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Sommaire Edito – Ariane Hassid ..........................................................................................................................................................................................................................................................................................................3 Dette : de l’artefact social à l’outil de domination – Alice Willox ....................................................................................................................................................................................4 Dette du Sud : où en est-on ? – Jérémie Cravatte.............................................................................................................................................................................................................................7 Réduction de la dette et justice sociale ne sont pas incompatibles – Olivier Bonfond .................................................................................................................. 12 Livre examen : Sankara, discours sur la dette – Sophie Léonard ............................................................................................................................................................................. 17 Refuser la dette illégitime est possible ! – Chiara Filoni ....................................................................................................................................................................................................... 19 Microcrédit, macro-arnaque – Lucille Daumas ............................................................................................................................................................................................................................... 22 Dettes des femmes dans le cadre de la globalisation du genre – Isabelle Guérin, Magalie Saussey et Monique Selim ................................. 25 Livre examen : La dette cachée de l’économie. Le scandale planétaire – Sophie Léonard ...................................................................................................... 29 Le service de médiation de dettes de Bruxelles Laïque témoigne - Moukwa Zegele et Elodie Leemans, Alexis Martinet ................ 32 Si c’est gratuit, c’est vous le produit – Alice Willox .................................................................................................................................................................................................................... 36 Esclavagisme économique et oppression morale de la dette et de l’endettement – Ababacar Ndaw ....................................................................... 38 Qui paye le prochain potlatch ? – Mathieu Bietlot ....................................................................................................................................................................................................................... 40 Prise de position : Les expulsions de citoyens et citoyennes européens – Carlo Caldarini ..................................................................................................... 45
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EDITOrial Endetté ? Dettendez-vous...
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actualité en témoigne régulièrement, la dette est devenue un instrument de pouvoir. C’est au nom de la dette publique que les gouvernements grec et italien ont pu être destitués et remplacés par les technocrates européens. C’est au nom du remboursement de la dette que s’impose le dogme de l’austérité et que se justifie la régression sociale que connaît notre pays. C’est grâce à la dette que l’Occident a pu garder la mainmise sur les pays du Sud après les décolonisations et les astreindre à des plans d’ajustement structurel. La dette permet aussi de tenir les citoyens sous contrôle social dès lors qu’ils sont toujours débiteurs auprès d’un crédit logement, d’une bourse d’études, d’un fournisseur d’électricité, d’un vendeur d’écrans plats. La dette est aussi devenue un argument d’autorité qui permet de couper court au débat et de faire passer tous les sacrifices comme des lettres à la poste. En cela, elle rejoint nos analyses de la notion de crise et de ses usages politiques. Ce qui n’a rien d’étonnant puisque le surendettement est une des causes ou des manifestations majeures de la crise actuelle… Comme d’autres, la question de la dette constitue une porte d’entrée intéressante pour interroger le fonctionnement d’un système économique mais également politique et social qui, selon nous, rencontre de plus en plus de difficultés à accorder une place à l’ensemble de la population, à respecter ses droits et à satisfaire ses besoins. En creusant plus loin ou en remontant dans le temps, elle permet encore d’interroger notre rapport à l’environnement, à la consommation, à la gratuité, au lien social, à la jouissance…
Outre les réflexions qu’elle ouvre pour notre analyse du monde, la question de la dette nous invite également à agir dans une démarche laïque, critique et solidaire. Tout d’abord, il faut déconstruire les arguments d’autorité et rejeter les couleuvres qu’on cherche à nous faire avaler au nom de la crise et de la dette, par exemple celle qui nous culpabilise d’avoir vécu au-dessus de nos moyens durant les dernières décennies. Ensuite, nous devons apporter des réponses solidaires à celles et ceux que la crise ou le surendettement plonge dans une précarité sans issue, comme le fait depuis de nombreuses années notre service de médiation de dette. Enfin, demandons-nous s’il ne serait pas légitime et bénéfique pour le bien de tous de désobéir à certains créanciers, de refuser de rembourser des dettes illégitimes. Cette dernière hypothèse fait le lien entre notre précédent dossier qui rappelait qu’il est sain pour le processus démocratique de contester des lois devenues illégitimes et notre prochain numéro qui, à l’occasion du Festival des Libertés, questionnera sous toutes leurs coutures les notions d’obéissance et de désobéissance. A qui obéissons-nous ? Envers qui sommes-nous redevables ? Deux questions qui se croisent pour les défenseurs des libertés et du vivre ensemble. De la sorte, nous vous devons donc au moins le prochain numéro de notre trimestriel. Ariane HASSID Présidente
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DETTE – latin debita 1. Obligation pour une personne (débiteur) à l’égard d’une autre personne (créancier) de faire ou de ne pas faire quelque chose et de payer une somme d’argent. “Elle avait plus de dettes qu’il n’y a de trou dans un crible” (Sand) […] 2. Dette publique : ensemble des engagements financiers contractés par l’Etat. Dette perpétuelle, dette remboursable, dette flottante, dette consolidée, dette nette […] 3. Devoir qu’impose une obligation contractée envers quelqu’un. Quitter une dette de reconnaissance. Payer sa dette à la justice, à la société : purger sa peine1
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a notion de dette, on le voit en révisant son Petit Robert, est loin de n’évoquer que les très actuelles dettes publiques et leurs défauts de paiement. Cette terminologie recouvre des aspects économiques mais aussi politiques, anthropologiques, éthiques… très diversifiés et pourtant intimement interconnectés. Parmi le nombre particulièrement élevé d’ouvrages consacrés à la dette et publiés ces dernières années – preuve d’un intérêt particulier pour cette thématique – on retiendra l’excellent ouvrage de David Graeber, professeur d’anthropologie et économiste, militant proche du mouvement Occupy Wall Street : Dette, 5000 ans d’histoire2. Une approche complète dont ce dossier thématique tend à s’inspirer.
La dette, un “faire société” avec les anciens “Tout être naissant naît comme une dette due aux dieux, aux saints, aux Pères, aux hommes.”3 Cette citation indienne ayurvédique qui entame le chapitre consacré aux dettes primordiales dans l’ouvrage de Graeber met en évidence que “le sentiment d’être en dette s’est d’abord exprimé à travers les religions et non au sein d’un marché économique”. Cette interprétation anthropologique, dénommée “théorie de la dette primordiale”, tend à élargir la notion de dette à toutes les responsabilités sociales. Pour Geoffrey Ingham, sociologue britannique, la dette primordiale est
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Par Alice WILLOX, Bruxelles Laïque Echos
Dette : de l’artefact social à l’outil de domination “celle que doit l’être vivant à la continuité et à la durabilité de la société qui protège son existence individuelle”4. On pourrait presque distinguer ici les prémices d’une logique assurantielle étatique si l’on interprète les premiers impôts comme une prise en charge administrative de la dite dette. Or, si la dette aujourd’hui se présente surtout à la conscience comme un instrument économique, sa réalité anthropologique et symbolique n’en est pas moins toujours actuelle, mais aussi en défaut symbolique. Si la dette relationnelle s’exprimait autrefois à travers des rituels extrêmement codifiés, elle appartient aujourd’hui
au domaine du bon sens populaire, voire à la sphère psychothérapeutique. Elle se retrouve dans les formules telles que “purger une peine de prison pour payer sa dette à la société”. On peut aussi identifier cette logique dans les politiques d’activation comme un contre-don à l’aide sociale “accordée” (bien que due). Qui, enfin, après avoir reçu une aide précieuse dans un moment sensible, ne s’est jamais senti “en dette” envers cette personne pourvoyeuse du précieux coup de main ? Ainsi donc, la dette, bien avant la monnaie et encore aujourd’hui, est un média relationnel interpersonnel, de pouvoir et de rapport entre l’individu et la collectivité.
Le mythe du troc comme monnaie primale S’il y a bien une contre-vérité que David Graeber tient à déconstruire, c’est l’idée largement partagée selon laquelle la monnaie a été créée pour simplifier les échanges de type “troc”. Elle prend la forme d’un petit village où, un jour, on aurait compris qu’échanger des saucissons contre des nouvelles chaussures alors qu’en fait, on a besoin d’une ceinture était bien trop complexe. On aurait donc inventé, en une fois, un système permettant d’échanger ce que l’on désire contre du sonnant et trébuchant. Cette théorie serait parfaitement fausse. Répandue par la plu-
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part des économistes anglo-saxons, cette image de village fondé sur le troc ne correspond en aucun point aux sociétés primitives décrites par les anthropologues. Si certains échanges donnant-donnant pouvaient avoir lieu très exceptionnellement et dans le cadre de rituels “inter-tribaux”, il semblerait que les communautés s’organisaient plutôt au moyen de dons et de dettes. Concrètement, si Marcel avait besoin d’une ceinture et si Micheline en avait une, elle la lui donnait. Cependant, et de manière très claire, Marcel avait une dette envers Micheline. C’est bien dans cette logique que la monnaie est apparue. Si l’on suit cette logique anthropologique, on voit que le crédit est une pratique humaine de loin antécédente à la monnaie. La monnaie a donc été inventée comme un moyen de mesurer la dette. Il y a donc là un tournant important pour l’humanité. En effet, si la dette est quantifiée, chiffrée et froide, cela implique qu’elle est un instrument impersonnel. Et dans ce cas, elle peut se racheter et se revendre sans que la personne du créancier ou sa relation avec le débiteur n’ait plus aucune importance. La dette ne fait plus lien social. Elle est une marchandise comme une autre. On peut légitimement voir pointer le potentiel de violence et de domination que représente ce tournant de l’histoire. Il ne s’agit pas ici de faire un plaidoyer pour un retour à l’âge de pierre et de bétail ni de nier la violence qui traversait les sociétés tribales. Cependant, il faut mesurer l’ampleur de l’écart entre les dettes morale et matérielle qui liaient de manière indistincte les communautés mésopotamiennes et celles qui font trembler notre modernité. Aujourd’hui, les dettes économiques sont soumises à des institutions internationales dominantes,
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à des phénomènes de “titrisation”, de spéculation et d’assurance pour risque, à des intérêts variables souvent déraisonnables, etc. Si l’on regarde le phénomène depuis la hauteur que propose David Graeber, on est nécessairement forcé de convenir de la portée politique de la question de la dette dans notre société humaine.
Dette arithmétique versus dette politique Le tableau est éloquent. Parler de dette publique comme de surendettement privé ou d’endettement du Tiers monde mène immanquablement dans le débat public à pointer des défaillances de gestion budgétaire. Après tout, la Grèce a vécu au-dessus de ses moyens et les personnes en situation de précarité doivent résister plus que les autres à la société de consommation. Tout cela n’est qu’une question de chiffres. L’économie moderne de manière générale se soumet au fantasme qu’elle a d’être une science objective et fiable sous le prétexte qu’elle parle de chiffres. Raccourci pour le moins malhonnête. De la même manière, être en dette financière relève d’un déséquilibre entre les dépenses et les recettes du budget. Or, si l’affirmation paraît raisonnable, elle gomme de manière nette les rapports de force qui traversent les relations économiques, qu’elles aient cours entre un Etat et des banques spéculatives ou entre une personne privée et son créancier Maurice Noël. Face aux préceptes dogmatiques qui entourent l’endettement et ses conditions de remboursement, le monde associatif et citoyen entame une prise de conscience et un mouvement de mobilisation se déploie. Au-delà de la nécessité de dénoncer les
dettes contractées de manière illégale ou frauduleuse, des notions plus politiques telles que dette odieuse, dette illégitime, crime économique contre l’humanité, etc. font leur apparition. Ces catégories de pensée sont essentielles pour rendre une portée politique à cette thématique. En effet, elles permettent de poser sans transiger les questions morales et éthiques de la pratique économique mondiale. Qui doit quoi à qui et en quel nom ? L’obligation de remboursement des dettes est-elle plus ou moins importante que la garantie de la dignité humaine ? Où en sommes-nous dans notre idéal de mutualisation des risques sociaux ? Sur le dos de qui créons-nous notre richesse occidentale et à quel prix humanitaire ? Et dans cette perspective, qui est en dette visà-vis de qui ? Approfondir la question de la dette met donc en lumière très directement nos choix de société et l’organisation de la justice sociale. Questions auxquelles il semble par ailleurs de plus en plus nécessaire (voire urgent) d’élaborer une réponse collective. De manière plus indirecte, nos relations aux autres, à nos proches et à notre environnement se trouvent tout autant imprégnées par le don, la dette, la gratuité, le temps offert, le temps donné… Si ces divers aspects semblent se jouer à des échelles très éloignées, on peut pourtant faire le pari qu’un changement radical de société n’aura lieu que dans la recherche d’une certaine cohérence entre nos modes du vivre ensemble et les enjeux macro-économicosociaux qui nous traversent. ________________________________________________________ 1 Dictionnaire Le Petit Robert, 2002 2 David Graeber, Dette. 5000 ans d’histoire, Les liens qui libèrent, 2013 3 Satapatha Brahamana, I,7,7,1-6 (livre sacré de rituels védistes, écrit 300 ans avant J-C), in Ibidem, p.55 4 Goeffrey Ingham, in Ibidem, p. 75
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Par Jérémie CRAVATTE, diplômé du master en sciences de la population et du développement de l’Université de Liège, membre du CADTM Belgique et de la plateforme d’Audit Citoyen de la Dette en Belgique “ACiDe”.
Dette du Sud : où en est-on ? Entre 1970 et 2011, les pays du tiers monde ont remboursé près de cent fois le stock initial de leur dette extérieure publique et celle-ci a malgré tout été multipliée par 33 (de 46 milliards de dollars elle est passée à 1.532 milliards, et ils ont depuis remboursé plus de 4.000 milliards...)1. Leur situation s’est-elle améliorée depuis ? Pas vraiment... Aujourd’hui l’épicentre de la crise de la dette s’est déplacé au Nord, plus particulièrement en Europe, et certains pays du Sud ont considérablement augmenté leur poids économique sur la scène internationale. Toutefois, cela ne s’est pas traduit en une amélioration des conditions de vie de leurs populations ni en une remise en cause du système dette.
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Des colonies à la crise de la dette
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urant la période coloniale, les métropoles avaient contracté des dettes envers la Banque mondiale pour financer des projets leur permettant de maximiser l’exploitation de leurs colonies. À l’heure des indépendances, dans les années 1960, en lieu et place de réparations pour la dette historique, écologique, d’esclavage et de sang, certaines puissances coloniales (dont la Belgique) ont transmis ces dettes aux ex-pays colonisés. Et ce, sans leur consentement et de manière tout à fait contraire au droit international alors en vigueur. C’est ce qu’on appelle la dette coloniale.
multiplié les prêts pour contrer la “contagion communiste”, quitte à soutenir les dictatures de l’époque comme Mobutu au Zaïre, Suharto en Indonésie, Marcos aux Philippines, Pinochet au Chili, etc.)2. L’écrasante majorité de ces prêts a servi à la corruption des élites locales, à l’achat d’armes et de matériel militaire, à la construction d’“éléphants blancs” (expression désignant de grands projets inutiles le plus souvent dommageables pour l’environ-
Les autres sources d’endettement des pays du Tiers monde ont été : (1) la dette commerciale provenant des eurodollars (les banques européennes ont prêté mas- Rapport Stock dette - Remboursement dette (1970 - 2011) sivement aux pays du Sud nement et générateurs d’aucun dévelopà faible taux d’intérêts pour écouler les pement humain) et bien sûr à l’imposition liquidités qu’elles avaient en surplus) et du libéralisme sous couvert de dévelopdes pétrodollars (même processus, pement (“empruntez sans compter, le tout avec les liquidités placées par les pays à l’exportation vous sauvera !”). Au-delà exportateurs de pétrole dont le cours du caractère odieux de cette dette, sa avait augmenté après la crise de 1973) ; situation très précaire ne tardera pas à (2) la dette bilatérale constituée d’aides exploser. liées (les pays du Nord ont accordé des prêts aux pays du Sud à condition qu’ils De 1980 à aujourd’hui utilisent cet argent pour importer leurs propres produits) ; et enfin (3) la dette 20 août 1982, le Mexique est le premier multilatérale envers les institutions finan- pays à annoncer qu’il n’est plus en mesure cières internationales (dans le contexte de rembourser sa dette. Il est ensuite suivi de guerre froide, la Banque mondiale a
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par de nombreux autres pays, la crise de la dette se répand comme une traînée de poudre. Les déclencheurs ? Une augmentation unilatérale des taux d’intérêts de la part des États-Unis à partir de 1979 qui se répercutera dans le monde entier (les pays du Sud qui payaient du 4-5% ont commencé à payer du 16-18%), conjuguée à une diminution des cours des matières premières sur le marché international (et donc la baisse des revenus d’exportation pour ces pays endettés). Le FMI et les gouvernements des grandes puissances sont alors intervenus en leur accordant de nouveaux prêts. Pour les sauver ? Non, pour sauver les créanciers. Ces lignes de crédits ont été accordées à condition que les gouvernements du Sud poursuivent le remboursement de leurs dettes et qu’ils appliquent des plans d’austérité : les fameux PAS (plans d’ajustement structurel). La logique des PAS est simple : réduire les dépenses des pays endettés et restructurer leurs économies (ça vous rappelle quelque chose ?)3. Cela passe par la suppression des subventions aux produits et services de première nécessité, la réduction drastique des budgets sociaux (santé, éducation, sécurité sociale, etc.), le gel des salaires et le licenciement des fonctionnaires, des vagues de privatisations et une ouverture plus grande des marchés, une mise en concurrence accrue des productions locales avec le reste du monde et le renforcement du modèle extractiviste-exportateur extrêmement
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Où en est-on ? Les montants remboursés n’ont donc pas vraiment diminué, et la domination sur les économies du Sud par les multinationales (financières et non financières) du Nord a perduré. Cependant, plusieurs évolutions récentes dans l’hémisphère Sud sont à souligner et le contexte international a évolué depuis la crise de la dette des pays du Sud.
