Architecture et Design 1850 1920 1950

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architecture et design 1850 . 1920 . 1950

Conseil d’Architecture d’Urbanisme et de l’Environnement

collection le rayon vert

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architecture et design 1850 . 1920 . 1950

le rayon vert


architecture et design 1850 . 1920 . 1950

En partenariat avec la Mission départementale de la culture, le Conseil d’Architecture participe à la première partie de l’exposition DESIDERATA DESIGN, présentée du 8 juillet au 17 septembre 2006, à la galerie Sainte-Catherine, à Rodez. Cette brochure accompagne la présentation des meubles de Le Corbusier-Jeanneret-Perriand, Mies van der Rohe, Breuer, Mallet-Stevens, Aalto, Saarinen, Bertoia et Eames. Le design, concept qui associe la forme, le matériau et l’usage à travers une approche artistique et industrielle, est né de mouvements réunissant artistes et architectes de la fin du XIXème siècle, précurseurs de l’époque moderne. Le choix des meubles qui nous sont prêtés illustre la relation entre architecture et design par une évocation de la période 1920-1950. A travers les bouleversements qui déterminent cette période, le mouvement moderne a profondément marqué à la fois une rupture, et un changement radical dans la manière d’envisager l’espace et le mobilier. L’acier, le verre, le béton armé, déjà utilisés dans l’architecture industrielle, seront employés pour un usage domestique, du mobilier à l’habitat. C’est l’apparition de l’automobile, de l’électricité ; c’est une population qui croît dans les villes et qu’il faut loger, équiper dignement et à coût réduit. Réconcilier l’art et la machine afin d’atteindre cet objectif social aura été l’ambition de ces créateurs. Le concept d’Habiter s’est alors renouvelé pour s’adapter à des modes de vie et de production totalement différents. Parce que cette pensée influence encore profondément nos espaces, notre mobilier, nous vous proposons, au-delà des meubles, une « promenade architecturale ». Puisse ainsi s’exercer la mission du C.A.U.E., donner envie d’aller plus loin, de reconnaître le sens au-delà de l’apparence, et promouvoir la qualité de l’architecture.

Danièle VERGONNIER Présidente du C.A.U.E de l’Aveyron


DESIDERATA DESIGN des objets designés

Notre vie est design mais nous ne le savons pas. Du fauteuil à l’automobile, en passant par la tasse à café le DESIGN est partout. Chaque époque, chaque courant, chaque culture réinvente sa définition du design. Ainsi les artistes, les architectes, les designers apportent-ils leur sens de l’innovation au développement industriel et commercial de notre société. En s’associant à la boutique CACTUS et au C.A.U.E., la Mission départementale de la culture a voulu proposer une relecture des rapports entre arts appliqués et arts plastiques, poser la question de l’art utilitaire et de la notion d’art. Voilà pourquoi, aujourd’hui, la galerie Sainte-Catherine, lieu de connaissance et espace de confrontation change d’atmosphère et présente une exposition « DESIDERATA DESIGN » mettant ainsi en relation l’art, l’architecture, la culture et le mode de vie. De grands designers y sont à l’honneur à travers des pièces de collections particulières et de maisons prestigieuses. Toute personne sensible au lien qui existe entre mode de vie, esthétique, matière, ligne, confort et bien-être retrouvera dans cette exposition le design qui modèle sa vie.

René QUATREFAGES Président de la Mission départementale de la culture


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prologue

« L’obscur acharnement des hommes pour recréer le monde n’est pas vain parce que rien ne redevient présence au-delà de la mort, à l’exception des formes recréées. » André Malraux, La création artistique

Il n’existe probablement pas une histoire du design, mais plutôt des histoires de design. A travers cet ouvrage, nous voulons donner à lire notre petite histoire du design non exhaustive mais que nous souhaitons pédagogique, qui insufflerait quelques pistes quant à l’émergence du design et ce, notamment à travers le travail de l’architecte.

définition du Robert culturel 2005 design : ◊ nom masculin et adjectif. 1959, emprunté à l’anglais design, d’abord « plan d’un ouvrage d’art » (XVIIèmesiècle), puis aux Etats-Unis « conception décorative étendue aux objets utilitaires ». L’anglais « design » vient du français dessein, à la fois « dessin » et « but, projet » (jusqu’au XVIIème siècle). Le mot s’est répandu en France vers 1965. Les francisations dessin et désigne ont échoué. ◊ esthétique industrielle appliquée à la recherche de formes nouvelles et adaptées à leur fonction (pour les objets utilitaires, les meubles, l’artisanat en général), stylisme. Remplacé par souci de respect de la langue française par les termes d’esthétique industrielle ou stylisme, introduit dans la langue française dans les années soixante. L’Académie française accepte le mot seulement en 1971.



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les racines du design 1850 . 1920 ...

Design, dessin, dessein Très utilisé depuis plus de cinquante ans, « design » à vouloir tout dire, finit par ne plus rien vouloir dire. Fréquemment réduit au design-produit (mobilier, art de la table), alors qu’il concerne bien plus que ces deux champs d’application, le design, dans notre langage commun concerne en effet tous les champs de la création lorsque celle-ci est dédiée à l’industrie. La pratique du design impliquant avant tout une recherche entre le fond et la forme, elle a donc à voir avec l’architecture dont on peut dire qu’elle est une émanation. Car ce sont bien des architectes qui ont été à l’origine du « design ».

« La ménagère et son foyer » articles et dessins de Charlotte Perriand publiés dans la rubrique « La femme et la vie » du journal Vendredi, n° 26, 1er mai 1936

Avant d’être considéré comme un objet de mode, le design fut une réponse à une réflexion sur la manière d’habiter, en réaction à des conceptions historicistes. Il s’agissait de donner forme à des façons nouvelles d’être et d’habiter, d’explorer la piste d’une vision de l’art et de l’industrie qui conditionne le projet social d’un art accessible au plus grand nombre, grâce aux multiples objets quotidiens. Des matériaux tels que l’acier, le contreplaqué, le verre, le béton armé, seront utilisés pour une application aussi bien à l’architecture qu’au mobilier.


Au cours des XVIIème et XVIIIème siècles, il y a une forte distinction entre le monde de la science et celui des arts. L’artisanat, simple expression d’un savoir-faire de rang inférieur, ne peut rivaliser avec la noblesse accordée à l’art. C’est à cette époque que naît l’idée d’associer aux fonctions, une esthétique de l’objet. Ainsi, en Angleterre, on décompose la création en deux phases : to plan = phase de conception, et design ou dressing = phase finale décorative. Le design est appliqué au processus de production alors qu’au XIXème siècle, il en découle. C’est à cette période que l’on a réalisé que la scission entre le monde de la science et celui des arts n’avait plus de sens. La compétitivité gagnée grâce à la production industrielle a engendré une nouvelle définition ainsi qu’une nouvelle esthétique des objets. Ainsi, tout au long du XXème siècle, le design nous a accompagné s’accordant aux différentes étapes de l’industrialisation, porteur de différentes conceptions, tentant de concilier forme, fonction et signification, pour aujourd’hui se déployer grâce aux possibilités infinies offertes par les nouveaux matériaux.

Opéra Charles Garnier Paris, 1871-74 Le Grand escalier Voir et être vu, une architecture de représentation, pour une société mondaine : un « pot-pourri » de styles historiques.

Si le XIXème siècle est souvent considéré comme une époque de confusion et de déclin, il porte en germe les prémisses d’un renouveau. L’utilisation arbitraire de formes empruntées aux styles du passé ne satisfait plus. La mécanisation du travail produit alors des objets manufacturés sans grande qualité, imitant l’artisanat. Les éléments décoratifs standardisés viennent remplacer un véritable travail de création, tant en architecture qu’au niveau des objets. La conception de l’objet ou du bâtiment, est séparée de sa forme. D’un côté l’on conçoit techniquement, de l’autre l’on rajoute un style décoratif. C’est le triomphe du pastiche et de l’éclectisme. « Le besoin de quelque chose de neuf, d’honnête, de moral se fait sentir » La naissance du design est venu d’un besoin éthique de ne pas séparer la fonction technique de la forme, de chercher dans la technique, les matériaux et l’usage, l’essence de la forme.


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Les précurseurs 1851 L’édification du Crystal Palace par Joseph Paxton à Londres, à l’occasion de la première Exposition mondiale, représente une étape décisive dans ce processus de renouveau. C’est le premier bâtiment entièrement préfabriqué, de fer et de verre, dessiné pour une production à l’échelle industrielle, où toute référence aux styles du passé est abandonnée. Il concrétise une conception nouvelle d’un espace ouvert. Cette Exposition est une manifestation représentative de la production internationale. On y trouve exposés des produits domestiques de styles divers. Bien que la révolution industrielle soit déjà en marche, demeure une forte réticence vis-à-vis des produits de la machine.

Crystal Palace, 1851 dessin de Joseph Paxton le bâtiment est réalisé sur le principe des serres de jardin. 560 m de long 137 m de large

Le mouvement Arts and Crafts

En 1861, William Morris (1834-1896) fonde avec quelques amis, un architecte Philip Webb et des peintres, Edward Burne-Jones et Dante Gabriel Rossetti, une firme « la William Morris and Co ». Artisan, il taille et décore le bois et recommande d’étudier les œuvres anciennes pour apprendre à les comprendre. Il aime la nature, source principale d’inspiration, et la période du Moyen-Âge, déteste l’urbanisation et défend ardemment l’artisanat. Créer une culture du peuple et pour le peuple

Motif de papier peint, William Morris

Considérant que l’art doit être fait par le peuple et pour le peuple, il s’oppose vigoureusement aux principes développés lors des grandes expositions. Selon lui, l’industrie produit des objets inutiles et laids et de surcroît onéreux. Avec ses amis artistes, il s’affaire à créer du mobilier, des vitraux, des papiers peints, des tapis, et du chintz où la simplicité s’oppose à la complexité, ou au caractère surchargé des objets fabriqués à cette époque. Morris a une vision un peu nostalgique de la création, défendant l’idée d’une unité d’action et de pensée entre le dessinateur et l’artisanfabricant. Néanmoins, ses idées réformatrices auront un impact décisif sur le mouvement moderne : priorité à l’utilité, à la simplicité et rejet du luxe, obligation morale de produire des objets de qualité, conviction que le design peut et doit être utilisé comme instrument de transformation sociale et d’amélioration du cadre de vie.


Avec John Ruskin, Richard Lathaby et Arthur H. Mackmurdo, William Morris est le chef de file du Mouvement Arts and Crafts. Ardents défenseurs de la singularité des créations artisanales, tous estiment que la laideur est intimement rattachée au capitalisme naissant. Refusant le contact avec cette industrie considérée vulgaire, les objets ou meubles qu’ils créent, réunissent dans un même projet le concepteur et l’exécutant, l’art et l’artisanat.

Théière Christopher Dresser

A cette vision s’oppose celle de Christopher Dresser (1834-1904) et Henry Cole qui conçoivent des objets en fonction d’une exécution industrielle, convaincus que l’on peut conserver une qualité esthétique aux objets utilitaires, sans renoncer à une production de masse. Les objets de Christopher Dresser sont d’une grande sobriété, (théière ou fauteuil en bois). Les formes y sont géométriques et les lignes audacieuses, s’inspirant parfois des arts du Japon qu’il fit connaître en Europe.

