C-Cube Book FR Artwork COVERS 9mm final 2
5/10/10
15:34
Page 1
Le Celerant Change Club, créé fin 2008, accueille des professionnels de tous horizons désireux d'échanger des points de vue, de nourrir la réflexion et de partager les bonnes pratiques en matière de conduite du changement dans l'entreprise. Le changement : de l'intention à la réalisation est le premier ouvrage réalisé par ses membres. Journalistes, universitaires et opérationnels de différents secteurs, ils explorent les multiples facettes du changement, ses pratiques et son alchimie. Issues d'années d'expériences riches et variées, les contributions de cet ouvrage sont autant de témoignages précieux qui accompagneront avec pertinence la réflexion de tout dirigeant ou praticien au moment de la mise en œuvre d'un programme de changement.
LE CHANGEMENT : DE L’INTENTION A LA REALISATION
Le changement : de l'intention à la réalisation
LE CHANGEMENT DE L’INTENTION A LA REALISATION
Un ouvrage du Celerant Change Club
Un ouvrage du Celerant Change Club
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 2
LE CHANGEMENT DE L’INTENTION A LA REALISATION
Un ouvrage du Celerant Change Club
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 3
Directeur de la publication : Nicolas Pinglot, Président du Celerant Change Club Comité de rédaction et de pilotage : Thibaut Bataille - Philippe Jaspart - Sabrina Laborde - Mathilde Leroy, Fondateurs du Celerant Change Club Conseillère de rédaction : Anne Bleuzen Conception/Réalisation : Andrew Barnes-Jones « Le changement : de l'intention à la réalisation » est un ouvrage édité par le Celerant Change Club pour le compte de © Celerant Consulting Holdings Limited. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit sans l'autorisation expresse de © Celerant Consulting Holdings Limited, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Les avis exprimés dans les articles de cet ouvrage n’expriment pas nécessairement l’opinion de Celerant Consulting qui ne saurait être tenu pour responsable. Celerant Consulting, Octobre 2010.
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 4
A tous les acteurs d’un programme de changement.
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 5
LE CHANGEMENT : DE L'INTENTION A LA REALISATION
Sommaire
Préface Par Bernard Leblanc
1
Introduction Par Nicolas Pinglot
3
PREMIÈRE PARTIE : Enjeux et contours du changement
Conclusion Par Bart Le Clef
117
Références bibliographiques
119
1.1 Le changement, une constante dans l'histoire de l'humanité Par Jean-Éric Bousser
8
1.2 Un enjeu vital : du Big Bang collectif au chaos maîtrisé Par Jean-Éric Bousser
16
1.3 Le sens : essence du changement ? Par Yves Ducrocq
22
1.4 La résistance au changement 32 Par Élie Matta & Jonathan Hayes Tribune : 40 D'un changement subi à une activité positive et permanente Par Gregory Godenne & Henri-Paul Missioux
CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 6
DEUXIÈME PARTIE :
TROISIÈME PARTIE :
Des Hommes qui agissent et qui s’engagent
Approches et tactiques gagnantes
2.1 Le change manager : conquistador ou sherpa ? Par Isabelle Domergue
46
3.1 Une approche sociopolitique 84 du changement organisationnel Par Guillaume Soenen
2.2 Le top management, maillon essentiel du changement Par Nicolas Orfanidis
54
3.2 Gérer le rythme et la cadence du changement : sprinter ou marathonien ? Par Tanguy Appert
92
2.3 Le terrain, leader du changement ? Par Nicolas Vedrenne
62 3.3 Concevoir et mettre en œuvre sa feuille de route Par Régis Brachet
98
2.4 Communiquer le changement : l'Appel du 18 juin Par Françoise Berthier
70 3.4 Mener le changement : une médecine de pointe Par Jean-Marc Bouillon
106
Tribune : 78 Changement de climat en terre des Hommes ? Par Élie Matta & Mathilde Leroy
Tribune : 114 L'art d'allier technique et tactique Par Philippe Jaspart
CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 7
PREFACE
Le changement est une constante Par Bernard Leblanc ontrairement aux apparences, cette affirmation n'est pas un paradoxe mais simplement le résultat de l'observation des sociétés, des êtres vivants, des entreprises, de la nature, etc. Faute d’avoir su évoluer, des civilisations, des organisations sociales, des entreprises ont disparu - les exemples sont légion. Mais si le changement est permanent, cela ne signifie pas qu'il faille que tout change tout le temps et partout dans les entreprises. L'art du manager est donc :
C
• D'une part, de déterminer de façon pertinente ce qui, à un instant donné, doit rester stable dans l'entreprise et ce qui doit changer ; • D'autre part, de réussir le changement sans dégrader les résultats de l'entreprise et en les améliorant à terme. Pour les entreprises, le changement peut se définir comme le passage d'un état A à un état B soit sous la contrainte (pression de l'environnement), soit du fait de la volonté du management. Il n'existe pas de recettes pour réussir à tout coup le changement. Mais mon expérience managériale m'a appris qu'il existe des fondamentaux à respecter si l'on veut mettre toutes les chances du côté de l'entreprise. Ainsi, on peut citer : • La nécessité que le changement soit porteur de sens pour le corps social de l'entreprise (respect des valeurs de l'entreprise et de sa culture) ; • L'exemplarité des chefs et le respect par ces derniers du sens dont le changement est porteur ; • La formalisation de ce que l'entreprise recherche au travers du changement : pourquoi faut-il changer ? Quelle ambition ? Quel positionnement de l'entreprise est-il recherché dans le futur ? • La communication, qui doit permettre à chacun (acteur externe ou interne) de comprendre l'entreprise post-changement, et à chaque salarié de comprendre son rôle dans le changement et sa place dans la future entreprise ; • La cohérence des « signes » : plus une entreprise est grande, plus le personnel y est
1 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 8
attentif. Un discours en contradiction avec les « signes » émis par le management, ou un comportement de ce dernier en opposition au sens du changement sont des causes fréquentes d'échec du changement ; • L'implication constante du management, visible et compréhensible par tous. Bien sûr, le changement inquiète car il est porteur d'un avenir par essence moins certain que la reproduction du présent. Ceci déclenche des résistances naturelles. L'art du manager sera de transformer en opportunités ces résistances qui constituent des menaces pour le changement. Pour cela, il dispose de plusieurs « outils » : • Confier la conduite du changement à un leader, homme ou femme, ou à une équipe capables de créer un réseau de personnes issues de toutes les entités concernées par le changement et, si possible, considérées comme de bons professionnels ; • Veiller à ce que le leader choisi porte naturellement une attention aux autres et fasse preuve d'humilité, notamment en mettant en valeur les succès obtenus par les autres ; • S'assurer que l'intelligence des situations du leader et sa sensibilité aux autres n'inhibent pas sa capacité à prendre des décisions difficiles ; • Ne pas hésiter à compenser ce que peuvent perdre, suite au changement, tels ou tels équipes ou individus. Lorsque j'ai pris connaissance des chapitres qui suivent, j'ai pensé qu'ils m'auraient été très utiles dans bien des moments « managérialement » difficiles de ma vie de dirigeant. J'en recommande donc la lecture à tout manager désireux de mettre en œuvre un changement dans son entreprise car il y trouvera, sur tous les points évoqués ci-dessus, un éclairage pertinent et indispensable.
Bernard Leblanc est aujourd'hui PDG ou administrateur de diverses sociétés. Il a été Directeur Général Délégué de Gaz de France.
CELERANT CHANGE CLUB
2
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 9
INTRODUCTION
Au-delà des croyances et des modèles Par Nicolas Pinglot e principe d'un projet de changement est simple : sur la base des actifs existants (machines, outils informatiques et personnel), nous allons améliorer le fonctionnement de l'organisation (les processus, les systèmes de pilotage et les organisations). En changeant les habitudes, nous allons optimiser la bonne marche de l'entreprise et réaliser des gains substantiels, qui plus est de façon pérenne.
L
Apparu dans l'offre des cabinets de conseil dans les années 80, le concept de programme de changement est aujourd'hui bien ancré dans la culture du monde de l'entreprise, industrielle ou de service, et même de service public. Beaucoup tentent maintenant leur chance dans cette aventure, certains commencent même à créer des fonctions de « change manager » ou « directeurs de programme ». Nous avons réalisé en 2008 et 2009 une étude auprès de 600 dirigeants en Europe et Amérique du Nord (entreprises de plus de 500 M$ de chiffre d'affaires) : 85% affirment avoir lancé au moins un programme de changement dans leur entreprise dans les 12 derniers mois, 25% nous disent en avoir lancé au moins 5 ! La gestion du changement se place désormais au cœur de la réflexion stratégique des entreprises. Aurait-on enfin trouvé la solution à nos états d'âme managériaux ? Pas sûr, puisqu'il semblerait que lancer un programme de changement revienne à tirer à pile ou face : ces mêmes dirigeants déclarent en voir échouer en moyenne 47%, seuls 9% d'entre eux déclarent obtenir un succès dans la plupart des cas. Selon ces mêmes dirigeants, les causes d'échec majeures sont : • La difficulté à gagner les cœurs et les esprits autour du besoin de changement : 51% • Le manque d'engagement du management local : 31% • La difficulté à implémenter la stratégie et les actions : 31% L'affaire se complique donc singulièrement. Car ce n'est pas une nouveauté : ces raisons invoquées ont déjà été mises en évidence par John P. Kotter il y a 15 ans, dans un ouvrage devenu un classique du management1. Ce ne sont pourtant pas les offres d'assistance experte qui manquent. Lors d'un récent appel d'offres en vue de constituer un panel de consultant en « change management » , une grande multinationale a fait contribuer 300 sociétés sur le seul territoire français, qui pouvaient offrir des profils aussi différents que des psychologues, des coachs, des formateurs, des spécialistes de 6 Sigma, des stratèges, du conseil opérationnel, des cabinets de communication, de gestion RH, de gestion de projet… Bref, tout le monde fait du « change management » ! 1 Leading Change. John P. Kotter, Harvard Business Press, Boston, 1996.
3 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 10
Ce ne sont pas non plus les outils et méthodes qui nous font défaut : les 8 raisons d'échec de Kotter, les 4 pré-requis du changement, les 6 étapes d'appropriation, le 6 Sigma, le Lean management, les matrices socio-dynamiques, l'échelle du changement, la courbe du changement, les plans de communication et de formation, des outils de plus en plus sophistiqués de cartographie des enjeux et des acteurs, les techniques de « PMO » (program management office)… Comment s'y retrouver ? De leur côté, les universitaires regardent la chose avec détachement, en scientifiques qu'ils sont, et voient des théories qui évoluent, s'enrichissent, divergent et re-convergent depuis les années 60 ; et ils se demandent, amusés, si tous ces modèles simplificateurs sont réellement utilisés par les industriels et les consultants en dehors des salles de conférence et des slides PowerPoint qui font vendre ! La réalité est tellement plus complexe, nous disent-ils… Récapitulons : des enjeux forts et de plus en plus reconnus, un sujet multiforme et difficile à appréhender, il y a bien là de quoi faire un livre… comme il en existe déjà des centaines pour vous expliquer ce qu'il faut faire ! Animés d'une volonté d'échange et de réflexion, une douzaine de professionnels de tous horizons ont souhaité prendre la plume pour nous faire part de leurs expériences, plutôt que de leurs croyances ou du dernier modèle en vue. Journalistes, universitaires, industriels, ils nous offrent de multiples témoignages et angles de réflexion. S'éloignant des traditionnels outils et méthodes prônés sur le sujet, ces professionnels nous entraînent vers des voies plus riches, plus nuancées : • La résistance au changement est-elle un obstacle à surmonter, ou un phénomène naturel et sain, voire une donnée à ne pas prendre en compte ? • Les projets de changement sont-ils organisés selon des modèles linéaires et planifiables, ou sont-ils plus proches de la théorie du chaos, non linéaires et par définition non prévisibles ? • Professionnel de la gestion de projet, alliant savoir être, finesse tactique, loyauté, courage et doté d'un supplément d'âme, le change manager est-il un improbable mouton à 5 pattes ? • Un programme de changement doit-il être porteur de sens pour réussir ? Quelles que soient les réponses à ces questions compliquées, nos spécialistes sont tous d'accord sur un point : la gestion du changement est plus un art qu'une science ou une technique. C'est une discipline exigeante qui nécessite curiosité, énergie, expérience, courage et… humilité. Bonne lecture.
Nicolas Pinglot est Président du Celerant Change Club et Principal Manager chez Celerant Consulting.
CELERANT CHANGE CLUB
4
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
5 CELERANT CHANGE CLUB
4/10/10
18:58
Page 11
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
PREMIERE PARTIE
Enjeux et contours du changement
Page 12
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 13
« Cycles des jours, des astres et des saisons, de la vie et de la mort. De tout temps, l’homme a pu constater que le changement est inhérent à la nature. »
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 14
LE CHANGEMENT, UNE CONSTANTE DANS L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ
1.1
Le changement, une constante dans l'histoire de l'humanité Par Jean-Éric Bousser Quoi de plus naturel et permanent que le changement ? Dès les sociétés primitives, les hommes ont compris la nécessité de l'apprivoiser, pour avancer sur le chemin du progrès tout en préservant l'indispensable stabilité de leur organisation. Concurrence, innovation et changement sont portés au pinacle par la société capitaliste. Mais comment conduire le changement dans une société de plus en plus complexe ?
C
ycles des jours, des astres et des saisons, de la vie et de la mort. De tout temps, l'homme a pu constater que le changement est inhérent à la nature, d'autant qu'il en perçoit directement les effets sur son propre corps.
De multiples textes et discours de philosophes ou lettrés – comme ceux d'Héraclite en particulier ou, pour la civilisation chinoise, le « Yi Jing » ou « Livre des Changements » – montrent d'ailleurs que les grandes civilisations du passé avaient déjà fort bien compris que le changement constituait peut-être « la seule constante » de la nature. Tôt dans son histoire, l'homme a donc appris à s'organiser pour en limiter les effets jugés indésirables ou dangereux pour sa survie, et cherché – en imaginant par exemple des divinités qu'il fallait honorer et apaiser – à exorciser les craintes que cette nature changeante lui inspirait, à en tempérer les excès. La société : conservatrice par nature ? Dès les premières communautés organisées, les étapes importantes des changements et des cycles naturels étaient marquées par des cérémonies et des rites. Une façon d'intégrer à la vie sociale et de « domestiquer », en quelque sorte, ce qui de fait s'imposait à l'humanité et conditionnait ses activités. Confrontés à cette nature aussi dangereuse que prodigue en bienfaits, les hommes ont rapidement compris et intégré – comme le relève justement l'économistephilosophe autrichien Ludwig von Mises dans son magnum opus L'Action humaine (1949) – tout le parti qu'ils pouvaient tirer, pour assurer la pérennité de l'espèce, de la coopération active des individus et de la division du travail au sein d'une société organisée, aux règles respectées par tous. Pratiques magiques, tabous et rites religieux encadrant la vie sociale… Gare, dans ces conditions, à celui qui s'aventurait à transgresser ou vouloir changer l'ordre établi, car il s'excluait de lui-même du groupe et du bénéfice de sa protection !
CELERANT CHANGE CLUB
8
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 15
LE CHANGEMENT, UNE CONSTANTE DANS L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ
Si ces premières sociétés connaissaient conflits internes et luttes pour le pouvoir conduisant périodiquement à des bouleversements au sein de certaines d'entre elles, leur organisation, marquée souvent du sceau du divin, se voulait au fond stable et pérenne. Une stabilité et une discipline sociale qui contribuaient à favoriser l'accomplissement efficace des tâches nécessaires à la vie du groupe, mais ne laissaient que peu de place à l'individualité. Cette volonté de stabilité, ce « conservatisme », cette méfiance à l'égard du changement touchant à l'organisation sociale ont perduré d'ailleurs, les causes paraissant souvent en tenir à la crainte qu'il n'entraîne un trouble tel dans la société qu'il nuise à son efficacité, quand ce n'est pas tout simplement aux intérêts des groupes les plus puissants qui la composent. Cette difficulté à accepter le changement sociétal relève aussi peut-être du sentiment, plus confus ou inconscient, qu'il est susceptible de raviver les pulsions destructrices que l'effort civilisateur permet d'endiguer ou, pour employer le langage choisi par Freud dans Malaise dans la civilisation, de la crainte qu'il n'ouvre la voie à « un retour de Thanatos » , mortifère pour l'individu socialisé et ses défenses. Progrès et avantage concurrentiel Quoi qu'il en soit, ces réactions de défiance face au changement sociétal contrastent fortement avec l'acceptation généralisée et la mise en œuvre somme toute rapide des progrès d'ordre technique qui ont pu, à travers les âges, changer la condition naturelle et améliorer le travail des hommes. L'écriture, l'élevage, les semences, la roue, la charrue, la voile ou, beaucoup plus tard, la machine à vapeur, l'électricité, le chemin de fer… Autant d'inventions cruciales qui ont aussi profondément modifié, au fur et à mesure que leurs utilisations se développaient, les conditions matérielles et les rapports sociaux. Quant aux sociétés dont l'organisation, le système de pouvoir, les croyances ou les mentalités ont obéré cette appétence au changement technologique, elles ont été distancées puis dominées par d'autres, plus dynamiques. De fait, les résistances aux changements induits par les innovations scientifiques ou technologiques ont le plus souvent eu pour origine la seule volonté de préserver certains pouvoirs ou intérêts sociaux, comme le montrent, par exemple, l'opposition de l'Église aux thèses de Galilée ou la révolte des canuts lyonnais confrontés à l'arrivée de nouveaux métiers à tisser. Quant au progrès de la connaissance scientifique, il a souvent pâti de l'inertie sociale ou du poids de dogmes, qu'ils soient religieux ou politiques. Que l'on songe simplement à l'opposition larvée de l'Église à la dissection du corps humain ou aux thèses génétiques farfelues mais officielles d'un Lyssenko dans l'URSS de Staline. Il est en revanche très peu d'exemples d'organisations humaines qui se soient refusé par principe – comme peuvent le faire les Amish aux États-Unis, par exemple – à bénéficier d'un changement technologique quand il était à même de leur procurer un avantage sur d'autres groupes. Le métier des armes fournit à cet égard un très bon exemple de cette appétence historique au changement, tant au plan des techniques que du point de vue stratégique. Aucune innovation technologique majeure pouvant intéresser ce domaine qui ne se soit pas traduite par son adoption au sein des
9 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 16
LE CHANGEMENT, UNE CONSTANTE DANS L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ
armées ou par un changement organisationnel ou stratégique. Et ceci pour une raison simple : une force doit nécessairement chercher à se mettre en situation de dominer ses adversaires potentiels, et donc de systématiquement rechercher « l'avantage concurrentiel ». C'est ainsi que, dans son ouvrage Anatomie d'un spectre (1981), l'historien et soviétologue Alain Besançon montre que l'un des seuls secteurs à faire preuve d'un certain dynamisme, d'une relative créativité et d'une appétence au changement dans une économie soviétique par ailleurs stagnante, était l'armée, parce qu'entre elle et son principal adversaire, l'armée américaine, « l'émulation existait ». On le voit, concurrence, innovation et changement semblent avoir toujours fait bon ménage. « Enfin, l'entreprise vint… » Aussi n'est-il pas étonnant qu'avec l'émergence du mode de production capitaliste, ce trio ait trouvé toute sa place. En effet, comme l'écrit Joseph Schumpeter, dans la société capitaliste, toutes les structures et les conditions dans le fonctionnement des affaires « se trouvent toujours dans un processus de changement » (voir encadré). La création destructrice « L'économie capitaliste n'est pas et ne peut pas être stationnaire. Elle ne se contente pas non plus de croître de façon régulière. Elle se trouve de plus en plus révolutionnée de l'intérieur par de nouvelles entreprises, c'est-à-dire par l'intrusion dans la structure industrielle telle qu'elle existe à un moment donné de nouveaux produits, de nouvelles méthodes de production, ou de nouvelles opportunités commerciales. Toutes ces structures existantes et toutes les conditions dans le fonctionnement des affaires se trouvent toujours dans un processus de changement. Chaque situation est bouleversée avant qu'elle ait eu le temps d'épuiser ses possibilités. Le progrès économique, dans la société capitaliste, signifie le bouleversement. Et […] dans cette agitation, la concurrence œuvre de façon tout à fait différente qu'elle ne le ferait dans un processus stationnaire. Les possibilités de gains qui peuvent être retirés de la fabrication d'objets d'un type nouveau ou de la réduction des coûts de fabrication d'objets existants se matérialisent constamment et appellent de nouveaux investissements. Ces nouveaux produits et méthodes entrent en concurrence avec les méthodes et produits anciens non pas sur un pied d'égalité mais avec un avantage décisif qui peut signifier l'arrêt de mort de ces derniers. C'est ainsi que le « progrès » se fait dans la société capitaliste. Pour échapper à la mévente, chaque firme est obligée de suivre, d'investir à son tour […] ». Joseph A. Schumpeter, Capitalism, Socialism and Democracy Part I iii, p. 32-33, HarperPerennial, Modern Thought, 2008 (traduction libre).
