Studio Golden Holden
Magazine gratuit lyonnais ART VISUEL — CULTURE — FICTION — FÉMINISME
Épisode 3
MAUVAI S G E N RE
PORTR AIT
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Petit lexique du genre
Éloïse Gilbert
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Interview : Friendly witches!
Cam le Mac
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Flore Maquin
Enquête : Le troisième sexe
RECET TE
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Mon dimanche avec les dragonnes
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Burger végé par Alice M.
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And the Oscar for best performance goes to...
STORI E S
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C’est la lettre de princesse Shewing-gum !
Chronique d’une dame aux faux cils
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Traité : Le féminisme et le genre
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L’objet du Désir
Toujours plus
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Female trouble
G É NÉ RIQU E
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Ils ont contribués de très près ou de plus loin à Cacti
Illustration — Victoria Dubois 2
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Girls, boys, and everything in between ! Si vous êtes attiré·e·s par la singularité, la différence et tout ce qui est fabuleux, ce nouveau numéro de Cacti est pour vous. Faire mauvais genre, ça veut dire faire mauvaise impression à vos beaux-parents, vous faire remarquer dans la rue et ne pas inspirer confiance à votre banquier. Ici, on ne cautionne pas la discrimination, mais on célèbre la différence dans toute sa splendeur et bizarrerie ! Vous êtes différents ? Montrez le, balancez des paillettes sur vos cicatrices et venez danser avec nous like nobody’s watching ! Si pour nous, le genre est une veille donnée binaire qu’il faut déconstruire, ce n’est malheureusement pas encore le cas pour tout le monde. Les codes sociaux conduits par le genre semblent bien ancrés dans notre monde, et s’en débarrasser s’avère aussi difficile que placer des faux cils après six Martini. Tenez-vous prêt·e·s ! Nous allons vous faire rencontrer une sorcière des temps modernes, des drag queens engagées, un gang de bad gurlz et plein d’autres créatures aussi passionnées qu’insolites. Les pages suivantes sont là pour vous aider à vous affranchir de ces règles pesantes, apprendre à jouer avec le (mauvais) genre, le comprendre, le tourner et retourner dans tous les sens, afin d’en faire votre nouvel allié.
Yours Truly, Claudia
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P O R T R A I T
E LO I S E G I L B E R T Eloïse en a marre qu’on pense qu’elle achète un cadeau à son frère lorsqu’elle regarde dans les rayons homme des magasins de vêtements. Elle est aussi lasse de l’uniformisation des silhouettes féminines. Alors elle a créé sa marque éponyme de prêt-à-porter unisexe ! Costumière, habilleuse et couturière, elle met à profit ses talents en créant de A à Z des vestes non genrées à taille unique. Sa démarche valorise des confections épurées dans des matériaux naturels (respect de l’environnement please), avec de la gueule ! Et comme si c’était pas assez cool, Eloïse fait des collaborations avec des artistes locaux pour mettre en valeur plusieurs savoir-faire au sein de ses créations pluridisciplinaires. Vous pourrez la retrouver bientôt au Printemps des Docks, chouette ! Et quitte à être coincée dans des embouteillages, Eloïse aimerait que ce soit avec Barack, Park Chan-wook, Beyoncé et Rei Kawakubo, avec avec lesquel·le·s elle pourra causer amélioration de l’éducation, par exemple !
@eloise_gilbert http://eloisegilbert.weebly.com Photographe — Eva Merlier Texte — Claudia Bortolino
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P O R T R A I T
CA M L E M A C Graphiste et illustratrice, Camille est une quadragénaire rieuse, maman et entrepreneuse à l’allure rock ! Munie de son stylo à porcelaine, elle redonne vie aux assiettes démodées qu’elle adore chiner. Son cabinet de curiosité est un antre chaleureux, atypique et décoré avec soin où notre curiosité est titillée. Ses assiettes revisitées sont façonnées une par une à la main, chaque collection, qu’elle soit bestiale ou rende hommage aux artistes défunts, est unique en son genre. Ses créations trouvent leurs places dans nos intérieurs, dans des marchés de créateurs, des boutiques cools et bientôt en ligne sur la Redoute… Pour son biopic, Camille casterait un mix de Louise Bourgoin et Brigitte Bardot dans son rôle et se ferait bien un bœuf aux olives avec Gilles Lelouch, ses potes et surtout, sans enfants !
@camlemacetautrescuriosites https://www.camlemac.com Photographe — Eva Merlier Texte — Claire-Marine Petit
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L E X I Q U E
PETIT lexique du genre Texte — Julien Preciado Illustration — Lucie Mouton
GENRE : Soyons concis en quelques points : 1. Le sexe et le genre sont deux notions différentes. 2. Le genre est une construction sociale et culturelle productrice d’actes performatifs. 3. En gros, tu perçois et construis et tu signifies ton genre dans ton rapport à l’autre.
SEXUALITÉ : Breaking News! Le genre & la sexualité n’ont rien à voir, profites-en !
SEXE (OU TYPE SEXUEL) : Ce sont les caractéristiques génétiques, chromosomiques ou hormonales, bref boring sauf si tu kiffais la Bio au collège.
PRIVILÈGES : Si tu es un homme blanc, hétérosexuel, cisgenre, riche, sans handicap ni maladie et que tu n’as aucune idée que ce sont des privilèges, ce CACTI s’autodétruira dans les trente secondes.
QUEER (BIZARRE EN ANGLAIS) : Cette insulte à l’origine homophobe a assez rapidement été récupérée après les émeutes de Stonewall afin de désamorcer sa violence et ôter ce mot au vocabulaire déjà très réduit des réactionnaires. Puis, dans les années 80, c’est au tour de la communauté scientifique de se l’emparer avec les Queer Studies (étude sur le genre et la sexualité). L’identité de genre Queer était nommée, pleinement consciente que le genre est un espace de possibilité avec un spectre quasi sans limites. Son aspect politique, pailleté et subversif en fait aujourd’hui, pour la communauté gay, un outil d’idéal de communication pour tout et son contraire. w i n t e r
BIOPOLITIQUE : Ton corps (avec ton genre) est politique et ce que tu fais avec et ce qu’on t’incite ou t’empêche de faire avec sont des vrais enjeux de luttes ! Et ce n’est ni nouveau ni fini.
