est plus le type d’individu d’une société démocratique, mais un type d’individu qui est privatisé”13, qui abandonne tous les terrains collectifs. “Tout cela encourage l’apathie des individus, tout cela détruit l’espace public comme espace d’activité collective, par laquelle les gens essaient de prendre en charge leur propre destin”14. Cette évolution suscite quelques commentaires : - “Le néolibéralisme est avant tout une réflexion sur les techniques de gouvernement à employer lorsque le sujet de référence est constitué comme cet être

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maximisateur de son utilité.… Fondée sur l’anthropologie totale de l’homme économique, elle met en œuvre des ressorts sociaux et subjectifs spécifiques, la concurrence, la “responsabilité”, l’esprit d’entreprise, et vise à produire un sujet nouveau, l’homme néolibéral. Il s’agit en somme de produire un certain type d’homme qui serait apte à se laisser gouverner par son propre intérêt”15. En effet, le piège du système capitaliste est de se présenter comme un système économique, alors qu’il est bien plus que cela. C’est un système politique, un système économique, un système social qui régit la quasi-totalité de la vie des individus. Il nous a en quelque sorte colonisés : le mode de vie qu’il a créé est ancré en nous, notamment par cette approche consumériste de la vie. - Si nous n’y prenons garde, cette culture individualiste pourrait atteindre un seuil critique de contamination pour devenir

autoréalisatrice. Ainsi, “s’il est toujours exact que l’homme n’est pas égoïste par nature, il est non moins exact que le dressage juridique et marchand de l’humanité crée, jour après jour, le contexte culturel idéal qui permettra à l’égoïsme de devenir la forme habituelle du comportement humain”16. - Cette transformation des citoyens en consommateurs signe la fin de la conception sociale des individus et la fin de la solidarité comme principe d’accès universel à certains biens fondamentaux et où l’éducation, la santé, la justice deviennent une affaire de responsabilité individuelle. Conclusion Face à cette tentative d’hégémonie culturelle à laquelle participe la managérialisation des services publics, il s’agit de s’interroger quant à savoir comment mettre

en place d’autres modèles de vie. Cette reconquête progressive d’espaces de vie permettant de nous libérer des mécanismes évoqués supra, d’approfondir la démocratie, de développer la citoyenneté et l’exercice des droits qui l’accompagnent, passe par une réappropriation des services publics qui développent une pertinence sociale. Et cela implique la prise en compte des principes suivants : le principe d’égalité qui suppose que tous aient accès dans les mêmes conditions aux services fournis, les principes d’universalité et de neutralité qui garantissent également un service assuré pour tous, indépendamment des choix philosophiques de chacun, le principe de continuité qui assure la permanence de la prestation et de la fourniture des biens jugés vitaux17, le principe de mutabilité qui impose l’adaptation à l’évolution des besoins de manière à satisfaire la collectivité.

Gratia Pungu, “Gouvernance publique, fausse bonne idée”, La Libre Belgique, 26/01/2013. Alexandre Piraux, “Vers des réformes de 3e génération ?” Politique, revue de débats, n°78, janvier-février 2013, p.24. Stuart Hall, Le populisme autoritaire, Puissance de la droite et impuissance de la gauche au temps du thatchérisme et du blairisme, Paris, éditions Amsterdam, 2008, p. 188. 4 Idem, p.26. 5 Paul Verhaeghe, De neoliberale waanzin, efficiën , flexibel en verstoord, Brussel, VUB Press, 2012, p.29. 6 Les partenariats public-privé (PPP) poursuivent le même objectif : ainsi, en vertu des PPP, des services publics aussi fondamentaux que les écoles publiques, les hôpitaux, les prisons peuvent être gérés par des entreprises privées pour une durée déterminée. 7 Sébastien Brunet, “Les autorités sont de plus en plus dépendantes de la bonne volonté du privé”, Le Soir, 18/12/2009. 8 Gratia Pungu, “Bruxelles : le dilemme du gestionnaire”, Politique, revue de débats, n°78, janvier-février 2013, p.39. 9 Lire : Olivier Bonfond, Et si on arrêtait de payer ? Dix questions/réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité, Bruxelles, Aden/CEPAG/CADTM, 2012. 10 Alexandre Piraux, op. cit. p 27. 11 Geoffrey Matagne,“Gouverner par les instruments”, Imagine – Demain le monde, n° 92 juillet & août 2012 p. 23. 12 Jean-Paul Nassaux, “La gouvernance, un bien ou un mal ?” Politique, revue de débats, n°78, janvier-février 2013, p.23. Lire aussi sur ce sujet : Roser Cusso et al (eds), Le conflit social éludé, Louvain-la-Neuve, Academia Bruylant, 2008. 13 Cornelius Castoriadis, “L’individu privatisé”, in Le Monde diplomatique, février 1998, p. 23 14 Cornelius Castoriadis, Une société à la dérive, entretiens et débats 1974-1997, Paris, Le Seuil, 2005, p. 90. 15 Christian Laval, “Penser le néolibéralisme”, in Revue Internationale des Livres et des Idées, n° 2, novembre-décembre 2007, p. 14. 16 Jean-Claude Michéa, L'empire du moindre mal, essai sur la civilisation libérale, Paris, Climats, 2007, p. 208. 17 Ce principe n’implique bien évidemment pas l’imposition unilatérale d’un service minimum à tous les services publics en cas de grève. Toujours à propos de ce principe de continuité, c’est précisément sur ce point que le bât blesse pour les partenariats public-privé (PPP).

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Par Bruno PONCELET*

Europe : quand l’autorité technique prend le pas sur la démocratie Depuis plusieurs décennies, l’Europe suit une dangereuse mode politique : la valse du “libre-échange”. L’idée est simple : si vous laissez tomber les “barrières” au commerce, en enlevant les “entraves” que l’Etat fait peser sur les entreprises, celles-ci peuvent développer leurs activités, créer des richesses, engager du personnel et générer un cercle vertueux où tout le monde est heureux. L’idée est simple, mais elle est aussi simpliste. *Formateur au CEPAG, co-auteur du livre Le grand marché transatlantique. Les multinationales contre la démocratie (éd. Bruno Leprince, 2011).

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out d’abord, le “libre-échange” n’existe pas : plus un marché s’étend, plus il doit s’appuyer sur des lois et des institutions pour fonctionner. Par exemple, plus de 300 directives européennes ont été nécessaires pour mettre en place le marché commun. Lequel ne pourrait fonctionner sans forces répressives (tribunaux, forces de police) pour punir ceux qui trichent avec les règles du jeu (par exemple, une entreprise faisant de la contrefaçon ou quelqu’un braquant une banque).

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Ensuite, les règles de fonctionnement du marché sont le reflet de valeurs (culturelles, idéologiques, historiques) qui n’ont rien de naturel. Ainsi, même dans un monde marchand globalisé, les produits autorisés à la consommation continuent de diverger d’un pays à l’autre : qu’on songe au chien (animal de boucherie en Asie), aux armes (en vente libre aux Etats-Unis) ou encore à la marijuana (en vente sous certaines conditions dans les coffee-shop hollandais). Or, et c’est l’essentiel à comprendre, les valeurs qui sont à la base du “libreéchange” sont dangereuses pour le fonctionnement démocratique de nos sociétés. Expliquons pourquoi. Comment le marché européen appauvrit nos sociétés Au nom du “libre-échange” : - de nombreuses lois nationales ont été harmonisées au niveau européen pour permettre une circulation aussi fluide que possible des marchandises, des services payants, de l’argent et des lieux de pro-

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duction entre les 27 pays membres du marché européen ; - dans le même temps, la plupart des lois sociales et fiscales (soit la démocratie économique visant à protéger les travailleurs, à assurer de bons salaires, à financer l’enseignement et les services publics) sont restées établies à un niveau local. Concrètement, cela laisse aux firmes privées (comme les multinationales) le droit de circuler dans le grand menu juridique européen (vingt-sept législations sociales et fiscales différentes) pour y faire leur “shopping” et choisir les législations qui leur conviennent le mieux. Cela fausse la concurrence et crée une dynamique antisociale, car une entreprise peut abaisser artificiellement ses coûts de production en optant pour les régimes juridiques les moins protecteurs pour les travailleurs, mais aussi les moins généreux (via des cadeaux fiscaux aux entreprises) pour le financement de la solidarité publique. Le résultat, nous le connaissons tous : c’est ArcellorMittal qui ferme des sites sidérurgiques et licencie des milliers de travailleurs, c’est Findus qui multiplie les intermédiaires et sous-traitants parmi lesquels certains trichent en remplaçant la viande de bœuf par du cheval, ce sont également des finances publiques dans le rouge dû au fait que les plus riches (individus comme entreprises) peuvent circuler librement pour échapper à l’impôt. Enfin, dans le secteur bancaire, cette dynamique favorisant la régulation des entreprises par elles-mêmes (soit un système d’impunité dépourvu de tout contre-pou-

voir) a généré la création de produits toxiques (les prêts subprimes) et une immense bulle spéculative, dont l’éclatement en 2007 provoqua la plus grave crise financière depuis 1929. Avec, pour sauver les banques de la faillite, un appel aux pouvoirs publics qui dépensèrent l’argent des contribuables sans compter. C’est un fait difficile à nier : les valeurs de libertés économiques coûtent cher aux finances publiques, aux travailleurs et aux gens précarisés, pour le plus grand profit de multinationales n’ayant que faire du bien public. Malheureusement, loin de reconnaître leurs erreurs passées et de songer à y remédier, les dirigeants politiques nous enfoncent toujours plus loin dans cette logique technocratique mortifère. Pourquoi les marchés financiers dictent leur loi Ainsi, lorsqu’éclata la crise financière – générée par l’excès de spéculation, l’ingénierie financière et l’autorégulation bancaire –, que se passa-t-il ? Les hommes politiques ouvrirent grand le portefeuille des finances publiques en promettant, en retour, de moraliser le capitalisme et de ramener la “finance folle” à la raison. Pour aller dans cette direction, la première réforme à envisager aurait été de revenir sur une grossière erreur inscrite dans les lois européennes depuis le Traité de Maastricht : une erreur qui consiste à interdire à la Banque Centrale européenne de prêter de l’argent (à très bas taux d’intérêt) pour financer les dépenses publiques des Etats membres. En effet, cette mesure impose aux Etats membres de se tourner vers les marchés financiers (privés) pour

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obtenir l’argent qui leur manque, ce qui place les pouvoirs publics sous la coupe des marchés financiers. Soit une logique aux antipodes d’un contrôle démocratique de la “finance folle”. Et pourtant, sur ce point précis, le monde politique n’a pas bougé. Avec quel résultat ? Suite au sauvetage du monde bancaire avec l’argent des contribuables, les finances publiques ont massivement basculé dans le rouge vif. Pour s’en sortir, elles ont dû faire appel aux marchés financiers. Ironie amère : si la Banque Centrale européenne ne prête pas d’argent aux Etats, elle est autorisée à en prêter aux banques privées (qui sont des VIP en puissance). Ce qui donna lieu à l’aberrante dynamique suivante : des banques privées empruntèrent de l’argent (par ex. pour 1% d’intérêt) à la Banque Centrale européenne, que ces mêmes banques privées prêtèrent ensuite à certains Etats membres (contre 2% ou 3% d’intérêts, voire davantage). Finalement, à force de mettre la pression financière en exigeant des taux d’intérêts dignes d’usuriers auprès de certains Etats (comme la Grèce ou l’Irlande), les marchés financiers ont pris l’ensemble de la zone euro à la gorge et fait trembler le monde politique. Lequel a adopté de nouvelles lois, renforçant l’injustice du système en place, à travers la gouvernance économique européenne. Connaissez-vous le bon, la brute et le truand ? La gouvernance économique européenne, c’est une série de réformes transférant d’importants pouvoirs de décision des Etats-nations vers la Commission euro-