Avec la prise de conscience de la place croissante occupée par l'entreprise dans le fonctionnement de la société, et la recherche d'une organisation optimale dans les productions, une véritable réflexion sur le changement s'est progressivement organisée, autour d'économistes, d'entrepreneurs, de sociologues, de psychologues. Depuis la Seconde Guerre mondiale en particulier, source d'importantes avancées dans l'organisation de la production, et dans le sillage du développement des
CELERANT CHANGE CLUB
10
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 17
LE CHANGEMENT, UNE CONSTANTE DANS L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ
théories sur l'entreprise et sur le management, l'attention s'est concentrée sur le processus lui-même. Amenant à la création d'un véritable corpus de règles et de méthodes de conduite du changement dans les entreprises et les organisations humaines en général. Surtout, s'est peu à peu imposée la claire conscience que le facteur humain était au cœur même de ces processus. Nous sommes désormais loin de « l'homme-machine » tel que pouvaient le concevoir certains économistes classiques au XVIIIe siècle. Certes, les modes d'organisation qui fragmentent et dépersonnalisent par trop les tâches n'ont pas disparu – au contraire même, si l'on pense aux nouveaux « ateliers du monde » que sont par exemple la Chine ou d'autres pays en développement. Certes encore, l'expansion de certaines formes de travail partiel ne constitue pas nécessairement non plus un progrès. Mais les plus performantes des entreprises comprennent toutefois qu'il est de leur intérêt vital de libérer l'énergie et la créativité de leurs salariés ; afin qu'ils collaborent pleinement à leurs objectifs, voire contribuent à les définir. Le salarié n'en reste pas moins marqué du sceau de la subordination aux directives de sa hiérarchie dans l'accomplissement des tâches qui lui sont imparties en échange d'une rémunération. C'est ce que nous rappelle fort opportunément un célèbre arrêt de la Cour de Cassation, dit « arrêt Boyer » et daté du 23 janvier 1997, qui précise : « le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ». On voit donc bien qu'il revient à l'employeur, dont c'est le devoir, de fixer les règles et de définir ces tâches. Ce qui nous permet incidemment de bien comprendre qu'il ne saurait se concevoir d'opération de changement sans profonde implication des dirigeants de l'entreprise. Toutefois, comme le pense un spécialiste averti comme Philippe Bernoux, l'existence d'une contrainte dans la mise en place d'un changement dans l'entreprise ne suffit pas à sa réussite. L'acceptation par les salariés est un facteur indispensable. Les chances de réussir le changement sont donc d'autant meilleures qu'il sera perçu comme légitime et qu'il suscitera l'adhésion de tous, y compris de ceux qui ne sont censés agir que dans la subordination aux directives. La conduite du changement : un art complexe Comment parvenir à dépasser cette inévitable tension, cette contradiction entre contrainte et adhésion ? C'est toute la question qui se pose à la réflexion contemporaine sur la conduite du changement dans des organisations qui évoluent dans des environnements de plus en plus mouvants, aux perspectives difficilement prévisibles. Et c'est encore dans le métier des armes que l'on trouve un exemple très parlant de cette « nouvelle donne » en matière de conduite du changement : le programme de transformation engagé par l'Otan depuis quelques années vise ainsi à favoriser, dans un métier où l'obéissance à la règle établie est une vertu cardinale, l'initiative des acteurs et l'émergence « spontanée » de nouvelles conceptions en matière d'organisation, de tactique et de stratégie. Surtout, il entend innover quant aux
11 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 18
LE CHANGEMENT, UNE CONSTANTE DANS L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ
méthodes de conduite du changement pour mieux répondre aux défis posés par la nouvelle ère dans laquelle nous sommes désormais entrés, celle du changement permanent, de la gestion de la complexité. Stratégie et complexité Edgar Morin, dans son Introduction à la pensée complexe (Le Seuil, 1990), explique : « Un programme, c'est une séquence d'actions prédéterminées qui doit fonctionner dans des circonstances qui en permettent l'accomplissement. Si les circonstances extérieures ne sont pas favorables, le programme s'arrête ou échoue. […] La stratégie, elle, élabore un ou plusieurs scénarios. Dès le début, elle se prépare, s'il y a du nouveau ou de l'inattendu, à l'intégrer pour modifier ou enrichir son action. L'avantage du programme est évidemment une très grande économie : on n'a pas à réfléchir, tout se fait par automatisme. Une stratégie, par contre, se détermine en tenant compte d'une situation aléatoire, d'éléments adverses, voire d'adversaires et elle est amenée à se modifier en fonction des informations fournies en cours de route, elle peut avoir une très grande souplesse. Mais une stratégie, pour être menée par une organisation, nécessite alors que l'organisation ne soit pas conçue pour obéir à de la programmation, mais puisse traiter des éléments capables de contribuer à l'élaboration et au développement de la stratégie. » Comme l'écrit le lieutenant-général J. O. Michel Maisonneuve, qui a été chef d'état-major du quartier général du Supreme Allied Commander Transformation de l'OTAN à Norfolk, en Virginie : « pour faire face au changement, de nombreuses organisations ont effectué des réaménagements censés prendre fin dès que l'objectif ultime serait atteint. Or on constate aujourd'hui que le changement n'a rien d'un cheminement vers une destination ultime; c'est plutôt un processus perpétuel, si bien que la prochaine étape dans l'évolution de la « gestion du changement » sera, semblet-il, la création d'organismes chargés de gérer le changement et d'encourager l'innovation, l'expérimentation et la pensée latérale. D'activité négative exigeant une gestion constante, le changement est devenu une activité positive qu'il faut promouvoir et encourager. » Au-delà de programmes ponctuels, il s'agirait donc, pour les organisations, de se doter de véritables stratégies faisant une large place à la capacité de s'adapter, de changer. C'est là tout le défi posé par la gestion de la complexité. Qu'est-ce qu'un système complexe ? Un système complexe « se caractérise d'abord par le nombre d'éléments qui le constituent […], ensuite par la nature des interactions entre ces éléments, le nombre et la variété des liaisons qui relient ces éléments entre eux […] et par la dynamique non linéaire de son développement, c'est-à-dire les accélérations, les inhibitions, les oscillations difficilement prédictibles. » Joël de Rosnay, L'Homme symbiotique, Le Seuil, 1995.
Mais faut-il pour autant que tout, tout le temps, soit dans un état permanent de flux, de bouleversement ? Naturellement pas. Tout l'art de la conduite du changement consistera précisément à déterminer ce qui, dans une organisation, doit rester stable
CELERANT CHANGE CLUB
12
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 19
LE CHANGEMENT, UNE CONSTANTE DANS L'HISTOIRE DE L'HUMANITÉ
et ce qui doit changer ; à faire coexister changement et ordre nécessaire à la poursuite des activités. Surtout, dans les organisations modernes souvent fort complexes, il faut s'attacher à éviter qu'un changement souhaitable dans telle partie de l'ensemble n'entraîne des conséquences inattendues et malvenues dans telle autre, voire ne conduise au chaos général. Maîtriser le processus de conduite du changement implique donc, comme on le verra dans les chapitres suivants, d'avoir une connaissance approfondie de l'organisation concernée et d'avoir bien défini la nature des outils à utiliser en fonction des objectifs recherchés.
Rédacteur de lettres d'information sur les matières premières dans les années 70, chargé du développement de l'information économique spécialisée à l'AFP dans les années 80, rédacteur en chef au quotidien L'Agefi dans les années 90, éditeur de la lettre confidentielle Investnews, Jean-Éric Bousser a suivi de près, au fil des décennies, tous les grands changements qu'a connus le système économique et financier mondial. Il est membre fondateur de l'Association Systémiques.
13 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 20
CELERANT CHANGE CLUB
14
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
« L’Histoire offre en effet de nombreux exemples de civilisations qui, à l’instar de celle des Mayas ou de la vallée de l’Indus, ont purement et simplement disparu… »
Page 21
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 22
UN ENJEU VITAL : DU BIG BANG COLLECTIF AU CHAOS MAÎTRISÉ
1.2
Un enjeu vital : du Big Bang collectif au chaos maîtrisé Par Jean-Éric Bousser Voulu ou subi, prévu ou imprévu, le changement est multiple, tout comme les attitudes des hommes et des organisations à son égard, et les formes de sa mise en œuvre. Entre Big Bang collectif et chaos maîtrisé, deux approches diamétralement opposées, tout l'art de la conduite du changement consistera à trouver la voie qui permette de réduire au maximum les incertitudes et d'assurer à terme la pérennité de l'organisation.
n ce qu'il désigne le processus lui-même et non son seul résultat, le changement s'inscrit dans le temps. Temps du bouleversement quasi instantané occasionné par un tsunami, par exemple, ou période d'évolution multimillénaire d'un climat, d'un paysage, d'une espèce animale. Sa durée est donc un élément essentiel d'appréciation du phénomène, tout comme son intensité. Mais l'on doit aussi distinguer entre les catégories de changements, en fonction de leur nature : certains, que l'on peut regrouper sous le terme générique de « sociaux », touchent, qu'ils soient voulus ou non, à l'organisation de la vie au sein des groupes humains et de leurs travaux; d'autres, que l'on peut qualifier de « naturels », prévisibles ou imprévisibles, tiennent à l'action de la nature. Enfin, certains changements sont initiés, volontairement ou non, par l'action des hommes, d'autres interviennent sans que cela tienne à leur action.
E
Les changements sociaux comme les changements naturels sont lourds d'enjeux souvent vitaux et, en fonction de l'attitude, passive, réactive ou proactive qu'ils adoptent à leur égard, les groupes humains se condamnent ou non à devoir en subir les effets, éventuellement dramatiques. Une attitude qui dépend souvent d'ailleurs, d'une part de leur degré de compréhension des causes et de la bonne appréciation des conséquences de ces changements, d'autre part de leurs capacités à en tirer parti, s'ils sont nécessaires et/ou potentiellement bénéfiques, ou, le cas échéant, à en prévenir et/ou combattre les effets néfastes. L'Histoire offre en effet de nombreux exemples de civilisations qui, à l'instar de celle des Mayas ou de la vallée de l'Indus, ont purement et simplement disparu, faute d'avoir pu ou su adapter leurs modes de vie et leur organisation face aux défis posés par un changement intervenu dans les équilibres qui conditionnaient leur fonctionnement habituel.
CELERANT CHANGE CLUB
16
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 23
UN ENJEU VITAL : DU BIG BANG COLLECTIF AU CHAOS MAÎTRISÉ
Des défis qui peuvent être particulièrement insidieux et difficiles à repérer : sans même aborder des sujets cruciaux de réflexion contemporains comme le réchauffement climatique, la révolution numérique, la recherche biomoléculaire, la prévention des maladies héréditaires ou le déclin démographique en Europe2 – thèmes lourds de conséquences potentielles sur les règles en usage concernant la personne humaine et, à terme, sur la conception que les générations futures se feront de la place de l'individu dans la société –, on évoquera simplement, à titre d'exemple de défis insidieux, la façon dont – version antique de nos problèmes de pollution - la construction d'un réseau de canalisations en plomb a changé en l'améliorant le mode de distribution de l'eau dans la Rome des Césars, mais dans le même temps aurait favorisé le développement progressif du saturnisme et ainsi contribué, selon de nombreux savants, au déclin de la ville impériale3. Cet exemple, tiré d'un passé lointain et qui ne devrait donc pas soulever d'inutiles polémiques, nous permet de comprendre intuitivement et d'esquisser les contours d'une nouvelle catégorie de changements, celle qui regroupe ceux que l'on qualifiera d'« induits » ou – pour emprunter une expression chère aux spécialistes de la politique monétaire et de l'inflation – de « second trou » : un changement peut en effet déclencher, par ricochet en quelque sorte, d'autres effets, parfois pervers, qui progressivement viennent à leur tour modifier l'environnement naturel ou social, jusqu'au moment où l'importance cumulative de ces modifications impose de nouveaux changements, quand elle ne déclenche pas de véritables bouleversements ou révolutions. Changement social, naturel, induit, voulu ou subi, prévu ou imprévu, initié par l'homme ou pas, les catégories, on le voit, sont multiples et se recoupent. Il en est de même des attitudes que les groupes et organisations peuvent adopter face à l'occurrence du changement. Face au changement, quelle attitude ? Face aux conséquences dommageables, voire désastreuses, de certains changements, qu'ils n'ont ni voulus, ni prévus, ni maîtrisés, autrement dit de changements pleinement subis, les hommes ont été, et restent d'ailleurs, souvent tentés d'en attribuer la responsabilité à des causes tout à fait autres que celles qui en sont, en réalité, à l'origine ; et, comme ils se trompent sur les causes, ils peuvent de ce fait choisir, pour tenter de les supprimer ou de remédier à leurs effets, des moyens et outils totalement inopérants. N'est-ce pas le cas, par exemple, dans celles des sociétés premières qui voyaient dans certains phénomènes naturels, comme la sécheresse ou les invasions d'insectes, l'expression de la colère des dieux, que l'on tentait de calmer par des sacrifices et prières, sans que cela provoque jamais ni le retour de la pluie ni le départ des sauterelles ? N'est-ce pas aussi le cas de certains de nos contemporains qui choisissent le discours incantatoire ou adoptent – quand ils ne sont pas tout simplement à la recherche d'un bouc émissaire – une langue de bois digne de la « Novlangue » chère à George Orwell, pour conjurer les périls pourtant bien réels, auxquels nous sommes désormais confrontés ?
2 Bien avant que le débat sur les retraites n'attire l'attention médiatique sur les questions démographiques, le grand historien Pierre Chaunu avait tiré la sonnette d'alarme sur les conséquences d'une natalité déficiente pour l'Europe dans un ouvrage qui reste très actuel : La Peste Blanche, comment éviter le suicide de l'Occident, Gallimard, 1976.
17 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 24
UN ENJEU VITAL : DU BIG BANG COLLECTIF AU CHAOS MAÎTRISÉ
Tout changement naturel ou social d'importance qui affecte l'environnement dans lequel évolue une communauté donnée ou qui modifie les conditions dans lesquelles elle agit, impose de la part de cette dernière une action ou une réaction adaptée, si elle n'entend pas subir et pâtir de ce changement, mais au contraire préserver, rétablir ou améliorer les liens sociaux qui lui conviennent dans son environnement désormais modifié. L'on comprend donc immédiatement toute l'importance qu'il y a, pour un groupe, quel qu'il soit, sujet à un changement notable pour sa vie, son organisation ou ses activités, de savoir en identifier les causes et établir les justes diagnostics quant aux moyens à utiliser pour l'accompagner, s'y adapter, en prévenir ou en combattre si nécessaire les effets néfastes. Diagnostics et moyens dont la pertinence et l'efficacité dépendent à l'évidence, dans la plupart des situations, du niveau de développement des capacités scientifiques et techniques, de tous ordres, dont il dispose, mais aussi de divers facteurs psychologiques et moraux, dont l'importance ne peut en aucun cas être sous-estimée : capacité à œuvrer ensemble, persévérance, lucidité, vigilance et faculté de s'adapter constituent des atouts essentiels ; atouts dont la force tient aussi, bien entendu, à la capacité du groupe de prendre conscience à temps des risques qu'il encourt mais aussi des opportunités qu'il juge devoir s'ouvrir à lui à l'occasion de tel ou tel changement. Pour mieux faire face à un changement qu'il n'a pas voulu, il est naturellement préférable pour tout groupe de savoir se mettre en mesure de se montrer réactif. Ce qui pose la question de l'anticipation, de la prévision du changement, et de la prévention ou de la maîtrise de ses conséquences. C'est là le long combat qu'ont mené les hommes depuis l'origine pour se prémunir des changements liés aux cataclysmes naturels. Et leurs progrès dans cette lutte auront précisément tenu pour une large part à leur aptitude à identifier les signes annonciateurs de telles catastrophes. Ce qui leur donnait, dans une certaine mesure, le temps de se prémunir de leurs effets. Cette attitude proactive, cette volonté de ne pas subir, d'anticiper, ne peut bien entendu que présenter des avantages en ce qui concerne les changements induits par le jeu « naturel » des activités humaines et des forces à l'œuvre dans la société, comme les évolutions économiques, la diffusion de nouvelles technologies, mais aussi la démographie ou le développement de la pollution. Bien mesurer l'enchaînement des conséquences de ses actions pour se montrer proactif et prévenir les changements liés aux effets pervers et destructeurs de son action reste toutefois un défi considérable pour l'humanité, un objectif encore très loin d'être atteint, mais qui néanmoins pourrait bien représenter l'enjeu essentiel de ce siècle. De fait, tout l'art dans la conduite des groupes, des organisations et des sociétés n'est-il pas de prendre conscience des risques qui les guettent et de les prévenir, d'identifier les problèmes susceptibles d'entraver leur fonctionnement et leur essor, et d'opérer à temps les changements nécessaires pour éviter toute paralysie ou dégradation de leurs performances, mais aussi pour favoriser l'adoption de nouvelles techniques ou méthodes susceptibles d'améliorer leur efficacité ?