CISGENRE & TRANSGENRE : Dans un monde ultra-binaire, deux types d’individus se côtoieraient, les cisgenres qui s’identifient à leur sexe biologique et les transgenres dont l’identité de genre est à l’opposée de leur sexe assigné. Mais… LE MONDE N’EST PAS BINAIRE : Good News everyone! Entre les Agenre, Bigenre, Trigenre, Pangenre, Gender Fluid, two-spirit, 3ème sexe et bien d’autrEs, un champ des possibles infini s’ouvre à toi ! <3
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Nos quatre modèles badass sont passés sous les optiques affutées de Loulou et les coups de pinceaux délurés de Lisa Milin & Kim Ducreux.
LOULOU Opticien révélateur Lunettes rares, exclusives et résolument modernes. @loulouopticiens loulouopticiens.fr
LISA MILIN Peau qui brille & style minimaliste
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@lisamilinmakeup
KIM DUCREUX Cils scandaleux & monochromes lumineux.
lisamilin.book.fr
kim-rose.com
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Cette peste que vous détestiez au collège, devenue organisatrice de dressing pour les «stars». Une Frida Kahlo révoltée des temps modernes, qui se présente aux municipales. Votre nouvelle maîtresse incorrigible à barbe, avec un penchant pour le Martini de 4h. Un loubard à la recherche d’un gang à rejoindre, après s’être fait virer de chez sa mère.
RENCONTREZ VOS NOUVEAUX BFF !
Direction Artistique — Claudia Bortolino Photographe + post-production — Marion Ains Pattern design — Lucie Mouton w i n t e r
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BY LÉA FOTI @leacarole Make up — Lisa Milin Lunettes — Ahlem 10
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BY LIZA BLANCHARD
Make up — Kim Ducreux Lunettes — Kaleos w i n t e r
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BY ROMAIN GIRAUD @fifiducalvaire Make up — Kim Ducreux Lunettes — Kaleos 12
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Make up — Lisa Milin Lunettes — Kaleos w i n t e r
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Friendly witches ! Texte — Clémentine Pons Illustration — Victoria Dubois
Dans l’océan d’informations relatives à la sorcellerie, il est vite fait de se perdre. Les livres, blogs, chaines, comptes instagram et autres sites web dédiés fourmillent et se multiplient, lui donnant pourtant une nouvelle impulsion. Je suis donc allée à la rencontre de deux jeunes lyonnaises qui pratiquent le tarot et la sorcellerie. Toutes deux se questionnent sur le genre et la sexualité dans la société et dans leurs pratiques. Laurie et Lilith ont accepté de répondre à mes questions, même les plus naïves. Mon entretien avec Laurie a été édifiant mais restera privé.
Tu te dis sorcière. Peux-tu m’en dire plus ? Lilith : Je vais commencer par expliquer mon vocabulaire : pour parler de moi, j’utilise sans problème le mot sorcière, néanmoins pour parler des gens qui pratiquent la magie, j’utilise le mot «witch» parce qu’il va au-delà des genres. C’est un mot neutre. Je me définis comme une jewitch (jew + witch). Je suis également une sorcière moderne, connectée (@lilith. tarot). J’ai écrit un ebook qui s’appelle Emoji Spells : jeter des sorts avec son téléphone portable, c’est quand même hyper cool ! En France, ça a l’air de gêner qu’on puisse avoir une foi abrahamique et qu’on se dise witch. Je suis une sorcière inclusive : dans mon groupe Facebook, on trouve des witches de toutes origines religieuses, sociales, de tous genres. J’ai même des witches laïques, qui n’ont aucun dieu, 14
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ou des witches sceptiques qui ne croient pas à l’efficacité des sorts. La sorcellerie aujourd’hui c’est quoi ? Je dirais que c’est un peu de tout : des cultures, des horizons différents, le respect de soi et des autres, un outil de développement personnel, une aide psychologique, un lien entre les gens, c’est la tradition qui rencontre la modernité. C’est aussi ce qui dérange la société. De manière plus prosaïque : tout ce qui propose une alternative au monde actuel. Le féminisme, les personnes transgenres, non-binaires, les militant·e·s. C’est aussi les vegan, les partisan·ne·s de la décroissance. C’est s’assumer, casser les moules dans lesquels on veut nous faire rentrer. Le tarot semble travailler autour d’une vision très essentialiste du féminisme. G E N R E
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Toi qui tire les cartes, qu’en pensestu ? Pour moi le tarot est un outil de connaissance de soi avant tout. Il te dit et tu es libre d’agir ou de ne rien faire. Le tarot m’a aidée à me retrouver, à m’assumer, à sortir de la dépression... Il ne faut pas le prendre comme un art littéral. Ici, on parle de symboles et d’archétypes. Sur la carte, tu auras un homme ou une femme certes, mais ça évoque plus des concepts spirituels que juste le fait d’avoir une bite ou une chatte. Il y a des jeux qui remplacent les pages par des princesses ou encore le Bad Bitches tarot qui ne fait figurer que des femmes mais les mots masculins restent. Ces archétypes mâles et femelles, nous les incarnons tous·tes.
«Il faut s’affranchir des livres de tarot à la Mme Irma et des significations cartomantiques hyper limitantes, sexuées.»
Mais je comprends complètement le besoin de représentation : le Slow Holler tarot est un mélange oracle/ tarot queer, il y a des tarots où les personnages sont racisés... C’est cool cette évolution ! Ce qui me dérange plus, c’est les courants spirituels très essentialistes justement : les stages pour se connecter avec la Lune via les règles, les personnes qui se stressent parce que leur cycle n’est pas régulier et à qui on dit qu’elles ne sont pas liées au féminin sacré, les personnes qui disent que La Fâme enfante... Je pense que les femmes ménopausées, stériles ou trans sont ravies d’entendre ça ! Et le rapport entre sorcellerie et sexualité… ? Les deux peuvent être liés et ritualisés, mais je pense qu’il ne faut pas à tout prix vouloir sexualiser la magie. Dans mon groupe, j’ai des witches asexuel·le·s par exemples. Personnellement, je trouve la magie sexuelle très efficace et très agréable à pratiquer aussi ! La sorcière, c’est la femme impure et tentatrice pour beaucoup. Il y a beaucoup de Lilith, la première compagne d’Adam, dans l’image de la sorcière : une femme indépendante qui refuse de se soumettre sexuellement à son compagnon et qui se fait chasser.
