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Sommaire Edito (Ariane Hassid).............................................................................................................................................................................................................................................................................................................3 Obéir (Mathieu Bietlot)........................................................................................................................................................................................................................................................................................................4 Sommes nous tous des tortionnaires ? (Olivier Klein)..................................................................................................................................................................................................................8 De quelle justice parle-t-on ? (Françoise Vanhamme & Véronique Strimelle)............................................................................................................................................ 13 Come on Josaphat ! (Philippe De Clerck)................................................................................................................................................................................................................................................ 16 Désobéir (Mathieu Bietlot).......................................................................................................................................................................................................................................................................................... 18 A qui la démocratie ? (Manuel Cervera-Marzal)............................................................................................................................................................................................................................... 22 La rébellion zappatiste : vingt ans d’insoumission (Interview de Bernard Duterme par Amaury Ghijselings)..................................................... 26 Refuzniks ! (Cedric Tolley)........................................................................................................................................................................................................................................................................................... 30 Un abri pour les vigies (Alice Willox).............................................................................................................................................................................................................................................................. 33 Obéir pour apprendre, désobéir pour comprendre (Ababacar Ndaw)................................................................................................................................................................. 35

Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles. ­Bruxelles Laïque Echos est membre de l’Association des Revues Scientifiques et Culturelles - A.R.S.C. (http://www.arsc.be/) Bruxelles Laïque asbl Avenue de Stalingrad, 18-20 - 1000 Bruxelles Tél. : 02/289 69 00 • Fax : 02/502 98 73 E-mail : bruxelles.laique@laicite.be • http://www.bxllaique.be/

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EDITOrial F

idèle au rendez-vous, ce numéro de Bruxelles Laïque Echos vous invite à approfondir la thématique du Festival des Libertés qui se prépare à vous accueillir au Théâtre National et au KVS du 16 au 25 octobre prochain. Ce dossier n’est pas sans lien avec les précédents thèmes de notre revue puisqu’il interroge les notions d’obéissance et de désobéissance.

Obéir et désobéir : deux verbes qui soulèvent de nombreuses questions et renvoient d’une certaine manière à nos fondamentaux laïques. Obéir nous rappelle que la vie collective nécessite un certain nombre de règles, que celles-ci permettent de limiter l’arbitraire et la loi du plus fort, donc de protéger les plus faibles et de mettre en œuvre l’égalité. Encore faut-il s’accorder sur la manière dont la règle est définie et sur les moyens de la faire respecter. Il y a là matière à interroger le monde d’aujourd’hui… Se mettre d’accord sur des règles et un cadre communs de coexistence de tous en respectant chacun dans ses différences, ses convictions et ses aspirations, n’est-ce pas le projet de la laïcité entendue dans son sens politique ? Des règles sont nécessaires, y obéir aussi. Mais, à l’encontre de la majorité des religions, nous affirmons que l’obéissance n’est pas toujours une vertu et que la désobéissance peut en être une dans certaines situations. Depuis Panurge jusqu’au génocide rwandais, l’obéissance aveugle a plus d’une fois mené au pire. Il est des lois obsolètes ou des ordres absurdes auxquels il faut pouvoir désobéir. Mais au nom de quoi, selon quels critères, à quelles conditions et avec quelles conséquences ? La désobéissance demande du discernement et de l’intégrité. La capacité de refus, de révolte et de désobéissance n’est-elle pas aussi à la base de ce que nous appelons la laïcité philosophique ? Qu’on se rappelle Henri Poincaré qui affirmait que la pensée “ne doit jamais se soumettre […] parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d’être”. La thématique du Festival des Libertés et de ce dossier nous amène à approfondir nos fondamentaux. Elle est aussi en pleine résonnance avec l’actualité. Nous assistons tant à des épidémies d’obéissance et de conformisme inquiétantes qu’à des réveils citoyens qui n’hésitent pas à désobéir pour refuser l’injustice ou se faire entendre. Ces notions et questions seront mises en débat tout au long du Festival qui ne prétend pas donner des réponses ou des leçons mais invite à réfléchir, critiquer et confronter. Comme chaque année, ces questions seront également mises en scène et à l’écran à travers une copieuse programmation culturelle. Comme chaque année, il y a aura de quoi s’informer, s’interroger, s’émouvoir, s’amuser et s’engager au Festival des Libertés. Je vous y souhaite d’ores et déjà la bienvenue. Ariane HASSID Présidente

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Par Mathieu BIETLOT Bruxelles Laïque Echos

OBEIR La vie en société et la socialisation des individus, le respect des libertés de chacun, la mise en œuvre de l’égalité et le déploiement des solidarités exigent de se mettre d’accord sur une série de règles de fonctionnement et de normes communes à respecter. Ces règles visent à éviter que chaque situation ne fasse l’objet de débats et conflits interminables. Elles ont été instaurées à dessein d’extraire l’humanité de la sauvagerie et de cadrer ou canaliser les pulsions animales, l’égoïsme et le rejet de l’altérité. Elles permettent d’éviter que l’arbitraire, le plus fort ou le plus séduisant ne domine. Elles visent théoriquement à protéger les plus faibles…

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es règles communes peuvent prendre différentes formes, des plus implicites et informelles, tels les tabous et les coutumes, aux plus explicites et formelles, tels le code pénal ou le règlement d’ordre intérieur d’un établissement. Alors que la Modernité s’est caractérisée par un mouvement de formalisation démocratique des règles destinée à limiter l’arbitraire du Prince, d’aucuns considèrent que nous assistons aujourd’hui à la multiplication des processus de normalisation informelle qui se surajoutent à la loi et souvent la dévient. Le statut et le pouvoir de contrainte des règles communes varient selon qu’il s’agisse de principes (par exemple la séparation des pouvoirs), d’une convention internationale, d’un programme d’ajustement structurel, d’une constitution, d’une loi, d’un règlement, d’une circulaire, d’un code de conduite, d’un accord contractuel, d’un plan de management, etc.

Connaître la loi Suite à l’inflation législative des Etats, de l’Europe, des localités et des institutions, nous vivons aujourd’hui dans un système complexe où toutes ces formes de règles se multiplient, se recouvrent, se modifient régulièrement, se contredisent et ne sont pas toujours aisées à hiérarchiser. Le système juridique ordonne une stricte hiérarchie entre les règles de droit. Les textes internationaux trônent tout au haut de la pyramide, la constitution est supérieure aux lois qui priment sur les règlements et les circulaires. Plus la norme se situe en bas de l’échelle, plus est concrète et circonscrite mais elle est tenue d’être

conforme aux normes supérieures qui sont plus généralistes ou principielles. Cependant, les normes supérieures sont loin d’être traduites dans toutes les pratiques et disposent de moins de pouvoir de contrainte. Lorsqu’elles sont bafouées – telle la Convention européenne des droits de l’Homme – il faut souvent recourir aux juridictions internationales pour les faire respecter – ce qui n’est pas à la portée de tout le monde – alors que la police veille quotidiennement à l’application des règles les plus basses. En outre, il existe bien d’autres systèmes de contrainte et de normalisation qui ne figurent pas dans cette hiérarchie des normes, la contournent ou les surpassent : les impératifs économiques, les états d’urgence, l’hygiénisme… Allez demander au citoyen de s’y retrouver… Et pourtant nul n’est censé ignorer la loi ! Comment attendre d’un individu qu’il respecte une règle qu’il ne connaît ou ne comprend pas ?

Approuver la loi Le système démocratique repose sur l’idée d’un pacte qu’il convient de respecter mais auquel il importe d’avoir donné son consentement. Selon la théorie du contrat social, élaborée au siècle des Lumières et inspiratrice des révolutions anglaises, américaines et françaises, le pouvoir du gouvernement n’est plus issu de la force, de l’hérédité ou de la volonté divine mais d’un contrat passé avec l’ensemble de la population qui décide de renoncer à une partie de sa liberté et de sa violence pour obéir au souverain en échange de la sécurité et des droits que celui-ci lui garan-

tit. Non seulement ce mythe fondateur de l’État moderne est une fiction – jamais les individus ne se sont réunis pour établir un tel contrat – mais c’est une impossibilité conceptuelle : on ne peut fonder l’idée de société sur celle du contrat dès lors que cette dernière résulte de l’histoire de la société. Quand bien même on accepterait la fiction d’un contrat signé originellement, qu’en est-il de ceux qui en héritent – qui naissent ou arrivent dans une société où il est préétabli ? Ne doivent-ils pas de temps en temps le renégocier ? Les élections y suffisent-elles ? On se demandera encore ce que signifie aujourd’hui un pouvoir fondé sur le peuple et dont l’objectif est le bien du peuple ? La volonté populaire est-elle traduite par les scrutins, par les directives européennes, par les sondages d’opinion ou par les manifestations de la société civile ? Qu’entend-t-on par le “bien” du peuple : son bonheur, sa richesse, sa liberté, l’égalité, la justice ? Qui le définit ? Comment définit-on l’intérêt général ? En démocratie, est-ce finalement le peuple qui doit obéir au gouvernement ou le gouvernement qui doit obéir au peuple ? En cette époque d’obsession sécuritaire, osons aussi remettre en question l’équation de base de ce contrat qui monnaie la sécurité contre la liberté et repose de part en part sur la peur : j’accepte un pouvoir qui me terrifie parce qu’il me rassure contre la peur de la guerre de tous contre tous. Au-delà ou en-deçà du mythe du contrat social, les questions relatives à l’origine et la légitimité de la règle se posent très concrètement pour chaque norme collective, chaque principe de fonctionnement

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d’un groupe. Qui décrète la règle ? Estelle établie avec le consentement de tous et la possibilité de la remettre en discussion ? Est-elle imposée par une minorité ? Au nom de quoi : une position dans le groupe, une force, un savoir, une sagesse, une maîtrise technique ? Est-elle éternelle ou à actualiser régulièrement ? Toutes ces questions renvoient in fine à la question de l’autonomie et de l’hétéronomie. Etymologiquement, autonome veut dire “qui se gouverne par ses propres lois”, hétéronome signifie “qui obéit à une loi extérieure”. Une société est dite hétéronome lorsque les principes, les valeurs, les normes, les lois et les significations qui font la vie sociale sont considérés comme donnés, imposés de l’extérieur et définitivement, ne laissant aucune possibilité aux individus d’agir sur eux. Elle est autonome lorsque la collectivité sait que c’est sa propre capacité créatrice qui produit les institutions, les règles et les significations collectives1. Comment se rapprocher toujours plus de l’autonomie de la société, d’un groupe ou d’un individu ? Par quels processus de concertation, de décision, d’information et de formation sort-on de l’hétéronomie ? L’autonomie absolue estelle seulement possible et souhaitable ? L’individu absolument désaliéné, décidant tout par lui-même, exempt de toute influence et de tout déterminisme, qu’il soit social, génétique ou inconscient, n’existe pas ou ne vivrait que sur une île déserte. Une série de facteurs favorisent cependant son autonomie tout comme celle de la société : le type d’éducation, le refus du paternalisme et de l’assistanat, les pratiques émancipatrices, la confrontation aux autres, la reconnaissance et l’exercice des droits individuels… L’autonomie

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consiste peut-être moins en l’absence de tout asservissement qu’en la capacité de choisir ses propres asservissements, de leur donner du sens et de les assumer.

Imposer la loi Dès lors que la loi est légitime, qu’en est-il de l’autorité habilitée à la faire respecter ? L’incapacité du système pénal à empêcher les infractions, à amender les délinquants et à garantir le bien-être de la société devrait ouvrir une réflexion critique, d’abord sur le fonctionnement actuel et les acteurs du système répressif mais plus profondément sur la sanction : ses motifs, son sens, sa fonction, ses modalités. La punition est-elle la seule manière de gérer les contraventions au vivre ensemble ? Il est révélateur des pouvoirs en place et de l’idéologie dominante d’analyser quels actes de délinquance – dont les formes sont multiples et pas toujours aussi visibles que celles qu’étale la presse populaire – font l’objet de quel type de répression. Nous traversons une époque où se côtoient des formes d’autoritarisme et de répression excessive (à Guantanamo et ses annexes européennes, dans les prisons, dans les centres fermés, dans les quartiers relégués où les policiers jouent aux cow-boys, dans les méthodes intrusives de chasse aux chômeurs…) et des formes de laxisme total (à l’égard de la prohibition des armes chimiques, des normes en matière de réduction des émissions de CO2, de l’évasion fiscale, du respect des objectifs du millénaire…). Les militants qui dénoncent une fascisation de l’État ou le tout à la répression se méprennent autant que les réactionnaires qui

déplorent que depuis mai 68 il n’y ait plus aucune autorité, norme ou valeur qui soit encore respectée. Leurs analyses incomplètes passent à côté de la subtilité et de l’ambiguïté du néolibéralisme sécuritaire.

