[Article] Le torchis, une technique ancestrale pour l'avenir ?

Page 1

Pat Pat - Revue Architecture et Patrimoine Tradition Janvier 2022

Quelles sont les promesses de la construction en torchis pour une architecture plus frugale ?

Callista Martin, dans le cadre du H32 de Paola Scaramuzza

LE TORCHIS, Une technique ancestrale pour l’avenir

Il y a quelques semaines, je découvrais Saint-Leu, quartier médiéval d’Amiens. Au détour d’une ruelle, j’ai été interpelée par une maison délabrée, dont la façade décrépite laissait apparaitre le remplissage en torchis.

20 ans plus tôt, un étudiant en architecture n’aurait probablement pas reconnu le remplissage en terre, et aurait plutôt retenu la tour Perret visible au loin. Mais aujourd’hui, avec le retour de l’intérêt porté aux matériaux biosourcés, cette petite masure en bois et terre m’a fascinée.

Construction biosourcée ayant traversé les millénaires, le torchis témoigne en effet d’un savoir-faire local et vertueux. J’ai donc voulu m’intéresser de plus près à ce patrimoine rural, et me demander en quoi cette technique constructive est d’autant plus pertinente dans notre contexte d’urgence climatique.

1

Avant d’étudier le patrimoine de torchis français et ses potentiels, demandons-nous quelle a été son histoire. Pour meiux envisager le devenir de cette technique, il nous semble en effet important de mesurer les contextes (économiques, techniques, sociétaux...)dans lesquels elle s’est développée et les différentes formes qu’elle a prises.

Commençons notre traversée des siècles autour de -10 000. Suite à la dernière glaciation, le nord de la France et plus généralement l’Europe du Nord se sont recouverts de puissants dépôts de limons argileux, terres riches en silts, argiles et sables. Sur ces mêmes terres ont poussé de denses forêts. N’ayant accès qu’aux ressources locales, les européens ont ainsi commencé à contruire avec ces deux matières premières.

Assemblage d’éléments verticaux (poteaux) et horizontaux (sablières) en bois, d’une structure d’accroche en bois (la plus commune étant le clayonnage), et d’un remplissage à partir de terre argileuse, d’eau de fibres végétales et/ou animales : l’ossature en pans de bois associé au torchis était née1 .

La naissance du torchis en est témoin : cette technique de remplissage, non auto-porteuse, est indissociable de la structure en bois qu’elle remplit. Nous suivrons donc l’évolution conjointe de l’ossature à pans de bois et du torchis2. De plus, nous verrons que les formes et emplacements des éléments ont varié selon les époques de construction et les influences culturelles, mais que cette première définition du torchis est restée la même jusqu’à aujourd’hui.

NEOLITHIQUE (-5800 à -2500)

le premier matériau composite de l’histoire

Les premières traces de construction en torchis remonteraient au Néolithique. Alors que l’étude architecturale des maisons en terre à bâtir et bois est souvent rendue impossible par la détérioration rapide de ces matériaux, une analyse archéologique récente a en effet révélé l’usage de torchis dans les maisons Néolithiques de Dikili Tash en Macédoine3. Grâce à des restes de construction en terre mi-cuits par des incendies et à une méthodologie morphotechnologique4, les archéologues ont déterminé la potentielle présence de

1 Sauvegarde et relance du torchis en Pas-de-Calais, Livret d’exposition, 2014

2 En notant que le torchis est un des remplissages de l’architecture de pans de bois, nous ne nous arrêterons pas sur les remplissages en tuileau, moellons et ciment ou hourdis.

3 CAMMAS Cécilia, Micromorphology of earth building materials: Toward the reconstruction of former technological processes, 2018

4 Méthode scientifique d’analyse de la forme et des marques présentes sur les objets pour comprendre la façon dont ils étaient employés.

HIER
2
Histoire d’un savoir faire rural européen
Illustration médiévale comprenant une paroi à torhis en clayonnage, fr.wikipedia.org

techniques d’armature en bois : clayonnage ou poteaux jointifs. C’est ainsi le premier matériau composite5 et le premier usage constructif de la terre crue de l’histoire européenne.

