Alvar Aalto et la jeune génération finlandaise - Mémoire de Master en architecture

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Alvar Aalto et la jeune gĂŠnĂŠration finlandaise Camille Launay

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Alvar Aalto et la jeune génération finlandaise

Camille Launay étudiante en architecture - master 2 de3 réalités, temporalités, transformations ensapvs 2014-2015 mémoire sous la direction de Catherine Deschamps - Bruno Proth

école nationale supérieure d’architecture paris-val de seine 3, quai Panhard et Levassor, 75013 Paris tél : 01 72 69 63 00 - fax : 01 72 69 63 81


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« After all, nature is a symbol of freedom. Sometimes nature actually gives rise to and maintains the idea of freedom. If we base our technical plans primarily on nature we have a chance to ensure that the course of development is once again in a direction in which our everyday work and all its forms will increase freedom rather than decrease it. » « Après tout, la nature est un symbole de liberté. Il arrive qu’en réalité la nature provoque et maintienne l’idée de liberté. Si nos études techniques sont principalement calquées sur la nature, il y a plus de chance que le développement prenne à nouveau une direction vers laquelle notre travail quotidien et toutes ses variantes, viendront accroître cette liberté plutôt que de la réduire. » Alvar Aalto

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Avant-propos Mon Erasmus en Finlande, durant toute l’année scolaire 2013-2014, m’a fourni le sujet de ce mémoire. Lorsque je suis partie à Oulu au nord de la Finlande, j’avais une connaissance restreinte de ce pays et de son architecture, juste quelques éléments entr’aperçus en cours à l’ENSAPVS. J’ai été tout de suite attirée par l’architecte phare de la Finlande : Alvar Aalto. Grâce à de nombreux voyages, j’ai visité au total une quinzaine de ses bâtiments, ainsi que plusieurs édifices conçus par les contemporains d’Aalto, comme la bibliothèque municipale de Gunnar Asplund à Stockholm. Les édifices visités représentent certes peu de bâtiments par rapport à l’immense production d’Aalto, qui regroupe plus de deux cents projets réalisés. Mais cet ensemble varié m’a permis d’avoir une première approche globale de son œuvre. L’enseignement reçu à l’école d’architecture d’Oulu n’était en fait pas focalisé sur Aalto. Les enseignants nous ont surtout présenté les acteurs de l’architecture finlandaise actuelle, à travers des cours magistraux, mais aussi et surtout à travers des conférences animées par les architectes de ces agences. À mon retour en France, j’ai souhaité que mon mémoire soit lié à ce pays qui m’a tant apporté et m’a tellement marquée. De plus, je n’avais suivi aucune spécialisation de master du type patrimoine, ville et territoire ou encore matérialité comme nous en trouvons dans notre école, car l’enseignement y est plus généraliste en Finlande. Pendant les conférences ou les présentations des architectes contemporains, le nom d’Aalto était très rarement évoqué. D’où mon interrogation et mon étonnement : où était donc passé ce maître de l’architecture moderne dont l’héritage architectural me semblait si présent et me fascinait tellement en tant qu’étudiante française ? Où se situait le lien entre passé et présent ?

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Les bâtiments d’Aalto que j’ai visités ne m’ont fait que survoler son œuvre. Finalement, je n’en savais que peu de choses. S’ensuivit un questionnement me donnant envie d’en apprendre plus sur l’essence de son art. Le plus difficile a été de trouver le deuxième élément de comparaison. Qui mettre en face d’Aalto ? La rencontre avec Rainier Hoddé, spécialiste d’Alvar Aalto, m’a mise sur la bonne voie. Il m’a aussitôt parlé de l’exposition qui avait lieu jusqu’au 18 janvier 2015 au musée d’architecture de Francfort, « Suomi Seven »,


présentant sept jeunes architectes finlandais appartenant à la nouvelle génération. Pour cette étude, j’ai ainsi choisi cinq de ces architectes finlandais. Ces derniers ne me sont pas inconnus, ni leurs projets. J’ai d’ailleurs eu l’opportunité de visiter l’une de leurs réalisations. Les deux agences laissées de côté n’offraient pas assez de matière pour mon travail, d’autant plus qu’il était difficile de retourner en Finlande avant la fin de ce mémoire. Mes recherches se sont appuyées sur de nombreuses lectures, l’étude de l’œuvre complète d’Aalto à travers l’ensemble de ses textes et discours, et sur l’étude de ces cinq jeunes agences et leurs projets.

FINLANDE

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Introduction

1. EMERY Philippe (2013), « Exposition », La Dépêche du Midi, p. 14.

2. SCHILDT Göran (2012), Alvar Aalto, La table blanche et autres textes, Parenthèses, Paris, p. 270.

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« Alvar Aalto, c’est un peu le Le Corbusier finlandais. Sauf qu’il a construit 200 bâtiments, deux fois plus que Le Corbusier. »1 Alvar Aalto (1898-1976) est reconnu comme étant le plus grand architecte finlandais, et à ce titre, il a rejoint le cercle très prestigieux des maîtres de l’architecture Moderne, composé également de Mies van der Rohe et de Le Corbusier. À son décès en 1976, Aalto laisse derrière lui un héritage considérable : plus de deux cents projets réalisés (soixante-dix-huit pour Le Corbusier), essentiellement en Finlande. Il s’est cependant démarqué de ce mouvement Moderne, et a été l’initiateur d’une architecture organique, proche de l’Homme et de la nature. Durant toute sa vie, Aalto a cherché à donner un visage humain à son architecture, il était essentiel pour lui que celle-ci soit au service de l’Homme, et non pas en conflit permanent. Il a constamment cherché à mettre en résonance l’Homme, l’architecture et son environnement, dans ce cas, la nature si chère aux Finlandais. « La tendance qui se dessine est de croire que l’homme est capable, en utilisant des schémas, des formules et des calculs, de surmonter les difficultés dues à sa nature intrinsèque et de trouver une sorte de recette permettant de résoudre les problèmes et de faire de la bonne architecture. »2 Quelles sont les caractéristiques d’Aalto ? Dans ses derniers textes, le ton d’Aalto devient pessimiste et négatif. Il se rend compte de l’écart entre la pensée architecturale qui a nourri toute sa vie, et celle des jeunes architectes des années 1960 et 1970, qui sont davantage attirés par cette idée qu’à partir de formules mathématiques, ils pourraient obtenir comme par magie des logements et des bâtiments publics parfaitement adaptés aux besoins de l’Homme. Aalto dénonce son époque bouleversée par le progrès moderne, qui a évolué de façon si brusque et complexe, qu’elle a engendré de nombreux déséquilibres. Le bouleversement complet de la société a abouti à la collectivisation. Mais sa mise en œuvre est difficile. Plus de la moitié des logements finlandais voient le jour après 1960 et sont donc issus de cette période épineuse. En 1972, Aalto conclut ainsi son discours, lors du centenaire du


département d’architecture de l’université de Technologie à Helsinki : « L’humanité sera toujours imparfaite, tout comme nos logements et autres bâtiments », « nous ne pouvons éliminer les erreurs mais nous pouvons faire en sorte d’en commettre le moins possible ou, mieux encore, d’en commettre de sympathiques. »3 Après sa mort, l’architecture finlandaise traverse une période peu dynamique. La Finlande fut très impactée dans les années 1990 par l’effondrement de son principal partenaire économique, l’URSS, entrainant également ses architectes dans sa chute. La SAFA (Suomen Arkkitehtiliitto | Finlands Arkitektförbund), l’association finlandaise des architectes, équivalent de notre Ordre des architectes, n’était à l’époque pas assez puissante et solide pour éviter à ses membres d’offrir leurs services à des tarifs sacrifiés. Le point pivot de cette période sera atteint en 1992, avec Helvetinkolu, le pavillon de la Finlande, créé pour l’exposition universelle de Séville. Réalisé par des étudiants en architecture, il a permis de montrer au monde entier tout le potentiel de ces jeunes (futurs) architectes, originaires d’un pays européen à la fois si proche et si éloigné du cœur de l’Europe. L’architecture finlandaise contemporaine semble alors être sur les traces de ses principaux mentors de légende : Eliel Saarinen (1873-1950) qui a su mêlé art et architecture au cœur d’un romantisme national, Alvar Aalto (1898-1976) qui n’a jamais cessé de chercher l’équilibre parfait de ses lignes, et Reima Pietilä (1923-1993) qui a été l’un des représentants les plus significatifs de l’architecture organique. Les années 2000 annoncent une nouvelle ère, grâce notamment à l’exceptionnel système du concours architectural ouvert. L’anonymat est garanti, et le projet est, selon la règle, toujours réalisé. C’est ainsi qu’ont émergé diverses agences, toutes dirigées par des architectes de moins de 40 ans et lancées très souvent grâce à l’unique concours remporté. À l’automne 2014, le salon du livre de Francfort accueille la Finlande comme invité d’honneur. L’architecture est traditionnellement intégrée dans le programme culturel du plus grand événement de l’édition au monde. Cette année, le Deutsches Architekturmuseum a coproduit une exposition d’architecture avec le Museum of Finnish Architecture et l’Architecture Information Centre Finland : « Suomi Seven : Emerging

3. SCHILDT Göran (2012), Alvar Aalto, La table blanche et autres textes, Parenthèses, Paris, pp. 273-274.

1. Pavillon de la Finlande pour l’Exposition Universelle de Séville, 1992.

2. Affiche de l’exposition.

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4. « Suomi Seven : Emerging Architects from Finland », Deutsches Architekturmuseum, Francfort, Allemagne, du 6 septembre 2014 au 18 janvier 2015.

Architects from Finland »4. Cette exposition présente un éventail de sept architectes finlandais nés dans les années 1970 et 1980, échantillon des plus prometteurs et talentueux de leur génération. Malgré leur très grande jeunesse dans la profession, ces architectes présentent un portfolio imposant, encore une fois grâce au système de concours. On leur doit surtout d’apporter une nouvelle vision de l’architecture finlandaise. L’avenir de l’architecture finlandaise repose à présent entre les mains de cette génération montante de battants. Qui sont ces nouveaux architectes ? Quelles sont leurs particularités ? Excepté Reima Pietilä, qui s’illustra entre Alvar Aalto et cette génération d’architectes naissante, il semble qu’il y ait un manque, une interruption de toute « bonne » production. Comment se positionnent les jeunes architectes par rapport à Aalto, à l’héritage qu’il a laissé ? Mais quel héritage ? Existe-t-il des ponts, des liens, entre ces deux époques, le passé et le présent ? Que reste-t-il d’Alvar Aalto dans l’architecture finlandaise actuelle ? Telle est notre problématique. Pour répondre à cette question, ce mémoire se déroule en deux temps. J’ai choisi dans un premier temps cinq catégories fondamentales d’édifices comme base pour des analyses architecturales comparatives : l’église, la bibliothèque, la maison, l’école et le centre culturel. Pour chaque catégorie, j’ai placé face à face un édifice d’Alvar Aalto et un édifice d’un des cinq architectes choisis parmi les sept de « Suomi Seven ». Dans un second temps, j’ai synthétisé et analysé les résultats obtenus à partir des analyses architecturales, afin de dégager les éléments que nous retrouvons d’Alvar Aalto dans l’architecture de la jeune génération finlandaise, ceux que nous ne retrouvons pas, ou encore ceux qui s’en distinguent. Ce mémoire conduit à une nécessaire réflexion sur les liens tissés avec l’héritage laissé par Alvar Aalto, et à un questionnement sur ce que l’avenir peut espérer de cette jeune génération prometteuse d’architectes finlandais.

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3. et 4. Paysages finlandais : la rivière Kiiminkijoki (été 2013) et la Laponie (hiver 2013).

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CHAPITRE I Les Five de Suomi Seven en écho à Alvar Aalto

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Pour ce travail d’étude et d’analyse comparative, j’ai choisi de placer face au Géant du Nord Alvar Aalto cinq jeunes agences d’architectes sur les sept présentées dans l’exposition « Suomi Seven » de Francfort. Le choix des cinq s’est fait en fonction des différentes caractéristiques de leur bâtiment phare, généralement celui qui a fait décoller leur agence et qui a lancé leur carrière en remportant un concours (le type d’édifice et sa localisation plus particulièrement) mais aussi en fonction des connaissances que je possédais déjà sur ces agences, suite à mon année d’Erasmus en Finlande. Ayant au préalable défini cinq catégories fondamentales de bâtiment, il me fallait trouver une église, une bibliothèque, une maison, une école et un centre culturel, situés de préférence en Finlande, voire en Scandinavie. Ils devaient répondre aux mêmes caractéristiques tant du point de vue de l’environnement que des règles, pour pouvoir établir un dialogue avec les bâtiments d’Alvar Aalto, choisis parmi ses projets les plus célèbres.

5. Aalto au début des années 1930.

Ces cinq agences représentent la génération actuelle des générateurs d’innovations de la Finlande du XXIème siècle. Ils font progresser l’architecture à grand pas, de la même façon qu’Aalto l’a grandement faite évoluer à son époque. Bien que tous les architectes associés de ces agences soient nés entre 1973 et 1983, cela n’empêche pas qu’ils aient déjà construit de nombreux bâtiments, remarquables tant par leur taille que par l’importance des programmes. Ils sont très actifs dans leur pays, même s’ils n’ont pas ou peu exporté leurs compétences à l’international. 6. Anssi Lassila.

Dans ce premier chapitre, nous partirons tout d’abord à la rencontre de l’agence OOPEAA et leur étonnante église de la paroisse de Kuokkala à Jyväskylä. Anssi Lassila, un architecte finlandais né en 1973 à Soini, a fondé en 2001 l’agence « Lassila Mannberg Architects » à Oulu, après avoir remporté le concours ouvert aux étudiants pour la Kärsämäki Shingle Church en 1999 et un autre concours pour l’église Klaukkala en 2000. Lassila a ensuite transféré son agence à Seinäjoki où Teemu Hirvilammi l’a rejoint comme associé. À cette époque, l’idée d’une sensibilité périphérique comme faisant partie du processus créatif a commencé à murir. En 2014, Lassila Hirvilammi Architects a pris pour nom OOPEAA

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(Office for Peripheral Architecture). OOPEAA aspire à une architecture qui trouve son inspiration dans l’état d’entre-deux : entre urbain et rural, mais de manière à ce qu’ils soient toujours liés l’un et l’autre; entre un profond respect pour la tradition et un penchant pour le contemporain; enraciné dans la culture locale tout en restant ouvert à un contexte international. Leur travail se caractérise par leur intérêt à étudier la façon dont différents matériaux se comportent naturellement. OOPEAA travaille sur une grande variété de projets : des églises, des immeubles de bureaux, des logements, des résidences privées, mais aussi de l’architecture d’intérieur et de la rénovation. L’agence qui est présente à Seinäjoki et à Helsinki, emploie actuellement dix personnes. OOPEAA a remporté plusieurs prix pour des concours d’architecture. À la recherche de solutions innovantes, OOPEAA est également fasciné par la capacité d’expérimentation offerte par les nouvelles techniques. Le travail d’OOPEAA consiste à identifier le champ des possibles où une compréhension de la tradition rencontre une attitude ouverte sur la modernité.

7. Selina Anttinen et Vesa Oiva.

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Nous nous tournerons ensuite vers Anttinen Oiva Architects et leur curieuse bibliothèque universitaire à Helsinki. L’agence d’architecture Anttinen Oiva Architects (AOA) est dirigée par Selina Anttinen (1977) et Vesa Oiva (1973). Basée à Helsinki, elle a vu le jour en 2006. Elle travaille sur des projets très variés : boutiques, bâtiments publics et immeubles de bureaux, logements ou encore projets d’urbanisme. Les architectes cherchent à créer un environnement durable, fonctionnel, souple qui incite l’usager à l’expérimentation. Leur approche de l’architecture est analytique, se basant sur des discussions très ouvertes. Pour développer chaque idée, AOA considère de nombreuses alternatives afin de maximiser le potentiel du projet et des ressources à disposition. Le travail de AOA est guidé par le contexte et l’environnement des sites. Chaque projet instaure un dialogue avec son époque, son lieu et sa culture locale. Cela inclut les caractéristiques physiques du site et les expériences sensorielles qu’ils font naître. AOA cherche à les interpréter et à les mettre en scène. Les limites et les challenges contenus dans chaque projet vont venir guider le processus de conception. Leurs mots d’ordre sont « dialogue » et « expérience ».


L’architecture peut ouvrir de nouvelles perspectives concernant les sites et les situations. Elle peut créer et générer des plateformes d’interaction en réunissant différentes personnes et modes de vie dans leurs pluralités inhérentes. Ce sera ensuite au tour d’Avanto Architects et de leur Four-Cornered Villa minimaliste, située à Virrat. Avanto Architects a été créé en 2004 par Ville Hara (1974) et Anu Puustinen (1974) après avoir gagné un concours ouvert pour une chapelle dans un cimetière. L’agence travaille actuellement sur des projets d’échelle variable pour des collectivités publiques, des entreprises et des clients privés. « Avanto » désigne en finnois « un trou dans la glace pour se baigner en hiver », un passe-temps très prisé en Finlande. Il symbolise la philosophie de conception de l’agence. Avanto souhaite créer un environnement qui suscite des émotions aux personnes qui utilisent l’espace. Les architectes d’Avanto aiment profiter de la nature et travaillent de façon à la préserver, afin que les générations futures puissent elles aussi en jouir. Selon eux, les points importants de leur architecture sont l’inscription dans le territoire et le paysage. Ils cherchent à construire des projets durables et flexibles, à offrir des expériences émouvantes, et conçues pour l’Homme. Tout cela au moyen d’une utilisation novatrice et naturelle des matériaux, et de l’utilisation de la lumière pour créer de l’espace et des atmosphères. Lauréats du Bryggman Prize for young architects and interior architects, et nominés tous les deux séparément pour le Mies van der Rohe Prize, le travail d’Avanto présente une approche de l’architecture comme un processus centré sur la manipulation des matériaux, la lumière, et le rythme spatial.