Vers 1830, Michael Thonet (1796-1871) menuisier ébéniste, illustre cette vision. Il met au point un procédé pour courber le bois et crée toute une ligne de sièges passant d’une production artisanale à une production en série. Sa fameuse chaise n°14 (1857), se compose de 6 pièces seulement, facilement transportables, et qui peuvent ainsi n’être assemblées qu’une fois sur le lieu de livraison. Ses meubles conçus sans aucun ornement sont largement utilisés dans les lieux publics. Leur faible coût, la beauté et la simplicité de leurs lignes, leur solidité au milieu d’une époque historicisante et de meubles de style, les font apparaître comme les précurseurs du XXème siècle. Cette chaise reste un classique de nos bistrots.

Chaise de consommation n°14 Michael Thonet, 1857


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L’Art nouveau A la fin des années 1880, un nouveau goût s’affirme en Angleterre, notamment à travers la création de l’entreprise Liberty & Co fondée en 1875 par Arthur Lasenby Liberty, au départ spécialisée dans l’importation d’art oriental. Les inspirations empruntent à tous les répertoires, recourant aux créations de Charles F. Voisey (1857-1941), Christopher Dresser mais aussi Charles Rennie Mackintosh pour les meubles.

Architecte originaire de Glasgow (Ecosse), Charles Rennie Mackintosh (1868-1928) étudie le dessin et la peinture à la School of Art de Glasgow et travaille dans l’atelier de l’architecte John Hutchinson. Il s’associera à Herbert Mac Nair, Frances Macdonald et Margaret Macdonald pour former le groupe des « Glasgow Four ». En tant qu’architecte, il réalise plusieurs bâtiments publics dont l’école d’art de Glasgow, et des résidences privées. Ses projets sont conçus comme des œuvres d’art total. Le mobilier et les équipements sont dessinés en fonction du lieu. Ses intérieurs blancs et sa recherche de l’équilibre des contraires (sombre/lumineux, blanc/noir, masculin/ féminin) ont exercé une grande influence sur le design. Il introduira la notion d’aménagement de l’espace par l’ameublement.

Salon des Mackintosh Glasgow, 1906


L’Art nouveau comme précurseur du design

Un profond désir de rompre avec le passé en refusant l’ordre rationnel et l’imitation des styles anciens, une stylisation qui s’inspire des formes de la nature, tels sont les principes de l’Art Nouveau. Ce n’est plus seulement la décoration des objets qui est remise en cause mais aussi leur dessin. L’Art nouveau contient déjà en germe le besoin moderne d’associer forme, matériau et fonction.

La nature comme modèle Karl Blossfeldt (1865-1932) sculpteur et professeur d’arts, constitue à travers ses photographies de plantes un matériel pédagogique pour la création de nouvelles formes. Il s’agissait non pas de copier le pittoresque des formes décoratives mais de créer des formes à partir du matériau même.

Josef Hoffmann (1870-1956), architecte, adepte de Mackintosh -surnommé quadra-Hoffmann, à cause de sa prédilection pour les carrés et les rectangles- défendra lui aussi l’idée de la nécessité d’une complète unité du décor et du mobilier avec l’architecture. Co-fondateur de la Sécession Viennoise en 1897, il réalise des créations d’orfèvrerie, des chaises et verreries où il utilise autant que dans ses projets architecturaux, son motif typique en grille ajourée. La Sécession viennoise Dans la capitale autrichienne qui accueille l’Art Nouveau, le style modèle exprime un progrès qui prend vie à travers les réalisations d’un ensemble d’artistes-peintres, Gustav Klimt (1862-1918), Egon Schiele, d’architectes, Joseph Maria Olbrich (1867-1908), Otto Wagner (18411918), Josef Hoffmann, et décorateurs, Koloman Möser (1868-1918). Le mouvement évoluera, prônant la géométrie et la stylisation fonctionnelle des meubles et objets, se détachant peu à peu de l’Art Nouveau tel qu’il était pratiqué en Grande Bretagne par William Morris.

L’accomplissement, 1905 carton pour la frise du Palais Stoclet

Gustav Klimt Palais Stoclet,1907 Josef Hoffmann Mosaique, Gustav Klimt


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Koloman Möser et Josef Hoffmann fondent la Wiener Werkstätte (Atelier Viennois) en 1903, pour pouvoir fabriquer de manière industrielle des objets de qualité.

Clef portant le symbole de la rose de la Wiener Werkstätte, Josef Hoffmann

Affiche pour la Wiener Werkstätte Josef Hoffmann,1905

Sanatorium de Purkersdorf, 1901 Josef Hoffmann

Fauteuils, Koloman Möser

Cette coopérative qui emploie des ouvriers dans des domaines aussi variés que l’orfèvrerie, le travail du métal, du cuir, de la reliure, l’ébénisterie, intègre l’ancien cabinet d’architecture d’Hoffmann et un cabinet de design. Les réalisations de l’Atelier Viennois portent le monogramme de leur auteur mais aussi celui de l’artisan qui les a fabriquées, dans une volonté de créer une réelle égalité entre artistes et artisans. Privilégiant éclairage et hygiène, la Wiener Werkstätte est aussi exemplaire dans sa façon de traiter ses ouvriers : les ébénistes, par exemple, bénéficient d’une à deux semaines de congés payés, avantage pratiquement sans précédent.

Chaque œuvre d’art devant être totale, l’objet doit trouver sa place dans un espace conçu par un artiste à la fois architecte, mais aussi décorateur. Le langage architectural du sanatorium de Purkersdorf est simplifié à sa limite extrême : un cube crépi de blanc dont les arêtes sont soulignées d’un filet de carreaux bleus et blancs, motif repris dans l’ameublement et la décoration intérieure. Le Palais Stoclet à Bruxelles est « une oeuvre d’art total », conçue par Josef Hoffmann en collaboration avec une série d’artistes. La grande force de ces projets réside justement dans cette collaboration : l’architecture devient une synthèse de toutes les formes artistiques.


Une oeuvre d’art totale

« Pour qu’une œuvre d’architecture soit belle, il faut que tous les éléments possèdent une justesse de situation, de dimensions, de formes et de couleurs. » L’influence de l’art nouveau en Espagne se manifeste particulièrement dans l’œuvre d’Antonio Gaudí i Cornet (1852- 1926). Avec un père chaudronnier, Gaudí apprend à travailler le fer en cherchant les moyens d’utiliser ce matériau à des fins décoratives. Soutenu par un riche industriel, il lui dessine un palais éponyme le Palaü Güell, où s’expriment son audace et son excentricité. Le Park Güell, projet de village-jardin à l’anglaise, deviendra un jardin public. Architecte inventif, il réalise des meubles et des objets qui se distinguent par des lignes souples et des formes organiques. Dès qu’il conçoit un meuble, Gaudí s’intéresse à l’ergonomie de la personne qui va l’utiliser. Il réalise à chaque fois des maquettes en trois dimensions, permettant plus tard à l’ébéniste de se laisser guider par la forme du bois pour déterminer avec collages et assemblages, les lignes du mobilier. Dans sa démarche, Gaudí donne autant d’importance à l’ingénierie (ses études sont extrêmement poussées), à ce qu’il appelle la peau du bâtiment (forme, couleur et texture) qu’à l’intérieur (ouvertures destinées à faire entrer plus de lumière, forme des murs, espace de circulation). Sachant employer aussi bien le bois, que la céramique ou le vitrail, Gaudí préfigure les architectes organiques du XXème siècle.

Plan Casa Battlò, Barcelone 1904-1906

Canapé et chaise de bureau Maison Calvet, Barcelone 1898-1900

Antonio Gaudí


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Métro, Paris Hector Guimard

Le respect des matériaux

Hôtel Tassel, Bruxelles Victor Horta, 1892

Hector Guimard (1867-1942) architecte et créateur de mobilier, incarne le principal représentant du style Art Nouveau en France. Fort impressionné par les réalisations de Victor Horta, il s’inspire de la démarche de l’architecte belge. Refusant lui aussi les lignes droites, il utilise le fer pour réaliser en 1909, l’entrée des bouches de métro à Paris, travaillant alors à ce que l’on nomme aujourd’hui le mobilier urbain. Au rôle fonctionnel de la signalétique, s’ajoute l’expression artistique de l’Art nouveau. Formé à l’École Nationale des Arts Décoratifs, il se définit comme « architecte d’art ». A cette même époque, l’architecte Gabriel Jean Antoine Davioud travaille pour le préfet Haussmann sur des dessins de mobilier urbain (banc public et grille d’arbre, poteaux indicateurs), avec le souci de respecter un fonctionnalisme indispensable et durable, tout en exprimant une esthétique devenue primordiale pour donner vie à l’espace public. Le fondateur de l’Art Nouveau en Belgique est l’architecte Victor Horta (1861-1947) dont l’Hôtel Tassel mêle de façon novatrice les usages structurels et décoratifs du fer. Des colonnes en forme de tiges se développent en vrilles tourbillonnantes : la structure du bâtiment constitue le point de départ du décor. Avec Van de Velde et Serrurier-Bovy, Horta dessine des meubles et des peintures murales pour les immeubles qu’il conçoit. G. Serrurier-Bovy (1858-1910), architecte et créateur de meubles, ouvre un magasin à Bruxelles, ainsi que dans une succursale parisienne qu’il nomme « l’Art dans l’habitation », afin d’y commercialiser son mobilier.


Art et industrie

Henry Van de Velde (1863-1957), inspiré par le mouvement Arts and Crafts prônant la réunion des arts, abandonne la peinture pour l’architecture et le mobilier. Il devient architecte en concevant sa propre maison « du couteau de table à la poignée de porte ». Il dessine des intérieurs, crée une manufacture des « arts d’industrie, de construction et d’ornementation » où s’expriment ses théories sur l’alliance de l’industrie et de l’art. L’art ne doit pas se limiter à modifier la forme des objets mais également s’occuper de contrôler les méthodes de production et de distribution. Il est l’un des premiers à mettre en relation le caractère des lignes, des moulures de ses meubles, avec les positions que l’homme est amené à adopter. En 1902, il sera directeur du Weimar Kunstgewerblicher, école allemande, précurseur du futur Bauhaus.

Concilier qualité

C’est à l’architecte Herman Muthesius qu’est confiée vers 1895 la mission d’importer en Allemagne les idées du mouvement Arts and Crafts. De retour d’Angleterre, il rédige un compte-rendu où il développe l’usage de la machine permettant la production industrielle d’œuvres artistiques. Muthesius fait appel à de jeunes architectes dont Peter Behrens et Richard Riemerschmid qui travaillent dans l’idée de l’œuvre d’art totale au sein du Jugendstil (littéralement : style jeune) à travers le Werkbund (association d’artistes, architectes, artisans et industriels).

esthétique et production de masse

Cette association se détache du mouvement Arts and Crafts dans le sens où elle collabore avec l’industrie plutôt que de s’opposer à elle, tout en se préoccupant particulièrement de la forme à donner aux produits industrialisés. L’Allemagne se veut puissante et l’art se recommande de l’industrie.

Chaise pour musicien, Richard Riemerschmid, 1899 Simplicité de cette chaise : l’accoudoir est remplacé par un étai en diagonale sans aucun détail superflu.