ANTIQUITE (-Ve au - Ie) de la terre pour toutes les classes

Dans la ville romaine, l’ossature à pans de bois et le remplissage en torchis sont largement répandus. On lui donne même un nom : « opus craticium » (formé d’un treillis, d’une grille en latin). Détachée du sol par des solins de pierre, l’ossature en bois reçoit un clayonnage vertical sur lequel est déposé le torchis. Contrairement à l’image que l’on se fait aujourd’hui de la construction en terre, ce mode de construction est en réalité sophistiqué (murs recouverts d’enduits lissés, puis de peintures murales soignées). Loin de se limiter aux maisons paysannes, les populations les plus aisées vivent également dans des maisons construites en opus craticium.

MOYEN-AGE (Ve au XVe)

l’âge de terre

Avant que les villes françaises ne s’élèvent en pierre dans le courant du XIVème siècle, la majorité de leurs bâtiments sont construits en pans de bois avec remplissage en torchis sur clayonnage. Parfois protégés par un enduit de mortier de chaux, les murs sont détachés du sol par un sous-bassement en moellons de pierre. Les ossatures de bois s’élèvent, leur structure s’élargit en encorbellement pour ne pas empiéter sur la rue. Même avec l’apparition des édifices en pierre, la plupart des habitats populaires conservent les techniques à base de terre et de bois pour des questions financières et pratiques. C’est l’âge d’or du torchis.

ERE INDUSTRIELLE (XIXe au XXe) déclin progressif

En France, la Révolution industrielle et les débuts de la mondialisation apportent de nouveaux matériaux et bouleversent les techniques constructives. Brique, acier, puis béton, ces matériaux plus faciles à mettre en oeuvre et moins couteux grâce à l’industrialisation remplacent petit à petit les masures en pans de bois. Après 100 ans de progrès techniques sur les matériaux industrialisés, la Seconde Guerre mondiale porte le coup de grâce à la construction terre : l’urgence de la reconstruction entraine leur usage généralisé au détriment de la construction bois et du torchis.

5 assemblage d’au-moins deux composants de nature différente, comme le béton armé par exemple. Le torchis est donc quelque part l’ancêtre du béton.

4

AUJOURD’HUI

Un patrimoine régional divers, matériel et immatériel

Alors aujourd’hui, que nous reste-t-il des constructions en torchis ?

Autrement dit, quel est le patrimoine de torchis français ?

Si la majorité des constructions en terre a souffert du manque d’entretien, des guerres ou encore des démolitions sans considération pour le patrimoine, certaines sont encore debout, plusieurs siècles après leur contruction. Saint-Leu est loin d’être le seul exemple de quartier citadin en pans de bois et torchis. Le centre ville de Tours en a même fait un atout marketing : les colombages de sa Place Plumereau, préservés grâce à un plan de sauvegarde de 1973, sont fièrement arborés sur les sites de toursime et les publicités régionales.

Régional... Un mot qu’ont ne peut d’ailleurs dissocier du patrimoine. Comme l’indique la carte, le patrimoine de torchis se retrouve dans de nombreuses régions françaises. Voyons maintenant comment les spécificités régionales ont influencé et diversifié la construction à pans de bois et le torchis.

PATRIMOINE DE TERRE

des techniques influencées par les sols

Nous l’avons évoqué en première partie, le torchis a été développé en Europe du Nord puisque son territoire est riche en forêts et sols argileux. Mais en s’attardant sur les terres françaises, on découvre qu’elles diffèrent énormement d’une région à une autre. Voilà pourquoi les terres du nord de la France, argilo-limoneuses et donc ayant tendance à fissurer au séchage, sont associées à des fibres végétales dans le torchis et la bauge. De même, les terres alluvionnaires du sud de la France ont favorisé les constructions en pisé et adobe. Le torchis est donc une technique locale, inspirée par son territoire et ses ressources. Bien que les techniques constructives aient beaucoup évolué jusqu’à aujourd’hui, son usage est toujours pertinent dans ces régions puisque que les ressources n’ont pas changé : le bois et la paille de céréales se trouvent en grande quantité, et on ne sait que faire de la terre suite aux déblaiements du Grand Paris.