8. Ville Hara et Anu Puustinen.

9. Verstas Architects.

Puis nous retournerons vers Helsinki avec l’agence Verstas Architects qui a conçu l’école de Saunalahti à Espoo. Verstas Architects est une agence d’architecture basée à Helsinki. Elle a été fondée en 2004 par quatre architectes : Väinö Nikkilä (1980), Jussi Palva (1974), Riina Palva (1976) et Ilkka Salminen (1980). Ayant remporté de nombreux concours d’architecture, et achevé avec succès d’importants projets, Verstas est aujourd’hui considérée comme faisant

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partie des agences montantes de la Finlande. Le nom Verstas (qui signifie « workshop », « atelier » en finnois) reflète les valeurs essentielles des architectes de cette agence. Grâce à un travail de groupe proche et interactif, ils génèrent des projets sur-mesure et des solutions de conception uniques, afin de répondre au mieux aux besoins et aux exigences de leurs clients et des usagers, ainsi qu’aux objectifs du projet. L’agence emploie actuellement dix-sept personnes, ce qui n’empêche pas les architectes associés d’être directement impliqués dans tous leurs projets. Verstas cherche à améliorer l’environnement bâti. Les bâtiments sont des agglomérations d’espace, « des tapisseries de matière et de lumière ». Pour Verstas, le principe sous-jacent est de concevoir des lieux et des espaces où les usagers se sentent à l’aise et puissent s’épanouir, tout en s’assurant que la structure aboutie s’inscrit dans l’environnement de façon équilibrée et harmonieuse. Ils s’efforcent de penser en terme d’entités, pas seulement au bâtiment, mais à comment ce dernier va pouvoir dialoguer avec l’environnement existant.

10. ALA Architects.

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Enfin, nous terminerons ce périple en Norvège avec l’agence ALA Architects et le spectaculaire Kilden Performing Arts Centre. ALA Architects est spécialisée dans la conception de bâtiments publics complexes, la rénovation et la modification de monuments modernistes, et les systèmes d’infrastructure. L’agence d’architecture basée à Helsinki est dirigée par ses quatre partenaires fondateurs : Juho Grönholm (1975), Antti Nousjoki (1974), Janne Teräsvirta (1975) et Samuli Woolston (1975). Leur collaboration a commencé en 2004 grâce aux succès obtenus aux concours ouverts. Le premier prix du concours pour le nouveau théâtre et la salle de concert à Kristiansand en Norvège (connu aujourd’hui sous le nom de Kilden Performing Arts Centre) en 2005 leur a donné leur premier grand projet. En 2012, les quatre partenaires d’ALA Architects ont reçu le prestigieux « Finnish State Prize for Architecture ». L’agence emploie actuellement quarante-cinq architectes, étudiants et membres du personnel, issus du milieu international. Les quatre partenaires sont directement impliqués dans tous les aspects du travail de conception de l’agence. Pour chaque projet, ils adoptent une approche très pragmatique lorsqu’ils font face aux étapes critiques. ALA Architects s’engage à chercher de nouveaux angles d’approche,


des formes fluides et des solutions surprenantes à tous les niveaux de l’architecture. Ils utilisent des outils de conception actuels tels que la modélisation des données architecturales, l’impression 3D, et des logiciels de conception paramétrique. Ces méthodes sont combinées aux techniques plus traditionnelles comme la réalisation de maquettes et la recherche de matériaux de construction pour trouver la meilleure solution à chaque questionnement. Le bureau s’appuie sur son réseau de collaborateurs et de spécialistes internationaux pour favoriser un échange de connaissances toujours à la pointe de l’innovation.

Four-cornered Villa

Jyväskylä Virrat

Église de Kuokkala

Villa Mairea Noormarkku

Église des Trois Croix Imatra Viipuri

Institut Polytechnique

Kilden

Kristiansand (Norvège)

Otaniemi Finlandia Hall Espoo Helsinki École de Saunalahti

Bibliothèque universitaire

Bibliothèque municipale 11. Carte de la Finlande et situation des bâtiments étudiés. En rouge, ceux d’Alvar Aalto. En bleu, ceux des Five de Suomi Seven.


I.1 L’église A. Aalto, Église des trois croix de Vuoksenniska, Imatra, Finlande (1956-1959) OOPEAA, Église de la paroisse de Kuokkala, Jyväskylä, Finlande (2010) Les plans d’église d’Alvar Aalto sont un bon support pour observer son évolution stylistique. Dans les années 1920, les églises sont plutôt de style classique, comme celle de Muurame, où nous pouvons lire l’inspiration italienne de ses voyages. Aalto y développe des formes austères, sans ornementation. Celles de Taulumäki et de Töölö dans les années 1930 montrent la transition du classicisme au fonctionnalisme. Les églises de cette époque sont peu appréciées par un jury à l’orientation très classique. Pendant une longue période, Alvar Aalto ne participe plus à aucun concours de nature religieuse, ni ne se voit proposer de projet de la part des paroisses. Ce n’est que vingt ans plus tard qu’Aalto prend à nouveau part aux concours d’édifices religieux, et c’est un franc succès. Deux participations, deux premiers prix : l’église de Lahti et la chapelle funéraire de Malmi. Son style est devenu beaucoup plus sculptural, le point d’orgue en est l’église des Trois Croix. Alvar Aalto commence à travailler sur les plans de l’église des Trois Croix en 1955, après avoir terminé en 1953 le plan directeur d’urbanisme de la ville d’Imatra. La construction de l’église se termine en 1958.

12. Église (1926-1929), Muurame. 13. Proposition pour le concours de l’église de la paroisse de Töölö à Helsinki (1927). 14. Proposition pour le concours de l’église de Lahti (1950).

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En 2006, un concours a été organisé pour l’église de Kuokkala. La ville demandait la conception d’un bâtiment qui pourrait devenir un point central du quartier de Kuokkala, dans la banlieue de Jyväskylä, située dans le centre-sud de la Finlande. Il s’agissait de renforcer l’identité du quartier comme étant une communauté à part entière. Le programme du concours requérait la possibilité d’offrir différentes fonctions à la paroisse, comme un centre communautaire, et de les lier entre elles dans un continuum innovant. Il était demandé qu’elles soient rassemblées dans une structure à la forme reconnaissable et significative, créant « une église qui ressemble à une église ». Le bâtiment orienté est-ouest se tient au centre de Kuokkala Square, le lieu principal de ce quartier de Jyväskylä. Que ce soit pour Alvar Aalto ou pour OOPEAA, lorsque ces architectes conçoivent une église, ils cherchent à résoudre une problématique fondamentale : arriver à concilier fonctions religieuses et sociales dans


un même espace. Au sein de communautés industrielles, telles que celles d’Imatra et de Jyväskylä, les activités de l’Église se tournent naturellement vers une dimension sociale. L’organisation de l’ensemble des fonctions paroissiales se décline souvent en un agglomérat de petits édifices : club pour les jeunes, salles pour la paroisse, salles de réunions, ainsi qu’un espace modeste pour les activités religieuses qui semble parfois avoir été ajouté pour faire bonne mesure. L’objectif de l’architecte est d’arriver à trouver la forme totale de l’église, celle qui permettra de donner l’espace nécessaire à chaque activité sans compromis.

Hall A

Hall B

Hall C

Pour répondre à cette question, Alvar Aalto conçoit le plan de l’église des Trois Croix avec trois halls juxtaposés que nous pouvons nommer A, B et C. Le hall A correspond au sanctuaire de l’église. Les halls B et C peuvent s’ajouter au premier grâce à d’épais murs mobiles. Les jours de semaine, ces halls peuvent être utilisés pour les différentes activités de la paroisse. Le hall A, où se déroule le rite religieux, est prévu pour 290 fidèles. Unis aux deux autres halls, l’église peut accueillir 800 personnes. Les murs mobiles de séparation sont en béton et font chacun 42 cm d’épaisseur. Un système de roulement à bille baignant dans l’huile permet de faire coulisser ces parois de 40 tonnes. Elles sont suffisamment lourdes pour fournir une isolation acoustique complète et permettre une utilisation simultanée des trois halls. L’église de Kuokkala d’Anssi Lassila, architecte fondateur de l’agence OOPEAA, se fonde également sur un plan multiparti. Nous pouvons identifier deux halls, A et B. Le hall A accueille l’espace sacré dédié à la prière, et le hall B les salles de réunion de la paroisse. Anssi Lassila ne va pas utiliser des murs amovibles pour séparer les halls, comme l’a fait Alvar Aalto. Il choisit de placer une galerie entre les espaces, permettant à la fois d’isoler chaque lieu et d’abriter l’orgue. Cette galerie peut s’ouvrir dans sa partie inférieure afin de combiner les deux halls en un seul grand espace sacré. Cependant, la séparation est ici uniquement phonique et non visuelle, puisque les panneaux mobiles de séparation sont en verre. Ces deux églises comportent chacune de nombreuses entrées (cinq pour l’église des Trois Croix, quatre pour l’église de Kuokkala) afin d’assurer l’utilisation simultanée des halls sans désagrément.

N 15. Église de la paroisse de Vuoksenniska, Imatra (1956-1959) : plan de rez-dechaussée.

Hall A

Galerie

Hall B

N 16. Église de la paroisse de Kuokkala, Jyväskylä (2010) : plan du niveau r+1.

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Outre ces différents halls, quelques salles plus petites s’organisent autour des espaces sacrés. Cette disposition permet une flexibilité de l’espace et l’accueil d’une grande variété d’évènements.

Autel Chaire Orgue

Autel Chaire

Orgue

Organisation des éléments sacrés dans l’église.

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Les églises d’Alvar Aalto et d’Anssi Lassila sont toutes les deux des Églises évangéliques luthériennes. Le service religieux dans l’église luthérienne s’appuie sur trois éléments architecturaux : l’autel, la chaire, et l’orgue. Tous trois sont organisés entre eux selon une forme triangulaire au sein de l’espace sacré (le hall A). L’autel étant par définition l’élément le plus sacré de l’église, il est placé au centre. La chaire se situe généralement sur le côté, orientée vers l’assemblée. Cette disposition se retrouve chez les deux architectes, seule la position de la tribune de l’orgue varie. Chez Aalto, il se situe à l’opposé de la chaire, de l’autre côté de l’autel. Chez Anssi Lassila, l’orgue sert de dispositif séparatif et se retrouve au centre de l’église. L’organisation triangulaire est donc plus écrasée chez Alvar Aalto que chez Anssi Lassila. L’audibilité du sermon dans une église luthérienne est le sujet le plus important et le plus complexe à résoudre. Le mur plat adjacent à la chaire réfléchit le son. Puis le long mur qui fait face diagonalement à la chaire le diffuse, et détermine la réflexion du son de façon beaucoup plus importante que les autres murs. Un grand soin doit être apporté à la conception de ce mur pour permettre la projection optimale du son vers l’assemblée. L’édifice d’Alvar Aalto porte une grande importance à ce mur acoustique. Il est fait de formes variées, plates, courbes ou encore voûtées. Les éléments non parallèles qui le composent sont sculptés pour diffuser le son. Le mur entier, y compris les surfaces vitrées, est penché vers l’intérieur. Les parties arrondies des parois mobiles viennent se lier à la courbe du mur diffuseur. La conception acoustique de la voûte intérieure a été travaillée à l’aide d’une maquette, dans laquelle des rayons de lumière étaient dirigés horizontalement et verticalement depuis la chaire vers de petites miroirs situés dans le plafond et les murs. Cette étude se basait sur le fait que les ondes sonores sont réfléchies de la même façon que les rayons lumineux. Anssi Lassila n’accorde pas autant d’importance à la conception acoustique de l’église de Kuokkala. L’architecte s’attarde plus sur les effets de lumière et l’atmosphère qui se dégage de l’édifice. Sa forme


17. Prise de lumière indirecte et réfléchie vers le chœur. 18. La ligne de contact entre la paroi nord et la voûte. 19. Coupes montrant l’étude de la réflexion du son (en haut) et de la lumière (en bas) dans le volume.

20. L’autel et la chaire sous un puit de lumière. 21. La tribune de l’orgue, vue vers l’autel.

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brute et massive évoque les églises médiévales. Le choix des matériaux nourrit le dialogue de contrastes entre l’extérieur et l’intérieur de l’église : des ardoises noires taillées à la main et disposées comme sur un toit de chaume pour l’enveloppe externe, une coque doublée d’un maillage en bois pour abriter l’espace sacré. Cette voûte en épicéa, une essence locale, se prolonge sur toute la longueur des deux halls A et B, unifiant visuellement l’espace. Alvar Aalto utilise le même système dans son église, au moyen de « vagues » successives formant le plafond. L’épicéa est ici spécialement utilisé car c’est un bois qui réfléchit la lumière. Le maillage de bois la filtre, donnant une qualité aérienne à l’espace. De nombreuses sources de lumière naturelle viennent souligner les formes particulières de la nef. Tout est fait pour accentuer l’impression de hauteur et les proportions élancées, en référence à la richesse structurelle des cathédrales gothiques. Le mobilier de l’espace réservé au culte est en frêne et l’autel en tilleul, une essence de bois historiquement utilisée pour la sculpture des icônes en bois. L’ensemble résulte en un espace aux tons doux et clairs, d’où s’échappe un sentiment d’apaisement intérieur.

22. et 23. Vue d’ensemble des deux églises : élancement du clocher. Expression externe directe des espaces intérieurs et des prises de lumière naturelle.

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Les meubles en bois fixés sur un sol en céramique dans le hall A de l’église d’Alvar Aalto, s’intégrent dans un environnement intérieur complètement blanc. Grâce à de multiples ouvertures aux formes variées, l’intérieur blanc offre en permanence des changements dans la lumière, modulés par le soleil, le ciel et l’espace naturel environnant. Le seul élément de couleur dans cet intérieur d’un blanc immaculé est un vitrail symbolique représentant une couronne d’épines (composé par Alvar Aalto lui-même) dans la fenêtre principale du mur ouest. Les fenêtres du mur aux formes très organiques à l’est sont constituées de plusieurs couches structurelles plus ou moins penchées et de vitrage. Elles sont comme des prismes, à travers lesquelles s’opère un magnifique jeu de lumière. L’ouverture zénithale située juste au dessus de l’autel donne l’impression que la lumière « coule » sur le mur. Les références formelles à l’eau et au mouvement de cascade de la rivière et de la mer dans cette église renforcent la signification de « vuoksi » (l’eau qui coule, du nom du quartier Vuoksenniska).


24. Vue d’ensemble côté entrée. Les accès et les prises de lumière en toiture. 25. Détail de la coque en épicéa avec ses effets de lumière. 26. La partie sacrée de l’église et son sol en céramique. Au fond, les parois amovibles. 27. Buffet d’orgue près de la chorale, traitement sculptural des parois et des ouvertures. 28. Côté arrière : traitement des absidioles et des baies vitrées en hauteur, verticales à l’extérieur, obliques à l’intérieur.

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I.2 La bibliothèque A. Aalto, Bibliothèque municipale, Vyborg, Russie (anciennement Viipuri en Finlande) (1927-1935) Anttinen Oiva Architects, Bibliothèque universitaire, Helsinki, Finlande (2012)

29. Façade du projet de concours avec frise et ordonnance néoclassique, qui sera complètement abandonné.

30. Bibliothèque municipale de Gunnar Asplund (1928), Stockholm. Façade d’entrée. 31. Bibliothèque de Viipuri, vers 1935. Au premier plan, l’aile administrative. Derrière, les salles de lecture et les puits de lumière.

Les bibliothèques sont un thème sur lequel Alvar Aalto est revenu à maintes reprises tout au long de sa vie. Les plans de ses bibliothèques fournissent un résumé de l’évolution de son architecture. Sa première intervention marquante concerne la bibliothèque située dans une aile du bâtiment du Parlement finlandais à Helsinki, conçue au cours d’un concours en 1923. Alvar Aalto a essayé un croisement très original entre un théâtre classique cubiste et un système de rayonnage directement accessible au public. Il reprend ce motif en 1927 pour le concours de la bibliothèque municipale de Viipuri. C’est ici que se manifeste sa première « fosse du livre », un volume creux et ouvert accueillant des rayonnages et un espace de lecture. Alvar Aalto adaptera plus tard cette idée novatrice à la plupart de ses bibliothèques. Cette « fosse du livre » fait allusion de façon suggestive à la littérature comme fondement spirituel sousjacent de l’homme. Ce n’était pas l’avis des bibliothécaires, qui la jugeait contraignante et non fonctionnelle. Pour ce concours, Alvar Aalto s’appuie sur l’exemple de la bibliothèque municipale de Stockholm, réalisée en 1928 par l’architecte suédois Erik Gunnar Asplund. Il en modifie les schémas très classiques. En 1933, Alvar Aalto produit un plan révisé pour la bibliothèque qui reflète les esthétiques modernes et les principes organiques fonctionnalistes. Ce plan final introduit une série « d’inventions fonctionnelles », tout en pointant vers des styles tels que ceux de Walter Gropius et Le Corbusier. La bibliothèque municipale de Viipuri a été la première de style fonctionnaliste en Finlande. La jeune agence d’architecture Anttinen Oiva Architects remporte en 2008 le concours pour la nouvelle bibliothèque universitaire d’Helsinki, surnommée la « Kaisa House ». L’université d’Helsinki se trouve dans le centre de la capitale finlandaise. Le campus consiste en un ensemble de bâtiments répartis autour de la célèbre place du Sénat. Cette disposition est pratique pour les étudiants, mais pas pour une bibliothèque, alors dispersée à travers toute la capitale. C’est pour cette


raison que l’université a décidé de regrouper les bibliothèques dédiées aux sciences humaines dans un unique bâtiment du centre-ville. La nouvelle bibliothèque universitaire est la plus grande de ce genre en Finlande. La conception du projet se fonde sur l’environnement urbain préexistant. Le nouveau bâtiment vient compléter un bloc urbain du centre-ville. Les architectes voient leur projet comme « une porte sur l’ère de l’information ». Après avoir remporté le concours de la bibliothèque municipale de Viipuri en 1927, Alvar Aalto retravaille les plans à de nombreuses reprises avant qu’elle ne soit construite. Après que le conseil municipal ait décidé d’un changement d’emplacement de la bibliothèque dans le parc Torkkeli à l’automne 1933, Alvar Aalto élabore la version finale (le changement de site nécessitait une réorganisation des espaces) et signe les plans en décembre 1933. La construction démarre en 1935, et la bibliothèque est inaugurée le 13 octobre 1935. Alvar Aalto a organisé les salles publiques de façon à ce que les espaces principaux aient des entrées séparées. L’entrée principale se trouve au nord, face à une rue importante, tandis que l’entrée de la bibliothèque des enfants est au sud, un niveau plus bas, donnant sur un parc et une aire de jeux. La salle des périodiques possède elle aussi sa propre entrée, à l’est, s’ouvrant sur une rue secondaire et desservant également les locaux administratifs et privés. Bien que l’entrée principale et l’entrée pour les enfants soient alignées sur un axe nord-sud, elles ne sont pas connectées pour autant. Au contraire, la circulation principale prend un détour par rapport à cet axe et vient s’élever sous la salle de lecture. Un noyau de services crée un axe vertical et lie les espaces à l’intérieur. S’enroulant autour d’un ascenseur pour les livres, il pénètre chaque étage tel un périscope. Au sommet de cet axe vertical se trouve le bureau de contrôle de la salle de lecture. Ce noyau central permet de fournir à tous les espaces les ressources nécessaires, tandis que la circulation publique est essentiellement périphérique.