Ne jamais fermer les yeux Si l’obéissance s’avère nécessaire à la cohésion sociale et à la structuration de l’individu, elle n’est pas toujours une vertu – contrairement à ce qu’affirme la plupart des religions – et n’est pas sans danger. Il y a dans toute obéissance un renoncement au libre examen dès lors qu’obéir signifie soit se soumettre à quelqu’un, donc abdiquer sa volonté, soit se conformer à quelque chose, donc abdiquer son jugement. Obéir, c’est encore se plier à quelque chose, donc courber l’échine. Pour souligner les dangers de l’obéissance, on se souviendra du procès de Nuremberg ou de celui d’Eichmann qui se justifiait de la sorte : “Je déclarerai pour terminer que déjà, à l’époque, personnellement, je considérais que cette solution violente n’était pas justifiée. Je la considérais comme un acte monstrueux. Mais à mon grand regret étant lié par mon serment de loyauté, je devais dans mon secteur m’occuper de la question de l’organisation des transports. Je n’ai pas été relevé de ce serment... Je ne me sens donc pas responsable en mon for intérieur. Je me sentais dégagé de toute responsabilité. J’étais très soulagé de n’avoir rien à faire avec la réalité de l’extermination physique. J’étais bien assez occupé par le travail que l’on m’avait ordonné de prendre en charge. J’étais adapté à ce travail de bureau dans la section, j’ai fait mon devoir, conformé-

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ment aux ordres.” La justice internationale a bien heureusement refusé ces arguments et clairement condamné l’incapacité à désobéir à des ordres contraires à la dignité humaine. La philosophe Hannah Arendt a décelé dans Eichmann l’incarnation de “la banalité du mal” : loin d’être un homme abject et sadique, il n’était qu’un banal petit fonctionnaire zélé, entièrement soumis à l’autorité et incapable de distinguer le bien du mal. Le “mal”, les horreurs commises, proviennent moins souvent d’hommes mauvais ou d’une volonté de faire le mal que de l’obéissance aveugle, des excès de légalisme et des pièges de la “realpolitik”. En vue d’éviter la banalité du mal, la philosophe souligne la nécessité de la résistance et l’importance de ne jamais cesser de penser, de toujours questionner les situations et les obligations2. Pour se déresponsabiliser, Eichmann se réfugiait derrière son serment de loyauté et derrière son petit bureau de fonctionnaire où il ne s’occupait que d’organiser les transports sans aucun contact direct avec l’holocauste. Ce sont les travers et les méandres de la bureaucratie qu’il pointait et qui posent encore question aujourd’hui. Dès lors que la différenciation des fonctions sociales et la division du travail mais aussi la mondialisation et l’interdépendance ne cessent de s’accentuer, il devient très difficile d’identifier l’origine, la légitimité et le sens d’un ordre, difficile du coup de se sentir responsable de devoir éventuellement le refuser. Dans cette dilution et diffusion des centres de décision (aussi bien en politique que dans le monde de l’entreprise), nous assistons à une dépersonnalisation de l’autorité et de l’obéissance propice à la banalité du mal. Un mouvement inverse de déspécialisa-

tion des fonctions pourrait responsabiliser davantage les individus. Si la soumission au nazisme représente le paroxysme des dangers de l’obéissance, il ne s’agit hélas pas d’un cas unique lié à un contexte historique exceptionnel. En 1967, aux Etats-Unis, le professeur Ron Jones organisa une expérience avec ses élèves d’histoire à qui il ne parvenait pas à faire comprendre l’acception de la population allemande face à la Shoah. Il fonda au sein de l’école un groupe nommé “la troisième vague”, dont l’idéologie antidémocratique vantait les mérites de la communauté, de la discipline et de l’esprit de corps. En une semaine, 200 élèves avaient rejoint le mouvement, adopté son uniforme et ses codes disciplinaires, organisaient des procès pour éliminer les éléments faibles… et Jones dut interrompre l’expérience, effrayé par l’ampleur qu’elle prenait et les violences qu’elle générait3. L’expérience de Milgram sur la soumission à l’autorité, en 1963, est encore plus notoire : 65% des participants ont été jusqu’à infliger des décharges électriques létales à un individu par simple obéissance aux injonctions de l’expérimentateur qui n’avait d’autre pouvoir de contrainte que sa blouse blanche et son autorité de scientifique. En 2009, une expérience similaire a été organisée en France. Les consignes étaient exactement les mêmes, seul le cadre changeait, l’émission test d’un jeu télévisé, et donc l’incarnation de l’autorité : une présentatrice. 80% des participants ont obéi jusqu’à provoquer la mort4. Bien d’autres expériences de psychologie sociale vont dans le même sens.

un commandement, il importe donc d’en examiner le bien fondé, les finalités, les valeurs qui les sous-tendent et les conséquences qui peuvent s’en suivre. À quoi obéit-on : à une autorité qu’on a instituée ou qui s’est imposée ; au plus fort, au plus convaincant, au plus riche ou à la plus belle ; aux autres ou à soi ; à la raison, aux pulsions ou à dieu ; à la force des choses ou aux puissances du possible ? Pourquoi obéit-on : parce qu’on ne se pose même pas la question, parce qu’on adhère à ce qui est imposé ou parce qu’on craint la sanction ; parce qu’on s’y est engagé moralement ou parce qu’on y est tenu par un lien naturel ? Comment obéiton : au doigt, suite à une injonction, ou à l’œil, parce qu’on est surveillé ; de gré, à regret ou de force ; lucidement ou aveuglément ; activement ou passivement ; avec ou sans marge de manœuvre ? Jusqu’où va l’obéissance : acquiescement, acceptation, soumission, assujettissement, délation, collaboration ? Lorsqu’on se pose toutes ces questions et que l’on conclut à une impossibilité éthique de se soumettre à telle règle ou à tel ordre, la désobéissance devient nécessité et vertu. Mais pas à n’importe quelles conditions… lisez l’article “Désobéir” (p. 18). Cf. Cornélius Castoriadis, L’institution imaginaire de la société, Seuil, 1975 (réédité en “Points Essais”) Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, trad. A. Guérin, Paris, Gallimard, 1966 3 En 2008, Dennis Gansel s’est inspiré de cette expérience pour réaliser le film Die Welle (La vague). 4 C f. Le Jeu de la mort, documentaire de Christophe Nick, Thomas Bornot et Gilles Amado ; ainsi que l’article de Jean-Léon Beauvois, pp. XX, directeur scientifique de l’expérience. 1

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Avant de suivre une norme ou d’obéir à

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Par Olivier KLEIN

Professeur de psychologie sociale Centre de recherche en psychologie sociale et interculturelle, Université Libre de Bruxelles

Sommes-nous tous des

tortionnaires?

La soumission à l’autorité, 50 ans après l’expérience de Milgram Extraits1

La question du mal a préoccupé les théologiens bien avant d’intéresser les psychologues. En tant que discipline scientifique, la psychologie s’est véritablement développée au XXe siècle, un siècle qui a précisément coïncidé avec cinq génocides. C’est donc sans surprise qu’elle s’est penchée sur cette question en cherchant à identifier ses racines psychologiques. L’Holocauste est apparu comme la figure du mal absolu. Les deux guerres mondiales remettaient évidemment en cause l’idée que la culture et la civilisation étaient les garantes de la vertu. Dans ce contexte, identifier comment en dépit de cellesci une vaste population avait pu coopérer avec un régime barbare, apparaissait comme une question de première importance à adresser aux psychologues. […] 8

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’est dans ce contexte que Stanley Milgram, jeune chercheur juif américain, et dont les parents sont émigrés d’Europe centrale, va mener les recherches qui le rendront célèbre. Milgram s’intéresse avant tout au conformisme : pourquoi en vient-on à adopter les normes sociales qui peuvent sembler parfois aberrantes ? Le conformisme avait été jusqu’alors principalement étudié par la voie de mesures d’attitudes ou des jugements perceptifs. […] Par ailleurs, il s’intéresse à un type particulier de conformisme, l’obéissance, qui, selon lui, caractérisait particulièrement le “caractère allemand”. Comme Asch, il ne doutait pas de l’influence de la pression du groupe sur l’individu. Mais, se disait-il, pour aborder l’influence du groupe, il importe d’abord d’examiner ce qui se passe quand il n’y a pas de groupe mais seulement une autorité isolée qui vous enjoint de commettre un acte répréhensible. […] C’est dans ce contexte qu’il envisage de demander à ses sujets de délivrer des chocs électriques à un élève dans le cadre d’une expérience portant soi-disant sur l’influence de la punition sur l’apprentissage. Il se proposait d’étudier cela chez des sujets américains, chez qui il s’attendait à très peu d’obéissance, avant de répliquer l’étude dans d’autres pays, dont l’Allemagne, afin de mettre en évidence les facteurs culturels responsables de l’obéissance. Quarante sujets participent à cette version de l’expérience. Milgram a décrit cette expérience à un groupe de psychiatres et

leur a demandé de prédire le taux d’obéissance. Ceux-ci estimaient que maximum 1% des sujets iraient jusqu’à 450 volts. Or, dans cette version de l’expérience, le taux d’obéissance atteint 65%, remettant en cause toutes les prédictions des psychiatres. Contrairement aux hypothèses initiales de Milgram, des personnes ayant toujours vécu dans une société démocratique comme les Etats-Unis pouvaient se comporter comme des bourreaux nazis. Pour Milgram, le type de processus mit en évidence ici montre le pouvoir de la situation : “C’est peut-être là l’enseignement essentiel de notre étude : des gens ordinaires, dépourvus de toute hostilité, peuvent, en s’acquittant simplement de leur tâche, devenir les agents d’un atroce processus de destruction”2 “Les simples forces réunies au cours d’une expérience de psychologie parviennent à neutraliser efficacement l’influence des facteurs moraux”3. […] Plusieurs réplications ont été effectuées dans d’autres pays dans les années ‘70. On peut également citer la réplication télévisuelle française de 2010. […] Des réplications recourant à la réalité virtuelle4 ou à des “environnements vidéo immersifs”5, ressemblant à un jeu vidéo ont également été proposées. Quoiqu’il en soit, on ne constate aucune diminution de l’obéissance observée par rapport à l’expérience originale de Milgram. […] Il importe de souligner certains éléments qui ont rendu possible une telle obéissance. Premier élément : le sujet s’engage dans

l’expérience. Il signe une feuille de consentement et accepte d’être rétribué. Il accepte donc de s’en remettre à la science, d’être un “bon” sujet. Dans ce contexte, désobéir à l’expérimentateur reviendrait à rompre ce contrat. Mais cela ne suffit pas. Un autre élément déterminant réside dans ce que j’appellerais le phénomène des “petits pas”. La toute première décharge à 15 volts est totalement inoffensive. Dès le moment où le sujet accepte d’augmenter la charge de 15 volts supplémentaires, il est coincé : en soi, chaque augmentation de 15 volts n’est pas moins justifiable que la précédente. […] Dans ce contexte, il est confronté à ce qu’on appelle une escalade d’engagement : chaque pas supplémentaire l’implique psychologiquement dans son acte, et il devient de plus en plus difficile d’y échapper. Désobéir revient à interroger profondément sa conception de soi-même. Une façon de s’en sortir consiste à se résoudre à accepter qu’on œuvre pour le bien de la science ou encore de déléguer la responsabilité totale à l’expérimentateur. […] Un facteur qui pourrait jouer dans la résistance à l’autorité est le fait d’être en mesure d’articuler un discours alternatif, de pouvoir répondre à l’expérimentateur. La maîtrise du langage, de l’argumentation, joue un rôle essentiel ici6. […] Si Milgram reconnaît le rôle de l’engagement graduel, il trouve une explication plus fondamentale à ses résultats. […] Celle-ci s’inspire directement de l’analyse d’Hannah Arendt selon laquelle le sujet qui obéit aux ordres est devenu une sorte d’automate, qui s’est débarrassé

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de toute conscience. Le sujet serait habité par un sentiment d’obligation. Il s’en remettrait totalement à l’autorité légitime que représente “la science”. Il évoque la notion d’état agentique pour décrire le sujet obéissant : […] “Typiquement, l’individu qui entre dans un système d’autorité ne se voit plus comme l’auteur de ses actes, mais plutôt comme l’agent exécutif des volontés d’autrui. A partir de ce stade, son comportement et son équilibre interne subissent des altérations si profondes que l’attitude nouvelle qui en résulte met l’individu dans un état différent de celui qui précédait son intégration dans la hiérarchie”. […] Cette explication n’a toutefois jamais fait l’objet d’un test empirique concluant. Remarquons qu’Arendt, comme Milgram, en viennent à considérer que les actes les plus immoraux sont profondément a-moraux du point de vue des personnes qui les exécutent. Le tortionnaire ne serait que le rouage d’une machine bien huilée. Je pense pouvoir conclure là une présentation “orthodoxe” de l’expérience de Milgram. Nous allons à présent nous pencher sur des perspectives plus critiques. […] Il importe de remarquer que l’idée même de l’état agentique a été accueillie avec beaucoup de scepticisme dès sa publication. Tout d’abord, il semblait pour le moins étonnant qu’un mode de comportement se déclenche comme si on poussait sur un bouton “on/off”. […] Par ailleurs, cette interprétation ne cadre elle-même pas avec les propres données

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de Milgram. Si les sujets étaient dans un état “agentique”, se contentant de répondre aux ordres, déléguant la responsabilité de penser à l’expérimentateur, comment expliquer qu’ils soient souvent si réticents à obéir à ses ordres ? Qu’ils ne cessent de se poser des questions sur la légitimité de ce qu’ils sont en train de faire ? […] Les sujets sont en fait dans une situation d’incertitude totale. Ils se retrouvent dans un environnement auquel ils n’ont jamais été confrontés. Dans un tel contexte, il s’agit de savoir comment il est légitime de se comporter. Les deux seules sources d’information sont l’expérimentateur et l’élève. L’expérimentateur, représentant de “la science”, a clairement préséance : il représente une autorité supérieure et on peut supposer qu’il a l’habitude de ce type d’expérience et “sait ce qu’il faut faire”. […]

agir souvent sans la moindre réserve. […] Mais en réalité, dans ce type de situation, il n’y a pas de conflit entre deux voix. Il n’y a plus qu’une seule voix, à laquelle les génocidaires se sont pleinement identifiés. Il n’y a donc plus de place pour le doute. Nous sommes comme dans la variation de l’expérience dans laquelle on n’entend pas la victime, caché derrière son mur. D’où vient cette certitude ?

La catégorisation sociale et la construction d’une menace L’identification au groupe est en partie alimentée par une catégorisation “eux/nous” qui ne laisse plus place aux nuances. On parvient à une dichotomie dans laquelle on est soit avec les uns, soit avec les autres. […]

La déshumanisation et l’animalisation

C’est la confrontation à ces deux voix, le conflit qu’elles génèrent dans cette situation d’incertitude qui fait l’essence de l’expérience. On peut voir ces deux voix comme représentant chacune une valeur, une identité : la science, d’une part, l’humanité d’autre part. Selon Reicher et Haslam, le sujet est confronté à un conflit d’allégeance entre ces deux identités et l’issue de ce conflit dépend précisément de l’identité qui va “gagner”. […]

Cette légitimation passe par un discours qui les dépeint comme des animaux nuisibles et dangereux (cafards, serpents) ou comme un “gibier”. On retrouve ce type de déshumanisation dans de nombreux génocides. L’animalisation permet le “désengagement moral” pour employer les termes du psychologue social Albert Bendura7.