3 On consultera avec profit Lead and the Fall of Rome: A Bibliography, disponible sur le site http://www.nipissingu.ca/department/history/muhlberger/orb/lead.htm. CELERANT CHANGE CLUB
18
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 25
UN ENJEU VITAL : DU BIG BANG COLLECTIF AU CHAOS MAÎTRISÉ
Certes, force est de constater que de tels changements « sociaux » se font souvent dans l'urgence et sous la contrainte, la pression de l'environnement. Autrement dit, lorsqu'ils sont devenus inévitables, contraignant les hommes à agir pour tenter de rétablir une situation dangereusement tendue ou compromise. Mais c'est loin d'être le cas général. De fait, la plupart des organisations ont non seulement appris à initier volontairement les changements qu'elles jugent bénéfiques pour elles, mais elles consacrent une bonne part de leur activité à organiser, planifier et conduire leur mise en œuvre. Du « Big Bang collectif » au « chaos maîtrisé » Ces mises en œuvre peuvent prendre des formes bien différentes et, par exemple, impliquer ce que certains spécialistes qualifient de « Big Bang collectif » ou, au contraire, le passage par une période de relative désorganisation, provoquée ou pas, qui permet d'opérer les changements espérés, une phase de « chaos maîtrisé » en quelque sorte. Parler de chaos – terme fort – renvoie naturellement à la notion de désordre. Cela peut donc évoquer une situation dans laquelle une entité est consciente qu'il lui faut changer, sait éventuellement en quoi, pourquoi et quel est l'objectif à atteindre, mais ne sait pas nécessairement et précisément comment y parvenir ni même si elle en sera capable. Dans ces conditions, la période de changement peut être vécue comme une sorte de saut dans l'inconnu, un moment difficile où l'on abandonne d'anciens repères, des comportements acquis et bien intégrés, pour procéder à de nouveaux apprentissages, nouer de nouvelles relations ; et une sorte de chaos organisationnel mais aussi psychologique peut s'installer au sein du groupe… Maîtriser ce chaos consistera précisément à réduire progressivement les incertitudes au sein du groupe, ramener les brebis qui s'égarent sur le bon chemin, couper court aux tentatives de retour en arrière et canaliser les énergies vers le but recherché. Le chaos maîtrisé est donc un processus qui s'étale dans la durée, difficile à mettre en œuvre et à vivre, mais qui peut aussi s'avérer très bénéfique, dans la mesure où il aiguise le sens des responsabilités des individus, qui doivent se prendre en charge, permet de favoriser l'émergence des personnalités fortes, meneurs d'hommes, à même par exemple de suppléer aux défaillances de hiérarchies qui ont pu se scléroser. Mais son succès est loin d'être assuré, quand il ne débouche pas d'ailleurs soit sur un échec caractérisé, soit sur une orientation du groupe totalement différente de ce qui avait pu être éventuellement prévu au départ. En comparaison, le « Big Bang collectif » peut sembler à première vue une approche moins risquée. Si elle consiste, du moins, à réduire au minimum la période de changement, à basculer une organisation d'un état à un autre dans un délai très court, en ayant prévu ce qu'il revient à chacun de faire au sein du groupe et en l'ayant informé du rôle qu'il doit jouer ; en limitant donc, dans la mesure du possible, la marge d'improvisation et d'incertitudes dans le déroulement des opérations et la communication avec les tiers. De telles techniques de changement exigent à l'évidence une planification poussée et une organisation sans faille, comme chacun a pu en faire l'expérience lors d'un déménagement d'entreprise dans de nouveaux
19 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 26
UN ENJEU VITAL : DU BIG BANG COLLECTIF AU CHAOS MAÎTRISÉ
locaux, par exemple. Comme ce fut le cas aussi lors du basculement des devises nationales à l'euro au début du siècle. La situation se présente de façon fort différente, bien entendu, lorsqu'il s'agit de répondre dans un délai très court à un changement imprévu ou une situation de crise. Le Big Bang concerne alors une collectivité qui doit réagir en urgence, prendre sans nécessairement y avoir été préparée les mesures qui s'imposent et s'organiser pour assurer la pérennité de ses activités. De tels « Big Bang » sont de véritables révélateurs des qualités personnelles, d'autonomie et d'initiative, des personnes concernées et, plus généralement, du degré de cohésion de l'organisation. « Big Bang collectif » ou « chaos maîtrisé »… Il serait illusoire de vouloir privilégier une méthode aux dépens de l'autre et de voir en elles les seules approches possibles du changement. De fait, les spécialistes, sur la base de ces deux exemples, insistent sur le fait que le choix de l'approche la mieux adaptée dépend essentiellement de la situation particulière et des objectifs recherchés par l'organisation concernée.
Rédacteur de lettres d'information sur les matières premières dans les années 70, chargé du développement de l'information économique spécialisée à l'AFP dans les années 80, rédacteur en chef au quotidien L'Agefi dans les années 90, éditeur de la lettre confidentielle Investnews, Jean-Éric Bousser a suivi de près, au fil des décennies, tous les grands changements qu'a connus le système économique et financier mondial. Il est membre fondateur de l'Association Systémiques.
CELERANT CHANGE CLUB
20
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
« Qu’il s’agisse d’un individu ou d’un groupe d’individus, trois paramètres fondamentaux constituent pour eux ce qui ‘fait sens’ : les valeurs, la culture et les croyances. »
Page 27
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 28
LE SENS : ESSENCE DU CHANGEMENT ?
1.3
Le sens : essence du changement ? Par Yves Ducrocq Tout projet de changement bouleverse plus ou moins les repères qui guident l'entreprise, ses collaborateurs et ses partenaires externes. Si l'on veut éviter de créer le chaos, il faut d'abord connaître les « éléments de sens » sur lesquels se fondent la stratégie et l'activité opérationnelle. C'est à cette seule condition que l'on se donnera les moyens de redéfinir des jalons cohérents dans la perspective du changement attendu. Un nouveau sens compris par tous. onner du sens : voilà une expression souvent utilisée, parfois galvaudée. La « perte de sens » serait un des facteurs de « risques psychosociaux » dont on parle aujourd'hui pour évoquer le malaise croissant d'un certain nombre de salariés dans des entreprises en perpétuel mouvement : stress, dépression, syndrome du burn-out… À l'inverse, les salariés qui « trouvent du sens » dans leur travail semblent plus motivés. Mais qu'en est-il vraiment ? De quoi parle-t-on lorsque l'on parle de « sens » ?
D
Valeurs, culture et croyances Qu'il s'agisse d'un individu ou d'un groupe d'individus, trois paramètres fondamentaux constituent pour eux ce qui « fait sens » : les valeurs, la culture et les croyances. Les valeurs, personnelles, sont de l'ordre de la morale ou de l'éthique : l'honnêteté, la fiabilité, l'engagement… C'est à travers elles que l'individu évalue sa compatibilité avec l'entreprise à laquelle il contribue, porteuse elle aussi de valeurs dans lesquelles il doit se retrouver. Les valeurs ne sont pas toujours formalisées mais sont souvent très présentes dans la conduite des affaires. Il ne faut pas les confondre avec la culture, qui est de l'ordre de l'acquis. Il s'agit de ce qui est ou devient commun à un groupe d'individus, ce qui les soude. On parle fréquemment de la « culture du BTP », de la « culture du service public », etc. Il n'est pas rare de constater l'étonnement d'un nouvel entrant face aux modes de fonctionnement d'une entreprise. Il y a alors absorption ou rejet : soit la personne adopte petit à petit ces modes de fonctionnement et « prend la culture » de l'entreprise, soit elle est amenée à la quitter. Les croyances, elles, sont ce qui est tenu pour vrai. Au-delà des croyances individuelles, les croyances collectives ont la vie dure, bien qu'elles soient sources d'erreurs de jugement. Ainsi, une croyance très répandue veut que les entreprises des pays en
CELERANT CHANGE CLUB
22
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 29
LE SENS : ESSENCE DU CHANGEMENT ?
voie de développement soient plus compétitives parce qu'elles payent très mal leurs salariés. Certaines d'entre elles ont pourtant des processus d'achat, de production, de commercialisation et d'innovation plus performants que la majorité de leurs concurrentes en Europe. Le sens (S) se construit ainsi à partir de ces trois éléments : Valeurs
S Culture
Croyances
Avant d'engager le changement, il est indispensable d'identifier ce qui fonde les éléments de sens actuels d'une entreprise et de formaliser, pour chacun, ce qu'ils doivent devenir afin d'agir de manière pertinente. Les valeurs Ce sont le plus souvent les modes d'action portés par le chef d'entreprise lui-même et attendus de chacun de ses collaborateurs. Il est évidemment essentiel, pour que ces valeurs soient partagées, qu'elles soient communiquées, mais aussi et surtout vécues au quotidien. L'exemplarité est dans ce domaine la plus efficace des communications. La cohérence entre les valeurs affichées et les comportements est bien plus forte et bien plus importante que le politiquement correct (trop ?) souvent affiché. La culture Cinq facteurs semblent déterminants dans une culture d'entreprise : • La nature de l'actionnariat : stabilité ou volatilité, intéressement opérationnel ou non aux résultats, réinvestissement dans l'entreprise ou politique de distribution de dividendes prioritaire. Autrement dit, le sentiment donné aux salariés d'être dans le même bateau ou non. • Les valeurs et comportements du chef d'entreprise : s'il entreprend, s'implique et sait déléguer, il entraînera le même type de comportement dans ses équipes. Mais s'il se contente d'afficher des valeurs et des comportements qu'il n'applique pas, il provoquera le doute, voire le trouble. • Le marché sur lequel intervient l'entreprise : chaque marché a sa culture ; l'entreprise qui y opère durablement en adopte les fondamentaux, sous peine de n'y jamais réussir. • La place, dans ce marché, revendiquée ou occupée par l'entreprise : elle détermine fortement son identité et ses comportements. Par exemple, les places totalement différentes occupées par Fiat et Audi dans le marché automobile sont un déterminant de leur culture. • Les conditions de travail des salariés : l'environnement immédiat et les conditions de travail dans lesquels les hommes exercent leur métier ont un effet direct sur leurs comportements et leurs relations, tant internes qu'externes.
23 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 30
LE SENS : ESSENCE DU CHANGEMENT ?
Chacun de ces éléments détermine la culture d'une entreprise, qui sera d'autant plus puissante qu'ils seront cohérents entre eux. Il faut donc s'interroger sur leur cohérence dans la perspective du résultat attendu du changement. Les croyances Elles sont nombreuses et variées, et il est prudent, au moment d'une volonté de changement, de savoir distinguer ce qui est le fruit avéré de l'expérience, c'est-à-dire l'état de l'art (dans l'entreprise mais aussi dans le métier), de ce qu'il est communément acquis de penser. Afin de ne pas se laisser enfermer dans ses croyances, il est indispensable de s'ouvrir, de découvrir d'autres pratiques. Il est courant d'entendre : « Qui sort, s'en sort ! » C'est juste, sous réserve d'être ouvert aux transpositions, aux expérimentations, par l'association d'acquis fondamentaux d'univers différents. Quand la réalité dément les idées reçues « Il est impossible de devenir leader mondial dans la fabrication de produits grand public, si on n'investit pas dans des équipements de production à très haute productivité. » Voilà un raisonnement facile à croire, et même à comprendre. Pourtant, une société japonaise a bâti son succès et sa place de n° 1 mondial dans la fabrication de porte-mines par la créativité de ses conceptions et la flexibilité de ses organisations, au service de toutes les marques connues des consommateurs dans le monde. Les composants à usiner ou à mouler sont bien sûr fabriqués par les équipements de production les plus performants, mais l'assemblage de la grande diversité de ses composants et de ses produits est réalisé à la main grâce à l'efficience remarquable de son organisation. Point d'usines rassemblant les procédés les plus avancés et la main-d'œuvre qualifiée nécessaire, mais un réseau dense et rigoureusement animé de centres de distribution du travail, de regroupement des sous-ensembles et produits finis, de contrôle de la qualité, répartis dans la cité, permettant le travail à domicile, par des personnes sélectionnées et des engagements formalisés. Le changement : une perte de repères ? Valeurs, culture et croyances constituent des repères pour l'entreprise et ses collaborateurs. Le changement va-t-il remettre en cause ces trois paramètres ou seulement l'un d'entre eux ? Dans tous les cas, il y aura « changement » dans ce qui « faisait sens » Au niveau collectif, il s'agit d'identifier si le changement recherché entraîne ou non des modifications dans : • Les valeurs, c'est-à-dire les modes d'action attendus de chacun des collaborateurs ; • La culture, c'est-à-dire les comportements attendus de chacun, à commencer par le chef d'entreprise, le marché (à conquérir par exemple), la place dans le marché visé, les conditions de travail des personnes concernées ; • Les croyances, dont certaines sont à remettre en cause pour réussir le changement attendu. Dès lors que les remises en cause nécessaires sont identifiées, il faudra former les personnes, revoir l'ensemble des processus et organisations afin d'établir les nouveaux
CELERANT CHANGE CLUB
24
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 31
LE SENS : ESSENCE DU CHANGEMENT ?
repères: chacun aura alors les éléments factuels lui permettant de comprendre ce qu'on attend de lui, et les raisons pour y adhérer. Prenons l'exemple d'une entreprise au rayonnement international :
Prise de risques et responsabilité individuelle.
Méthode, précision, discipline ; chacun s'occupe de sa tâche, n'est pas diverti par celles des autres, et applique les processus définis.
Valeurs
S
Culture
Mission : apporter des réponses simples et fiables à des besoins quotidiens essentiels.
Nous ne pouvons gagner d'argent durablement que par des produits qui se vendent à plus d'un million de pièces par jour.
Croyances
Pour s'adapter à l'évolution de son environnement, cette entreprise décide de changer de stratégie. Ce faisant, elle « change de sens » :
Prise de risques et responsabilité individuelle.
Internationale, diversité culturelle, ouverture d'esprit et mobilité.
Culture
Valeurs
S
Mission: apporter des réponses simples et fiables à des besoins quotidiens diversifiés.
C'est la capacité à répondre à une grande variété de besoins d'une manière plus efficace que nos concurrents qui assure notre performance et notre pérennité.
Croyances
Les valeurs restent les mêmes, mais les croyances et la culture changent radicalement, entraînant des changements profonds dans le recrutement, le management, l'offre, la distribution, les investissements, etc. Au niveau individuel, quelles seront les conséquences du changement ? On ne peut faire l'économie de cette préoccupation, même si le changement dans l'entreprise, comme dans toute organisation humaine, ne peut bien sûr être asservi à ce qui convient à chaque individu. Car ce sont bien les femmes et les hommes qui le mettent en œuvre, et la méthode employée pour impliquer chacun d'entre eux est déterminante dans la pérennité du changement opéré mais aussi dans la mémoire collective. Le changement étant une constante, il est important que la mémoire collective transmette le souvenir de mutations, d'apprentissages, de transformations, de constructions, plutôt que de blessures, de gâchis humain ou de déconsidération.
25 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 32
LE SENS : ESSENCE DU CHANGEMENT ?
Dès lors, au-delà des méthodologies de conduite de projet éprouvées, il convient de consacrer du temps, de l'écoute et de l'expertise à la compréhension du résultat souhaité et à l'adhésion du plus grand nombre, sauf à se priver de la richesse des hommes et de leurs capacités d'implication. Bien sûr, il faut tout d'abord que chacun sache ce que l'on attend de lui. Mais il faut aussi qu'il ait les compétences pour le réaliser, et surtout l'envie de le faire. Or cette envie repose sur deux familles de paramètres : • Ceux qui viennent de l'entreprise : les conditions matérielles pour réaliser sa mission, les conditions matérielles de rétribution et les conditions managériales ; • Ceux qui viennent de lui : ses moteurs (les activités qui le mettent naturellement en mouvement) et ses motivations (ce qu'il est prêt à faire à ce moment-là de sa carrière et de sa vie). Moteurs et motivations sont spécifiques à chacun de nous. Les études montrent que l'implication décuple si une partie significative de notre temps de travail y correspond. Ainsi, un homme qui a compris le « nouveau sens » dans lequel on veut emmener l'entreprise et qui est mis dans des conditions favorables pour que cela fasse sens pour lui, sera durablement moteur dans le changement à opérer. Comprendre le sens du changement Très souvent, l'importance est donnée à la compréhension des raisons de changer plutôt qu'à ce que l'on veut bâtir de différent. L'émotionnel l'emporte sur le rationnel et l'énergie consacrée à expliquer pourquoi il n'est plus possible de garder nos modes de fonctionnement est plus importante que celle consacrée à ce que nous voulons construire demain. Pourtant, un travail de formalisation est indispensable, permettant d'exprimer : • Quelle est la mission que nous attribuons à l'entreprise dans son marché (son utilité) ; • Quelle est l'ambition que nous avons pour elle ; • Quel est le métier de l'entreprise (les savoir-faire qu'elle doit maîtriser pour réussir sa mission et réaliser son ambition) ; • Quel est le positionnement souhaité pour l'entreprise (sa place, son image dans son marché). Il convient soit de réaffirmer ces points, soit de les communiquer en les explicitant. C'est alors que l'on donnera du sens (chacun sait où l'on veut amener l'entreprise et pourquoi) et que l'on fera sens (chacun sait quels impacts ce chemin aura sur les valeurs, culture et croyances, et en sera acteur). Donner du sens, c'est avant tout montrer la voie, une voie qui fasse appel aux capacités de l'homme. Lorsque l'entreprise sait utiliser les capacités de ses collaborateurs, leur montrer non seulement le résultat mais l'aptitude de chacun et de tous à sans cesse s'adapter aux évolutions de l'environnement, à sans cesse créer un atout
CELERANT CHANGE CLUB
26
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 33
LE SENS : ESSENCE DU CHANGEMENT ?