32. Vue aérienne du site. En rouge, la place du Sénat. En bleu, l’emplacement de la bibliothèque.

33. Plans de la bibliothèque de Viipuri. Du haut vers le bas : plan du niveau R-1, RDC, et R+1.

Bibliothèque des enfants

Stockage

Auditorium Entrée principale

« Fosse du livre » Aile administrative

Salle de lecture

La « Kaisa House » diffère de la bibliothèque d’Alvar même si elle est aussi obligée de gérer des accès situés niveaux. Contrairement à Viipuri, le volume intérieur

Aalto, à différents résultant est

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34. Coupe longitudinale de la « Kaisa House », à travers trois puits de lumière. 35. Façade sur rue, avec au rez-de-chaussée des commerces.

36. Croquis des principes d’éclairement zénithal naturel.

37. Vue intérieure sous les puits de lumières, en montant vers le guichet d’accueil, pour redescendre vers la grande salle au fond en contrebas, non visible mais indiquée par son plafond surbaissé.

complètement ouvert et fluide, à l’exception de quelques espaces fermés pour des salles de travail. Les plateaux sont complètement ouverts sur leur axe horizontal. L’axe vertical structurant n’est pas plein, mais vide, caractérisé par trois (quatre si nous incluons le large escalier hélicoïdal) puits de lumière traversants qui permettent de s’orienter plus facilement dans le bâtiment et de connecter de visu les niveaux. Cependant, l’organisation des deux bibliothèques est proche : l’administration dans les étages les plus élevés, les réserves, les espaces de stockage dans un empilement de sous-sols. La « Kaisa House » accueille en plus un supermarché, une boutique et un café littéraire, situés au rez-de-chaussée. Cet usage commercial pourrait sembler inapproprié dans un bâtiment dédié à la culture et à l’étude. Ce n’en est pas le cas, bien au contraire, puisque ce parti pris permet d’animer en continu la façade sur rue. Cette mixité des usages était d’ailleurs une caractéristique des bâtiments publics, très prisée d’Alvar Aalto. À Viipuri, la volumétrie globale de la bibliothèque résulte de ses besoins fonctionnels contrastés. Les volumes sont composés selon une technique de collage cubiste. Ils distinguent deux fonctions. La première est la salle de lecture et la salle de prêt, élevées dans un bloc aveugle au-dessus de la salle des périodiques et de la bibliothèque des enfants. Ce bloc principal se développe autour de la lecture. La principale préoccupation concerne donc l’isolation acoustique et surtout visuelle de l’environnement extérieur. Pour cela, Alvar Aalto a travaillé avec une grande minutie la lumière naturelle, afin d’éliminer tout reflet, toute lumière directe, et autres ombres en résultant. Ces salles aveugles sont éclairées par une multitude de puits de lumière. Le plafond contient cinquante-sept ouvertures rondes et coniques, d’1,8 mètres de diamètre, réparties selon une grille orthogonale. La profondeur des cônes garantit qu’aucun rayon lumineux ne puisse pénétrer à un angle de 52° ou moins. Ainsi, l’éclairage est indirect toute l’année. Cela permet de protéger les livres de la lumière directe du soleil. De plus le lecteur n’est pas dérangé par une ombre ou une lumière forte, et ce, quelle que soit sa position par rapport au livre. La surface interne du cône réfléchit la lumière du jour de telle façon que les rayons de chaque cône se répandent comme un ensemble diffus dans tout l’espace. Chaque siège dans la salle de lecture, recevant de la lumière de plusieurs cônes, est ainsi baigné dans une lumière composite. Les


parois sont épaissies pour éliminer le bruit de la rue, et habillées pour réfléchir encore un peu plus la lumière. La seconde fonction est le bloc rectangulaire annexe de l’auditorium et des bureaux administratifs. Ce second bloc est décalé par rapport à la masse principale au sud, mais les deux sont reliés par un axe commun de circulation. Dans l’auditorium, le plafond et les murs sont traités pour améliorer l’acoustique de ses nombreuses assemblées, conférences, discussions et autres activités. Le plafond de l’auditorium consiste en une vague de bois ondulante, formées de lattes jointes sur une surface totale de 58 m2, qui diffuse le son d’une façon très particulière. Alvar Aalto considère que les débats sont aussi importants, si ce n’est même plus, que les conférences. Pour cela, l’audibilité ne doit pas se faire dans un seul sens, comme c’est le cas dans les salles de concert. Ce célèbre plafond d’Alvar Aalto vise à faire de chaque point dans cet auditorium un égal émetteur et récepteur des paroles prononcées d’une voix à intensité normale. Le son peut voyager d’un point quelconque dans la salle à tous les autres. Le plafond est un réflecteur qui améliore l’interaction de groupe, et non une forme ciblée qui ne soutiendrait que le conférencier. « Je considère que les problèmes acoustiques sont principalement physiologiques et psychologiques, ce qui explique pourquoi ils ne peuvent pas être résolus par des moyens purement mécaniques. »5 Comme l’a noté Alvar Aalto, la salle de lecture est définie pour l’œil, l’auditorium pour l’oreille. La physiologie du corps humain devient ainsi la source d’une conception organique et fonctionnaliste. Contrairement à la bibliothèque de Viipuri, la « Kaisa House » n’offre aucune lecture de ses différents niveaux et de leurs hauteurs depuis

38. Étude du plafond acoustique de l’auditorium, ondulé et modulaire, ajusté aux retombées de la poutraison. 39. Vue depuis l’auditorium : le plafond ondulé s’arrête avant les baies vitrées, audessous de leur linteau horizontal. 40. Vue vers l’auditorium : depuis l’extérieur, les ondulations du plafond font penser à des rideaux.

5. SCHILDT Göran (1998), Alvar Aalto : Masterworks, Thames and Hudson, Londres, p. 34.

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l’extérieur, encore moins de son organisation intérieure. Le bâtiment est inséré dans une étroite parcelle du centre-ville, comme s’il avait été conçu sur-mesure. La bibliothèque présente deux façades et des entrées sur rue ouvrant sur trois niveaux différents du fait de l’importante variation de la topographie du terrain. La façade ouest présente une grille structurelle dense constituée de panneaux et de fenêtres, interrompue par de grandes ouvertures paraboliques marquant les trois entrées. La façade est montre les mêmes caractéristiques, avec seulement une grande ouverture parabolique. Ce système d’ouvertures arquées dont la taille varie permet au bâtiment de s’adapter facilement à son site. Les façades sont des murs en béton, couverts de brique. Alvar Aalto avait fait le choix pour sa bibliothèque d’avoir des façades blanches pour leur aspect résolument moderne, façon Le Corbusier. La brique rappelle les vieilles villes industrielles finlandaises. Mais associée à ces ouvertures paraboliques ultra contemporaines, la « Kaisa House » prend un air futuriste et semble tout droit sortie d’un film de science-fiction. Pour les grandes ouvertures principales, l’agence a fait le choix de structures suspendues en acier et en verre. À l’intérieur, les architectes ont travaillé plus sur l’ambiance que sur des détails innovants comme l’a fait Alvar Aalto. L’atmosphère générale qui s’en dégage est très douce, avec son intérieur blanc immaculé et ses grandes ouvertures ovoïdales qui pourraient faire penser à des nuages dans un espace céleste. Quelques touches de bois, disposées ça et là, viennent apporter de la chaleur au lieu, ainsi que de brefs éclats de couleur sur le mobilier pour réveiller l’ensemble. Bien que les niveaux soient complètement ouverts, des jeux de hauteur grâce aux puits de lumière et d’aménagement intérieur permettent de créer différentes ambiances. C’est à chaque étudiant de trouver l’espace qui lui conviendra le mieux pour venir travailler.

41. 42. 43. et 44. Contrastes intérieurextérieur de la « Kaisa ».

L’objectif de l’Université d’Helsinki était de construire un équipement représentatif, attrayant et confortable, qui serait apprécié par les étudiants, les chercheurs et le personnel. L’objectif est aujourd’hui largement atteint puisque la « Kaisa House » affiche souvent complet à l’heure du déjeuner. Quant à la bibliothèque de Viipuri, le changement de frontière et son passage côté Russie ne lui ont pas réussi. Sous le régime soviétique, peu d’étrangers ont pu visiter le bâtiment. Menacé d’abandon, il a souffert


de mauvaises campagnes de rénovation. Un comité finlandais pour la restauration de la bibliothèque de Viipuri s’est formé en 1992, après la chute de l’URSS. Achevée en 2013, la restauration a nécessité une coopération entre les gouvernements finlandais et russes, les autorités régionales et le financement international. La bibliothèque a aujourd’hui retrouvé ses lettres de noblesse et toute sa splendeur. 45. et 46. La salle de prêt, avant et après restauration.

47. Vue de l’escalier central. 48. Le « spot » de lecture le plus prisé de la bibliothèque.

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I.3 La maison - Le « cottage » A. Aalto, Villa Mairea, Noormakku, Finlande (1938-1939) Avanto Architects, Four-cornered villa, Virrat, Finlande (2010)

6. Ahlström est une société industrielle de bois et de papier créée en 1851.

49. Maire Gullichsen et Alvar Aalto sur le terrain de la futur Villa Mairea. 50. Contrastes : l’angle du séjour et le volume de l’atelier. 51. Dans l’angle du jardin, une piscine comme un petit lac.

La Villa Mairea est située sur un grand domaine privé, aux côtés de la maison de style victorien du grand-père de la collectionneuse d’art Maire Gullichsen, Antti Ahlström (le fondateur de l’empire industriel Ahlström6) et du manoir de style Art nouveau du père de celle-ci, Walter Ahlström. Juxtaposée à ces deux demeures, la résidence de villégiature moderne exprime les valeurs d’une nouvelle génération. Harry et Maire Gullichsen, les commanditaires, ont même encouragé Alvar Aalto à l’expérimentation, pour le bien et l’innovation de l’Architecture, sans se soucier que cela puisse éventuellement conduire à un échec. Durant tout le processus de construction, la villa a d’ailleurs connu de nombreuses modifications. Alvar et Aino Aalto avaient déjà travaillé pour le compte de la compagnie Ahlström, dont les Gullichsen sont les héritiers. La création de la firme Artek en 1935, éditrice encore aujourd’hui du mobilier d’Aalto, est le fruit de leur collaboration. Une grande partie des maisons privées produites par Alvar Aalto étaient créées pour ses amis personnels. L’architecte cherchait à combiner les activités professionnelles du propriétaire (souvent des artistes) et une vie de famille dans un ensemble indivisible. L’artiste, comme toute personne dévouée à son travail, ne peut pas tracer une ligne claire entre son travail et ses loisirs. Aalto a tenu à travers ces maisons individuelles, à souligner l’importance fondamentale de telles vocations. Les bâtiments qu’il concevait pour ses amis étaient comme des portraits d’un certain genre, des images de leur personnalité unique. Début 1938, Alvar Aalto propose sa première élaboration de plan à l’échelle 1:100 pour la résidence d’été de Maire et Harry Gullichsen. Le 14 avril 1938, l’architecte signe une proposition modifiée, appelée « ProtoMairea ». Le terrassement et les fondations étaient déjà commencés selon ces plans au printemps 1938, lorsqu’Aalto a soudainement décidé de supprimer la totalité du sous-sol, et de combiner le séjour et la galerie d’art, séparée à l’origine, en un grand espace multifonction. Les architectes de l’agence Avanto Architects ont construit une maison de vacances avec un nom trompeur : « Four-cornered villa », ou la maison aux quatre coins. En réalité, la maison est petite et comporte douze coins. 78 m2 sont suffisants pour offrir à ses habitants tout ce


dont ils ont besoin. Pour ce projet sur lequel Avanto Architects a travaillé durant deux ans, l’idée était de fournir un exemple de « cottage », de petite maison durable contrairement aux cottages finlandais standards qui sont chauffés toute l’année pour éviter le gel des canalisations. Le site se trouve sur une île en forme de fer à cheval sur le lac de Vaskivesi. La maison est agencée selon un plan cruciforme, dont les ailes sont désaxées par rapport au centre. Aucune connotation religieuse ou symbolique n’existe ici, cette forme permet d’avoir une pièce dans chaque branche, et de s’ouvrir sur les quatre points cardinaux. Le projet ne comporte pas une seule et unique direction. Les extrémités des branches sont totalement vitrées et cadrent quatre vues différentes. Trois d’entre elles ouvrent sur le lac, et la quatrième sur la forêt à l’ouest. Combinées à un plan libre totalement ouvert à l’exception de quelques parois pour la chambre, cela construit une séquence d’espaces orientés vers des vues encadrées, faisant apparaître la maison comme un jeu dramatique de tons foncés et clairs, de lumière et d’ombre. Les parois latérales des ailes sont pleines à l’exception d’une ouverture pour le séjour. Elles assurent la fonction porteuse de la toiture. La lumière du soleil du matin inonde la table du petit-déjeuner, à midi elle se diffuse dans la salle à manger, et le soir elle illumine le séjour. Seule la chambre exposée au nord ne reçoit aucune lumière directe du soleil. Elle n’a donc pas besoin de rideaux. Les terrasses sont couvertes pour éviter la surchauffe du bâtiment l’été. Contrairement à la norme

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52. Plan. 53. Vue intérieure sur l’espace de vie depuis l’entrée. 54. Vue sur l’angle nord-est et l’entrée de la maison.


appliquée partout en Finlande, la maison n’a pas besoin d’être chauffée électriquement en permanence pour éviter que les canalisations ne gèlent. L’isolation a été renforcée et les architectes ont travaillé sur des solutions innovantes dans les détails techniques pour pouvoir atteindre cet objectif. La maison est chauffée uniquement par deux cheminées, l’une dans le séjour, et l’autre dans la chambre, alimentée par du bois provenant de la forêt environnante. Il n’y a pas l’eau courante, et l’électricité est produite par une installation photovoltaïque située au bord du lac.

55. Le poêle, élément de couleur de contraste dans l’atmosphère paisible de la chambre.

56. Plan de l’étage, avec chambres et terrasse, ainsi que l’atelier de Maire. Plan du rez-de-jardin : inscription dans un carré non perceptible. Fluidité continue entre le séjour, le bureau, et la salle à manger. Le sauna se trouve à proximité de la piscine.

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La Villa Mairea, douze fois plus spacieuse que le petit cottage d’Avanto Architects, est en forme de L, avec une petite aile de service à l’est, l’espace de vie principal à l’ouest, et l’entrée ainsi que la salle à manger au milieu. L’étage supérieur est strictement consacré à la vie privée, avec toute une série de chambres d’amis, d’enfants, les chambres individuelles de Maire et d’Harry, ponctuée à la fin par l’atelier de peinture de Maire Gullichsen à la forme organique. Une cour sépare la maison principale du sauna et de la piscine. Une forêt de pin entoure l’ensemble de la composition, définissant son périmètre. L’entrée est signalée par un vaste auvent de forme fluide. Totalement en bois, il est soutenu par une colonnade de jeunes arbres fins, très serrés d’un côté, et noués entre eux de l’autre. Ces éléments donnent


l’impression que l’architecture appartient à la forêt qui entoure la villa. De la même façon, nous pouvons voir la nature entrer dans l’habitation à travers la succession de matériaux utilisés pour la séquence d’entrée : tout d’abord le perron en pierre posées en « opus incertum », puis le sas avec ses grandes dalles en terre cuite, et enfin la pièce principale avec son carrelage plus ordinaire et son parquet. Les grandes baies vitrées de la salle de séjour peuvent s’ouvrir complètement, effaçant ainsi la limite entre le dehors et le dedans.

57. L’auvent en porte-à-faux, à courbure irrégulière, et les bow-window obliques à l’étage. Au fond, la forêt de pin.

La « Four-cornered villa » propose une réponse à la question de la relation entre l’intérieur et l’extérieur dans une écriture beaucoup plus contemporaine. Cette maison est comme une noix de coco : noire à l’extérieur, blanche à l’intérieur. La construction de couleur sombre s’intègre parfaitement dans un environnement boisé ou rocheux tel que celui de l’île où elle se trouve. L’été, la villa s’évanouit totalement dans le paysage et disparaît. Ville Hara, architecte associé d’Avanto Architects, écrit sur la maison : « L’extérieur foncé se fond dans les environs. En été, on ne peut pas voir la maison si on navigue près de l’île parce que la forêt est si sombre et dense. » L’intérieur est entièrement blanc à l’exception des deux poêles en fonte. L’espace se dématérialise sous les yeux de l’habitant et revêt une neutralité. En hiver, l’espace extérieur enneigé semble se prolonger jusqu’à l’intérieur. Les larges portes vitrées peuvent s’ouvrir complètement et font s’effacer encore un peu plus la limite intérieurextérieur. Cette maison de vacances souhaite offrir une rupture avec la vie habituelle, une opportunité de ressourcement, d’évolution et de changement. En témoigne le minimalisme de l’agencement intérieur. Le caractère neutre et transparent de l’espace peut sembler nécessaire pour accompagner ce changement. Dans le séjour, les seuls éléments de décoration sont un crâne d’élan avec ses bois accroché sur un mur et une peau posée au sol. Ces objets réintroduisent le monde naturel dans la demeure des hommes. De la même façon, Alvar Aalto dans la villa Mairea nous fait passer du monde naturel à celui artificiel de l’homme par la canopée de l’entrée et ses éléments en bois. Il réincorpore ensuite

58. Continuité des espaces à l’intérieur du volume blanc. 59. Vue depuis l’aile ouest, vers la porte d’entrée et la cuisine.


des fragments de nature dans les poteaux avec des revêtements de raphia ou de bois, la forêt de mâts-garde-corps en bois de l’escalier principal menant à l’étage, des plantations intérieures. Il floute délibérément cette frontière entre l’intérieur et l’extérieur grâce aux immenses baies vitrées du séjour qui peuvent, elles aussi, s’ouvrir totalement sur l’extérieur. La plupart des meubles de la villa d’Avanto Architects ont été fait à la main ou ont été récupérés. Pour la villa Mairea, les meubles ont été fabriqués sur mesure. La plus grande innovation réside dans des cloisons mobiles servant à la fois de rangements pour la collection de tableaux, mais aussi de support d’exposition pour ces mêmes tableaux. Ces « cloisons-bibliothèques » ont été fixées au sol peu de temps après la fin de la construction de la villa, perdant la faculté de modifier l’espace du séjour à la guise du propriétaire. 60. L’escalier principal dont les tuteurs cylindriques en bois se superposent au rythme régulier des pins de la forêt en arrière-plan. 61. Vues filtrées vers la salle à manger.