Cette description d’un sujet “entre deux chaises”, hésitant quant à la marche à suivre, cadre mal avec les situations de violence qu’on peut voir décrites dans des récits historiques ou journalistiques. On y voit des meurtriers et des génocidaires

Le vocabulaire utilisé concourt également à rendre des comportements immoraux acceptables. Dans l’expérience de Milgram, on parle d’ “apprentissage”, “d’expérience” pour caractériser la torture. On observe un même processus dans le

L’utilisation du langage

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contexte du génocide rwandais. Pour les paysans rwandais, le génocide est décrit comme un “travail” qui consiste à “faucher”8, des termes anodins qui correspondent à leurs activités “normales”. De même, vu la supposée agression hutue, les massacres font figure de “légitime défense”. Les diverses ressources rhétoriques que j’ai citées (construction d’une menace, catégorisation, animalisation, langage euphémisant) contribuent à légitimer le comportement destructeur, à le rendre vertueux. S’y adonner ne se fait donc pas en dépit de la morale, comme le propose Arendt, mais au nom de la morale.

Le rôle des médias J’ai signalé que ces comportements ignobles découlaient du fait que leurs auteurs se soient identifiés à un groupe, qu’ils n’aient écouté que la “voix” de ce groupe (celle de l’expérimentateur plutôt que celle de la victime). Dans de nombreuses circonstances, ceci est évidemment facilité par un environnement dans lequel peu de voix alternatives sont audibles. Par exemple, dans le cas du Rwanda, le seul média accessible à l’ensemble de la population est la radio et une chaîne unique possédait un quasi-monopole, la radiotélévision libre des mille collines. Cette radio diffusait l’idéologie du génocide sans être contredite par des médias aux opinions contradictoires. […]

Le rôle des leaders Dans l’expérience de Milgram, l’expérimentateur fait figure de “leader” qui dif-

fuse une idéologie au professeur-sujet, une idée de la science comme compatible avec le fait de délivrer des chocs à autrui. Celui-ci peut céder ou résister. […] Les travaux récents sur le leadership montrent que pour acquérir une légitimité en tant que “chef”, il est nécessaire de projeter une image consonante avec celle que le groupe se fait de lui-même : le leader doit “incarner” le groupe. Il est donc contraint en partie par ceux qu’il dirige […].

Qui désobéit ? Une lecture identitaire Le rôle des identifications sociales est également étayé lorsqu’on examine le profil de ceux qui désobéissent. Souvent, ceux-ci sont identifiés à des groupes dont les valeurs leur apparaissent comme incompatibles avec le comportement qui est attendu d’eux. Ainsi, on constate que des personnes qui ont de l’expérience dans l’activisme politique (participer à une grève sauvage, à une manifestation...) sont moins susceptibles d’obéir jusqu’au bout dans la version télévisée de l’expérience de Milgram9. L’appartenance à ces collectivités est associée à une idéologie leur permettant d’articuler un discours de résistance à l’autorité. On observe un phénomène similaire dans le cas du village français du Chambon-sur-Lignon, dont les habitants ont délibérément désobéi aux ordres du gouvernement collaborationniste de Vichy en hébergeant et sauvant des juifs. Les psychologues sociaux Rochat et Modigliani soulignent que ce village était principalement peuplé de descendants des Huguenots, qui avaient donc une mé-

moire de l’oppression dont leurs ancêtres avaient été victimes. Par ailleurs, le village avait déjà aidé des victimes de la guerre civile espagnole10. […] En ce sens, les caractéristiques du groupe qui favorisent l’obéissance (offrir une idéologie partagée et un support social) sont les mêmes que celles qui favorisent la désobéissance. Nous avons noté que les personnes qui délivraient les chocs les plus intenses dans l’expérience de Milgram étaient plus susceptibles d’être caractérisés par certains traits de personnalité. Que peut-on en dire à la lumière de cette lecture “identitaire” ? Pour aborder la question de la personnalité, il faut d’abord se départir d’une illusion. Celle selon laquelle une disposition personnelle correspond à l’acte. Par exemple, le comportement violent correspond à un tempérament violent, agressif, sadique, etc. Ce serait évidemment rassurant car cela semble nous mettre à l’abri de ce type d’acte. Rien ne permet d’étayer cette interprétation simpliste aussi bien en ce qui concerne les sujets de Milgram que lorsqu’on étudie les auteurs de massacres, les tortionnaires ou les génocidaires. Eichmann a par exemple été examiné par de nombreux psychiatres qui concluent à sa profonde normalité. Ainsi, le juge Damien Van der Meersch, qui a longuement enquêté sur des personnes accusées d’avoir participé au génocide rwandais, écrit : “Lors des différentes enquêtes au Rwanda, la plupart des gens impliqués dans les tueries nous sont apparus comme fort ordinaires: une vie banale avant et

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après les événements, entrecoupée par une parenthèse de folie qui les avait soudainement emportés”11. […] Est-ce à dire que tout le monde peut devenir un tortionnaire quel que soit son profil ? […] Il faut sans doute nuancer cette affirmation. Il importe d’abord de mettre en exergue que la situation n’est pas nécessairement indépendante de la personnalité. Selon notre histoire personnelle, nous sommes plus ou moins susceptibles d’être confrontés à une situation ou une autre. Pour reprendre l’exemple du génocide rwandais, une partie des génocidaires provenait du “lumpenproletariat”, qui a trouvé dans le génocide une occasion de “prendre sa revanche” sur des gens puissants qui les avaient exclus12. On peut faire une analyse similaire dans le cas du nazisme. Celui-ci a attiré des individus habités par le sentiment que leurs ambitions personnelles ne pouvaient guère s’actualiser dans les mouvements démocratiques traditionnels. Ils n’étaient pas nécessairement des nazis convaincus (du moins initialement). […] Toutefois, cela ne suffit pas pour faire des uns et des autres des tortionnaires ou des génocidaires. D’une part, il est nécessaire que des facteurs contextuels rendent ces comportements possibles et, à la lumière de notre analyse, acceptables moralement. Un conflit armé par exemple conduira à une polarisation des identités : les autres deviennent des “haji”, des “faces de citron”, etc. Le conflit polarise les identités : les valeurs qui deviennent représentatives du groupe se modifient. Souvent, des figures plus extrémistes, qui incarnent la différence avec l’Autre, deviennent plus influentes. […].

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D’autre part, une fois que des individus rejoignent des institutions, des groupes, ils sont transformés par ceux-ci. La transformation des valeurs du groupe, de ses représentations, vont modifier les prédispositions personnelles, les attitudes de chacun. Eichmann qui, préalablement n’était qu’un opportuniste, deviendra un Nazi convaincu en 1939, dit son biographe, Cesarini13. […] Les agents du mal que nous avons examinés dans ce texte sont loin d’avoir abdiqué toute conscience morale ou d’assumer le rôle d’automates au service d’une puissance supérieure (la Science, l’Etat...). Au contraire, s’ils sont au service de cette puissance, c’est parce qu’ils adhèrent à ces valeurs, qu’ils considèrent les comportements qui leur sont demandés comme moralement justifiés. Ceci n’est possible que grâce à un processus d’identification qui permet une véritable conversion idéologique à travers laquelle ce qui était mal (tuer, massacrer, torturer) devient normal et acceptable, une dynamique de consentement. C’est ce processus de banalisation du mal qui est central et qui est loin d’être évident. Il importe également de souligner un autre point important de notre analyse : l’expérience de Milgram porte autant sur la désobéissance que sur l’obéissance. Une lecture en termes d’identification sociale rend compte de la première comme de la seconde. L’issue dépend de la voix qu’on écoute.

La version intégrale de ce document développe une étude bien plus approfondie, nuancée et illustrée de la question que cet extrait rétréci pour raisons éditoriales. Elle est disponible en ligne sur le lien suivant : http://difusion.ulb.ac.be/ vufind/Record/ULBDIPOT:oai:dipot.ulb.ac.be:2013/159404/ Holdings. 2 Milgram, S. La Soumission à l’Autorité. Paris: Calmann-Levy, 1974, p. 22 3 Ibidem. p.23. 4 Slater, M., Antley, A., Davison, A., Swapp, D., Guger, C., Barker, C. & Sanchez-Vives, M. V., A virtual reprise of the Stanley Milgram obedience experiments. PloS one, 2006, 1(1), e39. 5 Dambrun, M., & Vatiné, E.,“Reopening the study of extreme social behaviors: Obedience to authority within an immersive video environment”, European Journal of Social Psychology, 2010, 40(5), 760-773. 6 Rochat, F., & Modigliani, A., “The ordinary quality of resistance: From Milgram’s laboratory to the village of Le Chambon”, Journal of Social Issues,1995, 51(3), 195-210. 7 Bandura, A., Underwood, B., & Fromson, M. E., “Disinhibition of aggression through diffusion of responsibility and dehumanization of victims”, Journal of Research in Personality, 1975, 9(4), 253-269. 8 Van der Meersch, D., Comment devient-on génocidaire ?. Bruxelles, GRIP, 2013,p. 11 9 Bègue, L., Beauvois, J.-L., Courbet, D., & Oberlé, D. La Soumission à l’Autorité. “Cerveau et Psycho”, 38, 2010. 10 Rochat, F., & Modigliani, A., op cit. 11 Van der Meersch, op. cit, p. 13. 12 Prunier, cité par Van der Meersch, op. cit. 13 Haslam, S. A., & Reicher, S., “Beyond the banality of evil: Three dynamics of an interactionist social psychology of tyranny”, Personality and social psychologybulletin, 2007, 33(5), 615-622. 1

Olivier Klein participera au débat De nouvelles blouses blanches ? avec Pierangelo di Vittorio sur la soumission à l’autorité, le 20 octobre au Festival des Libertés. Le débat Tou(te)s des grenouilles ?, le 19 octobre, abordera la question des “petits pas” qui mènent au pire. A propos de la participation à un génocide, venez voir le film FC Rwanda et la rencontre qui le suivra le 24 octobre.

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Françoise VANHAMME et Véronique STRIMELLE,

Professeures agrégées, Département de Criminologie, Université d’Ottawa

De quelle Justice

parle-t-on ? U ne en q u ê te sur les modes sociaux de r é gulation des troubles 1

Notre intervention au Festival des Libertés se basera sur un programme de recherche2 portant sur les modes informels de régulation des troubles et leur rencontre avec le système pénal. Par “trouble”, nous entendons les situations qui dérangent, c’est-à-dire des frictions, griefs ou conflits qui risquent de perturber la vie collective et dont on s’émeut, car elles sont porteuses d’une norme ressentie. Ces situations sont générées au sein de l’espace social, comme le sont aussi les dispositifs mis en place pour tendre à leur régulation. La finalité de ce programme de recherche vise à replacer la régulation pénale dans l’ensemble des modes de régulation qui tissent la vie collective et, au-delà, à contribuer à en comprendre la dynamique.

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e constat à l’origine de nos travaux est le suivant : dans nos sociétés occidentales, ce sont surtout les modes de régulation pénale qui sont considérés comme les plus aptes à réguler la plupart de ces situations de trouble et à assurer la cohésion de la vie collective. Un tel mode de pensée est caractéristique : il s’ancre dans une “structure mentale pénaliste”, appelée aussi “rationalité pénale moderne”, qui accorde la préséance à la pénalité en matière de régulation et qui, en sus, présente le droit pénal comme seul garant de l’ordre social et de la protection du public. Or, différentes recherches3 ont souligné à quel point les modes de régulation pénale réglaient en fait peu de choses. En effet, il ne suffit pas qu’un crime ait lieu pour qu’il soit connu du système pénal : des conditions liées à la visibilité de l’acte, à sa définition comme un “crime” jouent un rôle décisif dans le report au système pénal. De plus, la définition et la gestion de certaines situations problématiques peuvent aussi entrer dans le domaine du droit civil ou administratif. En conséquence, et selon les enquêtes de victimisation et de délinquance auto-reportée, un tiers seulement des actes criminalisables ou identifiés comme tels serait rapporté au pénal. Par ailleurs, plusieurs recherches4 ont mis en évidence le fait que, même si les réactions pénales peuvent prendre diverses formes et se moduler suivant un registre progressif de mise à distance, toutes tendent finalement à produire de l’exclusion. Le criminel y est en effet présenté comme un ennemi et la sanction à son égard tend à produire de la désolidarisation au nom de

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la protection de la société, tout en justifiant le recours à la violence et l’imposition de souffrance.

térité, l’offenseur devenant un adversaire à ignorer, affronter ou faire confronter par un tiers.

Dès lors, si le système juridico-pénal ne touche et ne règle que peu de situations problématiques, comment la société arrive-t-elle à se maintenir en dépit des troubles qui la traversent ? L’hypothèse émerge de l’existence d’autres modes de régulation des troubles qui contribueraient à maintenir la cohésion sociale sans en appeler nécessairement à une intervention étatique et en particulier pénale. Ces modes ne peuvent être catalogués comme de simples réactions conjoncturelles. Même s’ils sont implicites et informels, ils seraient enracinés dans l’histoire et les pratiques et caractérisés par un degré élevé de permanence. S’exprimant dans la vie quotidienne et empruntant une multitude de procédés, leur caractère implicite resterait ainsi significatif.

Quelles solutions les personnes mobilisent-elles alors pour essayer de résoudre, de réguler ce qu’elles identifient comme un trouble ? Et quels objectifs sous-tendent ces réactions ? Nos travaux et séminaires montrent que les pratiques quotidiennes de régulation visent globalement à restaurer un état d’équilibre, d’équivalence entre individus ou entre groupes qui s’opposent. Ces modes de régulation, au concret, sont “inventés” selon les circonstances et dans tous les cas, chacun tâchera avant tout de “s’arranger” sur un mode relativement consensuel. La résignation d’une part, et l’appel à un tiers d’autre part, peuvent s’ensuivre en cas d’échecs successifs.