Service de la dette
dépendant, la suppression du contrôle des mouvements de capitaux, l’augmentation de la TVA, etc. L’application de ces mesures est une condition pour accéder aux financements externes et aux rééchelonnements de dettes opérés par les groupements de créanciers publics (Club de Paris) et privés (Club de Londres). En effet, la dette des pays du Sud s’est poursuivie sous l’effet boule de neige, c’est-à-dire que leurs gouvernements s’endettaient pour rembourser leur dette alors même qu’ils grevaient leurs économies à grands coups d’ajustements structurels. L’austérité ça ne marche pas, et ce n’est un secret pour personne. Voyant l’impasse, les créanciers ont alors opéré des restructurations de dettes. À leur manière... L’initiative d’allègement de dettes pour les pays pauvres très endettés (PPTE), lancée au sommet du G7 de Lyon en 1996 et plébiscitée partout,
ne concerne qu’un petit nombre de pays (42 pays, représentant 11% de la population totale des pays en développement) et son but se limite à rendre leur dette extérieure soutenable, à s’assurer qu’ils continueront à rembourser sans à-coups, sans défaut de paiement, mais au maximum de leur capacité financière. Il vaut mieux perdre un peu que risquer de perdre tout... L’initiative ne devait durer que six ans, or seulement 34 pays ont atteint le point d’achèvement et plus de la moitié d’entre eux ne l’ont atteint qu’entre 2005 et 2012. C’est un échec total. Beaucoup plus grave, les créanciers ont profité de cette initiative qu’ils présentaient comme généreuse pour imposer de nouvelles conditionnalités, de nouveaux plans d’ajustement structurel à ces pays et à leur population. La remise de dettes annoncée par le G8 en 2005 n’a pas plus constitué une solution pour les pays du tiers monde4.
Première évolution notable, la dette publique interne augmente plus vite que la dette externe (qui, dans certains cas, diminue)5. La première est due en monnaie locale, la seconde en monnaie étrangère. Il s’agit d’une nouvelle manière de se financer (la dette publique interne des pays émergents a, par exemple, plus que quintuplé entre 2000 et 2013) mais qui peut revêtir des caractères tout autant illégitimes qu’avec une source de financement extérieure. Il s’agit donc de s’attaquer également à cette nouvelle montagne de dette publique et de ne pas juste écouter les discours rassurants des gouvernements. Certains pays du Sud ont récemment vécu une conjoncture favorable, mais cette situation peut se retourner. En effet, les prix des matières premières ont augmenté depuis 2003-2004, et donc les rentrées qu’elles occasionnent, mais il s’agit d’un marché très volatil dont ces pays resteront dépendants s’ils restent dans un modèle économique extractivisteexportateur. Aujourd’hui, les réserves de change des pays du Sud pris ensemble sont trois fois plus importantes que leurs dettes
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extérieure, en tout cas pour les pays les plus faibles, continue de servir de moyen pour leur imposer des politiques contraires à leurs intérêts.
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extérieures. Le Sud est donc un créancier net du Nord. Bien entendu, ils ne sont pas tous logés à la même enseigne, les grandes économies s’en tirent mieux. Le Brésil et la Chine prêtent par exemple aux États-Unis en leur achetant leurs bons du trésor et les détiennent à hauteur de, respectivement, 250 et 1.300 milliards de dollars. L’Algérie, elle, a remboursé anticipativement le FMI en 2006 et lui prête aujourd’hui. Ce dont il faut s’inquiéter c’est que les pays en situation favorable n’ont pas utilisé leurs réserves pour autre chose que
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continuer à assurer le service de la dette et le développement de projets qui ne leur permettent pas de sortir du modèle de production capitaliste. Plus fort encore, c’est le Sud qui finance le Nord et non l’inverse. Entre 1985 et 2011, on considère que le transfert net financier – c’est-à-dire les prêts et les dons moins les remboursements – ont été de 677 milliards de dollars du Sud vers le Nord. C’est l’équivalent de 6,5 plans Marshall qui leur ont été soutirés à travers le remboursement continu de dettes illégitimes (cf. encadré). La dette
Dette légitime Engagements assumés par le secteur public conformément à la loi, dans l’intérêt général et reposant sur le principe d’égalité entre débiteur et créancier.
Nous restons dans un monde où les 82 % de la population vivant au Sud ne se partagent que 32 % du PIB mondial, et le reste du monde les 68 % restant. Tout en sachant que les 10 % les plus riches au niveau mondial détiennent entre 80 % et 90 % du patrimoine mondial, et le 1 % le plus riche 50 %6. Un tiers de la population mondiale vit avec moins de 2$ par jour ; la crise alimentaire de 2008-2009 (entre autres provoquée par la bulle spéculative faisant suite à celle des subprimes) a rajouté 120 millions de personnes aux 900 millions souffrant déjà de la faim ; 70 % de ces personnes sont des femmes et des filles ; les effets des changements climatiques se font chaque année sentir plus fortement au Sud et dans les régions les plus pauvres ; 1 personne sur 6 n’a pas accès à des installations sanitaires élémentaires ; 9 millions d’enfants meurent chaque année avant leur 5e anniversaire ; etc7. Dans ce monde, une première étape pour assurer les besoins fondamentaux de toutes les populations et leur émancipation est l’annulation de la dette des pays du tiers monde, dette qui, de plus, ne représente que 2 % des créances mondiales...
Dette illégitime Engagements assumés par le secteur public conformément à la loi, mais ne reposant pas sur le principe d’égalité entre débiteur et créancier et/ou en préjudice de l’intérêt général.
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Quel que soit le pays débiteur, une opération unilatérale d’annulation de la dette – qu’elle soit odieuse, illégale, illégitime ou tout simplement impayable – est une condition nécessaire (bien qu’insuffisante8) pour assurer le droit au développement autodéterminé de sa population. De même, les pays créanciers peuvent tout à fait auditer et annuler leurs créances envers les pays du Sud, à l’exemple de ce qu’a fait la Norvège en 2006 en annulant sans condition les dettes de l’Équateur, de l’Égypte, de la Jamaïque, du Pérou et de la Sierra Léone tout en reconnaissant sa part de responsabilité dans cet endettement illégitime. En Belgique, la plateforme ACiDe d’audit
rappelle que l’État s’était engagé à faire de même et ne l’a toujours pas fait9. Le montant total des créances de la Belgique envers les pays du Sud s’élève à environ 2 milliards d’euros, soit près de cinq fois moins que ce qui a été injecté dans la seule banque Dexia depuis 2008 (ou ± 0,5 % du PIB). Au niveau Européen et international, c’est le réseau ICAN (International Citizen debt Audit Network) qui remet la question de la désobéissance au système dette au centre du débat.
Voir “Les Chiffres de la Dette 2012”, brochure du CADTM en libre téléchargement sur son site Internet. La prochaine version sera bientôt disponible. Toutes les illustrations de cet article sont de Pierre Gottiniaux et proviennent de cette brochure. 2 Aujourd’hui, la dette extérieure publique des pays du Sud se compose à 32 % en part multilatérale (due aux institutions financières internationales), 23 % en part bilatérale (due à des États) et 45 % en part commerciale (due au secteur privé, principalement des banques). Voir l’outil pédagogique “La ligne du temps” sur le site Internet du CADTM. 3 Voir, entre autres, le film “Le salaire de la dette” disponible sur Internet ou, pour le Nord et la Grèce, le film “Debtocracy” en libre téléchargement sur Internet. 4 Pour plus d’info, lire “65 questions/65 réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale” d’Eric Toussaint et Damien Millet, CADTM, Liège, 2011. En libre téléchargement sur le site Internet du CADTM. 5 À noter également que les dettes privées (non garanties par les pouvoirs publics, du moins en principe...) ont explosé. 6 Piketty, cité dans l’article “Que faire de ce que nous apprend Thomas Piketty sur Le capital au XXIe siècle” d’Eric Toussaint, janvier 2014. 7 Voir “Les Chiffres de la Dette 2012”, ibid. 8 Pour un plaidoyer pour l’annulation de la dette du tiersmonde et les mesures complémentaires à appliquer, lire Eric Toussaint et Damien Millet, ibid. 9 il est d’ailleurs utile de rappeler à ce propos que le Sénat belge a adopté une résolution le 29 mars 2007 qui demandait au gouvernement d’instaurer un moratoire avec gel des intérêts sur le remboursement du service de la dette bilatérale à l’égard des pays dits en développement, et d’organiser un audit de leurs dettes pour identifier leurs parts odieuses pour ensuite les annuler. Plus récemment, dans son accord de 2011, le gouvernement s’était engagé à réaliser “l’audit des dettes et à annuler en priorité les dettes contractées au détriment des populations”. 1
Créances dans le monde
Dette illégale Engagements assumés par le secteur public en violation de l’ordre juridique applicable.
Dette odieuse Engagements assumés par des régimes autoritaires et à l’encontre des intérêts des citoyens.
Dette insoutenable Engagements assumés par le secteur public dont le paiement est incompatible avec le respect des droits fondamentaux de la population.
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Par Olivier BONFOND, Économiste, conseiller au CEPAG, membre du CADTM et auteur du livre Et si on arrêtait de payer ? 10 questions/réponses sur la dette publique belge et les alternatives à l’austérité, Aden, juin 2012
Réduction de la dette et justice sociale ne sont pas incompatibles La répétition est mère de la sagesse : les Belges n’ont pas vécu au-dessus de leurs moyens1
dette a été, avant tout, provoquée par cinq facteurs :
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et réalisés sans la moindre contrepartie ; 2. des politiques fiscales qui ont essentiellement profité aux catégories les plus aisées ; 3. une politique de financement de la dette qui a profité aux banques privées (cf. point suivant) ; 4. la crise économique qui a provoqué une augmentation des dépenses sociales et donc des déficits publics ; 5. d es politiques d’austérité qui n’ont fait qu’aggraver les choses en provoquant un ralentissement de l’activité économique.
elon le discours dominant, les pouvoirs publics auraient dépensé sans compter et les Belges auraient profité de manière inconsidérée des soins de santé, des pensions et d’autres avantages sociaux. Cette affirmation, que l’on entend dans presque tous les pays de l’Union européenne, est fausse : les dépenses publiques belges sont restées stables au cours des trente dernières années (autour de 43% du PIB). L’explosion récente de la
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Sans l’article 123 du Traité de Lisbonne, il n’y aurait pas de problème 1. des sauvetages bancaires très coûteux de dette en Belgique ! Depuis la signature du Traité de Maastricht de 1992, les États n’ont plus la possibilité d’emprunter à leur banque centrale ou à la Banque centrale européenne (BCE). Pour financer leurs déficits, ils doivent donc emprunter aux marchés financiers, c’està-dire aux grandes banques privées. Cette interdiction d’emprunter directement à la BCE, confirmée par l’article 123 du Traité de Lisbonne, a entraîné un surcoût financier énorme pour les finances publiques.
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Évolution de la dette belge en % du PIB en fonction des taux d’emprunts
“Il est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États-membres, ci-après dénommées “banques centrales nationales”, d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États-membres. L’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite.” Article 123§1 du Traité de Lisbonne.
Le graphique ci-dessus montre comment la dette publique aurait évolué depuis 1992 si on avait emprunté exactement les mêmes montants mais d’une manière différente. La courbe du haut montre l’évolution de la dette telle qu’elle s’est produite, c’est-à-dire en passant par les marchés financiers. La courbe du bas montre comment la dette aurait évolué si, tout autre chose restant égale, l’État belge avait financé ses déficits en empruntant à la Banque nationale de Belgique (BNB) à du 0%. Si tel était le cas, la dette publique belge s’élèverait aujourd’hui à moins de 20% du PIB ! Prenons un autre exemple plus “modéré” : si l’État belge avait em-
prunté à la Banque nationale (ou la BCE) à un taux correspondant à l’inflation (3ème ligne en partant du bas), la dette publique belge s’élèverait aujourd’hui à 50% du PIB et on aurait économisé 186 milliards d’euros sur une période de vingt ans. L’article 104 du Traité de Maastricht, remplacé par l’article 123 du Traité de Lisbonne (décembre 2007), a donc joué un rôle clé dans l’évolution de la dette ces vingt dernières années. Et une grande partie de cette dette s’est constituée via un mécanisme qui a servi directement les intérêts des institutions financières privées. Voilà une illustration très concrète de ce qu’on appelle le “coût du capital”.
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La BCE doit pouvoir prêter directement aux États ! Il est absurde que les États doivent emprunter aux banques privées à des taux de 2,5% voire plus, alors que ces mêmes banques peuvent emprunter à la BCE à du 0,25%. La BCE doit pouvoir prêter directement aux États. Afin d’empêcher que les États s’endettent de manière inconsidérée et que la BCE ne se transforme en un puits sans fond, il peut s’avérer nécessaire de déterminer des critères fixant les conditions dans lesquelles les États peuvent emprunter à ce taux “minimum”. Si ces critères ne sont pas respectés, le taux d’intérêt pourrait augmenter. Parallèlement aux critères économiques traditionnels tels que le ratio dette/PIB, le déficit public ou encore l’inflation, d’autres dimensions devraient être également prises en compte pour fixer le taux d’intérêt, tels que le respect des droits sociaux dont le droit du travail, le respect des obligations européennes en matière de développement des énergies renouvelables et de réduction de CO2, la lutte contre les inégalités et la corruption, la régulation du secteur financier.
Tous ces critères sont quantifiables et font déjà l’objet d’analyses comparatives approfondies au sein des pays de l’UE via des institutions telles que l’OCDE ou l’OIT. Leur prise en compte ne poserait donc pas de problème. Dans la situation actuelle, il est fort peu probable que tous les gouvernements puissent arriver à un tel accord, car il faut l’unanimité pour changer un article du Traité, et le gouvernement allemand s’oppose farouchement à une telle politique, en arguant du fait que cette politique, consistant à “faire tourner la planche à billets”, créerait une inflation galopante. Cette critique n’est pas totalement infondée. Cependant, comme dit précédemment, rien n’empêche de fixer des critères qui limitent les niveaux de création monétaire. Dans tous les cas, c’était et cela reste un non-sens d’éviter le risque d’inflation en donnant tout le contrôle de la politique monétaire à la finance privée, c’est-à-dire à un secteur ayant pour objectif prioritaire le profit maximum à court terme. Par ailleurs, en prêtant plus de 1000 milliards d’euros à très bas taux aux banques entre décembre 2011 et février 2012, qu’a fait la BCE si ce n’est faire tourner la planche à billets, mais au profit des banques privées et non des peuples ?