Je ne voulais pas parler de «grand retour des sorcières», elles ne sont jamais parties. Je voulais comprendre ce qui fait qu’une sorcière aujourd’hui est une sorcière. Ce qui fait qu’un mot tout entier dit ce qu’elle est. Je voulais aussi savoir ce qu’une sorcière pense de tout ça, puisque c’est finalement ce qui compte vraiment. Une sorcière elle-seule peut définir sa propre pratique et ses propres croyances. La sorcellerie est qualifiée d’ «obscure» et de «sombre». Finalement, en ces deux jeunes femmes je n’ai senti que tolérance et questionnements légitimes sur elles-mêmes et sur les autres. En ces deux jeunes femmes je n’ai vu que lumière. w i n t e r
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TROISIEME SEXE En q u ê te Enquête — Camille Dochez avec la participation de Margot Petro
Nombreuses sont les pressions du monde, que ce soit envers les femmes ou les hommes. Qu’il s’agisse de sourire, bander, se tenir se tenir droit·e, ne pas pleurer, ne pas être vulgaire… Autant d’interdits qu’on nous impose pour rentrer dans une «arnaque du genre», des mensonges sur ce que c’est d’être «une vraie femme» ou «un homme, un vrai». Et nous chez Cacti, on en a ras le cul qu’on nous demande de parler moins fort, alors on a décidé de mener notre enquête.
Nous avons demandé à une quarantaine de personnes, d’âges, de métiers, de milieux et de sexualités différentes de répondre à un questionnaire sur leur vie ; leur comportement sexuel, leur dimanche, leur style vestimentaire ou encore l’image qu’ils ont de la personne idéale. Une fois cette première étape passée, nous leur avons demandé de refaire le même questionnaire, mais dans le sexe biologiquement opposé au leur. Et puis, on a eu des surprises, les hommes se sont pris au jeu le temps d’un instant, être une femme, qu’est ce que ça implique ? On a quoi comme pression sur les épaules quand on est un homme ? Nous avons remarqué que 92% de ces messieurs auraient un look plus travaillé ou raffiné en tant que lady, alors que 62% des femmes de
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notre enquête sortent en t-shirt, jean, baskets. «Moi si j’étais un homme, je serais ca-pi-taine…» Non ! Car seulement 19 % des femmes se visualisent dans des postes à haute fonction en tant qu’homme. Et enfin, mon préféré : 38 % des hommes hétérosexuels disent aimer les doigts (ou au moins un) dans l’anus, bien sûr tous ces messieurs ont décidé de rester anonymes. Nombreuses sont les expressions de féminité et de virilité, et si certaines personnes embrassent ces expressions, ceux qui les rejettent ou qui jouent de leurs ambivalences sont encore bien mal représentés. Au fil des alter egos de nos nos enquêté·e·s, nous nous sommes rendus compte que cette étude soulevait des questions sur les normes hétérosexuelles qui pèsent lourdement sur nous, sur les clichés que l’on peut associer à un autre.
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Autrement dit : notre sexe semble définir profondément notre identité et le genre vient la sceller. D’où la volonté de «défaire le genre» selon Judith Butler, notre mentor. «Défaire le genre», c’est bien mignon Judith, mais à part bruler nos soutiens-gorges on fait comment ?
couple avec «Je serais en n qui ulte, quelqu’u un homme ad une maman.» s ne cherche pa
couple «Je serais en omme. avec moi en h .» x Mais en mieu
r tout «J’aime porte , qui brille, ce qui est rose -queen.» ma ou qui fait dra
pression de «Je subirais la e prennent qui m ces messieurs jugent sur mon de haut et me , r ma sexualité physique ou su s du kiki.» ré tous des frust
sont «Les hommes les que moins vicieux nes n femmes, les bo sacrés e d t n so femmes les.» garces entre el
is un «Comme je su ue bloq garçon je me er faire ll ’a d it sur le fa on me les magasins, r un mec prendrait pou que efféminé alors » c’est pas vrai.
s je ne serais pa «Je pense que nt que femme, en ta aussi libre qu’ sser pour un pour ne pas pa e côté j’aurais e l’autr queutard , et d tre «un homme la pression d’ê pour r ne pas passer .» un vrai» pou mes plaire aux fem un fragile, et
r d’être faible «J’aurais peu oir parler et de pas pouv tes, es avec mes po de mes problèm r pleurer ni de pouvoi euf.» devant ma m
couple avec «Je serais en peut lire des quelqu’un qui et écouter os livres d’intell n Riha na.» couple avec «Je serais en passionnée, quelqu’un de pas i ne m’oblige carriériste, qu e le samedi. sé à aller au mu vestie dans in et te n Indépenda tient à coeur.» i lu i une cause qu
ande «On me dem m’épiler e d trop souvent les aisselles.» les jambes ou w i n t e r
maux diront «Les gens nor e ma vie d que je profite ·ne·s diront n co sexuelle, les . e vraie salope que je suis un t sexuel c’est men Mon comporte ens parler.» g de laisser les
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En q u ê te
Nous avons choisi de ne pas mettre de nom ou de visage derrière ces citations, parce que finalement, tout ça, c’est tout le monde, c’est moi, c’est un monsieur dans le métro qui pense ça fort, c’est ta copine en soirée, c’est ta grand-mère à table, c’est ton mec après l’amour. Ces phrases sont dites par des hommes, des femmes, ou leurs alter égos. Toutes ces petites épingles genrées sont enfoncées bien profondément en chacun de nous, mais est-ce qu’elles nous définissent en tant que sujet ?
