Entrer en résonance
L’architecture de la ligne dans l’œuvre el Grande Cretto d’Antonio Burri et l’ouvrage d’art de la route MA - 2141 d’Alberto Parietti
AUTEUR: CASSANDRE VERDIER
ENCADRÉ PAR : EMMANUELLE SARRAZIN
ANNÉE: 2021-2022
« Sur l’Acropole d’Athènes, l’ordonnateur a placés les temples, véritables résonateurs des monts d’alentour […] son art lui a fait discerner l’esprit des lignes qui devaient fondre en un tout, la création naturelle et la création humaine. »1 «Esthétique de l'ingénieur, Architecture, deux choses solidaires, consécutives, l'une en plein épanouissement, l'autre en pénible régression. L'ingénieur, inspiré par la loi d'économie et conduit par le calcul, nous met en accord avec les lois de l'univers. Il atteint l'harmonie. L'architecte, par l'ordonnance des formes, réalise un ordre qui est une pure création de son esprit; par les formes, il affecte intensivement nos sens, provoquant des émotions plastiques; par les rapports qu'il crée, il éveille en nous des résonances profondes, il nous donne la mesure d'un ordre qu'on sent en accord avec celui du monde, il détermine des mouvements divers de notre esprit et de notres coeur; c'est alors que nous ressentons la beauté.»2
1. De Pierrefeu F., Le Corbusier, La maison des hommes, (1942) paris, plan, p. 16 2. Le Corbusier, Vers une architecture, esthétique de l'ingénieur architecture, (1923), p. 4
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Remerciements
Je tiens à remercier tout d’abord Emmanuelle Sarrazin, directrice de recherche de ce mémoire, pour sa grande disponibilité, pour la qualité des échanges qui ont guidé mes recherches et contribué à enrichir ce travail. Je remercie également Léa Fernandes pour son aide présieuse à la relecture de ce mémoire, ainsi que Enzo Nicolas et Thomas Couëtmeur pour leur accompagnement dans le graphisme de la mise en page. Enfin, je tiens à témoigner toute ma gratitude à Sacha et ma famille pour leur encouragement et leur soutien inestimable.
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Avant-propos
Durant mes voyages et depuis le début de mes études d’architecture, il m’est arrivé de ressentir un sentiment de contemplation profond à deux reprises. La première fois fut sur la route MA-2141 menant au village de Sa Calobra, édifiée par Antonio Parietti sur l’île de Majorque. La seconde, face à l’oeuvre monumentale de land art d'Alberto Burri, El Grande Cretto, en Sicile. Longtemps je me suis interrogée sur les raisons de cette contemplation. Pourquoi étais-je fasciner par ces réalisations plus que par d’autres ? Aujourd’hui je peux dire avec certitude que c’est la relation si particulière de ces deux oeuvres architecturales à leurs site qui m’a séduite. Leur façon de s’adresser au grand paysage, ce lien étroit entre architecture et territoire. Pour ce mémoire j’ai choisi de questionner le sentiment de résonance dont parle Le Corbusier dans son ouvrage de 1942 intitulé La maison des hommes. Ce dialogue étroit entre une architecture et son paysage. L’idée étant ici de parvenir à comprendre par quels moyens artiste, architecte et ingénieur arrivent à lui donner vie.
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Entrer en résonnance
PROBLÉMATIQUES
Comment la notion de résonance et plus particulièrement le fait d’entrer en résonance est-il traduit dans le domaine de l’architecture ? Quels sont les éléments de vibrations communs à l’architecture et au paysage susceptibles d’entrer en résonance et donc d’accentuer les effets produits ? HYPOTHÈSE
L’architecture de la ligne d’un parcours, produit des effets de vibrations avec le paysage permettant l'entrée en résonance du projet avec le site. PROBLÈMATIQUE RAPROCHÉE
Quels sont les dispositifs permettant à l’architecture d’une ligne de parcours de produire des effets de vibration menant à l’entrée en résonance avec le paysage ?
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Avant-propos
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Introduction
Résonance
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Prologue
Présentation des sens de l’existence des œuvres du corpus
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Grande Cretto, Antonio Burri, Sicile
I.
II.
Conclusion
Bibliographie
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Route MA-2141, Antonio Parietti, Majorque
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Le dessin des lignes de parcours dans le paysage
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Comparaison géométrique des lignes
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Mémoire du site : L’influence des tracés de l’ancien village Gibellina
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Le rôle des lignes de topographie du contexte : la ligne qui souligne et la ligne qui épouse le paysage
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Synthèse : Résonance entre le dessin des lignes de parcours et les lignes du paysage
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La mise en oeuvre des lignes par et pour le paysage
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La matière issue du pasyage
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Creuser dans la matière : créer la ligne
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La ligne inscrite au paysage
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Synthèse : La ligne devient matière
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L’architecture comme élément résonateur du paysage
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Introduction « Sur l’Acropole d’Athènes, l’ordonnateur a placés les temples, véritables résonateurs des monts d’alentour […] mais son art lui a fait discerner l’esprit des lignes qui devaient fondre en un tout la création naturelle et la création humaine. »1 Le Corbusier utilise le terme de résonateur pour décrire son sentiment devant l’Acropole d’Athènes dans l’ouvrage La maison des hommes paru en 1942. Ce sentiment me semble semblable à celui que j'ai ressenti face aux œuvres évoquées dans le précédent avant-propos. Pour aborder ce terme, intéressons-nous en premier lieu à la notion de résonance. Le mot Résonner vient de sono qui signifie « sonner, faire un son » avec le préfixe re-. Cela signifie faire retentir un son, faire vibrer un son. La résonance est avant tout un phénomène physique selon lequel tout objet tend à vibrer à une fréquence particulière appelée fréquence de vibration naturelle ou fréquence de résonance. La mesure de la fréquence de vibration naturelle d’un objet varie en fonction de sa composition, de sa taille, de sa structure, de son poids et de sa forme. Une vibration est un mouvement d’oscillation rapide qui se répète. La fréquence de cette vibration se calcul par le nombre de fois que cette oscillation se produit par unité de temps. Plus les oscillations sont rapides, plus la fréquence est grande. Par exemple, lorsqu’une balançoire est poussée, elle oscille d’avant en arrière, ce qui signifie qu’elle vibre et détient une fréquence de résonance Lorsque deux objets présentant la même fréquence naturelle de vibrations se rencontrent, leurs vibrations se fusionnent. Ils se mettent à vibrer à la même fréquence et à la même intensité et ceci de manière plus importante. On dit alors qu’ils entrent en résonance l’un avec l’autre. Le dictionnaire latté définit la résonance comme le « Renforcement des sons, des vibrations, par suite de leur réflexion. » 2 Si nous poussons une balançoire au moment exact où elle repart en avant, celle-ci va aller encore plus haut. Plus nous la poussons au bon moment et plus celle-ci ira haut. Les deux corps entrent en résonance : la force (ou amplitude) des oscillations s’agrandit, même si nous ne la poussons pas très fort. Tandis que si nous poussons cette balançoire au mauvais moment (quand elle revient en arrière, par exemple) l’effet de résonance serra alors interrompu et la balançoire n’ira pas bien haut.
Dès que deux éléments de même vibration (fréquences et amplitudes) se rencontrent, ces derniers entrent en résonance et leurs « effets » sont renforcés. Avec le temps, le terme de résonance à prit un sens plus large. « Entrer en résonance » peut être étendu comme le fait de se mettre sur la même fréquence que quelqu’un ou quelque chose. Aujourd’hui, les domaines où le concept de résonance intervient sont nombreux : En musique, la résonance est l’ensemble des phénomènes liés à la présence des harmoniques dans un son musical donné. Elle inclut donc la résonance des physiciens, mais ne se limite pas à elle. L’extension du terme découle de l’usage qu’a fait Rameau, à partir de 1735 de l’expression « résonance naturelle des corps sonores », à laquelle il rattache l’ensemble des phénomènes harmoniques qui constituent la base de l’harmonie classique. On appelle accords de résonance les accords qui reproduisent, avec un minimum d’approximations, tout ou une partie de l’ensemble formé par une fondamentale accompagnée de ses harmoniques proches, ce qui donne naissance aux consonances naturelles : accords de quinte, accord parfait majeur, accords de 7e, 9e et même 11e naturelle. On appelle harmonie de résonance les systèmes harmoniques fondés sur cette superposition, sans préjudice des multiples extensions qui peuvent être apportées à ce phénomène de base. Le concept de la résonance est aussi utilisé dans le domaine de la sociologie et de la philosophie. Après avoir théorisé dans un premier livre la critique de l’accélération continue de nos sociétés, le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa projette dans un second ouvrage, Résonance : Une sociologie de la relation au monde 1, une libération par le concept de la résonance. Il décrit la résonance comme « l’expérience de la vibration de la corde qui nous relie au monde »1. Pour tendre vers « une vie bonne »1, le sociologue nous pousse à rompre avec l’idée d’un bonheur lier aux ressources matérielles, symboliques ou psychiques, afin de développer un meilleur rapport à soi et à son environnement, en se laissant toucher par ce qui nous entoure : une personne, un morceau de musique, un travail, un paysage, une idée. Il parle alors de relation de résonance avec le monde. Plus qu’un phénomène physique, la résonance est une notion universelle. On la retrouve dans une multitude de champs : musique, sociologie, philosophie... Mais qu’en est-il de l’architecture ? 10
Entrer en résonance Bien qu'évoqué dans plusieurs théories d'architectes comme celles de Le Corbusier, le concept de la résonance n'est pas véritablement théorisé en architecture. La première question posée dans ce mémoire est alors : Comment la notion de résonance et plus particulièrement le fait d’entrer en résonance peut-elle être traduit dans le domaine de l’architecture ? En suivant la thèse de Harmut Rosa, pour qui la résonance se ferait par l’aptitude de l’Humain à se connecter au monde qui l’entoure, nous pouvons supposer que l’architecture en tant que bâti de l’Homme peut entrer en résonance avec le monde qui l’environne et par conséquent avec son paysage. Dans ce sens, Christian Norberg-Schulz décrit le lieu comme faisant « entièrement partie de l’existence »3. Dans cette même idée, d’après la définition physique de résonance, tout sujet ou objet détient une fréquence de vibration naturelle. Nous pouvons donc présumer qu’une architecture en tant que édifice-objet, comme un paysage en tant que création naturelle détiennent tout deux des fréquences de vibration propres. Dans ce sens, Christian Norberg-Schulz définit le lieu (un paysage) comme ayant une réelle substance matérielle. « Qu’entendons-nous par le «lieu» ? Certainement quelque chose de plus qu’une abstraite localisation. Nous voyons la un ensemble fait de choses concrètes qui ont leur substance matérielle, leur forme, leur texture et leur couleur.» 2 Suivant le concept de la résonance, si une architecture et un paysage détenant tous deux une fréquence de vibrations naturelles identiques se rencontrent en un même lieu, alors ces derniers sont susceptibles d’entrer en résonance et voir leurs effets se décupler. C’est précisément pour sa relation avec le paysage que Le Corbusier emploie le terme de résonateur pour décrire l’Acropole d’Athènes, véritable référence de l’architecte et théoricien. La seconde question posée dans ce mémoire est alors :
Ce mémoire se base sur la mise en perspective et l’étude d’un corpus de deux projets : El Grande Cretto d'Alberto Burri et la route MA-2141 d'Antonio Parietti. Ma méthode a consisté à tout redessiner, c’est par le dessin que je me suis appropriée ces œuvres. Ces dessins analytiques vont nous permettre de formuler des réponses aux problématiques posées ici. Avec eux nous allons tenter de nous rapprocher au plus près de la compréhension de ce sentiment de résonance entre un élément architectural et son paysage dont parle Le Corbusier.