Prévisions BFP
La modification du Traité pour permettre à la BCE de prêter directement aux États est une revendication urgente et parfaitement justifiée. Par ailleurs, il est nécessaire de réformer complètement les statuts de la BCE. Plutôt que d’avoir pour unique objectif de combattre l’inflation, il faut que cette institution puisse financer directement des États soucieux d’atteindre des objectifs sociaux et environnementaux qui intègrent les besoins et les droits fondamentaux des populations.
Le programme de stabilité 2014-2017 : attention danger ! Dans le cadre du TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance), la Belgique est soumise à une série d’obligations qui peut se résumer de la manière suivante : 1. Améliorer le solde structurel de minimum 0,5% par an. 2. L imiter le déficit structurel à maximum 0,5% du PIB. 3. R éaliser le MTO2, qui correspond pour la Belgique à un surplus budgétaire structurel de 0,75%, le plus rapidement possible.
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
Croissance réelle PIB
0,2
1,4
1,8
1,7
1,7
1,6
1,4
Inflation
1,2
0,9
1,3
1,5
1,6
1,6
1,7
Solde budgétaire nominal
-2,6
-2,7
-2,9
-2,8
-2,8
-2,5
-2,4
Évolution du ratio dette/PIB
99,7
100,1
99,8
99,5
99,1
98,7
98,2
Prévisions du Bureau fédéral du plan pour 2013 - 2019
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4. R éduire son ratio Dette/PIB de 100% à 60% en 20 ans. Dans ce cadre, le gouvernement a remis le 30 avril 2014 à la Commission européenne un programme de stabilité triennal (2014-2017) qui explique comment il compte s’y prendre pour respecter ses obligations. Ce programme se base sur plusieurs autres documents de référence, en particulier deux rapports : l’avis du Conseil supérieur des Finances - Section Besoins de financement sur la trajectoire budgétaire (mars 2014) et les prévisions du Bureau fédéral du Plan pour 2014-2019 (mars 2014). Quelles sont les prévisions économiques du Bureau fédéral du Plan (BFP) ? En fonction d’une série de données provenant de ses propres services études, de l’Institut des Comptes nationaux (ICN), de la Commission européenne, du FMI… le Bureau élabore une projection à législation et politique inchangées (cf. tableau page précédente). Selon le BFP, il ressort donc que le solde budgétaire nominal3 va se dégrader jusqu’en 2015 puis rester très proche de 3% en 2016 et 2017. Le niveau d’endettement de la Belgique va également rester très proche des 100%. Rajoutons que
cette trajectoire ne se concrétisera que dans la mesure où deux hypothèses du BFP se confirment : le retour de la croissance économique et le maintien des taux d’intérêts bas. Dans tous les cas, cette trajectoire est donc très éloignée des engagements pris au niveau européen. La Belgique est donc dans l’obligation de proposer une autre trajectoire qui respecte ses obligations.
milliards d’euros. En termes de solde primaire, les objectifs paraissent également totalement irréalistes. Alors qu’il n’a plus réalisé de surplus primaire depuis 2008 (sauf en 2013 avec un surplus primaire de 1,9 milliards d’euros), le gouvernement belge s’engage à dégager des surplus primaires de 6 milliards en 2015, 10 milliards en 2016 et 15 milliards à partir de 2017 !
Une trajectoire qui sera impossible à atteindre
Une telle orientation n’est pas neutre socialement : une partie croissante de la richesse produite par les travailleurs de Belgique, plutôt que de revenir aux citoyens sous forme de prestations sociales des services publics, ira directement dans la poche des créanciers de la dette belge.
Le tableau ci-dessous montre, d’une part, la façon dont vont évoluer les soldes budgétaires à politique inchangée (prévisions BFP) et, d’autre part, l’évolution des soldes budgétaires que la Belgique s’engage à suivre pour respecter les obligations du TSCG (Programme stabilité). On le voit bien, les “efforts” budgétaires à fournir sont gigantesques. Par exemple, cette trajectoire prévoit d’arriver à un solde budgétaire nominal positif de 0,6% en 2017. En pleine période de crise et d’instabilité économique, le gouvernement belge se fixe donc un objectif qui n’a jamais été atteint depuis 1970 ! Selon le Conseil supérieur des finances (CSF), cela représente un effort budgétaire cumulé pour la période 2014-2017 de 3,5% du PIB, soit un peu plus de 13
En plus d’être socialement injuste, il est probable que cette trajectoire budgétaire ne puisse être respectée. Premièrement, parce que ces engagements se basent sur deux postulats incertains : un retour à la croissance et des taux qui restent bas4 ; deuxièmement, parce que le gouvernement oublie que l’austérité a des impacts sur l’activité économique, l’emploi et les déficits publics. C’est une erreur majeure, car tous les pays européens qui ont coupé dans les dépenses publiques ces dernières années ont vu leur déficit et leur dette augmenter. Le cercle vicieux de la dette et de l’austérité n’a donc pas fini de faire des dégâts.
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
Solde nominal prévisions BFP
-2,6
-2,7
-2,9
-2,8
-2,8
-2,5
-2,4
Solde nominal Programme stabilité
-2,6
-2,1
-1,4
-0,40
0,60
0,75
0,75
Solde nominal selon le BFP et le TSCG
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La solution ? Écouter les propositions de la plateforme AciDe et rejoindre sa dynamique À l’instar de ce qui se fait en Europe depuis quelques années, une série d’organisations et de citoyens se sont réuni en Belgique en février 2013 pour constituer un collectif d’audit citoyen de la dette (ACiDe : www. auditcitoyen.be). Les deux objectifs prioritaires de ce collectif sont, d’une part, de mener un travail de sensibilisation et de mobilisation en Belgique et, d’autre part, de réaliser un audit de la dette pour identifier les dettes qu’il ne faut pas payer. Un an plus tard, cette plateforme s’est développée et compte maintenant une trentaine d’organisations, des milliers de citoyens et dix comités locaux répartis sur le territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles5. Bien que le travail d’audit citoyen soit loin d’être terminé, les membres de la plateforme ont pu déterminer collectivement des propositions concrètes pour s’attaquer au problème de la dette autrement que par l’austérité, qui ne mène nulle part sauf à la catastrophe sociale. Parmi ces propositions, regroupées dans un mémorandum6 (mai 2014), citons : 1. A uditer la dette pour déterminer la part qu’il ne faut pas rembourser. Une enquête approfondie, transparente et démocratique, doit permettre de faire la lumière sur les véritables raisons de l’endettement de la Belgique et de distinguer la part que la population doit réellement rembourser.
paiement, une diminution des taux d’intérêt et une annulation d’une partie du stock de la dette. 3. Alléger la dette via une réforme de la Banque centrale européenne (BCE) : si la Belgique pouvait refinancer sa dette à la BCE à un taux de 0,5% elle pourrait économiser 10 milliards d’euros par an, soit environ 60 milliards d’ici 2020. 4. Diminuer la dette en faisant contribuer les détenteurs de capitaux. C’est aux responsables et non aux victimes d’en payer le coût. Des mesures fortes, permanentes ou exceptionnelles, pourraient en partie servir à alléger le poids de la dette : une lutte active contre la grande fraude fiscale, un impôt exceptionnel sur les grosses fortunes, une taxe sur les transactions financières au niveau européen, etc.
Pour plus d’infos, lire Olivier Bonfond, ‘Non, les Belges n’ont pas vécu au-dessus de leurs moyens”, Le Soir, 24 septembre 2012. 2 À côté des obligations budgétaires comprises dans le TSCG, en particulier la règle d’or budgétaire (article 3 du TSCG), obligeant les États à ne pas dépasser un déficit structurel de 0,5% du PIB, chaque État détermine avec la Commission européenne un objectif à atteindre à moyen terme afin de réduire le niveau d’endettement. Pour la Belgique, le MTO (Medium-Term Objectif) correspond à un surplus budgétaire structurel de 0,75% du PIB. 3 Le solde primaire est la différence entre les recettes et les dépenses publiques, avant paiement des intérêts de la dette. Si l’on retranche les intérêts de la dette du solde primaire, on obtient le solde budgétaire nominal. 4 Bonfond Olivier, “Ceci n’est pas une reprise”, 4 novembre 2013. 5 Bruxelles Laïque participe au comité bruxellois et accueille nombre de ses réunions. [NDLR] 6 www.auditcitoyen.be/memorandum-de-lacide 1
Le mémorandum conclut : “Convaincus que l’austérité n’est pas une fatalité et qu’une autre Belgique et une autre Europe sont possibles, conscients de la nécessité d’inventer et d’instaurer une véritable démocratie libérée des puissances du capital et de toutes les formes d’oppression, confiants dans la capacité des citoyens et des citoyennes à délibérer ensemble de leur avenir, nous appelons toutes les forces progressistes à soutenir ces revendications et à nous rejoindre dans la dynamique d’audit citoyen.” L’auteur ne peut que soutenir cet appel.
2. Imposer aux créanciers une restructuration importante de la dette, se concrétisant par un allongement de la durée de
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Par Sophie Léonard, Bruxelles Laïque Echos
Livre examen
Thomas Sankara & Jean Ziegler
Discours sur la dette Éditions Elytis, 2014
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A
ddis-Abeba, juillet 1987. Trois mois avant d’être assassiné, Thomas Sankara tenait un discours1 magistral sur la dette des pays africains. Pour Jean Ziegler, ce discours, sans doute “le plus impitoyable, le plus profondément intelligent” du premier président du Burkina Faso constitue “un chef-d’œuvre de lucidité et de courage, d’intuitions fulgurantes et de vérité analytique”. Prononcé il y a plus de vingt-cinq ans à l’égard des chefs d’Etat africains, le discours de Sankara dénonçant les ravages de la dette et remettant en cause sa légitimité est aujourd’hui d’une actualité criante pour les pays occidentaux, traditionnels créanciers du Tiers-Monde, aujourd’hui surendettés et asphyxiés par des politiques d’austérité qui, comme l’exprimait récemment le Président de l’Equateur, Raphaël Correa2, “ne cherchent pas à sortir de la crise au moindre coût pour les citoyens européens, mais à garantir le paiement de la dette aux banques privées.” Soulignons donc l’initiative heureuse des éditions Elytis de publier ce discours emblématique et d’avoir sollicité pour l’introduire la remarquable plume de l’ancien rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, Jean Ziegler. Car, au-delà de leurs combats convergents, l’auteur de Main basse sur l’Afrique fut aussi un ami du jeune capitaine. Retraçant son parcours, Jean Ziegler ne tarit pas d’éloges à l’égard du dirigeant révolutionnaire qui exprimait si bien pour lui “les valeurs irrépressibles de l’homme humilié, cherchant sa libération”. Dans son introduction, Ziegler, qui défend depuis longtemps l’idée que la faim consti-
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tue un crime contre l’humanité et soutient que les spéculateurs devraient être jugés pour cela, insiste sur la violence destructrice et meurtrière de la dette. “Point n’est besoin de mitrailleuses, de napalm, de blindés pour asservir et soumettre les peuples. La dette, aujourd’hui, fait l’affaire. La dette extérieure constitue une arme de destruction massive. Elle soumet les peuples, détruit leurs velléités d’indépendance, assure la permanence de la domination planétaire des oligarchies du capital financier globalisé.”
Discours prononcé le 29 juillet 1987 à l’occasion de la vingt-cinquième Conférence au sommet des pays membres de l’Organisation de l’unité africaine (OUA – remplacée en 2002 par l’UA : l’Unité africaine). Ce discours est également accessible sur Internet https://www.youtube.com/ watch?v=DbqyXxqcOPE. 2 Rafael Correa, “L’Europe endettée reproduit nos erreurs”, Le Monde Diplomatique, décembre 2013. 1
La conscience forte de cette nouvelle forme d’asservissement, ce “néocolonialisme”, était au cœur du discours de Sankara. Pour le président du Pays des hommes intègres, le remboursement de la dette ne relevait pas d’une question de morale, d’honneur ou de parole à respecter. C’était pour lui une question de responsabilité : celle des anciens colonisateurs et à leur suite, des “assassins techniques” dans la contractualisation de la dette. Mais pour Sankara, refuser de payer la dette était avant tout une question de survie, le garrot de la dette empêchant tout développement, notamment de l’agriculture des pays les plus démunis. Terminant son discours en invitant les autres pays africains à créer un front uni “pour éviter que nous n’allions individuellement nous faire assassiner”, la lucidité des propos du jeune révolutionnaire ont, au regard des événements qui ont suivi, de quoi nous glacer. “Des bailleurs de fonds, un terme que l’on emploie chaque jour comme s’il y avait des hommes dont le bâillement suffisait à créer le développement chez les autres.” Thomas Sankara
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Par Chiara FILONI, CADTM Belgique
Un homme proteste contre la collaboration du gouvernement avec le FMI, sa position concernant Icesave, et les propositions qui verraient le pays rejoindre l’Union européenne et adopter l’euro. Dans le fond, une femme porte une pancarte sur laquelle est écrit “Vid borgum azobé“, “Nous ne paierons pas.” ©Photo : http://mrzine.monthlyreview.org
REFUSER LA DETTE ILLÉGITIME EST POSSIBLE !
Les exemples récents de l’Argentine, de l’Équateur et de l’Islande
Par Chiara filoni, CADTM Belgique
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Les dettes ont fortement augmenté en Europe depuis 2007-2008, c’est un fait. Les gouvernements européens n’ont pas réussi à gérer cette crise provoquée par le comportement des banques, ils l’ont même empirée, c’est un autre fait. Ce n’est pas la première fois, et de loin, que les peuples et leurs États font face à une crise de la dette. Or, des solutions qui ne mettaient pas en danger les droits fondamentaux des peuples ont été trouvées, et ce, dans de nombreux cas. Sans remonter à l’époque des rois et des tsars (qui ont été nombreux à annuler leurs dettes vis-à-vis de leurs créanciers lorsque cela était nécessaire)1, regardons l’Histoire récente : entre 1946 et aujourd’hui il y a eu 169 cas de suspension de paiement pour des périodes qui ont varié de trois à cinq ans2. Les exemples de l’Argentine, de l’Équateur et de l’Islande ici proposés ne représentent que les dernières expériences d’annulation de dettes de l’Histoire, chacune avec ses intérêts et ses limites.
Argentine
I
l s’agit de la plus grande suspension de paiement e l’Histoire. Fin 2001, l’Argentine a suspendu le paiement de sa dette pour un montant de 90 milliards de dollars. Les grandes banques nord-américaines, italiennes et allemandes détenaient la partie la plus importante des titres de cette dette vendus sur le marché financier. Après des décennies de politiques néolibérales et de plans d’ajustement structurels imposés par le FMI et trois ans de récession
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économique très dure, le peuple argentin a décidé de se rebeller contre les diktats des institutions financières internationales et de descendre dans les rues. C’est la crise politique. Cinq présidents se succèdent en quelques semaines et le cinquième, sous la pression de la rue, déclare la suspension de paiement, malgré les pressions extérieures.
pays industrialisés créanciers). On en parle peu, voire pas, mais il s’agit d’une véritable décision souveraine unilatérale pour faire primer les droits sociaux et économiques du peuple argentin sur les droits des créanciers.
L’année 2002 a connu de grands chamboulements, avec entre autres une certaine fermeture des débouchés vers l’étranger. Mais l’Argentine réussit à économiser grâce à l’argent qui se libère de la suspension de paiement de la dette publique. De 2003 à 2009, l’Argentine enregistre un taux de croissance de 7 à 9%. Mais d’autres politiques et cercles vertueux s’étaient également mis en route, en premier lieu, la récupération de certaines entreprises (même de grande taille) par les travailleurs et travailleuses, suite à l’abandon par les propriétaires.
Un autre cas, à certains égards plus intéressant encore, est celui de l’Équateur. Rafael Correa a été élu Président de la République équatorienne fin 2006 avec un programme basé, entre autres, sur la désobéissance aux institutions financières internationales et sur une solution concernant la dette accumulée pendant le régime dictatorial et son augmentation sans fin. Immédiatement, son administration a en effet engagé un audit de la dette publique du pays sur une période allant de 1976 à 2006. Cet audit a été mené par une commission de dix-huit experts dont le CADTM et d’autres organisations de la société civile locale et étrangère. Après quatorze mois de travaux, après avoir épluché des dizaines de milliers de dossiers et des centaines de contrats, la commission d’audit a rendu son avis et a déclaré comme illégitime 85% de la dette interne et externe. Il s’agissait de titres de la dette publique qui venaient à échéance entre 2012 et 2030, pour un montant total de 3 230 millions de dollars.