péenne ou la Banque Centrale européenne (deux instances où ne siègent aucun élu direct). En quoi cela est-il injuste et liberticide ? Un premier problème tient au déficit de transparence lié à ce transfert de pouvoir. Les traités adoptés portent des noms mystérieux et compliqués (genre “Six-Pack”) qui regorgent de détails techniques incompréhensibles pour le commun des mortels. Un second problème tient à la façon dont ces traités ont été légitimés. On nous a dit qu’on n’avait pas le choix, que sortir de la crise de la zone euro passait par une gouvernance économique établie à l’échelle européenne. Mais on ne nous a rien dit sur le fond idéologique des accords adoptés. Comme s’ils étaient neutres et apolitiques, alors qu’ils ne le sont pas. Quelles sont les finalités poursuivies ? Grosso modo, il s’agit de renforcer les libertés économiques dont abusent les firmes multinationales pour mettre la démocratie au pas. Pour le comprendre, résumons la gouvernance économique européenne à travers une métaphore cinématographique, en disant qu’il y a “le bon, la brute et le truand”. Le bon : ce sont tous les accords visant à “aider” les pays européens en difficulté budgétaire en leur prêtant de l’argent. Mais le bon est un sadique qui impose aux Etats “aidés” de trucider la démocratie économique à travers des mesures carabinées d’austérité. Au nom d’arguments techniques (il faut faire des économies pour rembourser les marchés financiers), on a imposé des mesures anti-

sociales comme la suppression du remboursement de certains soins de santé, la diminution du montant des pensions, le licenciement de milliers de fonctionnaires ou encore la privatisation de nombreux biens publics. Que les gens manifestent dans les rues, que le nombre de pauvres et de sans-abris explose, cela importe peu : seul compte l’avis des experts. Lesquels imposent aux pays “aidés” (Grèce, Irlande, Portugal…) les sinistres “plans d’ajustement structurel” infligés jadis par le FMI à de nombreux pays endettés. Cerise antidémocratique sur le gâteau : le suivi de ces mesures d’austérité est assuré conjointement par trois institutions non élues – à savoir la Commission européenne, la Banque Centrale européenne et le FMI (qui forment la Troïka). La brute : depuis 2012, l’Europe (et plus particulièrement la Commission européenne) a un pouvoir de tutelle budgétaire sur les Etats membres. Pour faire court (et simplifier un peu), aucun budget national ne peut être adopté sans l’aval préalable des institutions européennes (qui peuvent punir de sanctions financières les Etats désobéissants). C’est donc à nouveau une institution exécutive et non élue qui passe devant une institution légitime sur le plan démocratique (les Parlements nationaux). Dans quel but ? 1. La brute veut clairement mettre le cap budgétaire sur l’austérité. Mais ce n’est pas sa seule ambition. En effet, la tutelle budgétaire s’exerce aussi (à travers le “semestre européen”) sur la coordination des politiques macroéconomiques. Autrement dit, l’Europe a désormais un certain pouvoir (entre incitation et

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contrainte financière) pour pousser les Etats membres à adopter des réformes visant à harmoniser leurs politiques macroéconomiques. Or, parmi les critères clés d’une meilleure coordination économique, figurent notamment la compétitivité et l’examen attentif des coûts salariaux. 2. La brute veut donc promouvoir des réformes visant à améliorer la position concurrentielle des Etats membres. Mais pour rappel, cela se passe dans un marché gouverné par des valeurs favorisant les entreprises les plus tyranniques à l’égard des travailleurs, et les moins solidaires dans le financement des biens et besoins collectifs (comme la Sécurité sociale). Dès lors, quand on conjugue l’objectif d’austérité budgétaire avec le renforcement de la compétitivité, on réalise à quel point la brute a l’intention de flinguer la démocratie économique (à travers des mesures comme la flexibilisation du marché du travail, la remise en cause de la Sécurité sociale, la conditionnalité accrue des allocations de chômage, la privatisation des pensions ou des soins de santé, etc.). Le truand : il est plus connu sous le nom de “règle d’or” budgétaire et consiste, pour les Etats signataires (ce qui n’est pas encore le cas de la Belgique), à s’engager à ne pas dépasser un déficit budgétaire annuel de 0,5% du PIB et un endettement public maximum de 60% du PIB. Soit une mesure radicale pour renforcer l’austérité budgétaire, dans un univers juridique européen où la lutte contre l’évasion et le dumping fiscal sont, grosso modo, au point mort.

Lorsqu’on met l’un à côté de l’autre le bon, la brute et le truand européens, deux faits sautent aux yeux : - cet arsenal législatif n’est pas du tout démocratique dans son mode de fonctionnement, car il transfère des pouvoirs importants (comme le budget) d’un niveau local (les Parlements nationaux où siègent des élus politiques) vers des instances globales où ne siège aucun élu politique issu d’élections libres. Donnons un exemple concret : la Banque Centrale européenne (qui a gagné d’importants pouvoirs) est statutairement constituée d’experts “indépendants de la sphère politique”, mais son actuel président (Mario Draghi) est un ancien haut responsable de Goldman Sachs, une banque américaine fortement impliquée dans la crise financière des subprimes ; - cette dérive antidémocratique est d’autant plus alarmante qu’elle entremêle l’austérité budgétaire à la recherche de compétitivité. Au vu des critères retenus, la dégradation des systèmes de protection sociale ne fait guère de doute. Elle sera plus ou moins rapide selon les pays (et leur capacité de résistance), mais la Commission européenne n’aura que l’embarras du choix pour avancer dans cette direction : elle pourra tantôt brandir le manque de sérieux budgétaire, tantôt préconiser des mesures visant à rétablir la compétitivité économique, tantôt utiliser un mélange des deux arguments.

débats d’idées et les controverses politiques peuvent exister, mais uniquement en respectant le cadre technique défini par des “experts”, non élus des populations. Evidemment, aucun expert n’agit de façon neutre. Dans le cas présent, les critères techniques retenus sont le reflet de valeurs marchandes, visant à accroître le “libreéchange” permettant aux firmes multinationales de déplacer leurs investissements (et de fermer des entreprises) au gré de plans stratégiques établis à l’échelle du monde. Le problème, c’est que personne (hormis les actionnaires) ne contrôle réellement les firmes multinationales. Ce serait normalement le job des pouvoirs publics, mais cela pourrait s’avérer nuisible au critère de “compétitivité” retenu par les experts. Qui plus est, pour domestiquer la sphère politique, les plus grandes firmes multinationales ont pris l’habitude d’engager dans leur staff de collaborateurs des gens issus du monde politique, histoire de se gouverner entre amis. Finalement, la politique laisse place à une nouvelle forme de religion où le “libreéchange”, la “compétitivité”, les “privatisations” et le “remboursement des taux d’intérêts décidés par les marchés financiers” sont autant de dogmes que nul ne peut remettre en cause. Au risque, sinon, de passer sur le bûcher d’une nouvelle Inquisition traitant “d’irresponsables, d’incohérents et de populistes” celles et ceux qui osent braver l’ordre établi.

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Bienvenue dans l’ère technocratique Finalement, la mode politique actuelle nous précipite dans un monde guidé par des critères exclusivement technocratiques : les

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Par Denis DUBUISSON*

Un cadre de référence pour la qualité

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Depuis le début des années 2000, ACODEV, la fédération des ONG belges francophones et germanophones, anime une réflexion sur la qualité dans le secteur des ONG de coopération au développement. Partie de la généralisation des outils de gestion du cycle du projet, cette réflexion s’est élargie, à partir de 2008, pour aborder l’ONG et ses interventions dans leur ensemble...

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*Acodev (www.acodev.be). Une première version de cet article est paru dans Échos du Cota en juin 2011.

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e projet de doter le secteur d’un référent qualité commun a beaucoup hésité entre l’option de construire de toutes pièces un référentiel spécifique ou celle de s’appuyer sur un cadre existant. Les membres d’ACODEV se sont très récemment prononcés en faveur de l’adoption, en tant que cadre de référence au travail sur la qualité, du modèle de l’European Foundation for Quality Management (EFQM) Pourquoi les ONG se sont-elles tournées vers un système initialement conçu pour l’entreprise privée ? Quelles sont ses forces et faiblesses ? Comment le secteur aborde-t-il ce nouveau défi de la qualité ?

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Les arguments qui ont conduit la fédération à proposer le modèle EFQM 2010 1- Bien qu’initialement développées dans le contexte marchand, les évolutions successives du modèle depuis 1988 ont rendu son utilisation possible et bénéfique pour un très large éventail d’organisations. Aujourd’hui, plus de 30 000 organisations utilisent l’EFQM dans leurs processus d’amélioration continue, des multinationales, des TPE (très petites entreprises), des organisations sans but lucratif, le service public… D’octobre à décembre 2010, cinq groupes de travail ont passé au crible les neufs domaines d’analyse du modèle EFQM pour vérifier leur adéquation au monde des ONGs. A part deux précisions interprétatives d’ordre mineur, le modèle dans son ensemble a été jugé pertinent par les ONGs.

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2- C’est en outre un modèle qui aborde l’organisation de façon systémique. Les ONGs déploient depuis de nombreuses années des outils orientés qualité dans le cadre de la gestion du cycle du projet, l’approche du cadre logique et les autres méthodes de gestion pour les résultats du développement. L’évolution de leur environnement réglementaire les pousse à toujours plus d’efficacité et plus d’efficience. La démarche EFQM permet d’intégrer dans un cadre de référence unique l’ensemble des efforts, qualité d’une organisation. Ceci présente l’intérêt d’encourager une cohérence globale entre eux : la procédure de gestion financière est-elle en ligne avec la stratégie de l’organisation ? La gestion des ressources humaines vient-elle en soutien aux résultats de développement ? Par ailleurs, la portée globale du modèle remet en lumière l’importance de champs d’amélioration qui sont moins souvent approfondis par les ONGs (au contraire de ceux qui touchent directement leur objet social) tels que l’importance d’une politique adéquate des ressources humaines. 3- Le modèle n’oublie pas l’importance des partenaires et des groupes cibles. Un des premiers enjeux abordé dans le Groupe de Travail Qualité d’ACODEV1, fin 2008, était celui de la gestion des attentes contradictoires. En effet, la gestion de la qualité met l’accent sur la satisfaction des attentes des parties prenantes à l’organisation. Mais comment assurer un équilibre entre les parties prenantes qui ont une voix (les donateurs) et ceux dont la portée de la

voix est plus faible (les bénéficiaires) ? Le modèle EFQM met l’accent sur ce nécessaire équilibre entre parties prenantes puisqu’il prône la satisfaction “des attentes de toutes les parties prenantes”. 4- C’est enfin un modèle qui offre des opportunités de dialogue avec des organisations en dehors du secteur des ONGs. La tentative de formulation d’un cadre de référence pour la qualité spécifique au secteur des ONGs s’est avérée un exercice difficile. Les différences d’approche ou les divergences d’idéologie du développement mettent rapidement en question la légitimité et le bien-fondé d’un tel effort. En s’appropriant un cadre de référence existant, le secteur peut éluder cette difficulté. Mais surtout, il peut engager le dialogue avec les autres organisations du secteur privé ou du secteur non marchand qui utilisent le modèle. Ce dialogue peut s’établir au niveau des méthodes et outils de gestion de la qualité (Comment réaliser une enquête de satisfaction du personnel ? Comment identifier des indicateurs de performance clés ? Quelles sont les bonnes pratiques de gestion par les processus ?) mais également au niveau du contenu même du modèle (Est-ce qu’une vision instrumentale du partenariat est satisfaisante ? La responsabilité sociétale et environnementale sert-elle un objectif d’image pour les organisations ?). Dans ce sens, l’utilisation d’un outil déjà largement diffusé pourra renforcer la capacité d’influence ou d’interpellation du secteur des ONGs dans d’autres secteurs.