supplémentaire, alors chacun connaît le sens de son travail, de sa valeur ajoutée. Cette entreprise développe la confiance de chacun en sa capacité à s'adapter, à apporter, et renforce ainsi la capacité à agir. Donner du sens, c'est aussi montrer une voie qui soit souhaitable, s'assurer que cet avenir souhaité soit partagé par ceux sur qui l'on compte pour qu'il se réalise. Ce qui fait sens pour une personne, un groupe de personnes, une entreprise, est une alchimie composée d'histoire, de situations présentes et de perception du futur souhaitable. Quel futur inventons-nous aujourd'hui qui fasse que l'entreprise redevienne un projet ? Quelles actions mettons-nous en œuvre pour le réaliser ? Quelles forces issues de notre patrimoine collectif nous aideront à réussir ? Il est difficile de demander aux hommes d'être force de changements positifs quand on les coupe de la réalité de l'évolution de l'environnement de l'entreprise. Aussi est-il préférable, dans les temps où l'entreprise n'est pas remise en cause rapidement et brutalement par son marché, de nourrir leur connaissance et leur compréhension des paramètres qui influent sur leur devenir. L'entreprise est une composante complexe d'un système économique plus vaste et plus complexe encore. Il faut permettre à chacun de comprendre quelle est la place de son entreprise dans son marché, quelle est sa place dans l'entreprise, et quelle part il a, par ses initiatives, dans son avenir. Si chacun sait que le chemin à parcourir demandera des remises en cause et des innovations et si chacun peut contribuer à agir en utilisant au mieux ses moteurs et ses motivations, le changement sera conduit et réussi. Cela suppose de la confiance. Elle se gagne dans le passé et se régénère au présent. Une nécessaire cohérence entre l'interne et l'externe Si le changement doit avoir une influence sur l'environnement de l'entreprise, alors il est également nécessaire qu'il soit perçu et qu'il ait un sens pour ceux à qui il est destiné : clients, prospects, partenaires. Les efforts que l'on aura déployés en interne pour expliquer l'intérêt du changement et donner la preuve qu'il est en marche, il faut aussi les faire vis-à-vis de l'externe, et sans tarder. Les deux chantiers doivent être menés de front, car il se passe fatalement un temps long avant que l'externe n'intègre les changements mis en œuvre par l'entreprise. Le piège classique est de se dire : « Nous avons tant de choses à faire en interne que nous nous occuperons des autres après. » Erreur qui risque de transformer les clients et partenaires en frein pour le changement, s'ils continuent de voir l'entreprise comme elle était « avant » . À l'inverse, communiquer clairement sur le changement renforcera la nouvelle notoriété recherchée. Plus la notoriété d'une entreprise est forte, plus le changement est difficile à « accepter » pour ceux qui la connaissent (ou croient la connaître). L'enjeu est énorme, car il faut
27 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 34
LE SENS : ESSENCE DU CHANGEMENT ?
qu'il y ait cohérence entre le changement perçu par l'externe et celui vécu par l'interne. Le lien entre les éléments fondamentaux de notoriété d'une entreprise (son passé, son présent) et son futur souhaité doit être fort de sens. C'est-à-dire que : • Ses valeurs, culture et croyances fondent la définition de son futur – cela fait sens; • Son futur souhaité est clair et sans ambiguïté – cela donne du sens. Par exemple, après une période d'offre banalisée, Citroën s'appuie, dans sa dernière campagne de communication, sur son histoire d'entreprise, innovante, avantgardiste, pour se différencier à travers un message compréhensible par ses clients et porteur de fierté pour ses troupes. Qu'en est-il des partenaires de l'entreprise ? Ce sont des « ressources externes » qui ont une place importante dans la chaîne de création de valeur ajoutée, que le changement amène à redéfinir. Des partenaires bien choisis, c'est-à-dire en adéquation avec la nouvelle mission que se donne l'entreprise, entraînent un effet de levier, tant en créativité qu'en vitesse. Il est également crucial que l'interne et l'externe sachent collaborer. Un échange structuré sur leurs modes de fonctionnement respectifs est indispensable. L'identification et la mise en place des conditions d'une collaboration efficiente entre deux organisations qui auront probablement des cultures très différentes, sont essentielles. Nouveau dirigeant, nouveau sens ? Souvent, l'arrivée d'un nouveau dirigeant n'est pas perçue comme un changement au sens d'un projet structuré et conduit. La mission de l'entreprise et l'ambition que l'on a pour elle restent inchangées ; il est fréquent de ne rien communiquer, considérant que rien ne change fondamentalement. Pourtant, un nouveau dirigeant a souvent un impact lourd sur les valeurs de l'entreprise, sa culture (ses modes de fonctionnement) et ses croyances, confrontées à un œil neuf et puissant. La force et la vitesse de ses décisions peuvent surprendre et inquiéter. Si le sens n'en est pas explicité et les transformations conduites par expérimentations successives, l'impact sur les hommes et l'entreprise peut être négatif : désorientation, inquiétudes, risque de pertes de ressources humaines nécessaires. Le nouveau dirigeant a donc le devoir de formaliser et diffuser ce qu'il veut changer des éléments faisant sens pour l'entreprise. Nous ne sommes pas tous égaux face au changement. Certains sont demandeurs de changements permanents : cela leur permet d'exercer leur créativité, leur besoin de nouveaux défis ; d'autres ont peur du changement, de l'aventure qu'il propose, de la désorganisation qu'il peut entraîner ; d'autres encore l'appellent de leurs vœux pour accéder à une meilleure situation, ou craignent au contraire de perdre une situation qui leur convient. En réalité, tous sont utiles mais il ne faut pas qu'ils se neutralisent. Il faut au contraire que l'enthousiasme de l'un soit éclairé par la prudence de l'autre. Tous ont un rôle d'autant plus actif qu'ils apportent une contribution utile à la réalisation du changement
CELERANT CHANGE CLUB
28
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 35
LE SENS : ESSENCE DU CHANGEMENT ?
engagé. Pour cela, trouver une bonne place, choisir d'être entrepreneur dans la mise en œuvre, c'est aussi être « entrepreneur de soi ». Choisir de comprendre le sens dans lequel l'entreprise s'engage, choisir de faire connaître ce qui, dans ces transformations, fait sens avec soi-même, c'est ne pas subir son devenir, mais s'engager, se faire confiance et décider de son avenir.
Yves Ducrocq est membre fondateur du Celerant Change Club. Au cours de sa carrière, il a contribué à de nombreux projets d'innovation, de restructuration et de changements culturels. Il est aujourd'hui président de NFID (Nord France Innovation et Développement) et de Dephis (Développement et Performance par les Hommes, l'Innovation et la Stratégie).
29 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 36
CELERANT CHANGE CLUB
30
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 37
« Chaque individu réagit en fonction de facteurs psychologiques personnels, telle la peur de l’inconnu… »
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 38
LA RÉSISTANCE AU CHANGEMENT
1.4
La résistance au changement Par Élie Matta & Jonathan Hayes La notion de résistance au changement se révèle plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord. Individuelles ou collectives, actives ou passives, les résistances prennent de multiples formes et ne sont pas forcément nuisibles. Comment bien les comprendre et, surtout, les lever ? La richesse de la littérature sur le sujet reflète une grande variété d'approches. 'expression de « résistance au changement » fait partie du vocabulaire de gestion courant. Elle s'applique essentiellement au destinataire du changement et désigne son opposition à toute action altérant le statu quo. La résistance au changement serait responsable du taux d'échec élevé des projets de changements organisationnels. L'expression est à ce point usitée que sa définition n'est plus mentionnée dans les ouvrages universitaires, les séminaires ou les comités de direction. Mais le phénomène est-il si bien compris par le management ? Et que faire pour lever ces résistances ?
L
Une brève histoire du concept Dans les années 40, la résistance au changement apparaît sous l'impulsion de Kurt Lewin et n'a pas la dimension individuelle et psychologique qu'on lui prête aujourd'hui. Lewin adopte une approche systémique dans laquelle changement et résistance sont conceptualisés au niveau du groupe. Il considère que l'individu est présent dans un champ de forces – son environnement – qui influence son comportement et dont l'équilibre confère au groupe un état quasi stationnaire. On amène le groupe à changer soit en accentuant les forces qui vont dans le sens souhaité, soit en diminuant les forces antagonistes. Ce faisant, on déconstruit l'équilibre initial pour instaurer un nouvel état quasi stationnaire, qu'il faut ensuite consolider. Lester Coch et John French, disciples de Lewin, introduisent l'expression de « résistance au changement » dans un article de 1948. Ils la définissent comme la réaction d'un individu à la frustration induite par quelque force émanant de son environnement. Elle devient donc un fait, et un attribut négatif de l'employé, qui doit être surmonté. Cette définition à l'échelle individuelle a été amplifiée au cours du temps et prévaut désormais. L'expression de « résistance au changement » pose cependant question et a été récemment l'objet de critiques virulentes. On lui reproche notamment : • Un flou conceptuel : la résistance au changement donne lieu à une multitude de définitions, qui vont d'une opposition choisie qui doit être surmontée, à une caractéristique bénéfique qui doit être mieux canalisée ;
CELERANT CHANGE CLUB
32
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 39
LA RÉSISTANCE AU CHANGEMENT
• Un caractère uniforme qui ne correspond pas à la réalité : dès 1969, Paul R. Lawrence conteste les travaux de Coch et French. Selon lui, les individus ne résistent pas au changement en tant que tel mais à l'impact de ce changement sur les relations sociales. En 2001, Eric B. Dent et Edward H. Powley ont trouvé que pour chaque changement perçu négativement, les participants en percevaient positivement 1,9. La résistance au changement ne serait-elle pas surestimée ? Chacun accepte ou refuse tour à tour les changements en fonction de certains paramètres ou circonstances. Un individu ne résiste pas au changement per se mais résiste bien à quelque chose. • La stigmatisation d'un bouc émissaire : associée quasi automatiquement au seul employé, la résistance au changement peut être perçue comme un concept culpabilisant et destructeur4. Toute force induisant une force contraire, la résistance au changement est cependant inéluctable. Un projet de changement sans résistance nécessiterait que chaque participant appréhende la situation à l'identique et partage le même diagnostic: à moins de souffrir d'une forme extrême de groupthink, d'avoir annihilé toute individualité au sein d'une organisation, le cas paraît peu probable. Longtemps appréhendée négativement comme un élément à surmonter, la résistance au changement apparaît de plus en plus comme un phénomène naturel et sain. Elle devient même souhaitable. Ainsi, Paul Bauer (1993) considère que, telle la douleur, la résistance alarme les agents du changement. Pour E. A. Johns, la résistance est un pré-requis à tout projet de changement, qui fournit des retours d'information bénéfiques et permet d'opérer les ajustements nécessaires. Considérée à sa juste valeur, la résistance force le management à un examen plus approfondi de la rationalité des changements proposés, et contribue à briser des certitudes trop rapidement acquises. De plus, elle n'est pas l'apanage d'une catégorie particulière d'employés : si la résistance de la base est souvent visible car explicite, middle et top managers résistent tout autant mais de manière implicite. Quelles que soient les divergences d'approche conceptuelle, des attitudes de résistance se manifestent bel et bien. Pour envisager de réduire leur influence négative, il faut d'abord en repérer les manifestations et en comprendre les causes. Comment résiste-t-on au changement ? Les manifestations sont diverses et peuvent d'emblée être classées en individuelles ou collectives d'une part, actives ou passives d'autre part. Gérard Carton, consultant spécialisé dans la conduite du changement, propose une typologie intéressante en distinguant quatre formes de résistance : • L'inertie, caractérisée par une absence de réaction évidente au changement. On laisse penser qu'on accepte le changement mais on cherche avant tout à gagner du temps et à différer son application ; • L'argumentation, jeu dialectique dans lequel les doutes et les réserves sont verbalisés. C'est la forme la plus productive de la résistance, dans la mesure où 4 Céline Bareil, Centre d'études en transformation des organisations, Cahier n°04-10, août 2004, Montréal.
33 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 40
LA RÉSISTANCE AU CHANGEMENT
les choses sont dites ; • La révolte, réaction forte voire violente (demande de mutation, grève…), qui peut être le fruit d'une certaine escalade dans les rapports de forces ; • Le sabotage, qui cache une révolte intense sous une soumission apparente. Il va de pair avec la manipulation et son but est de démontrer l'inefficacité du changement proposé. Si l'inertie est la forme passive de résistance par excellence, argumentation, révolte et sabotage en sont des formes actives. Chacune peut être le fait d'un seul individu ou d'un mouvement de groupe (action syndicale…). On pourrait donc envisager l'existence d'une échelle, de la résistance active au soutien actif, en passant par la résistance passive et le soutien passif. Chaque employé adopte une position de départ dont il s'éloignera en fonction de facteurs individuels psychologiques et de variables organisationnelles. Les causes individuelles de résistance Tout changement entraîne un bouleversement de l'ordre établi, la remise en question d'une certaine forme de routine. Chaque individu y réagit en fonction de facteurs psychologiques personnels, telle la peur de l'inconnu, la crainte d'une perte de pouvoir ou de statut, la peur d'être incapable de s'adapter, qui sont autant de facteurs qui poussent à résister au changement. Il en existe bien d'autres, qui dépendent de la culture et de l'expérience de chacun, mais aussi du degré de confort que procurait « l'ancien ordre » amené à disparaître. Sans forcément craindre ce qui va arriver, pourquoi se réjouir de quitter une situation confortable ? Face au changement, chacun réagit aussi à certaines variables organisationnelles. Paul Strebel (1996) nous invite à envisager la relation employeur-employé comme un contrat implicite, un ensemble d'engagements et d'obligations réciproques, qu'il appelle « personal compact ». C'est un contrat à la fois : • Formel : l'employé sait ce que l'entreprise attend de lui en termes de mission et de performance (contrat de travail ou description de poste explicites) et ce qu'elle lui fournit pour faire correctement son travail ; • Psychologique : il s'agit d'attentes mutuelles et d'engagements réciproques, plus implicites, fondés sur des sentiments tels que la confiance ; • et Socia l: c'est la perception de la cohérence entre les discours de l'entreprise (valeurs affichées) et ses actes (attitudes du management). Pour Strebel, tout changement affecte la nature même du contrat et requiert une redéfinition claire de ses clauses par le management. Il voit dans leur non-révision une cause majeure de blocage et de résistance : « S'ils regardent à travers le prisme de ‘personal compacts’ inchangés, les employés comprennent souvent mal, ou pire, ignorent ce que le changement implique pour eux. » 5 Ainsi, lorsque la relation supérieur-subordonné se dégrade, le cynisme est prompt à se répandre et à ralentir de manière significative toute action en faveur du changement. Dans une étude appliquée, Reichers et al (1997) trouvent que le cynisme a de sérieux impacts sur la résistance au changement résultant du sentiment du subordonné d'être tenu à l'écart, 5 Paul Strebel, Why do employees resist change? Harvard Business Review, mai-juin 1996.
CELERANT CHANGE CLUB
34
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 41
LA RÉSISTANCE AU CHANGEMENT
de ne pas être informé ou respecté par son supérieur. De même, Folger et Skarlicki (1999) voient dans la résistance au changement une manière de faire payer à l'entreprise un traitement perçu comme injuste. Ainsi, un employé lésé ou heurté s'engage dans une action de vengeance afin de rétablir un accord préalable qu'il estime avoir été bafoué. Son action et sa réaction seront d'autant plus violentes que le préjudice causé par le changement est important et que la conduite du supérieur dans ce changement aura été jugée inappropriée. Les causes organisationnelles de résistance Si l'on quitte l'individu pour l'organisation, une partie des arguments expliquant les résistances au changement se retrouvent dans une approche « écologique » de l'évolution des organisations (par exemple, Hannan et Freeman, 1984). Cette approche souligne que les entreprises plus inertes jouissent d'une plus grande stabilité et fiabilité et, de fait, ont plus de chances de survivre. Ainsi, le changement entraîne souvent des conséquences imprévues et non désirées qui, à l'extrême, peuvent conduire l'entreprise à sa disparition. Ainsi, comme un facteur de survie, une résistance au changement et une inertie organisationnelle s'installent. Cette inertie s'installe grâce à des mécanismes sociopolitiques intra-organisationnels de plusieurs types (Rumelt, 1994) : • Une mauvaise perception : la myopie, c'est-à-dire l'incapacité à voir clairement l'avenir et la tendance à sous-estimer les signes des subordonnés ou de l'environnement ; le déni, souvent lié à l'arrogance qui conduit les managers à n'accepter que ce qui est attendu ou désiré ; la recherche du consensus au détriment d'une approche réaliste des faits (groupthink); le silence organisationnel ; • Une faible motivation au changement : elle peut être due à des causes rationnelles comme des coûts directs (changer met en danger l'organisation) ou des coûts de cannibalisation (le changement est bénéfique pour un département mais néfaste pour un autre); • Un manque de créativité : il peut résulter d'un changement si rapide de l'environnement qu'il paralyse la réponse de l'entreprise, d'une attitude qui considère la situation comme naturelle et inéluctable ou d'une vision stratégique qui n'est pas partagée par les employés car déconnectée de la pratique quotidienne ; • Des blocages politiques : quand bien même la direction de l'entreprise perçoit la nécessité d'un changement, des raisons politiques et culturelles peuvent créer des résistances; • D'autres forces qui empêchent les actions de se produire : un défaut de leadership, des routines ou le dilemme de la première personne à sortir du statu quo. Tour à tour positives et négatives, les résistances apparaissent comme réfractaires à un traitement uniforme. Un subtil dosage est nécessaire entre dissuasion de leurs formes violentes ou silencieuses et encouragement de leurs formes constructives. Comment y parvenir ?