«Le genre c’est une pratique d’improvisation dans une scène de contrainte.» Judith Butler Que se passe-t-il quand on ne sait plus si un tel est homme ou femme ? Ou si on considère qu’on ne fait pas partie d’une case ou d’une autre ? Plus d’étiquettes à coller, plus de repères. Et on se retrouve à devoir faire des lexiques pour mettre un peu d’ordre là dedans. Le genre semble alors être une notion binaire, coincée entre ce qui est féminin et masculin. Et tout ce qui est à sens unique est dangereux. Les clichés sont à l’origine d’une grande partie de nos complexes, les femmes ne sont jamais assez belles, 18
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les hommes ne sont jamais assez forts, et les autres, les laissés-pourcompte, n’existent même pas dans la sphère visible. Nous sommes dans l’exigence de la représentation, en constante confrontation avec le masque qu’on nous a offert à la naissance (en fonction de notre sexe) et notre visage s’adapte, pour en épouser les formes. Notre sexe ne devrait pas déterminer notre vision des autres, ni notre propre vision, car le «féminin» ou le «masculin» ne peuvent aujourd’hui plus être une donnée irréductible, c’est-à-dire que nos vies, nos carrières, nos affinités, ne devraient plus être guidées par ce que l’on a entre les jambes. Il nous faut abroger ces stéréotypes pour exorciser ces pressions et travailler dessus quotidiennement. Car il ne s’agirait plus de condamner la donnée binaire du genre, mais de s’en affranchir dans un désir d’humanité, de tolérance et de choix.
«L’espèce humaine est en quête d’humain, et la notion de genre est un formidable levier pour y parvenir.» Martine Van Woerkens G E N R E
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avec Texte — Cécile Giraud Photographe — Maxime Muller
e s , le s r le s m o c h u o p , s e h c o s frig id e s , c h e z le s m « J ’é c ri s d e le s c a m io n n e u se s , le b le s , , s b a is a vie il le is é e s , le s im s le s e xc lu e s d u a b l a m s le ré e s , to u te q u e s , le s ta m e u f. » le s hysté ri à la b o n n e é h rc a m es g ra n d V. Despent King Kong
Théorie,
A l’occasion du lancement du collectif de drag queens «Dragonnes», Cacti a pris le goûter avec les queens les plus influentes de la culture queer lyonnaise. Profs, fleuristes, artistes, mais surtout reines de la nuit, elles étaient toutes présentes ce jour là pour une première table ronde... Et on a eu la chatte chance d’y assister. Topo d’un dimanche, où c’était l’occasion de parler genre, make-up, tolérance... Et d’engloutir des bonbons sans pression. On a voulu savoir ce que c’est «faire du drag» à Lyon, quand tu es née dans un club prestigieux de la nuit. Alors du coup, c’est quoi faire la Drag ?
«LA CULTURE DU MASC FOR MASC, JPP» Dans le salon de Ben (aka Jessie Phillis) c’était pas de la drag queen de salle de bain. Y’avait du gratin à base de Fifi, un peu de Messy, du Jessie, de la Pria, du Mimi, un soupçon d’Olek, saupoudré de Dakota bien dorée au four. Elles étaient toutes présentes pour faire le point entre elles, se «soutenir», comme dirait Jonathan (aka Messalina Mescalina) : «Les drags de RuPaul sont très shady entre elles, donc ça me plairait qu’on puisse montrer des drags potes entre elles», voire qu’on puisse, pour Romain (aka Fifi du Calvaire), «se nourrir les uns les autres», envers et contre w i n t e r
toutes discriminations, présentes même au sein de la communauté gay, qui parfois prône un certain virilisme. Oui, faire la drag, pour Claude par exemple (aka Mimi Sizzle) c’est dénoncer le coté viriliste du monde homosexuel, amener le dialogue de la féminité dans l’espace masculin et montrer la fluidité du genre. Enfin Cyril (aka Pria Prika), englobe dans son drag toutes sortes de luttes : «pour moi, c’est le combat à toutes sortes de discriminations. Je pense que tous les combats doivent être menés de front, que ce soit le féminisme ou contre le racisme, on doit être ouvert à tout le monde. Il faut sortir des milieux gay, mais j’aime le coté festif et social de la drag.» 2 0 1 8
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R E N C O N T R E
«ON EST DES CLOWNS DU CUL» Il faut savoir que l’aspect militant d’une drag queen passe surtout par l’humour, la comédie, voire carrément le clown. : «C’est un moyen de faire rire» pour JB (Aka Dakota), «ne pas se prendre au sérieux», pour Romain, et pour que «les barrières tombent» complète Claude. Et quoi de mieux que le rire pour faire passer un message ? Surtout lorsqu’il ne s’adresse pas forcément aux groupes dont on vient. Les hétéros, les lesbiennes, les femmes en général, sont à toucher aussi. C’est visiblement une évidence pour les copines, qui s’autorisent de temps en temps quelques travattacks à des soirées où on ne les attend pas du tout. C’est d’ailleurs personnellement ce que je salue chez ces artistes : se mettre en danger, quitte à y laisser un faux ongle dans la bataille. Mais comme toute démarche déviante, être drag queen ne peut pas se faire en solo. 20
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La notion de groupe semble évidente lorsqu’il s’agit de se sentir en sécurité et soutenu dans son combat... D’où le besoin de créer le collectif Dragonnes, qui compte bien vous en mettre plein la gueule dans les mois à venir ! Concerts, tutos, photos, clips, festivals... Vous allez en baver du queer... En tout cas, cette après-midi-là, il flottait dans l’air une ambiance de pyjama party : bonbons, homewear et thé chaud. Climat plutôt smooth même pour Olek ou Jonathan qui font pas trop dans le choupi habituellement. Voyez Olek (aka Olek, parce que trop flemmarde pour se trouver un nom) avec sa batte devenue aujourd’hui presque une extension de son corps. Panique pas bébé, elle veut juste te faire capoter : «c’est la possibilité de faire retourner la tête des gens sur leurs certitudes et leurs à priori, à travers une personnalité exacerbée». G E N R E
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Chacune a une personnalité propre, construite par leur vie respective, leurs expériences passées. Ben nous l’expliquera simplement : «c’est un moyen d’exprimer ma créativité quelque soit le sujet ou le matériau, désormais à travers le collectif. » Collectif Dragonne, qui leur permettra de donner, selon la belle poilue : «une émulation collective pour se faire plaisir, sans nécessairement apporter un message politique. Et faire connaître aux gens notre vision et notre état d’esprit.» Car oui, il est temps d’étendre le queer sur Lyon !
Comme le dit si bien Cyril : «si tu vas pas à la rencontre des gens, ils ne vont pas aller à la tienne et ils vont rester dans leur petit confort.» Bref, faut toucher tout le monde. Pour Romain, il s’agit de recoller les morceaux entre différents groupes, certains mis en concurrence, d’autres sur le banc de touche : «Je pense que les femmes, et notamment les lesbiennes, sont nos sœurs qu’on a trop longtemps laissé de coté. On a évolué chacun de notre coté donc faire du drag ça serait une passerelle entre les pédés, les femmes, lesbiennes ou non.»