7. SCHILDT Göran (2012), Alvar Aalto, La table blanche et autres textes, Parenthèses, Paris, p. 217-218.

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« La conservation et la manipulation des œuvres rappellent donc en un sens le fonctionnement d’une bibliothèque d’où l’on sort selon le cas différents ouvrages. Le but était de proposer un modèle d’interaction entre l’art et le logement qui soit socialement significatif car applicable à un petit appartement, voire un studio, dont l’occupant entretient un rapport personnel avec les phénomènes artistiques. »7 De l’expérience d’une nature luxuriante chez Alvar Aalto, à un intérieur très austère chez Avanto, le « cottage » finlandais traditionnel change de visage au fil des ans.


62. Vue vers la chambre et le séjour : contraste des tons chauds et froids entre l’intérieur et l’extérieur.

63. Les cloisons mobiles de la bibliothèque ont été construites comme Aalto l’avait prévu. Mais parce qu’Harry Gullichsen ne pouvait y tenir des entretiens confidentiels, des panneaux de verre ont été installés dans l’espace entre le haut des étagères et le plafond. Les panneaux sur la surface extérieure n’étaient pas très appropriés pour y accrocher des oeuvres. À la place, une toile de lin a été utilisée comme matériau de revêtement.

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I.4 L’école A. Aalto, Campus de l’Institut Polytechnique d’Otaniemi, bâtiment principal, Espoo, Finlande (1966) Verstas Architects, École de Saunalahti, Espoo, Finlande (2012) Alvar Aalto avait un respect considérable pour les titres universitaires, et affectionnait tout particulièrement l’indépendance critique et la curiosité intellectuelle. Ses ambitions académiques sont allées si loin qu’il surnommait son agence d’architecture de Munkkiniemi « mon académie », puisqu’il y instruisait ses jeunes assistants. Cette attitude à l’écart de l’enseignement lui a permis de transmettre avec plus de facilité aux universités qu’il a conçues toute la dignité dont une institution d’enseignement supérieur pouvait avoir besoin. Les concours pour l’Institut de Technologie d’Helsinki à Otaniemi et l’Institut de Pédagogie à Jyväskylä ont réactivé l’intérêt d’Aalto pour les bâtiments de l’enseignement supérieur. Ses plans ont révélé à la Finlande le principe anglo-saxon de regroupement des bâtiments universitaires autour d’un campus, découvert lors de son expérience en tant que professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Dans le cadre de la replanification et du développement de la zone métropolitaine d’Helsinki après la Seconde Guerre mondiale, l’Institut de Technologie a déménagé ses installations de son site encombré du centre-ville, vers un domaine boisé, sur les rives d’une baie au nordouest de la ville, juste en face de Munkkiniemi. Le projet proposé par Alvar Aalto profite pleinement des aspects rustiques du site. Le bâtiment principal du campus repose au sommet de la petite colline au centre du site, et les unités résidentielles se nichent dans les bois et les affleurements rocheux le long de la baie à l’est. Au nord et à l’ouest, le long des abords moins agréables du site, Alvar Aalto a placé les laboratoires et les bâtiments spécialisés. 64. Plan de l’université. 65. Vue aérienne datant de 1965.


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66. Situation de l’école en plein centre du nouveau quartier résidentiel. 67. Plan du niveau rez-de-chaussée de l’école.

L’école implantée à Saunalahti, une banlieue d’Espoo, n’est pas seulement destinée à ses élèves mais aussi à la communauté toute entière. Verstas remporte le concours grâce à son projet en 2007. Dans « l’école du futur », les activités éducatives auront de plus en plus lieu en dehors de la salle de classe traditionnelle, à la recherche de nouvelles méthodes d’apprentissage. L’école de Saunalahti est un bâtiment adapté au soutien des idées pédagogiques d’une école tournée vers l’avenir. Dans son fonctionnement, l’école met l’accent sur les nouvelles façons d’apprendre, l’art, l’éducation physique et collaborative. Le bâtiment appuie ces idées en créant des lieux d’échange, des espaces d’échelles et d’atmosphères différentes. Apprendre à faire par ses propres moyens permet d’améliorer l’apprentissage. À Saunalahti, l’art et l’éducation sportive occupent une place privilégiée dans le bâtiment. Les ateliers s’ouvrent, grâce à des murs de verre, vers la rue et la cour de récréation. Alvar Aalto travaillait déjà sur cet aspect novateur de l’enseignement, puisqu’il a mis en place dans ce projet d’Institut de Technologie plusieurs

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68. Dessin d’Alvar Aalto, théâtre de Delphes (1953). 69. La cour du département d’architecture, dont les murs sont recouverts de marbre blanc. 70. En bas, le bâtiment principal et coupe sur l’auditorium.

8. Arkkitehti n°4, 1966.

éléments « pédagogiques » à disposition des étudiants. À l’extrémité inférieure de l’amphithéâtre du bâtiment principal, Aalto a construit un petit théâtre en plein air, un endroit où les étudiants pourraient se rassembler pour discuter, prendre un bain de soleil, ou même écouter les discours du directeur par une fenêtre adjacente donnant dans l’aile administrative. Un autre exemple aurait du se trouver dans la cour principale du Département de l’Architecture : tapissée de marbre blanc de Carrare, la cour devait accueillir un ensemble de colonnes classiques grandeur nature en provenance d’Italie. Non approuvé pour le projet final, ce « bosquet » était destiné à rappeler une ruine classique et à renforcer la mémoire culturelle des étudiants, mais aussi des professeurs. Dans le magazine finlandais Arkkitehti, Aalto explique l’utilisation du marbre qui a soulevé une vague d’indignation parmi certains étudiants : « Le marbre a été utilisé pour des lieux qui sont finalement destinés à abriter une collection de fragments architecturaux, puisque les pièces historiques de la collection en particulier, s’harmoniseront le mieux avec ce matériau. Cette collection, qui prendra certainement du temps à se développer, correspond dans l’enseignement de l’architecture aux laboratoires des autres départements, et doivent donc être mis avec eux sur un pied d’égalité dans la budgétisation. »8 Il convient de noter qu’Aino Aalto, la première épouse d’Alvar Aalto, qui était responsable des projets de jardins d’enfants et d’écoles de l’agence Aalto, était une ferme partisane des idées de Maria Montessori concernant l’encouragement de l’activité spontanée des enfants et l’éducation gratuite. Dans la philosophie d’Alvar Aalto, les bâtiments éducatifs conçus étaient liés au principe de libre arbitre individuel. Dans un discours prononcé à l’occasion du centenaire de sa propre école, à Jyväskylä, Aalto a déclaré que la leçon la plus importante qu’il ait apprise est ce qu’il appelait « le don du doute », la capacité à former une opinion critique et indépendante sur les doctrines et les jugements de valeur.

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À Saunalahti, l’organisation spatiale de l’école soutient l’apprentissage en dehors des salles de classe, et encourage les écoliers à utiliser les espaces scolaires de façon ouverte et inédite. Chaque espace intérieur et extérieur se veut être un lieu potentiel d’apprentissage. En plus des classes de niveau 1 à 9 (correspondant à nos classes de CP à la 3ème) de l’école polyvalente, le nouveau bâtiment abrite une école maternelle, une garderie, un centre pour la jeunesse et une petite bibliothèque combinant les fonctions de bibliothèque communale et scolaire. En soirée et les week-ends, les clubs et les associations locales peuvent utiliser les ateliers, les terrains de sport et la cour de récréation, transformant l’école en un centre culturel de quartier. Le bâtiment, grâce à sa panoplie d’offres de services, devient le point de rendez-vous de toutes les familles de la région. Le bâtiment principal de l’Institut de Technologie est organisé lui, en une série de bâtiments qui courent du nord au sud, générant un ensemble de strates superposées s’élevant sur le sommet de la colline. Ils sont liés par des bâtiments-couloirs le long de leur axe est-ouest. L’entrée principale située à l’ouest est ainsi connectée à la zone piétonne à l’est. Ce mode de composition orthogonal prévu pour s’étendre, forme une ribambelle de cours de lumière, dont la plus importante est celle adjacente à l’amphithéâtre principal. L’image globale de l’ensemble principal évoque la mémoire d’une acropole académique, surtout avec l’ajout à la fin des années 1950 de l’amphithéâtre monumental en forme d’éventail, qui couronne la composition. Complexe, cet amphithéâtre est la pièce maîtresse de l’Institut de Technologie. Sa surface extérieure est divisée en trois zones distinctes : une zone inférieure de sièges en gradin (le petit théâtre en plein air évoqué auparavant), une zone intermédiaire de quatre larges bandes de puits de lumière vitrés verticaux, et une zone supérieure de toiture, recouverte de cuivre. Le granit foncé et rugueux de la zone inférieure renforce l’impression d’un théâtre antique. La zone médiane articule un changement radical d’échelle, lorsque l’assise solide laisse place aux larges bandes verticales de verre. Les jours ensoleillés, ces puits de lumière peuvent être laissés ouverts, tandis que la nuit ou les jours d’hiver, le système s’inverse et c’est la lumière artificielle qui va venir se diffuser à travers les bandes de verre, sur le théâtre en plein air et vers le campus. L’amphithéâtre prend alors les airs d’une grande

71. Une salle de classe à Saunalahti.

72. Esquisse pour l’Université de technologie d’Helsinki (1949). 73. Le bâtiment principal dont la forme révèle l’audiorium principal.

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74. Vue intérieure de l’amphithéâtre principal. Au plafond, les nervures structurelles. Lorsqu’elles rejoignent le sol, un jeu d’ombre et de lumière rappelle « les lumières du nord » ou l’effet des aurores boréales sur les panneaux du pavillon de la Finlande pour l’exposition universelle de 1939 à New York.

75. et 76. L’école côte rue, et côté cour.

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lanterne au milieu du site. Enfin, la zone supérieure du toit couronne le tout. Pour accentuer l’impression de perspective, le toit possède une pente plus raide que les autres zones plus basses. Son motif nervuré accentue le caractère rayonnant de la forme en éventail. L’entrée de l’amphithéâtre se fait par une succession de halls très bas de plafond et assez sombres. L’intérieur de l’amphithéâtre semble ensuite beaucoup plus spectaculaire, un volume vertical blanc et très éclairé. L’élément dominant de la salle est sa structure en béton armé, avec deux groupes d’éléments : les nervures structurelles longitudinales fonctionnant par paire qui portent la charge principale, et les profondes courbes latérales qui les enserrent. Les premières ressemblent aux jambes courbes des meubles en bois cintré d’Alvar Aalto, tandis que les secondes fonctionnent comme des réflecteurs de lumière. Un système de ventilation est entièrement intégré dans les deux groupes d’éléments, où les espaces creux servent de passage d’air. L’amphithéâtre est amplement éclairé par une lumière diffuse cachée derrière des écrans hauts et courbes, aussi bien sur les murs, que dans la structure du plafond. La qualité douce et sans reflet de la lumière imite celle naturelle d’un ciel nuageux. Située dans un quartier urbain en plein renouveau, l’école de Saunalahti est un bâtiment polyvalent, destiné à l’éducation et à la culture. Elle est étroitement liée à la future place de ce nouveau quartier résidentiel. Son caractère ouvert lui confère un rôle central dans la vie quotidienne des résidents. L’implantation du bâtiment sur le site a été étudiée afin de rendre l’école la plus sûre et la plus agréable possible. Il borde la rue sur son côté ouest, tandis que les côtés sud et est sont connectés par les espaces principaux et les cours extérieures à la future place et au quartier résidentiel. L’édifice sert de protection aux espaces extérieurs pour les enfants, les préservant de la circulation et du bruit de la route. Les entrées principales donnent à la fois sur la rue et sur la cour. Dans la planification extérieure pour l’Institut de Technologie, Alvar Aalto a séparé le trafic motorisé (projeté à l’extérieur de l’ensemble) du trafic piéton (organisé à l’intérieur), où les pelouses vertes et les sentiers vers les autres bâtiments et les logements étudiants forment un campus paisible. Les architectes de Verstas Architects se sont efforcés de créer des


espaces extérieurs ensoleillés, et en même temps isolés, protégés des éléments climatiques agressifs du Grand Nord. Ils offrent aux enfants, selon leur âge, des recoins agréables et sûrs dans la cour, pour leurs moments de détente et leur pause déjeuner. Comme pour l’Institut de Technologie, la topographie du site a été utilisée pour modeler la cour en terrasse, qui serpente devant la cantine et forme un théâtre en plein air. Le théâtre intègre les espaces intérieurs et extérieurs en un ensemble spatial global. La scène se situe à la jonction de la cour dédiée aux jeunes enfants et de celle des plus grands. L’édifice lui-même ne prescrit pas quelle activité devrait avoir lieu à tel ou tel endroit. À la place, il offre un cadre pour une expérience de l’apprentissage individualisé, dans un environnement sécurisé et agréable. Dans son agencement fonctionnel, l’école propose un bon exemple d’architecture contemporaine de l’école en Finlande. Elle applique les notions pédagogiques actuelles sur ce qui constitue un environnement d’apprentissage efficace. Les fonctions et les espaces sont organisés comme dans une petite ville, avec des zones publiques, semi-publiques et privées, en fonction de l’activité et de l’âge des enfants. La sécurité et la facilité de supervision, deux exigences primordiales de nos jours dans la conception des bâtiments scolaires, sont parfaitement intégrées dans la solution globale. Fonctionnellement, le bâtiment soumet une solution naturelle aux nouvelles exigences contemporaines. Un hall multifonctionnel, doublé d’une cantine, constitue le cœur de l’école. Il s’ouvre comme un amphithéâtre sur la cour de récréation avec sa vaste façade de verre. Un mur de parement en béton et des plafonds ondulant légèrement, embellis par un placage en chêne, dominent l’intérieur. Les façades sont constituées de bois, de cuivre et de maçonnerie, avec une gamme d’appareillages décoratifs.

77. et 78. Avec son débord de toit, le théâtre offre un espace protégé propice à l’épanouissement de l’enfant. 79. La cantine, le cœur transparent de l’école.

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L’échelle du bâtiment varie selon les fonctions et l’âge des enfants, à la fois en façade et à l’intérieur. La forme libre du bâtiment épouse les courbes du terrain. Le toit ondule afin de fournir une lumière naturelle optimale aux cours de récréation. Recouvert de cuivre, il s’offre comme une cinquième façade aux immeubles d’habitation voisins.

80. Détail des différents appareillages de brique sur une façade à Saunalahti. 81. Détail de la brique à Otaniemi.

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Alvar Aalto a choisi des matériaux originaires de la région pour son projet d’école, qui mettraient l’accent sur le jeu des bâtiments avec la nature : de la brique d’un rouge profond, du granit sombre et du cuivre aux teintes vertes. Le bois si présent dans l’ensemble des projets d’Alvar Aalto se retrouve dans l’agencement intérieur, le mobilier, ou encore dans des « collages » en relief sur les murs, comme dans l’amphithéâtre principal. L’Institut de Technologie suit une idéologie organique et un plan décentralisé qui souligne la relation intime de l’individu avec la nature. En faisant cela, Aalto a pu établir un cadre humaniste pour les activités scientifiques du campus. Dans l’école de Saunalahti, les matériaux authentiques utilisés sur les façades et dans les intérieurs sont durables. Ils apportent au bâtiment une atmosphère chaleureuse et calme : la rugosité de la brique rouge, la chaleur du bois, mais aussi du béton et du cuivre sur les façades, et du chêne, du béton et de la brique dans une teinte plus claire pour les intérieurs. Des couleurs subtiles sont utilisées dans les intérieurs en combinaison avec les couleurs réelles des surfaces des matériaux pour donner à l’espace une atmosphère paisible adaptée à l’apprentissage. Des couleurs plus vives sont utilisées avec parcimonie, pour réchauffer certains espaces, comme les circulations verticales. La brique d’Alvar Aalto est posée dans un appareillage très simple, tandis que celle des architectes de Verstas Architects joue avec les formes, les assemblages, l’ombre et la lumière. Les façades de brique utilisent les propriétés polyvalentes de ce matériau, avec différents appareillages et différentes techniques de liaison. Les bandes superposées des différents appareillages de la brique créent une échelle intermédiaire à la façade du grand bâtiment et soulignent la ligne ondulée du toit. À l’opposé, les façades en bois donnant sur les cours de l’école sont abritées par de larges débords de toiture.


82. 83. 84. et 85. Les escaliers colorés permettent aux enfants de se repérer plus facilement dans le bâtiment.

86. Arrivées des escaliers dans le hall d’entrée du bâtiment principal, vus depuis la caféteria.

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I.5 Le centre culturel A. Aalto, Le Finlandia Hall, Helsinki, Finlande (1967-1975) ALA Architects, Kilden Performing Arts Centre, Kristiansand, Norvège (2012)

87. Une des premières maquettes pour le nouveau centre d’Helsinki, comprenant le Finlandia Hall. Dans cette version, les bâtiments culturels étaient magnifiés par leur reflet dans la baie de Töölö.