À ce sujet, on peut d’abord s’interroger sur ce que les personnes considèrent comme un trouble. Comment en viennent-elles à définir une situation comme dérangeante, et selon quels critères ? Nos travaux et séminaires ont pu montrer empiriquement que l’identification d’un trouble émerge d’un processus relationnel pondéré par la proximité entre les personnes impliquées et par les différences entre leur statut respectif. Pour l’offensé, le trouble procède d’une atteinte à son territoire, à son identité ou à son statut social, de même que d’un déni par l’offenseur du tort éprouvé. Dans le processus, cet offenseur est en général d’abord considéré comme un partenaire avec qui l’on pourrait s’arranger, et la relation peut ensuite se teinter d’al-

Pour encadrer ces travaux et réflexions sur le trouble et ses modes de régulation, un idéal-type de “socialité vindicatoire” a été construit à titre heuristique. Il s’articule autour des dimensions suivantes : 1. un sentiment de trouble, qui comprend l’atteinte ressentie au statut social et citoyen dans un processus situé d’interactions ; 2. une revendication légitime, qui constitue la créance d’un contre-don, née de l’atteinte ; 3. une socialisation de la situation de trouble, qui représente la dimension sociale du statut d’offensé et la légitimité sociale de la créance ; 4. un objectif de contre-don, qui vise l’obtention de la restauration symbolique du statut d’équivalence.

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Enfin, l’on peut se demander comment ces modes sociaux de régulation peuvent (sur)vivre et coexister dans le contexte juridico-pénal occidental. Sur ce point, nous avons pu observer une certaine répartition des domaines d’intervention. En effet, la régulation sociale informelle s’activerait dans les interstices non couverts par la régulation étatique, c’est-à-dire dans la vie quotidienne, et même dans celle d’un établissement à caractère carcéral. Plus encore, les policiers eux-mêmes la mobilisent dans leurs pratiques professionnelles. Quant aux conditions de passage vers le système pénal, alors que nombre de recherches en criminologie se sont concentrées sur les motifs pour lesquels les gens ne recouraient pas à la pénalité, nous avons au contraire mis en évidence différents motifs pour lesquels ils mobilisent le système pénal. Par exemple : l’objectif de réguler la situation tout en refusant l’interaction avec un voisin considéré comme un adversaire ; l’appel à la police par défaut de savoir quoi faire d’autre ou encore, parce que cela va de soi. La façon dont le système pénal rencontre peu les logiques et attentes des victimes et des condamnés a aussi été soulignée.

Ce texte est une version adaptée de Strimelle, V. et F. Vanhamme, Introduction. Dans Jaspart, A., Smeets, S., Strimelle, V. et F. Vanhamme. “Justice !”. Des mondes et des visions. Montréal, Erudit, Coll. Livres et Actes, 2014. L’ouvrage ainsi que son importante bibliographie est consultable ici : http:// www.erudit.org/livre/ 2 Vanhamme, F. et V. Strimelle (2013-2018). Programme de recherche Quelle Justice ? Enquête sur les modes sociaux de régulation des troubles (principes et pratiques), subventionné par le Conseil canadien de recherches en sciences humaines. 3 Commission du droit du Canada Qu’est-ce qu’un crime ? Des défis et des choix, document de discussion, Ottawa : Commission du Droit du Canada, 2003 ; Zauberman, R., Victimation et insécurité en Europe. Un bilan des enquêtes et de leur usage, Paris, L’Harmattan, 2008. 4 Verdier R., “Le système vindicatoire. Esquisse théorique”, dans Verdier, R., Poly, J.-P. et G. Courtois (Eds.), La vengeance. Etudes d’ethnologie, d’histoire et de philosophie. Tome 1. Vengeance et pouvoir dans quelques sociétés extra-occidentale, Paris : Cujas, 1980, pp. 11-42. ; PIRES, A. P., “La rationalité pénale moderne, la société du risque et la juridicisation de l’opinion publique”, Sociologie et sociétés, 33(1), 2001, pp. 179-204, http://id.erudit.org/iderudit/001562ar > (page consultée le 5 mai 2014). 1

Françoise Vanhamme, Dan Kaminski (criminologues) et Tony Ferri (philosophe) seront présents le lundi 20/10 à 19h00 au KVS pour affronter l’épineuse question de la punition : “La peine résout-elle le trouble social” ? La veille, dimanche 19/10 au Théatre National, le film “Sur les toits” sera suivi d’une rencontre avec le réalisateur accompagné de Laurent Jacqua et Jean-Marc Rouillan (ex détenus, militants). Le samedi 25/10, rentrons dans l’univers des élites délinquantes à 18h00 avec Carla Nagels et Pierre Lascoumes : “de la criminalité en col blanc à la corruption politique”.

De la sorte, le programme de recherche que nous menons veut apporter des éléments de réflexion, nouveaux et complémentaires aux travaux et acteurs concernés par la justice alternative, dont le modèle restaurateur. A son tour, ce savoir veut contribuer à faire ressortir l’importance des alternatives en matière de justice, participer à la réflexion sur les impacts des sanctions pénales et ainsi alimenter les débats sur la justice étatique et la pertinence du recours à celle-ci.

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Par Philippe DE CLERCK,

Aspirant FNRS – CLARA – Faculté d’Architecture de l’ULB

Come on

Josaphat ! Il y a au nord de notre ville-région une friche vierge de 25 hectares environ. Les quelques herbes qui la recouvrent n’arrivent pas à voiler la page blanche de nos désirs urbains qui s’y projettent. Des habitants de cette ville ont décidé d’occuper virtuellement cette terre, en lançant un Appel à idées fondé sur le principe du “commun”, afin d’agiter l’espace public en y faisant débat sur le devenir de la friche et sur la question des communs dans la ville.

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a friche Josaphat est l’une des dernières réserves foncières de cette importance à Bruxelles. La Région est en passe de formuler pour ce bout de terre nue un projet d’avenir. Il est question de faire émerger là un nouveau quartier de 1800 logements, dont 45 % resteraient dans le giron du public et 55 % dans celui du privé. Sur cette part publique, 60 % seraient des logements sociaux. Ne discutons pas ici du contenu de ce programme, pas plus du schéma directeur en gestation. Plus fondamentalement, attardons-nous sur les principes et le procès.

on doit se défaire du patrimoine collectif et prolonger l’accaparement par le capital de ce qui pourrait être commun. Nous ne pouvons pas nous résoudre à cette alternative infernale. L’Histoire n’est pas finie. Le sol de cette friche mise à nu, cette surface lisse non encore parcellisée nous permet de penser de nouvelles fondations au quartier à venir. Fondons ce quartier, non pas sur un principe d’attraction des capitaux internationaux, mais sur le principe du commun avec ceux qui sont là, concernés, intéressés. Avec un tel principe, ce n’est pas le droit de propriété qui prévaut, c’est le droit d’usage.

Lors d’une récente brocante organisée dans le quartier de Terdelt, qui jouxte le site, nous tenions un stand présentant l’Appel à idées. A l’évidence, aucun des riverains n’était au courant des projets régionaux pour ce qui va sûrement ‘impacter’ leur vie. C’est là une culture politique de fond qui peine à évoluer : certes, si l’information est publique, il s’agit surtout de ne pas trop communiquer car cela pourrait donner des idées. Comment s’y retrouverait-on si chacun commençait à donner son avis ? Mieux vaut se fier aux seuls experts pour définir la ville, la confiance du citoyen suffira, et tout ira bien. Comme dit l’adage anglais, “Old habits die hard”.

C’est une erreur récurrente autour de la notion des communs que de s’intéresser essentiellement à la substance des choses, à voir dans les biens une essence qui aurait le caractère du commun, tel qu’on l’imagine parfois pour le sol, l’eau, l’air, le climat, etc. Le commun n’est pas plus une chose transcendante qui se placerait au-dessus de la vie des hommes, à inscrire au fronton des assemblées mondiales, comme une aspiration placée dans le lointain. Le commun est un principe politique a priori, mais qui doit trouver pour chaque situation abordée l’issue pragmatique de son expression. Le commun est le produit de l’activité des hommes. On peut décider des choses à mettre en commun, on peut produire, gérer une ressource, émettre des idées en commun et penser la ville que nous voulons. Pourvu, ceci dit, que le commun se fasse en proposant aux personnes que l’on n’appelle jamais pour ce type d’exercice d’y participer.

Et bien justement, si, certains se font des idées et notamment sur la possibilité de penser la production d’un morceau de ville sur d’autres bases. Car il est une autre habitude qui peine à être remise en question : la mise en vente des biens publics, notamment pour financer le logement social. Dans cette logique, le social est contre le commun : pour du logement équitable,

Ce qui est proposé avec l’Appel à idées, c’est une occupation imaginaire de la friche.

Faire œuvre collective pour imaginer la ville de demain ou tout au moins d’en prendre pleinement conscience. Nous n’appelons pas seulement à concevoir des objets – places publiques et rues, jardins, logements, salles collectives, le quartier, l’eau, etc. – qui rendent possible leurs usages multiples, partageables, inappropriables, mais il s’agit également d’envisager les agencements humains qui permettront l’institution du commun pour ceux qui seront amenés à user de ces biens. C’est, dès lors, comme un vaste exercice pratique, telle une mise en condition culturelle : nous avons tellement perdu la capacité d’agir en commun ! Avec cet exercice, nous avons certes l’espoir d’influencer le futur du quartier – même modestement – mais surtout de résolument placer le principe du commun dans l’espace public régional et de le mettre à l’agenda du politique. Car le développement urbain est toujours un moyen, jamais une fin en soi. Tous les intéressés sont invités à se joindre à l’Appel à idées. Contactez Commons Josaphat sur ideascommonsjosaphat@gmail.com ou visitez commonsjosaphat.wordpress.com pour plus d’informations.

Le collectif Commons Josaphat illustrera concrètement la conférence sur le commun du 16/10 au Festival des Libertés avec le sociologue Christian Laval (auteur avec Pierre Dardot de Commun. Essai sur la révolution du XXIe siècle (2014). Le 18/10 de 17h à 19h, atelier du collectif sur les biens communs.

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Par Mathieu BIETLOT Bruxelles Laïque Echos

DESOBEIR S’il faut suivre les règles communes élaborées de manière légitime, s’il faut obéir aux principes fondamentaux, s’il faut s’astreindre à une certaine discipline pour construire un monde plus juste (lire “Obéir”, en p. 4), cette construction passe aussi par la remise en question de toutes les sources d’injustice, par la capacité de révolte et la désobéissance à certains ordres dangereux, absurdes ou obsolètes.

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n démocratie, les règles qui régissent la vie en société ne sont point éternelles ni immuables. Elles évoluent avec l’histoire et l’histoire est écrite à mille mains, souvent dans la cacophonie et les bras de fer, par l’ensemble des humains qui compose la société. La dynamique démocratique est censée permettre cette adaptation et une réécriture régulière du contrat social en fonction des circonstances qui se modifient (contexte international, transformation de l’environnement, conditions matérielles…) mais également de la population dont la composition, les mœurs et les attentes évoluent. On sait cependant que l’inertie des institutions penche vers leur perpétuation et que les détenteurs du pouvoir ont tendance à tout faire pour s’y maintenir voire pour accroître leurs prérogatives en oubliant le mandat qui les légitiment. C’est pourquoi cette dynamique a souvent besoin d’être stimulée, voire réveillée, par des empêcheurs de penser en rond, des innovateurs sociaux, des contestataires, des leveurs de tabous… bref des désobéissants1.

Eve, l’histoire humaine commence d’ailleurs par un acte de désobéissance. La capacité de désobéissance est également essentielle à la démarche de la pensée. Selon la célèbre définition du libre examen par Henri Poincaré, la “pensée ne doit jamais se soumettre, ni à un dogme, ni à un parti, ni à une passion, ni à un intérêt, ni à une idée préconçue, ni à quoi que ce soit, si ce n’est aux faits eux-mêmes, parce que, pour elle, se soumettre, ce serait cesser d’être”. La science, la philosophie et la pensée en général ont fait des bonds en avant grâce à ceux qui ont eu l’audace de désobéir aux préceptes, aux paradigmes et à la pensée unique de leur époque. Aujourd’hui plus que jamais, face aux nombreuses impasses (écologiques, économiques, démocratiques, sanitaires…) dans lesquelles se fourvoie le monde contemporain, il s’avère indispensable de sortir des autoroutes de pensée, de réfléchir à contre-courant et d’ouvrir les imaginaires pour inventer de nouvelles réponses aux défis qui nous assaillent. Dès lors que la politique ne se réduit pas

Les vertus de la désobéissance à la gestion et au maintien de l’ordre étaD’Antigone à Mandela, de tous temps, des désobéissants ont fait progresser la démocratie et les droits humains. La désobéissance fait partie des fondements de l’éthique dès lors que celle-ci n’existerait pas sans la capacité humaine de dire non à l’inacceptable, de refuser ce qui bafoue la dignité. L’homme pourrait-il être défini comme un être conscient et libre s’il ne possédait cette puissance de refus ? Dans nombre de mythes fondateurs comme ceux de Prométhée ou d’Adam et

bli, le refus inconditionnel de l’injustice peut aussi être posé comme point de départ, premier pas, de toute politique. Une politique qui se définit alors comme l’action organisée pour engendrer l’égalité et l’émancipation là où la nature ou la force des choses avaient établi l’inégalité et l’aliénation.