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Le premier designer industriel

Dans sa volonté de concilier qualité esthétique et production de masse, Peter Behrens (1868-1940) opère dans une expérience alors unique : la conception de l’image d’une entreprise, « AEG » , Allgemeine Elektricitats Gesellschaft, dans son intégralité (construction de l’usine mais aussi des logements ouvriers, des magasins, des caractères d’imprimerie, de la publicité, des catalogues, du logotype et de la bouilloire). Il est peut-être le premier designer industriel. Walter Gropius, Le Corbusier, Ludwig Mies Van der Rohe, architectes influents dans l’histoire du design, travailleront dans son agence. Walter Gropius (1883-1969), architecte du Werkbund, s’oppose avec Van de Velde à Muthesius qui milite pour la standardisation, en plaidant en faveur de la création personnelle dans l’industrie.

Affiche publicitaire pour lampe, 1907 Peter Behrens

Après la guerre de 14-18, Walter Gropius accepte la standardisation devenue nécessaire et crée en avril 1919 le Bauhaus, fusion de l’Académie des Beaux-Arts et de l’Ecole des Arts Décoratifs de Weimar. « Une collaboration entre l’artiste, l’industrie et le technicien qui, organisée en conservant l’esprit de l’époque, pourrait peut-être finir par être en mesure de remplacer les facteurs de l’ancien travail individuel », ainsi s’exprime le projet de cette école de « l’art de construire ».

Usine AEG, Allgemeine Elektricitats Gesellschaft

Berlin,1908-1909 Peter Behrens


« Form follows function » « Form follows function » la forme suit la fonction

Un fonctionnalisme

Ce principe novateur s’exprime aux États-Unis dès la fin du XIXème siècle, avec les constructions de Louis Sullivan. Il deviendra le principe directeur de l’architecture moderne. La découverte du fer et de l’acier fut une découverte primordiale pour les techniques de construction. Associés au béton, un matériau bon marché, ils permirent d’inventer une structure homogène, résistante : le béton armé. Aux États-Unis, Chicago est le leader d’une architecture innovante, sobre et économique. La rareté et le coût des terrains induisent des immeubles en hauteur qui sont alors édifiés pour ce qu’ils sont, sans « rajout » de décoration, sans style prédéterminé. Des Prairies houses au Guggenheim Museum

organique

Pour Franck Lloyd Wright architecte (1867-1959), l’architecture ne peut se concevoir qu’en totale harmonie avec la nature. Il utilise des matériaux traditionnels, tels que la pierre ou le verre, mais aussi le béton armé pour rendre ses constructions « ouvertes » sur la nature, lumineuses et harmonieuses pour qui y vit ou y travaille. Wright s’inspire de son maître Sullivan, prônant le principe selon lequel la forme des pièces de la maison doit découler de leur(s) fonction(s), mais où en même temps, forme et fonction ne doivent faire qu’un.

« La réalité d’un bâtiment ne se trouve pas dans les murs et dans les toits mais dans l’espace qu’il offre à vivre »

F.C. Robie House Chicago 1906-1909 Dessin perspective et plan ci-dessus Salle à manger : chacun des pieds de la table supporte des lampes en verre peint, montées sur tiges, libérant ainsi l’espace central de la table.

Il veut « casser la boîte sombre de la maison victorienne ». Inspirés par le Japon, les volumes horizontaux en accord avec les paysages de prairie du Middle West, les toits à faible pente et saillants agrandissent l’espace en s’ouvrant vers l’extérieur, les cloisons intérieures disparaissent au profit d’un vaste espace continu. Les meubles et l’éclairage sont dessinés par Wright. L’ameublement organise l’espace : les chaises à haut dossier de la maison Robie composent un espace intime pour le repas.


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Maison E.J. Kaufmann « Fallingwater » Pennsylvania, 1935-1939

Construire pour la démocratie

S. R. Guggenheim Museum New-York, 1943-1959

« Un bâtiment renfermant un espace continu »

Les « Prairies houses » concrétisent ces notions nouvelles dans la conception des maisons individuelles, d’espace intérieur ouvert et d’intégration dans le paysage. « Une maison qui protége et libère tout à la fois ». « Fallingwater », la maison sur la cascade, exprime de façon spectaculaire cette vision de l’homme et de son environnement. Le propriétaire, en commandant cette résidence secondaire près d’une cascade qu’il aimait, n’imaginait pas que l’architecte, dans sa vision organique de ce que pouvait être le lieu de vie, bâtit la maison non pas à côté de la cascade mais sur la cascade elle-même. Le domaine de Taliesin (sommet radieux) bâti sur une colline, sera à la fois la maison de Wright, son atelier, et une école où il dispense son enseignement. Wright imagine les « Usonian houses » pour être des maisons construites à bas coût et destinées à tous les américains de classe moyenne. Il pense que les États-Unis ne peuvent être une grande démocratie si chaque citoyen ne dispose pas d’une maison bien pensée et bien bâtie ainsi que d’une parcelle de terrain. Pour le bâtiment aux allures de forteresse, retranché de son environnement -une banlieue laide et insalubre- qui représente la Johnson Wax Company, il imagine un espace lumineux, éclairé zénithalement par des faisceaux de tubes de verre, pour 200 personnes travaillant à pied d’égalité. Au Guggenheim Museum, il conçoit un bâtiment en forme de spirale ascendante pour ne pas avoir à retraverser le musée une fois la visite terminée ; une rampe conduit le visiteur de haut en bas de l’édifice. Dans son œuvre de designer, s’éloignant du mouvement Arts and Crafts qui l’a inspiré à ses débuts, Wright utilise l’acier, le bois, le cuir en dépouillant les formes et s’attachant à la fonctionnalité en premier lieu (ergonomie, organisation de l’intérieur de la maison ou des bureaux).

S.C.Johnson & Son Company Administration Building Wisconsin 1936-1939

Wright dut prouver par un test grandeur nature que les colonnes de béton armé (22 cm de diamètre à la base, 6m50 de haut) supporteraient les 6 tonnes de charge requises pour l’obtention du permis de construire. Elles supportèrent 60 tonnes. La structure métallique des colonnes de béton, creuses à l’intérieur, est inspirée d’un cactus californien. Le mobilier conçu par Wright est toujours utilisé.


Le fonctionalisme s’exprimera à travers de multiples courants

Le style de l’utile

Ornement et crime

Adolf Loos, 1908 Son essai Ornement et crime n’est pas un manifeste de la nudité mais une critique du travail superflu.

Otto Wagner (1841-1918) architecte de la Sécession viennoise, sera un précurseur de cette conception. « Le style de l’avenir sera le style de l’utile, ce style se définit avant tout par une technique de construction et sa fonction ». Son ambition est d’abolir la séparation entre l’ingénieur en bâtiment et l’architecte, séparation opérée au cours du XIXème siècle, et par là libérer l’architecte du rôle ingrat de celui qui doit anoblir par des moyens artistiques des solutions techniques.

Adolf Loos (1870-1933) architecte viennois, fonctionnaliste avant la lettre, s’oppose à la Sécession viennoise qui, selon lui, accorde trop d’importance à la décoration. Il veut créer le pur objet utilitaire. Lui paraît beau ce qui est commode. Ses aménagements intérieurs de cafés viennois sans ornement et faisant prévaloir le matériau, amènent une conception de l’espace fondée sur l’économie. Sa théorie du Raumplan -plan de l’espace- exprime une pensée de l’espace qui donne aux trois dimensions qui le composent, la même possibilité de variation, et qui semble donc privilégier les différences de niveaux, afin d’utiliser au mieux l’espace en trois dimensions. Les projets doivent être conçus en partant de l’intérieur, en imaginant la façon dont les gens vont vivre à l’intérieur. « Je ne projette ni plans, ni coupes, ni façades, je projette de l’espace ».

Chambre d’enfant Villa Müller Prague, 1928

Vue du hall Maison Moller Vienne, 1927 Adolf Loos


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Le Bauhaus 1919-1925-1933 Weimar, Dessau, Berlin

« Art et Technique, une nouvelle unité »

« Le Bauhaus cherche, par un travail systématique d’expériences en théorie et pratique -dans des domaines formels, techniques et économiques-, à déterminer l’apparence de tout objet à partir de ses fonctions naturelles et de sa relativité ». Le Bauhaus, littéralement « maison du bâtiment », étend ses recherches à tous les arts majeurs et appliqués. L’école est avant tout un centre d’expérimentations faisant le rapprochement de l’art et de l’industrie, où l’enseignement est d’abord pratiqué par des peintres, Johannes Itten, Paul Klee, Wassily Kandinsky. Pour Gropius, fondateur de l’école, l’art doit s’adapter à la civilisation industrielle à travers une synthèse entre artisanat industriel et arts plastiques. Au programme sont enseignées les disciplines suivantes : sculpture sur pierre, poterie, reliure, travail de vitraux, peinture sur verre, mobilier mais aussi imprimerie et typographie, publicité, design, photographie et architecture. Chaque intervenant doit apprendre à mêler création autonome et création industrielle de sorte que chaque partie créée soit, en harmonie avec un tout, l’édifice du maître d’œuvre. En 1923, le Bauhaus présente une exposition internationale d’architecture, sur le thème « Art et Technique, une nouvelle unité ». Une maison expérimentale est construite, prototype pouvant être réalisé à bon marché à l’aide de matériaux nouveaux et dont l’équipement est entièrement produit par les ateliers. Quinze mille personnes visitent l’exposition, témoignage du fort engouement suscité par une telle approche non seulement de l’art de construire, mais plus largement de ce que l’on appelle le design de la maison.

Couverture de livre du Bauhaus, Piet Mondrian et Théo van Doesburg, fondateurs du mouvement De Stilj

Dessin isométrique Intérieur Maison Schröder, Gerrit Rietveld, 1927

De Stilj Art, architecture, arts graphiques, mobilier relèvent de la même philosophie : une abstraction géométrique à la recherche d’une pureté esthétique.

Lors de cette exposition, sont présentés les projets du mouvement De Stilj, comme la chaise bleue et rouge de Gerrit Rietveld. Ce mouvement, fondé en Hollande à l’initiative d’architectes et d’artistes, est un forum de débats sur l’art, l’architecture et le design. Il présente des oeuvres des constructivistes russes, dadaistes et futuristes italiens, militant pour un design épuré.


En 1925, le Bauhaus se déplacera à Dessau où Gropius construit un nouveau bâtiment, des maisons avec studios pour les professeurs et pour les étudiants. Rudolf Arnheim écrit en 1929 à propos des bâtiments du Bauhaus « ...Chaque chose montre sa construction, aucun boulon n’est caché, aucune ciselure n’est dissimulée, on voit quel matériau brut a été employé. On est fortement tenté d’estimer moralement cette sincérité.»

Agrandissement de la Prellerhaus, satire de la pénurie de logements au foyer de Dessau collage de l’architecte E. Collein, 1928

Lampe de chevet M. Brandt, 1929

Chaises B32, B64 M. Breuer, 1929

Marcel Breuer (1902-1981) étudiant au Bauhaus, devient compagnon menuisier avant de travailler à Paris dans une agence d’architecture. Il introduira l’utilisation de l’acier dans la conception du mobilier avec le fauteuil B3 (dénommé Wassily en souvenir de Kandinsky). Le tube métallique offre de nombreux avantages -hygiène, élasticité- et un coût avantageux. Breuer poursuivra ses recherches sur l’utilisation du métal en porte-à-faux. L’acier est aussi largement employé dans la vaisselle, ainsi que dans les lampes de Marianne Brandt ou de Wilhem Wagenfeld. Ludwig Mies Van der Rohe (1886-1969) après avoir reçu une formation de maçon, puis travaillé dans l’agence de Peter Behrens, imagine du mobilier où l’utilisation de l’acier à travers le tube ou l’acier plat (Barcelona Chair) est prédominante. L’acier est également présent dans la conception de ses bâtiments où une ossature de poteaux, en acier, remplacent les murs porteurs. Inaugurant cette pratique structurelle, l’école du Bauhaus, conçue par Walter Gropius en utilisant l’acier, symbolise la sincérité d’une démarche constructive et le renouvellement de l’architecture.