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Le modèle EFQM n’est cependant pas un système parfaitement adapté au secteur ONG Le vocabulaire de base du modèle reste largement emprunté au monde de l’entreprise. Un minimum de gymnastique d’esprit est nécessaire pour s’en approprier pleinement le contenu. Que signifie, par exemple, la “proposition de valeur” ou la “création de valeur pour les clients” dans un contexte d’ONG ? L’inadéquation du langage au contexte des ONGs est une question d’ordre purement symbolique. En effet, de par son caractère générique, le modèle EFQM invite à son adaptation au contexte précis des organisations (ou des secteurs) qui l’utilisent. Mais en tant que principale porte d’accès à l’outil, la langue utilisée peut représenter une source de blocage. C’est dans cet esprit qu’ACODEV et Coprogram travaillent à une reformulation du modèle dans un langage plus facilement accessible aux ONG. Au-delà du langage utilisé, certains principes sont également très marqués par le secteur privé. A cet égard, on peut citer l’accent mis sur la comparaison de la performance entre organisations, pour pouvoir évaluer qui fait partie des “meilleurs de la classe.” La vision sur le partenariat reste faible même s’il faut saluer son existence dans le modèle. Le partenariat est vu de façon très instrumentale, comme une ressource de l’organisation (mise en place de synergies, spécialisation sur le corps de métier, sous-traitance durable), alors que les ONGs revendiquent généralement une portée nettement plus stratégique pour leurs partenariats où les objectifs sont recherchés ensemble. La reformulation entamée par ACODEV et

Coprogram tente de prendre en considération ces éléments pour enrichir le modèle et améliorer son adéquation au secteur des ONGs. Par ailleurs, certains éléments du modèle sont développés de façon trop légère par rapport à l’expérience du secteur. La question du partenariat a déjà été citée. Mais on peut aussi regretter que la gestion des connaissances n’y trouve sa place qu’à la marge et sous un angle principalement technologique ; ou encore que la responsabilité sociale et environnementale soit présentée comme un moyen pour assoir la réputation de l’organisation plutôt qu’un objectif transversal à part entière. Enfin, les questions de genre ou de pouvoir sont totalement absentes du modèle.2 En outre, la portée politique du modèle est faible. EFQM reste un outil technique. Il pourra favoriser l’amélioration des processus de gestion qui conduisent aux résultats de chaque organisation, mais en luimême, il ne dit pas grand-chose sur la justesse des stratégies poursuivies. L’utilisation d’EFQM pourra aider une organisation à dynamiser son processus d’amélioration continue, mais ne l’empêchera pas de mener, sur le terrain, des interventions paternalistes. L’absence de dimension politique d’EFQM s’explique par son caractère non normatif et c’est justement cet aspect qui le rend utilisable dans des contextes très divers. Pour autant, la dimension politique n’est pas entièrement absente du modèle. A terme, la mise en route d’un cycle d’amélioration continue entrainera inévitablement le (re)questionnement des visions, missions et stratégies

de l’organisation. Mais ce manque d’engagement politique direct peut refroidir les ONGs qui sont principalement attentives à la pertinence et la qualité des actions de coopération au développement. Un débat animé Ce qui est bon pour l’organisation individuelle n’est pas forcément bon pour la collectivité des ONGs. Les témoignages recueillis montrent que des ONG de la fédération ayant utilisé EFQM estiment que, malgré ses limites, le modèle apporte une réelle plus-value à leur démarche, quitte même à se lancer dans la dynamique de base qui consiste en la réalisation d’une auto-évaluation, l’identification et la priorisation de trois projets d’amélioration et qui peut déboucher sur l’obtention du label “Committed to Excellence”. Pourtant, l’adoption du modèle comme cadre de référence commun au secteur suscite des craintes chez d’autres membres. La principale réside dans le fait que l’adoption d’un référentiel qualité commun pourrait être la première étape d’un processus qui conduirait à terme à l’utilisation du modèle dans le cadre des relations avec les bailleurs de fonds. Ces derniers cherchent régulièrement à améliorer l’évaluation de la qualité de leurs interlocuteurs ONG. ECHO, l’Office d’aide humanitaire de la Commission européenne3, a introduit un certificat “P” qui atteste de la qualité des procédures de l’ONG et donne des avantages à celles qui obtiennent ce certificat ; la Direction Générale Belge de la

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Coopération au Développement (DGD)4 a introduit l’agrément “programme” sur base d’un screening indépendant qui permet aux ONGs d’introduire des programmes de financement acquis pour trois ans. Pourquoi le référentiel commun des ONGs ne serait-il pas valorisé dans ce cadre ? Certaines ONGs n’envisagent d’ailleurs de se lancer dans une démarche qualité formelle, telle qu’EFQM, qu’à condition que cela leur procure des avantages concrets en termes de financement : “EFQM est un effort inutile s’il n’est pas reconnu par la DGD”. D’autres estiment que l’utilisation d’un modèle qualité relève avant tout d’une dynamique interne aux ONGs et que l’objectif d’amélioration se suffit à lui-même. Exploiter le modèle comme outil de certification des ONGs pervertirait la démarche à deux titres : en l’orientant principalement comme un outil de positionnement externe plutôt que d’amélioration interne ; en favorisant l’exclusion et la concurrence au lieu du soutien mutuel. Pour d’autres ONGs, enfin, il ne faudrait tout simplement pas “donner au bailleur de fonds le bâton avec lequel il va nous frapper.” Il est difficile d’apaiser les ONGs membres à ce sujet, d’autant plus que le modèle EFQM prévoit des instruments d’audits formels qui débouchent sur l’attribution d’un label officiel. Il n’en reste pas moins que cette démarche de labellisation s’inscrit plus, pour l’EFQM, dans une logique d’apprentissage5 et d’encouragement interne en valorisant les efforts réalisés par les collaborateurs, que dans une logique de classification des “bons” et des

“mauvais” élèves. D’ailleurs, moins de trois pourcents des organisations qui utilisent le modèle EFQM se sont inscrites, à un moment ou un autre, dans une telle démarche de labellisation. Une question de débat réside également dans le risque de formatage des ONG par l’utilisation d’un outil commun. Le monde des ONGs se targue d’être un monde d’innovations sociales et d’émergence de démarches originales. Est-ce que l’adoption d’un outil commun ne va pas empêcher l’apparition d’alternatives, de nouvelles façons de faire ? Enfin, la question de savoir si le modèle apporte une valeur ajoutée à toutes les organisations, quelle que soit leur taille n’est pas tranchée. Même si le coût de mise en place de l’outil n’est pas un facteur d’exclusion,6 mettre sur pied une démarche d’amélioration continue exige un investissement de l’organisation et de ses ressources humaines, qui n’est pas forcément à la portée des plus petites organisations. Ces éléments de débat ne sont évidemment pas spécifiques à l’EFQM, mais ils sont symptomatiques de l’état d’esprit des ONGs sur la question. La récente adoption du modèle EFQM comme référent pour le travail qualité au sein d’ACODEV permettra d’approfondir ce débat et de baser, sur des éléments concrets et vérifiables, l’analyse du secteur quant à la plus-value d’un outil commun comme celui-là.

Par Pier Et aussi par d’autres, comme BOND, la fédération des ONG britanniques. Voir à cet effet : http://www.bond.org.uk/data/files/a_bond_approach_to_qu ality.pdf 2 Dans le même ordre d’idées, alors que c’est un outil qui guide le changement organisationnel, il n’aborde que très peu les implications en termes de changement de rapports de force internes à l’organisation, ni les questions de résistance au changement. 3 http://ec.europa.eu/echo/ 4 http://diplomatie.belgium.be/fr/sur_lorganisation/organigramme_et_structure/dgd/ 5 Le rôle des auditeurs EFQM est de donner aux organisations un feedback à valeur ajoutée sur leur démarche d’amélioration continue. Le certificat de réussite est accessoire. 6 Le coût d’utilisation d’EFQM peut même être négatif si on tient compte des gains d’efficience obtenus par rapport à une démarche empirique “ad hoc” d’amélioration. 1

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contractuelle Contracter, la belle affaire ! Quoi de plus noble que la rencontre de deux parties, libres et autonomes, qui décident volontairement de cheminer ensemble dans le cadre juridique rassurant du contrat. Mais ce qui est peut-être vrai d’une vente d’un smart phone ou d’une location de voiture l’est nettement moins quand des droits fondamentaux sont en jeux. Or tout le récit de l’Etat social actif repose sur l’antienne supposée définitive du “pas de droits sans devoirs”. Dès lors, quoi de plus légitime que de responsabiliser les bénéficiaires de droits qui seraient autrement tentés d’abuser du système ? Et quoi de plus normal que de formaliser le tout dans un contrat ? Las ! La figure du contrat peine à évacuer la violence du rapport de force qu’elle prétend masquer

*Directeur de la cellule Europe et International au CAL

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e droit des contrats encadre les droits et obligations de chaque partie et repose sur un double postulat fondamental : la liberté des parties contractantes et leur consentement éclairé. Mais la transposition aux droits sociaux et autres droits fondamentaux est difficile. Il s’est d’ailleurs trouvé pas mal de monde pour dénoncer la conditionnalisation croissante du droit aux prestations sociales, dont le contrat constitue un élément central. L’apparition de l’idée de “contrat d’intégration sociale” puis la transformation du Minimex en Revenu d’intégration sociale (RIS) – le terme “revenu” suggérant la contrepartie d’une prestation – sont très révélatrices. Depuis, le recours à la figure du contrat n’a cessé de s’étendre, du “projet individuel d’intégration sociale” pour les bénéficiaires du RIS au “contrat d’activation du comportement de recherche d’emploi” pour les chômeurs. Outre son caractère infantilisant, culpabilisant et, au final, hautement dégradant, cette activation des chômeurs repose sur une véritable escroquerie intellectuelle, tant l’écart entre les emplois disponibles et le nombre de chômeurs est abyssal et voué à le rester un bon moment.

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A côté des bénéficiaires de RIS ou d’allocations de chômage, les migrants constituent une autre catégorie de population fragile, vaguement coupable, présentant un haut potentiel de responsabilisation. Ainsi, pour chercher à accroître l’efficacité de la politique d’expulsion du territoire – qui plafonne à un peu plus de la moitié des migrants détenus en centres fermés, eux-mêmes constituant une infime partie des migrants présents en Belgique – les

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pays européens ont développé les retours dits “volontaires”. Des incitants financiers, les “aides au retour”, sont mis sur la table pour encourager la sortie du territoire. Le caractère réellement volontaire de ces retours est évidemment illusoire quand on sait que l’expulsion constitue la seule alternative. Cette logique est poussée assez loin puisque certains projets proposent de créer des “accompagnateurs” chargés d’aider les migrants à élaborer un “trajet migratoire”, y compris après qu’une demande de séjour ait été rejetée. Après épuisement des recours, un délai plus long que les ordres de quitter le territoire classiques serait laissé aux migrants avec une proposition de retour volontaire. Ce n’est que si ces mesures n’aboutissent pas que l’enfermement et l’expulsion interviendraient. Autant de formules qui tentent de rendre les choses plus supportables, mais qui restent fondamentalement biaisées par l’absence de réelle alternative. Dans un tout autre domaine, certaines écoles passent des “contrats de comportement” ou “contrats pédagogiques” avec des élèves estimés difficiles. Or, ces contrats s’avèrent souvent inutiles ou inatteignables. Sous la menace d’une exclusion, l’élève est pourtant amené à s’engager à bien se comporter et à respecter le règlement d’ordre intérieur de l’école auquel il était bien entendu déjà soumis. Cette autre forme de responsabilisation paraîtrait un peu vaine si elle ne constituait un moyen déguisé de contourner les règles d’exclusion fixées par décret en profitant de la méconnaissance générale du droit scolaire. Le Délégué général aux Droits de l’enfant, qui relève au passage

un seuil de tolérance en baisse constante à l’égard des comportements jugés inconvenants, s’interroge sur le caractère unilatéral et irréaliste de ces contrats. Ces différentes formes de responsabilisations présentent plusieurs points communs. D’abord, elles s’adressent à un public fragilisé peu au fait de ses droits et peu outillé pour les défendre. Ensuite, elles procèdent d’une logique de conditionnalisation de droits. Enfin, elles utilisent la figure du contrat et puisent dans la sémantique contractuelle – les droits et obligations des parties – pour changer les règles du jeu. Or s’il fallait prendre cette figure du contrat au sérieux, il y aurait beaucoup à dire sur sa validité juridique. En droit des contrats, le consentement des parties doit être libre et éclairé ; un vice de consentement peut entraîner l’annulation du contrat. A côté de l’erreur ou du dol (la tromperie), la violence figure parmi les vices de consentement, entendue comme une contrainte exercée sur l’une des parties pour l’amener à contracter. Cette violence peut parfaitement prendre une forme morale ou économique. Or tous ces contrats (d’intégration sociale, de recherche d’emploi, de trajet migratoire ou de comportement) sont conclus sous la menace explicite d’une sanction très lourde (la suppression du RIS, des allocations de chômage, l’expulsion ou l’exclusion) qui ne place pas les parties dans une position libre et autonome. L’Etat social s’est construit sur la collectivisation du risque, sur une solidarité face à des accidents de la vie susceptibles de toucher tout le monde. Le mouvement de l’individualisation des droits qui inscrit des

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rapports sociaux déséquilibrés dans une fiction contractuelle, procède non seulement d’une violence symbolique extrême mais ne résout collectivement rien. Presser des chômeurs à trouver un emploi qui n’existe pas n’aide pas à lutter contre

la fraude aux allocations, du reste marginale. Décréter un retour “volontaire” ne dupe personne et n’empêche aucun migrant de (re)venir. Quant à l’utilité sociale de passer un contrat pour respecter un règlement d’ordre intérieur ou priver

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Propos recueillis par Mario FRISO* et Cedric TOLLEY*

Rationalisation

du travail social Une des façons de transposer les logiques managériales dans le monde du travail social est d’y augmenter la division du travail, de cloisonner les domaines de compétences et de rendre le schéma de travail plus procédural. Les conséquences tant pour les travailleurs sociaux que pour les usagers du travail social ne sont pas anodines. Nous avons demandé à un travailleur de CPAS de nous décrire

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ans mon milieu, celui des CPAS, donc de la fonction publique, tout le cadre de travail est régi par des procédures. Nous sommes de plus en plus amenés à hyperspécialiser nos fonctions, alors qu’à la base, je devrais rester dans une aide plus générale. Cela est dû selon moi à une précarisation croissante de la société qui génère une demande d’aide de plus en plus importante. Donc, face à cette situation, une organisation structurelle parait indispensable parce qu’il faut un minimum d’organisation. Nous sommes dans un Etat de droit où toute personne a des droits à ceci ou cela, mais doit également rendre des comptes en termes de responsabilités personnelles. Mais les usagers sont parfois perdus dans ces procédures.

