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Jean-Marc Probst «QUAND ON CÈDE SON ENTREPRISE, IL FAUT ÊTRE PERSUADÉ QUE LA GÉNÉRATION SUIVANTE FERA MIEUX»

Propriétaire du Groupe familial (machines de chantier) basé à Crissier (VD), Jean-Marc Probst a transmis la holding familiale à ses jumeaux, Nicola et Andrea.

«Dessine-moi une pelle mécanique!» dirait le héros du livre le plus traduit au monde après la Bible. Dans la bibliothèque de Jean-Marc Probst, 6’000 livres montrent leur dos, mais son propriétaire n’en a lu qu’un! Et pour cause, sa collection du Petit Prince, la plus grande au monde, est traduite là en autant de langues, idiomes et patois. La pelle mécanique est l’autre passion de l’ex-député vaudois, lauréat de la Course autour du monde (TV romande) et actionnaire des librairies Payot. Mais à 65 ans, Jean-Marc Probst a transmis son entreprise à deux de ses trois fils, des jumeaux de 36 ans.

On ne prête qu’aux riches «Dessine-moi un arbre généalogique!» pourrait aussi correspondre à la démarche du collectionneur du Petit Prince. Enfant, il a baigné dans l’univers paternel des pelles mécaniques, grues et autres engins. Son père avait créé l’entreprise Eric Probst Machines de chantier à Crissier (VD), où Jean-Marc a travaillé onze ans: «J’avais envie de développer l’entreprise, mais je voulais savoir si je travaillais pour moi ou pour la famille, se souvient-il. Je suis allé voir une grande banque pour racheter l’entreprise pour clarifier la situation vis-à-vis de mes deux sœurs cadettes. On ne prête qu’aux riches. Même si j’étais député au Grand conseil et ingénieur, ils m’accordaient une somme dérisoire.» Son père finit par lui prêter la somme nécessaire. En 1999, une opportunité se présente: le rachat d’une société Maveg Notz, à Lyss (BE), sept fois plus grande, qui voit l’entreprise passer de 12 à 90 employés. Il se tourne alors vers la France développant la croissance externe, achetant et créant des entreprises des deux côtés de la frontière, la société-mère devient Probst Group Holding: «En 2008, le chiffre d’affaires dépasse les 140 millions et compte plus d’employés en France qu’en Suisse, quand survient la crise des subprimes. La France est dans la tourmente et le chiffre d’affaires baisse de moitié. Pour licencier du personnel dans l’Hexagone, il faut être dans les chiffres rouges, explique JeanMarc Probst. En 2010, année cruciale pour moi, l’entreprise perd en France tout ce qu’elle gagne en Suisse. Il est impératif de sortir de ce marché, où le climat de travail est bien différent du marché suisse Sa collection du Petit Prince, la plus grande au monde, est traduite en autant de langues, idiomes et patois.

basé sur le respect, alors que le marché français est dominé par les rapports de force.» Finalement la dernière des cinq entreprises côté hexagonal, celle située en Provence, sera vendue en 2020 du côté de Marseille. «J’ai trois fils, dont deux jumeaux. Pour leur transmettre l’entreprise à l’âge de la retraite, j’ai dû m’y préparer cinq ans à

Jean-Marc Probst a transmis la holding familiale à ses jumeaux, Nicola (à gauche) et Andrea (à droite). LDD

Sa collection du Petit Prince, la plus grande au monde, est traduite en autant de langues, idiomes et patois. LDD

l’avance. Il y a des aspects fiscaux, économiques, émotionnels, etc.

La transmission se prépare cinq ans à l’avance Je recommande deux choses essentielles: être sûr de bien vouloir passer la main et être fermement convaincu que la génération suivante va faire mieux que soi! Personnellement, j’avais acheté à mon père une entreprise de 12 employés qui réalisait 8 millions de francs de chiffre d’affaires, aujourd’hui on est 180 employés pour 90 millions de chiffre d’affaires.» Luca, le fils aîné, travaille à Singapour et renonce à revenir en Suisse: «Ma première préoccupation a été de l’écarter. De nombreuses expériences autour de moi ont montré que cela se passe mal entre les actifs et les non-actifs actionnaires d’une société. Leurs intérêts divergent. Les uns veulent du dividende, les autres du salaire et de quoi développer l’entreprise. Sans parler des pièces rapportées qui peuvent se mêler des affaires.»

Des profils différents Les jumeaux Nicola et Andrea réagissent positivement avec des profils bien différents. Nicola a suivi des études de HEC avec un postgrade à Hongkong, son père l’envoie en France se confronter à la vente des machines, avant de devenir directeur des ventes de Probst Maveg. Andrea, lui, étudie la gestion aux HEG à Genève, effectue des stages au Tessin, à Bâle dans des banques puis chez un fournisseur au Japon: «Il est revenu opérationnel à 100% dans son domaine de la finance, deux ans avant son frère. La voie académique est une bonne solution, mais elle prépare peu les dirigeants à gérer le quotidien.» Les jumeaux sont complémentaires à la tête de deux entités différentes: Nicola chez Probst Maveg et Andrea, directeur financier chez Wagner + Betontechnik, un fournisseur de matériels pour le béton acquis il y a cinq ans: cela se passe très bien, ils sont sur des marchés différents, l’un s’occupe du «blanc» (béton, bâtiment), l’autre du «noir» (asphalte, routes). Probst Maveg est à Crissier, Embrach (ZH) et Osogna (TI) avec le gros de son infrastructure à Lyss (BE), alors que Wagner est à Sursee (LU) et sur trois autres sites. Financièrement, le père a donné à tous les trois 30% des actions, demandant à l’aîné de s’engager à céder ses 10% à ses deux frères. La BCV leur a prêté l’argent: «L’an dernier, j’ai vendu des actions à mes jumeaux pour qu’ils aient ensemble 49%. Je garde pour l’instant 51 % et la présidence du Conseil de la holding.» Pour la votation sur l’initiative 99%, JeanMarc Probst n’a pas de mots assez durs: «Un oui serait une catastrophe. Les initiants se trompent de cible. Ils utilisent le mauvais outil. Ils identifient peut être un problème, mais la solution proposée est totalement fausse. C’est bête et naïf, et très démago!» Olivier Grivat

Histoire

VOGEL VINS, TOUT UN ROMAN!