Les conditions de la désobéissance Toute désobéissance n’est pas pour au-

tant éthique, heuristique ou politique, loin de là… On peut désobéir gratuitement, vénalement, par incivisme, par provocation ou dénigrement à l’égard de l’autorité, par perversion ou goût de la transgression… Il convient donc de cerner les différentes formes de désobéissance et de favoriser celles qui contribuent au progrès de l’éthique et de la justice, de la pensée et de la science, des libertés et de l’égalité. Pour ce faire, une série de questions et de critères sont à poser. Tout d’abord, on spécifiera à quoi désobéit-on : à la déclaration des droits de l’Homme, à une loi, à un ordre émis par une autorité publique, aux exigences des institutions financières, à un contrat de travail ou de mariage, à un supérieur hiérarchique, à un professeur, à ses parents, à la bienséance, à sa conscience… Ensuite, on se demandera au nom de quoi désobéit-on, autrement dit à quoi obéit-on quand on désobéit : par intérêt personnel, au nom de valeurs éthiques ou religieuses, en raison de principes ou d’un projet politiques, voire au nom de la loi… De fait, certains actes de désobéissance ne visent qu’à réaffirmer l’esprit de la loi contre sa lettre qui le pervertit et parfois même sans remettre en question la lettre de la loi mais seulement son application dans une situation précise (brûler un feu rouge pour éviter un accident). On mesurera aussi jusqu’où va la désobéissance, quel est son degré de radicalité. Est-elle négative (refuser de faire ce qui est obligatoire) ou positive (faire ce qui est interdit) ? Est-elle directe (désobéir à la règle qui pose problème) ou indirecte (entraver la circulation pour contester une législation autre que le code de la route) ? On dira qu’elle est passive dès lors qu’elle

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se limite au refus de coopérer ou de servir ; sournoise là où elle ruse avec la règle sans s’assumer comme désobéissance ; active quand elle conteste ouvertement l’autorité ; provocatrice si elle pousse l’oppresseur à commettre des actes violents au grand jour afin d’alerter les médias et la population2 ; subversive lorsqu’elle sabote les ordres en vue de l’effondrement de l’autorité3. L’attention se portera encore sur les modalités de la désobéissance : individuelle ou collective, spontanée ou préméditée et organisée, ponctuelle ou systématique, violente ou pacifique, secrète, discrète ou publique, annoncée ou revendiquée après coup, assumée uniquement pour soi-même ou avec une volonté de prosélytisme, conséquente en cas de poursuite ou non ? Enfin, il importe de savoir en vue de quoi désobéit-on : pour maximiser son intérêt ou son plaisir, pour éviter les cas de conscience, pour se faire entendre, pour témoigner et alerter, pour protester et dénoncer, pour empêcher une injustice ponctuelle, pour défendre une cause individuelle ou collective (corporatiste ou d’intérêt général), pour faire évoluer la loi, pour faire la révolution… Tous ces critères doivent évidemment s’articuler de manière cohérente. Le degré de radicalité et les modalités de la désobéissance dépendent des motifs invoqués et des finalités poursuivies. Si un acte de désobéissance se veut éthique, ses modalités doivent respecter les valeurs défendues. S’il se dit politique, il doit forcément avoir une visée collective et être revendiqué. S’il se pratique au nom de la justice, il doit veiller à la proportionnalité entre les conséquences de la désobéissance et la gravité de l’injustice dénoncée. Si l’on ad-

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hère au cadre démocratique, la désobéissance doit être choisie comme solution de dernier recours, lorsqu’ont été épuisées toutes les autres voies de contestation, de dénonciation des injustices ou de modification de la loi. C’est en croisant ces critères que se définissent les trois formes les plus connues de la désobéissance politique, sans que cela ne nous empêche d’en inventer d’autres. L’objection de conscience est individuelle, motivée par des valeurs éthiques ou religieuses fortes, négative, directe, passive et non violente, discrète si elle vise à éviter un cas de conscience ou publique si elle cherche à affirmer ces valeurs. La désobéissance civile répond à des principes politiques et démocratiques, est souvent positive, directe ou indirecte, active ou provocatrice, revendiquée et conséquente en vue de faire évoluer la loi au nom de l’intérêt général. L’insurrection se justifie lorsque les pouvoirs en place ne respectent pas les principes pour lesquels ils ont été institués, elle est collective, positive, subversive, spontanée, souvent violente, revendiquée après coup, en vue d’instaurer un nouveau système politique plus respectueux de l’intérêt général. Bien qu’aujourd’hui, il y ait matière à désobéir sur de nombreux terrains, la désobéissance doit demeurer exceptionnelle dans un État de droit démocratique. L’ériger en principe systématique, permanent, serait un paradoxe : faire de la désobéissance la loi. Elle vise à bousculer la règle pour en faire advenir une autre, plus juste, et non à détruire toute règle. Même les anarchistes n’y prétendent guère : l’anarchie n’est pas la désobéissance généralisée,

encore moins la loi de la jungle à laquelle aspire l’élite économique, mais l’abolition de toute obéissance à des autorités illégitimes ou à des règles injustes. Il est tout aussi paradoxal de vouloir légiférer au sujet de la désobéissance afin de définir, sur base des critères évoqués ci-dessus, quelles sont les désobéissances autorisées et celles qui sont condamnables. Il existe cependant une importante doctrine et une jurisprudence en la matière que les juges, les législateurs et la société civile devraient davantage prendre en compte pour permettre à notre société d’évoluer vers toujours plus de justice. Même l’insurrection a été prévue par certains textes constitutifs comme la Déclaration d’Indépendance américaine du 4 juillet 1776, toujours d’application, ou la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1793, remplacée depuis par des textes plus timorés. S’il n’est pas cohérent, ni de permettre, ni de souhaiter, ni d’imposer la désobéissance systématique et continuelle, des moments ou processus d’interrogation de la légitimité des règles et des autorités devraient avoir lieu de manière régulière afin d’éviter l’endormissement ou le dévoiement démocratique. En ce sens, la désobéissance fait évoluer la démocratie et en constitue donc une composante, un ressort, un rouage important plutôt qu’un grain de sable dans l’engrenage ou un caillou dans la chaussure. La désobéissance est souvent l’expression, soit d’une certaine “avant-garde” éclairée, soit des groupes les plus défavorisés ou marginalisés. A ce titre, elle joue donc aussi un rôle d’indicateur social. Elle peut servir de soupape à des gens déçus qui, sans elle, pourraient être portés à se

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radicaliser au mauvais sens du terme4, à agir plus violement et moins démocratiquement. Toute la question est de savoir comment passe-t-on de la frustration à l’indignation, de l’indignation au refus, du refus à la désobéissance et de la désobéissance à la justice restaurée ?

Les entraves à la désobéissance Dans le monde en crise d’aujourd’hui, se multiplient les motifs de remise en question des systèmes et de désobéissance à certaines lois qui bafouent les droits humains, enveniment la cohésion sociale ou détruisent la planète. Pourtant, nous nageons en pleine épidémie d’obéissance5, de résignation et de “capitulisme”. Tout indique que notre monde va droit dans le mur et nous semblons y courir tête baissée… Alors qu’une minorité de citoyens se radicalise face à la crise et la répression, conteste de manière de plus en plus active et désobéissante, la majorité semble s’assoupir et abdiquer. Quoique, à bien y regarder, elle n’est peut-être pas totalement soumise et résignée. Critique et consciente des impasses actuelles, elle se situe dans un entre-deux – confortable ou inconfortable, en tout cas un compromis peu fructueux, impuissant – où la soumission n’est pas totale – elle s’accommode de petits arrangements avec la règle, elle triche de temps à autre – mais où la révolte paraît trop risquée et se limite à quelques protestations sans portée. Pourquoi n’assistons-nous pas à davantage de désobéissance et de rébellion ? C’est que la même logique de crise justifie des pouvoirs spéciaux ou d’exception

ne supportant pas la moindre remise en question et habilités, au nom de l’état d’urgence, à réprimer démesurément toute forme de contestation et de désobéissance. Soulignons la manière dont cette main de fer sécuritaire, avec ses retours de répression décomplexée, se couple avec la main invisible du néolibéralisme qui, par ses techniques de séduction et de despotisme doux, amène les individus à faire ce qu’on attend d’eux sans contrainte : au nom de leur liberté, en vue de leur jouissance et parce qu’ils le valent bien… Ces formes insidieuses d’intériorisation des contraintes, de normalisation biopolitique (Foucault) ou de violence symbolique (Bourdieu) ne relèvent pas d’une théorie du complot. Elles procèdent d’enchevêtrements de pouvoirs de domination, de reproduction sociale et d’assujettissement qui ne forment pas forcément une totalité cohérente et concertée. Ces sources de domination hétérogènes fonctionnent aussi bien à l’échelle globale de la finance internationale qu’à l’échelle locale des rapports de pouvoir personnalisés. À travers l’école, les routines professionnelles, les médias, la culture et la consommation de masse, les acteurs sociaux sont amenés à intérioriser les valeurs et les aspirations au nom desquelles ils sont aliénés et ainsi à soutenir les systèmes qui bafouent leurs droits. Si l’étymologie latine dérive “obéir” de “prêter l’oreille à”, il vaut la peine de se demander à qui prêtons-nous davantage l’oreille dans notre quotidien ? D’autres facteurs favorisent encore la soumission des citoyens : l’inertie des individus et des sociétés, la tendance au conformisme, les effets de modes, le poids des habitudes, la peur du changement et

de l’inconnu, le dogme néolibéral selon lequel il n’y aurait pas d’alternative… “Ainsi la première raison de la servitude volontaire, c’est la coutume”, déplorait déjà La Boétie au XVIe siècle, dans son célèbre discours sur La servitude volontaire. Il se demandait comment les plus faibles qui sont les plus nombreux acceptent si passivement un pouvoir et des lois qui ne les favorisent pas et que seule une infime minorité est prête à défendre. Il estimait que le pouvoir du Prince ne s’imposait qu’en raison de la soumission de la population. Il suffirait, pensait La Boétie, aux milliers de sujets du Prince (aujourd’hui les 99%) de ne plus servir, de refuser d’obéir sans pour autant faire la révolution, pour que le pouvoir d’“un seul” (aujourd’hui des 1%) s’effondre de lui-même6. Les choses sont un peu plus complexes, en raison du pouvoir de répression des tyrans et de leurs ruses pour abêtir ou endormir leurs sujets évoqués ici et que pointait déjà l’ami de Montaigne, mais ses réflexions méritent d’être remises au goût et aux enjeux du jour. Cf. le dossier de Bruxelles Laïque Echos n°84 :“Contester est un droit” (1er trimestre2014.) Telle que la pratiquait Martin Luther King. 3 C f. Comité invisible, L’insurrection qui vient, La Fabrique, 2007. 4 Dans le vrai sens du terme, être radical ou se radicaliser signifie aller à la racine, s’occuper du principe premier des choses, avoir une action décisive sur les causes profondes d’un phénomène, aller jusqu’au bout de chacune des conséquences impliquées par un choix, être complet et cohérent. 5 Cf. Pierangelo Di Vittorio, conférence multimédia : Libres de ne pas être libres, pourquoi sommes-nous devenus si obéissants ? Venez également découvrir la nouvelle performance du collectif Action30 auquel participe Di Vittorio : “Nage, nage petit poisson”, le 18 octobre au Festival des Libertés. 6 “ Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez, ni l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé la base, de son poids même s’effondrer et se rompre.” (Etienne de La Boétie, La servitude volontaire, Arlea (poche), 2007, p. 20)

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Par Manuel CERVERA-MARZAL

doctorant en science politique à l’Université Paris-Diderot et à l’Université Libre de Bruxelles

A qui la démocratie ? Professionnels de la politique et désobéissants civils Pour commencer, entendons-nous sur les mots. La démocratie est aujourd’hui définie comme un régime politique dans lequel l’Etat de droit garantit les libertés individuelles de ses sujets et où des représentants élus au suffrage universel exercent le pouvoir. Dans ces conditions, la convocation régulière d’élections libres et non faussées est perçue comme la preuve ultime du fait que nous vivons effectivement sous un régime démocratique.

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ans ce régime, députés et ministres occupent les fonctions législatives et gouvernementales. En allant voter, les citoyens sont invités à se décharger de ces tâches politiques sur les représentants de leur choix. Après avoir rempli notre “devoir citoyen”, nous pouvons ainsi vaquer librement à nos occupations personnelles pendant que les professionnels de la politique s’occupent pour nous, et dans notre intérêt, de gérer les affaires publiques. Notre régime politique est fondé sur l’idée que les élus sont plus “compétents” que le reste de la population. Elire, c’est choisir. C’est partir du principe que tous les citoyens ne peuvent pas exercer le pouvoir. C’est considérer que le peuple doit se donner des dirigeants car il n’est pas question qu’il se gouverne lui-même. Trop émotif, trop instable ou pas assez qualifié, le peuple doit être tenu éloigné du pouvoir. Il peut consentir au pouvoir de ses élus, mais non l’exercer directement. Seul lui est concédé le droit de départager les dirigeants en glissant un bulletin de vote en faveur de ceux qui emportent sa préférence. Ces “heureux élus” sont couramment nommés “hommes politiques”, comme si le reste des hommes (et des femmes !) ne l’était pas… La façade démocratique de nos régimes politiques se fissure progressivement. Derrière les élections se profile moins le pouvoir du peuple (ce qui est la définition de la démocratie) que celui d’élites politiques. Les Indignés espagnols dénoncèrent d’ailleurs récemment la mascarade, en exigeant que s’en aillent tous les politiciens

professionnels (Que se vayan todos !) et qu’on instaure à la place une véritable démocratie (Democracia real ya !).

chands accessibles gratuitement et sans autres limites que celles que chacun désire se fixer.

Tendons l’oreille vers les occupants de la Puerta del Sol et de la Plaça Espanya, aujourd’hui pour beaucoup regroupés dans la prometteuse expérience de Podemos, grâce à laquelle des milliers de citoyens se réapproprient l’activité politique qui leur avait longtemps été confisquée. Que nous disent-ils ?

Comprise ainsi, on mesure la distance qui nous sépare d’une véritable démocratie. Le régime politique actuel mériterait à cet égard d’être renommé d’une façon qui corresponde davantage à son contenu réel. Parler d’“oligarchies libérales” ou d’“Etats de droit oligarchiques” serait plus approprié. L’oligarchie désigne une situation dans laquelle le pouvoir est exercé par des élites, des oligoi, en grec. C’est précisément le cas de nos régimes, où ces élites se regroupent au sein des partis politiques institutionnels et où, par collusion d’intérêts, elles défendent les privilèges des élites économiques, médiatiques, militaires, culturelles et sportives.