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Notre organisation hiérarchique fait aussi qu’un supérieur est complètement déconnecté de la réalité du terrain et devient donc pour nous un obstacle de plus à surmonter plutôt qu’un soutien efficient. Nous sommes parfois en décalage complet en termes de demande de résultat. Par exemple, quand on me demande d’envoyer un recommandé très compliqué où doivent apparaître tous les articles de loi qui réfèrent à telles obligations pour une famille de primo-arrivants qui maîtrisent à peine l’anglais.

De plus en plus, il est question de rendement lors de nos évaluations individuelles. C’est quelque chose de toujours interpellant dans le domaine social parce qu’il est difficile d’évaluer un rendement en terme quantitatif. Le travail social requiert de la patience, une attention suffisante à la personne. Nous sommes censés tout faire pour la pousser vers une autonomie et ne pas la laisser s’enliser dans un système d’assistanat. En tant que travailleur, l’impératif de rendement génère chez moi un inconfort lié à une frustration permanente de ne pas pouvoir faire mon métier en mettant l’humain au centre.

La législation paradoxalement complexifie et alourdit notre boulot sur le terrain. Les gens ont aujourd’hui des possibilités de recourt contre tout. Par exemple, le droit scolaire régit presque toutes les situations. Si cela peut parfois être un renforcement de la protection des individus, il y a des dérives. C’est enlever le pouvoir de certains acteurs : les parents, l’école… des gens qui pouvaient s’entendre en dialoguant, par médiations. Les gens maintenant saisissent tout de suite la justice. On est dans quelque chose de plus en plus complexe. Je travaille aujourd’hui en ressentant beaucoup plus le poids de mes responsabilités. Quand j’ai commencé il y a quinze ans, il y avait déjà beaucoup de surcharge administrative, mais jamais avec le niveau atteint aujourd’hui. Tu prends par exemple les titres de séjour, aujourd’hui il existe une multitude de typologies à maîtriser.

Ces réalités de travail font que dans mon secteur nous avons un grand “turn over”, un changement d’effectif régulier. Beaucoup de travailleurs quittent car c’est un travail physiquement et mentalement difficile.

Je suis un travailleur de terrain et on me demande de rendre des avis synthétiques et rapides par rapport à des situations très complexes. J’aurais tendance à réorienter vers des services qui prennent

plus le temps de travailler avec l’aspect “humain”. L’hyperspécialisation dans le travail à laquelle nous sommes tenus de nous adapter peut se transformer en problème. Nous entrons dans une logique de division du travail de plus en plus grande, dans le cas où la machine se grippe, où la collaboration entre les différents services n’est pas optimale, c’est l’usager qui pâtit immédiatement. En effet, les personnes qui font appel au CPAS sont confrontées à plusieurs services et à des professionnels différents dans le cadre de leur dossier : un pour le logement, un autre pour l’insertion socioprofessionnelle etc. Plus personne n’a de vue global sur la situation d’une personne qui demande de l’aide. Et plus personne n’est en mesure d’apporter une aide adéquate face à la complexité et la singularité de la situation de chacun. Et tout cela est perçu comme une violence institutionnelle car l’accès à l’aide devient toujours plus ardu et compliqué. Du côté des travailleurs sociaux, chacun est lié à un profil de fonction strict et limité. Cela limite la créativité et encourage la déresponsabilisation. Les dossiers font des parcours insolites, l’incompréhension règne tant chez les professionnels que chez les usagers. Cela crée beaucoup de frustration de part et d’autre, un sentiment d’injustice aussi et cela participe à la déstructuration des liens sociaux des usagers.

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Par Micky FIERENS*

Consultation du dossier

et respect de la vie privée Facilité d’accès aux données, rapidité dans la mise à jour et efficacité dans le partage des informations… Le dossier médical informatisé semble la solution rêvée face aux exigences de la nouvelle gouvernance publique des soins de santé. Au-delà des questions que cet outil pose en matière de respect des données personnelles, il ouvre une fenêtre sur les logiques à l’œuvre dans les services publics, à l’heure où les “usagers” se confondent de plus en plus avec les “clients”, de qui on attend une transparence et une réceptivité à toute épreuve. Petit tour d’horizon de la question.

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Article publié dans la Revue “Le Chaînon”, Revue trimestrielle de la Ligue des Usagers des Services de Santé, n° 28 “Droits du patient, qu'en est-il dix ans plus tard ?”, p. 8

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Consultation du dossier et respect de la vie privée Que l’on parle de dossier médical global, dossier informatisé, dossier médical partagé ou de répertoire de référence, le partage des données de santé d’un patient sera la base même de l’organisation de l’offre médicale de demain. Chaque prestataire pourra consulter le répertoire de référence de son patient, afin de savoir à quel endroit, dans quelle institution, des données le concernant sont disponibles. S’ajoutera également à cela un résumé minimum réalisé par le médecin généraliste. Rendre disponibles les données des patients permettra d’assurer la continuité des soins de qualité pour chaque patient, tout en garantissant la durabilité de notre système de santé reconnu pour être performant. Des réformes sont en route, accentuant, par exemple, le rôle de la médecine générale, créant des nouveaux métiers à caractères plus administratifs ou favorisant la délégation des tâches pouvant être accomplies par des personnes ayant d’autres qualifications. Ce sont les objectifs énoncés. Des critères de qualité à juxtaposer à des critères économiques : un réel défi pour nos responsables politiques. La LUSS a décidé, depuis le début, de suivre pas à pas la mise en place de ce gigantesque projet.

rendu chez un généraliste, un dentiste, un kiné, un spécialiste, une infirmière… ou chez le pharmacien pour acheter des médicaments, prescrits ou non ? Lors d’une hospitalisation, les soins sont prodigués par un ensemble de soignants, avec lesquels le patient aura plus ou moins de contacts. Tous ces prestataires détiennent des données de chacun de leurs patients, et le partage de ces données s’organise aujourd’hui, d’une manière sécurisée, via la plate-forme eHealth. Soyons clairs, pouvoir accéder aux données de santé antérieures de la personne qu’il est amené à soigner, comporte beaucoup d’avantages potentiels pour le prestataire, mais également pour le patient. La LUSS en est convaincue. Parmi ces avantages, citons, le gain de temps pour poser un diagnostic, la diminution des risques liés à la méconnaissance des antécédents du patient, une coordination améliorée entre hôpital et domicile, la facilitation de soins pluridisciplinaires, la diminution du nombre d’examens, d’actes techniques et l’amélioration que cela représente, notamment pour le patient, en diminuant la souffrance liée à certains examens, les coûts, le temps passé à l’hôpital, etc. Tout le monde s’y retrouve : la qualité et la continuité des soins sont mises en avant comme autant de bénéfices pour le patient, l’efficacité du travail en équipe pour les prestataires, une sécurité croissante pour les institutions, et des économies pour tous !

Le partage des données Chacun utilise un jour ou l’autre les services de prestataires de soins de compétences différentes. Qui peut dire ne s’être jamais

La LUSS relaye les inquiétudes des patients/usagers/citoyens Mais cet échange de données soulève

aussi beaucoup de questionnement, voire d’inquiétudes, au sein de la LUSS et des associations de patients. Et, afin de défendre au mieux les intérêts des usagers dans ce domaine, la LUSS suit de près, et depuis des années, la mise en place de la plateforme eHealth et organise la concertation sur le sujet auprès des usagers. Elle relaye le fruit de ses réflexions vers les autorités compétentes et constate que plusieurs de ses demandes, telles que le consentement éclairé du patient pour le partage de ses données, ont été rencontrées et inscrites dans la procédure. Ces réflexions rejoignent également un débat de société plus général sur des enjeux de notre démocratie actuelle, quand le citoyen s’interroge sur la garantie de respect de sa vie privée, par exemple, ou sur le risque que représente l’accès à des données, somme toute sensibles, par les assureurs, les employeurs, les organismes de contrôle et autres acteurs pas tout à fait désintéressés. Vous trouverez dans la suite de cet article quelques éléments qui méritent d’être débattus sur la place publique, par les citoyens que nous sommes. Un “dossier informatisé partagé” de qualité ? La loi relative aux droits du patient définit que “le patient a droit, de la part de son praticien professionnel, à un dossier de patient soigneusement tenu à jour et conservé en lieu sûr”. La première question qui se pose est celle de la qualité des dossiers, quand on pense que leur contenu pourra être consulté par tous les

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prestataires. Qu’entend-on par dossier soigneusement tenu à jour ? Quelles sont les données minimum qui doivent y figurer ? Comment savoir si le dossier est complet et mis à jour ? Qu’est-ce qui doit être accessible à l’ensemble des prestataires concernés, et quelles données seront segmentées par profession ? Où sera la limite des informations utiles pour le dentiste ? Pour le kiné ? Pour l’ambulancier ? Pour le pharmacien ? Dans la logique de la continuité des soins et d’une prise en charge pluridisciplinaire des patients, surtout chroniques, l’accès aux résultats d’examens déjà réalisés, aux résultats de laboratoire, aux radios récentes… apportera une certaine efficience aux soins à prodiguer à un patient : moins d’erreurs, moins d’examens inutiles, moins de souffrances, de temps perdu, de dépenses inutiles. À condition que chacun veille à la qualité et la pertinence des données qu’il rend disponibles, et que corollairement, chaque soignant utilise les données à bon escient. Restera à définir la validité et/ou la qualité d’une “radio récente” ou d’un scanner effectué dans un autre hôpital… Mais cela doit-il se faire au cas par cas ? Ne faudrait-il pas définir dès aujourd’hui les critères objectivables déterminant un dossier de qualité ? Et les patients ont bien des idées à ce sujet ! Consentement éclairé et traçabilité La LUSS s’est battue pour que le patient doive exprimer son consentement avant que ses données ne puissent être échangées entre les prestataires de soins. La solution pressentie au départ prévoyait que le patient soit d’accord par défaut, et

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fasse une démarche pour s’opposer aux échanges. Il a semblé important à la LUSS que chacun puisse prendre sa décision en connaissance de cause, selon sa situation et ses besoins. Après d’âpres discussions, c’est la formule du consentement éclairé qui a été retenue. Donner son consentement au partage de données Le patient peut donner son consentement au partage des données soit : - par l’intermédiaire de son médecin ou lors d’une hospitalisation, - par l’intermédiaire de la mutuelle, - par internet : le site internet du réseau santé wallon https://www.reseausantewallon.be/FR/p atients/Pages/default.aspx, le site internet de la plate forme eHealth https://www.ehealth.fgov.be/fr/citizen Il est prévu que seuls les prestataires qui ont une relation thérapeutique avec un patient accèdent à ses données, et ce dans l’unique but d’assurer la continuité de ses soins. Cette précision est d’importance ! Mais difficilement vérifiable concrètement, bien que chaque connexion par un professionnel à un document d’un patient sera traçable. C’est le patient lui-même qui devra “surveiller” qui aura été voir ses documents. Cela pourra se faire, à postériori, via le site du Réseau Santé Wallon, mais on peut imaginer la complexité de cette vérification… Pourquoi ne pas réfléchir dès le départ à un système de contrôle et d’évaluation moins flou et tout aussi efficace que le reste de la structure. Comme on peut le constater, la garantie du respect de la vie privée de chacun a ses limites…

Reste la question des accès aux dossiers par des professionnels “à double casquette” : les experts des assurances, les médecins contrôleurs des employeurs et autres représentants d’intérêts qui ne sont pas spécialement ceux du citoyen. Celuici devra retrouver parmi les soignants visiteurs de ses données, ceux qui n’auraient pas dû y accéder ! Pour un malade chronique en recherche d’une assurance solde restant dû à l’occasion de l’achat d’une maison, par exemple, la consultation de ses données de santé par un médecin expert de la compagnie d’assurance peut avoir des conséquences catastrophiques. Et même si l’abus est dénoncé par la suite, les conséquences seront là, et les risques de refus de l’assurance ou de surprimes biens réels… On parle de sanctions exemplaires en cas de consultation non autorisée. Encore faudra-il les détecter ! A moins d’en arriver à retirer son consentement le temps de contracter son assurance … Et le patient dans tout ça ? Le patient peut donc voir, à condition d’avoir accès à Internet (ce qui est encore un autre débat), qui a accédé à ses données. Mais jusqu’à présent, il ne peut pas consulter lui-même ses propres données. Paradoxe que de pouvoir voir que le docteur X a consulté des données qui vous concernent à l’hôpital Y, mais de ne pas connaître le contenu de ces données. L’argument que le patient ne comprendrait pas ce qu’il y a dans son dossier, et les conséquences négatives que cela pourrait avoir pour lui, reste bien ancré parmi les professionnels de la santé.