1. De Pierrefeu F., Le Corbusier (1942), La maison des hommes, paris, plan, p. 16 2. Harmut R., Résonance : Une sociologie de la relation au monde ( 2018), Ed. La découverte, 536 p. 3. Norberg-Schulz C., Genius loci: paysage, ambiance, architecture (1997), ED. Mardaga, 213 pages 4. Tiberghien G., Le paysage est une traversée, (2020), ED.Parenthèses, 202 pages 5. Marleau.Ponty M., L’oeil et l’esprit, (1960), Ed.Gallimard, 108 pages
Quels sont les éléments de vibrations communs à une architecture et à un paysage susceptibles d’entrer en résonance et donc de multiplier les effets ?
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Grande Cretto, Antonio Burri, Sicile Photographie personnelle, août 2021 STATUT : OEUVRE DE LAND ART CONCEPTEUR : ANTIONO BURRI, ARTISTE SCICILIEN SA CALOBRA
LOCALISATION : GIBELLINA VECCHIA,
GIBELLINA
SICILE, ITALIE ANNÉE DE RÉALISATION : 1984 PUIS 2015 SURFACE : 12 HECTARES (300x400m) MATÉRIAUX : CIMENT BLANC 12
Route MA-2141, Antonio Parietti, Majorque Photographie personnelle, août 2020 STATUT : OUVRAGE D’ART, ROUTE MA-10
SA CALOBRA
CONCEPTEUR : ANTONIO PARIETTI, INGENIEUR LOCALISATION : SERRA DE TRAMUNTANA, MAJORQUE, ILES BALÉARES ANNÉE DE RÉALISATION : 1932 DISTANCE : 9.4KM MATÉRIAUX : PIERRE CALCAIRE,EXCAVÉE SU SITE 13
Prologue Les deux projets sélectionnés pour cette étude ne sont pas des édifices à proprement parlé. Ils s’apparentent plutôt ce à que l’on pourrait qualifier de geste architectural inscrit dans le paysage. Le premier est un ouvrage d'art conçu par l’ingénieur Antonio Parietti dans les années 1930. Il s'agit d'une route départementale secondaire qui passe à travers les montagnes du Massif de Serra de Tramuntana sur l’ile de Majorque aux Baléares. Celle-ci est un véritable ruban de pierre qui serpente et magnifie les chaines de montagne du nord de Majorque. Cette route est si bien inscrite dans son contexte qu’elle semble émerger du paysage. La combinaison du site et de l’ouvrage forme aujourd’hui un tout indissociable. Le second, est une œuvre monumentale de land art prenant place au cœur de la vallée de Belice en Sicile et réalisée par l’artiste Antonio Burri au début des années 1980. Cette œuvre recouvre par une coulée de béton fissurée les ruines d'un petit village détruit par un violent tremblement de terre, Gibellina. Un des points communs majeurs de ces deux œuvres architecturales repose sur la notion de parcours. En effet, bien qu’elles se pratiquent à des vitesses et dans des temporalités distinctes, elles entretiennent toutes deux un rapport particulier au parcours. L’ouvrage d’art de Parrietti est une route de montagne d'une distance de neuf kilomètres de long qui se pratique en voiture ou à vélo. Grande Cretto est quant à elle une œuvre architecturale constituée d'imposants blocs de béton formants des artères à tailles humaines qui invitent les visiteurs à la déambulation. « Par son caractère monumental, il n’est pas fait pour être regardé mais pour être parcouru». 1
que c’est l’architecture de la ligne d’un parcours, pouvant prendre des formes différentes, tantôt continue et sinueuse, tantôt multiples et discontinus, qui permet à la route MA-2141 et à Grande Cretto de produire des effets de vibrations. Ces dernière mènent à l'entrer en résonance des projets avec le paysage. Nous tenterons alors de comprendre le rapport qu'entretiennent ces lignes avec leurs paysages - l'esprit des lignes de Le Corbusier. Les paysages étant de natures différentes. L'un est un paysage marqué par le passage de l'homme, et l'autre est vierge de la présence humaine, car inexploré. Après un préambule présentant l'histoire et le contexte de ces deux projets - résonateurs, nous commencerons par analyser la conception du dessin des différentes lignes de parcours dans le paysage. Pour cela nous étudierons leurs géométries et leurs rapports aux tracés préexistants, artificiels et naturels. Dans un second temps, nous étudierons la manière dont ces lignes se matérialisent dans le paysage et comment cela accentue le sentiment de relation profonde entre architecture et paysage. Cette analyse est fondée en grande partie sur mon expérience de promenade au sein de ces projets, et vu à travers mon regard, car documenté à partir de photographies personnelles.
1. Essai critique d’Alain-Paul Mallard dans : Toscani.O, Fashion Eye Cretto di Burri (2018), ed. Michel Mallard, 96 pages 2. De Pierrefeu F., Le Corbusier (1942), La maison des hommes, paris, plan, p. 16
Le parcours de chacun de ces projets est constitué de lignes qui s'insèrent dans le paysage. Cela nous renvoi à la seconde partie de la citation de le Corbusier : « l’esprit des lignes qui devaient fondre en un tout la création natu elle et la création humaine. »2 Le Corbusier voit en la ligne l'élément qui crée la rencontre et l'unification entre l'architecture la création humaine et le paysage - la création naturelle. L'hypothèse de ce mémoire est alors de penser
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Grande Cretto, Alberto Burri, Sicile Une oeuvre en résonance avec la mémoire du village Gibellina Gibellina dont le nom vient de l’arabe Gebel (Montagne, Altura) et Zghir (Petit); signifie donc « petite montagne », « petite colline ». Ce village a été fondé dans la région de Trapani en Sicile par des colons grecs sur cinq collines vers 300 av. J-C. Ce village s’est développé au XVe siècle comme village agricole autour du château construit par Manfredi Chiaromonte. Ce village centenaire à l’architecture traditionnelle, tout en linteaux de pierre et de mortier, comptait en 1968, 6930 habitants.
les villages de Gibellina, Poggioreale, Salaparuta et Montevago. Il fut la cause de 370 victimes dont 99 à Gibellina, de milliers de blessés et plus de 70 000 sans-abris. Il marquera l'ensemble de l'Italie, émut par cette catastrophe.
Photographies issues d’internet
Photographies issues d’internet
Entre le 14 janvier 1968, 13h28, et le 15 janvier, 03h01, un long conflit d’intérêts entre les plaques africaines et eurasiennes s’est soldé par une série de tremblement de terre dévastateur dans la vallée du fleuve de Bélice. Ces catastrophes naturelles ont touché quatorze villes et entièrement détruits
Après ces tremblements de terre et la destruction du village de Gibellina, les travaux de reconstruction ont mis du temps à démarrer. Plutôt que de reconstruire le village sur ses cendres, celui-ci a été réédifié à une vingtaine de kilomètres en aval: Gibellina Nueva. Le site de l’ancienne ville, abandonné par les habitants, donne aujourd’hui place à Cretto di Burri, une monumentale œuvre de Land Art faisant office de mémorial dédié aux victimes. Ce mémorial est l’œuvre d’Alberto Burri (1915- 1995), artiste plasticien, peintre et sculpteur sicilien qui se fait connaitre dans les années 1970 avec sa célèbre série de pâte
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craquelée monochrome et minimalisme : Les Crettí .
Le paysage environnant de cette œuvre se caractérise par une série de petites collines et de pentes où se dessinent des parcelles agricoles de vignes, d’oliviers et de céréales.
Cretto bianco, 1958
Photographie personnelle
Cretto bianco, 1973
« il a sauté sur l’occasion pour réaliser un tableau mégalomane de la taille d’une colline». 1
Après avoir parcouru une route sinueuse pleine de fissures et de trous qui ouvrent violemment l’asphalte et rappellent qu’il s’agit de terres ou les séismes sont fréquents, nous percevons de très loin cette monumentale œuvre en ciment blanc. Véritable contraste avec le vert environnant, elle semble toutefois s’inscrire parfaitement dans son paysage. Elle entre en résonance avec.
En 1980 il accepte la proposition du maire de Gibellina Nueva pour la réalisation d’une œuvre en mémoire de Gibellina et de ses habitants. Ce projet à taille humaine est formée de 122 blocs de ciment d’un mètre soixante de haut, et constituée de pièces de bétons de tailles et de formes différentes mesurant entre dix et vingt mètres de large. Cette œuvre architecturale s’étend sur douze hectares. Elle s’implante sur un terrain escarpé et en pente : un quadrilatère de 300 mètres sur 400 mètres. Alberto Burri dit l’avoir conçue comme « une œuvre d’art à la mémoire du tremblement de terre et au silence imposé par la mort dans la vallée ».1 Les blocs de ciment suivent le tracé des rues de l’ancienne ville, et permettent de restituer l’idée du village avant le tremblement de terre.