PATRIMOINES VARIES

des constructions régionales

Mais les sols et ressources disponibles ne sont pas les seuls à influencer les techniques constructives locales : les cultures régionales ont également entrainé le développement de nombreuses variations de torchis. Lydie Didier et René Guerin énumèrent ainsi dans Terra Europae - Earthen Architecture in European Union plusieurs particuarités des torchis régionaux :

5

Sauvegarde et relance du torchis en Pas-de-Calais, Carte de répartition des techniques de construction de terre crue en France métropolitaine, 2014. Inspirée par Terra Europae - Earthen Architecture in European Union

Office de tourisme du Val de Loire, Affiche publicitaire de la Place Plumereau à Tours, inatendue-tours-tourisme.fr

« En Normandie, les éclisses sont des petits bâtons coincés entre des piquets de charpente. Dans le Pays de Bray, le mélange argile et fibres végétales est rempli contre un coffrage perdu formé par des lattes clouées sur le parement intérieur de l’ossature. En Anjou, les torches de paille et d’argile sont liées autour de barres de châtaignier, puis calées entre des piquets d’encadrement. En Champagne, les palissons correspondent à des planches émoussées et biseautées à chaque extrémité. En Alsace, le torchis était parfois formé de gros paquets empilés et pressés entre des piquets de charpente. En Bresse, l’argile est pressée en une fine couche sur un tissage de fines branches vertes d’aulne. »

Mariana Correia, Letizia Dispasquale, Saverio Mecca, Terra Europae - Earthen Architecture in European Union, ETS, 2011 (traduit de l’anglais)

Selon les régions, le torchis change donc de matériaux (essence de bois, type de paille...), de forme, de mise en oeuvre (plaqué sur lattis, façonné en mèche, façonné en boule)... Les éléments de bois diffèrent non seulement pour l’accroche du torchis, mais aussi pour le colombage de bois en lui-même qui affirme en façade la culture régionale. Principalement employé en remplissage de mur, la technique a même été dérivée en quenouilles6 pour faire office de hourdis dans un plancher.

Cette diversité fait du torchis un patrimoine riche mais d’autant plus difficile à conserver. En effet, si c’est un patrimoine matériel qui demande un entretien fréquent voire des restaurations, c’est avant tout un savoir-faire à transmettre.

PATRIMOINES IMMATERIEL

un savoir-faire en danger

Le torchis est donc à la fois un patrimoine matériel, si l’on considère tous les monuments qui en sont constitués, et immatériel, si l’on considère le savoir-faire qui permet sa mise en oeuvre. En tant que remplissage en pans de bois, le torchis est d’ailleurs inscrit à l’inventaire du Patrimoine culturel immatériel français7 .

L’ère industrielle a non seulement supprimé les construction en terre, mais elle a aussi mis en danger un savoir-faire. Relégué dans les campagnes après le développement de la construction en pierre en ville, la construction en pans de bois était pourtant une culture constructive ancrée, basée sur l’au-

6 barreau de bois enrobé de torchis, wiki.maisons-paysannes.org

7 PCI : lancé en 2008, il vise à répertorier des pratiques vivantes grâce à l’aide de communautés, de groupes et d’individus.

6

to-construction et l’utilisation de matériaux locaux. Cependant, de peur de voir disparaitre ce patrimoine et de ne pas ralentir le réchauffement climatique, l’intérêt pour le torchis ne fait qu’augmenter. Aujourd’hui, les chantiers participatifs et démonstrations au public se multiplient pour reconnecter les habitants à cette culture constructive, notamment lors des Journées du Patrimoine de Pays et des Moulins8 .

Depuis une cinquantaine d’année, les acteurs se multiplient ainsi pour défendre le patrimoine rural et l’architecture de terre. Tandis que des associations comme Maisons Paysannes de France promeuvent et vulgarisent les techniques constructives rurales, des laboratoires comme CRAterre participent à la réappropriation de la construction terre avec des techniques contemporaines. Car s’il est important de préserver et restaurer le patrimoine de torchis, il peut aussi inspirer un renouveau de l’architecture contemporaine.