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La loi relative aux droits du patient stipule que le patient a le droit d’être informé sur son état de santé (article 7). Si ce droit-là est appliqué correctement, le patient ne devrait trouver aucune surprise dans son dossier. Non ? Et celui qui décide de ne pas savoir, ce qui est également son droit, n’a aucune raison d’aller consulter son dossier, ou alors il en prend la responsabilité. Par contre, avoir accès à ses données permettrait au patient, qui le souhaite, de remarquer des manquements, des erreurs, des informations non pertinentes voire fausses qui restent parfois sans raison dans les dossiers. Relire à tête reposée le diagnostic qui a été posé, les particularités du traitement prescrit ne peuvent qu’être bénéfiques pour le patient. Le paradoxe est réel : il est attendu du patient qu’il agisse en personne responsable, acteur de sa santé, voire compliant quand nécessaire, mais les informations qui le concernent et qui l’aideraient à agir de la sorte, ne lui sont plus accessibles une fois la consultation terminée et la porte du cabinet médical refermé. La LUSS plaide pour un accès direct à leur

dossier par les patients qui désirent en connaître le contenu. Elle demande également que l’on réfléchisse dès aujourd’hui à la manière de rédiger les dossiers, afin qu’on cesse de prétendre qu’ils sont incompréhensibles pour le patient. Le dossier du patient deviendrait dès lors un outil de communication, permettant de vérifier la compréhension par le patient, des informations données par le soignant et réciproquement. Imaginer qu’une multitude de personnes, professionnels de la santé au sens très large, auront accès à ces données santé, données sensibles s’il en est, ne peut qu’interpeller le citoyen que nous sommes. La question du respect de la vie privée surgit immédiatement. Tous les moyens doivent être mis en œuvre pour qu’elle soit garantie pour l’ensemble des citoyens. Les abus devront être sanctionnés très clairement et sévèrement. Chacun devrait pouvoir prendre sa part de responsabilités pour que la notion-même de respect de la vie privée de tous ne soit pas un vain mot : les autorités publiques, les prestataires, les gestionnaires… et les citoyens.

La plateforme eHealth, et le partage des données des patients qu’elle favorise d’une manière sécurisée, fera partie de l’organisation des soins de santé dès demain. La disponibilité de ces données est la base du changement du modèle médical qui se profile à l’horizon. Elle doit garantir tant la qualité des soins que la maitrise des coûts qu’ils engendrent pour le patient et pour la société. Et là aussi, chacun devra prendre sa part de responsabilités, bien que le patient ne soit pas sur un pied d’égalité sur ce terrain-là. Cette question de partage des responsabilités mérite à elle seule un débat important, considérant que devenir un patient est rarement un choix délibéré du citoyen. Quelle que soit sa situation, ce citoyen patient a encore de longs combats à mener pour se faire entendre au même titre que les autres acteurs. La LUSS y travaille…

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Extraits des travaux de Dan Kaminski1 par Juliette BEGHIN*

Chronique d’une

importation annoncée Le Service Public Fédéral (SPF) Justice, n’a pas été épargné par les velléités du Gouvernement de moderniser ses administrations publiques dès 1999, jetant les bases d’une nouvelle approche qui allait engendrer la réforme Copernic. Inspiré des pratiques du secteur privé, l’objectif de ces réformes est de modifier la conduite des services publics en l’orientant davantage vers une gestion axée sur la performance. Dans le cadre de cette orientation “managériale”, les plus hauts fonctionnaires fédéraux (présidents du comité de direction, directeurs généraux, directeurs) sont dorénavant nommés pour un mandat à durée déterminée de six ans et encadrés par des plans de management composés d’objectifs explicites et d’indicateurs de performance. Peu de recherches sont parvenues à identifier de manière précise l’influence réelle de ces réformes managériales sur l’évolution des modes de fonctionnement au sein des administrations publiques. Il semblerait du moins que la réussite des réformes administratives dépend de l’appropriation des finalités par les acteurs de terrain.

*Bruxelles Laïque Echos

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a lecture de la partie consacrée aux changements opérationnels et stratégiques du plan de management dans les rapports d’activités du SPF Justice2, nous révèle clairement l’émergence d’un discours managérial qui plonge le lecteur non averti dans un univers teinté de jargons anglicisés, comme l’introduction en 2008 du Common Assessment Framework (CAF – une méthodologie visant l’autoévaluation et l’élaboration de plans opérationnels), du Business Process Management (BPM) pour gérer et améliorer les processus de travail et présenté comme le langage de description symbolique choisi par le SPF ou encore la mise à disposition de l’outil Customer Relationship Management (CRM) pour les technico-commerciaux des équipes méso.

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Le but ici n’est pas de décoder ce wording mais d’interroger l’appropriation de l’action managériale sur le terrain (cf. ci après l’interview de Marc Dizier, directeur de prison) et de prendre de la hauteur avec Dan Kaminski et ses travaux consacrés à la triple équation pénalité, management, innovation3. Dans l’impossibilité de résumer sa pensée, nous tenterons d’en extraire quelques éléments permettant de comprendre le contexte d’émergence d’une orientation managériale dans la pénalité. Un exercice réducteur périlleux puisque l’auteur y a consacré cinq leçons compilées dans un ouvrage qui nous invite à parcourir “les contours de l’institution de la pénalité, afin d’en dénaturaliser la légitimité et les modalités de pensée qui la respectent et lui donnent sa consistance”.

Un petit détour par le concept large de “pénalité” Partant du postulat que c’est la peine qui définit le crime, la pénalité est dévolue “à l’affectation de la peine aux situations problématiques juridiquement nommées crimes”. La pénalité est dès lors une institution sociale qui repose sur un appareillage de production permettant à l’institution de s’organiser. Mais la pénalité recouvre aussi plus largement “l’ensemble des formes et des normes institutionnelles, organisationnelles, professionnelles et profanes qui soutiennent la légitimité d’une fonction spécifique, la livraison intentionnelle de la douleur”. Depuis le début de la modernité, des concepts politiques et moraux – incompatibles entre eux – sont martelés pour justifier le droit de punir et légitimer la pénalité. Pour la peine privative de liberté, il s’agit à la fois de punir, surveiller, neutraliser, dissuader, amender, réinsérer, réparer, réhabiliter la personne emprisonnée. Autant de justifications qui sont, selon l’auteur, en repli. On assiste, dit-il, ainsi à une définalisation de l’action pénale. L’action pénale ne vise plus des objectifs politiques et moraux. Elle fonctionne pour fonctionner. La prison, par exemple, ne répond plus qu’à l’ambition la plus réduite sans plus se soucier des fins sociales substantielles évoquées plus haut. En rappelant que la peine de prison doit être l’ultime remède, elle est reconnue comme “néfaste et à n’appliquer que comme pis-aller lorsqu’aucun autre dispositif pénal n’est concevable, la prison perd du même coup toute fonction finali-

sée : la protection de la société constitue le motif du repli propre à la peine de prison. La présenter idéologiquement comme ultima remedium permet de faire l’économie de l’objectif (bien peu explicite) que devrait rencontrer chaque emprisonnement”. En d’autres termes, citant Philippe Mary, “concentrée sur l’ordre et la sécurité, la prison se replie sur sa nécessité – purifiée de légitimations – et la gestion de sa nécessité”. L’autre technique qui assure la désorientation de la pénalité est le cumul, soit une pénalité présentée comme servant à tout (par exemple, “les avantages dignes du couteau suisse” de la médiation pénale). La surveillance électronique est un autre exemple très contemporain de l’involution des finalités de la pénalité : “il n’y a aucune préoccupation que la mesure soit adaptée ou non à celui qui en bénéficie, qu’elle réalise ou non un objectif moral de la pénalité”. L’objectif devient managérial et s’énonce en “gestion des stocks et des flux de la marchandise humaine incarcérée”. C’est ainsi que depuis 2006, le souci de régulation a imposé le placement d’un nombre croissant de condamnés sous ce régime en raison de quotas fixés politiquement. La productivité conçue en termes strictement quantitatifs devient prioritaire. En résumé, la pénalité subit ainsi “une déflation politique et morale” qui entraîne “le resserrement ou le retournement de son intérêt pour son propre fonctionnement en lieu et place de sa fonction et de sa dimension symbolique”. L’auteur fait le lien entre la fragilisation des références sociales et morales des justifications de la pénalité avec la fragilisation contempo-

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raine de l’Etat social. C’est dans ce contexte global et ses effets sur la pénalité qu’émerge donc une “tendance managériale qui privilégie la rationalité de l’organisation au détriment d’objectifs sociaux (finalités, orientations substantielles, valeurs) de l’action pénale”. Importation d’une légitimation endogène : le managérialisme pénal Le management est donc en quelque sorte le revers historique de la définalisation. Un concept qui, loin de se réduire à des opérations techniques de l’administration pénale, va affecter l’ensemble de l’institution, de l’appareillage et des usages sociaux de la pénalité. Dans la période contemporaine, le management ne consiste plus “en l’accompagnement nécessaire de la réalisation d’un projet politique, mais en un substitut de ce projet lui-même : en quelque sorte, le management devient le projet politique, soit un projet a-politique”. L’action managériale contemporaine vise non pas à développer dans le réel une possibilité refoulée, mais “à rendre stable et contrôlable l’état dominant des choses”. Pour revenir à la prison, un exemple qui illustre parfaitement cette instrumentalisation par la police managériale de l’état dominant des choses se retrouve dans le domaine des droits des détenus. En principe, la formalisation des droits des détenus est considérée automatiquement comme favorable aux détenus. L’auteur nous montre, à l’inverse, que l’émergence de tels droits n’intervient pas dans un contexte neutre et sert l’administration pénitentiaire. La reconnaissance de ces

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droits émerge donc car elle produit “des effets fonctionnels et symboliques plus rentables pour le système étatique (en l’occurrence pour l’administration pénitentiaire) que les modalités antérieures, disciplinaires et arbitraires, de la régulation carcérale”. Cette reconnaissance n’est donc pas à considérer comme une avancée pour les droits des détenus, mais consiste surtout “en un progrès du cynisme managérial, sous l’empire duquel l’Etat distribue mollement ses responsabilités, exprimées en termes de droits individuels ; en échange, sans rien lâcher de sa vigueur répressive, l’Etat s’offre le luxe d’escamoter la question normative essentielle de la justification du recours à l’emprisonnement”. Les indices concrets de sa démonstration sont développés dans son ouvrage par le concept de droits emprisonnés. La loi pénitentiaire de 2005 formalise les droits des détenus mais quasi chaque disposition contient sa réserve, son exception. Par exemple, l’article 56 stipule que les lettres envoyées par les détenus ne sont, préalablement à leur envoi, pas soumises au contrôle du directeur, sauf s’il existe des indices personnalisés qu’une vérification est nécessaire dans l’intérêt de l’ordre et de la sécurité. Bref, tout ce que la loi pénitentiaire accorde d’une main, elle le retire de l’autre. La formalisation des droits a aussi eu pour conséquence d’alourdir le système sanctionnel. On peut donc légitimement se demander si “le droit du détenu est à ce point contraire à son intérêt”. Enfin notons qu’on peut pousser le cynisme managérial jusqu’à constater que la loi pénitentiaire de 2005 relative à l’administration pénitentiaire et au statut juri-

dique des détenus ne constitue aucunement le socle des politiques managériales et du cadre stratégique qui en découle du SPF Justice (cf. interview de Marc Dizier).