Vue des ateliers Ecole du Bauhaus, 1925 Walter Gropius


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Le mouvement moderne De Stilj, le Bauhaus influenceront largement Mallet-Stevens, Le Corbusier ; Alvar Aalto, Mies van der Rohe, Marcel Breuer seront membres des jurys du Museum of Modern Art aux États-Unis, des concours auxquels participeront Eames et Saarinen. Voyages et échanges sont nombreux, les expositions d’architecture, les salons favorisent le partage ou la confrontation des points de vue. S’ils s’expriment différemment, de nombreux points communs rassemblent ces créateurs. Une forte ambition sociale les anime : donner au plus grand nombre un habitat digne et beau, des objets fonctionnels et beaux. « Mes meubles sont rarement, sinon jamais le résultat d’un design professionnel. Je les ai conçus pratiquement sans exception en tant qu’éléments de projets architecturaux ». Alvar Aalto considérait jusqu’à ses peintures et ses expériences dans le domaine de la sculpture comme un élément de sa méthode de travail d’architecte «...elles sont pour moi les branches d’un même arbre dont le tronc est l’architecture ».

Charlotte Perriand La Grande Misère de Paris, photomontage, Salon des arts ménagers, 1936, Ph.Studio Kagaka

Pour Charlotte Perriand, architecture et urbanisme forment un tout indissociable. Lors de ce Salon où elle expose une salle de séjour pour budget populaire, elle saisit l’occasion pour mobiliser le public sur le fait que l’urbanisme conditionne sa vie, que c’est une affaire politique au sens premier du terme,


Le design : représentation d’une époque et d’une société

Marcel Breuer dira du fauteuil Wassily, fait d’un seul tube d’acier nickelé, comme sa bicyclette, qu’il représentait la technique ellemême ainsi que l’expression du maintien d’une époque et de ses idéaux. «...C’est aujourd’hui la position décontractée du conducteur qui influence notre imaginaire. Le fauteuil à structure tubulaire métallique est, par la forme élégante de ses lignes, la meilleure enveloppe pour un corps entraîné au sport et à la gymnastique ». Comme le dira Eero Saarinen à propos de la Womb chair en revendiquant le droit de « s’affaler » dans un fauteuil, « on ne s’assoie plus de la même façon qu’à l’ère victorienne ». Charlotte Perriand réfléchit à la libération de la femme des tâches ménagères, à sa place au sein de l’espace familial et conçoit la cuisine-bar, les placards intégrés. Sa création part des gestes quotidiens, la création du logis de l’homme, non à partir de la façade, de l’extérieur, mais à partir de son geste, de son corps. Elle se définit comme architecte de l’espace habité. De la conception d’objets à l’architecture, c’est d’abord une vision humaniste et sociale qui anime toute cette période de l’avantgarde à l’entre-deux guerres. Pour ces créateurs, la conception était plus une vocation et une attitude envers la vie qu’une profession. Les mêmes idéaux d’un environnement meilleur pour tous, rendu possible par le processus industriel, animeront les architectes et designers de l’Amérique d’après-guerre. C’est la réunion des arts initiée par le mouvement Arts and Crafts, avec le concept d’oeuvre d’art totale, qui a installé le design dans les agences d’architecture du XXème siècle. Si l’architecte crée de la relation lorsqu’il élabore un projet, relation avec l’environnement, relation avec le bâti existant, relation avec ceux à qui sont destinés son ouvrage, il en est de même lorsque l’on conçoit du mobilier ou des objets. Charlotte Perriand, croquis d’étude des casiers en métal Le Corbusier-Jeanneret-Perriand, 1928-1929


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Ainsi que nous venons de le voir, ce n’est pas en Italie qu’est né le design. Mais ceux qui, nombreux, le pensent, n’ont pas tout à fait tort. En effet, de nombreux fabricants italiens prêts à la production industrielle au début du XXème siècle, ont joué le jeu et contribué à la diffusion de mobiliers et objets de designers (B&B italia, Kartell, Artemide, Zanotta, Arteluce, Arflex, Tecno, Cassina, Poggi). Maîtrisant la technique du plastique moulé par injection, les firmes italiennes ont pu et su développer le design de l’objet grâce à une étroite collaboration avec les architectes. La triennale de Milan (entre 1947 et 1957) permit à tous ceux, architectes et designers, qui s’engageaient alors dans la reconstruction d’après-guerre, de se forger une image au niveau international avec ce que l’on appelle « le bel design ». Directeur jusqu’à sa mort de la triennale d’art et d’architecture de Milan, Gio Ponti (1891-1979) fut d’abord connu comme architecte avant d’être le fameux designer de mobilier pour Fontana. Fondateur en 1928 de la fameuse revue Domus, aujourd’hui encore publiée, il y présentera notamment les travaux des Eames. Il est peut-être l’un des derniers designers dont la formation première fut l’architecture.

Les approches du design ont évolué depuis l’époque des avant-gardes. D’autres motivations, d’autres enjeux, multiples, ont été à l’oeuvre. Aujourd’hui, le design investit tous les espaces de la vie intime et sociale et recouvre la création de produits de grande consommation. D’une utopie des avant-gardes de vouloir intervenir sur l’environnement, il est passé dans un projet post-moderne à une volonté d’esthétisation des objets du quotidien : « ré-enchanter » l’objet dans une société de consommation. Il est toujours dépendant d’une façon de concevoir le monde.



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les architectes de la modernité ...1920 . 1950

Les pionniers de la modernité Le logement minimal à Paris, l’appartement minimum à Helsinki, le Case Study Program, le Low Cost Home Furniture aux États-Unis : la préoccupation de loger dignement les populations est un courant qui traverse la modernité. La révolution industrielle a entraîné de grands bouleversements sociaux, provoquant un exode rural et l’entassement insalubre des populations dans les villes. Les deux guerres mondiales viendront renforcer ces changements de vie, modifiant profondément les mentalités.

Réconcilier l’art et l’industrie Des logements petits nécessitent de repenser le mobilier. Les concepts de mobilier léger, facile à déplacer, à entretenir, empilable sont une réponse. « Créer des objets d’usage quotidien produits en série qui soient plus beaux et d’un prix accessible pour toutes les catégories de revenus ». Alvar Aalto Ce leitmotiv oblige à repenser la fabrication et à produire en série.

Lumière, fonctionnalité, hygiène, confort A la suite des bouleversements de la première Guerre mondiale, on voit, d’une part se renforcer les tendances conservatrices opposées aux changements et, d’autre part, se libérer des forces créatrices insoupçonnées. A la prospérité de la Belle Epoque succédera la crise économique. Ce fut l’époque du Bauhaus allemand, de l’Esprit nouveau français, du De Stilj hollandais. Toutes ces tendances traduisaient une prise de position par rapport au contexte social difficile et une recherche de formes nouvelles, pour un Homme nouveau en tenant compte des aspirations du corps et de l’esprit. Les conséquences de la révolution industrielle, aussi bien au niveau humain que matériel, changèrent profondément les conditions de vie des populations. De nouveaux besoins apparaissent pour une population qui croît de manière explosive. Cette crise est aussi celle d’une mentalité historiciste, la référence au passé en architecture ou en art étant vécue comme un enfermement par les pionniers du renouvellement.


Créer un langage universel : l’abstraction La recherche de formes nouvelles fut commune aux arts plastiques et à l’architecture. Le mouvement De Stilj a consciemment repris les bases de l’art même : couleur et forme, surface et ligne. En réaction à l’ornementation historiciste du XIXème siècle, un profond désir d’aller au fond des choses, à l’essentiel, de dépasser l’apparence se réalise. Composition avec rouge, jaune et bleu, 1920 huile sur toile 51,1 x 60 cm Stedeljik Museum Amsterdam

Piet Mondrian, peintre

L’utilisation de formes géométriques et de couleurs élémentaires servent la création d’un monde idéal où l’art joue un rôle précurseur. Gerrit Rietveld avec la réalisation de la chaise bleue et rouge en 19181923 et de la maison Schröder à Utrecht en 1924 concrétisera cet idéal. La maison est conçue à partir de sa fonction intérieure et des meubles. Les parois mobiles coulissantes, les lits et tables à charnières, qui peuvent être pliés, transforment l’espace intérieur à volonté. L’articulation des éléments picturaux et des éléments architecturaux est pensée conjointement. La peinture « en trois dimensions » participe à la perception de l’espace. L’enveloppe du bâtiment semble à la fois assemblée et décomposée. L’absence de façade principale est caractéristique, les trois côtés sont d’égale valeur.

Chaise bleue et rouge, 1918-1923 Maison Schröder à Utrecht, 1924 Gerrit Rietveld


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Une nouvelle conception de l’espace Le Cubisme influença profondément les mentalités. La tentative de réduire le volume à la surface, la représentation simultanée de l’objet sous plusieurs angles, impliquent une mobilité au moins virtuelle du spectateur, invité à se déplacer autour de l’objet et à abandonner un point de vue séculaire. Maison Dom-ino, 1914 Charles-Edouard Jeanneret (prendra le nom de Le Corbusier en 1920)

Conçu en réaction aux dévastations causées par la guerre dans les Flandres, ce squelette en béton armé devait permettre une reconstruction rapide, tandis que les appartements seraient installés par les habitants en fonction de leurs besoins.

Transposée au plan de l’espace architectural, cette mobilité permettra de rompre avec le système classique des ordonnances statiques -composées en axes et en symétrie- et de tenter de réintégrer dans l’architecture la totalité de l’expérience complexe du mouvement, ce que Le Corbusier nommera « la promenade architecturale ». Les nouvelles techniques de construction, en permettant le plan et les façades libres, changeront profondément le rapport intérieur/extérieur des volumes bâtis, et la distribution de l’espace intérieur.

Urbanisme, architecture et design

Poignée de porte, Sanatorium de Paimio, 1932-33

Si les Hollandais furent les pionniers du renouvellement, le même esprit animera Le Corbusier ou Walter Gropius : « Le Bauhaus se doit de servir la cause d’un nouvel habitat conforme aux exigences de notre temps, aussi bien à propos d’un simple ustensile de cuisine que de la maison elle-même ». Ce qui importe à Le Corbusier, c’est de démontrer que le champ de l’architecture s’étend du moindre objet ménager jusqu’à la ville. Alvar Aalto conçoit ses bâtiments comme une totalité, jusqu’à la poignée de porte dont il dit qu ‘elle est « la poignée de main du bâtiment ». Le fonctionnalisme ou rationalisme d’alors, s’il peut paraître radical, est animé d’intentions humanistes et poétiques. Alvar Aalto comme Charlotte Perriand conçoivent la création de meubles ou d’objets, non pas comme une fin en soi, mais comme l’expression d’un environnement global adapté à l’homme et à ses besoins, autant matériels qu’artistiques. « Le sujet, ce n’est pas l’objet, c’est l’homme » Charlotte Perriand

Tabouret empilable, pieds en L Bibliothèque de Viipuri, 1933-35 Alvar Aalto

Sans juger du dogmatisme de certains de ses théoriciens, c’est peut-être l’oubli de cette dimension fondamentale qui est une des causes de la déviance, de l’incompréhension et du rejet de la pensée moderne.