D’abord, que la politique n’est pas la chasse gardée d’élites professionnelles. Elle nous concerne toutes et tous. Elle est une affaire collective, à laquelle l’ensemble des citoyens est invité à prendre part. Une démocratie digne de ce nom suppose que le peuple se réunisse partout en assemblées, au niveau de son quartier, de son lieu d’études, de son lieu de travail. Les décisions doivent être prises par celles et ceux dont elles impactent les vies, et non par ceux qui se prélassent sur les bancs douillets du Parlement ni par leurs amis du business qui nous licencient à tour de bras, nous expulsent de nos logements, nous privent de l’accès aux besoins sanitaires élémentaires et détruisent méthodiquement les services publics de l’éducation et de la culture. La démocratie exige donc que les lois soient élaborées par ceux à qui elles s’appliquent et non par ceux qui, pour la grande majorité, vivent au-dessus d’elles. Elle exige que la production de richesses soit contrôlée par ceux qui travaillent et non par ceux qui s’enrichissent à la sueur de nos fronts. Que l’école, la santé et la culture redeviennent des biens non mar-

Mais retirer à notre régime politique le droit de se présenter comme “démocratique” ne suffit pas. En se déclarant elle aussi “démocratique”, notre société opère un même abus de langage. Sous prétexte que nous naissons “libres et égaux en droit”, nous serions en démocratie. Mais nous ne naissons absolument pas égaux. Et, tout au long de notre vie, nous ne le sommes pas davantage. Selon que nous sommes hommes ou femmes, “blancs” ou “de couleur”, riches ou pauvres, belges ou étrangers, vieux ou jeunes, bien portants ou handicapés, nos vies respectives sont sans commune mesure. Les inégalités de richesse s’accroissent de jour en jour. Les cures d’austérité et le remboursement de la dette publique accomplissent un fantastique transfert d’argent des plus démunis vers les mieux lotis. Le chômage des jeunes explose un peu partout. L’exploi-

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tation par les hommes du travail domestique effectué par les femmes perdure. Les travailleurs sans-papiers corvéables à merci sont payés une bouchée de pain puis honteusement renvoyés à l’autre bout du monde. Le cortège d’inégalités imposé par notre société est sans fin. Les hommes ne naissent ni ne vivent égaux en droit. Sur le papier, peut-être. Sur le terrain, sûrement pas. Pas plus que nous ne sommes égaux, nous ne sommes “libres”. Tant que nous ne nous serons pas débarrassés de ces gouvernements qui nous promettent monts et merveilles, nous resterons à l’état de servitude. Oh, certes, pas la servitude des esclaves, ni celle des serfs. Mais la servitude du “représenté” par rapport à son “représentant”, cette condition du sujet gouverné. A ce propos, la fameuse citation de Pierre-Joseph Proudhon reste d’une splendide actualité. Etre gouverné, écrivait-il en 1851, “c’est être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré, réglementé, parqué, endoctriné, prêché, contrôlé, estimé, apprécié, censuré, commandé, par des êtres qui n’ont ni le titre, ni la science, ni la vertu... Être gouverné, c’est être, à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, coté, cotisé, patenté, licencié, autorisé, apostillé, admonesté, empêché, réformé, redressé, corrigé. C’est, sous prétexte d’utilité publique, et au nom de l’intérêt général, être mis à contribution, exercé, rançonné, exploité, monopolisé, concussionné, pressuré, mystifié, volé ; puis, à la moindre résistance, au premier mot de plainte, réprimé, amendé, vilipendé, vexé, traqué, houspillé, assommé, désarmé, gar-

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rotté, emprisonné, fusillé, mitraillé, jugé, condamné, déporté, sacrifié, vendu, trahi, et pour comble, joué, berné, outragé, déshonoré. Voilà le gouvernement, voilà sa justice, voilà sa morale ! Et dire qu’il y a parmi nous des démocrates qui prétendent que le gouvernement a du bon ; des socialistes qui soutiennent, au nom de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité, cette ignominie ; des prolétaires, qui posent leur candidature à la présidence de la république ! Hypocrisie !”. Contrairement à ce que nous assurent les politiciens et que répètent en boucle les manuels scolaires aux petits écoliers, notre régime politique n’est pas démocratique mais oligarchique, et notre société n’est pas démocratique mais capitaliste, sexiste et raciste. Autrement dit, la démocratie n’est pas une possession dont nous jouirions présentement, mais un projet pour lequel il faut se battre si l’on espère le réaliser. Se battre, certes. Mais comment ? Quelle stratégie ? Quelles actions ? Aucune solution miracle à cette question. Mais au moins peut-on apprendre de ce que certains font déjà. Pensons ici aux nombreux désobéissants civils qui, de mille et une manières, se soulèvent contre cet ordre social et politique injuste pour lui en substituer un autre, plus humain et, en définitive, plus démocratique. Ils fauchent des épis de maïs génétiquement modifiés, protègent des personnes en situation irrégulière, bloquent des convois de déchets nucléaires, occupent le siège social des grandes multinationales, barbouillent les panneaux publicitaires qui envahissent nos paysages, etc. Ces militants allient

non-violence et radicalité. Conscients que la force des puissants tient surtout à notre passivité et à notre résignation, ils passent à l’action contre les lois injustes et les politiques inhumaines. Les autorités publiques ne manquent pas d’assimiler ces trouble-fêtes à de dangereux délinquants. En faisant passer le militantisme progressiste pour des actes terroristes, elles jettent le discrédit sur ces combats. La stratégie est vieille comme le monde : criminaliser les mouvements sociaux pour les réprimer plus facilement et leur attirer les foudres de l’opinion publique. Mais l’opinion, justement, ne s’y trompe pas. Elle sait distinguer les vrais défenseurs de la démocratie de ses fossoyeurs. Plus des deux tiers des Européens considèrent que les politiciens sont corrompus. A peu près autant qu’ils sont incompétents. Et même si les citoyens sont encore peu nombreux à franchir le cap de l’action collective, la majorité d’entre eux reconnaît que, face à un ordre injuste, il faut savoir désobéir. La désobéissance civile est intimement liée au projet démocratique. D’abord parce que ce projet est justement devant nous et que la désobéissance à ce qui y fait obstacle peut nous aider à nous en rapprocher. Mais aussi et surtout parce que, même dans l’hypothèse victorieuse où nous remplacerions les oligarchies libérales par de véritables régimes démocratiques, il faudrait encore être capable de désobéir. Car la démocratie n’est pas uniquement un régime politique. Elle n’est pas un ensemble de lois fixées définitivement et auxquelles il faudrait inconditionnellement se soumettre. La démocratie n’est pas l’ordre

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idéal ni l’obéissance aveugle à cet ordre. Elle est une dynamique perpétuelle, un mouvement sans fin. Il n’est de démocratie que sous forme de démocratisation. De sorte que, lorsque la démocratie n’avance pas, elle recule. Elle ne connaît pas d’état stationnaire. Or désobéir permet d’avancer. Désobéir met en question les anciennes lois afin d’en instituer de nouvelles. Evidemment, la désobéissance n’est pas l’antiobéissance. Il ne s’agit pas de transgresser toutes les lois, tout le temps. Ni de révoquer chaque matin les décisions que nous avions prises la veille. La désobéissance ne cède pas à cette frénésie destructrice. Elle sait que, pour être vivable, le monde doit se doter d’un minimum de stabilité. Désobéir ne procède donc pas d’une compulsion au changement mais d’une réflexion lucide sur la validité des lois en vigueur, auxquelles il faut parfois obéir, et parfois pas.

le pouvoir de légiférer qui, en réalité, n’appartient qu’à notre société. La désobéissance civile reconnaît que les lois sont le produit de nos activités sociales, et de rien d’autre. Par conséquent, elle sait que, de même que nous avons fait nos lois, nous pouvons les défaire. Aucune loi n’est par principe incontestable. Aucune décision ne peut par avance échapper à la critique. Car nos lois et nos décisions ne tombent pas du ciel. Nous en sommes les seuls auteurs et, en tant que tels, nous pouvons les changer. Nous pouvons leur désobéir si le besoin s’en fait ressentir.

Rendez-vous le samedi 25/10 à 17h00 au Foyer du Théâtre National au Forum des désobéissants suivi à 20h00 d’une conférence au Studio de Jean-Marie Muller (philosophe) sur L’impératif de désobéissance. La désobéissance massive face à la tyrannie économiques sera également discutée le 24/10 à 20h30 avec Goergios Katroulagos (parlementaire européen du parti grec Syriza), Renaud Vivien et Lucile Daumas (CADTM Belgique et Maroc).

La désobéissance n’est pas non plus alter-obéissance. Il ne s’agit pas de transgresser les lois de l’Etat au nom de celles, encore plus implacables, de la “nécessité économique”, du “commandement divin” ou du “règne de l’histoire”. La désobéissance civile ne remplace pas les anciennes idoles par de nouvelles. Elle cherche au contraire à nous faire admettre cette vérité : les seules lois qui régissent notre société sont celles que notre société s’est donnée. Attribuer à la Nature humaine, à la Volonté divine, à la Vérité scientifique, aux Lois de l’histoire ou aux Impératifs économiques la source de nos lois est un leurre. C’est une façon de nous déresponsabiliser en attribuant à d’autre qu’à nous-mêmes

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Interview de Bernard DUTERME par Amaury GHIJSELINGS (Quinoa)

Directeur du CETRI - Centre tricontinental, auteur et coauteur de plusieurs ouvrages et dossiers sur la rébellion zapatiste, responsable de la Plateforme européenne d’appui à la CONAI (instance de médiation entre le gouvernement mexicain et l’EZLN entre 1995 et 1998)

La rébellion zapatiste Vingt ans d’insoumission

A l’aube de 2014, les zapatistes célébraient le vingtième anniversaire de leur soulèvement. Tout a commencé avec une armée, l’EZLN, désireuse de marcher vers la capitale pour parachever la révolution entreprise par Emiliano Zapata au début du 20e siècle. La révolution armée sera rapidement étouffée dans l’œuf par la proclamation gouvernementale d’un cessez-le-feu unilatéral. Les négociations qui suivent s’avéreront être une impasse. Dès lors, les indigènes zapatistes décideront de ne plus se soumettre aux lois de l’Etat et de s’organiser entre eux pour jeter les bases d’une société ayant pour centre le respect de leur dignité. Bernard Duterme partage avec nous son regard sur cette rébellion qui ne finit pas d’inspirer les mouvements altermondialistes. 26 ECHOS

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L’insurrection zapatiste vient de fêter ses vingt ans. Pour qualifier ce mouvement, le terme rébellion revient souvent. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? En quoi les zapatistes sont-ils des rebelles ? L’appellation “rébellion” s’est en effet imposée, au sein du mouvement zapatiste comme à l’extérieur, dans la foulée immédiate de l’insurrection indigène armée du 1er janvier 1994. Il y a certes eu dans un premier temps quelques hésitations : s’agit-il d’un soulèvement “feu de paille”, d’une révolte paysanne, d’une jacquerie ethnique, d’une guérilla révolutionnaire… ? Et, bien sûr, du côté des autorités et du pouvoir officiel mis en cause, les réactions de surprise et d’incompréhension du 1er janvier ont vite fait place à une entreprise de délégitimation de cette “bande d’inconformes”, “téléguidés par une poignée d’intellectuels démagogues, de révolutionnaires professionnels…”. Mais le terme “rébellion” a tout de même pris le dessus. Non seulement parce qu’il est apparu dès les premiers jours qu’il s’agissait bien plus que d’une manifestation spectaculaire sans lendemain, bien autre chose que d’une guérilla classique, bien moins que d’une révolution d’envergure nationale. Mais aussi parce que le terme “rébellion” – similaire en espagnol, en anglais et en français – charrie bien l’idée de dynamique contestataire, de mouvement d’insoumission, de résistance, d’insubordination et, partant, de désobéissance à un ordre établi, perçu comme injuste.

Depuis une dizaine d’années, les zapatistes se concentrent sur la construction de leur “autonomie”. Ils ont créé leurs propres gouvernements, leurs propres écoles, leurs cliniques, leurs coopératives, il existe même une justice autonome zapatiste. La constitution et les lois mexicaines s’arrêtent-elles aux frontières du Chiapas ? Aux frontières de l’Etat du Chiapas, certainement pas. Mais oui, d’une certaine façon, aux frontières de la zone d’influence zapatiste… zone fragmentée et disparate qui s’étend sur environ un tiers du Chiapas, dans sa partie orientale. Même dans les points d’ancrage fort de la rébellion, aucune des vingt-sept “Municipalités autonomes rebelles zapatistes (MAREZ)” ne peut se targuer aujourd’hui d’être à 100% zapatiste. C’est pourtant là, en effet, que les zapatistes ont construit leur propre régime d’“autonomie de fait”. A défaut de l’“autonomie légale” que les Accords de San Andrés (signés entre le gouvernement fédéral mexicain et l’Armée zapatiste de libération nationale en 1996) prévoyaient pourtant de leur octroyer, les rebelles indigènes ont décidé de bâtir leur “nouveau monde” à eux, au nez des militaires omniprésents dans la région et à la barbe des autorités et de l’Etat… desquels un “véritable” zapatiste ne doit et ne peut désormais plus rien attendre ou recevoir, sous peine de s’auto-exclure de la rébellion. L’entreprise n’est donc pas simple, mais elle a le mérite de tenter l’expérimentation sur le terrain, dans un contexte pour le moins adverse, d’un projet radicalement démocratique d’émancipation et d’affirmation sociale et culturelle, d’une volonté de redistribution et de reconnaissance.

Le dialogue avec les autorités mexicaines ne semble plus faire partie des stratégies envisageables par le mouvement zapatiste pour obtenir ce qu’ils désirent. Comment se justifie cette stratégie dans la rhétorique zapatiste ? Toujours selon eux, porte-t-elle ses fruits ? Le discours zapatiste sur cette question est tranché. Le “mal gobierno” (“le mauvais gouvernement”) et tous les partis de pouvoir (le PRI, le PAN, le PRD…) ne sont pas ou plus dignes de confiance. Echaudés par un ambitieux, mais laborieux et erratique processus de négociation (entre 1994 et 1997 dans le Chiapas, puis en 2001 au Congrès à Mexico) et “trahis” par la non-application des Accords de San Andrés, ainsi que, entretemps, par des opérations militaires ou agressions paramilitaires intermittentes, les rebelles ont renoncé à la voie – sans issue – du dialogue. Leur rapport au politique a évolué en parallèle, écartant définitivement semble-t-il toute conception du changement social “par le haut”, par le pouvoir et par l’Etat, pour privilégier désormais une conception plus autonomiste du changement, “par le bas”, hic et nunc, à travers l’autogestion. Cela étant, je garde la conviction que si demain une proposition gouvernementale de négociation, sincère et assortie du respect des conditions au dialogue formulées à l’époque par les zapatistes (démilitarisation de la zone, application des Accords de San Andrés, etc.), devait parvenir au leadership de la rébellion, elle ne serait pas nécessairement rejetée.