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L’auteur entrevoit toutefois, derrière ces mécanismes idéologiques de transformations, des espaces d’innovations intéressantes logés dans les marges du programme managérial. Concernant par exemple les droits des détenus évoqués plus haut, il croit en leur promesse comme innovation si on envisage résolument les conditions de leur effectivité. En fait, face à la définalisation et la désorientation de l’action pénale et son recentrement sur ses procédures et son management, des brèches peuvent être produites ouvrant selon l’auteur “à un espace pour le retour de la pensée sociale et politique”. Comment ? Si l’institution ne pense plus à notre place (alors que c’est sa fonction) et qu’elle se réduit en quelque sorte à l’appareillage, nous pouvons “y entrevoir la chance de saisir cette crise pour qu’une pensée nouvelle questionne l’institution”. Les agences et agents pénaux “sont capables d’autonomie, de résistance à de nouvelles exigences ou aux effets les plus punitifs des transformations envisagées”, voire même d’invention de pratiques originales, inattendues dans les espaces où la professionnalité peut s’engager au-delà de l’exécution. C’est-àdire, si on emprunte les termes de Marc Dizier : sortir “de cette comédie managériale par laquelle l’administration pénitentiaire – par exemple – a élevé les directeurs au rang de metteurs en scène (exécutants)

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ment de sortir par la porte”. Selon Dan Kaminski, “la distance entre l’expérience vécue et le discours managérial se manifeste dans les usages, dans les marges de manœuvres et dans la ruse. Plus l’étau managérial se resserrera sur le justiciable et le travailleur de la pénalité, plus seront

d’usage les marges de manœuvre et les ruses, sans qu’on puisse savoir évidemment quel discours viendra combler le vide de l’hypocrisie”.

Agrégé en droit et docteur en criminologie, Dan Kaminski est professeur à l'École de criminologie de l'Université catholique de Louvain-la-Neuve (UCL). http://justice.belgium.be/fr/binaries/Plan_de_management_SPF_Justice_2008_-_2014_tcm421-169104.pdf Des leçons présentées dans le cadre de la Chaire Francqui confiée par la faculté de Droit des Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix (Namur) et la fondation Francqui en 2008 et repris dans un ouvrage : Presses universitaires de Namur - Travaux de la Faculté de droit de Namur, 2010, 209 pages ; Dan Kaminski, “Pénalité, management, innovation”, Revue de Droit Pénal et de Criminologie, sept/oct 2008, n 9/10, pp. 867-886

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Propos recueillis Juliette BEGHIN*

Le manager pénitentiaire un sous-capitaine qui a le mal de mer Interview de Marc Dizier, directeur de prison et membre de l’association francophone des directeurs de prison.

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L’importation du management issu du privé dans la sphère des services publics – en l’occurrence l’administration pénitentiaire et ses établissements – semble avoir infusé une étrange atmosphère. Loin des idéaux promulgués d’efficience et de rentabilité, les acteurs ne semblent pas s’être approprié l’action managériale sur le terrain. Le témoignage ci-dessous rejoint souvent l’analyse de Dan Kaminski (cf. article précédent) lorsqu’il parle de “définalisation de l’action pénale”. Si Marc Dizier évoque la perte de sens induite par le modèle de gestion imposé, on ne ressent pas encore les usages de résistances et les ruses développées par les acteurs de la pénalité dans les marges du programme managérial. Peut-être ces pratiques restent-elles secrètes pour assurer leur effectivité ou peut-être fautil attendre davantage de resserrement de l’étau managérial pour que la révolte gronde ?

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Dans le rapport d’activité 2011 du SPF Justice, un chapitre est consacré aux changements opérationnels et stratégiques sous-titré “plan de management”. Que recouvre ce plan de management intégré ? Le SPF Justice traduit le terme management par organisation : le plan de management est dès lors le résultat du processus par lequel le SPF définit ses missions, les objectifs à atteindre et les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. Le terme intégré qualifie la cascade par laquelle les objectifs stratégiques, politiques sont traduits par la direction générale des établissements pénitentiaires en objectifs opérationnels qui se déclinent, à leur tour, en objectifs organisationnels par service à partir desquels sont déterminés les objectifs individuels de chaque collaborateur. Le plan de management intégré s’articule autour de trois concepts centraux : les piliers, les principes et les perspectives.

- Les piliers : “il faut mieux faire de meilleures choses” en responsabilisant chaque acteur et chaque service du système dans la réalisation de projets participant de la stratégie de l’organisation. - Les principes : en partenariat, et en utilisant efficacement les moyens dont nous disposons, nous devons rendre un service de qualité au citoyen désormais considéré comme un client. - Les perspectives : notre organisation doit réfléchir à ses propres moyens, à ses processus et aux innovations à mettre en œuvre pour réaliser sa mission visà-vis de ses clients. Au final, la mission et la vision du SPF Justice se schématisent par la combinaison de dix-neuf thèmes intégrés dans une carte stratégique définissant les axes prioritaires à partir desquels chacun travaille au quotidien à la réalisation de l’objectif de service public, qui pourrait se définir comme suit : exécuter les décisions judiciaires et administratives en garantissant

la sécurité juridique et l’égalité de traitement de toutes les parties concernées. L’introduction d’outils de management dans les prisons facilite-t-elle vos pratiques ? Quels effets ont-ils sur le fonctionnement carcéral ? En quoi cette introduction affecte l’ensemble de l’institution ? D’un point de vue pratique, la concrétisation de cette théorie du management nécessite l’introduction d’un certain nombre d’outils à chacun des niveaux du système. La carte stratégique (cf. illustration) est l’outil de management à partir duquel chaque établissement doit produire un plan opérationnel annuel. Très concrètement, à l’aide d’un outil d’analyse SWOT, les chefs de services réunis par leur direction réalisent un inventaire des forces et faiblesses, des menaces et opportunités propres à leur établissement. A partir de quoi ils doivent ensuite définir les objectifs à atteindre et les projets à réaliser au niveau local afin de

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Développement de partenariats

Utilisation optimale des moyens disponibles

Infrastructure adaptée

Développement proactif de l’offre d’emplois

Gestion proactive du personnel

INNOVATION

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Développer et entretenir les réseaux

Développement durable

Développer le régime

Appliquer la Méthodologie “cercles de développement”

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contribuer à l’objectif global du SPF. Pour la prison de Verviers, par exemple, pour son plan opérationnel 2012-2013, dans la perspective “processus” de la carte stratégique, l’analyse SWOT a révélé une faiblesse au niveau du règlement d’ordre intérieur. L’objectif opérationnel a dès lors été de réaliser une brochure d’accueil en quatre languesà destination des entrants pour rendre la règlementation en vigueur accessible aux détenus. La réalisation de cet objectif du plan opérationnel local sera confiée à un agent/un service qui, à son tour, donnera pour mission à d’autres collaborateurs de mener à bien certaines sousparties du projet. L’objectif de l’établissement devient ainsi un objectif de service et, à l’intérieur du service, un objectif pour chaque collaborateur impliqué. L’objectif organisationnel se décline donc en objectif(s) individuel(s). L’éva-luation individuelle de chacun des collaborateurs impliqués se fondera notamment sur la qualité de la réalisation des objectifs qui lui ont été fixés : c’est ce que l’on appelle son cercle de développement. La formation, le coaching, les outils informatiques spécialisés, l’évaluation intermédiaire du niveau de réalisation du plan opérationnel… constituent autant d’outils mis à la disposition des collaborateurs, des services, des établissements et de chacun des niveaux de la pyramide managériale au bénéfice de la réalisation des objectifs stratégiques du SPF. Cette mécanique apparemment bien huilée prête cependant le flanc à la critique. Les plans opérationnels et autres cercles de développement individuels, la complexité et la valeur non ajoutée des outils

informatiques… irritent la plupart des chefs d’établissements en ce sens que, d’outils de management qu’ils sont censés être, ils sont manifestement passés au statut d’objectifs en soi. L’encodage informatique (des dates des entretiens prévus dans les cercles de développement ou des initiatives prises pour réaliser les projets des plans opérationnels) suffit à attester de ce qu’ils ont été réalisés, qu’ils l’aient effectivement été ou non. Personne ne semble se soucier de l’effectivité des réalisations locales, pourvu que les encodages produisent des statistiques susceptibles d’entretenir l’illusion d’une administration prestataire de services de qualité, centrée sur des résultats chiffrés témoignant de son dynamisme et de sa modernité. Le rapport annuel d’activité de l’administration pénitentiaire illustre parfaitement cet effet vitrine : kaléidoscope d’actions ponctuelles et locales, imprimé sur papier glacé afin de produire une impression de consistance. De pure forme puisqu’en aucun cas le fruit d’une politique concertée centrée sur la loi de principes dont les moyens d’exécution, en particulier ceux du plan de détention, ne seront probablement jamais disponibles. Dans cette comédie managériale, l’administration pénitentiaire a élevé les directeurs au rang de metteurs en scène. Or, les directeurs n’ont jamais été autant qu’aujourd’hui dépourvus par leur propre administration de toute possibilité d’action, tant vis-à-vis des détenus que des membres du personnel.

La mise en place des régimes est désormais censurée par les organisations syndicales, seules interlocutrices d’une administration ayant ravalé ses conseillers-généraux au rang d’exécutants de décisions à propos desquelles ils ne sont jamais consultés. Dans leur mission d’avis en matière de proposition de mesures d’exécution des peines (permission de sortie, congé pénitentiaire…), ils sont ouvertement défiés par des décisions de services centraux, témoignant d’un navrant désintérêt pour leur expérience de terrain. Enfin, leur prise est nulle sur le recrutement, la formation, la rémunération et la sanction des agents placés sous leurs ordres. En conclusion, la surpopulation augmente sans cesse mais le recours à l’emprisonnement ne fait l’objet d’aucun débat, si ce n’est celui de l’aggravation des peines prescrites et des portions de peine(s) à subir malgré l’avis contraire et unanime des spécialistes du champ pénal. En milieu pénitentiaire, le détenu est devenu quantité négligeable ; l’attention est désormais centrée sur un dialogue social au haut niveau, sur des enjeux politiques nationaux sans réel intérêt pour le service au niveau local. Les services extérieurs sont devenus les services de soutien des services centraux et l’illusion produite, pourvu qu’elle soit encodée, suffit à attester du résultat atteint. Dans ce modèle de gestion poussé à son paroxysme, il pourrait encore y avoir des prisons quand bien même il n’y aurait plus de détenu(s).