35 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 42
LA RÉSISTANCE AU CHANGEMENT
Les approches participatives traditionnelles Dès 1947, Coch et French militaient pour que les destinataires du changement participent davantage à sa définition : les réunir et les impliquer en expliquant les raisons du changement permettrait de neutraliser toute résistance. Aujourd'hui encore, les approches participatives sont régulièrement recommandées. Considérant la résistance avant tout comme sociale, Lawrence (1969) recommande quant à lui une plus grande variété de tâches pour les employés, l'utilisation de termes compris de tous et une nouvelle vision du rôle de manager, défini davantage comme un communicant qui stimule les interactions que comme un supérieur qui exécute un plan et le contrôle. Plusieurs mesures sont considérées judicieuses, en fonction des causes des résistances (Kotter et Schlesinger, 1979) : 1. Éducation et communication : si la résistance provient d'un manque d'information, communiquer le rationnel à l'origine du changement génère de l'implication mais requiert du temps. 2. Participation et implication : si l'on recherche une plus grande implication, faire participer les équipes à la conception du projet est efficace. Le risque est que cela tourne à la cacophonie, entraînant de mauvais résultats. De plus, le processus peut être très long. 3. Écoute et soutien : si la résistance provient d'une inquiétude face à l'avenir ou d'une peur des nouvelles pratiques, écouter et fournir un soutien émotionnel est bénéfique. Mais on peut y consacrer du temps et des ressources certaines tout en échouant. 4. Négociation et accord : si un groupe perd quelque chose dans le changement et a un pouvoir de nuisance important, négocier et fournir des gages et des incitations supplémentaires est opportun. En revanche, le coût peut être non négligeable et le manager risque d'être pris en otage. 5. Manipulation et cooptation : il est parfois utile, pour neutraliser une menace, d'impliquer un membre de la partie adverse dans l'exécution du changement. Peu coûteuse et rapide, cette mesure est cependant risquée : la découverte d'une telle motivation peut résulter en une résistance accrue. 6. Coercition : lorsque temps et ressources sont extrêmement limités, passer en force et imposer une orientation sont parfois nécessaires. Efficace à court terme, le ressentiment accumulé peut cependant se révéler dévastateur à moyen terme. Cette approche se veut pragmatique et prend en considération les contingences du terrain. Elle suppose cependant que les causes des résistances puissent être clairement identifiées, que le remède soit adéquat et qu'il puisse être administré. Or rien de tout cela n'est évident. Il semble bien qu'il n'y ait pas de solution unique et encore moins miracle, mais une multitude de facteurs à appréhender et à traiter. Accompagner l'employé face au changement : la méthode des préoccupations Rompant avec les approches participatives classiques, Céline Bareil (2008) a élaboré
CELERANT CHANGE CLUB
36
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 43
LA RÉSISTANCE AU CHANGEMENT
un modèle centré sur les sept phases de préoccupations par lesquelles passe chaque individu face au changement, et qui peuvent être décelées lors d'entretiens. Chacune nécessite une action particulière du management (voir tableau). En se focalisant sur le vécu de l'employé, cette approche a pour principal avantage de s'attaquer aux différentes sources de résistance au moment opportun. D'aucuns argueront que le processus est long et coûteux, mais peu de modèles apportent aujourd'hui un tel degré de clarté au manager agissant quotidiennement auprès de ses équipes.
Préoccupation centrée sur…
L'employé…
Le management doit…
Rien (aucune préoccupation)
N'a pas conscience que le changement s'appliquera à lui ou le dénie.
Communiquer de façon précise le contenu du changement et souligner son importance ou son urgence.
Soi
Se soucie alors de son devenir et de tout ce qui va l'affecter (pérennité du poste, perte de pouvoir...)
L'écouter et le soutenir.
L'organisation
Questionne le sérieux de l'initiative et se demande si le changement est là pour durer.
Démontrer le sérieux des motivations du changement et les moyens mis à disposition pour le mener à bien. L'attitude du management est scrutée et son exemplarité est capitale.
Le changement
Se demande comment le changement va être mis en place.
L'inviter à participer tout en communiquant le plan d'actions prévu et les ressources à disposition.
L'expérimentation
Est assailli de doutes quant à sa capacité à faire face au changement proposé.
Jouer un rôle de support visant à faciliter un transfert de connaissances, en fournissant l'accès à des formations...
La collaboration avec autrui
Souhaite échanger avec d'autres employés et trouver des solutions collaboratives.
Motiver et faciliter les échanges pour capitaliser sur le savoir acquis dans les stades précédents.
L'amélioration continue du changement
Se demande comment améliorer ce qui a été mis en place.
Doit continuer à être attentif aux idées et pistes émergentes afin de tirer pleinement profit du processus d'intégration du changement.
37 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 44
LA RÉSISTANCE AU CHANGEMENT
La multitude d'approches du concept de résistance au changement reflète bien l'intérêt et les progrès faits sur le sujet, mais elle est aussi troublante par son hétérogénéité. Ses détracteurs appellent à une attention accrue à la complexité du phénomène et à son appréhension par le biais de modèles plus dynamiques. Se pourrait-il que le modèle traditionnel et linéaire du changement – planning, évaluation, anticipation des résistances et remèdes pour les surmonter – soit erroné et doive disparaître au profit d'un modèle non linéaire et non hiérarchique ? Penseur de la complexité et de la théorie du chaos, Jeffrey Goldstein le croit et, ce faisant, il bouscule nos habitudes. Il nous invite à délaisser la notion de résistance pour nous focaliser sur les forces d'attraction : tout système gravite autour d'un point d'attraction, et le changement vise à modifier ce point d'ancrage ; s'il y a résistance, c'est que l'attraction du nouveau centre est inférieure à celle exercée par l'ancien. Organisme vivant, l'entreprise se caractérise de plus par sa capacité d'auto-organisation. Nul ne pouvant prédire l'ordre émergent, les agents du changement ont donc à nourrir le contexte, à introduire les petits éléments qui auront de grands effets, à fournir sous forme d'information l'énergie suffisante pour que le système quitte son équilibre initial. Systémique était la définition de Lewin, systémique est la réponse de Goldstein. Adopter cette réponse revient cependant à abandonner le référentiel dominant, à côtoyer complexité, ambiguïté, incertitude et à admettre l'impossibilité de prévoir un résultat : autant d'éléments peu enclins à séduire le management et annonciateurs d'une résistance aiguë. Élie Matta est professeur à HEC Paris. Ses intérêts de recherche portent sur la gouvernance des entreprises, le pouvoir et le leadership organisationnel.
Jonathan Hayes est doctorant en Ressources Humaines et Organisation à HEC Paris. Ses intérêts de recherche portent sur les problématiques de changement organisationnel, incluant la sécurité psychologique des acteurs et leurs rapports avec leurs supérieurs hiérarchiques.
CELERANT CHANGE CLUB
38
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
« À l’image d’un voilier qui remonte au vent, il faut tirer des bords, plus ou moins serrés, plus ou moins longs, tout en gardant son cap en vue. »
Page 45
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 46
D'UN CHANGEMENT SUBI À UNE ACTIVITÉ POSITIVE ET PERMANENTE
TRIBUNE
D'un changement subi à une activité positive et permanente Par Gregory Godenne & Henri-Paul Missioux ien n'est plus naturel que le changement et rien n'est plus naturel que d'y résister ! » C'est ce que nos auteurs viennent de nous rappeler dans cette première partie. C'est bien là que réside toute la difficulté pour ceux, et ce sont les plus nombreux, qui n'aiment pas l'instabilité, quel que soit leur niveau hiérarchique dans l'entreprise.
R
Pourtant, comme l'évoque Jean-Éric Bousser, le changement n'est pas un phénomène nouveau. Depuis l'origine des temps, les catastrophes naturelles, les guerres, les grandes découvertes, les idées nouvelles ont provoqué des bouleversements dans l'organisation des sociétés humaines, qui ont dû s'adapter, se transformer parfois au point de devenir tout à fait autres, quand elles n'ont pas disparu faute d'avoir réussi à gérer leur mutation. Car ce n'est pas tant le changement en soi qui effraie que son impact sur les relations sociales, qui compromet la stabilité que toute société a vocation à garantir entre ses membres, grâce à une culture, des normes et des règles durables. Aujourd'hui, la résistance au changement est considérée comme une réaction saine qui aide à porter un regard critique sur des certitudes parfois trop rapidement acquises. Élie Matta et Jonathan Hayes nous expliquent qu'elle doit être perçue comme un pré-requis indispensable à un dialogue constructif permettant d'apporter les ajustements nécessaires. La résistance se manifeste de diverses manières. Elle peut être collective ou individuelle d'une part, passive (l'inertie) ou active (l'argumentation, la révolte, le sabotage) d'autre part. La résistance individuelle relève de facteurs psychologiques personnels et de variables organisationnelles comme la modification du contrat implicite qui lie l'employé à son employeur. La résistance collective provient de la crainte des conséquences imprévues et non désirées du changement, conduisant les organisations à une certaine inertie. Dans un monde en constante mutation, où l'innovation et la concurrence sont à la base du système de production de richesses, comment stimuler le changement tout en maintenant une relative stabilité ? Tout l'art de la conduite du changement consiste à trouver la voie qui permette de réduire au maximum les incertitudes et d'assurer à terme la pérennité de l'organisation. C'est en s'efforçant d'anticiper les signes annonciateurs d'une modification de l'environnement que les organisations adoptent une attitude proactive et ne subissent plus des changements perçus au
CELERANT CHANGE CLUB
40
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 47
D'UN CHANGEMENT SUBI À UNE ACTIVITÉ POSITIVE ET PERMANENTE
départ comme contraints. Comme le montre Yves Ducrocq, pour que le changement devienne une activité positive, il faut lui donner du sens en comprenant dans quelle mesure les valeurs, la culture et les croyances de l'organisation vont évoluer. Cette évolution doit aussi être communiquée vers l'externe, afin que la vision des clients, prospects et partenaires s'aligne sur celle de l'organisation. Comprendre le sens du changement, c'est avoir une vision claire de ce que l'on va collectivement essayer d'atteindre. Certains vous diront qu'un consultant comme nous trouve de toute façon son compte à promouvoir le changement ! Soit, mais nous apportons une garantie que la période d'instabilité qui sépare l'état initial de la cible va être optimisée sous tous les angles nécessaires. Le changement ne peut pas être abordé de manière uniforme pour toutes les organisations. Il doit varier dans sa durée et son intensité ; et faire l'objet d'un accompagnement différent selon le degré d'adhésion ou de résistance. Des approches participatives traditionnelles à la méthode des préoccupations, en passant par des modèles non linéaires et non hiérarchiques où l'on raisonne en termes de forces d'attraction, le changement ne s'apparente pas à une ligne droite vers l'objectif que l'on s'est fixé. À l'image d'un voilier qui remonte au vent, il faut tirer des bords, plus ou moins serrés, plus ou moins longs, tout en gardant son cap en vue. Le changement a beau être une composante naturelle de l'évolution, il n'en demeure pas moins un moment critique dans la vie d'une entreprise où l'émotionnel peut rapidement prendre le pas sur le rationnel. Changer requiert la mobilisation de toute l'organisation, du top management aux employés sur le terrain. Changer reste un exercice périlleux qui débouche dans de nombreux cas sur un échec. Changer est d'autant plus difficile que l'on a peu l'habitude de gérer ce genre de situation. L'expérience et un regard externe sont alors des facteurs de réussite qui vont aider à provoquer le besoin de changement tout en gardant la maîtrise du processus, permettant ainsi d'obtenir des résultats pérennes.
Gregory Godenne Consultant, Celerant Consulting Henri-Paul Missioux Vice-président Operations, Celerant Consulting
41 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 48
CELERANT CHANGE CLUB
42
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
43 CELERANT CHANGE CLUB
4/10/10
18:58
Page 49
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 50
DEUXIEME PARTIE
Des Hommes qui agissent et qui s’engagent
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
« Le change manager est à la fois persistant et flexible, enthousiaste et lucide, et toujours loyal. »
18:58
Page 51
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 52
LE CHANGE MANAGER : CONQUISTADOR OU SHERPA ?
2.1
Le change manager : conquistador ou sherpa ? Par Isabelle Domergue La réussite du changement repose sur un impératif: gagner les cœurs et les esprits, créer l'adhésion des équipes. C'est la mission du change manager, pièce maîtresse du changement, mandaté par le top management. Pour la mener à bien, il doit faire preuve de qualités indispensables, et pouvoir s'appuyer sur des valeurs fortes. Portrait d'un mouton à cinq pattes. l est celui qui allie la technique de management de projet et le supplément d'âme qui va fédérer les énergies autour de la vision partagée d'un état futur. Il doit donc tout d'abord comprendre cette vision et s'en imprégner, car elle sera le point d'ancrage principal du projet, la référence à l'aune de laquelle les choix seront pesés. Membre à part entière de l'entreprise, le change manager est là pour l'aider à transformer cette vision, ce « rêve » en réalité. À quoi ressemble cet accoucheur de rêves ?
I
Deux compétences clés Pour mener à bien sa mission, il s'appuie sur deux compétences clés : c'est d'abord un professionnel de la gestion de projet. Sans technique, pas de réalisation concrète et mesurable. Un projet de transformation est avant tout un projet, c'est-à-dire un périmètre avec des objectifs clairs, un planning d'activités comportant des jalons intermédiaires compréhensibles par tous, une équipe projet où les rôles et contributions de chacun sont connus, un suivi rigoureux de l'avancement et des dépenses par rapport au planning prévisionnel et, bien sûr, une gouvernance simple, reconnue et appliquée. Mais il a aussi ce supplément d'âme qui va permettre aux individus d'aller au-delà des frontières habituelles de leur écosystème et ce, de façon durable. Il ne doit pas incarner le changement mais l'accompagner au travers d'une réelle présence à la fois ferme, protectrice et effacée. À l'écoute du terrain, mais également des clients internes ou externes, il ajuste les actions et leur rythme à ce que l'organisation est capable de supporter. Il sert les objectifs du top management mais est au service de l'organisation tout entière. Il ne peut se contenter de donner des ordres mais doit faire en sorte que les décisions menant à l'objectif soient prises à tous les niveaux de l'organisation. Il suggère, éclaire, ouvre des portes sur de nouveaux horizons. Mais pour cela, il doit en premier lieu être à l'écoute de l'organisation et des individus qui la composent, à l'écoute de leur adhésion, de leur enthousiasme, de leurs croyances, de leur résistance. Car c'est alors qu'il peut agir efficacement, modérer, accélérer ou même influencer le top management pour ajuster la direction à prendre.
CELERANT CHANGE CLUB
46
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 53
LE CHANGE MANAGER : CONQUISTADOR OU SHERPA ?
Son premier devoir est l'honnêteté, la loyauté et le courage. Car c'est à cette condition qu'il pourra durablement compter sur le soutien des acteurs clés, dont il a besoin. Seul, il n'est rien Pour atteindre un état futur, il faut que cet état soit défini : c'est la vision de l'entreprise, souvent préparée par la stratégie, et portée en premier lieu par le top management. Cette vision qui, par définition, sera rarement précise, se doit d'être claire et inspirante. C'est elle, le premier moteur du changement car elle est la référence commune vers laquelle on tend. Elle est le socle d'un projet commun qui allie tous les acteurs du changement. Le change manager reçoit mandat du top management pour amener l'organisation vers cet objectif, transformant alors une vision en une réalité. Sans mandat, pas de légitimité, quelle que soit la position dans l'organisation. Et tout au long du projet, le top management sera sollicité pour réaffirmer les objectifs, valoriser les premiers résultats obtenus, confirmer des orientations, etc. Autrement dit, le change manager doit pouvoir s'appuyer sur le soutien visible du top management pour le projet. Par ailleurs, rien ne peut se faire, se transformer en réalité, sans les équipes. Ce sont elles qui vont–ou non–adhérer au projet. Ce sont elles qui vont être impactées et qui peuvent donc donner corps au changement ou, au contraire, l'étouffer dans l'œuf. C'est pour cela qu'un change manager n'agit jamais seul dans son bureau : en bon conquérant de l'avenir, il est au contraire au plus près du terrain pour créer les conditions pour que les équipes soient les acteurs volontaires d'un changement rendu nécessaire par la stratégie de l'entreprise. La co-création est bien souvent la première clé du succès. Il ne s'agit pas, bien sûr, de faire de l'angélisme et de laisser croire que la stratégie de l'entreprise ou son projet de changement peuvent être décidés de façon démocratique. Il s'agit plutôt d'utiliser un espace de liberté (le « comment y arriver ? ») pour impliquer les équipes impactées et les rendre acteurs et décideurs de leur transformation. Un exemple : une société, poussée par un marché déclinant, décide, après plusieurs années de réduction des coûts « classique » , d'envisager la délocalisation d'une partie de ses activités de service clients en Europe. Bien sûr, beaucoup d'autres organisations sont passées par là, les techniques pour mener à bien un tel projet sont connues et de nombreuses sociétés de conseil proposent leurs services sur ce sujet. Mais le rôle du change manager est en premier lieu de faire en sorte que les managers de ces équipes, amenées à disparaître, s'approprient le projet et décident que d'une part, c'est la seule solution, d'autre part, ils sont les plus à même de conduire ce projet, à la fois pour la continuité du business et pour le bien de leurs équipes. La première tâche d'un change manager est bien souvent de créer et fédérer un réseau d'individus venant de toutes les parties de l'organisation et représentant différents niveaux hiérarchiques; des individus que rien ne lie, si ce n'est le projet de transformation et leur adhésion à ce projet. On les appelle parfois les agents du changement ( « change agents » ). Ils sont non seulement les ambassadeurs du projet
47 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 54
LE CHANGE MANAGER : CONQUISTADOR OU SHERPA ?
dans leur entourage professionnel quotidien, mais les yeux et les oreilles du change manager. Au plus proche du terrain, ils savent trouver les exemples concrets qui permettent à leurs collègues et équipes de visualiser les objectifs visés et les avantages qu'ils y trouveront. Ils savent percevoir les doutes et résistances et en comprendre les raisons et conséquences. Leurs contributions sont précieuses car c'est grâce à eux que l'on pourra, en continu, ajuster en particulier la communication pour susciter l'adhésion de la plus grande majorité des équipes impactées. Ce qui rassemble les change agents, en plus du projet lui-même, c'est le change manager qui les guide, les soutient et les fait fonctionner en réseau, un réseau fédéré autour de valeurs communes. Le change manager, un Homme de valeurs Un change manager, porteur de ce supplément d'âme dont on a parlé plus haut, est doté d'un savoir être fort. Héritier de l'humanisme, le goût des autres et le sens de l'intérêt général lui permettent de renouveler sans cesse l'énergie dont il a besoin pour avancer et faire avancer l'organisation. À l'écoute et leader (il est avant tout un manager), il est capable de détecter les moindres succès et mettre en valeur ceux qui les ont accomplis (règle d'or : jamais lui-même !). Il est aussi capable d'anticiper les difficultés à venir, pour mieux préparer l'organisation à les franchir. Un projet de transformation étant rarement un long fleuve tranquille et prévisible, le change manager idéal est à la fois persistant et flexible, enthousiaste et lucide, et toujours loyal envers le top management comme envers les équipes. Cela ressemble fort à la quadrature du cercle… Et pour se rapprocher de cette description idéale, faire chaque jour le grand écart entre la vision et la réalité du terrain, le change manager puise son énergie dans des valeurs fortes, non seulement celles de l'entreprise, mais ses valeurs personnelles qui sont souvent en rapport avec ce que l'on pourrait appeler « le goût des autres ». Pour jouer pleinement son rôle délicat de leader qui reste en retrait, il doit être convaincu de l'importance et de la noblesse de servir : servir l'entreprise, le management et les équipes. Servir les autres, plutôt que son ambition personnelle. Et d'ailleurs, le danger qui le guette, comme beaucoup de ceux qui réussissent, est l'ivresse du pouvoir : le pouvoir de changer les choses, le pouvoir d'influencer… Le sens de l'écoute du change manager s'appuie lui aussi sur des valeurs : le respect de l'autre, le respect de points de vue différents, le désir de comprendre. Par ailleurs, un projet de transformation ne réussissant que s'il y a une réelle appropriation par le terrain, le change manager doit toujours rester humble et mettre en valeur l'autre plutôt que lui-même. Les meilleures idées et réalisations d'un change manager sont celles qu'il a si bien transmises qu'elles se retrouvent portées par les managers opérationnels, et qu'il retrouve au détour d'une conversation de couloir ou lors d'une réunion. Et malgré les frustrations qu'il peut parfois avoir (après tout, il est
CELERANT CHANGE CLUB
48
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 55
LE CHANGE MANAGER : CONQUISTADOR OU SHERPA ?