La société Vogel Vins, dont les membres restent plus soudés que jamais, poursuit son parcours avec détermination. Entretien avec le patron Julien Vogel, deuxième génération de marchands de vins.

Arriver à la gare de Grandvaux par une journée ensoleillée est un vrai cadeau. Le petit arrêt ferroviaire pour admirer le panorama à couper le souffle sur les coteaux viticoles du Lavaux est un impératif. Classée au Patrimoine mondial de l’Unesco, la région est un trésor national. C’est dans ce cadre idyllique que le patron de Vogel Vins SA a eu la gentillesse de venir à la rencontre d’un Genevois perdu dans la campagne vaudoise.

Solide réputation Après un court trajet sinueux au milieu des vignes, nous arrivons devant une ancienne école maternelle abritant les bureaux de la société que Julien Vogel dirige conjointement avec sa sœur, Anne-Christine. Et c’est en franchissant la porte des locaux qu’un air de famille se fait rapidement sentir. Avec une dizaine d’employés, dont cinq sillonnant les routes romandes, Vogel Vins SA s’est taillé une solide réputation dans le monde de la vigne. «Nous sommes très proches les uns des autres et chaque collaborateur est essentiel au bon fonctionnement de l’entreprise» déclare le patron. Non sans rebondissements, la petite entreprise a traversé les périodes de crise avec humilité et reste plus que jamais un incontournable marchand de vins romand.

Filiforme et élancé, Julien Vogel reçoit dans ses bureaux en toute décontraction, le lac Léman et les Alpes en toile de fond. C’est avec aisance et conviction qu’il retrace le parcours de son entreprise. Ingénieur hydraulique, son grand- Julien Vogel, un Genevois en terre vaudoise. LDD

L’équipe de Vogel Vins. LDD

père arrive à Grandvaux en 1929 nourrissant le rêve de faire du vin. Il achète une maison sur un terrain rempli de ronces, la vigne viendra plus tard. Ses fils restent dans le domaine en ayant deux différentes casquettes: l’un est vigneron et l’autre, après des études HEC à Lausanne, parcourt le monde des grandes entreprises de vins. Passionné par les vins de Bordeaux et bien introduit dans le milieu bordelais, Charles Vogel crée sa société, désireux de devenir son propre patron. L’aventure Vogel commence en 1992.

Bar à vins A la fin des années 1990, la tendance est à la consolidation. Plusieurs importants acteurs (et clients de Vogel Vins) fusionnent laissant un carnet de commande considérablement amoindri. «C’est alors que mon père a commencé à s’intéresser sérieusement à la clientèle privée et à la restauration. Il était impératif de se diversifier», se remémore Julien Vogel. Parallèlement, le père décide d’ouvrir un bar à vins à Morges: le Yatus ouvre ses portes en 2003. Après des études de marketing et diverses expériences entrepreneuriales, Julien intègre la société six ans plus tard et lance dans la foulée un Yatus à Vevey. «Tout en conservant l’ADN viticole du premier établissement, je souhaitais en ouvrir un autre plus jeune et plus dynamique.» Le succès est au rendez-vous et un troisième établissement ouvre ses portes à Lausanne suivi d’un quatrième à Fribourg. Julien rentre ainsi indirectement dans l’entreprise familiale par le biais de

«Nous souhaitons vendre aussi bien les grands crus et les pépites que nous aimons découvrir que les vins incontournables qui conservent leur place»

ses bars à vins. Et c’est seulement à la retraite de son père qu’il prend officiellement ses fonctions. «Nous avons les deux un fort caractère. Je préférais attendre mon tour.» Conjointement, une importante société de négoce rachète 70% du capital de Vogel Vins en 2013. Un bouleversement pour la maison jusqu’alors familiale qui perd au fil du temps son authenticité mais gagne en vision stratégique. Raisin sur le gâteau, les nouveaux actionnaires souhaitent que les bars Yatus soient vendus au plus vite. Julien les rachète à titre personnel avant de les revendre quelques années plus tard. «A ce stade, nous étions devenus les candidats idéaux en matière de fusion.» Soutenus par leurs collaborateurs, Julien et sa sœur rachètent en 2020 les parts de la société et redeviennent les propriétaires de leur propre maison de vin.

Repositionnement «Cette situation nous a permis de tout remettre à plat. Nous souhaitons vendre aussi bien les grands crus et les pépites que nous aimons découvrir que les vins incontournables qui conservent leur place. Nous voulons revenir à notre métier de cœur.» Dès le rachat, Julien Vogel revoit l’ensemble du catalogue et ressort son carnet d’adresses. Après avoir dégusté 900 vins en quelques mois, Vogel Vins se repositionne enfin. Au programme? Refonte du site internet, reprogrammation de l’outil de gestion, ouverture d’un bureau à Genève et dans le long terme une incursion en terre alémanique. Tout un programme... Edouard Amoiel

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