N

Lac de Töölö

Finlandia hall

Gare

88. Implantation actuelle du Finlandia Hall à Helsinki.

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En 1962, les autorités de la ville d’Helsinki commandent à Alvar Aalto la conception d’un Centre des Congrès et d’une salle de concert comme premier élément de son grand plan d’aménagement pour le nouveau centre-ville d’Helsinki. Cet élégant bâtiment blanc a été réalisé de 1971 à 1975 en deux tranches : deux auditoriums qui peuvent accueillir 2 100 personnes et un Centre des Congrès. Alvar Aalto a vu dans le site du Finlandia Hall le lieu du nouveau centre urbain. Il devait s’étirer le long de la rive ouest de la baie de Töölö, tel une Venise moderne. Les voyageurs arrivant par le train auraient pu voir la longue rangée d’édifices publics placés au bord du parc et se reflétant dans les eaux de la baie, un ensemble digne de l’entrée d’une nouvelle métropole culturelle. Les maquettes initiales montrent le reflet spectaculaire du bâtiment dans l’eau calme de la baie, qu’Aalto ne souhaitait pas situer le long de la rue Mannerheim. Mais les élus ont décidé d’éloigner le projet des rives. Le bâtiment ne s’élève ni sur la rue, ni sur la baie. Il constitue une véritable barrière pour les piétons et pour le regard, malgré un travail sur les transparences. Profitant pleinement du site en pente, passant du parc de la ville à l’ouest, aux gares de fret à l’est, Aalto a développé un système en coupe complexe intégrant le flux naturel des piétons, des voitures, des autobus et des véhicules de service, avec les exigences du public. De la même façon qu’au campus d’Otaniemi, Aalto sépare la circulation piétonne de celle des voitures. Les principaux halls et espaces publics sont placés au dessus du niveau du parc, sur un grand plateau donnant sur la baie et la ville, tandis que l’accès automobile se fait par le niveau le plus bas. Aalto avait l’intention de prolonger cette entrée par un tunnel vers les autres bâtiments culturels, le long de la rive de la baie de Töölö. Des escaliers d’accès propres à chaque édifice auraient ensuite permis de rejoindre le niveau d’accès piéton sur parc. La Norvège fait aujourd’hui partie des pays les plus riches du monde,


grâce à l’exploitation de grandes réserves de pétrole et de gaz naturel sur ses côtes. Soucieuse de la qualité de vie offerte à tous ses habitants, la Norvège incite les petites villes à construire de nouveaux centres culturels, à la forme résolument contemporaine. L’expression architecturale doit être immédiatement reconnaissable et exceptionnelle. Il existe une forte demande pour ces bâtiments emblématiques, dédiés à la culture, prenant pour modèle l’histoire très médiatisée de Frank Gehry à Bilbao. La ville de Kristiansand, située dans le bassin portuaire de l’île Odderøya, avec moins de 70 000 habitants, a fait construire un centre culturel de 24 600 m2, appelé « Kilden »9. L’agence ALA Architects s’est illustrée en remportant le concours d’architecture en 2005. Kilden est le plus grand centre culturel entre Oslo et Stavanger. L’orchestre symphonique local, fondé en 1919, dispose ainsi pour la première fois de son propre auditorium. Le nouveau bâtiment accueille aussi bien des troupes de théâtre, des ensembles orchestraux que des groupes de musique.

9. Kilden signifie « source » en norvégien. Un roman du même nom a été écrit en 1918 par Gilbert Scott à Kristiansand. Son histoire figure encore aujourd’hui parmi les nouvelles les plus connues en Norvège.

Le centre culturel Kilden se trouve dans une situation similaire à celle du Finlandia Hall, puisqu’il se situe dans le port de Gravane de Krisitansand, au bord de l’eau. Leurs enveloppes extérieures répondent organiquement aux caractéristiques visuelles et topographiques contrastées de leur site respectif. Le Finlandia Hall présente une diversité de façades, chacune se rapportant soigneusement à son site, ses vues et ses besoins fonctionnels d’accès selon l’orientation. La façade ouest par exemple, montre un

89. Kilden : vue sur l’entrée principale, côté port. 90. Coupe sur la salle de concert principale.

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élément horizontal très long et très bas, tel une canopée et des arcades, qui se concentre sur l’échelle humaine et reçoit un grand nombre d’entrées. L’aile adjacente du Centre des Congrès au contraire, cède la place à la roche et aux arbres de son parvis pour prendre l’allure de parc (souvenons-nous de l’importance donnée au flux piéton par Alvar Aalto et à sa déambulation naturelle) à travers une série de courbes verticales couronnées par des vitrages cintrés qui reflètent et déforment le ciel. La grande façade est présente une stratification horizontale spectaculaire des niveaux principaux du bâtiment, surmontée par le toit en éventail du grand auditorium. Les escaliers intérieurs sont accrochés comme des formes extérieures sur la façade et lui ajoutent une diagonale qui monte vers cette enveloppe de l’auditorium au point culminant dans l’élévation. En opposition à cette ascension, la pointe sud du bâtiment s’ancre dans le sol granitique de la colline très découpée. La texture rugueuse du socle rocheux finlandais contraste avec les surfaces blanches et lisses du marbre de Carrare des façades. Alvar Aalto a souhaité s’éloigner du matériau traditionnel finlandais, le bois, pour se rapprocher des cultures de la Méditerranée avec l’utilisation du marbre. Le seul volume foncé, à l’exception du soubassement et de ce sol sombre, est le renfoncement central qui marque l’articulation des deux programmes et vient faire planer les volumes situés au-dessus comme sur un néoclassique « piano nobile ». Le centre culturel Kilden se présente comme une élégante forme aux façades noires à l’aspect plié, dont trois sont recouvertes d’éléments carrés en aluminium, et la quatrième, vitrée, fait face à la mer. Fonctionnant comme une « caisse de résonnance » productrice de sons, cette façade spectaculaire avec ses vagues de bois donne du mouvement aux eaux calmes de la mer du Nord. Le mur de bois ondulant s’élance vers le bord de l’eau sur une centaine de mètres de long et sur vingtdeux mètres de haut. Son revêtement en chêne traverse la façade de verre et se poursuit au-delà, tel un « filtre entre la réalité et le royaume de l’imaginaire ». Grâce aux nouvelles technologies et aux logiciels de modélisation 3D, les concepteurs ont pu calculer et redimensionner les 14 000 pièces de ce mur. Celles-ci, fabriquées à différents endroits, créent une acoustique douce et agréable dans le hall d’accueil. Le bois provient des forêts de chêne du sud de la Norvège, petit clin d’œil au passé historique de Kristiansand. En effet, la ville a prospéré grâce à l’exportation du chêne,


lorsqu’au début du XVIIIème siècle la demande en bois a explosé pour les chantiers de construction navale. En ce qui concerne l’organisation spatiale intérieure, les deux bâtiments se répondent. Le Finlandia Hall, tout comme le centre culturel Kilden, s’organisent le long d’un axe. Pour le Finlandia Hall, une allée libre sectionne le bâtiment en deux, avec d’un côté l’auditorium principal et la petite salle de musique de chambre, et de l’autre l’aile du Centre des Congrès. Les piétons sont attirés à l’intérieur du bâtiment à travers cette allée, la longue arcade horizontale de l’entrée principale, puis pénètrent dans un vestibule bas de plafond, avec ses comptoirs ondulants si caractéristiques des vestiaires d’Alvar Aalto et son vaste espace tout en longueur. Décentré sur un côté de ce vestibule, parmi la forêt de colonnes cannelées (toujours ces références à la mémoire culturelle, comme pour le département de l’architecture de l’Institut Polytechnique d’Otaniemi) qui isolent acoustiquement le hall situé au-dessus, l’escalier principal, de type « vénitien » effectue un vol ascendant monumental vers un espace supérieur mystérieusement illuminé. Les marches sont également en marbre blanc, sans rampes ni paliers intermédiaires, et rappellent les immenses escaliers de l’Antiquité, magnifiant la procession à la façon d’une ancienne acropole. La vue du plafond au-dessus de l’escalier présente un ensemble étonnant de poutres rayonnantes, et les murs audelà sont dissimulés, donnant l’impression d’un espace illimité. Au sommet de l’escalier, le hall supérieur s’ouvre sur une salle spacieuse. Continuant dans les références antiques, cette cour intérieure est semblable à un espace extérieur, similaire à un forum grec. De là, nous entrons dans l’auditorium principal, une vaste salle suggérant une grande clairière dans une forêt sombre du Nord pouvant recevoir 1 750 personnes. La salle de concert principale du centre culturel conçu par ALA Architects peut accueillir jusqu’à 1 200 personnes, alors que l’unique salle existante du théâtre municipal n’en offrait que 750 avant la construction du centre culturel Kilden. Celui-ci propose également une nouvelle salle de théâtre qui peut aussi être utilisée pour des spectacles d’opéra. Kilden héberge donc trois entités : le « Kristiansand Philharmonic », l’ « Adger Theater » et l’ « Opera Sør ». Un autre espace du centre

95. La grande vague de bois surplombe la mer. Les retombées indiquent l’emplacement des différents auditoriums. 96. L’escalier suspendu, menant du foyer vers les salles de concert. 97. Sur les autres côtés, les éléments en aluminium pliés : contraste des matériaux et de la dureté de la géométrie face à la douceur du bois. Page de gauche : 91. Façade ouest donnant sur la rue. 92. La façade de l’aile du Centre des Congrès fait face à la rue et au parc. Elle se courbe pour suivre l’implantation des arbres. 93. Façade est donnant sur le lac. Les hautes formes en éventail indiquent l’emplacement de l’espace intérieur le plus important : la salle de concert. 94. L’extrémité de la façade s’ancre dans la roche.

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culturel a été conçu comme une boîte noire, avec une salle dédiée aux représentations de théâtre expérimental, et une salle polyvalente avec une mezzanine. Les quatre salles, toutes isolées acoustiquement les unes des autres, peuvent être utilisées en simultané. Elles sont disposées en ligne pour pouvoir partager les espaces annexes et les équipements de service situés à l’arrière du bâtiment. Un long hall d’accueil, cette fois-ci très ample et volumineux, situé à l’avant de l’auditorium, forme une grande bande. À l’intérieur de ce hall, l’escalier principal et les différents niveaux se développent autour d’un immense mur oblique en bois, qui se déploie en une multitude de vagues. Le sol du hall et des espaces extérieurs est recouvert d’ardoises norvégiennes, créant une transition fluide entre l’intérieur et l’extérieur. Une dimension tout aussi importante est accordée à l’escalier principal du centre culturel Kilden qu’à celui du Finlandia Hall. Réalisé en fibre de béton, il vient s’insérer entre deux vagues de bois, élégant et aérien. Cet escalier nous conduit à un hall intermédiaire, à l’atmosphère tout aussi mystérieuse que dans le Finlandia Hall, avec en plus une touche psychédélique avec ses peintures murales et ses tapis colorés.

98. Diagrammes fonctionnels. À gauche la salle de concert, à droite la salle de théâtre, au centre la salle polyvalente et celle dédiée au théâtre expérimental.

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L’intérieur de l’auditorium principal du Finlandia Hall est très caractéristique, puisqu’Alvar Aalto l’a décliné quelques années plus tard pour l’Opéra d’Essen en Allemagne. Il s’agit même ici d’une version simplifiée de l’auditorium d’Essen. Celui du Finlandia Hall est appelé la Salle Finlandia et présente des balcons en marbre blanc de Carrare, ainsi que des murs de couleur bleu-cobalt, décorés de lattes de bois courbées pour l’acoustique, telles de jeunes arbres pliés par le vent. Alvar Aalto a créé dans cet auditorium une chambre de résonnance grâce à la tour en pente que nous pouvons voir émerger du volume principal. L’espace est invisible pour le public, mais il est possible d’obtenir une réverbération profonde par un système de plafond à lamelles, qui est caractéristique des églises. Cette chambre de résonnance aurait permis de faire varier l’acoustique, puisque l’auditorium principal a été conçu aussi bien pour des concerts que pour des conférences. Malheureusement, des erreurs de conception et de construction ont nécessité des travaux pour rendre étanche ce plafond à lamelles afin que l’acoustique de l’auditorium principal puisse fonctionner. À Essen, Alvar Aalto avait prévu le même système de plafond à lamelles. La chambre de résonnance y fonctionne


comme prévu grâce à une meilleure conception du plafond. L’acoustique des salles du centre culturel Kilden a été étudiée d’une façon tout aussi minutieuse, bien qu’avec des moyens beaucoup plus modernes et pointus. Elle est surtout adaptée aux différentes utilisations : musique symphonique pour l’auditorium principal et théâtre traditionnel pour les salles voisines. Des rideaux noirs insonorisant peuvent être baissés en fonction des spectacles, permettant un réglage supplémentaire de l’acoustique. Les spectateurs et les musiciens sont entourés par d’élégants modules de bois clair, conçus pour satisfaire les exigences acoustiques les plus poussées. Dans l’obscurité, ils ressemblent à des meubles encastrés. Dans une autre salle, ce sont des « boucliers » acoustiques dans un camaïeu de bleus, qui ornent les murs et contrastent avec le rouge éclatant des sièges. Le Finlandia Hall a été inauguré en 1971. La programmation des congrès a démarré avant même que l’aile principale soit achevée. Cette dernière a été achevée en 1975. La volonté d’Alvar Aalto était d’améliorer les conditions de travail lors des conférences, un aspect important de l’utilisation du bâtiment. Quarante et un ans plus tard, le centre culturel Kilden ouvre ses portes. 150 à 200 000 personnes viennent le visiter chaque année.

100. Panneaux « boucliers » acoustiques dans la salle de théâtre. 101. La salle de théâtre, dans les tons rouges et bleus. 102. La salle de concert aux teintes naturelles contrastées par le plafond sombre.

N

99. Étage principal du Finlandia Hall. En haut, l’auditorium principal. En bas, l’aile du Centre des Congrès.

103. Auditorium principal, reconnaissable à ses panneaux muraux bleus foncés.


CHAPITRE II L’architecture finlandaise d’hier à aujourd’hui

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Lorsqu’Aalto a commencé sa carrière professionnelle dans les années 1920, il n’avait pas à voyager bien loin pour voir de l’architecture qui correspondait à ses attentes de jeune praticien. En 1923, il se rend à Copenhague et à Stockholm. Il découvre avec émerveillement dans la première ville, l’hôtel de ville néo-gothique de Martin Nyrop (1905), et dans la seconde, l’hôtel de ville conçu par Ragnar Östberg (1911-1923). Aalto les annonce comme les emblèmes de la « première génération de la Renaissance Nordique ». Ces mots choisis avec soin ont une connotation culturelle mais surtout politique : tandis que le reste de l’Europe, y compris la Finlande, avait fort à faire pour se reconstruire après le Première Guerre mondiale, la Scandinavie prospérait et avait hâte de montrer sa nouvelle force culturelle et politique. Une génération plus jeune d’architectes scandinaves avait émergé sous la direction du suédois Gunnar Asplund, un pionnier du classicisme nordique. Aalto s’est énormément inspiré de lui, comme le montrent ses premiers projets à forte influence classique. Durant cette période, Stockholm fut au cœur de la vie intellectuelle d’Aalto. Même si Alvar Aalto est le seul à avoir été désigné comme étant un des Maîtres Modernes, sa carrière a été nourrie et a grandi avec toute une génération de brillants architectes et intellectuels scandinaves qui ont tous participé à la recherche d’une identité culturelle nordique, avec une ouverture à la culture européenne. Aujourd’hui, environ quatre-vingt dix ans après qu’Aalto ait bénéficié de la culture intellectuelle et artistique animée de la Scandinavie, nous semblons nous trouver face à une nouvelle « Renaissance Nordique ». Les jeunes architectes et étudiants en architecture du monde entier voyagent pour découvrir les bâtiments des deux agences les plus visibles de la région, BIG de Copenhague, et Snøhetta d’Oslo, mais aussi pour s’initier aux bâtiments d’Alvar Aalto dont la renommée va croissante ces temps-ci. Les agences scandinaves n’avaient pas connu un tel engouement depuis les années 1950, lorsqu’Aalto était au sommet de sa carrière internationale. Leur accession à la célébrité internationale s’est faite en parallèle avec l’explosion mondiale des marques de style de vie H&M et IKEA, dont la devise « bring good design to the masses » a révolutionné notre garde-robe et nos intérieurs. La jeune génération peut aujourd’hui récolter les bénéfices des fondations plantées par leurs ancêtres, qui ont les premiers cultivé le lien entre un bon design et

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un bon niveau de vie. Grâce à mon expérience d’Erasmus en Finlande, j’ai pu constater qu’Aalto n’était pas présenté aux étudiants finlandais comme l’unique architecte finlandais référent. Il apparaît certes comme un acteur très important et influent de sa discipline, « the Magus of the North » comme il est appelé, mais sans être placé au-dessus des autres architectes à qui la même attention est portée. Au cours de leur cursus, les étudiants sont sensibilisés à d’autres agences d’architecture tant finlandaises qu’internationales. Le statut de maître de l’architecture moderne d’Aalto évoque celui de Le Corbusier en France. De la même façon qu’avec Aalto chez les Finlandais, notre enseignement architectural est dès les premières années très influencé par cet architecte. Nos enseignants français nous invitent, comme les enseignants finlandais, à considérer un plus large éventail d’architectes. Le même phénomène doit probablement exister au Brésil pour les étudiants en architecture avec Oscar Niemeyer, figure mémorable de l’architecture brésilienne. Comme nous avons pu le voir précédemment, une nouvelle, très jeune et influente génération d’architectes finlandais commence à émerger et à se mettre en place. Ces architectes d’une quarantaine d’années sortent à peine des écoles d’architecture. L’enseignement de l’architecture en Finlande s’étale sur une période beaucoup plus longue qu’en France. Tout l’enseignement transmis par leurs professeurs est encore bien présent dans leur esprit. L’assimilation de toute cette matière à penser n’en est encore qu’aux prémices de sa transformation. Les analyses architecturales du précédent chapitre ont permis de commencer à apercevoir des liens entre l’architecture et la pensée d’Alvar Aalto et celles de la jeune génération. Alors qu’ont-ils réellement appris d’Alvar Aalto ? L’architecture d’Aalto est-elle aussi pertinente aujourd’hui ? Et pouvons-nous encore apprendre de lui ?

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104. et 105. Dans les années 1920, Alvar Aalto découvre les hôtels de ville de Copenhague (en haut), et de Stockholm (au milieu). 106. et 107. Depuis, deux grandes agences nordiques se sont fait une place dans le monde de l’architecture : celle de Bjarke Ingels, BIG, et celle des Norvégiens Snøhetta. 108. et 109. Notre monde est aujourd’hui dominé par les géants suédois de la consommation, H&M pour l’habillement, et IKEA pour l’ameublement.

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II.1 Les grandes théories aaltiennes

10. HODDÉ Rainier (2013), « Le savant et le domestique : Habiter dans les maisons en bande de Alvar Aalto », Journal des anthropologues, n° 134-135, pp. 57-78.

11. Idem, p. 62.

12. Cf. Aalto, 1957. « The Architectural Struggle », discours prononcé au RIBA en 1957 : « Our time is full of enthusiasm for, and interest in, architecture because of the architectural revolution that has been taking place during these last decades. But it is like all revolutions: it starts with enthusiasm and it stops with some sort of dictatorship. It runs off the track » ; p. 144.