Photographie personnelle 1. Essai critique d’Alain-Paul Mallard dans : Toscani.O, Fashion Eye Cretto di Burri (2018), ed. Michel Mallard, 96 pages 16
Cretto nero, Alberto Burri, 1977
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Vue sattelite Google Earth de Grande Cretto en Sicile
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Photographie actuelle de Grande Cretto
Photomontage d’une ancienne photographie du village Gibellina sur une photographie actuelle de
« Là où, avant le tremblement de terre, se déroulait la vie villageoise, s’étale aujourd’hui une coulée de ciment de plus de trois cent mètres, Il Grande Cretto. » 1 1. Amaldi P., La catastrophe créatrice : quelques rêves faits en Sicile, (2012) Dans Critique 2012/8-9 (n° 783-784), Ed. de Minuit, pages 804 à 812.
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Photographie ancienne du village Gibellina
Photomontage d’une photographie de Grande Cretto sur une photographie ancienne de Gibellina
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Route Ma - 2141, Antonio Parietti Une oeuvre en résonance avec la condition des montagnes Toujours en Méditerranée, mais cette fois ci au Baléares, se trouve au nord-ouest de l’ile de Majorque, à la rencontre entre le massif de Serra de Tramuntana et la mer, un petit village nommé Sa Calobra. Ce joli village n’était, jusqu’en 1932, accessible qu’en bateau
Pour ce nouveau projet, sa volonté fut de complimenter le massif et de non le couper. Il a alors préféré suivre le contour des montagnes existantes plutôt que de les percer et modifier le paysage naturel. Cette posture répond à la volonté des autorités de Majorque de faire découvrir aux touristes des paysages jusque-là inaccessibles. Le projet réalisé prend la forme d’un ruban de pas moins de 26 épingles. Le tout pour une distance de 9.4 kilomètres, une pente moyenne de 7% et sur un dénivelé total de 900 mètres. Soucieux de respecter et de mettre en avant le paysage alentour du massif de Serra Tramuntana, cette route est entièrement construite à la main, sans machines. Elle est à la fois taillée à même la roche et formée avec les pierres excavées sur place. Cet ouvrage d’art est un réel parcours de contemplation qui souligne la beauté exceptionnelle du paysage majorquin « Son tracé est aussi surprenant que le paysage qu’elle contourne.»1
Photographie du village de Sa Calobra
Afin de rendre la beauté sauvage des lieux accessibles, les autorités ont décidés de relier le village à la départementale la plus proche MA-10 par la construction d’une nouvelle route. Antonio Parietti, ingénieur et enfant de l’île a été approché pour cette commande. Le premier de ses exploits fut relever en 1925, ouvrant le chemin vers le phare Formentor sur la partie la plus au nord de l’île.
Photographie personnelle de la route MA - 2141
Route vers le phare Formentorré au nord de l’île, réalisée par A.Parrietti en 1925
1. Citation relevé dans le documentaire arte, les routes qui tutoient la mer, Majorque. 20
VILLAGE DE SA CALOBRA
VILLAGE DE SA CALOBRA
Route MA-2141
Route MA-10
Route MA-10
VILLAGE DE SA CALOBRA
Tronçon ANTONIO PARIETTI
Route MA-2141
Route MA-10
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Cartes de la situation du village Sa Calobra et du projet d’amménagement de la route MA-2141 21
Entrer en résonance Quels sont les dispositifs permettant à l’architecture de la ligne parcours de produire des effets de vibration menant à l’entrée en résonance avec le paysage ?
I.
Le dessin des lignes du parcours dans le paysage
Dans cette première partie il va être question de la conception de la ligne dans son rapport au paysage. L’analyse du dessin des lignes présentent dans les projets du corpus va se faire au travers de deux prismes : celui de la géométrie et celui de l’influence des tracés existants sur leur conception. Nous verrons dans un premier temps que ces lignes renvoient à des géométries très différentes. Les lignes de Cretto di Burri sont un réseau à l’allure chaotique quand la route MA-2141 est une ligne unique continue et sinueuse. « Quand Snozzi déclare « un vrai pré arrive jusqu’au centre de la terre», ce n’est pas en raison du magnétisme terrestre, mais pour dire que tout commence par les fondations et la rencontre du terrain. Le projet n’est pas invention mais transformation, il s’appuie sur une morphologie déjà tracée par l’agriculture, la voirie, l’industrie. » 1 Dans un second temps, nous étudierons cette notion de « rencontre du terrain » évoquée par l’historien de l’art Jacques Gubler dans son ouvrage Motion, émotions : thèmes d’histoire et d’architecture. Cette question centrale de rapport au site. Quelle importance Antonio Burri et Alberto Parietti lui ontils donné au moment de la conception de leur projet ? Comment se sont-ils emparés de sa conditon, de son histoire, de ses contraintes ? En effet, l’influence des tracés préexistants est très présente dans le dessin des lignes de ces réalisations mais s’exprime de façon bien distincte puisque ces œuvres n’interviennent pas dans des territoires de même nature. Comme nous l’avons vu précédemment, le site de Cretto di Burri est un site habité et chargé de la présence du village de Gibellina tandis que la route MA-2141 s’insère dans un paysage vierge de toute construction puisque jusque-là inaccessible.
1. Gubler J., Motion, émotions : thèmes d’histoire et d’architecture (2003), Ed.infolio, 448 p.
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Plan de type Nolli de l’oeuvre Cretto di Burri
Géométries des lignes «L’architecte, par l’ordonnance des formes, réalise un ordre qui est une pure création de son esprit ; par les formes, il affecte intensivement nos sens, provoquant des émotions plastiques; par les rapports qu’il crée, il éveille en nous des résonances profondes, il nous donne la mesure d’un ordre qu’on sent en accord avec celui du monde, il détermine des mouvements divers de notre esprit et de notre cœur; c’est alors que nous ressentons la beauté.» 1
de l’œuvre. Tandis que dans le cas de la route de Parietti, il s’agit au contraire d’une ligne unique, continue et sinueuse.
Dans cette citation, Le Corbusier parle de l’importance de l’ordre pour créer en nous un sentiment de résonance et de beauté. Afin de comprendre le dessin et la géométrie des lignes des projets du corpus, nous les avons extraites de leur contexte. Cette opération nous permet d’analyser en détails leur ordonnance et hiérarchie. Pour Cretto di Burri il s’agit d’un réseau de lignes qui délimite une surface, celle de l’emprise
En suivant les indications de Paul Klee, nous pouvons considérer que les lignes dessinées par A. Burri appartiennent à la famille des lignes passives qui « délimitent un champ d’activité (surface active engendrée par déplacement de ligne).» 2
Vassily Kandinsky et Paul Klee, considérés comme les pères fondateurs de la modernité classique, ont étudiés la valeur des différentes géométries des lignes. Ils considèrent tous deux la ligne comme étant le point en mouvement (rapport au parcours).
1. Le Corbusier (1923), Vers une architecture, esthétique de l’ingénieur architecture, ed.Flammarion , page 4 2. Klee.P, Théorie de l’art moderne (1964), Ed. Gonthier, page 76 24
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Plan de type Nolli de l’ouvrage d’art MA-2141 25
lignes passives
surface active Intérprétation des schémas de Paul Klee sur Grande Cretto
Figure 8, Paul Klee, Théorie de l’art moderne, 1964, page 76
En ce qui concerne la ligne unique et sinueuse de A. Parietti, nous pouvons la rapprocher des lignes courbes compliqués ou ondulées2 de Kandinsky. Ces dernières peuvent se composer de «1. segments de cercle, ou 2.de courbes libres, ou 3. de différentes combinaisons des deux précédentes.» 1 La ligne dessinée par A. Parietti appartient à la troisième configuration. Elle comprend des segments de cercles répondants aux obligations de tracés qu’imposent les virages importants d’une route pour les voitures mais aussi des lignes dites «libres» qui sont quant à elles le suivi des ondulations naturelles des montagnes.2 Sur le schéma de droite, sont dessinés en gris les courbes ondulées grises représentants les moments où la route suit la topographie des montagnes et sont marqués en noir les segments de cercle permettant aux voitures un virage ergonomique.
Kandinsky.V, Point et ligne sur plan, 1991, Figure 40, page 103
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Schéma de détail d’un virage de la route MA-2141
1. Kandinsky V., Point et ligne sur plan, (1991) Ed. Gallimard, page 103 2. Nous developperons plus précismenet le rapport de la ligne à Kandinsky.V, Point et ligne sur plan, 1991, Figure 41, page 103
la topographie dans la suite du mémoire.
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Intérprétation des schémas de Kandinsky sur la route MA-2141 27
La géométrie des lignes des œuvres étudiées ici est loin d’être hasardeuse. Elle est le résultat de la rencontre savante entre architecture et paysage. L’idée étant de dire que le site est une forme propre à chaque territoire et que sa géométrie détermine en partie celle de l’œuvre. Les lignes de parcours des deux projets du corpus magnifient la géographie du lieu et son histoire, ainsi que l’existant. Ces projets œuvrent à la valorisation du territoire dans lequel ils s’inscrivent. L’intention n’est pas de supplanter le site, mais au contraire de laisser émerger de l’union du lieu et de l’œuvre une harmonie idéale. La ligne en mémoire du site : L'influence des tracés de l'ancien village Le dessin des formes des pleins et des vides créant les lignes de El Cretto repose totalement sur les tracés préexistants du village de Gibellina. Cette oeuvre appartient au courant du land art - "forme d'art consistant en interventions de grande ampleur sur la nature, les paysages" 1. Ici, Burri intervient sur le paysage dans le but de marquer la mémoire du site et son histoire. Cette position est courante dans le land art, on peut rapprocher ce geste à ceux de Richard Long, un des principaux artistes de ce courant. Cet artiste,
par l’intermédiaire de lignes, marque sa présence dans l’histoire. De cette manière les passants ressentent la présence de l’artiste après son passage. Il inscrit de manière générale la marque à même le sol, inscription laissée sur le paysage avant que ce dernier ne l’absorbe et finalement l’efface. L’enjeu est le même pour Antonio Burri : marquer sa présence mais surtout laisser une trace de l’histoire de Gibellina dans le paysage. C’est sa façon de le rendre intemporel. A l’inverse de Richard Long dont les œuvres n’ont pas pour but de marquer de manière définitive le paysage, Grande Cretto est une réalisation à but pérenne. Avec sa réalisation, Antonio Burri met en valeur à jamais la mémoire du site et le passé intemporel des lieux. Les lignes dessinées sont le lien intangible entre l’histoire et l’œuvre qui marque la mémoire du site.