ET QUAND TU SORS DE TA ZONE MASCULINE, ÇA FAIT QUOI ?
leur fait peur et les meufs elles sont fascinées de voir une entité pseudo féminine puissante.» Et toc.
Il est de notoriété publique que les drag queen reprennent les codes de la féminité. Non seulement parce que la femme doit s’imposer plus dans la société, mais surtout parce qu’il y a plus de possibilités esthétiques chez la femme, permettant de s’exprimer artistiquement. Autour de la table, tous admettent la puissance ressentie lorsqu’on est perché sur des talons de 15 centimètres. JB nous parle même de ses couilles de la taille d’une pastèque : «quand tu combines l’esthétique de la femme et ta position d’homme dans la société, tu deviens l’être ultime». Pour Olek, c’est plus une affaire d’attribution de statut : « Les femmes ont un prisme mythologique fascinant par rapport aux hommes. Donc on a cette facilité à transgresser et caricaturer ce qu’on attribue aux gonzesses, sans pour autant que je ressemble à une femme. Ma batte devient un emblème. L’objet fascine car les pédés, ça les excite de me voir avec, les hétéros ça
Je suis repartie soulagée de comprendre réellement la démarche de mes amis, mes frères, mes sœurs. Avertie du danger qu’ils prennent. Soutenue par leur féminisme. Divertie par leur humour, caressée par leur tendresse et diabétique par le sucre.
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Alors lis donc ces quelques lignes de Platon, et viens faire la fête avec nous. «Or si on formait une citée ou une armée avec des amants et leurs aimés. […] Combattant ensemble, ils vaincraient l’humanité entière, car toute lâcheté est impossible quand on est prêt à mourir par amour.» Le Banquet, Platon
PLAYLIST DE CÉCILE Prettiest Virgin — Agar Agar Jacquadi — Polo et Pan Envy — Schlasss 2 0 1 8
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B U RGER VEGE PA R A L I C E M . 2 Personnes — 35 Minutes A préparer & bouffer en écoutant les Destiny’s Child. 160g de chou-fleur, 220g de patate douce + 400g pour les frites, 1 petit oignon, 1 œuf battu, 15g de farine, coriandre, sel & poivre. 1. Foutez votre four à 180°C et découpez vos patates douces en forme de frites.
5. Cuire à la vapeur 15 minutes. Hachez l’oignon et le faire revenir dans une poêle.
2. Sur une plaque, balancez papier sulfu, patate douce, huile d’olive, sel et herbes de Provence.
6. Dans un saladier écrasez la patate douce et le chou-fleur, ajoutez : oignon, coriandre, œuf, farine et assaisonnez.
3. Cuire 25 minutes en secouant à mi-temps.
7. Façonnez deux galettes sans vous en foutre de partout et cuire chaque face 5 minutes dans une poêle huilée.
4. Tranchez le reste de la patate douce et le chou-fleur.
ien o re r b À d év s u n b u n an och d ne feuille lle u c e onde av une r giclée ade , l e a n s et u . de p m a te de to e ketchu d
@alice_memyself Photographe — Arnaud Mizzon
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FLO R E M AQ U I N Graphiste et illustratrice pour le cinéma, Flore est une peintre 2.0. Sur sa tablette, elle donne vie aux personnages badass des films cultes des 80s et 90s. S’inspirant d’éléments de la pop culture, mixés avec son monde et son feeling, Flore célèbre la culture geek avec son fan art déluré. Elle apporte sa touche colorée aux films phares qui ont bercé sa jeunesse . Ses affiches ont déjà attiré l’œil de Paramount, Universal et plein d’autres. Hello Hollywood ! Sinon Flore aimerait vivre dans la série FRIENDS et se ferait bien une soirée pizza avec Jim Carrey et Morticia Addams.
@flore_maquin http://www.flore-maquin.com Photographe — Eva Merlier Texte — Claudia Bortolino
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the Oscar for best performance goes to... and
Texte — Thomas Choury Illustration — Lucie Mouton
Lors du dernier Festival de Cannes, une idée folle a traversé l’esprit des commentateurs sur place : et si, cette année, pour la première fois, il n’y avait pas de distinction de genre pour le prix d’interprétation ?