Dans les bâtiments des Five de « Suomi Seven » présentés précédemment, nous sentons bien que des éléments proviennent de l’influence d’Aalto : par la pensée des architectes, le choix des matérialités, une attention particulière portée à l’être humain, … La jeune génération d’architectes finlandais a intégré l’héritage transmis par Aalto. Une fois assimilé, ce savoir va être digéré, modifié, et réapparaître d’une façon ou d’une autre, après adaptation et appropriation. De nombreuses similitudes s’observent chez les uns et les autres. Pour analyser plus en profondeur et synthétiser les liens entre l’architecture finlandaise d’hier et d’aujourd’hui, mais aussi les particularités de chacun, je me suis appuyée sur le travail de l’architecte et sociologue Rainier Hoddé. Dans son article sur les maisons en bande d’Alvar Aalto10, il souligne les thèmes spécifiques à Aalto. Il cite entre autres l’importance de la liaison intérieur-extérieur, l’espace ondulé, la ruine, le moderne organique ou inachevé, la quête de détails formels, l’espace démocratique, la relation des bâtiments à la nature, ou encore l’attention aux sources d’éclairage qui ne sont jamais directes ou violentes. Mais ces thèmes ne revêtent qu’une « dimension formelle » et cela ne suffit pas à Hoddé. Il cherche donc un autre moyen de caractériser les spécificités de l’œuvre d’Aalto. S’appuyant sur les écrits de Pierre Bourdieu (1967), Hoddé définit trois « générateurs de conception qui pourraient rendre compte de la singularité de son œuvre »11. Le premier se nomme « une autre modernité, entre liberté et conventions », le second « une architecture en/de relations », et le troisième « une architecture pour le “petit homme” ». Afin de pouvoir expliciter ces trois « générateurs de conception » et les utiliser dans le cadre de mes analyses architecturales pour ce mémoire, j’ai approfondi ma compréhension de l’œuvre architecturale d’Aalto par la lecture d’un corpus de textes écrits et retranscrits des interventions publiques d’Aalto au cours de sa carrière, ainsi que celle de différents ouvrages monographiques et thématiques. « Une autre modernité » Selon Hoddé, ce premier générateur renvoie à l’idée que « le projet […] est une aventure ouverte qui n’a pas pour fin un but prédéfini, le respect d’un style ou d’une doctrine, et encore moins la soumission à quelque « dictature » esthétique »12.


Les jeunes années professionnelles d’Alvar Aalto correspondent à l’indépendance de son pays, en 1917, à une période d’industrialisation intense et à l’arrivée de l’automobile. À cette époque où tout était à définir, l’identité d’une nation, le rôle des architectes et celui de la nation elle-même au sein de l’architecture nationale et de sa diffusion à l’internationale, Aalto a su exprimer des idées claires et des objectifs ambitieux pour la Finlande. Il souhaitait que sa patrie devienne un laboratoire à l’usage du reste du monde. Cette idée de liberté de recherche avait pour but de montrer qu’il était possible d’utiliser les projets architecturaux individuels comme laboratoire, alors que les productions de masse rendaient l’expérimentation difficile. Les découvertes pourraient ainsi être diffusées au plus grand nombre. La Villa Mairea, comme évoqué au premier chapitre, ainsi que la « Maison expérimentale » de l’architecte, une modeste maison d’été à Muuratsalo, ont été conçues dans cet esprit d’expérimentation, avec en plus pour la seconde une dimension ludique. Aalto s’est attaché à y faire des tests concernant les matériaux, en particulier la brique, sur ses capacités de résistance aux conditions climatiques extrêmes, ses différents appareillages et joints possibles. L’autre modernité, c’est aussi un nouveau style, une nouvelle forme d’expression. L’architecture d’Alvar Aalto est souvent qualifiée d’organique, c’est-à-dire qu’elle recherche l’harmonie entre l’habitat de l’être humain et la nature, privilégiant des formes à l’écoute du site et de ses exigences. Franck Lloyd Wright fut l’un des pionniers de cette pensée. Cette architecture organique a été le but ultime qu’Aalto a cherché à atteindre durant toute sa carrière. Il s’est pour cela inspiré de l’architecture traditionnelle japonaise et de la culture méditerranéenne. La civilisation japonaise a su montrer qu’avec de la matière première et un répertoire de formes simples, il était possible de créer de la diversité et une infinité d’assemblages inédits. La diversité rappelle la vie organique de la nature. Aalto illustrait ses propos en prenant pour exemple les fleurs de pommiers13. Quand on les regarde, elles paraissent toutes identiques, elles sont « standardisées ». Et pourtant, aucune n’est totalement identique à sa voisine. Alvar Aalto cherchait une standardisation souple, qui permettrait d’augmenter la diversité dans l’architecture, au lieu de la forcer à rentrer dans un moule. Pour cela, il a créé des meubles pliables, facilement

110. Villa Mairea (1938-1939), Noormakku : façade sur le jardin-cour. 111. « Maison expérimentale » de l’architecte (1952-1953), Muuratsalo : essais composés de matériaux et joints.

13. SCHILDT Göran (2012), Alvar Aalto, La table blanche et autres textes, Parenthèses, Paris, p. 252.

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déplaçables et empilables. La flexibilité qu’offre ce mobilier permet d’agrandir considérablement les petits logements en augmentant le nombre de possibilités de configurations spatiales. Alvar et Aino Aalto ont pu présenter ce travail à l’occasion de « l’Exposition sur le logement de petite surface » à Helsinki, en 1930. Que ce soit le centre culturel Kilden d’ALA, l’école de Saunalahti de Verstas Architects, ou encore la bibliothèque Kaisa d’Anttinen Oiva Architects, il paraît certain que ce premier générateur, cette « autre modernité », a traversé les décennies pour ressurgir à nouveau dans l’architecture de la jeune génération. Au niveau formel, l’architecture des Five de « Suomi Seven » s’est clairement libérée du classicisme rigide auquel Aalto était opposé. Quoique l’on en retrouve parfois quelques petites touches, posées ça et là avec parcimonie, comme un clin d’œil au passé. Dans la même veine qu’Alvar Aalto, la jeune génération donne naissance à des espaces fluides et doux, souvent minimalistes, des formes courbes et organiques, la mise en place de différents lieux qui conservent toujours une connexion entre eux, qu’elle soit visuelle ou prenne un autre aspect. Néanmoins, la conception de leur architecture résolument contemporaine se fait en intégrant des éléments d’architecture vernaculaire et traditionnelle. Comme pour Aalto, la recherche expérimentale est constamment d’actualité. La coque de l’église de Kuokkala d’OOPEAA en est un bon exemple. Au début du XXème siècle, Alvar Aalto avait pour seuls outils de recherche ses connaissances, son imagination, un peu de papier calque et les matériaux alors à sa disposition. De nos jours, les logiciels de conception en 3D très complexes, nouveauté technologique toute récente que les architectes n’exploitent que depuis les années 1990, permettent de repousser les limites de la construction et d’explorer de nouvelles voies architecturales.

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Cette « autre modernité » d’Alvar Aalto reflétait également la quête d’une identité personnelle, mais surtout nationale au sein d’un pays qui venait tout juste de prendre son indépendance, en 1917. Près d’un siècle plus tard, qu’en est-il en ce début de XXIème siècle ? En 2011, dans un article du magazine hollandais à vision européenne A10, la journaliste Tarja Nurmi n’était pas très optimiste sur l’avenir architectural de la Finlande et se demandait même si « la Finlande était


« Exposition sur le logement de petite surface » (1930) à la Kunsthalle de Helsinki. Conception Aino et Alvar Aalto.

112. Au fond, le coin salle à manger, et au premier plan une partie séjour. Le canapé‑lit se déplie en un tournemain.

113. Vue d’une partie du séjour.

114. Mobilier de cuisine. Certains éléments sont réglables, ce qui permet aussi de travailler assis.


14. NURMI Tarja (2011), « Is Finland still on the map ? », A10, n° 37, p. 60.

15. NURMI Tarja (2014), « Public space within buildings », A10, n° 58, p. 47.

toujours sur la carte [de l’architecture mondiale] »14. Dans cet article, un projet des architectes de l’agence Verstas était brièvement présenté. Trois ans plus tard, le discours à propos de l’architecture finlandaise s’est inversé. Quatre des cinq projets étudiés sont exposés dans ce même magazine, à l’exception de la four-cornered villa d’Avanto Architects, sous les rubriques « Public Finland » et Accomplished Finland ». Nous y apprenons que l’architecture en Finlande a pris un nouvel essor : « Architecture in Finland has taken a fresh turn, just like it did in the 1920s and ‘30s. »15 Grâce à la reconnaissance de l’architecture finlandaise dans les médias européens et à l’intérêt grandissant pour l’œuvre d’Alvar Aalto, la quête d’identité de la Finlande peut aujourd’hui prendre appui sur de solides piliers et continuer à s’épanouir. Alvar Aalto était à la recherche d’une standardisation souple dans son architecture, de dimension humaine, permettant de créer une quantité infinie de combinaisons à partir de quelques éléments très simples, à la manière des intérieurs japonais traditionnels. Sa conception de la standardisation n’a pas perduré. Elle est aujourd’hui souvent délaissée, car elle traîne depuis les années 1950-1960 une mauvaise réputation liée à la période de reconstruction post-guerre. Force est de constater que, de ALA à Verstas, les agences ont mis l’accent sur les techniques et une construction traditionnelles, contre-pied de la standardisation. « Une architecture en/de relation » En parlant de relations, Rainier Hoddé fait référence au rapport à la nature, mais aussi à l’environnement urbain préexistant.

16. SCHILDT Göran (2012), Alvar Aalto, La table blanche et autres textes, Parenthèses, Paris, p. 21. 17. Idem, p. 19.

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La nature est un élément fondamental chez les Finlandais. Ils nourrissent ce qu’Alvar Aalto appelle une « rêverie forestière »16. Le paysage selon Aalto est une « nature en tant qu’objet de perception de notre regard »17. Son objectif est d’en sublimer les lignes en y intégrant naturellement le projet architectural. Dans son texte « L’architecture du paysage de Finlande centrale » (1925), Aalto raconte comment, lors de ses promenades nautiques, il s’amuse à recomposer le paysage dans son


esprit : il efface un groupement de maisons, fait ressortir un clocher d’église, plante une rangée d’arbres ici ou là, afin d’obtenir un ensemble élégant et harmonieux. Le dessein du bâtiment est de protéger l’être humain contre l’ensemble des éléments naturels négatifs, comme le froid, le vent, ou la neige. Le bâtiment doit donc pouvoir s’adapter à chaque site afin de pouvoir remplir au mieux cette fonction. Or, cela est impossible si nous considérons la maison comme une machine à habiter, selon la pensée de l’époque, construite en série à l’identique. La standardisation pure empêche le bâtiment de jouer son rôle de protecteur. La liaison entre le paysage, la nature et le bâtiment passe souvent par la matérialité du socle de ce dernier. Aalto a utilisé pour la plupart de ses projets le granit. Cette pierre est majoritaire dans le sol finlandais. Au lieu d’être juste « posé » dessus, le bâtiment semble alors s’enraciner dans le sol dont il est issu. Le terme de relation ne désigne pas seulement la liaison mais aussi la séparation. Le soubassement de la bibliothèque de Seinäjoki par exemple, en granit sombre, souligne le bâtiment et le sépare du sol, phénomène d’autant plus visible en hiver lorsqu’il a neigé.

115. Bibliothèque municipale (1960-1965), Seinäjoki : façade convexe sud avec les brise-soleil sur la partie haute vitrée.

116. Hall d’entrée au cœur de la maison.

La notion de relation induit entre autre celle de liaison intérieurextérieur et donc celle de seuil. Un seuil de qualité permet d’obtenir une meilleure intégration du bâtiment dans le paysage. « Le véritable seuil d’une maison se trouve là où l’on passe de la rue […] au jardin. »18 Le jardin, la cour et le hall sont considérés comme des pièces faisant partie intégrante de l’habitation. Ce sont des espaces de transition qui permettent de passer de l’extérieur à l’intérieur, et forment un seuil. Pour flouter cette notion de seuil, réduire les contrastes entre l’intérieur et l’extérieur, et afin de mieux s’intégrer dans le paysage, le jardin et la cour sont transformés en pièces intérieures, tandis que le hall devient une pièce du dehors. Cette transformation passe par l’aménagement des espaces. Du mobilier de jardin placé d’ordinaire en extérieur, se retrouve par exemple dans un hall et brouille ainsi notre perception de l’environnement.

18. SCHILDT Göran (2012), Alvar Aalto, La table blanche et autres textes, Parenthèses, Paris, p. 51.

117. Exemple d’interpénétration du jardin et de l’intérieur du logement. Architecte : Le Corbusier.


La Villa Mairea excelle dans ce domaine avec son vaste auvent de forme fluide. Totalement en bois, il est soutenu par de fins poteaux également en bois, très serrés d’un côté, et noués entre eux de l’autre. Ces éléments donnent ainsi l’impression que l’architecture appartient à la forêt qui entoure la villa. Nous voyons la nature entrer dans l’habitation à travers la succession de matériaux utilisés pour la séquence d’entrée : le perron en pierre posées en « opus incertum », puis le sas avec ses grandes dalles de terre cuite, et enfin la pièce principale avec son carrelage plus simple et son parquet. Les grandes baies vitrées de la salle de séjour peuvent s’ouvrir complètement, effaçant ainsi la limite entre le dehors et le dedans. Dans la maison Louis Carré et le centre municipal de Säynätsalo, on trouve le même système d’emmarchement gazonné qui tient lieu de liaison entre le dedans et le dehors. De même qu’à l’Université d’Otaniemi, où le passage des terrassements de terre aux terrasses minérales, puis au théâtre moderne nous fait passer sans effort de l’extérieur à l’intérieur.

Escaliers gazonnés. 118. Hôtel de ville (1949-1952), Säynätsalo. 119. École polytechnique d’Otaniemi (1949-1966), Espoo. 120. Maison Louis Carré (1959), Bazochessur‑Guyonnes.

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La relation à la lumière est tout aussi importante que le reste. Plutôt que de la mettre en scène, Alvar Aalto préfère capter la lumière naturelle pour la définir et la structurer. C’est pourquoi toute son œuvre regorge d’une multitude de lanterneaux et de canons de lumière, toujours de plus en plus travaillés. Aalto a cherché à allier lumière naturelle et artificielle, comme le témoigne son impressionnante production de luminaires. Ainsi, ses puits de lumière pouvaient fonctionner même par temps couvert, ou bien la nuit. Ce second générateur de conception est toujours d’actualité. Plus qu’un générateur, c’est devenu une caractéristique propre à l’architecture finlandaise. Alvar Aalto n’a jamais cessé de s’y référer dans son travail. La nature, presque sacrée aux yeux des Finlandais, est au cœur de leur vie. Il n’est donc pas surprenant de voir que c’est aujourd’hui encore une notion primordiale. Qu’il soit dans un environnement urbain, périurbain, rural ou même portuaire, chacun des cinq bâtiments montre sa volonté d’entrer en communication, dans un échange continuel avec ce qui l’entoure. Le centre culturel Kilden se sert de son mur ondulé en bois projeté vers l’avant pour entrer en contact avec la surface de l’eau du port ; la bibliothèque Kaisa établit un dialogue avec ses voisins d’îlot


au moyen de sa grille structurelle en façade ; la four-cornered villa tente au contraire de rester humble dans son expression architecturale face à la beauté du paysage lacustre finlandais ; l’église de Kuokkala s’inspire avec éclat de son quartier et s’impose par sa forme contemporaine tranchant avec son intérieur délicat ; enfin, l’école de Saunalahti dialogue avec son environnement préexistant et anticipe même la construction d’un nouveau quartier résidentiel avec sa cinquième façade. Chaque bâtiment s’inscrit dans son paysage, se fondant dans le décor, ou bien s’en démarquant avec force. La matérialité est toujours parfaitement maîtrisée. Les matériaux de qualité utilisés par la jeune génération ne sont pas très différents de ceux qu’Aalto affectionnait : le bois bien sûr, mais aussi la brique sous différentes formes, couleurs et appareillages, le verre, le métal et le cuivre. La mise en œuvre des matériaux et leur utilisation est cependant beaucoup plus technique qu’autrefois. Remarquons que le béton est aujourd’hui beaucoup plus présent dans l’ensemble des projets. La liaison intérieur-extérieur est un élément essentiel dans l’architecture d’Aalto. L’espace intérieur est important dans toutes les régions de la Finlande, surtout durant les périodes très froides où il tient alors plus du refuge. L’intense vie urbaine que nous menons aujourd’hui nous amène à beaucoup nous déplacer, à passer sans cesse d’un bâtiment à un autre. Ces flux humains requièrent une très bonne connexion entre l’intérieur et l’extérieur, afin d’éviter les déperditions de chaleur et d’avoir des bâtiments durables. Des arrêts de bus ou de tram ont été installés à l’intérieur même d’édifices publics. La notion de liaison intérieur-extérieur existe donc toujours, mais elle a quelque peu glissé vers une autre définition avec l’intégration des réseaux de transport en commun. Dans certains des bâtiments très récents de la jeune génération d’architectes finlandais, des espaces généreux et inventifs font émerger une beauté architecturale tout en étant confortables et pratiques. Au cœur d’Helsinki, la bibliothèque Kaisa s’inscrit intelligemment dans la trame des flux humains et du réseau de transports, avec son accès à une station souterraine où métro, bus et tram se croisent. Des galeries la relient au bâtiment Porthania de l’Université d’Helsinki, à l’Alexandria Learning Centre, ainsi qu’à d’autres endroits du quartier universitaire, et à de nombreux commerces. Il est même possible d’aller faire ses

121. Villa Mairea (1938-1939), Noormakku : l’auvent d’entrée.

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courses au supermarché sans avoir besoin de mettre son manteau ! Une attention toute particulière est toujours portée aux sources d’éclairage naturel. La lumière occupe une place centrale chez les Scandinaves. Les architectes finlandais s’attachent, avec une inlassable patience, à l’apprivoiser. Le travail d’expérimentation mis en place par Aalto s’est poursuivi avec les différentes générations d’architectes qui lui ont succédé. Grâce aux nouvelles technologies, ils parviennent à obtenir des solutions de plus en plus techniques et innovantes. Dans la bibliothèque Kaisa, la lumière est travaillée dans les trois dimensions pour guider le visiteur à travers l’espace.