1. Définition de Land Art proposé par les Éditions Le Robert.
Richard Long, A line made by walking, 1967 28
Photographie de l'oeuvre El Grande Cretto derrière un batiment détruit par le tremblement de terre de 1968.
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La hiérarchie des lignes à l'intérieur du réseau Ce réseau comporte une multitudes de lignes formées par 122 blocs de béton blanc. Ces lignes n’ont pas la même valeur et répondent à une hiérarchie, dont nous pouvons faire l’hypothèse, qui repose sur la structure organisationnelle des anciennes voiries du village L’ouvrage Formes urbaines, de l’îlot à la barre 1 co-écrits par Philippe Panerai, Jean Castex, Jean-Charles Depaule nous apprend que ce qu’il y de plus pérenne dans une ville ce sont ses tracés. Avant même le parcellaire ou l’architecture. Dans l’œuvre El Cretto, les tracés du village ont perdurés. Nous retrouvons dans les espaces de déambulations internes le principe organisationnel de l’ancien village. En premier lieu, nous distinguons les lignes d’embranchements qui faisaient le lien entre le village et le monde extérieur, c’est par ces lignes qu’on entrait et sortait du village. Ensuite, nous distinguons les lignes majeures du village, celles qui régissent son organisation interne et qui permettent de le traverser : les rues principales. Ces voies irriguent la troisième et dernière catégorie du réseau : les voies mineures. Ces dernières forment le contour des blocs de bétons. Autrefois îlots du village, elles permettaient l’accès aux différentes parcelles. Ces éléments nous prouvent bien que les lignes de ce réseau sont loin d’être hasardeuses. Au contraire on comprend qu’elles répondent à l’ancien tracé du village. La manière de parcourir l’œuvre aujourd’hui est la même que celle de parcourir Gibellina à l’époque. C’est ce travail sur les tracés et la géométrie des lignes du réseau qui permet à la mémoire du village de perdurer dans le temps et le territoire.
1. Panerai P., Castex J. , Depaule J-C., Formes urbaines, de l’îlot à la barre, (1997), ed. Parenthèses, 196 pages
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Les lignes d’embranchements 0
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Les lignes majeures 0
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Les lignes mineures 0
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Surface du réseau de lignes conditionnée par les lignes extérieures.
Plan de l’oeuvre initial Format tableau 0
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Le réseau de lignes de El Cretto marque une surface presque carrée dans le paysage : 300x400m. Cette surface n’est pas exactement celle du village, qui semblait être plus étendu et disparate. L’artiste A. Burri souhaite donner à ce projet un aspect minimaliste et radical en lui donnant les mêmes proportions que ses tableaux. Cette surface n’est pas non plus celle souhaitée par l’artiste à l’origine. En effet, pour avoir des proportions semblables à celles de ses tableaux, l’œuvre devait initialement avoir une surface de douze hectares. C’est le pouvoir public de la ville de la région qui l’en a empêché. L’œuvre est ceinturée par trois voies de circulation importantes et un projet de douze hectares aurait perturbé le trafic sur une de ces routes départementales. Le format de l’œuvre finalement réalisé est donc directement dicté par le contexte : 300x400m. Le paysage et les voies majeures toujours existantes ont déterminé les dimensions finales de l’intervention. Cette œuvre de land art est le fruit du rapport au territoire, à l’histoire du lieu, et de ce que l’artiste y a lut. Plan de l’oeuvre réalisé 0
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Grande Cretto, vue satelitte
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dimensions initiales
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Vue depuis le contexte environnant
Photomontage sur photographie personnelle
Les lignes ouvertes sur le paysage « Toutes ses artères sont des sorties qui débouchent sur la colline et sa garringue »1 En suivant les tracés des voies de l’ancien village, le projet conserve sa relation avec le monde extérieur. Les lignes mineures, débouchent sur les lignes majeures qui s’ouvrent sur le paysage et rejoignent les voies d’embranchements existantes. Conservant ainsi un rapport intrinsèque avec le grand paysage des plaines siciliennes. De fait, jamais on ne se sent prit au piège par l’œuvre. Cette dernière n’est pas une enclave car les lignes de parcours sont articulées avec le contexte. Le
dessin des lignes entre l’œuvre et le paysage est continu et rend le parcours poreux, ouvert sur le dehors. Ces dispositifs rendent l’œuvre accueillante à ceux qui veulent la pénétrer. Le parcours continu entre le paysage et l’œuvre ce qui participe au sentiment profond de relation interdépendance entre les deux. Le paysage pénètre dans le projet est inversement. « Affirmer le paysage comme une traversée c’est aussi dire qu’il ne s’arrête jamais nulle part, et qu’il est sans limites et sans frontières. » 2
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Vue depuis l’œuvre
Photomontage sur photographie personnelle
Alors qu’il est à tout moment possible de sortir d’el Cretto et de poursuivre son chemin comme ci de rien était, ce n’est pas le cas à Mallorque avec la route MA 21-41. Cette ligne continue et unique ne propose pas de parcours alternatif. Une fois la traversée amorcée, impossible de s’en échapper.
1. Essai critique d’Alain-Paul Mallard dans : Toscani.O, Fashion Eye Cretto di Burri (2018), ed. Michel Mallard, 96 pages 2. Tiberghien.G, Le paysage est une traversée, (2020), ED.Parenthèses,202 pages, page 12
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Le rôle des lignes de topographie du paysage dans la définition du dessin des lignes de parcours La situation de la route MA-2141 est bien distincte de celle de Cretto di Burri car elle ne s’insère pas dans un site où la trace de l’Homme est déjà présente. En effet cet ouvrage d’art est le résultat de la volonté des autorités majorquines de faire découvrir aux touristes ces paysages jusque-là inaccessibles. Le petit village de Sa Calobra jouit d’une position exceptionnelle. Situé à la rencontre des montagnes du Massif de Serra de Tramuntera et de la mer Méditerranée, sa position géographique fait de lui un pole d’attractivité touristique fort. C’est pour répondre à cette demande que les autorités majorquines ont lancés l’idée du projet. L’ambition étant ici de relier le village à la départementale la plus proche. Ce nouvel axe routier a donc pour vocation de traverser le Massif de Serra de Tramuntana, alors vierge de toute construction, tout en soulignant le paysage.
paysage et lui infliger le dessin de tunnels à répétition, il imagine pour une distance de 4km, une route de 9km de long avec 28 virages et une pente pratiquement constante de 7%.Cette route travail avec et pour le territoire, elle permet aux usagers une découverte complète et progressive des lieux. L’automobiliste est plongé dans le paysage magnifié par le travail de l’ingénieur. Ce travail sera plus que souligné puisque la route est sacré « monument naturel » par le gouvernement des Baléares.
1. SnozziI L. et Merlini F., L’architecture inefficiente (2020), Ed.Cosa Mentale, page 6
Tout comme Cretto di Burri, le dessin de la ligne de cette route repose sur une analyse approfondie des tracés existants. Cette fois il s’agit de tracés naturelles, ceux des lignes de topographies des montagnes. Ces lignes ont une importance primordiale dans le dessin d’Antonio Parietti. Afin de ne pas détériorer le paysage exceptionnel qu’offre le Massif de Serra de Tramuntera l’ingénieur à fait le parti-pris de suivre les courbes de niveaux des montagnes. Des moyens considérables ont étés apportés afin de faire de cet ouvrage d’art un réel parcours de contemplation. Dans le livre Architecture Inefficiente, Luigi Snozzi explique la capacité que peut avoir un acte architectural sur la découverte du paysage par l’Homme : « Supposons qu’un homme doive aller d’un point A à un point B. Eh bien, un mauvais projet d’architecture, dessinerait une route qui permettrait de passer d’un point A au point B en trente secondes ; un projet moyen en cinq minutes, un bon en une heure; un extraordinaire en un mois. Cela signifie que l’architecture, de mon point de vue, devrait ralentir les pas de l’homme, lui permettant ainsi de découvrir une quantité d’éléments qu’il ne serait autrement pas en mesure de recevoir ». 1 Antonio Parietti, ainé de Luigi Snozzi, illustre bien cette pensée. Afin de ne pas supplanter le 36
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LONGUEUR : 9.4 km DISTANCE: 4 km LARGEUR MOYENNE: 5 m DÉNIVELÉ :
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Analyse des courbes de niveaux du Massif de Tramauturra sur carte redessinée
Les deux projets étudiés ont le point commun d’être chacun sur des terrains en pente. On compte un dénivelé de 80m entre le point haut et le point bas d’El Grande Cretto et la route MA-2141 présente un dénivelé total de 900 mètres. L’étude des courbes de niveaux a eu de réelles influences, un réel impact sur les dessins des parcours de ces deux réalisations.
La ligne qui souligne les courbes de niveaux En analysant la carte altimétrique du Massif de Tramautura, on remarque que ce sont bien les lignes de topographies qui dictent à la ligne du parcours de la route MA-2141 son dessin. Effectivement la route reste tout au long du parcours parallèle aux courbes de niveaux. Lorsque les lignes de topographie prennent un tournant important, la route fait de même. C’est ce qui explique la longueur de cette route par rapport à la distance réelle parcourue. La ligne construite qu’est la route est le véritable pendant des lignes de topographies du paysage.
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Analyse des courbes de niveaux du site de Grande Cretto sur carte archive
Les lignes qui épousent la topographie Dans le cas d’El Grande Cretto, le schéma est différent. Les courbes de niveaux ne dictent pas le positionnement de l’œuvre qui est lui conditionné par l’emplacement de l’ancien village, au creux des plaines de la vallée de Belice. Cependant, on remarque que l’œuvre positionnée à la rencontre
Coupe paysagère est-ouest de Grande Cretto
des différentes directions des courbes de niveaux, se moule totalement à ces dernières, et épouse parfaitement la topographie. Les dessins de lignes de topographies se retrouvent alors dessinés à l’intérieur du plan-relief qu’est l’œuvre et marquent ses cheminements internes.