humain !), il doit toujours veiller à être sincère lorsqu'il met l'autre en valeur. Enfin, le courage n'est pas la moindre des qualités dont il doit faire preuve: courage de dire non à telle ou telle équipe, courage d'alerter le management lorsque les choses ne se passent pas comme prévu, courage de faire face à ses propres doutes. Un projet de transformation, parce qu'il doit remettre en cause en profondeur les habitudes de l'organisation, suscite rarement un enthousiasme unanime et continu. Il n'est donc pas rare de rencontrer des réactions d'opposition parfois violentes. Le système de valeurs du change manager lui permettra de jouer pleinement son rôle tout en restant honnête avec les autres et lui-même. Il arrive parfois qu'un changement entre en contradiction avec ses valeurs personnelles; par exemple, un projet de réduction de coûts drastique qui peut supprimer toute une catégorie de postes en Europe ou entraîner la fermeture d'une usine. Dans ce cas, certains préféreront refuser la mission, estimant qu'ils ne pourront la mener à bien sans compromettre ce en quoi ils croient ; ce qui, au mieux, générerait une inefficacité dommageable au projet, au pire, créerait une réelle souffrance personnelle. Le change manager, un Homme faillible Le change manager est avant tout un homme (ou une femme !) et quelles que soient ses qualités, il doit aussi faire face à ses propres découragements. Tout d'abord, il ne doit pas ignorer ses doutes, au risque de se crisper sur les objectifs à atteindre et de laisser en chemin les équipes, qui sont les seuls vrais acteurs du changement. Mieux il se connaîtra lui-même, mieux il saura percevoir et analyser ses doutes pour mieux rebondir. Savoir, c'est comprendre et comprendre, c'est progresser. Il peut passer par toutes les affres de la vallée du désespoir, depuis le découragement, la peur de ne pas réussir, jusqu'à la souffrance de devoir faire des choses en contradiction avec ses propres valeurs. Pourquoi s'appesantir sur ses propres doutes ? D'abord, parce qu'ils peuvent tout simplement être « en avance de phase » par rapport au reste de l'organisation. Les comprendre et les surmonter lui permettront alors de mieux gérer les résistances à venir. Ensuite, parce qu'ils peuvent être ressentis par le reste de l'organisation : le management, les change agents, les équipes. Et qu'alors, chaque intervention du change manager pourra avoir un impact inverse de celui recherché (par exemple, inquiéter plutôt que rassurer). Enfin, parce que des doutes ne s'effacent pas par décret. Enfouir la tête dans le sable n'a jamais aidé à progresser. C'est en comprenant l'origine de ses doutes que le change manager pourra continuer à conduire le bateau à bon port. Doit-il les cacher, les partager et, si oui, avec qui ? C'est une question difficile pour laquelle chacun a sa propre réponse. Faut-il jouer la carte de l'honnêteté jusqu'au bout et être transparent avec l'équipe projet ? Sans doute pas, car cela risquerait de créer des perturbations qu'il lui faudrait ensuite gérer. Par contre, partager ses doutes avec quelques « sparing partners » lui permettra de mieux les surmonter et
49 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 56
LE CHANGE MANAGER : CONQUISTADOR OU SHERPA ?
de plus rapidement les transformer en force. Et les partenaires potentiels ne manquent pas : le sponsor (celui qui, au sein du comité de direction, porte plus particulièrement le projet), mais à la condition – comme souvent – d'arriver aussi avec des réponses, des alternatives, des options. Autre solution : s'appuyer sur les consultants qui soutiennent le projet. Sans attache particulière avec l'entreprise, forts de nombreux retours d'expérience, ils ont souvent le recul nécessaire pour aider à en prendre soi-même. Partager ses interrogations au sein d'un réseau de professionnels du changement est aussi une option intéressante, pour les mêmes raisons que la précédente, en y ajoutant le fait que cela oblige à formuler clairement le problème. Enfin, la sphère privée peut parfois suffire car le simple fait d'en parler permet déjà d'envisager des solutions possibles. Et puis, pour les cas les plus complexes et liés à des problématiques de leadership et de comportement, n'oublions pas les coachs ! Quoi qu'il en soit, les doutes du change manager sont aussi sa richesse, qui va lui permettre de mieux comprendre les réserves et interrogations des autres. Et, au-delà de sa compétence, ses valeurs et ses convictions sont ses premières sources d'énergie pour rebondir. Et après ? Lorsque le projet est terminé, lorsque le sommet est en vue, vient le temps pour le change manager de s'effacer. La pérennité des résultats obtenus doit avoir été l'un de ses premiers soucis. Une transformation réussie n'est pas un château de sable emporté par la première vague. Les équipes se sont approprié la vision, ont décliné opérationnellement les changements à mettre en œuvre et les ont ancrés dans leur réalité. Le chef d'orchestre, le servant, peut et doit maintenant disparaître de leur écosystème. Que devient-il alors ? Membre à part entière de l'organisation, il doit considérer son futur proche au sein de l'entreprise. Au-delà des cas individuels, se pose la question de la pérennité d'une telle fonction. La conduite du changement doit-elle être envisagée comme une fonction durable ? Même si les changements perpétuels du marché, des clients, des techniques permettent de dire qu'il y a toujours un projet de transformation quelque part, l'option « fonction pérenne » présente le danger d'auto-générer les projets, au risque d'une déconnexion avec les besoins réels de l'organisation et sa capacité à absorber les changements de façon durable. Malgré tout, des entreprises de taille importante peuvent trouver un intérêt à considérer le change management comme un besoin permanent, et envisager d'avoir à disposition un vivier interne de professionnels qui passent d'un projet à l'autre (et d'une organisation à l'autre) au sein de l'entreprise. Ils présentent en effet l'avantage de l'efficacité immédiate. Ces accoucheurs de rêves connaissent les techniques de projet et de change management et sont familiers des enjeux de l'entreprise. Cependant, cette option n'est pas sans danger car elle peut conduire à une certaine usure du change manager et à une déconnexion de la réalité opérationnelle et terrain.
CELERANT CHANGE CLUB
50
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 57
LE CHANGE MANAGER : CONQUISTADOR OU SHERPA ?
L'option la plus souhaitable est sans doute celle du « rôle temporaire », pour plusieurs raisons. Le change manager qui, en fin de projet, retourne dans l'opérationnel, va s'enrichir d'une nouvelle expérience et se ressourcer en se confrontant à la réalité quotidienne. Il va pouvoir recapitaliser de l'énergie mais aussi renforcer sa légitimité opérationnelle. Et, plus important encore, il va impulser son savoir être dans une activité opérationnelle. Car l'objectif ultime en termes de conduite du changement est bel et bien que chaque manager, chaque leader soit un change manager en puissance. Le monde bouge, de plus en plus vite, avec des sauts de plus en plus importants, et toute entreprise, de la PME au grand groupe, se doit de s'adapter sans cesse à ses clients, son marché, son environnement au sens large. Aussi chaque manager est-il amené de plus en plus à conduire le changement. Et d'ailleurs, certains groupes l'ont bien compris, qui incluent dans leurs formations au management, y compris de haut niveau, une composante conduite du changement de plus en plus importante, en temps et en complexité. Il n'empêche, bien sûr, que certains projets de transformation complexes nécessitent et nécessiteront encore pendant quelque temps l'accompagnement spécifique d'un change manager. Alors, conquistador ou sherpa ? À l'évidence, la réponse est double : le change manager est un conquistador qui aide l'organisation à conquérir de nouveaux territoires mais c'est aussi un sherpa, au service de l'entreprise, résistant à la tentation de se mettre en avant pour permettre une réelle appropriation du changement par les équipes, qui en sont les vrais acteurs.
Isabelle Domergue est membre fondatrice du Celerant Change Club. Elle a été Change Manager du secteur Réacteur d'Areva jusqu'en décembre 2009, après avoir exercé des fonctions similaires chez Shell en Europe. Elle est maintenant en charge de fonctions plus opérationnelles chez Areva.
51 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 58
CELERANT CHANGE CLUB
52
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
« Le top management doit incarner le changement, en être l'image, le visage, auprès de tous les collaborateurs. »
Page 59
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 60
LE TOP MANAGEMENT : MAILLON ESSENTIEL DU CHANGEMENT
2.2
Le top management : maillon essentiel du changement Par Nicolas Orfanidis L'implication du top management n'est pas seulement déterminante mais impérative dans la conduite du changement. C'est le top management qui va donner l'impulsion nécessaire à travers une vision, mais aussi guider, recadrer tout au long du processus de changement et même au-delà, en s'assurant de la pérennisation des changements réalisés. Il est donc un acteur, sinon l'acteur majeur de la conduite du changement. Par-dessus tout, pour démontrer qu'il croit en la nécessité du changement, il devra s'engager pleinement et l'assimiler dans son propre comportement. u milieu des années 90, le top management d'une multinationale, désireux de faire évoluer le groupe et sa performance, décida de lancer un vaste programme de reengineering visant à repenser tous les processus pour les optimiser. Inspiré par les méthodes d’amélioration continue et les cercles de qualité japonais, ce programme proposait aux collaborateurs formant la « base » de l'entreprise de faire abstraction des processus existants et de reconsidérer les méthodes de travail sous un œil totalement neuf. Leurs réflexions devaient être formalisées sous forme de propositions, qui seraient validées par le management intermédiaire. Et si ce dernier s'y opposait, qu'à cela ne tienne : le top management avait annoncé qu'il ferait « sauter » les éventuels verrous bloquant la marche inexorable du progrès !
A
Bien des idées furent émises, mais peu aboutirent. Le middle management donna son feu vert en fonction de considérations qui pouvaient sembler par trop matérielles, empiriques et dénuées de vision, notamment aux yeux des jeunes collaborateurs qui avaient travaillé sur ces sujets. Ceux-ci durent donc rentrer dans le rang et revenir à des propositions beaucoup moins ambitieuses. Que nous enseigne cette histoire ? D'abord, que l'implication du top management ne s'arrête sûrement pas au lancement du programme de changement. Ensuite, qu'un changement proposé par la base ne peut se faire qu'avec son aval et son engagement. Alors, le top management est-il la pierre angulaire de la conduite du changement ? Le top management, leader naturel du changement ? C'est un fait : le top management, c'est-à-dire la direction d'une entreprise ou de toute entité d'affaires importante au sein d'un groupe, est quasi exclusivement à
CELERANT CHANGE CLUB
54
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 61
LE TOP MANAGEMENT : MAILLON ESSENTIEL DU CHANGEMENT
l'origine des programmes de changement. Comment l'expliquer ? Naturellement, la fonction du dirigeant d'entreprise fait de lui le visionnaire du devenir de son entreprise. Il doit développer une vision, puis une stratégie qui l'amèneront à anticiper et déterminer les changements nécessaires à la meilleure performance de son entreprise, et par là-même à sa survie dans un environnement compétitif. De manière générale, les collaborateurs et même l'encadrement intermédiaire ne peuvent se forger une telle vision, car ils ne disposent pas d'une vue d'ensemble de l'entreprise et des contraintes qui s'exercent sur elle6. Toutefois, plus la taille de l'entreprise sera petite, plus les collaborateurs comprendront, voire anticiperont ses enjeux – ce qui devrait normalement faciliter l'adhésion au changement ou, à l'inverse, le contrecarrer s'il est mal conduit. La nécessité du changement peut aussi être perçue en avance de phase par les collaborateurs, parce que l'optimisation du travail quotidien est ressentie comme un besoin impérieux d'amélioration. Mais ils n'auront pas pour autant les moyens et les informations nécessaires pour déterminer la nature et l'importance du changement requis. Là encore, c'est naturellement le rôle du dirigeant, seul à maîtriser tous les paramètres et donc à pouvoir estimer la pertinence d'un programme de changement. Il arrive aussi que des patrons de branches spécialisées ou de business units dans des grands groupes anticipent sur les changements nécessaires dans leurs secteurs, avant même que la direction générale de l'entreprise ne les perçoive complètement. Dans ce cas, il convient de convaincre le top management du bien-fondé des évolutions souhaitées. Et, bien entendu, de présenter le sujet avec une réflexion de dirigeant : vision, stratégie, moyens alloués, retour sur investissement, etc. Une fois cela fait, il est absolument nécessaire que le top management reprenne à son compte l'initiative du changement, et ceci pour deux raisons : • Le changement peut être pertinent pour une partie de l'entreprise mais non valide, voire dangereux dans sa globalité ; seule la vision d'ensemble du top management permet d'en juger ; • Même s'il s'inscrit dans un périmètre restreint, ce projet doit être « adoubé » par le top management pour montrer à l'ensemble des collaborateurs concernés qu'il s'agit bien d'un projet important pour l'entreprise, reconnu comme tel par l'équipe dirigeante. Ceci est d'autant plus vrai si le projet en question peut impacter, de manière directe ou indirecte, les autres entités de l'entreprise, voire leur être étendu (transversalisé). L'idéal, dans ce cas, est d'inscrire le projet spécifique dans un programme de changement plus vaste développé au niveau global de l'entreprise. Ainsi, il prend un aspect « corporate » , la direction générale valide son bien-fondé et affiche son soutien. Enfin, en validant un programme de changement, le top management met en jeu une partie de sa crédibilité. Son comportement sera scruté, analysé et interprété par les collaborateurs de l'entreprise. Il se doit donc d'être un modèle. Pourquoi les 6 Il est dans la nature humaine de vouloir améliorer les choses, de rechercher l’efficacité pour rendre les processus aisément applicables, procurant ainsi méme un confort souhaité. Aucun manager ne devrait considérer que des collaborateurs puissent se complaire dans une situation non optimisée. Seul un manque de communication peut le laisser penser.
55 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 62
LE TOP MANAGEMENT : MAILLON ESSENTIEL DU CHANGEMENT
collaborateurs devraient-ils accepter ou appliquer ce qui ne l'est pas par des dirigeants censés montrer la voie ? Pourquoi s'engageraient-ils dans le changement – ce qui n'est naturel pour personne – s'ils ne sentent pas un engagement fort de leurs dirigeants ? Le top management va donc devoir incarner le changement, en être l'image, le visage, auprès de tous les collaborateurs. Et ce, en vivant le changement, en s'impliquant tout au long du processus et en allant au contact du terrain. Donner l'exemple et assurer pleinement les responsabilités liées à la décision d'implémentation du changement demanderont du courage. C'est le cas de toute remise en question, car vous allez entraîner avec vous un certain nombre de collaborateurs sur la base de conjectures. Nous ne parlons pas ici des programmes lancés tardivement et pour lesquels la survie de l'entreprise est déjà en jeu. Le vrai courage est de savoir prendre des décisions importantes et difficiles lorsque la situation présente ne démontre pas encore la nécessité des actions envisagées. Convaincre, communiquer, rassembler Une fois l'impulsion donnée par un dirigeant modèle et courageux, quelles seront les premières étapes ? Le lancement d'un programme de changement impose en tout premier lieu un engagement fort du top management dans sa promotion au sein de l'entreprise. Cet engagement sera d'autant plus important que le changement ira à l'encontre de la culture et des valeurs de l'entreprise, des gènes de ses collaborateurs ou de processus et méthodes de travail bien établis et pas forcément inadaptés au présent. Bien entendu, la direction de la communication, ou des consultants internes ou externes, viendront soutenir la direction de l'entreprise dans cette tâche, mais il revient quand même à celle-ci de monter en première ligne et de donner du sens au changement. Comment ? En expliquant, décryptant de manière simple et claire la nécessité du changement, en explicitant le pourquoi, le comment et la finalité pour convaincre tous les futurs acteurs de ce changement, car ce sont eux qui le réaliseront. À travers cette première étape de communication auprès des salariés, le top management devra donc faire passer sa conviction que le changement est nécessaire, voire dans la plupart des cas urgent. Ce sentiment d'urgence permettra le plus souvent de rassembler les collaborateurs autour du projet et de les motiver en vue de sa réussite. Cette étape passera concrètement par la présentation : • D'analyses portant sur le présent et le futur de l'entreprise, • De la vision du top management pour l'entreprise, • De la stratégie définie et des axes de travail privilégiés pour éviter à l'entreprise de prendre un chemin mettant éventuellement en péril sa survie à terme. En résumé, il s'agit de faire comprendre que le changement est impératif pour sécuriser le futur de l'entreprise. Tout cela demande bien entendu de communiquer avec transparence autant que faire se peut. L'adhésion des collaborateurs sera d'autant plus forte que la transparence donnée renforcera la crédibilité des décisions prises.