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les meubles de la modernité

Ces meubles qui sont aujourd’hui des classiques de l’époque moderne, ont été au moment où ils ont été conçus, d’avant-garde. Certains ont connu un destin populaire (tabouret d’Alvar Aalto, cuisine-bar de Charlotte Perriand...). De l’architecture aux arts graphiques, c’est un engagement artistique et humaniste total qui caractérise cette période. Art et architecture n’étaient pas séparés : Le Corbusier peignait, Charlotte Perriand travaillait avec Fernand Léger, Klee et Kandinsky enseignaient à l’école du Bauhaus. « La transformation du mur par la couleur va être un des problèmes les plus passionnants de l’architecture moderne et à venir. Mais avant d’entreprendre cette transformation murale, il fallait avant tout que la couleur soit libre ». Fernand Léger La création de meubles était un prolongement naturel d’une conception de l’espace adapté à de nouveaux besoins, de nouveaux usages, de nouvelles façons de vivre.


meubles et objets présentés

Chaise réfectoire 1930 Robert Mallet-Stevens Elle fut produite en série pour équiper le restaurant du Salon des arts ménagers qu’aménagea MalletStevens en 1935. Andrée Putman fut l’initiatrice de sa réédition en 1984. Chaise empilable en tube et tôle d’acier laqué. L/l/H 40x45x83 cm

Ecart Paris - collection privée

Chaise B3 Wassily 1925 Marcel Breuer Créé pour l’appartement de Wassily Kandinsky au Bauhaus de Dessau, ce fauteuil représente la première utilisation de l’acier dans l’ameublement domestique. La principale innovation de Breuer fut de réduire les formes de bases d’un lourd fauteuil rembourré à une ossature légère en tubes d’acier soudés. L/l/H 79x70x72cm Knoll - collection privée

Fauteuil Barcelona 1929 Mies van der Rohe Spécialement créé pour l’intérieur du Pavillon Allemand de l’Exposition universelle de Barcelone en 1929, ce mobilier comporte chauffeuse et tabouret. La structure est un chassis en acier plat chromé, l’assise est constituée de coussins de cuir capitonnés sur sangles de cuir. L/l/H 76x77x76cm Knoll - prêt Conseil Général de l’Aveyron


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Chaise longue basculante LC4 1928 Le Corbusier-Jeanneret-Perriand La Chaise longue est composée de deux éléments indépendants : la base, et le siège proprement dit, qui peut coulisser sur la base selon un réglage continu, permettant n’importe quelle inclinaison. Peau et tubes d’acier chromé, L/l/H 160x56,4x73cm Cassina - collection privée

Fauteuil LC2 1928 Le Corbusier-Jeanneret-Perriand Les fauteuils Grand Confort-petit modèle sont composés de quatre coussins indépendants contenus à l’intérieur d’une cage de tubes en acier. L/l/H 76x70x67cm - ©.Archives Ch. Perriand Cassina - prêt Conseil Général de l’Aveyron

Bibliothèque assymétrique 1958-60 bois et aluminium, L/H/P 280x71x33,5 cm - prov Mauritanie

Bahut 5 portes 1958-60 bois, métal et portes stratifiées, L/H/P275x77x46 cm - provenance de Mauritanie

Charlotte Perriand / Ateliers Jean Prouvé Courtesy Jousse Entreprise - Ph.Marc Domage


Chaise Paimio 1932 Alvar Aalto Vase Savoy 1936 Alvar Aalto La collection créée en 1936 comprenait environ dix objets, allant d’un plat peu profond jusqu’à un vase de 1 m de haut.

Verre clair ou coloré soufflé dans un moule en bois Verreries Karhula-Iittala - Cactus à Rodez

Ce fauteuil de sanatorium était conçu pour faciliter la respiration. Siège et dossier d’une seule pièce de contreplaqué cintré de bouleau, pieds-accoudoirs en hêtre stratifié. L/l/H 60x80x64cm Artek / prêt Audience et création 29 rue de Meaux Paris 19°

La chaise 1948 Ray et Charles Eames « conversation, rest & play » Créée ainsi que les Eames Plastic Armchair dans le cadre du concours Low Cost Furniture Design, elle n’a été diffusée qu’à partir de 1991. Ses formes organiques, qui invitent aussi bien à s’asseoir qu’à se coucher, sont inspirées d’une sculpture de Gaston Lachaise. Coque en fibre de verre moulée, piétement en tube d’acier chromé, croisillon de piètement en chêne naturel. L/H 1500x870cm Vitra - Cactus à Rodez

Tulip Pedestal Group 1956 Eero Saarinen Collection de table, chaise et fauteuil. Coque en fibre de verre moulée moulée,, sur un pied central pivotant en fonte d’aluminium. chaise L/l/H 47x57x71cm fauteuil 66x58x71cm

Knoll - Cactus 1 bis rue Eugène Viala Rodez

« Le dessous des sièges et des tables crée un monde confus et fatiguant. J’ai voulu supprimer cette forêt de pieds et faire du siège un tout. »


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Nous remercions vivement les collectionneurs privés, le Conseil Général de l’Aveyron, la Galerie Jousse, Audience et création, distributeur-conseil de mobilier design, à Paris, et Magali Cros, responsable de la boutique Cactus à Rodez, qui ont accepté de prêter leur mobilier.

Eames Lounge Chair & Ottoman 1956 Ray et Charles Eames La Lounge Chair se compose de trois coques de bois stratifié, reliées à des éléments en métal par des tampons en caoutchouc durci qui lui conférent son élasticité. Les coques accueillent des coussins souples et amovibles, assurant le confort d’assise. Ottoman est le tabouret assorti à la Lounge Chair. Placage palissandre, cuir vachette, aluminium poli. Lounge chair L/H 500x870cm Vitra - Cactus 1 bis rue Eugène Viala Rodez

Fauteuil à bascule 1950

Diamond Chair 1955

Ray et Charles Eames

Cette série de sièges, avec ou sans coussin, est un travail de tressage de tiges rondes en acier poli, passé dans un bain de chrome. L/l/H 96x87x86cm Knoll - collection privée

Eames Plastic Armc Armchair hair : cette série de sièges à divers piétements a été créée dans le cadre du concours Low Cost Furniture Design organisé par le Musée d’Art Moderne de New York. Il s’agit des premiers sièges en plastique renforcé de fibres de verre, produits en série. L/l/H 62,5x69x67cm Knoll - Cactus 1 bis rue Eugène Viala Rodez

Harry Bertoia

« Ces chaises sont des études sur l’espace, les formes, le métal...Si vous les regardez, elles sont faites principalement d’air, comme des sculptures légères. L’espace les traverse. »



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l’exposition

En écho aux meubles présentés, nous vous proposons une « promenade architecturale » à travers les réalisations de :

Robert Mallet-Stevens l’Union des Artistes Modernes Mies van der Rohe . Marcel Breuer l’art de construire, le Bauhaus Le Corbusier . Jeanneret . Perriand l’Esprit Nouveau Alvar et Aino Aalto Habiter plus beau Eero Saarinen . Charles et Ray Eames . Harry Bertoia Organic design, Case Study House


Robert Mallet Stevens

L’Union des Artistes Modernes Très proche du mouvement « De Stilj », Robert Mallet-Stevens (1886-1945) est le fondateur de l’Union des Artistes Modernes en 1929 dont fera partie Charlotte Perriand, entre autres ... Le manifeste de l’U.A.M. appelle l’artiste à la « création de formes heureuses réalisées en série ». « L’idée d’une œuvre globale guidera aussi bien la conception architecturale et urbaine que celle des espaces intérieurs et du mobilier. Cette conception d’ensemble incarne une image emblématique de la modernité ». Une oeuvre globale Théo van Doesburg, fondateur avec Piet Mondrian de la revue « De Stilj », signe le plafond de verre de la Villa Noailles en 1925. Villégiature de Charles et Marie-Laure de Noailles, et de nombreux artistes dont ils furent les mécènes, cette villa labyrinthe ménage une surprise après l’autre et bénéficie d’équipements liés au confort domestique. Le vicomte de Noailles la voulait simple, fonctionnelle et sans ostentation. Dans cette démarche d’amélioration de la vie moderne, la chaise réfectoire de 1930 donne forme à une fonctionnalité nouvelle dans l’histoire du mobilier, à savoir la rationalisation de l’empilement. Le siège était en bois laqué, tissu ou cuir, le dossier en lames de métal.

Villa Noailles, Hyères, 1925 état en 2000

Chaise « Modèle n°9 » dessin signé R. Mallet Stevens, non daté

Villa Noailles, Hyères, 1925 état en 2000


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Robert Mallet-Stevens, Ph. Thérèse Bonney

Art cinématographique De 1920 à 1928, Mallet-Stevens réalise de nombreux décors de cinéma. Cette activité lui permet d’appréhender une nouvelle conception de l’espace et de sa perception, des volumes et de leur éclairage. Son nom est associé à « L’inhumaine », de Marcel Lherbier et aux « Mystères du château du Dé » de Man Ray, qui a pour cadre la villa Noailles à Hyères.

La rue Mallet Stevens 1926-1934 Ce lotissement de maisons et d’hôtels particuliers est envisagé comme une sculpture cubiste à grande échelle qui porte les attributs d’un « Construire nouveau » : surfaces lisses, toit plat, absence de corniches, éléments en porte-à-faux. Mallet-Stevens revendique l’emploi du béton armé pour les grandes portées qu’il autorise. Les terrasses remplacent les jardins urbains de rez-de-chaussée. « L’air, le soleil, la lumière. Bâtir, c’est distribuer largement ces trois facteurs. Et ce sera la gloire du béton armé d’avoir autorisé des formes de maisons telles, que l’air, le soleil, la lumière y pénètreront à profusion ».

La maison de l’Ingénieur décor de « L’inhumaine », 1923

Porte d’entrée, Jean Prouvé, rue Mallet-Stevens, Paris, 1927 état en 2006

Hôtel Allatini rue Mallet-Stevens, Paris, 1927, Ph. Marc Vaux


Marcel Breuer . Mies van der Rohe

L’art de construire

Le Bauhaus, l’art de construire : cette école, fondée en 1919 par Walter Gropius en Allemagne, fut le creuset de l’architecture moderne. Dissous en 1933, ce mouvement a été porteur d’une nouvelle façon d’envisager le rôle social de l’art dans la société. Maison de Walter Gropius, Dessau, 1925

L’enseignement, révolutionnaire, est basé sur une pratique commune des arts et des enseignements techniques. Des artistes d’avant-garde, tels que Paul Klee ou Wassily Kandinsky, voyaient là, une chance de faire à nouveau de l’art, une partie naturelle de la vie quotidienne par leur enseignement.

A Dessau, en 1925, Walter Gropius dessine les bâtiments de l’école et les logements pour les étudiants et pour les maîtres. Il met en application le manifeste du Bauhaus : une architecture en accord avec son temps.

Etudiante du Bauhaus avec masque de Schlemmer Dessau, cliché Erich Consemüller, 1927

Salon de Moholy-Nagy ameublement et fauteuil n°B3 « Wassily », Marcel Breuer, 1925

Marcel Breuer (1902-1981) conçoit l’ameublement intérieur de ces maisons dont le fauteuil n°B3 dénommé plus tard fauteuil « Wassily ». Ce fauteuil représente une des premières utilisations de l‘acier dans l’ameublement domestique. Il incarne l’idéal économique et esthétique du Bauhaus et préfigure l’emploi du porte-à-faux pour le mobilier.