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Plan et coupes paysagères de Grande Cretto
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« Le cretto apparait soudain. Il est là, sans
aucun doute, gigantesque et inhumaine coulée de béton qui affirme sa présence. Imposant, ce parallélogramme épouse le relief de la colline. » 1
1. Essai critique d’Alain-Paul Mallard dans : Toscani.O, Fashion Eye Cretto di Burri (2018), ed. Michel Mallard, 96 pages
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1. Les lignes du parcours unifiées aux lignes de topographies - Influence sur les perspectives Suivre la topographie afin de mieux découvrir et sublimer les paysages du Massif de Tramautura se révèle plus que remarquable. La succession de virage dessinée crée le rythme général de l’expérience du parcours architectural de 9km. À chaque nouveau virage, nous découvrons un nouveau pan du paysage permettant à notre vision sur les montagnes d’être sans cesse renouvelée. Nous ne perdons jamais des yeux le ruban de la route qui souligne et participe à magnifier la topographie du site. La relation entre le paysage et la ligne de la route reste constante et participe au sentiment d’unité entre les deux éléments. L’expérience de notre mouvement dans le site est en relation constante avec l’architecture de la ligne et le paysage
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« Les plans scénarisent l’espace, mettent en scène l’architecture, le paysage et notre mouvement dans le site [...] Notre vision de l’espace du paysage grâce à cette architecture de plans qui renouvelle de manière à chaque fois différente notre appréhension du site». 1 1. KIMMEL.L, L’architecture comme paysage, Alvaro Siza, (2010), ED.petra, page 32. virage 10
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Par le dessin de cet nouvel axe, A. Parietti parvient à rendre accessible un site jusque-là méconnu et impraticable. Toute la prouesse de son travail réside dans la faculté de la route à sublimer le lieu et à irradier jusqu’au grand paysage. Dans le livre Architecture inefficiente, Luigi Snozzi met en avant son admiration pour le travail réalisé par Rino Tami pour la conception de l’autoroute Chiasso-Saint-Gothard dans le Tessin. Cet axe de circulation a permis, comme la route dessinée par A. Parietti, de révéler de nouveaux paysages. "Dans le Tessin nous avons la plus belle autoroute d’Europe, dessinée par Rino Tami (…) a permis la puissance d’un paysage qui n’existait tout simplement pas avant intervention. Il a introduit dans l’architecture des échappées formidables ». 1 La relation architecture-site est une constante dans l’œuvre de l’architecte suisse Rino Tami qui a pour maxime “La construction se marie avec le paysage”.2 Dans ses projets on lit le travail de relation étroite mis en place entre ouvrage édifié et géographie du site. Pour lui, c’est la bonne compréhension du site qui en autorise le juste usage. C’est parce que l’on s’empare pleinement du lieu et de ses composantes que l’on peut travailler en adéquation avec lui.
idem
Pour l’autoroute A16 du Tessin, dont parle Luigi Snozzi, la topographie induit la disposition des différents éléments du projets. Ce nouvel axe offre aux automobilistes des points de vue inattendus sur les alentours. Il permet une nouvelle lecture du paysage et propose une nouvelle perception du territoire. Pour le dessin de cet autoroute, Rino Tami ne fait pas le choix radical d’A.Parietti. A savoir : ne jamais interrompre les courbes de niveaux. En effet, nous voyons dans les photos ci-dessus que Rino Tami décide de faire passer son infrastructure à travers les monts et plaines du Tessin. Pour cause, la justification de la route A16 dans le territoire n’est pas la même que la MA-2141. Quand Parietti cherche exclusivement à permettre aux touristes de découvrir les paysages majorquin, Rino Tami est lui convoqué en premier lieu pour répondre à l’enjeu de créer une autoroute, synonyme de vitesse et d’efficacité dans la traversée d’un territoire. Nous retrouvons également cet enjeu de révélation d’un paysage par le parcours architectural dans l’œuvre de Dimitri Pikionis sur les collines de l’Acropole et de Philapappos. L’architecte grecque a ici imaginé un parcours reliant les bâtiments anciens que sont le Pnyx, l’Odéon d’Hérode Atticus, l’Acropole et le Parthénon d’Athènes avec la nature. Sa volonté était de concevoir un travail paysagé et architectural. " Tout ceci doit s’harmoniser en un ensemble traversé d’un même esprit jusque dans les moindres détails." 2 « Le monument et le paysage sont unis dans une expérience unique. » 3
Photographie de l’autoroute A16 dans le tessin,issue d’internet
Tout comme A. Parietti, D. Pikionis croyait en la force poétique de la nature, source d’inspiration continue, et se fiait au potentiel du site pour dicter le tracé du parcours. À nouveau le tracé du parcours de l’Acropole crée une série de nouveaux cadrages 44
grâce à sa sinuosité. Au fur et à mesure que l’on s’élève sur la colline Philopappou on découvre des perspectives nouvelles sur le site. Mais contrairement à la route Ma-2141 dont aucun cadrage n’est appuyé plus que les autres, le tracé des allées et la conception des bâtiments de Pikionis ont pour but de détacher et marquer des percées et des perspectives axées sur les monuments de l’Acropole. Dans topographie sentimentale, il écrivait que « Ce sentier est infiniment supérieur aux avenues des grandes villes. Puisque chaque repli, chaque courbe, avec tous ses innombrables changement de perspective par rapport au site, nous apprend que la substance divise de l’individu est subordonnée à l’harmonie du tout. » 2
Photographie de l'oeuvre de PIkionis, issue d’internet
1. SnozziI L. et Merlini F., L’architecture inefficiente (2020), Ed.Cosa Mentale, page 12 2. Pikionis D., A Sentimental Topography, Architectural Association London, 1989. page 72 3.Giacomo Ortalli, Surveillance, PIkionis à L'Acropole (2022), Revue Ed.Cosa Mental 4. Pikionis D., A Sentimental Topography, Architectural Association London, 1989. page 68
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Résonance entre le dessin des lignes de parcours et les lignes du paysage L’analyse des tracés existants à Serra de Tamuntara et Gibellina ; qu’ils soient naturel tel que les lignes de topographies ou artificiel tel que le dessin des rues réalisés par l’Homme; a permis à Alberto Burri et Antionio Parietti de comprendre les vibrations propres à chacun de leur site d’intervention.
1. Siza A. (1998), « Mensonges d’architecture » (entretiens réalises par Dominique Machabert) p.204 2. Gubler J., Motion, émotions Thèmes d’histoire et d’architecture (2003), ed.infolio, page 28 3. De Pierrefeu F., Le Corbusier (1942), La maison des hommes, paris, plan, p. 16
« Ce qui entoure le lieu d’intervention de près ou de loin constitue un support très important ». 1 En s’appropriant ces tracés, et en faisant le choix de les souligner par le dessin de parcours, ils ont tous deux réussi à matérialiser cette rencontre entre nature et bâti. Un rendez-vous entre tracés existants du site et tracés nouveaux au service du lieu. Par ce procédé astucieux ils ont réussi à donner vie et mettre en relief les vibrations qui animent ces territoires. "Ecouter le site : « L’architecture se construit sur le déjà construit. Par intuition, les premiers linéaments du projet se tracent au moment de la découverte du terrain."» 2 La géométrie des lignes de parcours dessinées sont alors chacune la résultante des sites investis avec leur conditions et histoires propres. Le réseau de ligne de Grande Cretto est le résultat de la fusion des lignes de parcours entre des blocs de béton avec les tracés des voies et morphologies parcellaire de l’ancien village de Gibellina. Tandis que la ligne sinueuse de la route MA-2141 est le résultat entre le suivi continu des lignes naturelles de topographies du massif de Tramautura et le dessin imposé par sa condition de route. Les œuvres étudiées établissent en conclusion toutes deux un lien spécifique avec leur environnement en se présentant comme des produits du site. Elles sont unies avec le paysage, renvoyant au propos de Le Corbusier « [...] l’esprit des lignes qui devaient fondre en un tout la création naturelle et la création humaine.» 3 La présence de ces œuvres soulignent et accentuent les aspects et spécifiés des merveilleux paysages dans lesquelles elles interviennent, appuyant un sentiment de beauté ultime, peut-être étant celui de la résonance dont parle Le Corbusier. En effet, dans le parcours de Burri nous nous sentons en résonance entre l’œuvre, le paysage et l’histoire du lieu. Sur le parcours de Piarietti nous sentons une résonance entre la topographie du massif et le dessin du ruban sur lequel nous nous trouvons. Cette distinction d’ordonnance provient des conditions d’usages et situations des projets dans le paysage
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Photographie personnelle de la route MA-2141
Photographie de Oliviero Toscani de l'oeuvre Cretto di Burri
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Entrer en résonance Quels sont les dispositifs permettant à l’architecture de la ligne parcours de produire des effets de vibration menant à l’entrée en résonance avec le paysage ?
II.
La mise en œuvre des lignes par et pour le paysage Après avoir analysé la conception du dessin des lignes de Cretto du Burri et de la route MA-2141 et compris l’influence exercée par les tracés préexistants des sites investis, nous allons désormais analyser la manière dont ces lignes rencontrent la matière des paysages et modifient la croûte terrestre 1. Ces parcours trouvent leurs épaisseurs dans la matérialité du site et l’esprit des lieux. Ils la traitent de manière différente amenant leur concepteur à user de mise en œuvre uniques. Créant ainsi un imaginaire propre à chaque projet. L’un renvoi à la notion de creusement dans les masses du paysage et l’autre de glissement à travers le paysage. Bien que les techniques et procédés mis en œuvre soient différents, ces œuvres épousent et dialoguent toutes deux parfaitement avec leur environnement. Leurs relations à la topographie parlent de la rencontre sculpturale entre architecture et géologie. «Une expression radicale de cette fusion avec le paysage est la mode des « gratte-terre »; par opposition aux gratte-ciel, ces édifices, bâtis au ras du sol voir plus ou moins enterrés, «se conforment à la topographie de la terre et ne la modifient que dans le but de la rendre plus explicite.» ». 2 « Au lieu d’appréhender les ouvrages architecturaux comme des objets sans lien formel avec la terre, les architectes commencent à les considérer comme faisant partie du paysage et à voir l’ensemble comme formant un tout indivisible. » 3 1. Vacchini L., Capolavori, chefs d’oeuvre (2006), Chapitre 1: Stonehedge, p.13. 2. Collot M., pensée-paysage (2011), ed.actes sud, p. 74 3. Betsky A., lignes d’horizon, op.cit p13 et 8
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Matières issues du paysage
Route MA-2141 4 Photo du chantier en 1932
Les lignes de parcours de Cretto di Burri et de la route MA-2141 ont en commun le fait de naître à travers la matière présente sur leurs sites respectifs. Mais leur matérialité ne s’exprime pas de la même manière.