Malheureusement, ce que l’Argentine a réellement fait est une négociation avec ses créanciers internationaux plus qu’une annulation de sa dette. Le pays avait proposé une décote (exonération) de 65$ sur chaque titre de sa dette publique en payant 35$ au lieu de 100$, décote qui fut acceptée par la plupart des banquiers de l’époque qui ne pouvaient plus vendre ces titres pour un bon prix sur le marché secondaire3. 76% des titres ont alors été changés dans ces termes, ce qui a tout de même permis une réduction de 2/3 de la dette. Il faut noter qu’une réelle suspension unilatérale s’est parallèlement opérée : à partir de fin 2001 l’Argentine n’a plus payé sa dette à l’égard du Club de Paris (cartel de
Équateur
Cet acte unilatéral souverain a provoqué des réactions de la part des créanciers, pour la plupart des banques nord-américaines. Après avoir menacé le pays (comme dans le cas de l’Argentine) avec tous les moyens à leur disposition, notamment médiatiques, elles ont commencé à revendre leurs titres sur les marchés à 20% de leur
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valeur. Finalement, le gouvernement équatorien est arrivé à racheter discrètement 91% des titres pour un montant total de 900 millions de dollars. Ce qui fait, en prenant en compte ce stock de capital racheté à bas prix mais aussi les intérêts qui auraient dû être payés jusqu’en 2030, une économie de près de 7 milliards. Ceci a permis de faire passer le service de la dette de 32% à 15% du budget et les dépenses sociales de 12% à 25%... et, ainsi, d’améliorer considérablement les conditions de vie de la population4.
Islande En se rapprochant de l’Europe, le cas de l’Islande a fait énormément de bruit, et pour cause. Le pays a vu s’effondrer ses banques en 2008 (en même temps que l’effondrement de Lehman Brothers aux États-Unis ou des banques belges ou irlandaises). Leurs dettes cumulées constituaient dix fois le PIB du pays. L’État n’ayant pas les moyens de les renflouer, le FMI est intervenu en accordant un prêt de 2,1 milliards de dollars à l’Islande en échange – pour changer – d’une cure d’austérité. Entretemps, le gouvernement a bloqué les mouvements de capitaux du pays, et le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont exigé de l’Islande qu’elle rembourse les 3,9 milliards d’euros qu’ils avaient eux-mêmes dégagés pour garantir les dépôts de leurs citoyens clients de la banque Icesave. La population islandaise, en apprenant les négociations en cours entre leur pays, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, est descendue dans la rue pour dire Non à cette socialisation des dettes privées des banques.
Il aura fallu deux referendums pour refuser cette politique, mais le peuple a gagné. Sur ce point, en tout cas.
Conclusion Ces trois exemples ne doivent pas être considérés comme des modèles, mais comme des pistes dont de nombreux pays pourraient s’inspirer plutôt que de suivre aveuglément la politique d’austérité... Les trois pays continuent de mener des politiques néolibérales, plus ou moins selon les cas. Les économies de l’Équateur et de l’Argentine restent basées sur un modèle extractiviste-exportateur de nature capitaliste, ce qui est en train de ruiner le cercle vertueux entamé par le refus du paiement de leurs dettes. Dans le cas de l’Islande, même si cette dette impayable a été refusée, le pays a tout de même appliqué les mesures promues par le FMI. Malgré toutes ces limites, ces exemples montrent qu’il est tout à fait possible de refuser de payer la dette publique et que ce n’est pas le chaos qui suit, bien au contraire. Avec, dans le cas de l’Équateur, une décision d’entamer un processus d’audit pour identifier la partie illégitime de la dette qui pourrait être répétée dans de nombreux pays, dont la Grèce. Pour le CADTM, une dette illégitime ou odieuse, ou tout autre dette qui empêche l’État de subvenir à ses obligations envers sa population, ne doit, en aucun cas, être payée, selon les principes mêmes du droit international, car elle ne profite pas aux intérêts de la population mais aux intérêts d’une minorité très restreinte de détenteurs de capitaux.
une mesure qui doit être accompagnée d’autres mesures complémentaires et tout aussi radicales (comme la socialisation du secteur bancaire, une révolution fiscale, etc.). De nombreuses initiatives d’audit citoyen de la dette ont commencé à naître en Europe (avec le réseau ICAN : International Citizen debt Audit Network). En Belgique, une plateforme d’audit “ACiDe” a été créée il y a un peu plus d’un an et compte aujourd’hui une dizaine de groupes locaux, ainsi qu’une trentaine d’organisations membres. N’hésitez pas à la rejoindre et à faire parler de la dette autour de vous ! Seule une mobilisation suffisante de la part de la population est de nature à changer le rapport de force actuellement en cours entre les banques et les populations. ______________________________________________________ Eric Toussaint, “Série : Les annulations de dette au cours de l’histoire”, http://cadtm.org/La-longue-tradition-des 2 Eric Toussaint, “Argentine, Equateur et Islande : des solutions à la crise de la dette pour l’Union européenne ?”, Vidéo: http://w41k.com/80011 3 Les autres se sont constitué en “Fonds Vautours” qui traînent l’Argentine devant tous les tribunaux et avec toutes les méthodes possibles pour lui faire payer sa dette à la valeur nominale (voire avec intérêts de retard). 4 Eric Toussaint, “Trois exemples de suspension et d’audit” http://cadtm.org/IMG/pdf/3_exemples_de_suspension.pdf 1
Enfin, l’annulation de la dette publique est
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Par Lucile DAUMAS, ATTAC-CADTM Maroc
MICROCRÉDIT, MACRO-ARNAQUE
Du travail pour les femmes, pas des dettes
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Depuis le début de l’année 2011, près de 4500 personnes – des femmes principalement – se sont organisées dans l’Association de Protection Populaire pour le Développement Social, et mènent une lutte dans la région de Ouarzazate (sud du Maroc) contre des institutions de microcrédit, pour abus de confiance et conditions de crédit insoutenables.
D
u 24 au 27 avril dernier, une caravane internationale de solidarité d’une centaine de personnes, venues de l’Afrique francophone, mais aussi d’Europe, d’Argentine, de Haïti et de Corée, coorganisée par le réseau Afrique du CADTM, Attac Maroc et l’Association de Protection Populaire pour le Développement Social, a sillonné les routes de la région, afin d’apporter un appui aux luttes de ces femmes et expliquer les mécanismes et les pièges du microcrédit à des populations particulièrement ciblées par les Institutions de la Microfinance (IMF).
Profitant de la crise qui a touché le secteur hôtelier de cette région touristique, les organismes de microcrédits se sont implantés dans la région et ont largement distribué des prêts en ciblant tout particulièrement les femmes. Prévus à l’origine pour financer des microprojets, ils ont souvent été attribués sans réelles vérifications, à la fois parce que les courtiers sont payés en fonction du nombre de clients qu’ils obtiennent et aussi parce que les Institutions de la Microfinance (IMF) et les Associations de microcrédits (AMC) reçoivent des dons et des subventions (de l’Agence des États-Unis pour le développement international, de l’UE, des Fondations, du PNUD,
etc.) en fonction de leur clientèle, dans un contexte de concurrence exacerbée entre les organismes. De fait, ces prêts ont souvent été utilisés comme crédit à la consommation (pour s’acheter une mobylette, assurer la rentrée scolaire des gosses, payer un frigo...) ou pour pallier des services publics devenus payants et inaccessibles, en ces temps de néolibéralisme, aux secteurs les plus pauvres de la population (notamment pour des soins de santé). De surcroît, de nombreux crédits ont été contractés pour payer les précédents. Or, même si l’argent prêté provient de dons, de subventions ou de prêts à taux réduits, les taux d’intérêts que doivent payer les “bénéficiaires” de ces prêts sont exorbitants. Officiellement entre 14 et 18% (soi-disant pour financer des frais de gestion lourds en raison des petites sommes prêtées), mais dans la pratique, les femmes de Ouarzazate citent des taux pouvant aller jusqu’à 40%. En outre, il n’y a pas de rééchelonnement des dettes. Aucun des événements pouvant survenir dans la vie des personnes endettées n’est pris en compte et tout retard est sanctionné par une amende. Pire encore, un système de prêts solidaires a été mis en place, un groupe de femmes servant de caution pour chacune d’entre elles et les recouvrements peuvent être violents : pressions, chantages, agressions sont monnaie courante. Derrière le discours caritatif larmoyant de lutte contre la pauvreté et la précarité des femmes, se cache donc une extrême
violence vis-à-vis des pauvres. On profite de leur analphabétisme pour leur faire signer des contrats qu’ils ne peuvent pas lire et, ensuite, pas de pitié.
Quel intérêt pour les institutions financières de monter des opérations de microcrédits ? Les IMF fonctionnent avec du capital bon marché revendu au prix fort aux catégories les plus pauvres : c’est un grand business ! Tellement juteux que les associations de microcrédits se transforment en Institution de microfinance, tandis que les plus grosses banques de la place s’intéressent de plus en plus au secteur. Les pauvres ont bien peu d’argent mais ils sont si nombreux... Pour les années 2011 et 2012, le nombre de clients des organismes de microcrédit au Maroc avoisinait les 800 000 personnes, pour des crédits dont l’encours moyens était d’environ 6000 dirhams (550 euros). Or, la Fédération nationale des associations de microcrédits prévoit 3 millions de clients pour 2020 et constate que les prêts sont globalement bien remboursés.
Bancarisation de nouveaux secteurs C’est donc déjà en soit une excellente opération. Mais, de surcroît, cela permet de bancariser de nouveaux secteurs de la population. “Ce marché constitue un réservoir de croissance très important pour les banques et autres intermédiaires financiers qui souhaitent se diversifier et développer leurs
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parts de marché. [...] Ce segment de clientèle du secteur privé échappe encore largement aux circuits financiers traditionnels [...]. Ces entreprises se trouvent souvent contraintes à se tourner vers des sources de financement informelles (amis, famille, tontines...), voire vers un autofinancement inadapté.” dit l’Agence Française de Développement1.
Pourquoi les femmes sont-elles ciblées en priorité ? “Fini le temps où le père ramenait la paie au logis et la remettait à la mère pour qu’elle élève ses enfants. La conséquence de l’ajustement structurel a été le chômage massif, la flexibilisation du travail, la précarisation de l’emploi. Face à ces politiques, le père est entré en crise et la femme est sortie dans la rue pour trouver de quoi survivre, donnant par là un nouveau visage à l’économie, à la ville et à la structure même et au sens de la famille. C’est toute cette énergie sociale que développent les femmes dans leur lutte pour la survie qui est instrumentalisée et utilisée par la Banque et le système de la microfinance par le biais du microcrédit.”2 Ces propos de Maria Galindo, de l’association bolivienne Mujeres creando, donnent des pistes de réflexion tout à fait intéressantes pour le Maroc. En effet, le néolibéralisme a massivement poussé les femmes à s’insérer dans le marché de l’emploi, notamment dans les secteurs tournés vers l’exportation (zones franches, textile, agriculture sous serre) profitant de leur absence de tradition sur le marché du travail, du manque d’acquis concernant leurs droits, de leur analphabétisme. La crise de
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la famille élargie et la crise de la famille tout court, exacerbée par un chômage structurel de masse, a transformé les femmes en chefs de foyer et en actrices de premier plan dans la lutte pour la survie. Ce sont ces mêmes caractéristiques qu’exploitent aujourd’hui les IMF, proposant, dans le meilleur des cas, des activités génératrices de revenus, ce degré zéro de l’emploi – ni travail, ni emploi, ni salaire – au nom d’un développement-bidon : quel développement peut-il bien résulter de microprojets, nés d’investissements de l’ordre de 550 euros, dans des zones marginalisées et dévastées par la mise en place des politiques libérales, notamment en ce qui concerne la destruction de la petite agriculture ? Ce n’est pas ainsi qu’un pays peut se développer ! Tout au plus peut-il s’agir de perspectives provisoires de survie. Mais à quel prix ! Les femmes de Ouarzazate parlent de la spirale du surendettement, de leurs angoisses, des saisies, des procès. Aux problèmes de pauvreté vécus précédemment, non résolus par les prêts contractés, s’ajoutent l’endettement et les pressions pour le remboursement qui détruisent les familles, déscolarisent les enfants, amènent les femmes à la prostitution ou au suicide. Les femmes de Ouarzazate ont compris que le microcrédit n’est pas un outil de lutte contre la pauvreté mais un pillage supplémentaire des maigres revenus des familles pauvres ; que l’endettement n’était pas un problème individuel, mais un problème social et collectif qui doit trouver des solutions sociales et collectives, en termes d’accès à des services publics gratuits et de qualité, de création d’emplois, de droit du travail et de droits économiques et sociaux,
de protection des plus démunis contre la voracité des institutions financières, aussi micro soient-elles. Elles ont aussi compris l’intérêt de s’autoorganiser et de lutter ensemble contre ces nouveaux vampires qui avancent, masqués, derrière un discours d’altruisme et de féminisme. Elles réclament l’annulation de dettes illégitimes qu’elles ont déjà remboursées. Amina Mourad et Benasser Ismaini, deux des animateurs du mouvement contre le microcrédit, ont été assignés devant le tribunal. Cinq organismes de microcrédits avaient déposé une plainte contre eux pour escroquerie, diffamation et menaces mais le véritable motif de cette démarche est qu’ils ont rassemblé les victimes des microcrédits dans leur région et mis à nu les abus de la microfinance. Quatre d’entre eux ont retiré leur plainte. Il en reste donc une. Après un procès rocambolesque, maintes fois reporté, et riche en vices de formes, Amina et Benasser ont été condamnés, le 11 février 2014, à un an de prison ferme et 30.000 dirhams d’amende ainsi qu’à payer 10.000 dirhams à l’organisme de microcrédit qui a porté plainte (le dossier est actuellement devant la Cour de Cassation). Une façon d’intimider le mouvement des victimes du microcrédit, de tenter de le bâillonner et d’éviter qu’il ne s’étende. Car le véritable procès, c’est celui qu’intentent, par leur action, les femmes victimes de la rapacité des organismes de microcrédits qui font de la pauvreté un grand business. ______________________________________________________ 1 Voir le document “L’AFD et la Mésofinance, financer les petites et très petites entreprises des pays du Sud” disponible sur le site Internet de l’Agence. 2 Mujeres Creando, “La pobreza: un gran negocio. Un análisis crítico sobre oenegés, microfinancieras y banca”, La Paz, Bolivia, 2010.
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Par Isabelle GUÉRIN, Magalie SAUSSEY et Monique SELIM
dettes des femmes dans le cadre de la globalisation 1 du genre
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I
nitialement forgé par des études féministes pour faire une analyse critique de la construction sociale et hiérarchique des rapports sociaux de sexe, le terme de genre est aujourd’hui devenu une norme globalisée2 se déployant dans l’ensemble du monde et à de multiples échelles, du local à l’international, s’immisçant dans diverses organisations. L’engouement autour de ce terme a pour effet de lui ôter beaucoup de sa force en tant qu’outil d’analyse fécond et subversif. La confusion dans l’usage du terme a également largement participé à sa banalisation. En effet, si, pour les féministes, le genre désigne les relations hiérarchiques entre les hommes et les femmes – dans ce cas, il est la “cause” du problème à résoudre : les inégalités –, pour les décideurs politiques, le genre est très souvent utilisé comme étant la “solution”, le terme est alors abusivement utilisé comme synonyme de femmes et, au mieux, il se limite à la possibilité de leur changement dans une perspective plus égalitaire3. Dans ce contexte, l’institutionnalisation du genre s’est transformée en un processus dépolitisé, technique, qui sous-estime ou même ignore la diversité des “régimes de genre4” pour ne valoriser que des modèles essentialisés à vocation universelle. Dans la configuration économique actuelle, caractérisée par la financiarisation du capitalisme et l’emprise de la dette comme forme de domination et d’imposition de la violence, appréhender genre et économie dans leurs dimensions globalisées suppose de considérer la manière dont les femmes sont aujourd’hui perçues comme victimes mais aussi comme débitrices. Et réciproquement, la dette comme mode de
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domination requiert une analyse précise de sa dimension sexuée. Cet article a pour objet l’étude des interactions entre genre et dette, tous deux compris comme des normes globales de gouvernance. Et si cet examen suppose des analyses contextualisées, il est néanmoins possible de conclure qu’au final, on assiste à un renforcement des dettes matérielles, monétaires et imaginaires de femmes.
