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Le paradoxe luxembourgeois

The Economy

IMD WORLD TALENT RANKING 2021

Le paradoxe luxembourgeois: un bon classement général mais des faiblesses persistantes

TEXTE Sidonie Paris, Affaires économiques, Chambre de Commerce PHOTO Blake Wisz / Unsplash et Shivendu Shukla / Unsplash

L’International Institute for Management Development (IMD) a publié l’édition 2021 de son World Talent Ranking le 9 décembre dernier, portant sur la capacité des États à renforcer leur compétitivité via le développement et l’attraction des talents. Ce classement évalue 64 pays, sur base de 31 indicateurs (14 proviennent de données statistiques et 17 sont issus d’une enquête réalisée auprès des dirigeants d’entreprises) répartis selon trois axes: les investissements et le développement des talents au niveau national; l’«attractivité», ou la capacité d’un pays à attirer et retenir les talents étrangers; et enfin, la qualité des compétences disponibles dans une économie donnée. Le Luxembourg se maintient à la 3e place, derrière la Suisse et la Suède, confortant ainsi sa bonne performance en matière de talents. Par ailleurs, il figure à la 10e position des pays ayant le plus progressé sur la période 2017-2021.

Les résultats pour 2021, comme dans les éditions précédentes, indiquent une nette domination de l’Europe occidentale, qui se démarque du classement des économies asiatiques et d’Amérique du Nord. De plus, l’écart se creuse entre la main-d’œuvre très motivée des pays les mieux classés et la fuite des cerveaux dans les économies peu compétitives (particulièrement en Amérique du Sud et en Europe centrale et orientale), dans un contexte de pandémie planétaire. Le classement montre en effet une corrélation étroite entre la compétitivité d’une économie, d’un côté, et la forte motivation des employés de l’autre, qui, à son tour, améliore la capacité d’un pays à retenir ses talents et à en attirer de l’étranger. Cette forte motivation, caractéristique des pays en tête du classement, peut s’expliquer par un leadership organisationnel compétent (mis en exergue notamment par le développement du télétravail et la recherche d’un meilleur équilibre vie privée / vie professionnelle), une qualité de vie élevée et la priorité donnée à la formation du personnel. Par ailleurs, il apparaît que les mesures sanitaires liées à la pandémie de Covid-19 prises dans les pays leaders, couplées à des systèmes de santé performants, ont permis de renforcer la compétitivité-talent des économies déjà bien classées.

Le cas particulier du Luxembourg

Le Luxembourg, suite à une amélioration constante de son classement entre 2017 et 2020 (passant de la 10e à la 3e place), se maintient à la 3e position en 2021. Le pays progresse par rapport à l’année précédente tant sur le volet «Investissement et développement» que sur celui de l’«Attractivité», se hissant respectivement de la 3e à la 2e position et de la 5e à la 2e place. Au niveau des indicateurs, il se distingue par son niveau élevé de dépenses publiques d’éducation par élève (1er) et le ratio élève-enseignant dans le primaire (1er). Tout comme la Suisse et la Suède, respectivement 1re et 2e du classement général, les résultats issus de l’enquête pour le Grand-Duché illustrent un niveau de vie élevé (9e), une motivation forte au sein des entreprises (13e), une faible exposition aux effets de la fuite des cerveaux (12e) et un système judiciaire jugé relativement juste (10e). Par ailleurs, le niveau de rémunération dans le secteur des services (le revenu annuel brut, y compris les bonus) (3e) et la capacité de son économie à attirer des étrangers hautement qualifiés (5e) figurent également parmi ses atouts. En revanche, les données statistiques issues de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) indiquent un classement bas s’agissant du pourcentage de femmes dans la population active (52e position, 39,5% de la population active totale). De plus, le Luxembourg figure au 48e rang s’agissant de l’impôt sur le revenu des particuliers (perçu sur les bénéfices, le revenu et les gains en capital, exprimé en pourcentage du PIB). Le volet «Disponibilité» est toutefois le maillon faible du Grand-Duché, dont la performance ne cesse de baisser depuis 2018. Le pays recule de 4 rangs entre 2020 et 2021, en particulier du fait d’un faible pourcentage de diplômés en sciences (53e, 19% du nombre total de diplômés). Les résultats de l’enquête soulignent les difficultés des entreprises à trouver des managers seniors compétents (37e) et un manque de main-d’œuvre qualifiée (48e).

Une situation qui préoccupe les entreprises

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01. 02. Le commerce et la construction figurent parmi les secteurs qui rencontrent des difficultés à trouver de la main-d’œuvre qualifiée.

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« Le classement montre une corrélation étroite entre la compétitivité d’une économie et la forte motivation des employés. »

de la Chambre de Commerce indique que le sujet devrait rester la préoccupation majeure des entreprises luxembourgeoises pour 2022, devant le coût du travail et le prix de l’énergie et des matières premières. De par sa forte dépendance à la main-d’œuvre étrangère (près des ¾ des employés sont étrangers et plus de 200.000 frontaliers des pays limitrophes viennent travailler au Luxembourg), son dynamisme économique et sa grande ouverture à l’international, le pays est particulièrement exposé à cette crise du recrutement. À cela s’ajoute la nécessité de remplacer les personnes qui partent à la retraite et la recherche de profils spécifiques (et rares) pour assurer la double transition écologique et digitale. Sur les 677 entreprises interrogées dans le cadre du Baromètre de l’économie, 69% placent le manque de main-d’œuvre qualifiée en tête de liste des défis pour leur développement économique en 2022, et ce dans le cadre d’un marché du travail qui devrait rester dynamique. Les dirigeants d’entreprises prévoient des créations d’emploi particulièrement fortes au cours des premiers mois de 2022 dans les services hors finance (+34% d’augmentation nette sur le premier semestre 2022), l’énergie/environnement (+33%) et la finance (+29%). Par ailleurs, près du tiers des 69% d’entreprises qui considèrent le manque de main-d'œuvre qualifiée comme un défi majeur est issu du secteur des services non-financiers, suivis des secteurs de la construction (14%) et du commerce (12%). Signe additionnel de cette tension entre besoin de main-d’œuvre des entreprises et main-d’œuvre disponible, l’ADEM recensait 11.076 postes vacants fin octobre 2021, soit une augmentation de plus de 52% sur un an.

« 69 % des entreprises interrogées dans le cadre du Baromètre de l’économie du 1er semestre 2021 publié par la Chambre de Commerce, placent le manque de main-d’œuvre qualifiée en tête de liste des défis pour leur développement économique en 2022. »

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