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Route MA-2141 : La matière du projet issu du site environnant est affirmée Le projet de A. Parietti tire sa matière directement de la roche du massif de Tramautura par un système de déblais-remblais. Chaque pierre extraite de la roche est utilisée pour construire le remblai servant à insérer la route dans le paysage. De ce fait le matériau de construction de la route est totalement assumé et sublimé. Rendant homogène en un tout indéfectible la matière de la route et celle du paysage. Une unité profonde se crée entre la ligne architectural et le paysage donnant l’impression incroyable que la route émerge des montagnes.
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Cretto di Burri : La matière du projet issu du site environnant est dissimulée Là aussi le matériau de construction du projet provient du site. Les gravats des anciennes constructions du villages, (les ruines de l’église, des maisons, des escaliers, des bancs d’école, des fontaines, des lavoirs, etc.) ont été rassemblés et compactés pour former les 122 blocs de l’ouvrage. L’œuvre d’art est donc bâti avec le souvenir physique de la catastrophe, inspiration et fondement de l’intervention. Cependant, la matière est cette fois-ci dissimulée puisque l’artiste a fait le choix de recouvrir les blocs d’une finition à la chaux blanche donnant son caractère sculptural à l’œuvre. La matière fabriquant les lignes du parcours appartient au paysage et à son histoire. « Une conclusion provisoire serait que l’approche « matérialiste » de l’architecture amène immanquablement à se poser la question de la mise en œuvre des matériaux, par la même la question de la construction, donc de l’intelligibilité de celle-ci par un regard phénoménologue ? Un bâtiment est le résultat d’un travail. Ce travail peut être matière d’expression de l’acte de construire, ou plus précisément des actions participant à l’acte de construire, comme si le spectateur d’un bâtiment été à même de retracer les différentes opérations nécessaires à se construction. » 1
Cretto di Burri Photo du premier bloc réalisé en 1984
1. Lucan J., Précisions sur un état présent de l’architecture, presses polytechniques et universitaires romandes, 2015, p.144
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Photographie de la construction de la route MA - 2141 en 1932, issue d’internet
Photographie de la construction de Grande Cretto en 1980, issue d’internet 51
Schémas des étapes de réalisation de la Route MA-2141
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Schémas des étapes de réalisation de Cretto di Burri
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Les paysages investis, les matériaux à disposition et les conditions d’usages architecturales étants bien distincts, il va de soit que la mise en œuvre des projets l’est également. Les moyens constructifs pour faire surgir les lignes d’ A. Burri et celles d’ A. Parietti dans le paysage ne sont pas les mêmes. Elles n’appartiennent pas au même imaginaire. Pour El Cretto, on a le sentiment que les lignes de parcours sont le résultat de craquelures creusées dans la matière du béton emprisonnant les vestiges de Gibellina. Tandis que la route semble se glisser tel un serpent à travers la roche des montagnes.
Grande Cretto Alberto Burri 1984-2015
Creuser la matière : créer la ligne Cretto, est le terme italien pour désigner une crevasse, une fente. Depuis les années 1970 la notion de craquelures est omniprésente dans le travail d’Alberto Burri. Alain-Paul Mallard, écrivain et cinéaste mexicain, explique dans la préface de Cretto di Burri, Oliviero Tosacni1, que ce sont les sols assoiffés de la Vallée de la mort de Los Angeles qui ont inspirés à Alberto Burri son travail de craquelures dans sa célèbre série du nom de Crettí. Celle-ci est constituée de tableaux dictés et régis par le physique de la matière : armée de sa spatule l’artiste étale sur le support une pâte épaisse composée de pigments blancs, d’eau et de polymère. En séchant le mélange fait apparaître un réseau aléatoire de craquelures dont Burri parvient à contrôler approximativement l’épaisseur et la texture en jouant sur les proportions de liant et de pigment. Il arrive aussi que, peu de temps après le début du processus de séchage, un geste décidé de coupe avec la spatule confère au résultat largement autogénéré et hautement imprévisible, une impression d’ordre et de composition. Quand l’artiste se décide à arrêter le processus, il recouvre l’ensemble de peinture acrylique, blanche pour la série des Bianchi Crettí, et noire pour la série des Neri Crettí. Dans l’œuvre monumental de land art Grande Cretto, l’impression de craquelures est une fois de plus extrêmement présente. On a ici le sentiment que les craquelures de l’œuvre résonnent avec les craquelures du sol causées par la sécheresse de Sicile. Plus encore nous, pouvons assimiler ces craquelures aux fissures dans le sol provoqué par les tremblements de terre
Cretto nero Alberto Burri 1977
1. Essai critique d’Alain-Paul Mallard dans : Toscani.O, Fashion Eye Cretto di Burri (2018), ed. Michel Mallard, 96 pages
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Photographie aèrienne de Grande Cretto, issue d’internet
Image du tbleau Cretto nero, Alberto Burri, 1977, issue d’internet 55
réguliers en Sicile et dont le plus gros de 1968 a causé la dévastation du village de Gibellina. «Les crettí de l’oeuvre peuvent se lire comme des paysages de sécheresse vus du zénith. «1 « Que cet ensemble de craquelures renvoie à la terre qui a tremblé est plus qu’une évidence ». 1 La genèse des blocs Contrairement à la méthodologie utilisée pour sa série de tableaux Crettí, les masses formants les creux ne sont absolument pas aléatoires. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, les blocs de béton de Grande Cretto sont la reconstitution du parcellaires du village historique. En effet, l’artiste extrude l’emprise au sol des parcelles pour en faire des masses. C’est le village qui sort de terre, qui reprend forme. Les ruines de Gibellina ont été aplaties et uniformisées pour crée une sorte de plan-relief qui inscrit la mémoire du tracé de la ville sur le territoire. Les interstices formés entre les différents blocs de béton forment les lignes à l’impression creusée - les craquelures. Elles évoquent les anciennes voies du village et accueillent aujourd’hui les espaces de déambulation du parcours. Les lignes craquelées sont donc les résultantes de la morphologie des pleins. (se référer au schéma p.53). « Ce spectaculaire tombeau en plein air, quadrangulaire, fissuré et lézardé par la végétation, sillonné par des entailles qui sont les empreintes des anciennes rues du village»2 «C’est à ce moment-làque l’on s’aperçoit que cette œuvre de Land Art est une peinture gigantesque de Burri, avec ces fissures et ces surfaces monochromatiques si particulières à l’artiste.»3 1. Essai critique d’Alain-Paul Mallard dans : Toscani.O, Fashion Eye Cretto di Burri (2018), ed. Michel Mallard, 96 pages 2. Amaldi P., La catastrophe créatrice :quelques rêves faits en Sicile, (2012), Dans Critique 2012/8-9 (n° 783-784), pages 804 à 812 Ed. de Minuit 3. Extrait de l’interview de la réalisatrice Petra Noordkamp, avec Aniko Erdosi, Sous le ciment blanc, le silence. Petra Noordkamp, Il Grande Cretto di Gibellina, 2015 2016.
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Photographies de la construction de Grande Cretto de 1982 à 1984
Photographies de la construction de Grande Cretto de 1982 à 1984
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Il est intéressant de comparer cette fois-ci le travail d’Alberto Burri à celui de Dimitris Pikionis. Tout comme celui de l’artiste et plasticien italien, le parcours de l’architecte grecque investi un site chargé d’histoire : les collines de l’Acropole et de Philopappos. Toujours comme A. Burri, il se sert des matériaux trouvés sur place, à savoir des marbres récupérés du 19ème siècle et des marbres antiques. En revanche, D. Pikionis à utiliser la matière de façon bien différente, voir même opposée à celle de Burri. En effet, plutôt que d’utiliser les matériaux in situ pour former des masses créant des interstices permettant la déambulation. L’architecte grecque choisi d’utiliser les matériaux trouvés sur site pour signaler la ligne du parcours à-même le sol. Dans l’œuvre de l’italien, on déambule entre les vestiges du passé tandis que sur le parcours de l’Acropole de Pikionis ce sont les vestiges qui marquent les lignes de déambulation Le fait que ce soient les formes et les matériaux empruntés à la tradition antique qui marquent la ligne du parcours dans le paysage grec crée une relation toute particulière entre l’intervention de D. Pikionis et l’histoire du site investi. Bien que ce soit d’une façon différente à celle de A. Burri, l’architecte grecque parvient lui aussi à créer un sentiment d’unité entre son œuvre, le paysage et la mémoire du lieu. Sur les documents ci-dessus, nous pouvons admirer le travail de composition de D. Pikionis. On remarque aussi l’habilité avec laquelle il parvient à matérialiser la ligne de parcours par l’intermédiaire des marbres locaux.
Photographie de la composition des marbres sur le parcours de PIkionis
Détail de plan de l’oeuvre de Dimitri Pikionis 58
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Schéma représetant les géométries de Grande Cretto et du paysage agricole environnant
Des masses bâtis aux lignes parcours Dans son livre L’Architecture comme paysage, Laurence Kimmel reprend les concepts qui font les paysages. Elle nous explique aussi la façon dont des architectes comme le portugais Alvaro Siza, pour ne citer que lui, les ont repris et intégrés en architecture. Dans un premier chapitre, elle met en avant la relation qu’entretiennent les formes proches, et les formes lointaines, de l’horizon amenant à une mise en scène des formes les unes par rapport aux autres. « Cette expérience de l’architecture ouverte sur le paysage, prend en compte des formes proche du spectateur, jusqu’à l’horizon. Elle porte sur la coexistence de plusieurs échelles d’appréhension.