La question se posait après la présentation du film 120 Battements par minute de Robin Campillo – la belle saga qui retraçait la création et les actions d’Act Up, au début des années 1990, dans sa lutte contre le Sida. L’énergie collective portée par le film est telle que tous les acteurs et actrices semblent transcendés par leur rôle. Un prix d’interprétation collectif non différencié entre hommes et femmes aurait pu être un geste politique fort et particulièrement pertinent. Il n’en fût rien : 120 Battements par minute a reçu le Grand Prix, tout de même, mais les prix d’interprétation n’ont pas été unifiés, conservant la même distinction entre une performance féminine pour un rôle féminin et une performance masculine pour un rôle masculin. Cette distinction de genre (meilleur acteur/meilleur actrice) que l’on retrouve déclinée dans toutes les 24
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cérémonies (Oscar, César, etc.) a-telle encore un sens aujourd’hui ? Au regard de certains films sortis récemment, sa remise en cause ne parait pas aberrante (qui plus est quand les films ne correspondent pas à une seule et même catégorie mais recroisent aussi bien les œuvres académiques hollywoodiennes que des films d’auteurs venant de partout dans le monde). En premier, se pose la question du travestissement ? Longtemps réduit à un stéréotype caricaturé pour les besoins de la comédie (Tony Curtis et Jack Lemond dans Certains l’aiment chaud, Dustin Hoffman dans Tootsie...), parfois avec quelques relents homophobes (Michel Serrault dans La cage aux folles, Christian Clavier dans Le Père Noël est une ordure), il est devenu, depuis, un enjeu dramatique tout à fait sérieux. Dans Victor, Victoria, Blake Edwads dédouble le travestissement en choisissant Julie Andrews, une femme qui se prétend homme, G E N R E
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Cette question, même Hollywood, pourtant très conservateur quand il s’agit de sortir des stéréotypes masculins et féminins, se l’est posé : lors de la nomination de The Danish Girl aux Oscars (le film de Tom Hooper, sur Lili Elbe, la première personne à avoir subi une opération de réattribution sexuelle en 1930), l’acteur Eddy Redmayne – qui interprétait le personnage après sa transition – a failli obtenir la statuette du... meilleur acteur. pour jouer le rôle d’une femme sur scène, miroir réflexif d’un monde du spectacle engoncé dans son hétéronormalité. Toute la filmographie de Pedro Almodovar – et en premier lieu son chef d’œuvre, Tout sur ma mère – met en scène des acteurs travestis à la ville. Dans la même veine, le réalisateur portugais João Pedro Rodrigues à travers le sublime Mourir comme un homme raconte les derniers jours d’un de ses amis, dragqueen haute en couleurs. Ce nouveau regard porté sur le travestissement depuis la fin des années 1980 brouille les catégories traditionnelles. Surtout, il a permis une complexification de la représentation du genre sur grand écran : peu à peu, des actrices et acteurs transgenres apparaissent à l’affiche de films remarquables et remarqués. Dans Une Femme fantastique du chilien Sebastian Lelio (sorti cette année), le rôle principal a été confié à une actrice transexuelle, Daniela Vega. Si le film a été récompensé pour son scénario au Festival de Berlin, la question d’un éventuel prix d’interprétation a posé problème : que récompenset-on dans la formulation «Meilleure interprétation féminine» ? Le genre de l’acteur ou celui du rôle incarné ? w i n t e r
Forcément, les films et les artistes évoluent plus vite que les institutions qui les encadrent. C’est donc moins un constat alarmant qui est fait ici que celui d’une évolution progressive des mœurs qui débouchera assurément sur une nouvelle codification des rôles et de leur reconnaissance, moins stéréotypés, de moins en moins liés au genre de celui ou celle qui lui prête ses traits. A ce titre, mettons l’accent sur un film prévu pour sortir à la fin du mois de février : Les Garçons Sauvages de Bertrand Mandico. L’histoire de cinq jeunes garçons, au tout début du XXe siècle, qui commettent un crime, intégralement joué par... des actrices. C’est certain, elles vont faire exploser les frontières traditionnelles.
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CHRONIQUE d'une DAME aux faux cils Texte — Camille Dochez Illustration — Lucie Mouton
J’ai fait un rêve il y a quelques temps. J’étais en face d’une énorme drag queen dans un restaurant guindé, style fauteuils rouges et bouteilles chères, elle était maquillée comme un clown de femme. Des sourcils gigantesques arcboutés jusqu’au cuir chevelu, le teint blanc, son fard à paupière bleu parfaitement appliqué, une bouche redessinée rouge, gigantesque, et des seins mon vieux, des seins énormes. Et derrière tout ça, il y avait un petit monsieur. Et puis moi j’étais en face de ce colosse de féminité, avec mon pantalon déchiré, mes baskets Buzz l’éclair et mon t-shirt Led Zeppelin, je la regardais, en me demandant clairement ce que je foutais dans cet endroit. J’avais l’impression d’être un pauvre gant de toilette sale et mal habillé. Et puis pendant qu’elle terminait (déjà) la deuxième bouteille de rhum, je lui ai demandé : «Pourquoi vous voulez autant être une femme ?» La grosse dame qui avait enlevé ses faux cils m’a regardé droit dans les yeux, et puis elle a éclaté de rire, un 26
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rire gras, qui remplissait tout l’espace de la pièce. Alors moi j’ai commencé à me lever, j’ai pris la bouteille de rhum et je me suis barrée, parce que je déteste qu’on se paye ma quiche. Et puis la dame avec son zizi coincé dans ses fesses m’a prise par la main sans rien dire, et m’a maquillée comme elle, m’a mise une grande robe rouge à froufrous et elle m’a poussé sur scène en me disant :
«Maintenant deviens qui tu es.» Sauf que je me suis vautrée, devant tout le monde, dans mon costume de femme-clown et sur mes talons aquarium (y’avait des poissons dans les talons). Pourquoi ELLE, elle ressemblait à une déesse de femme, pleine d’assurance, de sexy, de glamour ? Pourquoi ELLE, elle pouvait être vulgaire et sexuelle ? Pourquoi elle avait le droit d’être glamour et dégueulasse en même temps ? Elle pouvait tout faire, avec cette même extravagance d’être quelqu’un d’incroyable et d’unique. Et pourquoi pas moi ? G E N R E
La plupart du temps, je ne me sens pas assez légitime pour être une vraie femme, hormis le fait indéniable que je sois née avec un vagin. Et puis je suis devenue féministe, j’ai mis le nez dans ces questions d’égalité, de genre et de féminité. J’ai commencé à me poser des questions sur le fait d’être épilée ou pas pour être prise au sérieux. Pourquoi est-ce que j’ai rêvé de cette drag queen aux gros nibards et finalement qu’est-ce qu’elle avait à me dire ? Est-ce que j’ai vraiment choisi d’être la personne que je suis aujourd’hui ? Ou est-ce que je ne suis que le reflet morbide de la féminité qu’on veut m’attribuer ? Moi je comprends plus rien. Je me sens même coupable de porter des talons parce que je me dis que je le fais pour plaire aux autres, et finalement je me retrouve à zoner chez moi en pyju. Qu’est-ce que ça veut dire la «féminité» bordel ? J’ai dans mes bottines à talons des montagnes de questions. Et puis j’ai rencontré quelqu’un de plutôt cool, elle s’appelle Camille. Elle sait ce qu’elle veut, elle est ambitieuse et déterminée, elle est fidèle, généreuse et passionnée. Ça a tout de suite matché entre elle et moi, parce que finalement c’était la seule chose vraiment importante. w i n t e r
Dans les yeux des autres, ce qui est beau, c’est ce que je suis. Même si j’ai mal aux pieds dans mes chaussures et que mon vernis est écaillé, le plus important ce sera ce sourire béat quand j’entends des sonorités 80s et que je commence à danser comme Michael Jackson. Ce sera ce rire énorme qui dérange tout le monde dans le bus après une blague de cul déplacée. Ce sera ce scandale que je tape au milieu du restaurant parce que je me suis faite emmerder à la gare, et que personne n’a bougé.