Dette et genre comme modes de gouvernance globale À l’aube du XXIe siècle, marqué par la financiarisation du capitalisme, la notion de dette a acquis un rayonnement remarquable, enchaînant les États insécurisés et livrant les individus à une précarité totale, lorsqu’ils ont eu le malheur de bâtir leur existence sur un endettement auparavant fortement encouragé. Omniprésente, la dette s’impose comme un mode de gouvernance globale et son remboursement paraît l’unique objectif et programme politique de bien des gouvernements. Déclinée selon toutes les catégories statutaires, hiérarchiques et d’appartenance, la dette dans sa perspective individualisante se donne à voir aussi comme sexuée avec des argumentations qui renforcent la victimisation des femmes. Ces constats entrent en résonance avec d’autres théories qui, avec la tradition psychanalytique, renvoient les femmes à une dette symbolique originaire, nourrie par leurs pouvoirs d’engendrement et de castration. Du côté de l’anthropologie, si la thématique de la dette aux dieux est bien circonscrite, la dot et le prix de la fiancée mettent
les femmes au cœur de dettes masculines croisées dans lesquelles se jouent leurs destinées. Qu’elle soit matérielle ou symbolique, la dette est pensée dans ses rapports avec le don et l’échange. Ainsi, si les femmes sont réintroduites dans ces raisonnements comme des acteurs idéalement égaux aux autres, alors les conséquences de telles balises débouchent sur des poncifs maintes fois passés au crible de la critique, qu’il s’agisse de l’échange des femmes, des dispositifs psychiques qu’induirait leur capacité de produire des enfants ou encore de la solidarité dont les femmes seraient l’emblème. Envisager des logiques de dettes qui seraient singulières aux femmes oblige à plusieurs déplacements sémantiques, en particulier si l’on observe que les femmes se conduisent souvent comme si elles portaient une lourde dette, témoignant d’une reconnaissance plus forte que les conventions ne le supposent dans des contextes où elles ont été bénéficiaires d’un geste, d’une aide ou d’une marque honorifique ; mais aussi qu’elles sont poussées à s’endetter concrètement de par les charges de gestion familiale qui leur incombent partout. Sans oublier le champ du care qui exemplifie avec ambiguïté les vertus féminines de soin et de sollicitude et pourrait laisser entendre que les femmes naîtraient a priori endettées, pour devoir face aux autres, tant faire et tant rendre, sans que l’on sache de quelle dette il s’agirait. C’est pourquoi, laissant de côté don et échange dans l’optique de clarifier la problématique de formes de dettes spécifiquement appliquées aux femmes, dans la période actuelle, on replacera la
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dette, d’une part, au carrefour des axes conceptuels des rapports de domination et des imaginaires qui les supportent, d’autre part, en regard des normes de genre et de la globalisation financière. Insistons sur le fait que la dette, qu’elle soit matérielle, monétaire ou idéelle, bâtit, structure et traduit la domination qui lie le débiteur à son créancier : elle se nourrit dans l’imaginaire des positions assignées d’infériorité et de supériorité qui perdurent, au-delà du recouvrement, et impliquent pour son annulation hypothétique, une modification de la hiérarchie en jeu. Ainsi comprend-on que celles (et ceux) qui tentent d’échapper à un rôle subalterne socialement prescrit et y réussissent relativement, se hissant jusqu’à une égalité formelle, éprouvent d’énormes difficultés à rayer dans leur esprit mais aussi à effacer dans les liens, l’idée d’une dette qui court et enveloppe éventuellement les relations d’une sorte de chaleur douce entretenue par les partenaires. La dette n’est donc pas la contrepartie d’un don, bien au contraire le don vient se greffer sur la dette comme une illusion qui légitime la domination. Les inégalités entre hommes et femmes cristallisées dans le travail, les salaires, la division des tâches... constituent ainsi les soubassements des diverses formes de dette qui s’expriment et qui commandent des constructions imaginaires substitutives, compensatoires, justificatrices.
dites de genre ne visent pas à donner de réels droits économiques et sociaux aux femmes – alors même qu’ils sont, d’une manière générale, détruits – mais bien plutôt à intégrer les femmes dans des rôles fragiles, tel celui d’auto-entrepreneure, au marché actuellement institué dans une suprématie incontestable. L’auto-entrepreneuriat suppose un endettement favorisé par les outils financiers dont les formules se multiplient. Les femmes sont conduites sur ces chemins précarisés où s’accumulent les dettes matérielles, monétaires et imaginaires. Dans cette perspective, les normes de genre constituent un accompagnement idéologique à la croissance de la finance auquel elles apportent une touche éthique, en se penchant sur le sort des femmes les plus démunies comme les programmes de développement le montrent avec acuité. À un autre niveau, l’expansion du marché, sa généralisation à l’ensemble de la quotidienneté, ont des effets contradictoires sur le statut des femmes : derrière l’apparence d’une plus grande liberté, se cachent parfois des durcissements des normes sexuelles accentuant les logiques subjectives de la dette pour les femmes.
La dette au féminin au prisme de la globalisation du genre et du développement De surcroît, l’émergence, le développement capitalistique
et la consolidation du genre comme norme de gouvernance interviennent sur le fond de rapports de domination – notamment masculine –, parés de dettes fictives insurmontables, subjectivées, bien au-delà de leurs dimensions concrètes. Les politiques
Tout au long des xixe et xxe siècles mûrit l’idée d’un progrès général fondé sur le développement économique, l’accès à l’éducation et à la technologie qui libérerait les hommes mais aussi les femmes.
L’émancipation des femmes devient un horizon, non seulement occidental, comme on le pense souvent, mais aussi partagé par des élites diverses (indiennes, arabes…). Leurs représentants masculins envoient à l’école leurs filles et espèrent pour elles un autre destin que celui des mères analphabètes même si les contraintes restent importantes pour ces jeunes qui doivent rester “respectables”. Ces idéaux vertueux se révèlent au xxie siècle caducs en regard des effets des processus enclenchés : l’éducation, pensée antérieurement comme productrice d’un statut dans l’échelle hiérarchique s’efface derrière les modes d’accumulation des profits appropriés par les dominants masculins et n’éradique nullement la dette symbolique des femmes. Simultanément, les politiques dites de genre ont pour objectif d’aider les femmes à “s’émanciper”, mais l’émancipation est surtout comprise comme mode d’intégration au marché, qu’il s’agisse d’entreprendre ou de consommer. Les aides financières ciblées sur les femmes pour les métamorphoser en entrepreneures, techniciennes ou petites commerçantes contribuent à les endetter sans entrevoir une amélioration de leur condition. L’usage général par les femmes de l’argent, qui, auparavant, leur était souvent moins facilement accessible, ne leur donne pas la même aisance dans la dépense qu’aux hommes. Les perspectives d’émancipation n’ont donc pas débouché sur une autoémancipation dont l’hypothèse, devenue un alibi et un business d’ONG rentable et de politiques publiques de genre (à l’échelon national ou international), est détruite à la base par les
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mécanismes de la finance et de la consommation comme nouveaux fondements des ordonnancements sociaux. Au final, il ne s’agit guère de promouvoir l’égalité et l’indépendance des femmes mais plutôt de se frayer une voie de pénétration dans les sociétés5. On ne saurait pour autant considérer que l’enlisement des femmes dans des écheveaux de dettes serait un miroir de leur enfermement dans une sphère désignée comme “reproductive”, en opposition à une autre qui serait “productive”. Production et reproduction ont constitué des dichotomies opératoires pour les sciences. Marxienne, la dichotomie est aujourd’hui balayée par la relégation du travail à une place mineure dans l’accumulation du capital et le passage à une rente hégémonique de l’argent dont la fluidité interdit la fixation territorialisée. La force de travail se vend nue, au meilleur prix, c’est-à-dire le plus bas, sans coût transactionnel dans le monde globalisé présent et les femmes, tout comme les hommes, sont emportées dans ces flux de déterritorialisation avec des conséquences sur les logiques de leur endettement : d’une certaine manière, la dette symbolique qui pesait sur elles au nom de l’honneur de leurs “propriétaires” masculins a diminué si l’on considère que ces derniers vont “fermer les yeux” tant que le “déshonneur” se passe sur une terre lointaine, et continue à rapporter l’argent nécessaire à la construction de maisons et l’acquisition de biens de consommation ostentatoires. La diminution de la dette symbolique a pour prix ici un renforcement de l’endettement à l’égard des siens auxquels les
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gains du travail doivent être reversés. Ce rééquilibrage apparent des formes de dette dévoile avec force la dette imaginaire qui en est le fondement et s’il permet les arrangements ponctuels, il ne peut l’annuler. Si la nature du développement capitalistique actuel qui fait du marché son moteur absolu resserre l’étau des dettes sur les femmes, on ne saurait en déduire que l’on bute là sur une sorte d’aporie sociétale au statut d’invariant. La transformation des rapports de domination – qui ont délaissé les grammaires simples de l’autoritarisme pour impliquer les acteurs dans leur efficience – a pour pendant l’éclosion de modes de contestation inédits. Dans ce contexte, les femmes sont parmi les premières à innover mettant en avant avec provocation leur corps, matière première de la dette qui les étouffe rituellement. Les manifestations de femmes méritent donc aujourd’hui comme hier toute l’attention des chercheurs soucieux d’éviter la répétition des déterminismes et leur légitimation. Prenons l’exemple significatif du modèle globalisé qui se répand à partir de l’Ukraine et qui voit des femmes de tous âges se dénuder ; il constitue une des réponses aux injonctions paradoxales, par lesquelles tentent de se reformuler les rapports de domination. Celles-ci pèsent sur les femmes assignées à assumer des images et des rôles contradictoires. C’est pourquoi la mise en scène d’un retournement violent de l’anatomie féminine construite comme une arme politique est instructive : le sein nourricier, symbole même de la féminité, est brandi comme instrument d’attaque et dans ce geste qui inverse les postures et s’affiche perfor-
mant au sens propre se donne à penser une fracture du bloc des dettes matérielles et imaginaires endossées par les femmes, qui, au nom d’un développement conforme et bienveillant, perdurent. Il revient aux anthropologues et aux économistes d’en faire l’analyse pour dégager de nouveaux schèmes herméneutiques, ne se cantonnant pas sur des populations féminines édifiées en victimes et livrées à la charité mondiale, établissant la logique des articulations sociales et politiques en jeu. _____________________________________________________ 1 Ce texte est une contraction d’un article qui s’inscrit dans le programme de recherche Globalgender, financé par l’Agence Nationale de la Recherche et coordonné par Ioana Cirstocea. La version intégrale a été publiée dans Hours B., Ould-Ahmed P. (dir.), 2013. Dette de qui, dette de quoi ? Une économie anthropologique de la dette, Paris, L’Harmattan, p. 227-247. La contraction a été opéré par Bruxelles Laïque Echos et nous renvoyons à cette publication pour plus de détails, pour les références bibliographiques et surtout pour les trois analyses de cas proposées par les auteures. 2 Delphine Lacome, Elisabeth Marteu, Anna Jarry-Omavora et Brigitte Frotiée, “Le Genre globalisé : cadres d’actions et mobilisations en débats”, Cultures et Conflits, n°83, 2011. 3 Magali Saussey, “Développement” in Catherine Achin et Laure Bereni (éds.), Dictionnaire Genre et science politique. Concepts, objets, problèmes, Paris : Presses Sciences po, p. 154-167, 2013 : “Les politiques de coopération françaises font (…) preuve d’une résistance remarquable comme en témoigne le rejet du terme “genre” qui a été systématiquement remplacé par “égalité femmes/hommes” dans l’ensemble de leurs documents” (p. 163) 4 Un régime de genre désigne le fonctionnement des Etats sociaux sur le plan spécifique des rapports sociaux de sexe. Il inclut les mesures, les discours et les représentations soutenus par un Etat social à un moment donné et qui affectent le positionnement des hommes et des femmes (en termes de droits, de traitement socioéconomique etc...) au sein de ce même État. 5 Monique Sélim, “La face cachée des femmes outils”, L’Homme et la Société, n° 176-177, 2011, p. 253-266
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Par Sophie Léonard, Bruxelles Laïque Echos
Livre examen
Renaud Duterme et Eric De Ruest
La dette cachée de l’économie. Le scandale planétaire Editions Les liens qui libèrent, Paris, 2014
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Dans un ouvrage remarquablement documenté, Renaud Duterme et Eric De Ruest, deux collaborateurs du CADTM1, se sont attelés à cerner cette notion relativement récente qui, bien plus qu’une notion comptable, a pour vocation de favoriser la remise en question du dogme de la croissance et de susciter la mobilisation contre un modèle capitaliste productiviste, destructeur pour la planète et l’humanité. Dépassant par ailleurs le strict point de vue géographique qui opposerait un Nord homogène à un Sud homogène, les auteurs invitent également à analyser la notion de dette écologique en termes de classes sociales : “le 1% le plus riche contre les 99% restants”, démontrant “à travers de multiples exemples que, bien souvent, au Nord comme au Sud, la majorité subit les mêmes politiques, dictées par une oligarchie que guide la recherche du profit à court terme.”
Le concept de dette écologique est né au début des années ’90 sous l’impulsion d’ONGs sud-américaines qui revendiquaient l’annulation de la dette des pays du tiers-monde, stipulant, d’une part, que l’essor économique de l’Occident a en grande partie reposé depuis cinq siècles sur le pillage des ressources naturelles et la destruction des écosystèmes du Sud et pointant, d’autre part, la responsabilité historique des puissances du Nord dans la dégradation de l’environnement. Loin de s’en tenir à une approche strictement environnementaliste, La dette cachée de l’économie replace cependant la question écologique au cœur des rapports de domination et d’exploitation économiques.
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Dressant dans une première partie l’histoire géopolitique de la dette écologique, qu’ils font remonter à 1492 “tournant pour la plupart des populations de la planète, mais aussi pour les écosystèmes”, les auteurs rappellent comment les colonisateurs vont imposer aux pays du Sud de se spécialiser dans des monocultures incultivables dans les zones tempérées du Nord et procéder à l’exploitation intensive de leurs ressources minières et forestières. “En plus de désintégrer l’économie locale en l’organisant uniquement en vue de l’exportation, l’exploitation massive des ressources naturelles engendra toujours plus de dégâts écologiques (…) qui constituent une partie de la dette écologique.” Les indépendances ne mettront toutefois pas un terme à cette situation, bien
au contraire ! La Banque mondiale ayant incité de nombreux Etats à s’endetter – sous prétexte de moderniser leurs économies, mais en réalité pour financer des infrastructures d’exportation – la dette va devenir la pierre angulaire d’un système néocolonial pernicieux, renforcé dans les années ’80 par le FMI et les plans d’ajustement structurel. Par ailleurs, cette approche “géohistorique” insiste également sur le fait que l’Histoire regorge d’exemples d’utilisation de la guerre comme arme d’exploitation économique et moyen d’accéder aux ressources naturelles.
Les dossiers noirs de l’impasse capitaliste Au fil de cinq chapitres abondamment illustrés, les auteurs passent en revue les dossiers lourds de la dette écologique. Le dossier énergétique tout d’abord. Evoquant, entre autres, les nombreuses catastrophes provoquées par l’exploitation et le transport du pétrole ainsi que le “lourd tribut humain et écologique (dû) aux folies de l’extractivisme pétrolier”, les auteurs mettent également en évidence les liens entre l’exploitation de l’or noir et le sous-développement, à l’instar du Nigéria, premier pays africain producteur de pétrole, mais dont 70% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté. Le livre passe ensuite en revue le “cauchemar chimique” : les 6000 tonnes de mercure encore rejetées dans la nature chaque année contaminant de 10 à 15 millions de personnes ; les millions de victimes de l’agent orange au Vietnam ; la reconversion des géants de la chimie dans une
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“révolution verte” soi-disant destinée à mettre un terme à la faim dans le monde ; l’enfer de Bhopal qui, dans toute son horreur, témoigne des dérives d’une mondialisation néolibérale poussant à mettre en concurrence des normes environnementales ; les dégâts sociaux énormes et les incertitudes sanitaires et environnementales liées à l’introduction des cultures d’OGM…
“Cette attitude consistant, pour le Nord, à externaliser ses nuisances bien loin de sa législation et de son opinion publique est tout à fait concomitante à l’idée de dette écologique”. Une fois de plus, à travers ce dossier, l’analyse plaide plus largement pour une remise en question radicale d’un système économique productiviste basé sur une “logique de surconsommation matérielle, de croissance et d’accumulation”.