Dans les Raisons du paysage, Augustin Berque indique que les « deux motifs qui nous font reconnaitre le paysage (sont) : l’horizon et le premier plan ». « Parce qu’ils y instaurent la présence d’un regard, l’un qui se commence, l’autre qui se termine. Tous deux qui le situent. Sans ce regard, sans cette mise en demeure du sujet percevant au sein de l’environnement, laquelle est en même temps structure d’appel du sujet percevant dans l’image, il ne saurait en effet y avoir de paysage ». Cette expérience de deux ou plusieurs échelles d’appréhensions est considérée comme la base de l’expérience de l’espace comme paysage. » 1. Kimmel.L, L’architecture comme paysage (2010), alvaro siza, Ed.Petra, p.10 59
La géométrie des îlots de l'oeuvre, photomontage sur photo personnelle
Lorsque nous déambulons dans le projet d’A. Burri, la ressemblance entre les dessins géométriques des blocs de béton de l’œuvre et ceux des parcelles agricoles du paysage est flagrante. La perspective fausse la hiérarchie des échelles, de ce fait les terrains des collines semblent être du même ordre que ceux des blocs. Ce sentiment d’unité entre le paysage investi par l’agriculture et celui investi par l’œuvre est accentué par la géométrie des pleins. Grande Cretto semble être une interprétation minimaliste et abstraite par sa matière (béton) et sa couleur (blanche) du paysage environnant. Un dialogue captivant se créé entre les formes lointaines du paysage et proches appartenant à l’œuvre de Burri, nous ramenant au discours précédent de Laurence Kimmel.
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La géométrie des parcelles agricoles du paysage, photomontage sur photo personnelle
«En tant qu’intervention humaine dans le paysage, le Cretto et son faux chaos minéral rivalisent à peine avec l’ordre, également land art à sa manière, que le délicat dessin des vignes impose à la colline d’en face.» 1 Dans cette citation, Alain-Paul Mallard compare le paysage alentour de Grand Cretto à celui d’une œuvre de Land art. Il réunit alors le projet étudié et le paysage à un langage commun..
1. Essai critique d'Alain-Paul Mallard dans : Toscani.O, Fashion Eye Cretto di Burri (2018), ed. Michel Mallard, 96 pages
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Morphologie des artères Les vides crée par les espacements entre les 122 blocs de béton forment les artères de l’œuvre évoquant les craquelures. Ce sont par ces artères que naissent les lignes de parcours. La largeur de ces artères varie de deux à trois mètres. La hauteur est quant à elle uniforme : un mètre soixante. Ce qui prévient le visiteur de toute sensation de claustrophobie et lui permet de garder un contact visuel permanent avec le paysage.
Ascension cadrage ente béton et ciel
Différentes perspectives depuis les artères L’œuvre se marie avec la topographie du site et offre au travers de son réseau d’artère une multitude de point de vue, projection et perspective sur le paysage. Les cadrages sur le territoire évoluent, varient, changent en fonction du sens de parcours choisis par le visiteur. En se dirigeant vers les points hauts de Grand Cretto, notre regard tout entier est capté par le ciel de Sicile. Nous sommes pris entre ciel et œuvre.
Descente vue sur l'oeuvre et le paysage
"Depuis ces perspectives, c’est une radicale ligne d’horizon avec le ciel bleu de Sicile." 1
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Tandis qu’en se dirigeant des points haut vers les points bas du projet, on se retrouve comme absorbé par l’œuvre. Elle nous domine. Depuis la partie haute du site, les perspectives entre les craquelures nous offrent des points de vue fabuleux sur le projet. La vue du projet depuis ces points haut nous permet également de comprendre l’intervention de l’artiste dans son paysage. L’intégration de l’œuvre au lieu est saisissante.
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"Il suffit de se retourner lever les yeux pour échapper à ce hasardeux débale de béton." 1 La topographie combinée aux mouvements du visiteur dans le site modifie notre appréhension du paysage et de l’œuvre. Leur relation évolue continuellement. 1. Oliviero Toscani, Fashion Eye Cretto di Burri (2018), ed. Michel Mallard, 96 pages
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Photographies personnelles au sein de Cretto di Burri, au moment de l’ascension
Photographies personnelles au sein de Cretto di Burri, au moment de la descente 63
La ligne inscrite au paysage
Déblais
Sa Calobra, le nom du village d’arrivée de la route MA-2141 signifie couleuvre. Ce nom parait être antérieur à la construction de la route, mais cela résonne fortement avec la nature de l’ouvrage. Tel une couleuvre il se glisse le long des montagnes et serpente le paysage. La ligne d’Antionio Parietti s’approprie les courbes de niveaux du territoire. Par un système constructif de déblais-remblais, elle modifie le sol selon ses besoins. La matière rocheuse du site est excavée puis réutilisée afin de former un aplanissement du terrain propice à la circulation des voitures. Par cette mise en œuvre, l’ouvrage semble émerger de la terre et lui appartenir. Il ne contraste pas avec le paysage comme el Grande Cretto mais parvient à le révéler subtilement. Cela fait échos à la description du Parthénon faite cette fois ci par l’architecte suisse Livio Vacchini dans le livre Capolavori : « Tout autour, le terrain est laissé à l’état naturel et pourtant on voit bien que le socle n’appartient pas au bâtiment mais à la terre; c’est si vrai qu’à certains endroits les marches sont taillées dans le roc » 1 Ce dernier a le sentiment que le socle du Parthénon n’appartient pas au bâtiment mais à la terre. La sensation pour la route est la même, elle semble être une modification de la la croûte terrestre2 même et non une intervention imposée au site. Nous pouvons aussi évoquer le sentiment d’Adolf Loos, face aux maisons, fermes et chapelles au bord d’un lac des Alpes qui a l’impression que ces dernières « ne ressemblent pas à des œuvres de l’homme, mais paraissent sorties du même atelier divin que les montagnes et les arbres, les nuages et le ciel bleu. » 3
Remblais
Ce qui distingue la route du paysage parcouru est l’apparence lisse de l’asphalte de la chaussée qui se dégage de l’aspect rocheux des montagnes. Cette aplat continu et régulier présentant une pente moyenne de 7% se démarque véritablement du désordre esthétique environnant.
1. VACCHINI L., Capolavori, chefs d’oeuvre (2006), ed.Du Linteau, Chapitre 3 : Le Parthénon page 26 2. Référence à VACCHINI L., Capolavori, chefs d’oeuvre (2006), ed.Du Linteau, page 13 3. Loos A., Paroles dans le vide, extrait Architecture (1910), page 1
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situation de déblais - photomonatge sur photographie personnelle de la route MA - 2141
situation de remblais - photomonatge sur photographie personnelle de la route MA - 2141 65
Situation de creusement, situation de surplomb, et situation de traversée. Le système de déblais-remblais de la construction de l’ouvrage crée des situations différentes de rapports et de perceptions du paysage pendant la durée de parcours. Lorsque la route est en état de déblais, nous avons l’impression de creuser la roche naturelle des montagnes et de l’effleurer. Généralement, un état de déblais est suivi d’un état de remblais. Ce second état, nous donne la sensation d’être cette fois-ci en surplomb par rapport aux montagnes, et nous apporte une vision sur le paysage plus ouverte. Enfin, il est important de noter une situation unique dans ce parcours dû à un virage particulier, le virage 26. Celui ci, passe à travers une faille naturelle de la roche des montagnes. À cet instant précis, nous avons la sensation profonde de traverser la montagne. Le rythme général du parcours est la résultante du dessin des différentes morphologies de virage et des nombreuses situations qu’ils offrent sur le paysage. Notre regard et notre sensation de la relation entre l’ouvarge et son paysage sont en continuelle évolution. Cela participe à la magie de cette expérience du parcours en résonance avec son lieu.
Situation de creusement
Situation de surplomb
Situation de traversée
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4
6 2
5
8
3
7
9
11
1 12 13
10
1.
virage 7
virages 5 et 7
virage 10
virage 11
virage 26
virage 26
4
6 2
5
8
3
7
9
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1 12 13
10
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24
25
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3.