C’est difficile d’être une femme aujourd’hui, mais c’est encore plus compliqué d’être qui on est. Et de se donner les moyens de l’être sans s’égarer. C’était peut-être ça qu’elle était venue me dire cette drag queen, avec toute la poésie de sa peau et de son maquillage dégoulinant : si tu veux être toimême, alors donne toi les moyens de le devenir, et si t’as besoin de talons aquarium pour l’être, alors enfile-les et va dehors. 2 0 1 8
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féminisme le genre
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Texte — Claudia Bortolino Illustration — Luna Picoli-Truffaut
ge prentissa e. dans l’ap z ne femm e ’u n d le s s u d n e tt a Metton x sociau e! st pas ros ortements des comp oiler alert : tout n’e etteuse. m ro Sp plutôt p e rt e v u o une fin Mais on a
ALL WRONG FROM THE BEGINNING (OF TIMES) Rose ou bleu, robe de princesse ou pantalon de cow-boy, infirmière/ maman ou businessman, docile ou intrépide… Voici un mini échantillon des choix binaires, hétéronormés et dépassés s’offrant à nous dès la naissance. Et l’arnaque, c’est qu’on ne peut même pas choisir nous-mêmes. Non, tout cela nous est assigné suivant l’organe génital avec lequel nous naissons. Et pour s’en défaire… Ben c’est une épopée en 36 actes avec embûches et grabuges. Mais ça se fait ! Dans les magasins de jouets, suivez les rayons roses attribués aux filles pour trouver des poupons, un atelier pour fabriquer des bracelets de l’amitié, un fer à repasser en plastoc, une dinette pour recevoir ses cops et éventuellement un ballon sauteur. Tout est mis en place pour 28
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les éveiller à prendre soin de son prochain, pour accentuer l’entraide et la communauté. En soit, que des choses utiles. Mais si on regarde côté garçons, on trouve un Ken militaire, des jeux de stratégie ou de bataille pour pulvériser ses potos et une perceuse. Là, tout est mis à leur disposition pour apprendre l’habileté, la compétition, le courage et l’aventure. Pas la peine d’être attentionné pour un ptit mec, les filles le seront pour lui ! Il ne s’agit pas de nier nos différences de goût, intérêt, choix… Le problème surgit lorsque ces distinctions deviennent de la discrimination en nuisant à la moitié du genre humain tout en favorisant l’autre. A ceux qui pensent que les différences, notamment physiques, entre femmes et hommes sont naturelles et logiques… Intéressons-nous à l’ethnologue/bosslady Françoise Héritier. Elle nous dit que cette hiérarchie est G E N R E
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une construction de l’esprit qui ne correspond à aucune réalité biologique. Nous avons les mêmes capacités physiques et cérébrales. Sauf que dès la naissance de l’humanité, les hommes ont remarqué que les femmes portaient la vie. Celles-ci sont alors devenues des instruments pour prolonger l’espèce et devaient se tenir à disposition pour leur unique tâche (you had one job Lucie !). Les hommes se gardaient également les protéines, viandes, graisses & co pour fortifier leurs os et laissaient aux femmes les féculents et bouillies qui donnaient des rondeurs. Voilà d’où vient cette différence physique « naturelle » ! Ainsi est née notre société complètement inégalitaire où la mainmise sur les corps et les destins féminins est perpétuée par la privation d’accès au savoir et au pouvoir. Mais, il serait préférable de ne pas trop s’en indigner ! Car si une petite fille ose exprimer sa colère, on lui apprend que c’est mal : «les petites filles sont gentilles ». Les femmes ont donc appris à se taire, refouler leur colère et s’en culpabiliser. Ladies, n’ayez pas peur d’être en colère et de le montrer.
GENDER IS A CONSTRUCT Quand on est petit∙e, ce n’est définitivement pas facile de se construire. Et ça l’est encore moins quand on est différent∙e (ndlr : être différent∙e c’est de la bombe atomique. Embrace yourself !) Si tu es lesbienne, tu devras sûrement avoir les cheveux courts et mimer l’attitude d’un homme. Si tu es une femme hétéro, sois sensuelle w i n t e r
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et réceptive. Si tu es un homme, ne pleure pas et paye l’addition. Et si tu ne te reconnais pas dans ces cases.… Personne ne sait vraiment encore où te ranger. Autant de représentations qui ne laissent que très peu de place au développement de soi. Il y a un besoin d’unifier et de codifier pour se rassurer et comprendre. Surprise ! Il n’y a pas une femme mais des femmes, de toutes formes et couleurs. Et si c’est déjà un gros bazar pour les hétéros et lesbiennes, les transgenres souffrent d’une violente discrimination ou indifférence. Cette fois-ci, ne pas correspondre aux normes pose la question de survie, avec 42% des femmes trans ayant tenté de se suicider aux Etats-Unis. Accusés de menacer l’ordre préétabli, les trans sont d’avantage considérés comme des porteurs d’organes génitaux mystérieux que comme des êtres humains. Conseil : ne pas demander « qu’est-ce que t’as entre les jambes ? » à un∙e trans. Il y a plein de façon de transitionner sans passer par le bistouri, changer de prénom, de vêtements, d’état civil, prendre des hormones… Malheureusement, la majorité des médias n’aide pas à faire évoluer ces clichés rétrogrades. L’ignorance des spectateurs à ce sujet est une arme particulièrement efficace pour jouer sur la confusion. Comme évoquer la question du choix des toilettes (ladies or men ?) et en faire un étendard des problèmes sociétaux de la transidentité. Hum, je pense qu’on a déjà connu plus dur à surmonter ! 2 0 1 8
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Le CSA a mené une enquête avec de gros chiffres qui font un peu pleurer (sauf si t’es un mec, don’t you dare !) : dans les publicités, les rôles d’expert sont à 84 % tenus par des hommes, et ne parlons pas des pubs d’automobile ! Tandis que les femmes marquent un beau 63% pour les produits d’entretien du corps et ont le privilège d’être présentes dans les deux tiers des publicités présentant une sexualisation des personnages. Et pour finir en beauté, le taux de nudité des femmes dans une pub de produits domestiques est de 12%. Car tout le monde sait qu’on aime sniffer de la javel en déshabillé. Et bien sûr, toutes ces femmes sont à 75 % blanches et minces.