122. Spectaculaire et intriguante déferlante boisée pour les amateurs de musique.

L’utilisation du bois par la jeune génération apporte, comme nous l’avons vu, une nouvelle vision à cette liaison intérieur-extérieur. Le centre culturel Kilden, par exemple, avec son mur ondulé en bois a pu être conçu et calculé par des logiciels ultra performants. Le bois est apprécié comme un matériau de construction noble en Finlande. L’usage que les jeunes architectes en font, exploite les connaissances de la menuiserie traditionnelle et locale, tout en y ajoutant une touche de contemporanéité. « Une architecture pour le “petit homme” »

19. SCHILDT Göran (2012), Alvar Aalto, La table blanche et autres textes, Parenthèses, Paris, p. 238.

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L’être humain est un élément récurrent dans le discours d’Alvar Aalto. Ce troisième « générateur de conception » s’attache selon Hoddé au caractère toujours accueillant, simple, bienveillant et facile à vivre des bâtiments d’Aalto. Cela montre toute l’attention que l’architecte pouvait porter aux détails architecturaux mais aussi à la qualité de vie qu’offraient ses édifices. C’est dans ce sens qu’Aalto répétait souvent que, mise entre de mauvaises mains, la standardisation pouvait se révéler dangereuse puisqu’elle viendrait alors contrôler la vie privée de l’être humain19, cette personne pour qui Alvar Aalto se montrait si attentionné. Pour pouvoir offrir le meilleur à ses clients et à l’être humain en général, Alvar Aalto a toujours travaillé ses bâtiments jusque dans les moindres détails. Ses projets n’étaient jamais livrés comme des coquilles vides. Ils étaient toujours accompagnés d’un mobilier, soit créé sur mesure, soit


tiré du catalogue Artek. Le mobilier permet d’apporter de la chaleur et de rendre l’espace vivant et humain. « Les intérieurs des bâtiments d’Aalto […] semblent dessinés dans l’anticipation des mouvements de celui qui l’occupe. »20 La première moitié du XXème siècle correspond à une forte mécanisation du mode de vie. Aalto souhaitait humaniser cette ère mécaniste. Ceci passe par l’élaboration d’une définition spécifique du rôle de l’architecte dans la société, œuvrant pour la communauté. L’architecte a pour devoir de créer une harmonie en l’Homme et le monde qui l’entoure. L’architecture moderne n’est pas, pour Alvar Aalto, synonyme de matériaux nouveaux. Il privilégie les matériaux adaptés aux besoins de la construction, qu’ils soient modernes ou non. L’architecte exige de ces matériaux qu’ils soient fiables puisqu’un bâtiment est « un objet conçu pour durer longtemps ». Les matériaux doivent se trouver au service de l’Homme, et non pas lui être hostiles. Pour humaniser, il faut savoir dépasser le seul domaine technique, et apprendre à voir au-delà. Aalto a fait de nombreuses expérimentations au sein de ses projets pour étudier les réactions de l’être humain aux formes et aux structures, et ainsi produire une architecture qui soit la plus adaptée à l’Homme. C’est le cas de la bibliothèque de Viipuri, comme nous avons pu le voir dans le premier chapitre, mais aussi du Sanatorium de Paimio. Les expérimentations ont porté sur les formes des espaces, les couleurs, les sources de lumière, le chauffage, ou encore le bruit. Aalto s’est basé sur le principe que le sanatorium était un lieu dédié aux soins du corps et au repos. Les principaux occupants seraient donc des personnes sensibles, se trouvant le plus souvent en position horizontale. Une attention particulière a été portée à la couleur des plafonds (car c’est le principal élément que peut contempler un malade alité), à l’orientation et la position des éclairages artificiels afin d’éviter tout éblouissement et de ne pas constamment attirer le regard. Aalto a aussi été attentif à l’orientation du chauffage, à la mise en place de fenêtres assez basses pour que le patient allongé puisse bénéficier d’une vue sur la forêt environnante. Il a porté une égale attention aux lavabos dont la conception a été calculée pour que l’eau coule en silence dans la vasque de porcelaine. Autre exemple, la Maison Louis Carré21, unique construction en France

20. HODDÉ Rainier (1998), Alvar Aalto, Editions Hazan, Paris, p. 48.

123. Sanatorium de Paimio (1928-1932) : une chambre. 124. Étude sous forme de photomontage pour les lavabos du sanatorium.

21. Louis Carré (1897-1977) était un marchand d’art et un collectionneur.


Maison Louis Carré (1959), Bazoches-surGuyonnes. 125. Poignée tressée de cuir. 126. La salle à manger. 127. Plan d’exécution du plafond dans le vestibule et dans la pièce d’habitation. Le large mur de cet espace permettait au galleriste d’exposer sa collection.

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de l’architecte finlandais, est un concentré d’humanisme. Ici, tout a été pensé jusque dans les moindres détails par Alvar et Elissa Aalto, sa seconde épouse, afin d’être le plus agréable possible à l’être humain. Les poignées de porte sont recouvertes de cuir tressé pour éviter le contact froid et désagréable du métal, tandis que les luminaires de la salle à manger ont été spécialement dessinés pour pouvoir éclairer à la fois les œuvres d’art exposées au mur, ainsi que les convives lors de leurs repas. « Une sensation de luxe discret » émane de l’ensemble, à l’image de l’architecte et de son œuvre. Le troisième « générateur de conception » faisait donc référence à une architecture humaine et au service de l’être humain. Cet héritage si particulier à Aalto, et sûrement le thème qui lui était le plus cher, a franchi le XXème siècle sans accrocs. L’architecture contemporaine finlandaise est résolument tournée vers l’être humain. Les discours d’ALA, d’Avanto, d’Anttinen, d’OOPEAA et de Verstas s’accordent tous sur ce point : l’architecture, l’espace produit, doit inciter l’Homme à l’expérience, à créer des interactions avec ce qui l’entoure. Chaque projet est calibré en fonction de l’Homme, selon ses besoins, ses mouvements. Ils expriment une architecture qui s’enracine dans l’humanisme. L’utilisation du bois dans l’ensemble des édifices joue un rôle primordial. Il a le pouvoir de réchauffer avec douceur tout lieu, le rendant plus agréable, chaleureux du fait de sa seule présence. La qualité des bâtiments et des espaces intérieurs a toujours été placée en avant dans ce pays aux conditions climatiques si rudes et extrêmes. Le bois, Aalto le respecte comme une matière vivante. Il ne lui viendrait pas à l’esprit de la sculpter, mais il la plie « comme un muscle », communiquant ainsi force et stabilité à ses sièges. Le bois devient alors la chair de


l’architecture, jouant tour à tour le rôle de jambe, de pied, ou de peau. Humaniser l’architecture, au-delà du choix des matériaux, signifie travailler dans le détail. Dans le prolongement du mouvement anglais Arts & Craft datant de la fin du XIXème siècle, qui mettait en avant le travail des artisans, Aalto s’appliquait à donner vie à ses œuvres architecturales. Pour cela, il créait tout un ensemble de meubles ou d’objets pour venir les habiter. C’est cet ensemble qui fait que lorsque nous nous trouvons en présence d’un édifice d’Alvar Aalto, nous pouvons avoir ce sentiment de complétude, de projet global, où l’ameublement donne un sens à l’architecture, et inversement. Ce sentiment, à mon avis, ne se retrouve plus dans les bâtiments contemporains actuels. La jeune génération s’essaye aussi à cette discipline, mais dans une moindre mesure. Aujourd’hui, l’agencement intérieur est souvent délégué à un designer, ou un architecte d’intérieur. L’architecte d’autrefois était un professionnel global qui concevait tout de A à Z. À présent, la profession est morcelée en tâches plus petites, spécialisées. Le résultat final en pâtit quelque peu, et semble avoir moins de force.

128. Maquettes d’étude pour du mobilier en bois. Sculpture dite « spaghetti. » 129. Dessin pour le fauteuil en bois Paimio 41 et 31 (1931-1932). Conception Alvar Aalto. 130. Détail de pieds en « L » en cours de fabrication. Ces éléments en bouleau sont ensuite recourbés selon un procédé breveté, puis vissés à la sous-face de l’assise pour une table, ou d’un plateau pour une table.

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II.2 L’envol des architectes finlandais L’ensemble de la production architecturale des Five de « Suomi Seven » autour des années 2000, mais aussi d’autres agences finlandaises, présente de nombreux éléments issus de la pensée aaltienne, transformés et réadaptés, mais toujours présents dans une certaine mesure. L’attention au “petit homme” est toujours d’actualité. La modernité s’est sans conteste libérée de tout classicisme et la nature est plus que jamais intégrée à la conception architecturale et à la vie même du bâtiment. À travers quelques projets de sept agences d’architecture, l’exposition « Suomi Seven. Emerging Architects from Finland » a su présenter un échantillon des travaux de la jeune génération qui façonne l’environnement urbain de la Finlande, aujourd’hui et pour les décennies à venir. 131. Kenneth Frampton.

En Finlande, l’État soutient l’activité des architectes, et ce depuis les débuts mêmes d’Alvar Aalto. Kenneth Frampton, professeur d’architecture à l’Université de Columbia à New York, se remémore l’attitude d’Aalto à ce sujet :

22. EISENBRAND Jochen (sous la direction de) (2014), Alvar Aalto - Second Nature, Vitra Design Museum, Weil am Rhein, p. 205.

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« Je me souviens de sa fière déclaration sur le statut des architectes en Finlande. La manière dont ils avaient (ici il faisait sans doute allusion aussi à lui-même) un certain renom auprès du gouvernement et de l’État. »22 La vitalité de l’architecture nordique étonne le journaliste français Guillaume Goubert. Comment un pays si petit et si peu peuplé, situé à l’autre bout du continent, fait-il pour produire autant d’architecture d’une qualité exceptionnelle ? « Par quel mystère la qualité architecturale a-t-elle trouvé une terre d’élection en Finlande ? Il n’allait pas de soi que ce pays de cinq millions d’habitants, perdu aux confins du Grand Nord, donne naissance à des talents mondialement reconnus comme ceux d’Eliel Saarinen (1873‑1950), son fils Eero Saarinen (1910-1961) ou Alvar Aalto (1898‑1976). Cela a certainement quelque chose à voir avec la rudesse du climat qui implique de bâtir avec soin. Mais aussi avec le fait que les architectes ont apporté, au propre comme au figuré, une contribution essentielle à la construction d’une nation finlandaise qui n’a acquis son indépendance qu’en 1917. “Ici, les architectes et les designers sont mieux


considérés que dans le reste de l’Europe”, observe Severi Blomstedt, directeur du Musée d’architecture finlandaise (MFA) à Helsinki. »23 Des caractéristiques particulières et variées placent aujourd’hui l’architecture finlandaise à part de la production architecturale mondiale. Bien que la Finlande soit une jeune nation, elle possède une tradition de l’architecture moderne très forte, offrant une base intellectuelle et de bonnes fondations pour la jeune génération. Sans aucun doute, la récession économique qui a frappé le pays dans les années 1990 a fortement bouleversé l’activité des agences d’architecture, laissant des marques et altérant la confiance en soi des architectes. Pourtant, les Finlandais continuent d’apprécier le rôle des architectes, ces modeleurs d’espace de leur vie quotidienne. Contrairement à de nombreux pays européens, la Finlande est actuellement très active dans le domaine de la construction et du bâtiment. Villes et métropoles grandissent rapidement et donnent vie à une multitude de nouveaux quartiers, résidentiels, commerciaux, ou encore tertiaires. L’architecture contemporaine de la métropole d’Helsinki est aujourd’hui impactée par l’accroissement rapide de sa population. Des zones entières de nouveaux quartiers résidentiels sortent de terre et nécessitent des immeubles d’habitation mais aussi des écoles et des équipements communaux. Une importante vague de transformation urbaine est en marche. D’anciens sites portuaires et industriels sont confrontés à leur nécessaire reconversion. L’architecture contemporaine finlandaise se caractérise non seulement par la transformation de ses villes, à travers la reconversion des anciens quartiers industriels, mais aussi par le questionnement que soulève le devenir de tous ces bâtiments modernes, datant pour la plupart des années 1960. Un programme de restauration et de rénovation s’avère incontournable pour s’adapter aux besoins contemporains. L’importance accordée aux architectes se retrouve dans les principes guidant les commissions des futurs bâtiments. Ces derniers, que ce soit des édifices religieux, des bibliothèques, des écoles, des maisons ou immeubles d’habitation, ou encore des centres culturels, sont considérés comme les cœurs structurants de la société. Perçus comme des espaces publics orientés vers l’épanouissement culturel et physique,

23. GOUBERT Guillaume (2008), « Une leçon d’architecture finlandaise aux portes de Paris », La Croix, p. 22.

132. JFK Trans World Airlines Terminal (1962), Eero Saarinen, New York.


ils fournissent un cadre pour la construction et l’essor d’une société démocratique. Les Finlandais sont très attachés à l’idée que la façon dont les édifices sont conçus, agit sur le comportement de l’usager dans ces espaces. D’où l’attention toujours importante portée à tout projet, comme celle accordée à la conception des établissements scolaires qui se doivent d’être un lieu propice à l’apprentissage, à l’acquisition de connaissances tant théoriques que pratiques, au développement harmonieux de l’esprit et du corps. L’architecte est acteur, responsable du bon développement de la société moderne. Ces principes se retrouvent aussi dans la tradition finlandaise des concours d’architecture. La Finlande a développé cette habitude de proposer des concours ouverts à tous. Par ce procédé, elle cherche à attirer les meilleures propositions possibles, des idées innovantes pour des projets notables qui vont façonner l’identité d’un quartier ou d’une communauté, que ce soit pour un plan d’urbanisme, la conception d’une église, d’un immeuble de logement ou encore de bureaux. Plutôt que de faire appel à un seul architecte ou une seule agence d’architecture, elle s’offre le luxe du choix. Ces concours sont devenus de véritables opportunités pour tous les jeunes architectes. Ils leur permettent de s’établir dans la profession à un stade précoce de leur carrière. Les concours ont également permis de développer la notion du « learning by doing », une des caractéristiques aujourd’hui essentielles de l’approche finlandaise de l’architecture, et même de l’apprentissage de la profession en général. Il n’est pas rare en Finlande de voir une agence se former juste après avoir remporté un concours. Cela permet aux jeunes architectes d’établir et de développer leur propre vision grâce à la réalisation d’un bâtiment de A à Z, de la première esquisse à la livraison. Ils entrent ainsi plus tôt en scène, sans attendre ce moment qui se présente souvent tardivement, passées à travailler pour le compte d’une autre personne (avec le risque de subir une influence forte selon l’agence qui les emploie). Les concours servent de catalyseur pour bon nombre d’agences d’architecture. C’est ce qui rend possible la création d’une agence alors que l’architecte fondateur est encore un tout jeune trentenaire.

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Une intéressante génération d’architectes grandit aujourd’hui en Finlande. Ils ont l’avantage de pouvoir construire, au propre comme au figuré, en s’appuyant sur une solide tradition de l’architecture moderne.


En parallèle, ils ont tous su développer leur propre mode d’expression architecturale. L’architecture finlandaise s’est toujours orientée vers une recherche et un maintien de sa propre identité à travers la tradition locale, tout en restant ouverte aux influences contemporaines, européennes et internationales. Les architectes finlandais cherchent à tirer parti de ces deux sources d’inspiration pour aller vers une architecture novatrice et originale. Alvar Aalto avait faite sienne cette approche. Nous pouvons en dire autant de la jeune génération. Bien qu’ils se réfèrent à la tradition façonnée par ceux qui les ont précédés, les jeunes architectes finlandais ne sont en aucun cas des disciples d’Aalto. Ils créent chacun leur propre langage architectural, travaillent avec un ensemble commun de valeurs. Ils lient dans leur travail une sensibilité à la matérialité et au comportement de la lumière naturelle dans l’espace architectural. Les agences de « Suomi Seven » se tournent vers l’innovation et l’expérimentation pour résoudre les problématiques attachées aux besoins pratiques de leurs projets. Par exemple, les architectes associés de l’agence finlandaise JKMM Architects (créée en 1998) ont réalisé une bibliothèque municipale à Seinäjoki, juste en face de celle construite par Alvar Aalto en 1965. Lors d’un entretien réalisé pour l’exposition « Alvar Aalto - Second Nature » au Vitra Design Museum en 2014, les quatre jeunes architectes parlent de leurs relations avec Alvar Aalto. Dans les années 1990, Teemu Kurkela (l’un des architectes associés de l’agence), alors étudiant en architecture, constate avec surprise qu’Alvar Aalto est peu évoqué par ses professeurs. Si nous considérons ces derniers comme des pères, cela ferait d’Aalto le grand-père. À un certain moment, raconte-t-il, les pères se sont retournés contre ce grand-père qui était pourtant déjà mort. Ainsi Teemu Kurkelu dit au sujet d’Aalto : « Il était un peu comme un grand arbre. Un grand arbre projette une grande ombre sous laquelle rien de nouveau ne peut pousser. Dans les années 1960-1970, c’était vraiment dangereux de se trouver trop près du grand arbre. Nous ne le voyions pas de cette façon. Pour nous, c’était plutôt comme un poisson qui nage dans l’eau : l’influence d’Aalto était partout autour de nous, mais nous n’en avions pas toujours conscience. »24

133. JKMM Architects.

24. EISENBRAND Jochen (sous la direction de) (2014), Alvar Aalto - Second Nature, Vitra Design Museum, Weil am Rhein, p. 311.


Cette rancœur dont souffrent les générations d’architectes des années 1960 et 1970, et dont les jeunes générations d’aujourd’hui semblent s’être affranchies, peut s’expliquer simplement. La relation que chacun a eue avec Aalto est différente. Les premiers ont pu le côtoyer, bénéficier de ses enseignements et de ses conférences. Ils ont subi une influence directe. Les seconds n’ont jamais pu rencontrer ou écouter le « Maître du Nord » en personne. « Mais il nous a toujours parlé à travers ses bâtiments » explique Samuli Miettinen, architecte associé de l’agence JKMM Architects. Ainsi, ils ont pu définir leur propre relation avec Aalto en toute liberté. Le grand arbre évoqué précédemment ne projette pas qu’une grande ombre, il peut aussi être considéré comme une allégorie de l’enseignement et de l’apprentissage. Lorsqu’on leur demande quel est aujourd’hui l’héritage d’Aalto, ils répondent « le facteur humain » et « le respect pour les gens ordinaires ». L’architecture d’Aalto permet de trouver un bon équilibre entre quelque chose de sérieux et de ludique. Selon les architectes de l’agence JKMM Architects, les projets d’Aalto sont comme des recettes de cuisine de l’architecture : Alvar Aalto a réussi à mélanger en un élégant ensemble des influences japonaises, italiennes et même finlandaises de bâtiments vernaculaires. Les jeunes architectes sont curieux de découvrir comment ils pourraient faire ce genre de cuisine avec les « ingrédients » architecturaux aujourd’hui à leur disposition. 134. Álvaro Siza.