Sur ces questions, comme sur les autres dossiers, tout en constatant l’impunité ordinaire de “ceux qui ont placé l’avidité au-dessus du bien-vivre de l’humanité”, les auteurs encouragent le développement d’une justice réparatrice ainsi qu’une évolution du droit de et à l’environnement.
Enfin, pour terminer le tour des constats, R. Duterme et E. de Ruest nous mettent en garde contre “l’opportunisme vert” et ceux qui, surfant sur la vague d’une certaine prise de conscience environnementale, adoptent des méthodes de greenwashing “pour que nous continuions à consommer en gardant bonne conscience” à l’instar de la “communication pseudo-verte sur les agrocarburants.”
Le chapitre consacré à “la naissance d’une dette agricole et alimentaire” s’attaque à la question de l’alimentation. Mettant en exergue les chiffres de la FAO2 selon lesquels “une personne sur sept souffre de la faim, [tandis que] au moins un tiers des aliments produits sont gaspillés”, les auteurs démontrent au fil des pages le caractère “absurde, dangereux, injuste et insoutenable” du modèle agricole dominant, pointant du doigt la responsabilité des institutions financières et de l’agrobusiness, tout en appelant à déconcentrer la production agricole et à promouvoir une “agriculture de proximité, par et pour les paysans”. Vient ensuite la question des déchets ou “comment le Nord transforme le Sud en dépotoir”, phénomène également emblématique d’un système où le profit prime sur toute autre forme de considération pour les vies humaines ou l’environnement.
Appel à la convergence des luttes Certes, le tour d’horizon des dossiers de la dette écologique a de quoi nous écœurer, tout comme le cynisme de cette oligarchie mondiale prédatrice. Mais, sortant de l’habituel discours culpabilisant sur l’environnement, le propos défendu ici en appelle davantage à une prise de conscience et à promouvoir “le principe fondamental de responsabilité”.
grande vertu reste sans doute d’encourager la convergence des luttes. Montrant en effet à travers une multitude d’illustrations que les exploitations humaines et environnementales sont complètement liées – ce qu’ont d’ailleurs depuis longtemps intégré nombre de mouvements sociaux au Sud de la planète –, ce plaidoyer invite à faire converger les luttes sociales et écologiques. En soulignant d’une part que l’une des grandes failles des sommets environnementaux est de ne jamais remettre en cause les rapports de domination, et conviant d’autre part les syndicats à se remettre en question lorsqu’ils continuent à revendiquer une croissance à tout prix faisant fi des impacts environnementaux, les auteurs invitent les mouvements syndicaux et écologistes à parvenir à des revendications communes. Alors que se négocie dans la plus grande opacité un traité transatlantique qui risque – c’est un euphémisme – une fois de plus de brader les normes sociales et environnementales, cette invitation est d’une actualité criante. D’une urgence vitale. _____________________________________________________ 1 Comité pour l’Annulation de la Dette du tiers-monde 2 La FAO est l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture http://www.fao.org/docrep/018/ i3347e.pdf (chiffres publiés en 2013)
Dans un contexte de crise économique et de récession qui, depuis 2008, nous a détourné des questions environnementales, la mise en lumière de La dette cachée de l’économie – telle que présentée dans cet ouvrage – mérite que l’on si attarde à plus d’un titre, mais sa plus
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Par Françoise Moukwa ZEGELE et Elodie LEEMANS, Service de médiation de dettes de Bruxelles Laïque Propos recueillis et mis en forme par Alexis MARTINET, Bruxelles Laïque Echos
Le Service de médiation de dettes de Bruxelles Laïque témoigne
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L’objectif de la médiation de dettes est de trouver une solution durable au surendettement qui, à la fois, garantit à la personne une vie conforme à la dignité humaine et permet, dans la mesure du possible, qu’elle paye ses dettes.
L
e médiateur de dettes est un intermédiaire entre la personne endettée et les créanciers. Il l’accompagne dans la durée, l’informe, l’oriente et lui présente les différentes possibilités ainsi que leurs conséquences. Il est tenu au respect du secret professionnel et doit remplir son rôle dans un souci d’impartialité et d’équité. Notre méthode de travail tente de répondre à certaines valeurs de la laïcité telles que le respect de la dignité humaine, de la vie privée, de la diversité et des choix de vie ainsi que la défense d’une société d’information et de connaissance. Ses objectifs sont la participation, l’émancipation et l’autonomie des personnes.
À Bruxelles Laïque, nous organisons une médiation de dette à l’amiable : la personne en situation de surendettement prend elle-même l’initiative de consulter le service de son choix qui l’aidera à trouver un accord à l’amiable avec les créanciers. Il n’y a donc a priori pas d’intervention du juge. Notre service est composé de deux médiatrices de dettes, assistantes sociales de formation. La prise des premiers rendezvous est gérée par le secrétariat qui, dans un premier temps, pose les conditions d’admissibilité du Service de médiation de dettes de l’institution. En fonction de la spécificité de certaines demandes
(règlement collectif de dettes, demandeur indépendant ou bénéficiaire du revenu d’intégration sociale…), les personnes se verront parfois réorientées vers d’autres services. Le premier entretien avec une médiatrice consiste à faire connaissance avec la personne, l’inviter à exposer sa situation et aborder le cadre de travail d’un service de médiation de dettes. Il nous semble dès lors important de clarifier le processus de médiation de dettes dans lequel va s’impliquer la personne. En effet, nous constatons régulièrement qu’elle perçoit peu le fonctionnement et le travail de collaboration que cela va occasionner. Aussi, quelques individus ont des idées faussées et, bien souvent, leurs attentes sont disproportionnées par rapport à nos compétences, telles que : “Vous allez effacer les intérêts de la dette ?” ou “Est-il possible de supprimer la dette ?”. De plus, nous rencontrons une population fragilisée, démunie et épuisée par l’anxiété, la démotivation, la dévalorisation personnelle et par les difficultés de compréhension d’un vocabulaire technique utilisé dans les courriers et les factures : “Je n’arrive plus à y voir une fin !”. La relation d’aide et les concepts méthodologiques qui s’y réfèrent sont donc primordiaux dans l’accompagnement réalisé auprès des “médiés”. Aussi, il est important de connaître les causes du surendettement même si celles-ci n’émergent pas facilement lors de ce premier entretien. Cela permet de rencontrer les personnes au cœur de leur vécu et d’adapter notre intervention en conséquence.
Afin d’inclure les personnes dans le processus de médiation de dettes, nous leur confions des tâches à réaliser pour l’entretien suivant : réfléchir au fonctionnement de ce service et y poser des questions éventuelles, compléter une grille budgétaire, qui représentera la photocopie financière de la situation, apporter quelques documents tels que les preuves des ressources des trois derniers mois, les factures des charges incompressibles, un document de chaque créancier et la liste de toutes les dettes. Parfois, il s’avère que certains sont munis de tous ces documents lors du premier entretien. Dès lors, nous établissons un premier contact avec les créanciers. Techniquement, les entretiens suivants consistent à analyser de manière claire et précise la situation financière de la personne, prendre contact avec les créanciers, envisager, dans la mesure du possible et en fonction de la quotité disponible, des propositions de plans de paiement réalistes mais également, veiller au bon déroulement de la procédure. Parallèlement, l’aspect psychosocial est primordial et indispensable au suivi du processus de médiation de dettes. Nous devons tenir compte des états psychologiques divers et variés et des modifications dans la situation personnelle, professionnelle et financière. Cependant, nous ne pouvons pas nous permettre de réaliser un accompagnement personnel global par manque de temps et de qualifications professionnelles. C’est pourquoi, il est nécessaire de relayer certains aspects psychosociaux à des professionnels compétents. Le surendettement est une thématique trop et mal présentée dans les médias.
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Hélas, le sujet y est systématiquement perçu par l’un ou l’autre bout de la lorgnette : la personne surendettée est soit profiteuse, soit irresponsable. Régulièrement, nous constatons que les usagers sont mal informés et peu conscientisés des conséquences des prêts à la consommation (ouverture de crédit, prêt à tempérament, vente à tempérament et regroupement de crédits). Ceuxci sont démunis face aux informations abondantes et parfois incompréhensibles (vocabulaire technique, conditions générales en caractères illisibles, etc.). Les prêts à la consommation sont rapidement ouverts sans contrainte ou opposition majeure. En contractant un crédit, ils pensent améliorer leur confort de vie et leur bien-être tout en payant des mensualités qui, dans un premier temps, leur paraissent minimes par rapport aux dépenses quotidiennes. Dans un deuxième temps, ils prennent “conscience” que le poids de ce crédit a une influence négative sur leur gestion budgétaire, et commencent, peu à peu, à rencontrer des difficultés à assurer le remboursement mensuel. Sont alors comptabilisés des intérêts de retard et quelques “menaces” de la part des créanciers. Pourtant, nous remarquons que, malgré ces désagréments, les médiés ont tendance à contracter plusieurs crédits à la consommation. Notre travail est alors parfois complexe car le montant minimum à rembourser par mois dépend du solde du crédit communiqué sur l’état des dépenses mensuel. Il est donc difficile, voire impossible, de négocier un plan de paiement réaliste en fonction de la quotité disponible.
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Cependant, même si le crédit est encore très présent dans les dossiers de surendettement et doit rester une préoccupation majeure pour nos pouvoirs politiques, une autre réalité ne peut plus être ignorée : celle de la pauvreté grandissante. De manière générale, la conjoncture économique actuelle accentue le surendettement et peut entraîner une déstructuration de la personne au niveau individuel, familial et sociétal qui peut s’avérer sensible pour sa santé mentale.
durée) ; (2) les instabilités personnelles et familiales (famille monoparentale, difficultés psychologiques, assuétudes, dettes communes d’un couple après une séparation, incarcération, etc.) ; (3) les coûts élevés des charges incompressibles, entre autres, le loyer qui représente, très régulièrement, plus de la moitié des revenus courants ; (4) la difficulté dans la gestion budgétaire en fonction des ressources actuelles (achats excessifs, ouvertures de crédit, regroupements de crédits, etc.).
Nous constatons une nette progression de l’endettement lié à des charges de la vie courante (loyers, soins de santé, énergie, etc.). L’Observatoire du Crédit et Endettement fait le même constat et note qu’en 2011 près d’un dossier sur deux ne contient aucune dette liée au crédit. Toujours d’après la même source, ce type de situation est en nette augmentation : de 33.6% en 2008 à 48.3% en 2011. Pour nous, cette situation n’est pas nouvelle. Elle était déjà présente dans les dossiers des personnes que nous accueillions à Bruxelles Laïque et dans d’autres Services de médiation de dettes. Nous voyons qu’elle a été accentuée par la crise économique qui se prolonge.
La problématique du surendettement mobilise beaucoup d’énergie chez les personnes et nous constatons qu’elle peut, à la longue, affecter leur santé mentale. C’est entre autres ce qui ressort des témoignages des personnes qui participent au Groupe de soutien organisé par certains de nos collègues au sein de leurs associations. Ces personnes confirment que les préoccupations financières occupent la majeure partie de leurs temps et réflexions. En cas de problèmes, l’argent peut devenir une véritable obsession. L’impact de ces préoccupations financières peut se marquer sur le corps et la santé des personnes déjà affaiblies par les soucis d’argent.
Cela concerne, par ordre d’importance, les dettes publiques, les dettes de logement et énergie, les dettes liées à la santé, à la téléphonie et communication, etc.
Nous remarquons donc souvent, lors de notre accompagnement, que le surendettement peut devenir un fardeau pour cette catégorie de personnes, les empêchant parfois d’être disponibles pour d’autres activités comme la recherche d’un emploi, d’une formation, l’éducation de leurs enfants ou tout simplement l’engagement au respect d’un plan qui a été négocié avec un créancier. Le surendettement peut faire perdre l’équilibre émotionnel et
Nous pourrons relever ici quelques éléments déclencheurs qui contribuent au surendettement des ménages, déjà fort fragilisés au départ : (1) les situations professionnelles précaires (allocations de chômage, emploi précaire, à courte
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les capacités à raisonner posément et à anticiper. Il y a quelques années, même surendettées, certaines personnes n’osaient pas s’adresser à un Service de médiation de dettes. Les sentiments de honte, de peur étaient associés à cette problématique. Aujourd’hui, nos services sont submergés par les demandes. Les délais d’attente s’allongent, parfois jusqu’à six mois, et de plus en plus de Services de médiation de dettes ne sont plus en mesure de prendre de nouvelles demandes. Depuis sa création en 2001, notre Service a aujourd’hui atteint sa vitesse de croisière avec plus de 800 dossiers ouverts et instruits et plus de 60% de résultats positifs pour la personne endettée. Il a toujours mis l’accent sur le volet curatif en pratiquant la médiation amiable mais notre expérience nous a conduits à réfléchir également sur le côté préventif du surendettement.
nous pensons à la promotion des crédits. Lorsque nous interrogeons notre public, nous voyons que le crédit facile est partout. Il serait grand temps d’interdire de pratiquer le colportage en vendant du crédit au porte-à-porte ou dans les boîtes aux lettres, les rues ou les stations de métro. La loi devrait créer un cadre beaucoup plus contraignant pour obliger le prêteur à mieux évaluer la solvabilité de l’emprunteur. Il faudrait une loi pour lutter contre le crédit octroyé de manière irresponsable afin de protéger les consommateurs contre des publicités intrusives. Quant aux huissiers, il est vrai qu’une nouvelle loi modifiant plus globalement leur statut est entrée en vigueur le 1er février 2014 mais nous aurions souhaité qu’il y soit prévu un recours spécifique contre les menaces et autres actes abusifs des huissiers de Justice et des maisons de recouvrement à l’encontre des usagers.
Afin de renforcer ce côté à l’avenir, nous avons engagé une réflexion commune au sein de Bruxelles Laïque, entre les différents secteurs et leurs publics, afin de proposer à l’avenir des animations autour du thème du surendettement sous forme d’ateliers et de séances d’information. Le monde politique devrait également aller plus loin dans cette optique préventive. Pour protéger le consommateur, même si le Ministère fédéral en charge de la protection à la consommation prend régulièrement des mesures, il reste encore beaucoup à faire. Outre les considérations économiques en matière de plafonds sur les prix des biens de première nécessité,
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Par Alice WILLOX, Bruxelles Laïque Echos
Si c’est gratuit, vous êtes le produit
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“Facebook, c’est gratuit et ça le restera toujours”, “Gmail, un espace de stockage 100% gratuit”. Enfin des services généreux dont nous pouvons profiter sans être redevables de rien ! Ces affirmations sont-elles correctes ? Comment des multinationales gigantesques telles que Facebook ou Google sont-elles financées ? Bien évidemment, nous avons tous remarqué que ces sites sont truffés de publicités. Ce serait donc la vente d’espaces publicitaires qui financerait les services gratuits d’Internet. Mais pas uniquement. Ce que Facebook et Google revendent également, c’est nous. On pourrait facilement se laisser convaincre par un certain bon sens qui prétendrait qu’un peu de publicité ne fait de tort à personne et permet l’accès gratuit à certains services, comme ceux des réseaux sociaux. Et pourtant, ce serait partiellement faux, ou du moins quelque peu malhonnête. En effet, la “gratuité” prétendument offerte par la publicité peut être vue sous un angle différent. Le prix de vente d’un produit est calculé sur base des coûts d’achat de matières premières, de production, mais aussi… de commercialisation. Autrement dit, quand vous achetez une marchandise, vous payez concrètement le coût des publicités qui vous ont amené à l’acheter. Cela n’est rien d’autre que le modèle commercial et publicitaire classique. Cependant il est pertinent de rappeler qu’en achetant une cannette de Coca-Cola, on paye par la même occasion leur publicité et donc on paye aussi un peu Facebook. Dire qu’un service est gratuit alors qu’il contient de la publicité est donc tordre quelque peu
la vérité pour mieux attirer le consommateur.
forme la plus évidente est le financement par la publicité”.