KEEP IT IN YOUR PANTS Après l’affaire Weinstein et tout ce qui en a découlé, comment ne pas s’attarder sur ça ? Il est malheureusement accepté que le corps des femmes appartienne aux hommes et doive répondre à leurs attentes. On entend même que la femme est la seule responsable du désir qu’elle suscite. Essayons de détruire cette horrible et inhumaine idée : celle d’un désir masculin, aussi appelé instinct animal (haha !), irrépressible. Les femmes ont autant de pulsions sexuelles que les hommes, la grosse différence est qu’on les a éduqué à faire croire qu’elles étaient inexistantes ou indicibles. Nous devons repenser la question du rapport entre les sexes et s’attaquer à ce statut persistant de domination masculine. Et messieurs, vous pouvez aussi vous y mettre avec nous. 30
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Des révolutions comme la contraception ont aidé les femmes à devenir sujets à part entière. Quand la contraception est entrée dans les textes de loi, un parlementaire s’inquiétait « C’est la fin du pouvoir de l’homme et du père. » DUH DUDE, of course it is ! La fin de l’assujettissement féminin ne réjouit pas tout le monde ! Aujourd’hui, ces évolutions continuent avec la PMA aidant l’idée d’égalité des deux sexes dans la procréation. Il est primordial que la honte change de camp. Les différents #metoo ou #balancetonporc ont aidé à booster cette révolution en marche, les femmes ont pu prendre la parole, comprendre qu’elles n’étaient pas seules. Pour que ces témoignages et cet élan ne soient pas vains, il faut que la parole féminine continue de s’étendre, soit entendue et prise en compte, sans être constamment mise en doute ou réduite au silence.
«On ne nait pas femme, on le devient» ... comme disait cette sacrée Simone de Beauvoir. Le genre est une construction sociale, bien pratique pour vendre des comédies romantiques avec Meg Ryan (qu’on adore quand même !) ou des rasoirs roses trop chers ; mais de plus en plus obsolète pour tout le reste. Nous devrions être libre de devenir ce que nous voulons être et nous assurer que ce droit soit respecté pour tous et par tous. G E N R E
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LIVRES
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Mala Mala
Encyclopédie pratique des mauvais genres
The Wachowskis
Antonio Santini & Dan Sickles
Tangerine
Céline Du Chéné
Sean Baker
Mauvaises filles, incorrigibles et rebelles
Patti Cake$
Véronique Blanchard & David Niget
Geremy Jasper
Sense 8 Transparent Jill Soloway
Claws Eliot Laurence
Masculinités Raewyn Connell
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TROUBLE
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Now don’t you ask yourself who they are. Like everybody else, they wanna be a star BAD GURLZ Featuring the badasses : Kookie Bigisbeautiful Lisa Thiers-Barreto
Photographe — Camille Brasselet Direction Artistique — Claudia Bortolino
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Command Respect w i n t e r
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lettre de princesse Shewing-gum ! la
Texte — Xavier Prévot Illustration — Mademoiselle Ni
Chers tous, Je crois que quelques explications étaient nécessaires après que je ne sois pas venue à la fête de lancement du projet ni n’ai donné signe de vie depuis. Et pour commencer je suis au regret de confirmer vos inquiétudes, oui je laisse tomber la startup. Croyez bien que j’en suis désolée, chers tous, mais mon choix ne permettait pour ainsi dire aucune concession. De toute façon ces chaussures connectées n’allaient pas marcher, la semelle shiatsu filait des migraines ophtalmiques et personne ne veut vraiment de chaussures qui vous rappellent à longueur de journée que vous ne faites pas assez d’exercice. Chers tous, je vous annonce par cette lettre que j’ai choisi de renier définitivement et intégralement mon appartenance à l’espèce humaine pour devenir un singe. Je préférerai d’ailleurs qu’on dise «une singe» - pas question de renier mon genre -, le terme exact eut été «guenon», mais il me semble trop péjoratif. Une singe donc, c’est bien. Devant la variété de troubles que causera certainement cette lettre, il me semble dérisoire de chercher à expliquer les raisons de ma décision. Sans doute m’échappent-elles en grande partie. Je crois seulement que si notre quotidien a indéniablement gagné en confort depuis que l’homme est descendu de son arbre, il s’est aussi rempli de tant de complexités, d’angoisses et de migraines que ça n’en valait pas le coup en définitive. Et même s’il préférera toujours la nourriture cuite quant on lui en présentera, l’animal sauvage ne tire pas spécialement la gueule pendant son repas, n’est-ce pas ?
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Si un jour vous croisez dans le métro un singe échappé du zoo, demandez-le lui. Peut-être qu’il vous répondra. J’ai espoir que quelques-uns parviennent à lire à travers la confusion de ces derniers mots, et entendent à leur tour oncle Vania crier du fond de leur encéphale gauche. À ceux-là, je dis venez me rejoindre ! Ce ne sera pas difficile, vous devrez chercher la forêt la plus profonde et la plus sauvage des régions équatoriales, et nous vivrons nus parmi les singes, oubliant peu à peu le langage des hommes pour celui des forêts primaires. Nous nous nourrirons de fruits, de fourmis et de racines et le soir venu, nous escaladerons les hautes branches pour dormir sous le repos du ciel étoilé. Les pluies équatoriales sur nos visages calmeront peu à peu la fièvre de nos esprits, qui tout comme nos corps, redeviendront ce qu’ils furent toujours censés être : de foutues machines à survivre. Mais vous pouvez aussi reprendre les chaussures connectées si vous voulez. Je vous embrasse, chers tous, et vous souhaite de ne pas devenir fous, peureux ou bêtes trop rapidement.
Claudia Bortolino https://cacti-magazine.fr/
Directrice de la publication Rédactrice en chef Chroniqueuse
Édité par
Victoria Dubois
Golden Holden www.mygoldenholden.com
Maquettiste Illustratrice http://victoriadubois.fr
Association de loi 1901
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ILLUSTRATRICES Lucie Mouton www.lucie-mouton.fr Luna Picoli-Truffaut lunapicolitruffautillustration.tumblr.com Mademoiselle Ni www.mademoiselleni.com
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Tremplin au désir des curieux, Cacti se fait mégaphone de celles engagées à faire retentir leur voix, autant de femmes présentées que de visions de l’art et de la création.
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