DEMAIN

Un renouveau frugal

ARCHITECTURE FRUGALE

un matériau vertueux

Employé à nouveau couramment, le torchis répondrait à de nombreuses problématiques de projet.

C’est bien évidemment une technique à impact très faible sur l’environnement, et ce sur tout son cyle de vie.

Utilisant des matières premières peu transformées, biosourcées et locales, son énergie grise est minimale. S’il est bien protégé par un enduit et déconnecté du sol, il peut se révéler très durable. Et s’il se détériore, il peut être facilement restauré ou biodégradé.

Très bon isolant thermique et phonique, bon régulateur hygrothermique... Grâce aux propriétés associées de la paille et de la terre, le torchis assure un réel confort intérieur.

Flexible et déformable, ce remplissage suit les mouvements de la structure et présente une haute résistance sismique.

Bien que couteuse car demandant un travail de main d’oeuvre important, cette méthode constructive donne du travail à des artisans. Le torchis se prêtant très bien à l’auto-construction ou au chantier participatif, il également possible de résoudre cet inconvénient. Autrefois le torchis était un moyen de construire soi-même son habitat et de s’assurer un confort de vie avec peu de moyens. Auto-construire sa maison en torchis et ossature bois, c’est renouer avec une certaine culture, avec l’histoire rurale. Enfin, concernant les matières premières, il est peu couteux et participe à l’économie agricole locale.

7

TORCHIS MODERNES

une technique renouvelée

Torchis prêt à l’emploi, projection mécanique... loin de se limiter aux techniques traditionnelles, la mise en oeuvre du torchis profite finalement des progrès industriels. De la même manière, l’ossature bois, parfois préfabriquée, a remplacé la traditionnelle construction à pans de bois. Les éléments de bois sont simplifiés et le clayonnage intérieur n’est plus nécessaire, puisque le remplissage en torchis peut être contenu entre deux plaques de bois.

En outre, accompagnant ces évolutions techniques, des variantes de torchis donnent un nouveau souffle à ce patrimoine savoir-faire. En changeant les proportions de terre ou de paille, on obtient un comportement thermique différent : forte inertie pour le torchis lourd (majorité de terre), forte isolation pour le torchis léger (majorité de paille), aussi appelé terre-paille. En remplaçant la paille de blé par de la paille de chanvre (terre-chanvre), on augmente la résistance thermique.

Grâce aux nouvelles expérimentations et aux progrès des connaissances sur les matériaux biosourcés, le torchis est loin d’avoir dit son dernier mot !

CASA MUNITA GONZALEZ

exemple moderne d’un usage de torchis

La Casa Munita Gonzalez, maison réalisé en 2010 au Chili, en est d’ailleurs la preuve. Dans ce projet visant un impact environnemental minimal, un mur intérieur est en pisé, beaucoup de matériaux sont recyclés et tous sont recyclables... Mais surtout, l’isolation est en Terra-Panels. Fixés sur une structure principale en acier, ces panneaux en treillis soudés en acier sont remplis de torchis allégé. Afin de protéger la terre de l’érosion par le vent et la pluie, la toiture s’étire sur la façade Nord, tandis que la façade Est est coupée en biais. Ses formes géométriques associées à la texture imparfaite et vivante du revêtement terre en font ainsi un bel exemple d’équilibre entre contemporanéité et clin d’oeil patrimonial.

8

FINALEMENT Reconnecter avec sa terre

Ainsi, après avoir traversé les siècle, le torchis nous inspire encore aujourd’hui une conception frugale de l’architecture.

Patrimoine à la fois matériel et immatériel, la transmission de ce savoir-faire apparaît comme un moyen de se reconnecter à son habitat, dans tous les sens du terme. Au sens direct, en construisant son propre logement, en l’entretenant, et donc en habitant à la façon d’Heidegger8. Au sens large, en se reconnectant à son territoire, à ses ressources locales et son patrimoine constructif.

8 Martin Heidegger, Bâtir, habiter, penser, 1951 Arias Arquitectos, Surtierra Arquitecture, Casa Munita Gonzalez à Batuco, Chili, 2010

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.