CELERANT CHANGE CLUB
56
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 63
LE TOP MANAGEMENT : MAILLON ESSENTIEL DU CHANGEMENT
Ce processus de communication exige par ailleurs une cohésion et une coordination parfaite au sein de la direction. En particulier, lorsque le programme de changement est appliqué à une entité en situation difficile (business unit, branche…) au sein d'une entreprise saine : un exemple vécu a ainsi montré que le top management de la société pouvait parfois passer des messages moins dramatiques que celui véhiculé par la direction de la BU. Cette dissonance peut décrédibiliser le message sur le caractère urgent du changement et réduire à néant les efforts des managers opérationnels. Les dirigeants devront donc faire attention à bien gérer la communication au tout début du projet. Pour cela, le top management doit être soudé, solidaire et cohérent. Toute faille ou dissension pourra produire un message confus, brouiller la volonté et les objectifs de la direction et, en conséquence, donner prise à des résistances au changement. Structurer, identifier les acteurs, motiver Cette impulsion, puis cet engagement au début du processus de changement sont-ils suffisants ? Sans aucun doute, non. Une fois convaincus, les collaborateurs ne vont pas prendre seuls le chemin du changement. Le pilotage du programme de changement sera essentiel à sa réussite. Il appartient ici au top management d'identifier un vrai chef de projet, avec des qualités de leadership et de charisme, de rigueur et d'organisation, mais aussi de dynamisme, qui lui permettront de remplir avec succès sa mission. Le top management a donc l'obligation et la responsabilité d'identifier les ressources clés pour le pilotage du programme, qui sauront également relayer les messages du top management au sein de l'organisation. Il est aussi de sa responsabilité de donner les moyens matériels et surtout humains à ce leader, chef de projet ou change manager 7 dans certains cas, pour réaliser sa mission ; et de lui déléguer les responsabilités nécessaires à la mise en place du programme dans l'entreprise. Particulièrement en cas de conduite transverse du changement dans des organisations matricielles. Tout responsable de la conduite du changement devra donc se faire le relais du top management, tout en disposant de l'autonomie nécessaire pour impliquer un maximum de collaborateurs convaincus. Le programme de changement est avant tout un projet opérationnel réalisé par les collaborateurs et pas uniquement le projet de la direction. Recadrer, donner la direction Une fois le changement défini, le programme de réalisation structuré, la tentation est grande pour le top management de passer le relais et de se détacher de la réalisation opérationnelle du changement. Ce serait un danger certain. Le rôle du top management est tout aussi important pendant la phase opérationnelle, car le processus va naturellement traverser des crises, qui vont soumettre les principaux acteurs du programme à des pressions fortes. Les périodes de doute vont succéder à celles d'euphorie. C'est ici que le top management devra rester vigilant, apporter son soutien assuré lorsque le besoin s'en fera sentir, ou bien exercer une saine pression pour 7 Voir le chapitre 2.1, p. 46
57 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 64
LE TOP MANAGEMENT : MAILLON ESSENTIEL DU CHANGEMENT
donner l'orientation voulue, recadrer le programme, voire le modifier pour atteindre les objectifs définis. Il devra aussi s'adapter aux événements et aider à lever les résistances, notamment en communiquant autant que nécessaire, mais surtout en arbitrant, en prenant des décisions et en montrant toujours la voie à suivre. Tout cela passe impérativement par une implication régulière dans le suivi du programme, implication de préférence organisée à travers une structure de pilotage ou de supervision au plus haut niveau, qui fixera des étapes jalons et s'assurera du progrès des travaux et des résultats obtenus. Il est important que le top management insuffle le rythme nécessaire au projet pour que sa dynamique soit constante. Par ailleurs, le rythme défini et partagé avec l'équipe projet permet de synchroniser tous les acteurs du programme de changement, de maintenir leur cohésion et leur motivation. Cela permet également que les top managers soient en phase avec l'avancement réel des actions sur le terrain. La saine pression nécessaire à la remotivation des troupes n'est toutefois pas toujours ressentie comme telle. Qui peut apprécier de se faire tancer par son président sur la gestion de la conduite du programme de changement ? En tant que collaborateur ou manager de première ligne, vous pouvez vous demander pourquoi le ciel vous tombe sur la tête ! Et pourtant, il s'agit souvent tout simplement de la pression que le top management exerce pour aider les acteurs du changement à faire ressortir le meilleur d'eux-mêmes, afin de passer les caps difficiles. Un autre point très important est la reconnaissance à l'égard des acteurs du changement. Le top management devra en effet valoriser les actions réalisées, et par conséquent leurs auteurs. C'est un aspect important de la conduite du changement que de savoir valoriser et remercier, voire récompenser les acteurs positifs du changement. Comme le processus de changement repose avant tout sur des valeurs humaines et des moyens humains, le top management ne devra jamais sous-estimer la gestion humaine du processus et de ses acteurs. Avec ce contact direct du top management et son implication forte dans toutes les phases du processus, les acteurs du changement prendront conscience que celui-ci est considéré comme vital au plus haut niveau pour l'avenir de l'entreprise. En cela, l'implication du top management dans la phase opérationnelle, au moins dans sa supervision, est primordiale. C'est une des raisons pour lesquelles on peut considérer que sans l'implication du top management, un programme de changement est voué à l'échec. Pérenniser, assurer la continuité du changement Il y a bien sûr d'autres facteurs nécessaires au succès, notamment l'inscription du changement dans la durée. Là encore, il est de la responsabilité du top management de s'assurer de la pérennité des changements réalisés. Combien de programmes d'optimisation visant à changer des habitudes ancrées, qui, une fois achevés avec succès, voient les changements apportés disparaître presque aussi vite qu'ils sont apparus ? « Chassez le naturel, il revient au galop », dit le bon sens populaire. Rien
CELERANT CHANGE CLUB
58
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 65
LE TOP MANAGEMENT : MAILLON ESSENTIEL DU CHANGEMENT
n'est plus vrai. Il est inscrit dans l'Homme de répéter les choses car cela procure un certain confort et nécessite donc une moindre dépense d'énergie. Il faudra donc identifier les obstacles à la pérennisation et veiller à l'assimilation des nouveaux processus ou méthodes. L'engagement du top management va ainsi au-delà de la simple clôture opérationnelle d'un programme de changement. Sa réussite finale se mesurera dans la durée, pas à l'instant où l'on aura déclaré officiellement son achèvement. Le top management est sans aucun doute un acteur majeur du changement, le fil conducteur qui va porter le programme de bout en bout au sein de l'entreprise. Il doit en être le modèle, premier garant de l'application du changement. Il devra également convaincre les collaborateurs du bien-fondé du changement, en soutenir les acteurs et savoir apporter la reconnaissance nécessaire aux efforts consentis. Cet engagement constant sera le socle fertile à la pérennisation des changements réalisés, ultime étape trop souvent négligée et qui sanctionne pourtant le succès ou l'échec d'un programme. Est-ce qu'alors le rôle du top management est enfin terminé ? Le processus de changement se conçoit-il par paliers ou de manière continue ? Dans un monde économique en perpétuelle évolution, avec, semble-t-il, un raccourcissement des cycles économiques ou, à tout le moins, une accélération des processus d'information et de décision, on peut se demander si le monde de demain n'appartient pas aux top managers qui sauront mettre en place des processus de changements continus, permettant ainsi à leur entreprise de s'adapter en permanence. Sûrement l'un des challenges les plus intéressants à venir pour les managers du XXIe siècle.
Nicolas Orfanidis est membre fondateur du Celerant Change Club. Après avoir occupé des fonctions de management financières et de ventes en France et en Allemagne dans les secteurs des semi-conducteurs, des réseaux télécom et de la téléphonie mobile, il exerce maintenant dans le secteur des transports et de la mobilité (automatisations de lignes de métros internationales). À ce titre, il est le responsable financier d'une Business unit de 250 personnes chez Siemens France. Par ailleurs, il a récemment dirigé un important projet ayant induit de profonds changements dans tous les processus métiers et de management de cette méme entité.
59 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 66
CELERANT CHANGE CLUB
60
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
« Il est tout à fait justifié qu’un comité de direction puisse avoir des doutes sur la pertinence d’une duplication de son rôle de leader vers le bas. »
Page 67
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 68
LE TERRAIN, LEADER DU CHANGEMENT ?
2.3
Le terrain, leader du changement ? Par Nicolas Vedrenne Les programmes de changement impliquent l'ensemble des collaborateurs de l'entreprise, du top management à la base. Le leadership doit-il pour autant être partagé par tous ? Malgré les craintes et les doutes que cela peut susciter, l'émergence d'un leadership de terrain apparaît nécessaire et indispensable à la réussite du changement. e top management n'est pas le seul à devoir s'impliquer dans les projets de changement: la création d'un leadership de terrain est souvent recommandée pour augmenter l'efficacité et optimiser les ressources. S'agit-il d'un simple outil de communication ? Faut-il transmettre tout ou partie du bâton de maréchal ? Déléguer l'intelligence émotionnelle du top management ? Ces notions très à la mode sont prêchées par bon nombre de consultants, mais d'une mise en œuvre complexe… Doit-on croire au leadership de terrain ?
L
Je suis leader… moi non plus Il est tout à fait justifié qu'un comité de direction puisse avoir des doutes sur la pertinence d'une duplication de son rôle de leader vers le bas. N'y a-t-il pas un message sous-jacent d'échec du top management, quand on attend du terrain qu'il régénère, par sa prise d'initiatives, un processus de changement qui menace de ne pas avancer ? Cette remise en question est difficile, confuse, et une potentielle inversion des rôles est souvent crainte, voire jugée dangereuse. Demander au terrain d'être « leader » pose la question de l'autorité future comme conséquence du changement : « Qu'ai-je fait pour devoir déléguer mes compétences ? » On notera aussi le regard que peut porter le terrain sur le mécanisme de transfert du leadership : il attend souvent du management une attitude forte, en particulier dans les moments difficiles. « Qui commande, qui dirige ici ? » Le top management n'essaie-til pas de se débarrasser d'une responsabilité complexe via une délégation organisée vers les bases ? Et puis, un problème de confiance réciproque est toujours latent : du côté du management, on se demandera si l'on peut faire vraiment confiance à des subordonnés pour une responsabilité qu'on assume ; du côté du terrain, on s'interrogera sur la confiance à accorder à des managers qui veulent qu'on assume leur rôle… La confusion monte encore d'un cran si l'on considère la présence d'un middle management un peu perdu au milieu de cette affaire. Souvent coincé entre deux
CELERANT CHANGE CLUB
62
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 69
LE TERRAIN, LEADER DU CHANGEMENT ?
feux, il craint que son rôle de management soit jugé moins indispensable par sa hiérarchie et voit ses équipes prendre plus de responsabilités à son détriment. La peur peut facilement s'installer, surtout si la communication de changement omet d'inclure ou de mettre en valeur les managers intermédiaires. « Pour une fois qu’il y a un projet stratégique, on va voir directement mes équipes et on leur donne plus de responsabilités ! » Dans la plupart des cas, le middle management ne sera pas très convaincu par cette prise en sandwich soudaine qui revient en quelque sorte à dire que son rôle de « chef » n'est pas légitime. On peut par ailleurs s'interroger sur la capacité du terrain à cultiver du leadership. Après tout, si le terrain est toujours resté dans ses postes, c'est qu'il manquait d'un certain leadership (pensée relativement répandue) ou qu'il est trop spécialisé pour assumer d'autres fonctions. Le message « tout le monde doit être leader » est dangereux : on sait l'incompétence notoire qui affecte les troupes en la matière, et ce serait une erreur de compter sur l'intervention éventuelle de consultants pour transformer en leaders des personnes aux responsabilités jusqu'alors limitées. Attention, danger : « Il n'y a pas pire homme que celui qui a été esclave… et ne l'est plus. » C’est ainsi qu'un mentor m'a défini l'état des troupes d'une filiale récemment rachetée à des propriétaires très paternalistes et plongée en pleine restructuration. Comment trouver du leadership dans ce type de situation ? Un autre risque à vouloir impulser un leadership de terrain est la destruction potentielle de l'esprit d'équipe via la création d'initiatives individuelles et l'émergence de fortes personnalités. La confusion peut même avoir des relents de révolution : « Aux armes ! C'est à nous de diriger le changement ! » La création de silos (certains services se replient sur eux-mêmes) et de poches de résistances est à la clé. Une communication globale mal contrôlée se révélera contre-productive, divisant les équipes au lieu de les fédérer. Les motivations personnelles peuvent prendre le dessus sur un collectif établi et le changement peut être vu comme une opportunité à saisir pour des éléments jusqu'alors frustrés. Ainsi, c'est en période de projets de changement que l'on a à gérer le plus de demandes d'augmentation, de critiques vis-à-vis de pairs, etc. Car il existe un message négatif potentiellement caché dans cette délégation de leadership : passer du rôle d'acteur au rôle de leader ne se fait pas en un jour ni sans heurts. Il ne s'agit pas simplement de renommer les acteurs du changement ou les « early adopters » d'un projet, et de leur changer subitement de casquette. On aura vite fait de transmettre un message implicite selon lequel l'organisation actuelle n'est pas la bonne. « Qui décide ? Qui ne décide plus ? » Encore un terrain sur lequel peuvent germer de nouvelles résistances… Remise en question du top management, tremblements de terre pour les cadres intermédiaires, pauvre potentiel du terrain, équipes secouées et message biaisé : voilà un tableau bien négatif, qui n'incite pas à envisager le leadership de terrain comme l'allié du changement. Alors, pourquoi s'embarrasser d'un tel fardeau ?
63 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 70
LE TERRAIN, LEADER DU CHANGEMENT ?
Une implication du terrain comme effet de levier L'idée qu'un petit nombre de personnes pourrait changer 5 000 voire 50 000 comportements individuels est ingénue. Pour parvenir à ce résultat, il faudra transmettre autre chose qu'un ordre : une sorte d'inspiration qui change la structure traditionnelle de l'entreprise. De fait, il n'existe sans doute pas de projet de changement, de modernisation, qui ne convertisse pas le terrain en meneur de jeu. La transmission du leadership vers la base de l'entreprise a donc un caractère inévitable, car une imitation du top management naît tôt ou tard. On parle beaucoup du management par l'exemple, le voilà. Imiter le leader n'est pas nouveau, c'est une attitude innée dans la majorité des organisations et le changement catalysera ce penchant. Une organisation matricielle et l'apparition de réseaux informels renforceront cette tendance. Le leadership de terrain sera d'ailleurs, nous le verrons, un des outils de contrôle et de gestion de ces réseaux. La nécessité d'un leadership de terrain naîtra naturellement au cours de projets ambitieux de transformation, qui vont de pair avec un management par l'aval. Ce type de management va amplement au-delà de la notion d'écoute que l'on est en droit d'attendre de l'intégralité des collaborateurs d'une entreprise. Il s'agit de déléguer vers la base des attributions traditionnellement réservées au top management : définition de la stratégie et des plans d'action, mise en place des moyens et contrôle du résultat des actions menées. En confiant au terrain de nouvelles responsabilités, il s'appropriera le projet et se glissera de lui-même dans la peau d'un leader. Ainsi, le Groupe Adeo (Leroy Merlin, etc.) parle du leadership de terrain comme d'un « partage du Savoir, du Pouvoir et de l'Avoir ». Inévitable et nécessaire, le leadership de terrain présente par ailleurs un avantage : c'est l'un des seuls outils face aux résistances au changement8. Aucun projet, en effet, ne mobilisera 100 % des suiveurs, des non-conformistes et surtout des syndicats. L'engouement rapide que provoque le leadership de terrain sera un moyen, pour l'entreprise, de « prendre de vitesse » ces opposants potentiels. Les leaders de terrain démultiplieront, via une inertie positive, la force de l'impact du changement, rendant sa réalisation plus souple. Mais l'atout principal réside dans le fait que le terrain est au contact du terrain. Pléonasme s'il en est… mais il ne faut pas oublier qu'au-delà du contact avec les marchés, les fournisseurs, les clients et partenaires, le socle de l'entreprise est le proche de lui-même. Un employé lambda interagit de manière permanente avec ses pairs, à une fréquence toujours supérieure à celle de la direction. Il sera donc à même de générer et de conserver dans le temps l'effet papillon voulu par les animateurs du changement, bien au-delà de la théorie qui veut que les solutions viennent du terrain. Pourtant, il n'en a pas toujours conscience : le top management doit donc communiquer clairement sur ce point, pour que la base intègre bien son rôle d'ambassadeur permanent du changement. Dans le groupe Inditex (Zara, etc.), une remarque formulée par un client sur un produit auprès d'un simple vendeur peut générer une refonte complète d'un vêtement qui sera en magasin en moins de deux semaines. Du vrai leadership au contact du terrain. 8 Voir le chapitre 1.4, p32
CELERANT CHANGE CLUB
64
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 71
LE TERRAIN, LEADER DU CHANGEMENT ?
Plus qu'un type de leadership, d'ailleurs, on observera sur le terrain des modes de leadership complémentaires : l'« auto-leader », cultivant sa motivation via une approche responsable du changement, le « coach leader », capable de déteindre sur ses homologues, le « leader de rébellion positive », capable de rassembler, et le « leader complet », qui regroupe toutes ces qualités et est souvent spontanément désigné par ses pairs. Si l'on sait fédérer ce cocktail de compétences positives, les voies du succès seront tracées. On notera d'ailleurs que plus l'organisation est horizontale, plus on tend vers un mode de « leadership complet ». Un exemple tout simple est la présentation en public de grands changements par le terrain lui-même. Ces présentations sont souvent bien plus fédératrices que des présentations par le top management. Mais faut-il doser ? Existe-t-il une dose de leadership idéale ? Le changement serat-il plus réussi si tout le monde est un peu plus leader ? Vraisemblablement, oui. On a souvent tendance à sous-estimer la capacité de leadership des bases. Théoriquement, chacun devrait avoir un potentiel de leadership à libérer, même s'il y a toujours des exceptions, à étudier. L'observation de nombreuses structures nous apprend deux choses : quand une entreprise est mature, elle compte beaucoup de leaders de terrain ; et plus il y a de leaders, plus les résultats du changement sont pérennes. On en déduira sans trop de risques que la dose maximale de leadership est la dose optimale. Le leadership de terrain est donc inévitable, nécessaire et absorbe les résistances aux changements. Toujours plus, toujours mieux. Quelle est la recette de ce plat dont on craint souvent l'indigestion ? Tous des leaders : les quatre ingrédients du succès Avant tout, il conviendra d'accepter une étape où l'on passera d'un nombre réduit de leaders à un leadership plus généralisé. Évident, mais pourtant, dans bien des cas, c'est l'unique facteur clé de succès tabou. Qui de vous, lecteurs, acceptera facilement de perdre cette exclusivité réservée à peu jusqu'ici ? Cela va au-delà d'un simple exercice de délégation auquel nous sommes habitués, et c'est certainement le point le plus difficile. Il faut travailler sur soi pour surmonter des craintes certes peu fondées mais omniprésentes, énoncées en amont de ce chapitre. Pourtant, la redistribution du leadership n'est pas forcément associée à une perte de contrôle. Lors de programmes de changements, le nombre de collaborateurs spécialisés et dédiés est souvent renforcé. Il compense ainsi une instabilité potentielle liée à une montée en puissance de l'initiative dans les troupes. On notera tout de même qu'un lancement de projet n'est pas nécessairement le meilleur moment pour commencer à créer du leadership de terrain. Pourquoi attendre cette occasion ? Après tout, un leadership de terrain permanent va dans le sens d'une amélioration constante de l'entreprise. Ensuite, il conviendra de passer de l'état d'esprit à l'état d'action, avec ses contraintes, son activation, son déploiement. Il existe plusieurs formes pour matérialiser le leadership de terrain : liberté et autonomie de décision, systèmes de
65 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 72
LE TERRAIN, LEADER DU CHANGEMENT ?