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Ludwig Mies van der Rohe

Le Manifeste du Bauhaus : Les artistes et les artisans doivent s’associer pour ériger ensemble la « construction de l’avenir ». Construire devient une activité sociale, intellectuelle et symbolique. Un maître de la forme et un maître-artisan doivent former simultanément les élèves, « ... ainsi l’orgueilleux mur entre artistes et artisans tombera. La nouvelle construction pourra alors être créée. » Walter Gropius voulait éduquer les jeunes gens à agir pédagogiquement sur la société. On voulait projeter, tracer et construire pour « le nouvel être » sur les ruines de l’empire, à travers de simples commandes de meubles, ustensiles, tapis ou décoration intérieure, jusqu’à la maison.

Marcel Breuer

Ludwig Mies van der Rohe (1888-1969) dirige en 1927 la planification de la Cité Weissenhof à Stuttgart à laquelle participèrent presque tous les architectes modernes et qui fut une démonstration de construction et d’habitat nouveaux. Directeur du Bauhaus en 1930, il construit en 1929 le Pavillon Allemand pour l’Exposition universelle qui a lieu à Barcelone. La Chaise Barcelona est conçue à cette occasion. Ce pavillon de représentation est un manifeste du mouvement moderne de l’architecture des années vingt. Le dépouillement et la pureté des espaces illustrent l’intégrité de la démarche constructive de Mies van der Rohe : « Less is more »

Pavillon Allemand - Bassin et vue intérieure Exposition universelle, Barcelone,1929 état en 2005

Barcelona chair et tabouret 1929 Ludwig Mies van der Rohe


Le Corbusier . Jeanneret Jeanneret . Perriand

L’esprit nouveau Le CORBUSIER (1887-1965) se veut un artiste complet : peintre, éditeur, théoricien, urbaniste, architecte, son ambition et son utopie étaient de réconcilier l’art et l’industrie. De la création de meubles à la conception de la nouvelle capitale du Pendjab en Inde, Chandigarh, il ne cessera de rechercher la meilleure façon d’habiter des temps nouveaux. Paradoxalement, le discrédit du mouvement moderne est, pour la plus grande part, dû aux immeubles de « style Le Corbusier » et à ses théories radicales. Les questions qu’il posait n’en restent pas moins d’actualité. les C.I.A.M. 1928-1958 Congrès Internationaux d’Architecture Moderne.

Les C.I.A.M. défendent une nouvelle forme de vie. Ils sont un lieu de débats et d’échanges entre architectes, artistes, critiques d’art et hommes politiques pour ouvrir, au-delà des frontières, une réflexion sur l’architecture et l’urbanisme. Chaque congrés traite d’un thème. De celui de 1933, sont nés les principes de la charte d’Athènes - habiter, cultiver le corps et l’esprit, travailler, circuler, conserver le patrimoine historique-.

Le Modulor « ...sa valeur en est ceci : le corps humain choisi comme support admissible des nombres... voilà la proportion ! la proportion qui met de l’ordre dans nos rapports avec l’alentour...» d’après Le Modulor système basé sur la mesure du corps humain 1 m 83 debout, 2 m 26 le bras levé

Le Corbusier Le Poème de l’Angle droit,1955

Maison La Roche Paris, 1923 Fondation Le Corbusier depuis 1968


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Vers une architecture Le béton armé a permis de distinguer les deux fonctions assurées de tous temps par le mur : porter planchers et toitures, clore le volume bâti. L’unité de base du système Dom-ino, ( formé de Domus et Innovation) est composée de trois dalles, six poteaux et d’un escalier. Afin de libérer la façade, les poteaux sont situés en retrait. Le Corbusier ne cessera plus d’utiliser l’ossature de béton armé poteaux-dalles.

Les cinq points d’une architecture nouvelle seront issus de ce système : . les pilotis pour libérer le sol . le toit-terrasse pour un espace utile . le système poteaux-dalles pour un plan libre et . une façade libre . la fenêtre en bandeau pour plus de lumière.

Villa Church, Ville d’Avray, vue intérieure, 1927 Chaise longue basculante, Fauteuil Grand Confort Fauteuil dossier basculant, 1928 Le Corbusier-Jeanneret-Perriand

Charlotte Perriand, perspective au pochoir de la salle à manger de l’appartement-atelier de la place Saint-Sulpice, 1927

Le purisme Dans son concept de « machine à habiter », les meubles fonctionnels deviennent des « équipements de l’habitation ». Le Corbusier dessine un mobilier en acier tubulaire, en collaboration avec Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand. Apparus en 1928, ces meubles expriment une nouvelle pureté esthétique et personnifient le Style International. Villa Stein de Monzie, Garches, 1926


Le programme de l’Esprit Nouveau : des casiers, des chaises, des tables. Il s’agissait de désencombrer l’espace intérieur de toutes armoires, buffets, consoles... au profit du strict minimum (tables, chaises, fauteuils), et se focaliser sur des casiers de rangement, incorporés à l’architecture en servant de partition sur des espaces ouverts.

Charlotte Perriand (1903-1999) associée dès 1927 à Le Corbusier et Pierre Jeanneret, est responsable du programme d’équipement de la maison. Sa création part des gestes pratiques, du mouvement du corps dans un espace utilitaire qu’elle étudie avec soin, au quotidien. Elle ne distingue pas son travail d’un engagement social à la recherche d’un habitat pour le plus grand nombre et de la libération des tâches ménagères pour la femme. L’invention de la cuisine intégrée, placée au centre de la vie commune, permet à la fois de rationaliser l’espace et de partager la vie familiale. La cité radieuse Dans les Unités d’Habitation se retrouvent, au niveau collectif, tous les équipements nécessaires à la vie quotidienne, dans l’esprit d’une mise en pratique de la charte d’Athènes : commerces, crêche, école, salle de sports, laveries sont à la disposition des habitants. Le toit-terrasse accueille, outre les équipements, des manifestations festives.

Couverture de L’Esprit Nouveau n°15, février 1922 Revue fondée par Le Corbusier, et Amédée Ozenfant en 1919

Unité d’Habitation, Marseille, 1945 Salle commune et loggia, Toit terrasse, Inauguration

Unité d’Habitation, Marseille, 1945 Salle commune, Cuisine et meubles au premier plan de Ch.Perriand Table et chaises de l’espace repas de Jean Prouvé


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Fernand Léger, Charlotte Perriand, Le Corbusier, Albert Jeanneret, Pierre Jeanneret, un inconnu C.I.A.M. Athènes, 1933

Bibliothèque à plots, 1952 Maison de la Tunisie, Charlotte Perriand Ateliers Jean Prouvé, Jean Chetaille ébéniste © Marie Clérin/galerieDOWNTOWNfrançoislaffanour.

Un espace fluide et modulable La libération du sol avec le système poteaux-dalles autorise un espace fluide et modulable. Les plots métalliques en « U » de hauteur variable sont réutilisés et placés en alternance sur chaque flanc de la bibliothèque. Comme ses deux côtés sont utilisables, Charlotte Perriand l’utilise comme un élément séparateur. Ces plots en tôle pliée standardisés permettent des réalisations très diverses. « En partant de ces éléments, je pouvais librement composer des murs entiers, ou des combinaisons partielles, voire des meubles ». Charlotte Perriand, Une vie de création

Une promenade architecturale Le Corbusier édifie en 1923-1924 une maison pour ses parents sur les bords du lac Léman. Cette construction de dimensions modestes - pour deux personnes sans domestique constitue un jalon dans sa réflexion sur l’espace domestique et le paysage. « L’oeil du spectateur se meut dans un site et voit, en se mouvant, naître l’architecture ... ». Le Corbusier, Une petite maison

Le plan n’est pas une donnée abstraite mais le scénario d’une promenade architecturale.

Villla le Lac, Corseaux, Suisse, 1923 Plan extrait de Une petite maison,1954

L’espace est fluide, le paysage est mis en valeur par la longue fenêtre de 11 m. Dans le jardin, il est encadré par une baie qui s’ouvre dans le mur d’enceinte.


Alvar et Aino Aalto

Habiter plus beau Dès la fin des années 20, alors que le rationalisme moderniste de Walter Gropius, Le Corbusier, Marcel Breuer, se développe, Alvar Aalto (1898-1976) architecte finlandais, propose une vision plus proche de la nature et de l’humain. Le travail du bois et des formes organiques feront sa renommée internationale. Dès 1927, Alvar Aalto et son épouse Aino Marsio mènent en collaboration avec Otto Korhonen, directeur d’une usine de mobilier en bois, des expérimentations sur le contreplaqué collé et courbé, matériau favori d’Aalto, délaissant le métal, élu des modernistes, trop froid selon lui.

Alvar Alto

Alvar et Aino Aalto

Pavillon Finlandais Exposition universelle New York, 1939

Vase Savoy En 1936, Aalto remporte le concours de création d’une pièce novatrice pour le stand finnois de l’Exposition internationale de Paris. Les courbes du vase Savoy sont inspirées des jambières de cuir des femmes esquimaudes. Ces formes ondoyantes sont une signature d’Aalto que l’on retrouve sur les murs du Pavillon Finlandais de l’Exposition universelle de New York en 1939.

Eskimoerindens skinnbuxa, dessins Alvar Aalto, concours de design des verreries Karhula-Iittala, 1936

Service Bölgeblick Aino Aalto 1932 Ces verres, avec lesquels Aino Aalto gagne le second prix du concours organisé par les verreries Karhula-Iittala en 1932, marquent le début du verre domestique moderne en Finlande. Adaptés à la fabrication mécanique -verre presséils sont robustes et leurs motifs simples en anneaux cachent de possibles défauts de fabrication tout en rythmant agréablement la surface. A l’origine, ces verres faisaient partie d’un service de plats, bols et carafes. Ils ont connu un grand succès populaire et ce, depuis les années trente jusqu’à nos jours.


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Sanatorium de Paimio, 1929-1933

Matériau, forme et usage L’une des contributions majeures d’Aalto à la conception du mobilier est sa résolution de l’articulation des éléments verticaux et horizontaux. La solution du cintrage du bois permet de fixer les pieds à l’assise du fauteuil sans recours à un chassis ou à une structure porteuse surajoutée.

Un fonctionalisme humaniste Construit entre 1929 et 1933, le sanatorium de Paimio fut l’occasion pour Alvar Aalto de dessiner un environnement global, conçu du point de vue des patients et du personnel. Il réalise la conception intégrée du bâtiment entier et de ses intérieurs non seulement les meubles mais aussi l’éclairage, les lavabos, rayonnages et poignées de porte. « Un sanatorium doit dégager une atmosphère qui favorise la guérison et la convalescence ».

Fauteuil Paimio 1932 Tout en lignes et en volumes fluides, ce fauteuil témoigne de l’évolution du langage formel d’Aalto vers la forme courbe, également présente dans le toit de la terrasse du sanatorium. Le bois contreplaqué réunit des qualités sensorielles, et pragmatiques de légèreté et d’hygiène. Composé d’une assise en S, en contreplaqué moulé, d’un cadre en patin de traîneau, ce fauteuil révolutionnaire dans sa forme, est conçu pour offrir au patient une position idéale pour respirer et profiter au maximum des rayons du soleil durant sa cure.

