PHOTOS : STEPHEN JERROME
Paysagisme
D’AUTRES Des créateurs aux idées folles revisitent les traditionnels jardins pour en faire de véritables interventions artistiques, où le végétal côtoie les matériaux artificiels, sans états d’âme. Une nouvelle voie pour les espaces verts ? PAR FANNY BOUVRY
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1. Un nuage artificiel surplombe ce jardin design californien signé par le bureau Cao Perrot. 2. Du même auteur, cet arbre en métal a été placé dans le jardin des Tuileries à Paris, pour un événement Laurent-Perrier, avant d’être réinstallé dans un jardin privé. 2
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ÉDENS
ous sommes en Californie, face à l’océan Pacifique. De gros cumulus bourgeonnent dans le ciel et jouent avec les rayons du soleil pour créer des ombres changeantes au sol... Ce décor de carte postale a inspiré le duo francobrésilien Cao Perrot qui en a tiré un univers tout à fait particulier reproduit dans le patio de cette maison unifamiliale. Un nuage formé d’un grillage en acier inoxydable, décoré de cristaux, surplombe une zone de gazon, à facettes, où sont incrustées des vitres teintées qui réfléchissent le ciel. Lorsque la lumière est forte, cette verroterie se met à briller et projette, sur les parois voisines, les couleurs de l’arc-en-ciel. Le lieu clos et immobile devient soudain mouvant sous l’effet de ce jeu de matières… « Nous sommes en quelque sorte des plasticiens du paysage, synthétise l’un des auteurs de cet aménagement, Xavier Perrot. Nos projets ont certes un rôle contemplatif mais ils incitent aussi à l’expérimentation. On imagine bien les habitants de cette villa s’installer sur les pentes verdoyantes pour lire… » Des endroits comme celui-là – à cheval entre art et paysage – fleurissent un peu partout dans le monde. Couleurs vives, travail sur la lumière, confrontation de matériaux naturels et artificiels, charge narrative, humour… : ces « jardins conceptuels », comme les définit l’auteur Tim Richardson dans son livre Avant Gardeners, reposent sur des idées plutôt ■ ■ ■ www.weekend.be / 47
VINCENT GILLIER
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Une des pionnières en la matière est l’Américaine Martha Schwartz qui, depuis la fin des années 80, joue avec des registres décalés du paysagisme. Ses réalisations provocatrices misent sur l’intégration d’objets colorés pour « accessoiriser » le lieu. Une de ses réalisations les plus connues est celle pour le réaménagement de la résidence Davis, au Texas. La conceptrice y a imaginé de petites « pièces » à ciel ouvert délimitées par des murs colorés. Dans chacune d’elles s’épanouissent des « folies », soit quelques cactus émergeant du gravier, teinté par endroit. Cette mise en place, aux accents très mexicains, remonte à une quinzaine d’années et est aujourd’hui étiquetée « postmoderne » par certains théoriciens. Cette attitude à contre-courant est même considérée par quelques spécialistes comme déjà dépassée. « La manière de tourner en dérision les codes du jardin de Martha Schwartz est intéressante, affirme Hervé Brunon, historien des jardins et du paysage. Mais je pense que cette démarche artistique n’est pas universellement transposable. Derrière cette tendance conceptuelle, on décrypte une volonté des propriétaires d’épater. Des lieux communs peuvent alors s’installer et cela peut tourner au kitsch. Aujourd’hui, on en arrive à la tendance inverse : le retour au ■ ■ ■ 48 / www.weekend.be
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MARTHA-SCHWARTZ PARTNERS
GÉNIAL OU HAS BEEN ?
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MARTHA-SCHWARTZ PARTNERS
que sur des plantes et jettent un pavé dans la mare des poncifs traditionnels.
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1. En 2002, le Belge Vincent Gillier a été sélectionné pour participer au Festival de Jardins de Chaumont-sur-Loire avec ce mikado géant. 2. et 3. Martha Schwartz est une pionnière en matière de jardins conceptuels, notamment avec cette réalisation texane.
sauvage, avec beaucoup de plantes, des graminées… » Et d’ajouter que la quasi-absence de végétaux de ces projets expérimentaux est aussi discutable dans le sens où « le végétal apporte la notion fondamentale du temps qui passe ».
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Quoi qu’il en soit, si certains y voient une évolution avortée de l’art paysager, d’autres estiment que l’avenir est devant eux. Comme le bureau allemand Wes & Partner. Sa composition pour un penthouse à Hanovre est emblématique de sa démarche. L’idée est ici de former un véritable salon outdoor. On retrouve donc des allusions au séjour traditionnel : un sol poli minéral qui rappelle le revêtement utilisé à l’intérieur, un « tapis » engazonné et délimité par un cadre en acier, et un « rideau » de quatre mètres en plastique. De leur côté, les paysagistes néerlandais de Lodewijk Baljon offrent également une vision revue et corrigée de la discipline où l’idée directrice dépasse l’attrait du végétal, sans pour autant dénigrer celui-ci. Comme dans le Rex Garden, à Amsterdam, où le sol est recouvert d’un lit de gravier et où la végétation est domestiquée pour circuler, en hauteur, sur une structure quadrillée. Ou encore pour le Patio Fonds, un arrière d’habitation mitoyenne qui a été aménagé avec des colonnes recouvertes de feuilles faisant office d’arbres et, au sol, un vitrage bleu turquoise évoquant un étang. ■ ■ ■
1 1. et 2. Pour ce patio, à Hanovre, Wes & Partner a imaginé une sorte de salon outdoor, avec un tapis engazonné et un rideau en plastique à l’arrière-plan. 3. Dans ce jardin d’Amsterdam, le bureau Lodewijk Baljon a surélevé la végétation pour laisser un sol totalement minéral.