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Par Mathieu BIETLOT*

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entreprise… L’employé modèle est devenu l’entrepreneur de ses projets professionnels et de leur renouvellement perpétuel. L’employé prévoyant, c’est le gestionnaire de sa carrière avec ses objectifs stratégiques et opérationnels, ses formations continues et sa mobilité sociale. Celui qui n’a pas d’emploi est sommé, par des contrats d’activation, d’être l’entrepreneur proactif de sa recherche d’emploi. Les personnes particulièrement éloignées de l’emploi ne sont pas jugées aptes à travailler, mais doivent néanmoins gérer leur intégration sociale comme une startup de réinsertion personnelle. L’étudiant, lui, sera entrepreneur de sa formation et veillera à gérer son plan de mobilité Erasmus ou Mercator. Nous sommes désormais tous censés entretenir et faire fructifier notre capital santé. À nous aussi d’assurer notre sécurité et d’être notre propre agence privée responsable des interventions préventives. *Bruxelles Laïque Echos

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ous saurons par ailleurs gérer notre réseau social et notre vie affective avec flexibilité et, passant d’un partenariat à l’autre, transformer les expériences négatives en nouveaux départs positifs. Notre petite entreprise, de la sorte, ne connaîtra pas la crise… Plus globalement encore, le monde d’aujourd’hui foisonne d’invitations à gérer notre bien-être en parfait petit manager. Et – comme tout est bien calculé – l’incitation est soutenue par la mise à disposition sur le marché d’une multitude de méthodes pratiques, de programmes, de stages, de coach, de thérapeutes destinés à nous apprendre à écouter notre voix intérieure, à puiser dans nos ressources internes, à optimaliser nos compétences relationnelles, à réaliser nos aspirations, à dire non aux autres et oui à soi, à découvrir et décupler nos potentiels…1

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Les raisons de paître du troupeau Tout d’abord, l’incitation à devenir entrepreneurs de nous-mêmes cadre parfaitement avec Le nouvel esprit du capitalisme où s’entrecroisent réseaux et projets, responsabilisation et contractualisation, flexibilité et mobilité, intéressement aux résultats et autocontrôle2. Elle baigne comme un poisson dans l’eau dans cette modernité liquide que décrit Zygmunt Bauman : un monde qui célèbre la vitesse, la fluidité et l’éphémère, où tout change tout le temps, où il faut s’adapter en permanence, ne s’attacher à rien, consommer toujours plus et jeter toujours plus vite.

Bref, nous sommes désormais tous des managers de notre propre vie. On peut se réjouir de cette apologie du développement personnel et du travail sur soi à dessein d’être aux commandes de son destin et de devenir l’acteur privilégié de ses transformations. Il faut inscrire cette promotion de l’autonomie dans la longue histoire positive de l’émancipation. Elle prolonge l’idée romantique d’épanouissement personnel et le projet des Lumières de libérer les individus et la pensée des tutelles et des endoctrinements extérieurs.

Elle révèle ensuite le type de rationalité à l’œuvre dans la gouvernementalité contemporaine, biopolitique et néolibérale. Michel Foucault a défini la “gouvernementalité” comme l’art de la pastorale, l’art d’entretenir le troupeau et de le mener à destination, l’art de “conduire des conduites”, c’est-àdire de faire faire aux individus de leur propre chef ce qu’on souhaite qu’ils fassent. Il a souligné combien la gouvernementalité libérale requiert la production, l’encadrement et la canalisation de libertés via des processus de régulation biopolitique et d’intériorisation des normes. La gouvernementalité marie subtilement des techniques de domination et de conditionnement des autres et des techniques de soi, de travail sur soi.

Cependant, à l’analyse, la forme managériale que prend aujourd’hui l’éloge de l’autonomie nous interroge sur l’esprit de l’époque, sur les normes morales ou sociales, sur le fonctionnement de notre société et sur ses contradictions.

Aujourd’hui, nous sommes passés d’une société productiviste à une société consumériste. Le profit repose moins sur la production matérielle que sur la production immatérielle (service, loisir, information, émotion… en ce compris tout, les pro-

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grammes de management de soi) et sur la spéculation à partir de la consommation et l’épargne des ménages. Aux masses soussocialisées qu’il fallait, à l’ère industrielle, discipliner par une série d’institutions allant de l’école à la prison, succède une foule d’individus hédonistes et raisonnables dont il s’agit d’orienter la consommation et les comportements à risque, en jouant sur leur recherche de plaisir et leur aptitude au calcul rationnel. La société n’est plus faite d’un peuple ou de classes sociales mais d’un réseau d’individus et l’organisation sociale repose sur les initiatives et l’autonomie de ces acteurs. La rationalité gouvernementale mise sur l’individu entrepreneur de luimême, dont la faculté de choisir, autrement dit l’autonomie, est moins l’antithèse du pouvoir politique que “sa cible et son instrument”3. Elle est biopolitique aussi en ce sens que c’est la vie de cette multitude d’individus qui est l’objet et le sujet de la politique, régulée à travers des statistiques sanitaires ou sécuritaires et des campagnes de prévention diverses et variées. La régulation mise désormais moins sur la théorie des ensembles que sur la rationalité prescrite aux individus, sur les formes de subjectivation morale encensées par le discours dominant de l’époque. Le bon entrepreneur de soi doit être un calculateur prudent, capable de prendre les risques qui peuvent faire fructifier ses capitaux personnels et de réduire les risques qui pourraient diminuer leur valeur. “Dans les sociétés libérales avancées, la construction publique du souci de soi est, très exactement, la construction du souci de l’entrepreneur de soi, la construction du devoir qui échoit à tous et à chacun, de se soucier de ces capitaux que sont ses biens, sa vie, sa

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santé, son apparence, ses connaissances, ses compétences, et de les investir ou de les convertir au mieux pour augmenter ce qu’il vaut, et la valeur des groupes dont il est l’un des membres.”4 La prétendue liberté promue se révèle dissimuler des fins d’ingénierie sociale qui reposent sur l’intéressement des individus et la manipulation de leurs intérêts. La gouvernementalité ne vise plus seulement à produire des corps dociles et utiles mais également des corps beaux et sains. Consciemment ou non, le sujet soi-disant autonome est devenu dévot des nouvelles divinités pointées par le spectacle Constellation 61 : “Des nouvelles idoles, dressées comme des dieux vers le ciel vide, ont bourré la terre […] Elles s’appellent Vie, Santé, Beauté, Bienêtre, Sécurité”. On comprendra alors que toutes les entreprises individuelles ne sont pas encouragées ni même tolérées. Celui qui s’autogère en marge de la société ou qui bafoue, par choix autonome, ces idoles, ne sera pas considéré comme un entrepreneur de lui-même. Les migrants qui entreprennent un voyage périlleux, en mesurant bien les risques encourus, pour rejoindre des contrées plus propices à la réalisation de leur projet de vie découvrent abruptement que l’éloge de la mobilité et de l’esprit d’entreprise ne vaut pas pour tout le monde. Le paradigme perdu L’entreprenariat personnel illustre, en outre, un changement de paradigme de la régulation sociale et de prise en charge de la sécurité, aussi bien sociale que physique, par l’Etat. Nos sociétés sont passées du paradigme de l’Etat social, mis en place entre la fin du XIXe siècle et les trente glo-

rieuses, au paradigme de la gestion des risques avec le tournant des années 1980 et l’invention de l’Etat social actif ou Etat social sécuritaire. Il ne s’agit plus, pour le pouvoir politique, de transformer les conditions sociales par l’action publique, afin d’établir un équilibre harmonieux entre toutes les composantes de la société, mais de gérer les déséquilibres en réduisant, par la neutralisation ou la mise à l’écart, les préjudices sociaux ou sécuritaires qu’ils causent. Ici aussi, il est question de management des risques et des déchets engendrés par une société dérégulée, dont la dérégulation est devenue une modalité de régulation. L’approche est évidemment décollectivisée et fait porter la responsabilité aussi bien des risques individuels que du malaise sociétal sur les individus. Avec Fabienne Brion, nous pouvons esquisser les grands contrastes du changement de paradigme. La sécurité ne relève plus de la responsabilité des autorités publiques mais de la responsabilisation des personnes privées. Les risques étaient externalisés, ils s’internalisent. Leur gestion était socialisée et décommunautarisée; elle, se désocialise pour s’individualiser ou se communautariser et se commercialiser. Le ressort de la sécurité n’est plus la solidarité mais la prudence. Tout problème a tendance à se psychologiser pour ne plus se politiser. Si la prépondérance accordée à la sécurité a toujours eu pour effet ou objectif secondaire de dépolitiser le débat et d’occulter la répartition des biens matériels et symboliques, son procédé a changé : “non plus la satisfaction des besoins de tous, mais la culpabilisation de chacun”. Et Brion d’ajouter “l’obligation faite aux experts, via la marketisation et la marchandisation de

l’expertise, de se comporter eux aussi en sujets entreprenants et prudents ; des sujets qui, docilement, pour gagner ou garder des parts de marché, évitent précautionneusement le radicalisme critique”5, où l’on voit la connexion entre le management individuel et la gouvernance internationale… Une apologie aporétique La comparaison permet de pointer les transformations, de repérer ce qui est nouveau, les signes ou symptômes du monde actuel. Elle ne devrait pas nous entraîner à idéaliser le passé. Le paradigme de l’Etat social avait ses limites et d’autres modalités de gouvernement des conduites individuelles ont préexisté qui ne manquaient pas de travers paternalistes et oppressants. Toujours attentifs à ce qui, des temps présents, interpelle, nous terminerons par questionner quelques paradoxes ou apories de la société des individus et du panégyrique de l’entreprenariat personnel. Rappelons d’abord que l’autonomie tant valorisée relève d’une certaine définition consumériste de la liberté et d’une conception idéologique de l’individu, celle de l’homo oeconomicus des penseurs libéraux que notre époque a accouplé avec l’homo prudens. Les entreprises dont sera chargé cet individu et les difficultés qu’il devra surmonter par lui-même sont celles que le marché a pu traduire dans son langage. Le marché “raconte les processus de vie comme une succession de problèmes essentiellement “résolvables” qu’il nous faut résoudre et qui ne peuvent être résolus cependant qu’en utilisant des moyens uniquement disponibles dans les rayons des magasins”6. Or, la personne humaine est

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beaucoup plus complexe que cet individu abstrait, rationnel, calculateur, modulable et hédoniste auquel la réduit l’idéologie du management de soi. Son ancrage dans un tissu social et culturel la définit bien avant qu’elle ne puisse se réfléchir rationnellement et agir sur cette définition. L’émotion, la passion, l’imprévisibilité, les coups de tête ou de cœur, le désintéressement, la générosité, l’erreur, la résistance, l’inconstance ou la fidélité président autant à l’orientation de ses décisions et comportements, que la recherche du plaisir et la maximisation de ses intérêts. L’humain est un être au monde et un être pour autrui ; des racines, des ressources et des filets sociaux sont nécessaires à l’essor et aux rebondissements de son autonomie. C’est d’ailleurs la société, la société individualiste, qui assigne aux sujets la tâche de s’individualiser toujours plus, en ne misant que sur leurs ressources individuelles. Et cette affirmation de soi n’a d’autre finalité que d’obtenir une place dans la société. La collectivité est à la fois le berceau et la destination de l’individualisation, comme le résume Bauman. Ensuite, la principale aporie de l’entreprenariat personnel ne réside-t-elle pas dans l’idée d’injonction à l’autonomie. Le travail sur soi ne répond plus à un acte de libération et d’affirmation du sujet mais à une injonction assujettissante. La sommation faite aux individus d’être autonomes et de se débrouiller par eux-mêmes est si contraignante et normative qu’elle n’a plus grandchose à voir avec l’émancipation et qu’elle crée des dépendances à l’égard, soit des coach et autres aides à s’en sortir par soimême, soit à l’égard des instances char-

gées d’évaluer, donc de contrôler, les progrès de l’autonomisation. La docilité attendue des individus prend la forme de la capacité de s’autogérer, de se comporter en sujet entreprenant et prudent. “Les programmes censés aider les gens à entrer en contact avec leur vrai moi, soi-disant motivés par des idéaux émancipateurs, ont souvent pour effet de pousser les gens à penser d’une façon qui confirme l’idéologie des créateurs de ces programmes. En conséquence, de nombreuses personnes qui commencent à se dire que leurs vies sont vides et sans but, finissent par se perdre dans les arcanes d’un programme particulier, ou bien par avoir l’impression de “ne jamais être au niveau” quoi qu’elles fassent.”7 Le sociologue Alain Ehrenberg a particulièrement étudié les conséquences de cette injonction à l’autonomie sur ses destinataires. Les titres de ses ouvrages sont éloquents : Le Culte de la performance, L’Individu incertain, La Fatigue d’être soi et La Société du malaise… Enfin, l’apologie du management de soi ne tient pas compte des inégalités de ressources – économiques, sociales et culturelles – entre les individus. On observe même une tendance à attendre le plus de débrouillardise de ceux qui ont le moins de moyens, à demander à ceux qui ont peu de capital social d’activer leur réseau, à ceux qui vivent au jour le jour de faire des projets à long terme, à ceux qui ne comprennent plus la cartographie sociale d’être mobiles… Leur responsabilisation ne tarde pas à glisser vers leur culpabilisation puis leur condamnation. L’apologie de l’autonomie, de l’émancipation, du souci de soi ne devrait pas nous faire perdre de vue la face sombre de ces belles lunes : la stigmatisa-

tion et la mise à l’écart de tous ces dépendants, inadaptés, inemployables, assistés, négligents, trop imprudents ou pas assez audacieux… Heureusement, la gestion des déchets est une des entreprises les plus florissantes de la modernité liquide. Les inégalités de ressources sont en grande partie structurelles, liées au fonctionnement de la société. Mais le subterfuge du changement de paradigme, de la gestion des risques et du travail sur soi consiste à rendre les structures invisibles et à définir les problèmes de manière à ne faire apparaître leurs causes et leurs solutions que sur le plan individuel. Tout ce qui n’est pas à la portée de l’action de l’individu lui-même n’existe plus ou n’est pas à prendre en compte, puisqu’on ne peut de toute façon rien y faire… Le revers de cette autonomie mal conçue n’est-il pas une inquiétante déresponsabilisation collective et l’abandon de la politique entendue comme action transformatrice des conditions sociales.