Balcons-solarium, Paimio

La structure de ce fauteuil est révolutionnaire car elle est la première à atteindre les mêmes qualités de solidité et de flexibilité que les structures en porte-àfaux métalliques, chères aux contemporains modernistes d’Aalto.


Bibliothèque de Viipuri Cette bibliothèque municipale, aujourd’hui située en Russie, fut élevée selon les plans d’Aalto entre 1933 et 1935. Durant cette période, il continue à développer son mobilier, notamment en inventant le pied en L. En résultent des meubles simples, solides et économiques, parfaitement adaptés aux lieux publics. L’ondulation du plafond de la salle de conférences se développe afin de permettre la bonne écoute du conférencier mais aussi l’écoute de quiconque dans la salle. Aalto offre ainsi un espace symboliquement ouvert au débat.

La lumière Les conditions de luminosité du climat finlandais font de l’éclairage électrique un élément intrinsèque de l’intérieur, de sa fonctionnalité et de son ambiance, à la fois source de lumière définissant l’utilisation et la perception de l’espace, et élément sculptural une fois éteint. Dans la salle de lecture, les lampes sont placées pour distribuer la lumière artificielle selon le même principe que la lumière naturelle venant des tabatières.

Salle de conférences, plafond acoustique, lattes de pin de Carélie Plafond de la Salle de lecture Façade intérieure, vue de l’escalier du hall d’entrée Bibliothèque de Viipuri, 1933-1935

Tabouret à trois pieds en L 1933 Posé sur des pieds en bouleau massif renforcés par des lamelles collées au niveau de la courbure, ce tabouret empilable est un bestseller absolu. Le procédé de cintrage du bois permet d’éviter une menuiserie compliquée. Le pied en L a donné naissance à une large gamme de chaises et de tables. Les tables rondes de consultation étaient également basées sur le pied en L , elles ont été largement adoptées à partir des années quarante en tant que tables de cuisine. Par l’intermédiaire d’Artek, société de distribution et de création, fondée par le couple Aalto, lampes et meubles sortirent du contexte pour lequel ils avaient été dessinés et ont été diffusés à grande échelle. Les nombreuses copies dont ils font l’objet témoignent de leur succés populaire.


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Le sens du lieu Construit sur deux niveaux autour d’un jardin central, sur l’ile de Säynätsalo, 3000 habitants, l’Hôtel de ville comprend des équipements publics, mairie, bibliothèque, mais également des boutiques et des logements. La répartition des équipements est clairement hiérarchisée. La position et l’échelle respective de chaque partie produisent à la fois une sensation de diversité et d’harmonie. Inspiré par les villes toscanes, Sienne, San Gimignano, Aalto a voulu « créer un lieu public pour la communauté, un lieu capable de la rassembler tant physiquement que symboliquement ».

Les fauteuils de la salle du Conseil constituent une variante particulière du fauteuil n°45 à la structure plus lourde et revêtus de cuir. Aalto dessina de nombreuses poignées de portes pour ses bâtiments, aussi bien pour les portes d’entrée que pour les simples portes de service. Selon lui, elles représentent « la poignée de main du bâtiment », et devaient être faites de matériaux chaleureux, tels que le bois, le cuivre ou le cuir. La brique rouge, d’ordinaire réservée aux bâtiments industriels, est ici traitée en tant que surface richement texturée et colorée que vient animer la lumière, à travers la forêt de pins.

Salle du Conseil municipal Hôtel de ville de Säynätsalo 1949-1952

Poignées de porte Hôtel de ville de Säynätsalo 1949-1952

Hôtel de ville de Säynätsalo 1949-1952 - Ph. Simo Rista


Charles et Ray Eames . Eero Saarinen

Organic design

Après guerre, la reconversion d’une industrie de guerre se met au service de l’architecture et du design. La crise du logement de l’après-guerre implique de chercher des solutions pour des maisons familiales produites industriellement, à bas prix. Le programme des Case Study Houses participe de cette préoccupation. Les mêmes procédés industriels seront reconvertis dans la création de meubles au design organique, en réaction à la rigidité moderniste du Bauhaus dont les principaux protagonistes ont émigré aux Etats-Unis. Eero Saarinen (1910-1961), Charles Eames (1907-1978) et Ray Eames, (1912-1988), Harry Bertoia (1915-1978), Florence Schust Knoll collaborèrent sur de nombreux projets. Dès 1940, Saarinen et Eames remportent le concours « Organic Design in Home Furnishing » en proposant des meubles qui épousent les formes, composés d’une coque de bois contreplaqué, recouverte de caoutchouc mousse. La Womb Chair de Saarinen, produite après-guerre reprend ce principe, offrant au corps une palette de façons informelles de l’occuper. Des meubles accessibles à tous Les plastiques issus de technologies développées pendant la guerre vont permettre de fabriquer en grande série un mobilier moulé compact pour un prix accessible à l’Américain moyen. Ce modèle de siège-coque inspirera de nombreuses adaptations, dans les lieux publics notamment.

Womb Chair (Chaise matrice) Eero Saarinen, 1947-48

« Les gens ne s’assoient pas de la même façon aujourd’hui que pendant l’ère victorienne »

Eames Plastic Armchair Sièges à coque de polyester renforcé de fibres de verre, divers piétements au choix Charles et Ray Eames 1950-1953


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Case Study House

Case Study House : une version moderne de la maison familiale. En 1935, Saarinen et Eames participent ensemble au programme des Case Study House lancé par John Entenza, producteur éclairé de la revue « Arts & Architecture ». Une vingtaine de maisons seront construites à Pacific Palisades en Californie par différents architectes. La CSH n° 8 sera la propre maison et studio de travail du couple Eames. Sa voisine, la CSH n°9, celle de John Entenza. La structure métallique de la CSH n° 8 détermine son expression architecturale, la composition des verres de couleur par Ray Eames apporte une lumière particulière. Adossée à un repli du terrain, elle surplombe l’océan. Bien que différente, l’une est verticale, l’autre horizontale, la CSH n°9 est construite sur le même système structurel, avec les mêmes matériaux industriels. Un mur de verre de 11 m ouvre sur la prairie et l’océan, servant le mode de vie californien largement ouvert sur l’extérieur.

Case Study House n° 9, Charles et Ray Eames et Eero Saarinen, 1935 Ph. Julius Shulman

Case Study House n° 8, Charles et Ray Eames et Eero Saarinen, 1935 Ph. Julius Shulman


Eero Saarinen . Charles et Ray Eames . Harry Bertoia

Des formes organiques 1956 : Eero Saarinen crée la Tulip chair . « J’ai voulu créer une chaise d’une pièce » La coque en fibre de verre moulée pivote sur un pied unique en aluminium. Elle répond toujours aux exigences qui ont présidé à sa conception : confortable pour toutes les corpulences, réalisée avec des matériaux modernes et destinée à être fabriquée en série, être suffisamment neutre pour s’adapter à des environnements variés, libérer l’espace de l’encombrement des pieds. Tulip Chair, Pedestal Group Eero Saarinen,1956 publicité Knoll & associates

TWA New York, dessin et vue intérieure, Eero Saarinen, 1956-62

Cette forme organique se retrouve dans l’architecture du terminal de la Trans World Airlines à New York, 1956-62. Cette allégorie du vol en béton armé, en forme de coquille, est destinée à initier le passager d’après guerre à l’euphorie du voyage aérien. Figer le mouvement dans le béton ; colonnes, voûtes, auvents, fusionnent en un élément unique pour abriter tous les besoins fonctionnels nécessaires.


55 Ray et Charles Eames sous des piétements métalliques de chaise devant leur agence 1947

la Lounge Chair and Ottoman de Ray et Charles Eames éditée en 1956, est l’aboutissement d’une série de recherches débutées en 1940. Comme le dit Eames, il voulait un fauteuil qui offre « la chaleur et l’allure conviviale d’un vieux gant de base-ball bien patiné ». Ce fauteuil de repos cuir et bois est l’emblème du confort absolu allié à des matériaux de grande qualité.

Lounge Chair and Ottoman, Ray et Charles Eames, 1956

Assymétric Chair, Harry Bertoia, 1952

Une chaise sculpture Harry Bertoia, sculpteur d’œuvres en filigrane de treillis métallique, appliqua au design de ses sièges son savoir-faire de sculpteur : « Les chaises doivent bien tout d’abord correspondre à des impératifs fonctionnels, cependant réflexion faite, ce sont aussi des études de lignes et de métal dans l’espace » Bertoia interviendra dans plusieurs projets de Eero Saarinen : sculpture ‘retable’ dans la chapelle du Michiggan Institute Technology, et ‘screen’ écran au siège de la Général Motors. 1952 : L’ Assymétric chair, comme la Diamond Chair font partie d’une série de sièges qui, comme le dit Bertoia « se composent en grande partie d’air et sont traversés par l’espace ». Après quelques essais de production à la machine, on réalisa que ces sièges étaient plus faciles à fabriquer à la main.



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Design aujourd’hui

Le design industriel, fort contesté durant les années soixante pour n’être qu’un alibi destiné avant tout à faire vendre un produit, a généré des mouvement anti-design au début des années quatre-vingt (Studio Alchimia, Groupe Memphis). Les détracteurs du « design à outrance », dénonçant les contraintes productivistes, reviennent alors à une pratique qui emprunte aux recherches avant-gardistes des créateurs du début du siècle, considérant l’objet dans sa valeur émotionnelle, à la conquête d’une nouvelle liberté d’expression. Le design ne remplit plus le rôle pour lequel il est né au XIXème siècle. S’il était la concrétisation d’un projet -à travers la diffusion d’objets manufacturés- pour rendre l’art accessible à tous, restituer beauté et fonctionnalité à ce qui était auparavant seulement utile, aujourd’hui la création d’objets répond d’abord à un cahier des charges souvent lourd, issu en premier lieu d’une réflexion plus marketing que sociologique. Au carrefour de contraintes techniques, commerciales et culturelles, le designer du XXIème est le plus souvent intégré à l’entreprise et son rôle est de répondre à toutes ces données. Etudes marketing, processus de fabrication, normes techniques, intégration des nouvelles technologies sont les outils du designer là où, il y a à peine un siècle, l’art jouait un rôle prépondérant. Le design contemporain nous offre pourtant deux visages, l’un mettant en avant l’objet standardisé conçu pour une production en série (Ikea), l’autre plus proche d’une production artisanale concevant des objets rares, avec une approche affective ou expérimentale plus forte. Des lignes, des courbes mais aussi le jeu de la lumière ou de l’ombre. La perspective se dévoile et la couleur envahit les formes. L’objet n’a de sens que dès lors qu’il se pose comme une évidence pour la fonction qu’il remplit mais aussi pour le regard, pour les sens qu’il met en relation.