JÖRN HUSTED
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MAAIKE DE RIDDER
JÖRN HUSTED
PERSPECTIVES D’AVENIR
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METAGARDENS
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METAGARDENS
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Les créateurs britanniques de Metagardens vont, eux, plus loin encore, en suggérant une vision complètement loufoque du jardin, avec des formes dignes de films de science-fiction, imaginées grâce aux outils de création assistée par ordinateurs, et des végétaux relégués au rang de déco ponctuelle. Sans concession. Pour eux, « un jardin est par définition une construction créée de toutes pièces par l’homme. Il n’y a donc rien de plus artificiel. Dès lors, il est logique d’y introduire des matériaux industriels afin d’établir un dialogue entre la nature et nous ».
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1. Metagardens mise sur des formes loufoques pour des créations des plus futuristes. 2. et 3. Le bureau britannique achève, aujourd’hui, un premier projet concret pour un jardin privé londonien. 4. Une proposition très graphique signée par le Belge Vincent Gillier pour un petit jardin bruxellois : des murs grillagés viennent structurer l’espace comme les pièces d’une maison. 5. Lodewijk Baljon crée des jardins conceptuels où le végétal garde un place de choix, mais par touches ponctuelles.
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Carnet d’adresses en page 104. 52 / www.weekend.be
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LODEWIJK BALJON
Les jardins conceptuels – tout en étant parfois à contre-courant des préoccupations actuelles privilégiant la nature et l’écologie – semblent donc avoir de beaux jours devant eux… D’autant que, comme le souligne le concepteur belge de jardins Vincent Gillier, « globalement, le design se démocratise. Et dans cette lignée, les gens sont plus réceptifs à ces propositions nouvelles ». Notre compatriote est, entre autres, spécialisé dans l’aménagement de petits espaces extérieurs urbains, à Bruxelles essentiellement. « Sur ce type de site, on peut développer un concept fort, avec un budget raisonnable, et en obtenant un rendu immédiat, commente-t-il. En plus, ces jardins jouxtent généralement des maisons relativement hautes d’où l’on a une vue plongeante intéressante. » Les jardins conceptuels pourraient dès lors devenir une solution d’avenir pour tous ces intérieurs d’îlots qui se cherchent un rôle et une esthétique, entre le carré d’herbe famélique, les micro-parterres sans âme et le macadam tristounet. Les idées germent ! ■
GILLIER
PETIT, MAIS INSPIRANT
BELGA/AFP
ERIC SANDER
Le Festival de Jardins de Chaumont-sur-Loire, dont voici quelques exemples de l’édition 2009, est l’occasion de découvrir les tendances de demain en matière de paysagisme et de piocher des idées à reproduire chez soi…
À VOIR AUSSI TERRE D’EXPÉRIMENTATION Chaque année, dès le retour des beaux jours, le Festival de Chaumont-sur-Loire, près de Tours, en France, offre une belle vitrine en matière de jardins conceptuels. Dans le parc du château, vingt paysagistes sélectionnés sur concours aménagent chacun une parcelle, en s’inspirant du thème choisi. Les visiteurs peuvent alors déambuler d’espace en espace pour découvrir ces propositions avant-gardistes. « Notre objectif est multiple, décrit la directrice du domaine, Chantal Colleu-Dumond. Nous voulons présenter un panorama des tendances contemporaines. Ainsi, on observe qu’actuellement, le côté artificiel des compositions laisse place à des volontés plus écologiques, avec une réflexion sur la biodiversité, des bacs à compost, etc. En parallèle, cette manifestation offre l’opportunité aux créateurs – souvent très jeunes – de venir tester des prototypes, de façon éphémère, pour en vérifier la faisabilité. » C’est ainsi qu’en 1994 Patrick Blanc a, pour la première fois, présenté un mur végétal. Aujourd’hui, le paysagiste français s’est fait une renommée planétaire en mettant en œuvre son concept de plantations à la verticale, notamment pour le musée des Arts Premiers à Paris. L’événement se targue également d’être, pour le grand public, un réservoir d’idées. « Tous ces concepts peuvent être transposés, au moins en partie, à des jardins privés, par exemple, en ce qui concerne l’utilisation des matériaux et des végétaux », insiste la directrice. Cette année, pour sa 19e édition, le Festival a choisi le thème « Corps et âme » pour mettre en avant la dimension thérapeutique des jardins, ou encore les vertus soignantes des plantes. Dès la fin avril, les lauréats dévoileront leur éden. Et démontreront de manière magistrale que le paysagisme gagne à sortir des sentiers battus. ■ ERIC SANDER
Festival international des jardins, www.domaine-chaumont.fr. Du 29 avril au 17 octobre prochain.