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Comme énoncé dans le dernier ouvrage publié par le CETRI, le zapatisme est “une rébellion qui dure1”. Est-ce parce que l’Etat s’en accommode ou est-ce parce qu’il s’avère être impuissant ? La question est très pertinente. La rébellion dure bien sûr parce qu’elle est opiniâtre et qu’en dépit de certaines défections, elle a su s’organiser, rebondir, se transformer. Les causes et conditions du soulèvement de 1994, à quelques adaptations près, sont toujours là : un modèle de développement prédateur, excluant et discriminant d’un côté et une partie de la population indigène fortement “conscientisée” de l’autre. Le “coût politique” d’une éradication militaire du zapatisme (qui logistiquement parlant ne prendrait pas deux jours) a toujours été hors de portée des gouvernements successifs. Ils ont bien essayé de décapiter la rébellion, en 1995 notamment, mais en vain. A donc prévalu et prévaut toujours une stratégie de pourrissement de la situation, de “guerre de basse intensité” – harcèlement, exacerbation des conflits entre communautés indigènes, paramilitarisation… –, le tout accompagné de forts investissements assistanciels dans les villages non zapatistes, et émaillé de temps à autre de déclarations conciliantes à l’égard des rebelles… Bref, le pouvoir mexicain, incapable de répondre aux attentes légitimes de la rébellion ou, à l’inverse, de la balayer du revers de la main, ne s’en accommode pas pour autant. Le travail de sape prend du temps, mais comme le zapatisme ne représente plus aujourd’hui la menace symbolique ou politique qu’il a été, on semble “faire avec”.

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En Europe, les zapatistes font beaucoup parler d’eux pour toutes les innovations qu’ils ont apportées en matière de luttes sociales. Je pense à l’originalité de leur communication, à la convergence qu’ils ont créée entre des enjeux jusque-là dissociés (luttes identitaires indigènes, féminisme, luttes sociales, etc.) ou encore à leur relation par rapport au pouvoir. Sont-ils les seuls à pouvoir inspirer les mouvements sociaux européens dans leur (perpétuelle) quête de renouveau ? Les rebelles du Chiapas ont beaucoup fait parler d’eux en Europe en effet, mais comme le sous-commandant Marcos le déplorait lui-même il y a déjà quelques années : “les zapatistes sont passés de mode”. La figure énigmatique de Marcos, dans le rôle d’interprète imaginatif de cette rébellion indigène, constitue d’ailleurs l’un des principaux facteurs explicatifs de cette résonance internationale – voire “intergalactique” pour reprendre sa propre formule – du zapatisme. D’autres luttes indigènes ont secoué et secouent encore le continent latino, des luttes pas moins intéressantes et tout aussi légitimes, mais souvent moins en vue que ne l’ont été les “encagoulés du Chiapas”. Cela dit, le concept de “buen vivir” porté aujourd’hui par les dynamiques indiennes d’Équateur, de Bolivie et d’ailleurs fait aussi écho de ce côté-ci de l’Atlantique. Au Guatemala notamment, des manifestations de paysans mayas, mobilisées sur l’idée d’un développement respectueux de la “Terre Mère” et fondé sur d’autres indicateurs que les taux d’extraction minière, d’exportation et de croissance économique, se sont fait lourdement réprimer ces derniers mois.

Parallèlement aux mouvements sociaux, il semble que les Etats d’Amérique Centrale soient confrontés à bien d’autres formes de désobéissance. Je pense aux patrouilles d’autodéfense au Mexique, aux zones péri-urbaines contrôlées par les maras, aux zones rurales aux mains de narcotrafiquants, ou encore dans un autre registre, je songe au travail non formel qui existe de part en part de la région. Peut-on véritablement parler d’Etat de Droit dans cette région du monde lorsque la désobéissance semble devenir la règle et l’obéissance l’exception ? Les luttes émancipatrices et démocratiques, pour la justice sociale et la reconnaissance des diversités culturelles, n’ont effectivement pas le monopole de la “désobéissance” en Amérique latine, et encore moins en Amérique centrale où, dans des pays comme le Honduras et le Guatemala par exemple, la criminalité et les zones de non-droit atteignent des dimensions insoutenables. La sociologie des mouvements sociaux anglo-saxonne parle à cet égard d’“uncivil movements”. Si le continent reste bien celui de l’ébullition sociale et des inégalités record, plusieurs observateurs ont diagnostiqué ces dernières années un certain reflux des luttes collectives, parfois suite au “virage à gauche” des pouvoirs nationaux, mais, plus globalement, en raison de contextes sociétaux et culturels toujours plus libéralisés, atomisés, consuméristes… dans lesquels les groupes rebelles “organisés” sont plus que jamais minoritaires au sein de leur propre milieu social et les grandes “mobilisations populaires” moins que jamais contestataires ou progressistes. Au Mexique et en Amérique centrale, les

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hausses du secteur informel, du pentecôtisme, de la violence urbaine, du narcotrafic… pour ne citer en vrac que quelques phénomènes massifs, constituent de facto des réalités sociales bien plus prégnantes que la “petite” rébellion zapatiste et autres mouvements emblématiques porteurs de nos idéaux… Duterme Bernard (Coord.), Zapatisme : la rébellion qui dure, CETRI Edition Syllepse, 2014

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Fiebre del oro, film qui retrace la lutte pour la défense de terres ancestrales confisquées dans un petit village guatémaltèque sera suivi d’une rencontre avec Alvaro Sandoval Palencia (représentant de la communauté de La Puya) et Aline Herrera (militante PBI de retour du guatemala). Tandis que les 60 ans de la révolution algérienne sera commémorée le 18/10 à 18h15 en présence de Serge Moureaux et Cécile Draps (Collectif des avocats belges du FLN), Suzy Rosendor (porteuse de valises) et Madame Luc Somerhausen-Chotteau (veuve du Chef du réseau Jeanson pour la Belgique).

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Par Cedric TOLLEY Bruxelles Laïque Echos

“The military keeps our names and personal information, as well as the legal option to order us to service. But we will not participate — in any way.”1

REFUZNIKS !

Défendre Israël : la terre, la nation et l’Etat juifs. Telles sont les bases de l’armée israélienne, nommée “Armée de défense d’Israël” (Tsva Hagana LeIsrael) et mieux connue sous le petit nom affectueux de Tsahal. Ces bases sont profondément enracinées dans toute la société israélienne. Pour ce faire, l’armée y mène notamment des missions “sociales et éducatives” et elle est très investie, via un fort contingent d’instructeurs militaires, auprès de la jeunesse, agissant dans de nombreuses structures civiles de socialisation. Elle exerce de la sorte une emprise considérable sur les consciences et sur l’idéologie de la population. C’est ainsi que cette armée jouit d’une assise sociale et d’une sympathie très importante dans la population israélienne, juive en particulier. Par ailleurs, le service militaire est obligatoire et dure un minimum de 36 mois pour les hommes et de 22 mois pour les femmes. Par l’action conjointe des “missions éducatives” et du service militaire, l’Etat se dote d’une force militaire potentielle composée d’une écrasante majorité de conscrits et de réservistes mobilisables à tout moment. Ceci associé à cela, la bienaimée Tsahal est considérée comme “l’armée du peuple”. 30 ECHOS

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es moyens de déroger à la conscription ou à l’appel de la réserve sont minces. Effectivement, comment échapper à l’armée du peuple ? L’objection de conscience qui est consacrée par le droit militaire israélien, comme dans à peu près tous les droits militaires nationaux des pays dits démocratiques, ne peut s’exercer qu’à des conditions strictes et, en particulier, jamais pour des raisons politiques ou pour des raisons d’objections dites “sélectives”. Selon les textes fournis par le gouvernement israélien, l’objection devrait être “véritablement motivée par la conscience, et non par des facteurs politiques, sociaux ou autres”. Et conscrits comme réservistes ne peuvent prétendre refuser d’exécuter un ordre s’ils sont incorporés. En clair, soit on objecte complétement soit pas du tout. Il n’est donc pas question d’accepter de servir mais de refuser de servir en Cisjordanie ou à Gaza (objection “sélective”). C’est ainsi que le comité spécial militaire des Israel Defense Forces (IDF), censé statuer sur les demandes d’objection de conscience, refusera systématiquement toute demande motivée par une objection à la politique israélienne en ce qui concerne les Palestiniens, les territoires placés sous l’autorité palestinienne et les colonies israéliennes en Palestine. Cette histoire “d’objection sélective” est en grande partie issue d’une réaction de l’armée au fait qu’avec les refuzniks le refus déborde celui systématique et presque immémorial des religieux orthodoxes de participer de quelque manière que ce soit à une entreprise militaire. Ce qu’il faut lire dans l’extrait : “véritablement motivée par

la conscience”. Invalider une objection qui serait “sélective” revient à interdire de se positionner autrement que de manière dogmatique. Pourtant, si le refus des religieux a toujours été maximaliste et suffisamment fondé sur le principe du rejet de la violence, il n’en est pour autant pas toujours apolitique. Certains groupes religieux orthodoxes vont même jusqu’à récuser purement et simplement l’existence d’un Etat juif, s’opposant à l’idéologie sioniste qui fonde l’Etat d’Israël et, se solidarisant parfois radicalement avec le peuple palestinien victime de la politique illégale d’occupation et de harcèlement menée par l’Etat d’Israël et son armée. Un objecteur disait : “Je ne voulais pas désobéir. Je ne souhaitais pas me trouver dans une telle situation. Je crois que j’aurais bien aimé ne pas en arriver là… Mais il y a des moments où l’on n’a pas d’autre choix que le refus. Ce “pas d’autre choix” constitue la dimension personnelle du refus. Ma ligne rouge n’est pas la vôtre, et inversement. Mais franchir cette ligne, c’est abdiquer votre personnalité, votre singularité, vos valeurs, et, surtout, les commandements de votre conscience. Jamais je n’aurais refusé de servir dans les territoires ; mais on m’a ordonné d’escorter et de garder pendant trois semaines des colons. Je devais conduire des fouilles corporelles sur des passants palestiniens, et éventuellement arrêter des personnes. Si j’avais fait ça, je n’aurais plus été moimême.”2 Et bien, pas question. Pourtant, ils sont de plus en plus nombreux à refuser de servir3. Conscrits comme réservistes, ils voudraient objecter à tour de bras mais, empêchés de le faire, leur

conscience morale, sociale et politique leur commande dès lors de désobéir. Or si l’objection de conscience est autorisée, la désobéissance civile est lourdement réprimée. Et ces peines sont très généralement prononcées et exécutées. C’est avec le refus de servir de Gadi Algazi en 1979 (fondateur du mouvement Ta’ayush – Vivre ensemble – aujourd’hui professeur à l’université de Tel Aviv) et le mouvement populaire contre son incarcération, que naît le mouvement des Refuzniks. Ils refusent de servir ou refusent de répondre à des ordres en désaccord avec leur conscience ou le droit international et israélien, refusent de détruire les maisons civiles, d’intervenir pour protéger les colonies et leurs habitants, de se rendre sur les terres de la Palestine occupée, de violenter, d’humilier ou de tuer des civils palestiniens… Alors, considérés tels des déserteurs, ils se voient infliger de lourdes peines de prison. Ce mouvement prend cependant de l’ampleur lors de la guerre du Liban en 2006 et devient très important à l’occasion des deux dernières agressions massives de l’armée israélienne contre la population de Gaza en 2009 et 2014. Ce qui change, avec le mouvement des refuzniks, c’est que le refus devient hautement politique et est maintenant pleinement assumé comme tel par des personnes qui posent délibérément un acte de désobéissance civile ou militaire à titre moral et politique, en en assumant toutes les conséquences. Ce qui change en 2014, c’est que les lettres de refus vont jusqu’à mettre à l’index l’acceptation du refus pour raisons strictement religieuses (objection de conscience légitimée par l’Etat). Voilà l’Etat sommé par sa jeunesse

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et par l’action des refuzniks, de reconnaître qu’une objection de conscience laïque et politique est aussi digne et légitime que l’objection de conscience morale ou religieuse. Un point d’orgue est à souligner avec la lettre de Yael Even Or et de 49 autres femmes qui, en juillet 2014, refusent d’être rappelées et incorporées : We are Israeli reservists. We refuse to serve. Elles remettent en question les fondements de l’armée, sa structure, ses principes, ses actes en même temps qu’elles fustigent radicalement la politique de l’Etat et de l’armée d’Israël à propos du peuple palestinien. Elles rejoignent ainsi, à leur tour, les combattants de la paix. Saluons, encourageons et soutenons ces justes israéliens. Face à l’horreur de la guerre et de la persécution, ce sont eux qui nous réconcilient avec l’humanité. Yael Even Or et al., We are Israeli reservists. We refuse to serve. Lettre de refus de 50 femmes réservistes http://www. washingtonpost.com/posteverything/wp/2014/07/23/weare-israeli-reservists-we-refuse-to-serve/ Traduction de la citation : “les militaires gardent nos noms et nos données personnelles, ainsi que les moyens légaux de nous obliger à servir. Mais nous ne participerons pas - en aucune façon.” 2 http://www.yeshgvul.org.il/fr/about-3/ 3 Pour faire davantage connaissance avec les refuzniks : un reportage du journal Le Monde (2009) : http://www.lemonde. fr/proche-orient/visuel/2009/02/09/refuzniks-ils-ne-veulentpas-servir-dans-l-armee-israelienne_1153063_3218.html et quelques portraits par Martin Barzilai : http://bit.ly/barzilai 1

Dans la foulée des commémorations de la première guerre mondiale, la désobéissance militaire fera l’objet d’une rencontre au Festival des libertés le 19/10 à 17h00 avec Stefanie Prezioso et Yoav Shemer-Kunz (refuznik israélien).