Mais Google et autres GAFA2 disposent d’une ressource économique bien plus insidieuse et surtout plus rentable : vous et moi. Au travers de navigations, commentaires et courriers électroniques que nous effectuons au quotidien, nous laissons des traces qui en disent beaucoup sur nos habitudes de consommation et nos centres d’intérêt. Les ingénieurs de l’e-marketing en font d’ailleurs la ressource première du ciblage de la clientèle potentielle. Voilà pourquoi ces informations se revendent à bon prix. Ces e-traces que nous laissons s’en vont, une à une, passer au crible de l’analyse commerciale pour nous revenir sous la forme de messages publicitaires personnalisés. En définitive, quand nous effectuons une recherche sur Google, nous le faisons au prix de notre vie privée. Nous effectuons à travers nos données personnelles autant de micro-payements à ces géants du Net. Et nous creusons une dette dont nous ne mesurons pas la portée puisque nous ignorons comment ils spéculeront sur toutes ces données…
D’aucuns prétendront qu’ils sont absolument imperméables aux messages publicitaires, et que cela ne leur nuit donc pas. D’autres encore diront que la publicité est après tout une bonne manière de se tenir informé des nouveautés en tant que consommateur. On peut aussi penser simplement que la publicité, c’est une nuisance comme une autre, autant s’en protéger ! _____________________________________________________ 1 Voir à ce propos le film ludico-pédagogique de l’Agence Adesias : http://www.youtube.com/watch?v=8vLSf1i4E7A 2 Les quatre “géants” de l’industrie numérique : Google, Amazon, Facebook et Apple
Peut-on donc, dès lors, considérer que ces services sont réellement gratuits ? A voir l’argent qui est brassé à travers notre utilisation, on peut légitimement affirmer le contraire. Bien entendu, c’est une nuisance que l’on peut choisir d’accepter. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. L’encyclopédie Wikipédia parle d’un “service payé par une contrainte ou une nuisance (…) : au bien gratuit fourni est associé un élément au bénéfice du fournisseur, éventuellement désagréable pour le bénéficiaire. La
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Par Ababacar NDAW, Bruxelles Laïque Echos
Esclavagisme économique et oppression morale de la dette et de l’endettement
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risonniers des contingences matérielles et victimes des aléas conjoncturels, nous voilà tombés dans le piège sans fin des obligations morales que nous imposent les règles d’une société de transactions et de financements où l’argent est roi, le crédit souverain et l’endettement à la fois une nécessité et une règle d’or. En un sens, nous vivons presque tous à crédit. En fait, c’est simple, tout le monde doit. Chacun est moralement le débiteur ou l’obligé de quelqu’un, sans même pour cela avoir contracté une dette effective. Endetté, on le devient presque à la naissance ! Les chômeurs doivent tout autant que les travailleurs, sinon plus. Et les uns vivent, avec au-dessus de la tête, suspendue comme une épée de Damoclès, la crainte de ne pouvoir rembourser leurs dettes. Les autres voilent leurs réalités, naviguent ou louvoient dans un entre-deux qui n’est ni la soumission, ni la révolte, et finissent toujours par se faire avoir à l’usure. Car, aujourd’hui, on ne peut vivre sans crédits et sans endettement. Autrement dit, on est tous chevillés, muselés par les contraintes morales et la pression psychologique qu’un tel fait économique et social implique. La plupart d’entre nous travaille pour rembourser ses dettes, tandis que pèse sur leurs vies de laborieux citoyens, la crainte obsessionnelle de ne pas parvenir à boucler leurs fins de mois : régler les factures, rembourser les crédits de toutes natures, pour la nouvelle tablette, les dernières vacances à l’étranger, le nouveau téléviseur, l’appartement, la voiture, l’achat de terrain, la construction de la future maison familiale, que sais-je encore. Qui peut
vivre, voire survivre, sans crédits de nos jours ? Et pour cela ou à cause de cela, que pouvons-nous prétendre être ? Des citoyens ou des esclaves économiques ? Nous sommes dorénavant entre créditeurs et débiteurs dans une configuration de rapports et de réalités qui nous enchaînent au pouvoir et à l’autorité de ceux dont nous sommes devenus par nécessité ou par contrainte les obligés : Etat, institutions financières, organismes sociaux, banques, etc. La preuve, le moindre retard dans le remboursement d’un crédit, le paiement d’une facture, le manquement d’un rendez-vous avec l’autorité de tutelle, donne lieu à des agressions morales par des procédures intimidantes, des injonctions brutales, autoritaires et culpabilisantes, face auxquelles il est rare que le débiteur n’obtempère pas. Devoir implique qu’on soit en mesure de payer ses dettes. Et quand on n’y parvient pas ou plus, dans un système socioéconomique où la valeur humaine se mesure à l’échelle de la solvabilité, on perd automatiquement tout droit au crédit au sens propre comme figuré. Et dans certains cas, on perd aussi les moyens matériels de consommer ses droits et de conserver la plénitude de l’exercice de sa liberté. Une vraie damnation sociale, auraiton dit à l’époque de Victor Hugo et des Misérables ! Ne sommes-nous pas de nouveaux bagnards enfermés dans un bagne d’un nouveau genre, tout aussi immatériel que les boulets et les chaînes qui entravent nos pieds et limitent nos mouvements ?
toutes les autres morales. Et nul ne peut, semble-t-il, se soustraire à sa domination et à son autorité. Ni un Etat lourdement endetté, devenu son bras armé par procuration, protecteur des transactions et des intérêts des groupes financiers, au détriment de la sécurité et de la qualité de vie des populations. Ni des citoyens endettés et devenus des obligés de leurs créditeurs et dont certains, retranchés dans la défense d’un confort et d’un standing précaires acquis à coût de crédits, désertent les causes communes. Et encore moins un monde associatif enfermé dans l’aquarium de son impuissance et dépendant de l’oxygène que sont les subsides, allocations, subventions et autres financements pour subsister et exister. L’économie de Marché est sans aucun doute, la plus impitoyable servitude que l’homme ait inventée. Elle est de toute évidence incompatible idéologiquement et humainement avec une société qui cherche à être authentiquement démocratique et égalitaire. Et c’est peut-être pour cela aussi que rien n’avance plus. Pourtant, la liberté n’est pas une valeur qui se monnaie. L’aurait-on tous déjà oublié ?
De fait, la loi économique prime sur toutes les autres lois désormais, et sa morale sur
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À CONTRE COURANT
Par Mathieu BIETLOT, Bruxelles Laïque Echos
Qui paye le prochain potlatch ?
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Malgré l’hégémonie actuelle de l’économie – qui domine encore ce dossier – les dettes ne se formulent pas toutes en termes monétaires. Elles peuvent être symboliques, psychologiques, d’honneur… Elles ne s’inscrivent pas toutes dans un système marchand et peuvent fonder d’autres systèmes. Ce n’est cependant pas parce qu’on quitte le champ économique pour celui de l’anthropologie et de la philosophie, qu’on ne s’adonnera pas à quelques spéculations…
Un essai prodigue
L’
Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques de Marcel Mauss, paru en 1925, reste un ouvrage de référence pour toute remise en question de la domination marchande. Une œuvre singulière qui a marqué la plupart des grands penseurs français du XXe siècle – Dumézil, Lévi-Strauss, Sartre, Baudrillard, Lacan… et plus récemment, outre Atlantique, David Graeber. Une théorie qui ne fait pas l’unanimité mais qui continue à susciter des débats et des recherches en anthropologie et en sociologie. En se basant sur les études empiriques d’ethnologues comme Boas et Malinovski, Mauss a développé une théorie de l’échange archaïque basée sur le don volontaire et obligatoire. Qu’il s’agisse de la kula chez les Mélanésiens du Pacifique ou du potlatch chez les Indiens d’Amérique, le don est une forme d’échange socialement supérieure au simple échange de marchandises utiles. La vie sociale n’y est
pas régie par l’offre et la demande – un marché – de biens dont chacun a besoin pour vivre mais par une obligation de don bien plus astreignante qu’un rapport marchand. La contrainte est triple : l’obligation de donner, l’obligation de recevoir et l’obligation de rendre plus tard car seul un contre-don pourra libérer de l’obligation créée par le don. L’offrande se constitue aussi bien de nourriture, de bétail, de terre, d’or, de politesse, de talisman, de femme… Le don n’est pas une chose mais toujours une relation. Il n’engage pas seulement deux individus mais leur communauté respective. Il ne se mesure pas comme une marchandise. Il est un “fait social total” dirait Durkheim, l’oncle de Mauss : il a des implications religieuses, morales, juridiques, politiques, esthétiques et, bien entendu, économiques. Le refus de donner, comme celui de recevoir ou de rendre, rompt la relation sociale et mène souvent à la guerre au sein de ces peuplades. La chose offerte contient la “mana”, l’âme, du donateur. Ce fétichisme du don signifie qu’on donne toujours de sa personne et que le récipiendaire sera poursuivi toute sa vie par cet esprit s’il ne donne pas en retour. Le don génère donc une dette chez le donataire. Nous avons affaire à un système de recevabilité et de redevance non monétaire, non quantifiable ni en valeur marchande ni dans le temps et dont l’enjeu n’est pas la richesse. Contrairement au système marchand, la réciprocité de la relation est différée dans le temps. Offrir un contre-don immédiatement reviendrait à refuser le don en le réduisant à un simple troc. C’est ce qui permet au lien – mais aussi à la redevance et à la dépendance –
de se créer de manière durable et d’ainsi structurer la société. La majorité des dons et contre-dons est harmonieuse et relie les communautés entre elles. Les fêtes de mariages en sont une belle illustration : on s’échange femmes, festins, cadeaux, rituels, danses, cheptels… Et cela engendre des liens durables de redevances mutuelles. Ce système d’échange généreux n’est néanmoins pas toujours dépourvu de rivalité et de concurrence. Mauss s’est intéressé au phénomène de surenchère dans le potlatch. L’échange prend la forme de cérémonies fastueuses au cours desquelles une profusion de biens, d’orgies, de rites sont ostensiblement offerts. Dans certains cas, on doit jouer tapis, dépenser tout ce que l’on possède. Le vainqueur sera celui qui se montre le plus follement dépensier, le plus indifférent à ses biens, qui offrira des cadeaux de plus en plus mirobolants au point que l’autre ne sache plus lui rendre la pareille. Cette escalade de magnanimité peut aller jusqu’au gaspillage d’objets de grande valeur afin de souligner combien on y est peu attaché. L’honneur et le rang des individus, et de leur groupe, sont en jeu dans cette démonstration. C’est par sa générosité qu’un chef acquiert de la reconnaissance sociale. Ses dons expriment sa supériorité et génèrent la dépendance des donataires. Ainsi, l’échange – qu’il s’agisse de dons et contre-dons ou d’économie de marché – exprime la structuration et la hiérarchie des groupes sociaux, il matérialise les relations sociales. La différence entre les deux systèmes, c’est que l’échange-don vise davantage à être, à paraître prestigieux, qu’à avoir, à accumuler des richesses.
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indirect. Si mes compagnons de beuverie sont trop désargentés pour me payer le coup en retour, demain, un autre plus fortuné que moi me rendra la tournée que j’ai payée aujourd’hui. Des systèmes d’échanges locaux se développent dans lesquels je donne un cours de math à Clément pour rendre à Monique le service qu’elle m’a offert en réparant ma plomberie tandis que Clément tondra sa pelouse.
Marxistes et Maussquetaires
Potlatch indien, Colombie Britannique, 1912
Nonobstant la suprématie du modèle marchand qui n’a fait que conquérir toujours plus de terrain depuis les observations de Mauss, cette équation entre générosité et obligation du don régit encore certaines de nos pratiques sociales. Mauss rappelait le caractère humiliant de la charité, l’obligation de rendre le salut qu’on nous adresse, les invitations à dîner qui sont toujours implicitement à charge de revanche, les cadeaux qu’on s’offre entre amis et dont le prix importe et oblige moins que l’intention de maintenir la relation d’amitié. Une illustration personnelle de la dépendance qu’instaure la réciprocité différée : il m’arrive de donner des cours particuliers à des proches. Je m’y adonne avec plaisir, au nom de l’amitié et du partage des savoirs. Lorsque mon élève, désemparé par la gratuité, insiste pour me
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rémunérer je lui réponds qu’il n’aura qu’à me rendre un service le jour ou j’en aurai besoin. Cela semble lui en coûter plus qu’un tarif horaire clairement annoncé. Une pratique personnelle du potlatch : dans les bons bistrots, les habitués du comptoir se hâtent de vider leur verre afin de commander la prochaine tournée avant les autres ; la lutte est à qui payera le plus de tournées sans qu’on puisse lui retourner le geste. Lors de moments de passage importants, un mariage ou une fête de la jeunesse laïque, l’hôte met aussi tout son honneur à se montrer grand seigneur. Afin d’atténuer les rivalités de coqs et créer des liens sociaux plus solidaires, nous pouvons, à partir de ces exemples, envisager un système de don et contre-don plus
A l’orée des années 1980, des anthropologues, sociologues et économistes ont créé une revue pour riposter à la perméabilité du tournant néolibéral dans les sciences humaines qu’ils estimaient de plus en plus soumises à la toute puissance des paradigmes économiques du calcul rationnel, de la raison instrumentale et de la concurrence bénéfique. C’est en hommage au théoricien du don qu’ils fondèrent le Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales (M.A.U.S.S). Marcel Mauss a révélé que toutes les sociétés ne sont pas utilitaristes et que tous les humains ne sont pas des homo œconomicus. L’économie de marché apparaît à ses yeux comme une invention récente de l’histoire de l’humanité en train de s’imposer et de se généraliser à l’époque où il écrit. La revue du M.A.U.S.S. persiste à mettre en lumière que nombre de pratiques humaines ne sont pas motivées par le désir de maximiser son plaisir, son confort et ses possessions matérielles. Les auteurs cherchent dans ces pratiques les fondements d’une société où le travail et la protection sociale s’organiseraient sur un mode coopératif. La
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revue fut notamment un des berceaux du débat sur l’allocation universelle. Si le M.A.U.S.S. n’a pas réussi à se transformer en un réel mouvement, ses auteurs sont reconnus internationalement pour leur critique radicale des fondements de la société marchande sur une base autre que le marxisme. Ils ne sont pas antimarxistes mais, à l’instar de Mauss1, reprochent au marxisme son économisme et par voie de conséquence son utilitarisme. Les fondements du marxisme seraient, à ce niveau, les mêmes, ou très proches, que ceux du libéralisme : les humains sont mus par leur intérêt matériel. On ne peut nier qu’un certain marxisme, le marxisme dominant, prête le flan à cette critique et l’assume pleinement : l’histoire et la société ne s’expliquent ni ne se transforment avec des idées abstraites ou des valeurs morales mais par des rapports de force économiques. Cependant, on peut aussi trouver dans la pensée de Marx une critique de l’utilitarisme et des pistes pour sortir de ce paradigme. Selon Lukàcs ou Jappe, si Marx accorde autant d’importance à l’économie, c’est qu’elle domine son époque, c’est que le capitalisme l’a imposée comme grille de lecture de toute chose. Marx ne s’y intéresse autant que pour la critiquer – son œuvre majeure s’intitule bien Critique de l’économie politique – et à dessein de la dépasser. Dans une société socialiste, l’économie “doit perdre son immanence, son autonomie qui en faisait proprement une économie ; elle doit être supprimée comme économie”2. Mauss ne disait pas autre chose à propos des sociétés sans marché : l’économie comme domaine d’action autonome n’y existe pas.