Nous sommes entourés de multiples et divers objets sans utilité. Certains aussi sans âme. Ils ne servent à rien. Ils ne concourent ni à rendre plus agréable notre cadre de vie, ni à nous faciliter l’existence. Ils emplissent nos placards, nos armoires. Finissent dans nos décharges. D’autres, bien au contraire, s’imposent à nous, et peuplent notre intérieur, habitent notre environnement. Ces derniers portent souvent la signature d’un designer. De nombreux objets de design sont devenus de vrais objets de culte, se trouvant transformés en objets-images chargés de significations, porteurs de messages, signes de ralliement pour les membres d’une catégorie. Dans nos civilisations où la consommation est un maître mot, le design pourrait permettre une consommation mesurée offrant aux objets qui nous sont utiles une apparence et une fonctionnalité nouvelle. Quant à savoir si la forme et la fonction suffisent, il nous semble qu’un certain plaisir, de l’ordre du jeu de construction, concourt autant à la naissance de ces objets. Et ce jeu, s’il sert aussi l’homme en améliorant son cadre de vie, en prenant en compte l’environnement -dans l’utilisation raisonnée de matériaux mais aussi en terme de recyclage-, en offrant au plus grand nombre du beau et de l’utile est un challenge pour les designers du XXIème siècle. Ce qui permettra peut-être de passer d’une société de consommation à une société d’usage où l’objet conçu servira l’individu au lieu d’être son maître.


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L’architecture est un art. Depuis le XXème siècle, l’art de construire, comme la peinture, revendique le droit de voir les choses de façon nouvelle. Quand les architectes prennent leur mission au sérieux, la fonction, l’usage doivent être pris au sérieux. L’architecture doit être pensée pour les gens. Les gens sont disposés à accepter une nouvelle forme quand ils comprennent la relation entre la forme et le contenu.

Peter Zumthor Architecte entretien arte



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Table

prologue 7 Sylvie Lacaze-Masmonteil

les racines du design 9 Sylvie Lacaze-Masmonteil Sylvie Cure

les architectes de la modernité 29 Sylvie Cure

les meubles de la modernité 33 Sylvie Cure

l’exposition 39 Sylvie Cure

Robert Mallet-Stevens l’Union des Artistes Modernes Mies van der Rohe . Marcel Breuer l’art de construire, le Bauhaus Le Corbusier . Jeanneret . Perriand l’Esprit Nouveau Alvar et Aino Aalto Habiter plus beau Eero Saarinen . Charles et Ray Eames . Harry Bertoia Organic design, Case Study House design aujourd’hui 57 Sylvie Lacaze-Masmonteil

Sources bibliographiques et filmographiques 62 Crédits photographiques 63 Postface 64 Dominique Jacomet

Remerciements 65


Sources bibliographiques

Alvar Aalto, Louna Lahti Adolf Loos, August Sarnitz Eames, Gloria Koenig Le Corbusier, Jean-Louis Cohen Gropius, Gilbert Lupfer, Paul Sigel Eero Saarinen, PierLuigi Serraino Frank Lloyd Wright, Bruce Brooks Pfeiffer collection Basic Art Series / éditions Taschen - 2003/2005 Le design du meuble au XX°siècle Sembach-Leuthäser-Gössel / éditions Taschen -1989 Karl Bloosfeldt Photographies Bibliothèque visuelle, 1991 Le Bauhaus 1919-1933 Magdalena Droste / éditions Taschen - 1990 De Stilj 1917-1931 Carsten-Peter Warncke / éditions Taschen - 1991 Robert Mallet-Stevens L’oeuvre complète Centre Pompidou - 2005 La villa Noailles, photographies Jacqueline Salmon et Bernard Plossu textes François Carrassan et Jean Louis Schefer / l’yeuse - 2003 Un art d’habiter, Charlotte Perriand Jacques Barsac / éditions Norma - 2005 Charlotte Perriand, Fernand Léger, une connivence reconnaître RMN - 1999 Une vie de création Charlotte Perriand / éditions Odile Jacob - 1998 Le Corbusier, un architecte et ses livres Catherine de Smet / éditions Lars Müller - 2005 Le Corbusier, l’architecture pour émouvoir Jean Jenger / éditions Découvertes Gallimard - 1993 Le Corbusier Maurice Besset / Skira - 1987 La Fondation Le Corbusier Connaissance des Arts - hors-série 2005 Une petite maison Le Corbusier / Birkhaüser publishers for architecture - 1955 Alvar Aalto R.Weston / Phaïdon - 1996 Alvar Aalto designer éditions Gallimard - 2003 Alvar Aalto Rainier Hoddé / éditions Hazan - 1998 Promenade contemporaine dans les Case Study Houses Ethel Buisson et Thomas Billard les éditions de l’imprimeur, collection tranches de ville - 2004 Le système des objets Jean Baudrillard Histoire de l’architecture contemporaine Manfredo Taduri et Francesco DalCo Petite philosophie du design Wilhem Flusser Design industriel John Heskett Pionniers du design moderne de W. Morris à W.Gropius Design du XX°siècle Charlotte et Peter Fiell Eames Brigitte Fitoussi

et Filmographiques « les films d’ici » collection architectures - 4 volumes / arte video Charlotte Perriand, « Créer l’habitat au XX° siècle » Jacques Barsac / CNC - 1985


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Crédits photographiques

Archives Charlotte Perriand © AChP/Adagp, Paris 2006 La ménagère et son foyer ; La Grande Misère de Paris ; Croquis d’étude des casiers en métal ; Fauteuil Grand Confort ; Perspective de la salle à manger place St Sulpice ;

Charlotte Perriand ©Adagp, Paris 2006

Bibliothèque assymétrique et bahut à 5 portes © Marc Domage/Jousse entreprise Bibliothèque à plots © Marie Clérin/galerieDOWNTOWNfrançoislaffanour.

Archives Fondation Le Corbusier © F.L.C./Adagp, Paris 2006 Maison Dom-ino ; Paris : Maison La Roche 1923, L2(12)47 ; Ville d’Avray : villa Church 1927, L3(7)97 ; Ville d’Avray : villa Church 1927, L3(7)109 ; Garches : villa Stein de Monzie 1926 L1(10)13 ; Corseaux : villa «Le Lac» 1923, L3(17)59 ; Corseaux : villa «Le Lac» 1923, L3(17)109 ; Extrait de «Une petite Maison» p.13 1954 ; Extrait de «Le Poème de l’Angle droit» p.55 1955 Revue «L’Esprit Nouveau» n°15, Février 1922 - Couverture Marseille : Unité d’habitation 1945 ; Marseille : Unité d’habitation 1945, Inauguration, L1(16)84 et L1(15)25 ; Fernand Léger, Charlotte Perriand, Le Corbusier, Albert Jeanneret et Pierre Jeanneret CIAM Athènes 1933, L4(7)10.

Le Corbusier-Jeanneret-Perriand © Adagp, Paris 2006

Chaise longue basculante et Fauteuil Grand Confort-petit modèle

Robert Mallet-Stevens © Robert Mallet-Stevens/Adagp, Paris 2006 Chaise réfectoire Robert Mallet-Stevens, La Villa Noailles, Hôtel Martel porte d’entrée, photographies C.A.U.E. de l’Aveyron Chaise « Modèle n°9 », mine de plomb et gouache sur papier, 27 x 21, signé Robert Mallet-Stevens, non daté, Centre Pompidou, Mnam-Cci La maison de l’Ingénieur, décor de l’Inhumaine de Marcel Lherbier, collection Jean-Louis Cohen Portrait de Robert Mallet-Stevens, Ministère de la Culture, Médiathèque de l’architecture et du patrimoine © MONUM,Th. Bonney photographe - côte BNN01624 Hôtel Allatini, 1927, photographie Marc Vaux, tirage original, 17,2 X 23,1 cm, Paris, Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky fonds Mallet Stevens, don M.-J.Videlier Martel.

Ludwig Mies van der Rohe © Ludwig Mies van der Rohe/Adagp, Paris 2006 Fauteuil Barcelona ; Pavillon Allemand, Barcelone, photographies C.A.U.E. de l’Aveyron.

Bauhaus-Archiv-Berlin Meisterhaus (Maison de Walter Gropius) Salon de Moholy-Nagy, Etudiante avec masque de Schlemmer, Agrandissement de la Prellerhaus.

Museum of Finnish Architecture - Helsinki Aalto Paimio Sanatorium.

Alvar Aalto Museum - Photo Collection - Jyväskylä 1-036 Eva and Pertti Ingervo, 68-008-022 Ezra Stoller, dv 31 Martti Kapanen, dv 329 Maija Holma, dv 27 Martti Kapanen, 43-004-055 Aino or Alvar Aalto, 43-004-112 Gustaf Welin, av 804 Martti Kapanen, av 3056 Martti Kapanen, L-leg stools Artek Collection,Viipuri Library roof. Maija Holma, The drawings of Eskimonaisen nahkahousut. © Fondation Pro Design Hackman, Musée du verre d’Iittala - Helsinki.

Yale University - Manuscripts & Archives - New Haven Eero sitting in Womb chair 7188 ; Knoll pedestal chair advertissement 030805 ; TWA sketches 070704s-21 ; TWA terminal interior 070704s-19.

The Getty Research Institute - Los Angeles Eames house, case study house 8, exterior, 2004 R1, © Photographie Julius Shulman Entenza house, case study house 9, interior, © Photographie Julius Shulman.

Cassina - Knoll - Vitra - Artek - Iittala Meubles et objets présentés


Postface

Architecture et design – 1850.1920.1950, réalisé à l’occasion de l’exposition DESIDERATA DESIGN organisée par la Mission départementale de la culture à la galerie Sainte-Catherine à Rodez, du 8 juillet au 17 septembre 2006, a été l’occasion de mettre en œuvre le premier volume de la collection « le rayon vert ». Par essence éphémeres, les expositions ne laissent des traces que dans nos souvenirs, et seuls les catalogues permettent d’en constituer la mémoire. Il nous a donc semblé opportun d’imaginer cette collection avec pour objectif de traverser les différents champs d’action du Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement de l’Aveyron : conseiller, accompagner et informer. Son titre est un clin d’œil aux collections de nos livres d’enfants à travers l’ouvrage de Jules Verne. Il s’agit donc d’une invitation à l’exploration. « Le rayon vert » se matérialisera aussi, au fil du temps, sur les rayons des bibliothèques publiques et privées. Nous avons souhaité ce premier ouvrage, clair et pédagogique, en dehors de toute volonté universitaire ou exhaustive, et je veux ici remercier les auteurs, Sylvie Cure, architecte au C.A.U.E. et Sylvie Lacaze-Masmonteil, pour la dimension graphique et poétique apportée à ce projet. Dominique Jacomet Directeur du C.A.U.E. conception et coordination

Sylvie Cure architecte dplg collection

le rayon vert n°1 Conseil d’Architecture d’Urbanisme et de l’Environnement 5, place Sainte-Catherine 12000 RODEZ tèl : 05 65 68 66 45 / fax : 05 65 68 14 97 email : caue-12@caue-mp.fr / www.caue-mp.fr


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Remerciements Nous remercions vivement les personnes, les institutions, les diffuseurs et les galeries qui nous ont prêté le mobilier présenté. Nous sommes très reconnaissants aux personnes, aux institutions et aux diffuseurs qui nous ont autorisés à reproduire des images. Nous regrettons de n’avoir pu dans certains cas retrouver les détenteurs originaux des droits de reproduction. Nous nous sommes efforcés de respecter les droits des tiers et si de tels droits ont été négligés, cette omission sera réparée dans toute la mesure du possible. Nous remercions tous les partenaires qui nous apportent leur soutien, ainsi que Carole Bouzid et Pierre Videau de la galerie Sainte-Catherine.

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de la culture

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Mission

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achevé d’imprimer sur papier Cyclus juillet 2006 GRAPHI imprimeur Rodez (12)


architecture et design 1850 . 1920 . 1950

Conseil d’Architecture d’Urbanisme et de l’Environnement

collection le rayon vert

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architecture et design 1850 . 1920 . 1950

le rayon vert


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