On voit ici que l’esprit new âge, bien qu’il prétende offrir des alternatives à notre société trop matérialiste, épouse parfaitement la biopolitique néolibérale. 2 Voir l’article d’Alexis Martinet dans ce numéro, pp. 8-11. 3 Nicolas Rose, “Governing the enterprising self”, in P. Heelas, P. Morris (eds), The Values of the Enterprise Culture : The Moral Debate, London, Routledge, 1992, p. 147 4 Fabienne Brion, “Ethique et politiques de sécurité dans les sociétés libérales avancées”, La Pensée et les Hommes, 48e année, n°57, p.118 5 Fabienne Brion, op. cit., pp. 126-127 6 Zygmunt Bauman, La vie liquide, trad. de l’anglais par C. Rosson, Librairie Arthème Fayard (coll “Pluriel”), 2013, p. 141 7 Charles Guignon, On Being Authentic, cité par Zygmunt Bauman, op. cit., p.33 1

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l’humain en boîte ? Etrange époque que la nôtre, où l’épiphénomène prend plus d’importance que le phénomène, où le mode de raisonnement est devenu plus important que le raisonnement en lui-même, la mise en pli du réel et du vivant plus importante que leurs contenus, leurs valeurs ou leur sens. Tout comme gérer une décision est devenu plus important

que

décider. Un monde de structures et de méthodes, où tout doit être saisi et mis en boîte, formaté, modélisé, domestiqué, étiqueté et classé. Un monde qui ne cherche plus fondamentalement à changer les réalités, mais à les gérer. Et ce, par des systèmes et des logiques dont les objectifs et les finalités n’en restent pas moins tout aussi insaisissables et obscures que les mystères de la Foi et les Voies impénétrables du Seigneur !

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PORTAI Nous avons, pour ainsi dire, déboulonné les dieux et les esprits pour les remplacer par la dictature et la domination de systèmes d’autorité incarnés dans des technostructures et des structures méthodologiques qui, d’emblée, excluent le hasard, l’insaisissable, l’imprévisible et la remise en cause. Mais au-delà de leurs dimensions apodictiques et utilitaires, de leur efficacité éprouvée, qui s’interroge sur leur véritable essence, leur contenu et la raison profonde de leur mise en place ? Il est sans doute vrai que notre époque a tendance à l’adoption rapide, parfois sans se poser de questions sur le bien-fondé des choses et l’intention de ceux qui les produisent ! Que valent des logiques qui réduisent l’humain en abstraction, en paramètre ou variable économiques à prévoir, organiser, contrôler et maîtriser ? Sous ce rapport, ceux qui ne sont pas solvables et qui ont le tort de coûter se voient soumis en permanence à des pressions que leur statut rend obligatoirement légitimes. En l’occurrence, les pauvres, les chômeurs, les immigrés, accusés de déséquilibrer les budgets, de fausser les calculs, de déjouer les plans programmés, les prévisions, les pronostics, les données, les critères et les statistiques convenus dans des systèmes clos et rigides, devenus la clef de voûte et la pierre angulaire d’un monde résolument utilitariste et obsédé par la valeur marchande, la recherche de l’utilité et du rendement. L’enfermement dans ces systèmes clos, ces logiques rigides et ces structures désincarnées semble être l’aboutissement de

la course effrénée vers le profit et la quête permanente d’une efficacité définie comme absolue. Le trait le plus marquant de cette oppression universellement ressentie, parce que ces systèmes s’exportent désormais partout et provoquent les mêmes réactions, est bien la vague d’immolation par le feu qui a saisi le monde en décembre 2010 avec le geste du jeune Tunisien Mohamed Bouazizi, ayant sonné le glas des régimes autoritaires dans les pays arabes. Depuis, l’immolation par le feu est devenue une forme de protestation empruntée par les plus faibles face à des oppressions impossibles à vaincre et dont le cynisme n’autorise d’autre issue que l’immolation, c’est-à-dire l’élimination volontaire des plus démunis, ceux qui sont sans ressources pour se défendre. Longtemps associée à des régions démocratiquement sous-développées, en proie à l'instabilité politique, l'immolation par le feu s’est paradoxalement répandue, au sein de sociétés occidentales jusqu'alors étrangères à cette pratique. Ainsi, en mars 2011, l'Italie fut sous le choc, suite au suicide par le feu de deux hommes acculés par des problèmes d'argent. L'image de ce Grec de 55 ans se mettant le feu à la sortie d'une banque a fait le tour du monde. Plus récemment, en Belgique, un sans-papiers marocain, âgé de 40 ans, a tenté de s’immoler par le feu à la Maison Communale de Jemeppe-sur-Meuse, où il était venu demander un document lui permettant de rester en Belgique. Dernièrement, en France, un chômeur de 42 ans en fin de droits, s’est immolé devant le siège de l’ANPE à Nantes.

les environnements de vie semblent en apparence si éloignés, sont-ils inspirés par les mêmes actes ? Pourquoi tous de la même façon mettent-ils en scène publiquement leur mort ? Quel désespoir les pousse ? Dans les pays musulmans où l’immolation est perçue comme un péché, les religieux ont décrété que ceux qui se mettraient le feu ne bénéficieraient pas d'un enterrement conforme à la tradition, considérant qu'il appartient à dieu seul de donner et de retirer la vie. Pourtant, cela n’a pas suffi à arrêter la funeste vague. En Europe démocratique, le discours officiel tend au dédouanement des gestionnaires. En France, le service public a été blanchi de toute responsabilité. “Nul n’est besoin d’aller chercher une responsabilité” a déclaré François Hollande, affirmant au passage que les fonctionnaires de l’ANPE ont été “exemplaires” dans la gestion de cette affaire, dont l’issue tragique relève du désespoir d’un homme conjugué à la cruelle rigueur d’un contexte socioéconomique implacable. Cela non plus n’éclaire en rien sur le sens réel et la signification des actes posés.

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Ce que chacun se refuse d’entendre ou feint d’ignorer est, sans doute, l’ultime cri de détresse d’une humanité de plus en plus à l’étroit dans des systèmes de structures, de méthodes et de procédures qui l’évacuent de son essence intime. Une humanité qui refuse de se laisser mettre en boîte.

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La déconne : une méthode de management qui marche !

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Selon une étude sérieuse1, il existe un outil de management très efficace mais malheureusement pas assez utilisé : l’humour. En effet, le rire est considéré comme un remède de choix contre le stress pour de nombreux salariés. Mais l'humour, ce n'est pas simplement raconter des blagues, c'est aussi une manière de construire ses relations professionnelles avec recul et plaisir. Les bénéfices de l’humour sur le lieu de travail sont nombreux : il permet de briser des barrières et d’assoir une proximité avec ses équipes, il favorise la cohésion, encourage la créativité et désamorce les conflits. La prise de recul par rapport au travail permet en outre de réduire le stress tant du côté du manager que du salarié et de (ré)humaniser le management.

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Alors chers camarades, rendez service à votre institution et à vos collègues : il faut déconner !

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http://www.youtube.com/watch?v=LEC N5eQOFbc “La stratégie de l’échec”, la vidéo ne ressemble pas aux autres vidéos ! Ce n’est pas une vidéo à voir, mais une vidéo à vivre. L’échec est une philosophie de vie. Mal filmé, mal joué et mal éclairé, cette vidéo grâce à des tableaux pas bons, à une réalisation pas claire, vous portera sur le fleuve de l’échec sans même vous en rendre compte. Cette vidéo répond à toute les questions que l’on peut se poser tel que : Où ? Quand ? Et comment ? Et même cette question que tout le monde s’est posé au moins une fois : Quand est ce qu’on mange ? http://www.youtube.com/watch?v=F0p TUKs21cA Exploiter mieux pour gagner plus ! Une autre histoire du management. “Je suis ton output, tu es mon process ! Plus question de dormir. Évaluation permanente, recherche obsessionnelle des gisements de productivité, application méthodique d’une rationalité qui tourne à la schizophrénie, la “démarche qualité” fait souffler un esprit peu public dans les services.” En France, la loi de 2002 a commencé à étendre au secteur des services publics le cauchemar de l’entreprise : évaluation permanente, productivité accrue, rationalité schizophrène… et la “démarche qualité” comme outil pervers au service de la

privatisation. Le management nous a privé de ce qui nous était le plus cher : le sens de notre travail. 1h38 de conférence gesticulée qui fait réfléchir autour du management. http://www.youtube.com/watch?v=Iii27 MBjy1E Techniques et astuces en image pour bien manager : les américains sont décidemment en avance sur nous… http://www.marmottine.net/index.php/ vie-de-marmotte/completement-marmotesque/le-management-pour-lesnuls-489 Les dix règles d’or du management pour les nuls, enfin disponibles sur ce lien ! De précieux conseils afin de ne pas tomber dans les pièges du management moderne ! Anticiper la maladie tu devras ; Etre tyrannique tu devras ; Au suicide tu penseras… Plus de détails et d’explications sur ce site à l’interface modeste, mais au contenu très instructif. http://boumbox.wordpress.com/2010/0 5/06/le-management-par-labsence-oule-syndrome-where-the-fuck-is-myboss/ Le management par l’absence ou le syndrome “where the fuck is my boss ?”. Collez des responsabilités à vos subalternes, partagez avec eux les charges qui vous incombent, mettez-leur la pression

en leur expliquant à quel point aucun d’entre vous ne doit se planter sinon c’est la catastrophe absolue… et disparaissez. Ne répondez pas aux mails, zappez les coups de téléphone, ignorez les questions posées lorsque votre n-1 abandonné vous croise. Si d’aventure, il réussit à vous coincer aux toilettes ou à la machine à café, prétextez n’importe quoi pour le laisser seul face à vos problèmes… http://riposte-cte.tumblr.com/post/ 43518670664/ce-temoignage-est-longmais-bouleversant-lisez-le-et “Je suis au chômage. En mars, si je n’ai pas retrouvé d’emploi, mes allocations seront rabotées au minimum. Ca n’est pas grave, je n’ai pas peur. Parce que la misère, celle où on n’a pas de quoi se chauffer ni même de manger, je connais : je l’ai déjà vécue”. Chassée puis chasseuse et à nouveau chassée, cette exemployée du Forem témoigne anonymement de son parcours de contrainte et de précarité. Bienvenue dans les méandres du fleuve Activation. 1 David Autissier et Élodie Arnéguy, Petit traité de l'humour au travail, éd. Eyrolles, 2011, 178 pages. 2 http://www.youtube.com/watch?v=LECN5eQOFbc

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OFbc

Direction Comité de rédaction

Carlo CALDARINI Anne DEGOUIS Jean-Antoine DE MUYLDER Isabelle EMMERY Bernadette FEIJT Ariane HASSID Monique LOUIS Christine MIRONCZYK Michel PETTIAUX Thierry PLASCH Johannes ROBYN Anne-Françoise TACK Cédric VANDERVORST Myriam VERMEULEN

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Juliette BÉGHIN Mathieu BIETLOT Mario FRISO Paola HIDALGO Sophie LEONARD Alexis MARTINET Ababacar N’DAW Cedric TOLLEY Alice WILLOX

GRAPHISME Cédric BENTZ & Jérôme BAUDET EDITEUR RESPONSABLE Ariane HASSID 18-20 Av. de Stalingrad - 1000 Bruxelles ABONNEMENTS La revue est envoyée gratuitement aux membres de Bruxelles Laïque. Bruxelles Laïque vous propose une formule d’abonnement de soutien pour un montant minimum de 7€ par an à verser au compte : 068-2258764-49. Les articles signés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.

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