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25 26
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28 30 29
Dessin sur vue 3D satellite google earth de la route MA-2141
2 1
4 7
3 9
10
11 14
5 6
8 12
13
15 16 17 18
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19
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31
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La ligne devient matière À nouveau, ce sont l'histoire et les conditions propres aux paysages investis qui sont la source de de l‘architecture des lignes de parcours des oeuvres respectives d'Antonio Parietti et d’Alberto Burri. Ces dernières puisent leurs matérialités au cœur des paysages investis, qu’elles soient naturelles ou artificielles. Lors de sa mise en œuvre, la ligne de la route MA-2141 suit sa posture conceptuelle de départ, à savoir de suivre les lignes naturelles de topographie du paysage. En effet au moment de se matérialiser dans le paysage, la ligne va puiser dans la matérialité même de ce qui forme les lignes de topographies pour se concrétiser : la roche. Le réseau de lignes de Grande Cretto, suit également sa lignée conceptuelle, à savoir : fusionner avec les anciens tracés du village de Gibellina. Elle puise sa matière dans les gravats des décombres, matérialisation physique de la catastrophe de 1968. Les deux projets du corpus sont, au moment de leurs mises en œuvre, fidèles aux lignes de force des lieux dans lesquels ils s’érigent. Ils s’inscrivent en résonnance avec la condition et l’histoire des paysages investis. Ici, c’est le territoire qui guide la réalisation des projets. L’imbrication est si subtile que l’on peine à distinguer ce qui est d’ordre naturel de ce qui ne l’est pas. En puisant la matière du sol et le transformant en élément architectural, ces œuvres prennent le statut d’hybride : entre artificialité de la construction et naturalité du site. "Le sol est un hybride entre la naturalité du site l’artificialité de l’architecture" 1 Le sentiment de résonance entre la ligne et le paysage prend vraiment vie au moment de la construction physique des projets. Le passage de l’idée à la réalisation. Les lignes se présentent alors comment des produits du paysage investis, floutant la limite entre élément architectural et élément naturel renvoyant à la citation de Le Corbusier «L’esprit des lignes qui devaient fondre en un tout, la création naturelle et la création humaine.» 2 1. Kimmel L., L'architecture comme Paysage, page 29 2. De Pierrefeu F., Le Corbusier (1942), La maison des hommes, paris, plan, p. 16
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Dessin sur photographie personnelle de Cretto di Burri
Dessin sur photographie personnelle de la route MA-2141
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Conclusion
L’analyse par le dessin des parcours de Grande Cretto et de la route MA - 2141 nous a permis de démontrer le rôle et l’importance du travail de l’architecture de la ligne dans l’inscription de projets architecturaux au paysage. La géométrie de ces lignes peut prendre des formes variées. Comme nous l’avons vu, pour la route d’Antonio Parietti il s’agit d’une seule ligne sinueuse se rapprochant de lignes courbes compliqués ou ondulées2 de Vassily Kandinsky. Tandis que les lignes de Grande Cretto s’apparentent plutôt aux lignes passives de Paul Klee formants une surface active. Les lignes passives étant le réseau de lignes de l’œuvre et la surface active correspondant à l’emprise de l’œuvre dans le site. Il est intéressant de constater, que bien que différentes, ces deux types de lignes sont toutes deux les résultantes directes de la présence de tracés préexistants dans le paysage, qu’ils soient naturels ou artificiels. En effet, aujourd’hui incarnés par d’imposants blocs de béton, les lignes de Cretto di Burri fusionnent avec les tracés des anciennes voies du village. Tandis que la ligne de la route naît du suivi continu et rigoureux des lignes de topographie du Massif de Serra de Tramuntana. C’est cette relation avec les tracés propres du site, répondant à ses conditions naturelles et historiques, qui fait émerger ce lien unique et puissant avec le paysage et qui traduit cette notion d’entrer en résonance. Nous pouvons alors imaginer qu’il existe autant de dessin de ligne architecturale qu’il existe de paysage. Dans la deuxième partie de cette étude, nous avons traité de l’inscription du projet au territoire au travers du prisme de la matérialité et des procédés constructifs mis en œuvre. Au moment de se matérialiser, ces lignes architecturales suivent leurs lignées conceptrices de départ. Cretto di Burri puise sa matière dans les ruines des constructions de l’ancien village. Symbolique de la destruction de Gibellina, elles permettent la création des masses de béton de l’œuvre. Ainsi le lien du projet avec le paysage et son histoire est renforcé. Marquant à jamais la mémoire du village dans son paysage La ligne d’A.Parietti puise quant à elle sa matière directement dans celle des lignes topographiques du site. Le système de déblais-remblais utilisé pour sa mise en œuvre nous donne la sensation que le projet est une ligne de topographie architecturale.
L’architecture, élément résonateur de la présence du paysage Les deux lignes étudiées donnent l’impression d’émaner du sol. Si bien que nous ne savons plus si ces œuvres sont des créations de la main de l’homme ou si elles appartenaient déjà au paysage. Ces particularités signent l’entrée en résonance des projets avec le paysage. Comme le dit le Corbusier : « Sur l’Acropole d’Athènes, l’ordonnateur a placés les temples, véritables résonateurs des monts d’alentour […] son art lui a fait discerner l’esprit des lignes qui devaient fondre en un tout, la création naturelle et la création humaine. » 1 L’attention toute particulière portée au site, les relations étroites entretenues entre contexte et dessin de l’architecture des lignes matérialisent l’entrée en résonance des projets avec le paysage. Ces lignes sont le résultat de la rencontre entre leurs conditions d’usages; ouvrage d’art pour la route et œuvre de land art mémorial pour Grande Cretto; et des conditions propres au paysage. Par cette rencontre, ces œuvres se présentent comme des produits du site. Elles sont ici, et ne pourraient être nulle part ailleurs. Ce qui les rend uniques et puissantes. L’architecture de ces lignes inscrit les œuvres dans le paysage et bien plus encore. Elles révèlent leurs caractéristiques premières. La condition montagneuse exeptionelle du Massif de Tramaurana pour la route MA-2141 et l’histoire d’un village dévasté par un tremblement de terre pour Grande Cretto. Elles forment donc le lien intangible qui unit les projets à la fois aux paysages, à leurs histoires et à leurs conditions. Ces œuvres retranscrivent bien les propos de Le Corbusier, qui ont inspiré ce mémoire, puisqu’elles agissent comme de «véritables résonateurs des monts d’alentours » 1.Ces œuvres résonnent avec leur territoire grâce à «l’esprit des lignes qui devaient fondre en un tout, la création naturelle et la création humaine. » 1. La notion de résonance dépasse toute barrière de langue ou de culture. Elle a une vocation universelle. Face aux projets du corpus comme Livio Vacchini face au Parthénon, cette résonance s’affiche comme une évidence. Bien que l’architecte suisse ne le traduise pas en ces termes, c’est bien la relation du monument à la terre qui le subjugue. Au-delà de ça, c’est cette interdépendance entre le
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bâti et son site, cette stéréotomie émanant du sol : cette entrée en résonance de l’architecture avec le paysage qui l’émerveille. « Tout autour, le terrain est laissé à l’état naturel et pourtant on voit bien que le socle n’appartient pas au bâtiment mais à la terre; c’est si vrai qu’à certains endroits les marches sont taillées dans le roc ». 2 La mise en résonance repose sur des effets d’accentuations et d’amplification provoquée par la rencontre entre deux objets interdépendant. C’est bien le cas des deux exemples étudiés. La rencontre entre ces œuvres et leurs paysages est si puissante, que la présence des deux entités se voit décupler. En effet, les lignes édifiées ont pour résultat d’accentuer les caractéristiques, conditions et histoire des sites investis. De manière évidente, la présence de ces œuvres accentue le regard porté sur le paysage alentour. Ainsi, nous pouvons conclure, que par cet effet d’amplification mutuel de leur condition, ces œuvres architecturales répondent à la définition de résonance. Finalement, l’Art, l’Architecture et l’Ingénierie trouvent leurs places aux cotés de la Physique, de la Musique et de la Philosophie dans la notion de résonance. Ce travail de recherche m’a permis de comprendre les mécanismes provoquant ce sentiment d’émotion intense face à des objets architecturaux en résonance avec leur paysage. Désormais, je me sens, plus à l’aise et armée avec cette notion. Cependant, les deux cas d’études ne sont pas des édifices architecturaux à proprement parlé. J’aimerais alors tenter d’appliquer et approfondir ces notions dans la réalisation de mon projet de fin d’études.
1. De Pierrefeu F., Le Corbusier (1942), La maison des hommes, paris, plan, p. 16 2. 1. Vacchini L., Capolavori, chefs d’oeuvre (2006), Ed.Du Linteau, Chapitre 3 : Le Parthénon, page 26
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Bibliographie LIVRES :
COLLOT M., Pensée-paysage (2011), ed.ACTES SUD, 328 p. GUBLER J., Motion, émotions Thèmes d’histoire et d’architecture (2003), ed.infolio, 448 p. HARMUT R. , Résonance : Une sociologie de la relation au monde (2018), Ed. La découverte, 536 p. KANDINSKY V., Point et ligne sur plan, (1991) Ed. Gallimard, 249 p. KIMMEL L., L’architecture comme paysage, Alvaro Siza, (2010), ED.petra, 100 p. KLEE P., Théorie de l’art moderne (1964), Ed. Gonthier, 153 p. LE CORBUSIER, Vers une architecture, (1923) Ed.Flammarion, 254p. LOOS A., Paroles dans le vide, (1979) extrait nommé Architecture (1910), Ed.Ivrea, 336 p. MARLEAU.PONTY M., L’oeil et l’esprit, (1960), Ed.Gallimard, 108 p. NORBERG-SCHULZ C., Genius loci: paysage, ambiance, architecture (1997), Ed. Mardaga, 213 p. PIKIONIS D., A Sentimental Topography, Architectural Association London, (1989) 100 p. QUIROT B., Simplifions (2019), ed. Cosa Mentale, 96 p. RACALTI M., Alberto Burri, Il Grande Cretto di Gibellina (2018), Ed.Magonza, 128 p. ROBERT P., Architrek, marcher pour savourer l’espace (2015), Ed.la decouvertE, 128 p. ROUSSEAU J-J., Les rêveries du promeneur solitaire (1972), Ed.gallimard, 223 p. SNOZZI L. MERLINI F., L’architecture inefficiente (2020), Ed.Cosa Mentale, 96 p. TIBERGHIEN G., Le paysage est une traversée, (2020), Ed.Parenthèses,202 p. TOSCANI O., Fashion Eye Cretto di Burri, essai par Alain-Paul Mallard (2018), Ed. M.Mallard, 96 p. VACCHINI L., Capolavori, chefs d’oeuvre (2006), ed.Du Linteau, 76 p. ZUMTHOR P., Atmospheres (2008), ED.Birkhauser, 75 p.
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ARTICLES :
AMALDI P., La catastrophe créatrice : quelques rêves faits en Sicile, (2012), Dans Critique 2012/8-9 (n° 783-784), Ed. de Minuit, pages 804 à 812. ORTALLI G., Surveillance, PIkionis à L’Acropole (2022), Ed.Cosa Mental, 2 p.
REVUES :
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VIDEOS
:
RADIER. T, Les routes qui tutoient la mer - Majorque, Arte production (2021) NOORDKAMP P., THE SOLOMON R., Il Grande Cretto di Gibellina, Guggenheim Foundation (2015)
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La résonance est un phénomène physique précis, reprit et interprété dans de nombreux champs disciplinaires tels que la musique, l’art, la sociologie ou la philosophie. Cette notion reste cependant peu traduite dans le domaine de l’architecture. Ce mémoire a vocation d’expliquer le concept de résonance entre architecture et paysage. Pour ce faire il s’appuie sur l’architecture de la ligne comme parcours. Cette recherche s’effectue au travers de l’étude de deux œuvres architecturales en résonance avec leurs paysages : la route MA - 2141 traversant les montagnes du massif de Serra de Tramuntana sur l’ île de Majorque aux Baléares, réalisée par l’ingénieur Antionio Parrietti, et l’œuvre de Land Art monumentale d’Antonio Burri au milieu des plaines agricoles de Sicile, Grande Cretto.
OBJECT: MÉMOIRE DE FIN D’ÉTUDES
ÉCOLE: ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE DE PARIS VAL-DE-SEINE