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SOLDAT Nous voulons tous défendre notre pays. Nous en avons tous assez du terrorisme. Nous voulons tous la paix. Mais nos actions permettent-elles de mettre un terme au cycle des violences ? Depuis 1967, Israël exerce son autorité sur 3,5 millions de Palestiniens, gouvernant leurs vies par le biais d’une occupation imposée par la force, violant continuellement leurs droits fondamentaux. Le régime d’occupation n’a fait qu’exacerber les problèmes de sécurité d’Israël ; à l’heure actuelle, il met en danger la vie de chacun de ses citoyens, la tienne incluse ! Soldat, tout dépend de toi ! Tes actions pendant ton service militaire bénéficient-elles vraiment à la sécurité nationale ou ces actions ne font-elles qu’encourager l’inimitié et les actes de violence entre nous et nos voisins palestiniens ? Tu peux faire cesser la violence Soldat : l’occupation produit le terrorisme Quand tu participes à des assassinats extrajudiciaires (à des “liquidations” selon les termes de l’armée) ; Quand tu participes à la démolition de maisons de civils ; Quand tu ouvres le feu sur une population civile non armée ou sur des maisons ; Quand tu déracines des plantations ; Quand tu bloques les approvisionnements en nourriture ou en médicaments ; Tu participes à des actions définies par les conventions internationales (comme la quatrième convention de Genève) et par la loi israélienne comme des crimes de guerre. (Tract rédigé par des refuzniks, soutenu et diffusé par le mouvement israélien Yesh Gvul.)

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Par Alice WILLOX

Bruxelles Laïque Echos

Un abri pour les vigies Dans le cadre de la campagne d’éducation permanente du Centre d’Action Laïque autour de la criminalisation de la contestation et du Festival des Libertés consacré à la désobéissance, il semblait difficile de ne pas se pencher sur la très actuelle notion de “lanceur d’alerte”. Les lanceurs d’alerte sont des citoyens qui trahissent des clauses de confidentialité ou de secret en vue de diffuser des informations qu’ils estiment devoir être révélées au grand jour. Dénonciateur, délateur, taupe, alarmiste, justicier ou lanceur d’alerte ? Que recouvre exactement cette notion ?

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la différence du terme anglo-saxon “whistleblower1”, qui concerne la dénonciation de pratiques strictement illégales, celui de lanceur d’alerte appelle plus largement à la notion d’intérêt général. Dans cette acception donc, ils peuvent être ceux qui dénoncent des pratiques dangereuses ou contraires à l’intérêt général, bien qu’elles soient parfois entourées d’un vide juridique voire tout à fait légales. C’est clairement le cas dans les récents scandales de l’industrie pharmaceutique et, de manière plus ou moins discutable selon les uns et les autres, dans les révélations ayant trait à la surveillance massive. Que l’on soit ou non convaincu du bienfondé de leurs actions, peut-on se targuer d’être démocrate sans considérer les sentinelles que sont Snowden, Assange, Manning… ? Devant les très lourdes peines qui les menacent ou sont tombées (35 ans de réclusion pour Bradley Manning2 !), on est bien obligé d’admettre que leurs actions dépassent largement leur intérêt personnel, et va même à son encontre. Là encore, la notion d’intérêt général apparaît déterminante pour dessiner les contours de ces insurrections de conscience citoyenne que mettent à jour les lanceurs d’alerte. Par ailleurs, ces cas hyper médiatisés sont aussi traités très lourdement par la justice. Tout montre que les Etats et les entreprises qui les poursuivent se font un devoir de charger sévèrement ces trublions de la démocratie, le discours empli d’une indignation qui semble feinte. N’est-il pas donc évident de penser à protéger ces lanceurs d’alerte des Etats et des entre-

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prises qui ont bien trop à perdre dans ces révélations ? Dès lors, comment favoriser une protection et un encadrement tout à la fois ? Il semble évident qu’une protection juridique, comme elle a été ébauchée, de manière imparfaite sans doute3, en France et existe dans d’autre pays, est indispensable au niveau européen. Un projet est actuellement à l’étude au Conseil des Ministres4. Il s’agirait d’un protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme, actuellement à l’étude, qui offrirait par là un véritable statut juridique. Par ailleurs, il serait sans doute judicieux d’accompagner cette protection d’une forme de prévention. Offrir une commission indépendante, qui puisse guider en termes éthiques et pratiques les dénonciateurs qui s’y présentent, pourrait, d’une part, favoriser la révélation des pratiques illégales ou illégitimes et, d’autre part, faire barrage aux dénonciations qui vont à l’encontre d’autres droits fondamentaux. On peut penser ici à la question des secrets. En effet, si des secrets d’Etats peuvent paraître plus légitimement attaquables, le secret médical semble indiscutable. Qu’en est-il dès lors du secret professionnel ? Autant de modalités à éclaircir, très probablement au fur et à mesure des réalités rencontrées.

à mesure que le monde se globalise et que les enjeux mondiaux se déclinent en faveur des oligopoles, il ne fait aucun doute que nos démocraties modernes sont tenues de protéger ceux qui aujourd’hui sacrifient leurs libertés pour défendre les nôtres5. Littéralement “qui donne le coup de sifflet” L’ancien soldat américain Bradley Manning a été reconnu coupable le 21 août 2013 de plusieurs chefs d’accusation dont celui de communication d’informations de sécurité nationale à une source non autorisée. Ce procès fait suite à ses révélations ayant trait aux raids aériens et dommages collatéraux occasionnés en Irak en 2007. 3 http://www.lemonde.fr/politique/article/2013/07/18/les-lanceurs-d-alerte-un-concept-fourre-tout_3448972_823448. html 4 Plus d’information à ce sujet lors du débat Un abri pour les vigies au Festival des Libertés, le jeudi 23 octobre à 20 heures. 5 Lire également à ce sujet l’article “Partager, c’est du vol ?” dans le numéro 84 de Bruxelles Laïque Echos : “Contester est un droit”. 1 2

Un abri pour les vigies fera l’objet d’une rencontre au Festival des Libertés le jeudi 23 octobre en présence de Ben Wizner, l’avocat d’Edward Snowden qui s’exprimera probablement au cours de la soirée. Sur toutes ces questions, voir aussi le film Les gardiens du nouveau monde, le 22 octobre.

Il est impossible de préciser les termes exacts et absolus de ce qu’un tel dispositif juridique et éthique impliquerait. Il va de soi que chaque cas est à observer, qu’il nécessite de peser le poids de l’intérêt général et des intérêts particuliers. Pourtant,

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Par Ababacar NDAW,

Bruxelles Laïque

Obéir pour apprendre désobéir

pour comprendre

La liberté n’est pas une île déserte, elle comporte autant de droits individuels accordés que de servitudes envers la société. Tout obéit à une règle, la Nature, les sociétés humaines, les hommes. Sans règle, aucune vie sociale n’est possible. Obéir à une règle, c’est avant tout en saisir le sens, c’est-à-dire l’intérêt pour soi et les autres, et choisir d’y adhérer volontairement. A bien comprendre, on obéit à un sens, on ne se soumet pas à une contrainte, on l’accepte tant qu’il y a du sens de l’accepter. On a le droit de la rejeter quand il n’est plus perçu ou compris. 35 E C H OS

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ignore les mécanismes de décision, la complexité des formes qui les expriment, des normes qui les définissent et des lois qui les établissent et imposent ? Surtout quand on est jeune, immigré, pauvre ou chômeur.

Au fond, la question ne se pose pas en termes d’obéissance ou de désobéissance, mais de savoir à quoi on obéit et à quoi on désobéit. C’est donc une question surtout de sens, de savoir, de choix et de discernement. Mais, d’un autre côté, comment distinguer et comprendre les règles dans une société où la ligne rouge est à peine visible, se déplace et se modifie sans cesse au gré des intérêts et des enjeux des élites bien-pensantes ? Comment comprendre, accepter des règles dont on

Nombreux sont ceux qui désobéissent par méconnaissance, manque de cadre, d’orientation, d’éclaircissement et simplement d’information. La règle n’est pas seulement une coercition qui peut être nécessaire parfois, c’est aussi un cadre qui permet de se structurer, d’être en cohérence avec les autres. Le sens de la liberté, c’est d’être aussi et surtout un lien avec les autres, pas uniquement ou nécessairement une rupture. Elle ne peut aller ou être sans conscience. Le tout n’est pas de poser un acte, mais de comprendre pourquoi on le pose et de pouvoir assumer la responsabilité morale ou sociale qu’il implique. Il y a du sens à obéir tout comme il peut exister des raisons légitimes de désobéir. Il me semble, cependant, que ces deux aspects de la question ne sont pas souvent équilibrés. Le sens indique

ujourd’hui, beaucoup obéissent, sans se poser de questions, quand bien même leur raison et leur conscience leur imposeraient certainement de désobéir ; tandis que d’autres désobéissent sans nécessité, par haine ou rejet naturel de la verticalité comme norme, mode ou registre de définition de rapports (genre “ni dieu, ni maître”), par tendance (être “out of control”), par esprit d’opposition ou de contre-culture, pour le plaisir de désobéir, par goût de l’insoumission et de l’irrévérence.

une direction, les choix relèvent de la liberté de conscience et du pouvoir d’agir de chacun. On ne peut vivre dans une société sans en accepter les règles et les lois qui lui permettent de structurer les rapports individuels et collectifs, bien qu’on ait le droit de les contester. C’est un choix à assumer, mais il faut surtout veiller à ne pas sortir du cadre dans lequel ce choix prend du sens et peut être défini, validé et revendiqué. Car il est parfois nécessaire d’obéir pour apprendre, tout comme il peut être nécessaire de désobéir quand on ne partage plus un sens ou parce qu’on veut chercher, savoir s’il en existe d’autres et pouvoir choisir soi-même. Obéir est une compétence, désobéir un droit, voire même un devoir quand la raison et la conscience l’exigent.

Josep Rafanell i Orra (psychologue) et Isabelle Stengers (philosophe) en discussion avec le GRAC nous embarqueront le 21/10 à 20h30 dans les interstices de la métropole à la recherche de ses “Marges de manœuvre”. Une réflexion qui pourra se prolonger au forum “D’autres mondes en chantier” autour de l’autogestion le 22/10 dès 16h30. Le 23/10 à 19h, ce sont les nœuds et ficelles du travail psycho-médico-social qui seront interrogés en présence des différents secteurs concernés.

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Les débats du

Festival des libertés 2014

[16/10] Une révolution pour le XXIe siècle ? Autour du livre de Christian Laval et Pierre Dardot sur le commun.

[22/10] D’autres mondes en chantier 4.0 Le forum des alternatives à la marchandisation interroge l’autogestion.

[17/10] Salauds de pauvres ! La mendicité et les politiques de mise à l’écart en question.

[22/10] Culture contre Camorra Refuser de se soumettre à la mafia, pas seulement en Italie.

[18/10] La révolution algérienne a 60 ans ! Avec des Belges, avocats ou porteurs de valises, qui l’ont soutenue.

[23/10] Les nœuds et les ficelles du métier Injonction et résistance paradoxales dans les métiers du social.

[18/10] Fragments hackés d’un futur qui résiste Un objet sonore non identifié en diffusion exclusive, commenté par Alain Damasio.

[23/10] Un abri pour les vigies Protéger les lanceurs d’alerte, autour d’Edward Snowden et en présence de son avocat.

[19/10] Désobéissance militaire 1914 – 2014 Avec entre autre un citoyen israélien refusant le service obligatoire.

[24/10] Ne plus servir la tyrannie économique Les diktats de la finance ne règnent que parce que nous les servons…

[19/10] Tou(te)s des grenouilles ! De l’acceptation progressive et passive de ce qui finira par nous cuire…

[25/10] Forum des désobéissants Les mille visages de la désobéissance, ses formes, ses motivations et ses conséquences.

[20/10] La peine résout-elle le trouble social ? N’y a-t-il pas d’autres manières de répondre aux écarts à la règle que la punition ?

[25/10] De la criminalité en col blanc à la corruption politique Sociologie de la délinquance des élites économiques et politiques.

[20/10] De nouvelles blouses blanches ? A quelles autorités obéiraient aujourd’hui les sujets de Milgram ?

[25/10] L’impératif de désobéissance Une conférence de Jean-Marie Muller sur la désobéissance au fil de l’histoire.

[21/10] Les marges de manœuvre Politiser les failles et agir dans les marges des métropoles.

Pour plus d’informations, consultez le programme et le site du Festival des Libertés : www.festivaldeslibertes.be Tous les débats sont gratuits, ils se déroulent au Théâtre National ou au KVS.

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Conseil d’Administration

Direction Comité de rédaction

Carlo CALDARINI Anne DEGOUIS Jean-Antoine DE MUYLDER Michel DUPONCELLE Isabelle EMMERY Bernadette FEIJT Ariane HASSID Thomas GILLET Christine MIRONCZYK Michel PETTIAUX Thierry PLASCH Johannes ROBYN Anne-Françoise TACK Myriam VERMEULEN Dominique VERMEIREN

Fabrice VAN REYMENANT

Juliette BÉGHIN Mathieu BIETLOT Mario FRISO Paola HIDALGO Sophie LEONARD Alexis MARTINET Ababacar N’DAW Cedric TOLLEY Alice WILLOX

GRAPHISME Cédric Bentz & Jérôme Baudet EDITEUR RESPONSABLE Ariane HASSID 18-20 Av. de Stalingrad - 1000 Bruxelles ABONNEMENTS La revue est envoyée gratuitement aux membres de Bruxelles Laïque. Bruxelles Laïque vous propose une formule d’abonnement de soutien pour un montant minimum de 7 euros par an à verser au compte : 068-2258764-49. Les articles signés engagent la seule responsabilité de leurs auteurs.

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La contestation

donne du sens

à la démocratie

En 2014, le Centre d’Action Laïque mène une campagne d’éducation permanente pour promouvoir le droit à la contestation comme un garde fou et un stimulant de la démocratie. Il s’inquiète d’une tendance à la criminalisation de la contestation qui vise à l’étouffer, la stigmatiser et la dissuader.

Le 18/10 à 18h, au Théâtre National, venez à la découverte d’un objet sonore non identifié “Fragments hackés d’un futur qui résiste”, témoignage exceptionnel reconstituant l’insurrection civique des habitants d’une ville privatisée, en 2034, peut, ou doit, nous faire réfléchir… Suivi d’une rencontre avec Alain Damasio (écrivain, expert en prospective), Floriane Pochon (trafiquante d’ondes improbables) et Tony Regnauld (décrypteur de sons).

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