L’architecte portugais Álvaro Siza apporte lui aussi des éléments de réponse. Il a été profondément inspiré par l’œuvre d’Aalto lorsqu’il était étudiant. Pour parler de l’héritage d’Aalto, il évoque un petit texte de l’architecte finlandais à propos d’un dessin :

25. EISENBRAND Jochen (sous la direction de) (2014), Alvar Aalto - Second Nature, Vitra Design Museum, Weil am Rhein, p. 403.

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« Parfois le travail n’avance pas. Alors je l’abandonne et je rentre à la maison. Et je commence à peindre ou à dessiner sans penser au projet. Et de dessiner quelque chose qui n’a rien à voir avec les problèmes initiaux, fait évoluer l’idée qui bloquait le projet. »25 Siza explique que cette relation entre l’intuition ou le subconscient et le domaine de l’imaginaire est bien plus riche qu’une approche rationnelle. L’élément du temps et les différentes expériences de la vie entrent alors en jeu, et viennent nourrir le projet.


L’héritage d’Alvar Aalto ne se réduit pas aux formes et aux nombreux projets légués. Il réside aussi dans toute la pensée de l’architecte, sa façon de voir et de concevoir l’architecture. C’est de cela dont devraient se nourrir les jeunes étudiants finlandais en architecture. Les cinq des sept agences d’architecture finlandaises exposées à Francfort, fortes de leur passé architectural, laissent supposer un vivier d’architectes beaucoup plus important. Chaque année, des centaines d’étudiants sortent d’une des trois écoles d’architecture que compte le pays. Les concours et les expositions telles que celle de Francfort sont de véritables tremplins pour ces jeunes architectes. Ils ont aujourd’hui la possibilité de se faire rapidement connaître, notamment à l’international. Malgré cela, la route pour s’élever au rang de maître de l’architecture comme Alvar Aalto est encore longue. 135. Bibliothèque municipale (2012), Seinäjoki. L’agence JKMM a dû faire preuve de beaucoup de finesse pour construire au milieu des bâtiments d’Aalto.

136. L’agence ALA Architects a remporté en 2013 le concours pour la nouvelle bibliothèque d’Helsinki. Les plans ont été approuvés par la ville en janvier 2015.


Conclusion L’architecture moderne est dominée par trois hommes, trois architectes, maîtres incontestés : Le Corbusier, Mies Van der Rohe et Alvar Aalto. Devenus célèbres au cours des années 1920, ils se sont tous trois orientés vers une architecture dépouillée et rationnelle, constituée de murs plans, de fenêtres en bande et de plans ouverts. Mais après quelques décennies, leurs chemins ont divergé et chacun a développé sa propre vision de l’architecture moderne. Aujourd’hui encore, ils influencent l’architecture contemporaine. Le Corbusier a donné le jour à des monuments de béton massif, comme ces tristes barres d’habitation qui défigurent aujourd’hui les abords des villes à travers le monde. Mies Van der Rohe a affiné son architecture minimaliste jusqu’à un tel degré que plus personne ne pouvait en faire quoi que ce soit, si ce n’est tenter de pâles et bien moins talentueuses imitations. Parmi ces trois créateurs, Aalto est le seul à être parvenu à faire émerger une architecture organique, humaine, reliée à son environnement, suggérant la possibilité d’une « autre modernité ». Il s’est engagé dans une voie que nous pourrions qualifier de plus pérenne et qui correspond davantage aux attentes de monde actuel, en quête d’humanité.

137. Le vase Savoy créé par Aalto, aujourd’hui commercialisé par Iittala. 138. Pavillon Gorki (2012), Shigeru Ban, Moscou.

Alvar Aalto a su suggérer des alternatives aux innombrables dalles de béton et autres structures froides en acier. Souhaitant une autre architecture, il a opté pour des murs ondulant de brique et de bois, des toitures également en bois, complexes et protectrices, solides avec toujours ce souci du détail. C’est une architecture qui tient compte de l’individu en tant qu’être humain, et non en tant qu’usager anonyme et abstrait. Bien que très peu connu dans le monde, Alvar Aalto a, par bien des aspects, influencé l’architecture tant scandinave qu’internationale. Sans Aalto, l’Opéra de Sydney n’aurait sans doute pas vu le jour, encore moins la célèbre marque de meubles IKEA. Le japonais Shigeru Ban est l’un de ces architectes influencés et bouleversés par leur rencontre avec l’œuvre d’Aalto. L’oubli dans lequel Alvar Aalto est tombé tend aujourd’hui à s’inverser. En effet, nous observons à présent un regain d’intérêt pour l’art et le design scandinave. Même si le célèbre vase Savoy, conçu par Aalto, connaît depuis sa création en 1936 un succès intemporel. Mais qui se


souvient qu’il en est le créateur ? Depuis le début des années 2000, de nombreuses expositions ont été organisées à travers le monde contribuant à faire connaître la vie et l’œuvre d’Alvar Aalto : au Centre Pompidou, à l’École des Beaux-Arts et à l’ENSA Paris-Belleville, parmi tant d’autres, à Paris ; au Centre Méridional de l’Architecture et de la Ville (CMAU) par les étudiants de l’ENSA Toulouse à Toulouse ; au Centre d’innovation et de design au Grand-Hornu (Belgique) ; au Barbican Centre à Londres (Angleterre) ; ou encore tout récemment au Vitra Design Museum à Bâle (Suisse). De tous les maîtres modernes, Alvar Aalto est en passe de devenir le plus respecté. Il est bien rare d’entendre ou de lire des critiques négatives à son égard. C’est comme s’il avait réussi à trouver un juste milieu qui conviendrait au plus grand nombre, un équilibre entre l’expression libre et la rigueur, entre l’humain et la production standardisée, entre le paysage et l’édifice. La période de crise que nous traversons depuis quelques années pousse les Européens à chercher un art de vivre plus simple, plus équilibré et plus harmonieux. Surfant sur cette vague scandinave, nous assistons à la multiplication de magasins dédiés à des collections épurées, privilégiant le bois et les couleurs claires, blanc beige et blanc blond.

139. Affiche de l’exposition « Alvar Aalto Second Nature » au Vitra Design Museum, Bâle.

Alvar Aalto, un homme épris de nature, mais aussi de culture et du « petit homme de la rue », telle pourrait être la définition de l’architecte que j’ai pu découvrir grâce à mon Erasmus et à mon travail pour ce mémoire. Alvar Aalto, le détail, la lenteur sans la mollesse, la douceur de vivre. Et en face de lui, cinq boules d’énergie, cinq agences d’architecture déjà bien établies, treize architectes qui affichent une détermination à toute épreuve, ainsi qu’une vision fraîche et novatrice de l’architecture finlandaise. C’est là que réside toute la magie : dans leur capacité à créer leur propre langage architectural mêlant tradition, architecture vernaculaire, héritage et contemporanéité. Alors quel avenir pour ces jeunes architectes dont les perspectives sont pleines de promesses ? Ils nous ont prouvé qu’ils étaient capables de remporter des concours, de construire des succès architecturaux comme l’église Kuokkala, la bibliothèque Kaisa, la four-cornered villa, le centre culturel Kilden et l’école de Saunalahti. Après avoir conquis le cœur

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140. Puukuokka (2011-2015), OOPEAA, Jyväskylä. 141. Museum of the History of Polish Jews (2013), Lahdelma & Mahlamäki, Varsovie.

des Finlandais, ne sont-ils pas ainsi prêts à promouvoir l’architecture au-delà de ses frontières ? Elle a beaucoup à nous apprendre pour réhumaniser nos villes. L’utilisation du bois, matériau dont nous avons tant parlé dans ce mémoire, pourrait constituer une solution privilégiée pour redonner vie à nos villes. Dans la plupart des pays européens occidentaux, construire en bois dans les villes se heurte à des préjugés : la peur des incendies tout d’abord. Le bois est ensuite considéré comme étant un matériau trop fragile pour des constructions hautes. Ce matériau est souvent réservé aux maisons de plage, de campagne, ou aux chalets de montagne. En Finlande, les jeunes architectes utilisent le bois aussi bien pour des constructions du centre-ville, que celles à la campagne. OOPEAA fait partie de cette jeune génération, ayant récemment signé un projet d’immeuble de logement de huit étages, entièrement constitué de modules en bois. Pour construire un bâtiment comme celui-ci, chaque espace est conçu avec soin pour respecter les lois et les normes de sécurité incendie, et assurer une sécurité optimale. Chaque chambre est équipée d’une alarme incendie. Le projet intègre également un système de ventilation naturelle et écologique. Pour promouvoir l’architecture à un niveau national et international, la Finlande a la chance de disposer d’un réseau de plusieurs organisations et institutions. Il est important pour elles de rendre les citoyens finlandais conscients des enjeux actuels. Ces organisations indépendantes travaillent aussi à créer ensemble des activités pour communiquer leur culture et leur histoire. Les principales institutions sont le Musée de l’Architecture Finlandaise, la Fondation Alvar Aalto, et le Centre d’Architecture et d’Information de la SAFA (Association Finlandaise des Architectes). Ce sont elles qui ont permis la création en 2014 du tout premier prix d’architecture national finlandais. Le projet gagnant est le Musée de l’Histoire des Juifs Polonais à Varsovie, réalisé en 2013 par l’agence d’architecture finlandaise Lahdelma & Mahlamäki. Le projet a été sélectionné par Sixten Korkman, un économiste, avec l’objectif de juger les projets non pas sur la technique ou du point de vue d’un architecte, mais de laisser ce choix à l’usager, au « petit homme », se basant uniquement sur l’expérience vécue au sein du bâtiment. Ce nouveau facteur pourrait remettre en question certains résultats de concours.


Comme le disait Sixten Korkman, « l’usager accepte et ne demande rien ». Les citoyens ne pourront pas demander d’améliorations qualitatives de leurs espaces urbains et publics, si nous ne leur faisons pas prendre conscience de l’importance de l’architecture dans leur vie et de la valeur des bâtiments avec lesquels ils interagissent chaque jour. C’est dans ce sens que travaillent les cinq agences d’architecture finlandaise, ALA Architects, Anttinen Oiva Architects, Avanto Architects, OOPEAA et Verstas Architects. Elles cherchent à produire une architecture qui soit humaine et responsable, où la lumière, les matériaux et le soin du détail occupent une place privilégiée. Dans leurs projets, tradition et contemporanéité se marient harmonieusement. La mémoire d’Alvar Aalto n’est jamais bien loin.

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Visites Aaltoesques en Finlande

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01. Worker’s Club, Jyväskylä, 1924-25 02. Aira Apartment Building, Jyväskylä, 1924-26 03. Defence Corps Building, Jyväskylä, 1926-29 04. Muurame Church, Muurame, 1926-29 05. Aalto House, Helsinki, 1935-36 06. Centre Municipal, Säynätsalo, 1949-52 07. University of Technologie, Helsinki, 1949-76 08. Maison Expérimentale, Muuratsalo, 1952-54

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09. Aalto Studio, Helsinki, 1954-55, 1962-63 10. University Main Building, Jyväskylä, 1954-56 11. Musée de la Finlande Centrale, Jyväskylä, 1956-61 12. Enzo Gutzeit Headquarters, Helsinki, 1959-62 13. Viitatorni, Jyväskylä, 1960-61 14. Jyväskylä Administrative & Cultural Centre, 1964 15. Academic Library, Helsinki, 1961-69 16. Musée Alvar Aalto, Jyväskylä, 1971-73


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Crédits photographiques ALA Architects : p. 48 dessin 98 ; p. 71 ph. 136 Alvar Aalto museum, photo Heinonen : p. 13 ph. 5 Andreas Meichsner : p. 39 ph. 71 ; p. 40 ph. 75 et 76 ; p. 41 ph. 79 ; p. 42 ph. 80 ; p. 43 ph. 82 à 85 Andy Malengier : p. 59 ph. 115 Anttinen Oiva Architects : p. 26 dessin 34 Armin Linke : p. 23 ph. 26 ; p. 27 ph. 39 et 40 ; p. 34 ph. 60 et 61 Avanto Architects : p. 31 dessin 52 Bing maps : p. 25 ph. 32 ; p. 44 ph. 88 Christian Devillers : p. 23 ph. 27 et 28 ; p. 30 ph. 50 et 51 ; p. 32 dessin 56 ; p. 33 ph. 57 Deutsches Architekturmuseum : p. 9 ph. 2 ; p. 13 ph. 6 ; p. 14 ph. 7 ; p. 15 ph. 8 et 9 ; p. 16 ph. 10 ; p. 45 dessin 90 Ditte Valente : p. 53 ph. 106 Fernanda Castro : p. 74 ph. 140 Fondation Alvar Aalto : p. 18 dessin 13 et 14 ; p. 21 ph. 17 ; p. 24 dessin 29 ; p. 26 ph. 37 ; p. 36 dessin 64 ; p. 38 ph. 69 ; p. 39 ph. 73 ; p. 40 ph. 74 Göran Schildt, Alvar Aalto, La table blanche et autres textes, op. cit : p. 26 dessin 36 ; p. 38 dessin 68 ; p. 39 dessin 72 ; p. 57 ph. 112 à 114 ; p. 59 dessin 116 et ph. 117 ; p. 63 ph. 123 et 124 Iwan Baan : p. 47 ph. 95 et 96 ; p. 49 ph. 101 et 102 ; p. 62 ph. 122 Jussi Tianen : p. 21 ph. 20 et 21 ; p. 22 ph. 22 ; p. 23 ph. 24 et 25 Kuvio - Anders Portman and Martin Sommerschield : p. 31 ph. 53 et 54 ; p. 32 ph. 55 ; p. 33 ph. 58 et 59 ; p. 35 ph. 62 Nicolas Druet : p. 17 dessin 11 (modifié par l’auteur) ; p. 19 dessin 15 ; p. 38 dessin 70 Michael Trencher : p. 46 ph. 91 et 94 Mika Huisman : p. 26 ph. 35 ; p. 28 ph. 41 et 43 ; p. 29 ph. 47 et 48 ; p. 71 ph. 135 Mimoa : p. 9 ph. 1 Musée Alvar Aalto : p. 35 ph. 63 ; p. 44 ph. 87 ; p. 49 dessin 99 ; p. 64 ph. 125 et dessin 127 ; p. 65 dessin 129 Musée de l’Architecture Finlandaise : p. 65 ph. 128 OOPEAA : p. 19 dessin 16 Pawel Paniczko : p. 74 ph. 141 Rainier Hoddé : p. 21 ph. 18 ; p. 22 ph. 23 ; p. 55 ph. 110 ; p. 61 ph. 121 Samuel Ludwig : p. 60 ph. 120 ; p. 64 ph. 126 Simo Rista : p. 46 ph. 92 et 93 ; p. 49 ph. 103 The Finnish Committee for the Restoration of Viipuri Library : p. 24 ph. 31 ; p. 25 dessin 33 ; p. 27 dessin 38 ; p. 29 ph. 45 et 46 TKKA : p. 36 ph. 65 Tuomas Uusheimo : p. 28 ph. 42 et 44 ; p. 41 ph. 78 ; p. 45 ph. 89 ; p. 47 ph. 97 ; p. 49 ph. 100 Verstas Architects : p. 37 dessins 66 et 67 Vitra Design Museum : p. 73 ph. 139

Toutes les autres photos sont de Camille Launay.

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Table des matières Avant-propos

p. 6

Introduction

p. 8

Chapitre I - Les Five de Suomi Seven en écho à Alvar Aalto I.1 L’église I.2 La bibliothèque I.3 La maison - Le « cottage » I.4 L’école I.5 Le centre culturel

p. 18 p. 24 p. 30 p. 36 p. 44

Chapitre II - L’architecture finlandaise d’hier à aujourd’hui II.1 Les grandes théories aaltiennes II.2 L’envol des architectes finlandais

p. 54 p. 66

Conclusion

p. 72

Bibliographie

p. 76

Visites Aaltoesques en Finlande

p. 78

Crédits photographiques

p. 80

Remerciements

p. 82

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Remerciements

Je remercie Catherine Deschamps, socio-anthropologue, et Bruno Proth, sociologue, d’avoir accepté d’être mes professeurs référents et de m’avoir accompagnée durant ces mois d’études, de leur bienveillance et de leurs conseils. J’adresse tous mes remerciements à Rainier Hoddé, spécialiste d’Alvar Aalto, de m’avoir donné des pistes de réflexions et de m’avoir suggéré de travailler sur l’exposition Suomi Seven. Merci également à Judith et Thomas pour leur précieuse relecture et leurs recommandations. Un grand merci à mes parents qui ont relu mon travail, m’ont soutenue et motivée durant cette année.

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142. Aino et Alvar Aalto.

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Alvar Aalto (1898-1976) fait sans conteste partie des maîtres de l’architecture moderne. Tour à tour architecte, designer, créateur d’intérieurs, humaniste, ou encore orateur, ce « petit homme » finlandais a laissé derrière lui un héritage matériel (et immatériel) considérable. Depuis, en Finlande, les années ont passé, les générations d’architectes se sont succédées, se méfiant de ce mastodonte dont l’ombre les effrayait. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Quarante ans plus tard, les jeunes architectes finlandais semblent plus enclins à se nourrir des leçons du passé. Alors que reste-t-il d’Alvar Aalto dans l’architecture finlandaise actuelle ? Que ce soit pour la création d’une église, d’une bibliothèque, d’une maison, d’une école ou d’un centre culturel, chacun s’inspire à sa façon du « Géant du Nord ». Des liens se tissent, d’autres se transforment, d’autres encore s’effacent petit à petit. Ce mémoire se propose de répondre à ces interrogations, en étudiant les rapports entre Alvar Aalto et cinq jeunes agences d’architecture finlandaises, présentées à Francfort à l’automne 2014, à l’occasion de l’exposition « Suomi Seven. Emerging Architects from Finland ». De nos jours, l’engouement pour l’architecture nordique et la douceur de son art de vivre met en lumière les pays scandinaves et la Finlande. Quel avenir pour ces jeunes architectes influents et pleins d’énergie ? Dans leurs projets, tradition et contemporanéité se côtoient harmonieusement. La mémoire d’Alvar Aalto n’est jamais bien loin.


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