Marx montre que les concepts de travail, marchandise, argent, croissance ou même l’économie, entendus en leur sens actuel, n’existaient pas dans les sociétés précapitalistes. Ces notions sont devenues la matrice théorique et pratique de la société capitaliste et ont colonisé toutes les parcelles de la terre et toutes les portions de l’existence : “le besoin boulimique du capital de trouver des sphères toujours nouvelles de valorisation le pousse à “mettre en valeur” des sphères vitales qui, auparavant étaient “sans valeur””3. Marx et certains marxistes reconnaissent néanmoins que des activités humaines telles que l’éducation des enfants et les rapports amoureux échapperont toujours à la sphère marchande, même si le commerce tend à les contaminer et les récupérer. Cette sphère non-marchande est-elle l’autre face de la marchandisation qui la rend viable ou une logique alternative qui pourrait servir de base à la construction d’une société non marchande ? Voilà ce qui divise encore les marxistes les moins économicistes des “Maussquetaires” comme les appelle gentiment David Graeber.
La part du feu Parmi les grands penseurs qui ont repris l’intuition fondamentale de Marcel Mauss, Georges Bataille est sans doute celui qui l’a poussée le plus loin, qui en a tiré les conséquences les plus ravageuses. Tout au long de sa vie dissolue et de son œuvre hétérogène, Bataille s’est passionné pour les pratiques qui, à ses yeux, définissent la liberté ou la souveraineté humaine. Des pratiques non subordonnées à quelque ordre ou finalité que ce soit, des pratiques déployées uniquement pour elles-
mêmes, gratuitement, sans calcul, sans rien attendre en retour : l’art, le rire, l’ivresse, l’érotisme, l’extase, la folie… Il ne pouvait être insensible à la remise en question de l’utilitarisme par les recherches de son ami Mauss. Il s’est alors approprié l’essai maussien pour le détourner de sa finalité, de son utilité première, en proposant une théorie du potlatch sans retour. Tandis que les partisans du M.A.U.S.S. ont orienté leurs recherches du côté harmonieux de l’échange non marchand en vue de penser une société frugale basée sur la coopération, c’est le côté dispendieux et agonistique de l’affaire qui excite Bataille. Sa pensée excessive ne pouvait qu’être fascinée par cette remarque de Mauss au sujet du potlatch : “la consommation et la destruction y sont réellement sans bornes”. Dans les grandes lignes, Bataille oppose l’économie marchande ou politique – qu’il appelle économie restreinte – à l’économie générale qui est l’économie à la mesure de l’univers entier, à savoir le système énergétique4. Dans l’économie générale, le processus vital équivaut à une dépense sans fin d’énergie et le système dispose d’un immense surplus énergétique, déployé pour “l’accomplissement inutile et infini de l’univers”, illustré ostensiblement par le soleil qui dispense sa lumière en pure perte, sans compter ni attendre de contrepartie. Il en va plus ou moins de même pour l’humain qui déborde d’énergie et pour les sociétés qui produisent toujours plus que ce que requiert leur subsistance. Deux débouchés existent pour cet excédent : soit l’utiliser à la croissance du système, soit le détruire. L’économie restreinte s’efforce et s’essouffle dans la première voie, imaginant
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que c’est la seule possible en ce qu’à l’inverse de l’économie générale elle est basée sur la rareté. Pour elle, il faut accumuler toujours plus puisqu’il n’y a jamais assez. Bataille, dans les années 1930, anticipait déjà les objections de croissance, en soulignant que la dépense productive avait pour limites celles de la planète et que celles-ci une fois atteintes elle ne saurait plus que faire de son énergie superflue, comme en témoignaient déjà le chômage et la crise économique… Bataille ne plaira cependant pas longtemps aux décroissants dans la mesure où face aux limites de la planète, il ne prône pas la simplicité volontaire mais la démesure des dépenses dites improductives : “le luxe, les guerres, les cultes, les constructions de monuments somptuaires, les jeux, les spectacles, les arts, l’activité sexuelle perverse (c’est-à-dire détournée de la finalité génitale)”. Activités qui ont de tout temps côtoyé les activités de production et de conservation des richesses. Activités qui ont leur fin en elles-mêmes et “dans chaque cas l’accent est placé sur la perte qui doit être la plus grande possible pour que l’activité prenne son véritable sens”5. Par exemple, les bijoux fascinent autant par leur brillance que par le prix qu’ils ont coûté sans quoi les contrefaçons auraient autant de succès que l’or pur. Le potlatch des sociétés primitives jouait clairement ce rôle de dépense improductive. Sa pratique pouvait défier et obliger les rivaux par des orgies exorbitantes et des destructions spectaculaires de richesses allant jusqu’à l’égorgement de chiens de traineau, le sacrifice d’esclaves, l’incendie de village… L’autre devait répondre par
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une destruction plus grande mais l’idéal demeurait qu’il ne soit pas en mesure de répondre et que le sacrifice devienne donc perte absolue. Bataille recourt aux recherches de Mauss pour infléchir une révolution copernicienne à l’économie : l’origine de l’échange n’est pas le besoin d’acquérir mais de perdre quelque chose ; la production et l’acquisition de richesses ne sont que des moyens au service de la dépense. Telles étaient les institutions économiques primitives mais très vite les choses se sont inversées : toute dépense ou consommation n’a plus été vue qu’en tant que moyen de production ou investissement dans la reproduction des moyens de production. Même le plaisir s’est trouvé réduit à une activité subsidiaire – le délassement – favorisant l’activité sociale productive. Dans La part maudite, Bataille tente de parcourir l’histoire de l’humanité pour voir quand et comment cette économie de la perte a été supplantée par l’économie du profit – notamment à l’aide du christianisme, du triomphe de la bourgeoisie pingre et avare à l’antipode de l’aristocratie fastueuse, de l’éthique protestante… – et pointer les manifestations de la dépense improductive – les guerres, les construction de pyramides ou de cathédrales, le déchaînement destructeur de la lutte des classes… Cette histoire universelle relue dans la perspective de l’économie générale n’est pas toujours convaincante. Tout comme l’ambition d’inscrire les actes gratuits dans un système général, de conférer à tout ce qui paraît inutile dans nos existences une utilité au sein de l’économie de ’univers, était sans doute une entreprise vouée à l’échec.
Mais les réflexions de Bataille sont comme toujours bouleversantes et secouent notre rapport à l’utile, à l’intérêt, à l’économie, à l’avenir, au plaisir, à la souveraineté, autrement dit à la liberté dans ce qu’elle a de plus affranchi. “Le sujet quitte son propre domaine et se subordonne aux objets de l’ordre réel, dès qu’il est soucieux du temps à venir. C’est que le sujet est consumation dans la mesure où il n’est pas astreint au travail. Si je ne me soucie plus de “ce qui sera” mais de “ce qui est”, quelle raison ai-je de rien garder en réserve ? Je puis aussitôt, en désordre, faire de la totalité des biens dont je dispose une consumation instantanée. Cette consumation inutile est ce qui m’agrée, aussitôt lever le souci du lendemain. Et si je consume ainsi sans mesure, je révèle à mes semblables ce que je suis intimement : la consumation est la voie par ou communiquent des êtres séparés. Tout transparaît, tout est ouvert et tout est infini, entre ceux qui consument intensément.”6 _____________________________________________________ 1 Mauss était socialiste non marxiste (plus proche de Owen ou Proudhon) et s’opposait, entre autre avec son Essai sur le don, à la Nouvelle Politique Économique déployée par Lénine pour rattraper le retard industriel de l’URSS. 2 Georg Lukàcs, Histoire et conscience de classe, trad. française, éd. de Minuit, 1960 (1923), p. 289 3 Anselm Jappe, Crédit à mort, éd. Lignes, 2011, p. 144 4 Il ne sera pas possible d’en faire la synthèse ici. Bataille ébauche son économie générale par essais et erreurs, bifurcations, inachèvements et reprises, d’abord dans l’article “La notion de dépense” en 1933 ensuite dans le livre La part maudite en 1949 ainsi que différents textes qui gravitent autour de celle-ci : “L’économie à la mesure de l’univers”, “La limite de l’utile” et de nombreux documents publiés post mortem. 5 Georges Bataille, “La notion de dépense” (1933), Œuvres complètes, Tome I, Gallimard, 1970, p. 305 2 Georges Bataille, La part maudite (1949), Œuvres complètes, tome VII, Gallimard, 1976, p. 63
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prise de position
Les expulsions de citoyens et citoyennes européens. Un phénomène qui nous alarme, et nous mobilise. À l’initiative de Carlo CALDARINI, sociologue, directeur de l’Observatoire des politiques sociales en Europe de l’Inca-Cgil, administrateur de Bruxelles Laïque ; Bruxelles Laïque ; Marco MARTINIELLO, professeur et directeur du Centre d’études de l’ethnicité et des migrations à l’Université de Liège, professeur visiteur au College of Europe de Natolin, Varsovie ; Michel HUYSSEUNE, professeur de sciences politiques, Vesalius College, Vrije Universiteit Brussel ; Jean-François TAMELLINI, secrétaire fédéral de la FGTB ; Stefano GIUBBONI, professeur de droit du travail, Università di Perugia ; Edith PICHLER, professeure de sociologie des migrations, Universität Potsdam ; Sonia MCKAY, professeure d’études socio-juridiques européennes au Working Lives Research Institute, London Metropolitan University ; Laurent VOGEL, juriste, chercheur senior à l’Etui, Institut syndical européen ; Albert MARTENS, professeur honoraire à la KU Leuven, Faculteit Sociale Wetenschappen ; Anne MORELLI, historienne et professeure honoraire à l’Université Libre de Bruxelles ; Pierre GALAND, président de la Fédération Humaniste Européenne ; Morena PICCININI, présidente de l’INCA CGIL ; Andrea REA, professeur de sociologie à l’ULB et coordinateur du Centre de recherche sur les migrations, l’asile et le multiculturalisme. Contact: Carlo Caldarini Inca Cgil - Observatoire des politiques sociales en Europe www.osservatorioinca.org c.caldarini@osservatorioinca.org Ce document est une synthèse. Sa version intégrale peut être consultée à l’adresse suivante: www.osservatorioinca.org/section/image/attach/EXPULSIONS.pdf
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ntre 2010 et 2013, l’Office des Étrangers a ordonné à 5913 ressortissants européens de quitter le territoire belge. Il s’agit principalement de bénéficiaires du revenu d’intégration, de chômeurs et de travailleurs employés dans le cadre dudit “article 60”, qui représenteraient une “charge déraisonnable” pour notre sécurité sociale.
sont obligés d’obéir en matière de séjour, et le Règlement 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, grâce auquel, par exemple, si vous avez travaillé en France et en Belgique, au moment de calculer vos allocations de chômage il faudra tenir compte de toutes les périodes de travail accomplies dans les pays européens.
Cette attitude est injustifiable et inacceptable, tant éthiquement et politiquement que juridiquement :
Si l’expulsion d’un bénéficiaire du CPAS ou d’un travailleur article 60 constitue une violation de cette liberté de circulation qui nous concerne tous, celle d’un travailleur au chômage remet, elle-aussi, en question nos droits sociaux.
Sur le plan éthique, parce que si la Belgique est aujourd’hui un pays d’accueil, ce n’est qu’une des conséquences des politiques qui ont permis le développement industriel du pays. Les fameuses affiches roses de la Fédération du charbonnage - qui faisaient l’éloge de la sécurité sociale belge pour attirer les travailleurs italiens ou marocains n’étaient-elles pas au bout du compte une forme de tourisme social inversé? Sur le plan politique, parce que même les analyses de la Commission européenne ont prouvé que les migrations ne constituent une menace que pour l’équilibre budgétaire des pays d’origine, la population étrangère apportant globalement aux caisses de l’Etat plus que ce qu’elle n’en reçoit. Sur le plan juridique enfin, parce que cette pratique s’appuie sur une interprétation à la carte de la législation européenne. Déjà en 1957, les fondateurs de la CEE avaient compris que, si la libre circulation devait être une liberté fondamentale, celle-ci n’aurait pu se réaliser en l’absence d’une “coordination” transfrontalière des régimes de sécurité sociale. Aujourd’hui deux pilastres régissent ce système : la Directive 2004/38, qui définit les règles auxquelles tous les pays membres
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Le recours au système d’assistance sociale par un citoyen UE n’entraîne pas automatiquement une mesure d’éloignement (art. 14.3 de la Directive), le pays d’accueil étant obligé de tenir compte de sa situation personnelle dans tous ses aspects (art. 8.4). Concernant les allocataires de l’assurance chômage, c’est en se réfugiant derrière la Directive que l’Office des Étrangers vise ceux “qui ont travaillé pendant moins de 12 mois”. Or, en Belgique, vous n’aurez jamais accès au chômage sur une base inférieure à 12 mois de travail ! S’il en est ainsi, c’est justement qu’on a tenu compte des cotisations que vous avez versées dans d’autres pays de l’UE. Une expulsion vous priverait de facto non seulement de votre droit de séjour, mais également d’un droit assurantiel qui vous appartient, et que vous ne pourrez plus récupérer dans votre pays d’origine, ni ailleurs. Et quant aux travailleurs sous article 60, l’Etat se justifie en arguant du caractère subsidié de ces emplois dont il désavoue la qualité économique “réelle et effective”, ce qui est parfaitement contestable aux yeux de la Cour
de justice de l’UE. Le contrat article 60 est “un contrat de travail” dans lequel un des signataires y apparait justement en tant que “travailleur”. Concrètement, si un travail peut ne pas être considéré comme une activité économique réelle et effective du simple fait de son caractère subsidié, doit-on penser la même chose de tous les travailleurs du social, de la culture ou de l’enseignement ? 13 millions de citoyens européens vivent aujourd’hui dans un autre pays de l’UE et ont tous conservé une tendance à plier bagages à un moment donné. “Allez, que chacun rentre dans son pays !”. Tout cela nous inquiète. Pire, nous alarme. Il s’agit d’une attaque frontale au projet d’intégration européenne par un de ses propres fondateurs, qui pourrait facilement se propager dans d’autres États de l’UE à défaut d’une réaction vigoureuse et immédiate. D’autres expulsions nous avaient déjà indignés et mobilisés. Le terme “expulsion”, associé aujourd’hui au destin d’un citoyen européen, nous fait brutalement peur. Cette extension de la politique d’expulsion finira par arriver à chacun d’entre nous si nous n’y réagissons pas. À celles et ceux qui ont déjà exercé leur droit de se déplacer librement dans l’espace européen, qui sont sur le point de le faire, ou qui ont un enfant qui certainement le fera : en tant qu’étudiant, stagiaire, chômeur, travailleur, retraité, ou tout simplement motivé par le désir d’aller profiter des possibilités qu’offrait jusqu’il y a peu la citoyenneté européenne. Et tout cela à la veille d’un rendez-vous électoral qui se profile comme l’un des plus intéressants de l’histoire de l’Union européenne. Ah, et de la Belgique aussi !
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Conseil d’Administration
Direction Comité de rédaction
Carlo CALDARINI Anne DEGOUIS Jean-Antoine DE MUYLDER Michel DUPONCELLE Isabelle EMMERY Bernadette FEIJT Thomas GILLET Ariane HASSID Christine MIRONCZYK Michel PETTIAUX Thierry PLASCH Johannes ROBYN Anne-Françoise TACK Myriam VERMEULEN Dominique VERMEIREN
Fabrice VAN REYMENANT
Juliette BÉGHIN Mathieu BIETLOT Mario FRISO Paola HIDALGO Sophie LEONARD Alexis MARTINET Ababacar N’DAW Cedric TOLLEY Alice WILLOX
GRAPHISME Cédric Bentz & Jérôme Baudet EDITEUR RESPONSABLE Ariane HASSID 18-20 Av. de Stalingrad - 1000 Bruxelles ABONNEMENTS La revue est envoyée gratuitement aux membres de Bruxelles Laïque. Bruxelles Laïque vous propose une formule d’abonnement de soutien pour un montant minimum de 7 euros par an à verser au compte : 068-2258764-49. Les articles signés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.
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Aujourd’hui au centre des discours et des politiques budgétaires, le crédit et la dette sont des notions bien plus ancestrales qu’elles ne le paraissent. De tout temps et sous toutes ses formes, la dette s’avère avant tout une relation de pouvoir. Elle est donc bien plus politique que technique. Voilà pourquoi il semble essentiel aujourd’hui que les citoyens se réapproprient cette question démocratique fondamentale et interrogent la légitimité des dettes. Qu’elle soit sociale ou économique, locale ou mondiale, privée ou publique, matérielle ou morale, ce dossier explore quelques-unes des multiples facettes de cette notion trop peu questionnée.
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