remontée d'information, redistribution des pouvoirs, repêche et implication des suiveurs, etc. Quelle que soit la forme, l'important est que le fond et les faits soient là. Pouvoir dire à un employé de back-office : « Nous avons ce problème, que feriez-vous ? », qu'il vous réponde : « Je m'en occupe ! » et qu'effectivement il s'en occupe, signifie beaucoup plus que d'annoncer une série d'initiatives symboliques, réunions, débats organisés mensuellement. C'est dans les faits que l'on passe à l'action, pas dans la forme. Le leadership de terrain n'est pas un outil, une excuse ou une méthode. Ce sont des faits. De la même manière, on veillera à ne pas charger l'entreprise d'indicateurs, de messages contradictoires, de normes, contraires au leadership de terrain. Voici par exemple deux manières de décrire un même poste dans une annonce de recrutement. Il s'agit d'annonces publiées par des voyagistes concurrents. La première mentionne « la réception des appels de nos clients et prospects, le conseil sur nos destinations, […] la gestion des appels clients » ; la seconde indique : « Vous contribuez au bon déroulement et à la qualité de service de l'activité, vous faites remonter dans les meilleurs délais les problèmes, dysfonctionnements ou risques identifiés. Vous cultivez le sens du client interne et externe. » Il est évident que le second voyagiste attend plus de leadership de la part du terrain. Il faudra également s'attacher à analyser les réseaux informels existants ou potentiels de l'entreprise (groupes d'amis, clubs de sport, etc.). Il est maintenant démontré que le top management n'a aucun contrôle sur ces réseaux. Ce sont eux qui s'approprieront les messages et autogéreront leur leadership. Les nouveaux outils de communication rendent leur influence encore plus délicate à circonscrire. Par exemple, il existe sur Facebook, en août 2010, près de 60 groupes de discussions « Wal-Mart employees » , dont certains aux noms assez fleuris. On comprend tout de suite que les politiques de Wal-Mart sont discutées bien au-delà du lieu de travail. Ces débordements de messages sont naturels et difficiles à contrôler. Il sera donc essentiel pour une grande entreprise d'implémenter un leadership dans les bases, de manière à auto-canaliser les réseaux informels et à favoriser l'alignement de leurs messages sur le message officiel de l'entreprise. Au-delà de ces réseaux, enfin, il faudra prendre le temps de qualifier l'ensemble du périmètre où doit émerger le leadership, de déterminer quels en sont les points forts et les points faibles. Il existe toujours des forces opposées à la création du leadership : l'important est de les avoir analysées et de les maîtriser tout au long du processus. On en revient ici à la notion de planification, d'analyse de risque, comme pour toute autre composante d'un processus de changement. La création de leadership de terrain ne déroge pas à la règle. Être proactif en la matière, peu importe la méthode, sera un facteur clé de succès. « Quelle forme aura mon leadership de terrain ? » Impactés, engagez-vous ! L'engagement du terrain, directement impacté par le changement, est donc bien une nécessité complémentaire à l'implication du top management. Malgré une crainte sur la confusion des rôles et sur la capacité du terrain à assumer son mandat, cette forme de management est implicite. On pourrait même se demander si tout
CELERANT CHANGE CLUB
66
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 73
LE TERRAIN, LEADER DU CHANGEMENT ?
micro-changement n'est pas générateur d'une nouvelle forme d'implication et de responsabilité qui modifierait, de manière transitoire ou permanente, les structures classiques de l'entreprise, créant donc un changement plus induit. La perception de ce style de management dans le changement, de même que son succès, seront liés à une profonde analyse des réseaux qui composent l'entreprise ainsi qu'à la transmission du message que l'on veut bien en faire, objet du prochain chapitre.
Diplômé de l’École Supérieure de Gestion de Paris, Nicolas Vedrenne a développé son parcours professionnel en France, au Royaume-Uni, en Amérique latine et en Espagne, au sein de la Société Générale et de Sema Group, se spécialisant dans les NTIC. Depuis 1999, il a assumé la responsabilité du changement en tant que Président et/ou Directeur général de plusieurs filiales du groupe britannique Experian dans le monde latin. Il intervient comme Conseiller stratégique pour des sociétés en mutation et comme Manager exécutif de transition. Il est Directeur Général Europe du Merchant Risk Council.
67 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 74
CELERANT CHANGE CLUB
68
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
« La réussite du changement passe par son « humanisation » et la communication en est la clé de voute. »
18:58
Page 75
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 76
COMMUNIQUER LE CHANGEMENT : L’APPEL DU 18 JUIN
2.4
Communiquer le changement : l’Appel du 18 juin Par Françoise Berthier La communication est la clé de voûte de « l'humanisation » d'un projet de changement. Pour être efficace, elle doit délivrer le bon message à la bonne cible, au moment où celle-ci l'attend et par l'intermédiaire du bon support. La maîtrise de ces différents paramètres suppose un plan de communication soigneusement préparé. a mobilisation pour le changement peut-elle se faire sans une communication ciblée, spécifique, unique ? Le 18 juin 1940, ce que l'Histoire retiendra comme l'acte fondateur de la France libre n'est encore qu'une communication peu ordinaire, pas vraiment planifiée, diffusée sur les ondes, sans contact visuel, sans enregistrement. Pourtant, l'impact de l'Appel du général de Gaulle fut crucial, puisque cet événement fut le point de départ d'un changement fondamental dans la stratégie des Alliés. La communication est allée bien au-delà du 18 juin. Elle s'est peu à peu construite, par des réseaux complexes, adaptés au contexte, communications codées, secrètes, interdites, transmises par radio… Ce fut une communication peu banale et pourtant efficace car elle a atteint son but.
L
Si l'Appel du 18 juin fut particulièrement singulier et spécifique, n'est-ce pas finalement le cas chaque fois qu'il faut communiquer pour mener des changements stratégiques et importants, chaque fois qu'il faut rassembler et fédérer les énergies des hommes et des femmes sans qui le changement ne pourra se faire ? Une communication porteuse de sens Que ce soit un changement d'organisation, la mise en place de nouvelles applications informatiques ou un nouveau processus de travail, les changements ont toujours un impact sur les individus, leurs rôles, leur identité professionnelle, leurs compétences, leurs habitudes de travail. Or les hommes et les femmes ont besoin de comprendre pour agir, ils ont besoin de donner du sens à leur engagement9. Ceci est encore plus crucial en période de changements, lorsque l'on perd ses repères. C'est alors le rôle de la communication : donner du sens face à l'inévitable incertitude liée au changement. Donner du sens, c'est indiquer la direction. On ne change pas sans objectif, sans cible à atteindre et, pour être efficace, la communication de changement doit permettre de comprendre vers quoi on doit aller, comment ce sera « après ».
9 Voir le chapitre 1.3, p.22
CELERANT CHANGE CLUB
70
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 77
COMMUNIQUER LE CHANGEMENT : L’APPEL DU 18 JUIN
Donner du sens, c'est aussi donner la signification du changement. Ainsi, cette communication doit être rationnelle, expliquer pourquoi l'on doit changer, ce qui en fonde la nécessité, ainsi que les risques que l'on prendrait si l'on ne changeait pas. Enfin, elle doit permettre de comprendre comment l'objectif final sera atteint, les moyens et l'aide qui seront apportés, l'accompagnement, la formation… C'est seulement lorsque les individus auront fait un lien entre leur passé et leur futur, qu'ils auront compris et donné du sens au changement, qu'ils pourront s'inscrire dans le présent et construire quelque chose de nouveau. Pour qui communique-t-on ? Ce n'est pas l'entreprise qui change mais les hommes et les femmes qui, en changeant, font changer l'organisation. Ce sont eux qui vont réussir les transformations. Avant d'être un résultat organisationnel et collectif, le changement passe inévitablement par des actions et des réactions individuelles. Ainsi, la communication doit s'adresser à des individus qui n'ont ni la même histoire, ni la même expérience, ni le même potentiel de mobilisation face aux changements. Préparer le changement et la communication, c'est anticiper les réactions aux changements, qui sont très variables d'une personne à une autre. Pour en faciliter la compréhension, ces réactions peuvent être regroupées en quelques grandes catégories, suivant la progression sur la courbe du changement, dont voici une des illustrations : Les réactions humaines au changement Scott & Jaffe – Survive and Thrive in Times of Change Environnement externe
Déni
Engagement
Passé
Futur
Résistance
Exploration Environnement interne
Sur le chemin de l'engagement, le déni est la première réaction. Il peut être vécu plus ou moins brièvement mais, lorsqu'il s'installe, nous sommes confrontés à un véritable refus de tout changement : c'est l'immobilisme. Vient ensuite la résistance au changement. À ce stade, nous comprenons le changement et en acceptons l'existence. Toutefois, et pour des raisons le plus souvent individuelles,
71 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 78
COMMUNIQUER LE CHANGEMENT : L’APPEL DU 18 JUIN
nous ne sommes pas encore prêts à nous y engager. C'est là que l'on entend des remarques du type : « Cela ne marchera pas », « Cela concerne les autres, pas moi ». Certains peuvent se mettre en retrait et, quand cette phase dure trop longtemps, la souffrance et le stress s'installent, voire la dépression. Une fois les résistances levées, l'exploration de la nouveauté peut commencer : « Je vais essayer, je verrai bien », « Pourquoi pas ? ». Nous avons alors envie d'expérimenter ce qui est nouveau. Puis enfin, l'engagement est possible. Nous traversons tous ces phases à un rythme différent. Parfois, nous passons si vite sur une étape que nous croyons ne pas l'avoir vécue. Une même personne peut par ailleurs connaître un cheminement très variable selon le type de changement et la période de sa vie. Ainsi, on réagira différemment à une reconversion professionnelle si l'on a 30 ou 50 ans. C'est la raison pour laquelle les attentes en matière d'accompagnement et de communication sont très différentes d'une étape à une autre, mais aussi d'une personne à une autre. Quels sont les besoins en communication aux différents stades du changement ? Au début du processus, pendant les étapes de déni et de résistance, lorsque le changement n'est pas encore une réalité mais déjà source de bouleversements et de perte de repères, nous avons besoin de clarifications, de compréhension, de pouvoir donner du sens à ce qui est nouveau. L'information doit alors être fréquente, voire répétitive mais aussi pédagogique : structurée et structurante, et fortement connectée aux attentes du public. Puis, au stade de l'exploration, quand le changement devient réalité, quand les individus comprennent et acceptent sa mise en œuvre, ils recherchent un soutien individuel rendant possible leur engagement progressif. La communication est fondamentalement interactive pour permettre d'avancer individuellement par l'expérience, tout en partageant cette expérience avec les autres. Enfin, au stade de l'engagement, lorsque le changement est intégré et qu'il devient une manière presque habituelle de faire, la communication est un outil de reconnaissance et de renforcement. Les managers le savent, la reconnaissance est un levier majeur de motivation des salariés et elle doit faire l'objet d'une attention particulière pendant les périodes de transition, lorsque l'identification de nouveaux repères est fondamentale. Reconnaître des réalisations souvent menées dans des contextes difficiles et ambigus, c'est permettre aux équipes et aux personnes de « valider » ces réalisations qui deviennent alors leurs nouveaux jalons dans ce nouvel environnement. Sans reconnaissance de l'engagement des acteurs du changement, leur motivation et leur implication s'essouffleront et le changement ne sera pas durable : « À quoi bon ! » , se diront-ils. Cette communication peut venir des managers, des dirigeants ou de l'équipe en charge du changement, selon le niveau où celui-ci s'opère. C'est en cela que la communication est singulière et spécifique : elle s'adapte aux réactions humaines, individuelles et collectives, va à la rencontre des motivations
CELERANT CHANGE CLUB
72
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 79
COMMUNIQUER LE CHANGEMENT : L’APPEL DU 18 JUIN
qui sont la source de l'énergie et de l'engagement. Prendre le temps d'identifier ces grands types de réactions, d'en estimer le poids relatif, permet d'agir de façon ciblée mais aussi de mesurer l'investissement qui sera nécessaire avec tel ou tel groupe, à telle ou telle étape. Un vrai plan de communication pour accompagner le changement Si l'Appel du 18 juin a mis en marche le changement, il fut ensuite relayé par tout un processus de communication. Il en est de même pour tout changement : la communication de départ est essentielle pour donner du sens mais le changement n'aura pas lieu sans les relais de la communication de proximité, tout au long du projet. L'évolution des attentes des collaborateurs au fil du changement impose à la communication d'évoluer elle aussi en permanence pour être à même d'aller fédérer l'engagement là où il se trouve. Un véritable plan de communication est donc indispensable pour les projets de changement à fort impact. Il peut s'articuler autour de 5 axes : 1. L'identification de la cible permet de caler les messages selon les métiers, les pays ou les secteurs d'activité, de prendre en compte les leviers de motivation des individus concernés. 2. La clarification des objectifs (finaux et intermédiaires) permet d'établir le fil conducteur ainsi que le contenu de chaque opération de communication. À titre d'exemple, en amont d'un projet de changement, l'objectif sera général et stratégique, et visera l'information et la mobilisation des équipes (c'était le cas de l'Appel du 18 juin). Plus en aval, lorsque l'objectif devient plus spécifique, la communication pourra servir à lever des résistances, apporter les éléments expliquant aux individus comment ils seront accompagnés dans leurs efforts individuels. Fixer son objectif permet d'être cohérent dans toutes les étapes de la communication, et la cohérence du message est essentielle pour ceux que l'on doit fédérer. 3. Le contenu dépend bien entendu de la cible et de l'objectif. Si l'on se situe en amont du projet, si la communication doit permettre de sensibiliser toute une entreprise ou un groupe aux enjeux du changement, le contenu sera un socle : même message pour tous, centré sur l'explication rationnelle du changement, le but à atteindre… Si la communication est ciblée sur une population donnée, elle prendra en compte ses caractéristiques propres et clarifiera spécifiquement l'impact du changement sur ce groupe. 4. La planification et le timing prévoient les étapes clés de la communication afin que celle-ci soit présente aux trois moments cruciaux : • Au début du changement, une communication qui donne du sens et clarifie, • Pendant le changement, une communication qui soutient, accompagne et permet les interactions, • Lorsque l'on a atteint son but, une communication qui renforce et reconnaît.
73 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 80
COMMUNIQUER LE CHANGEMENT : L’APPEL DU 18 JUIN
5. Enfin, le choix du média est crucial car la meilleure des communications échouera si elle n'utilise pas le support adapté à la situation et aux attentes de ceux qui la reçoivent. Distinguons ici la communication stratégique et institutionnelle de la communication managériale de proximité. La première délivre des messages collectifs et donne les grandes orientations, le sens du changement. La seconde permet de cascader l'information au plus près du terrain, là où les changements s'opèrent. La communication écrite est adaptée à la communication institutionnelle et stratégique, collective, et ce, à toutes les étapes du changement. Notamment, les supports écrits ont l'avantage de pouvoir être conservés et réutilisés, donnant ainsi l'occasion de rappeler les messages clés et d'éviter les distorsions, interprétations et rumeurs très actives en phase d'incertitude. La création de supports dédiés renforcera l'importance de la communication de changement en la distinguant de la communication habituelle : une newsletter, un site web « spécial changement » seront souvent très utiles et efficaces pour fédérer les équipes autour de messages clés. Toutefois, communiquer sur et pendant le changement est un vrai défi, qui impose une remise en cause des canaux habituels de communication. Les outils de la communication écrite, informatique, à distance, trouvent très rapidement leurs limites lorsque le changement se décline et se met en place : une communication interactive, de proximité, s'avère nécessaire. Les réunions, groupes de travail et autres discussions individuelles deviennent alors autant d'opportunités pour échanger, réfléchir en groupe, poser des questions ou y répondre. Qu'elles soient formelles ou informelles, comme à la cafétéria, ces réunions sont tout aussi efficaces. Cela impose et permet aux managers comme aux salariés d'être disponibles, de ne pas rester dans leurs sphères, de s'ouvrir aux autres, et ainsi aux changements. Une communication multidimensionnelle qui fédère les énergies Pour répondre à cette exigence de proximité et favoriser les échanges, la communication doit s'appuyer sur des canaux multidimensionnels : descendants, ascendants et transverses. Les managers de proximité sont un rouage fondamental pour la communication descendante et ascendante. Ce sont eux qui vont décliner l'information institutionnelle pour la rendre opérationnelle et concrète. Ils mèneront pour cela une communication faite de dialogue et d'écoute, aidant chacun à progresser sur la voie le changement. Ce sont eux, également, qui seront en mesure de valoriser et faire remonter les informations, réactions et suggestions de leurs équipes. Acteurs clés du changement, il est essentiel d'identifier ces managers puis de les préparer à jouer leur rôle. Les préparer, c'est avant tout les rendre à l'aise et proactifs vis-à-vis des changements : • En les informant : il s'agit de leur donner une information claire, précise et mise à jour qu'ils pourront ensuite cascader auprès de leurs équipes, et grâce à laquelle ils sauront réagir aux situations inattendues, informelles…
CELERANT CHANGE CLUB
74
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 81
COMMUNIQUER LE CHANGEMENT : L’APPEL DU 18 JUIN
• Puis en les formant, c'est-à-dire en développant leurs compétences en « management du changement » pour mieux accompagner et manager leurs équipes et développer des comportements et des techniques efficaces en période de transitions. La troisième dimension, transversale, est sans doute la plus importante car elle s'appuie sur les organisations matricielles, telles que l'organisation en mode projet, qui sont au cœur du fonctionnement de nos entreprises. C'est là qu'elle puise sa légitimité. Les groupes de travail, projets et autres réseaux professionnels sont typiquement des structures qui génèrent un style de communication plus spontané, fluide et réactif que le style relationnel « hiérarchique », bien plus contrôlé. Hors des jeux de pouvoir propres aux organisations verticales, chacun s'exprime plus facilement et n'est pas limité par le « je pense mais je n'ose pas dire ». Cette communication influence donc plus directement et rapidement, catalyse le changement, crée l'envie d'y aller. Il est donc regrettable que, pendant les périodes de transformation, cette dimension transverse soit trop souvent négligée par les organisations. Est-ce parce que cela les sort de leurs processus habituels de contrôle ? Néanmoins, des outils récents de communication comme les plateformes collaboratives, mises en place pour des projets spécifiques, reconnaissent, valorisent et favorisent ces interactions transverses. Fondées sur la liberté et la volonté individuelle de les utiliser, de participer en apportant son opinion, ses idées et sa contribution sur un thème donné, elles offrent une opportunité d'engagement et sont une formidable source d'énergie pour accompagner les changements. Mesurer l'impact de la communication Si la communication est majeure dans les transformations, l'évaluation de son efficacité l'est tout autant. Les deux grands critères de sa réussite sont la compréhension que les individus ont du changement, puis l'atteinte des objectifs visés par celui-ci. Les enquêtes de type « pulse check » sont des outils très pertinents pour évaluer les impacts de la communication. Il s'agit en général de questionnaires adressés régulièrement aux collaborateurs au cours de la mise en place des changements, dont les résultats constituent un feed-back « bottom up » et informent sur l'ancrage de la communication et son impact sur l'engagement individuel. Ces enquêtes peuvent poser des questions directement liées à : • La compréhension de la cible du changement, • La perception de sa mise en œuvre, • L'appréciation des moyens mis en place pour accompagner le changement. Elles sont en général créées et pilotées par l'équipe projet en charge de l'accompagnement du changement. L'analyse des résultats permet d'identifier les besoins de communication non couverts mais aussi de réajuster les plans d'action. Ces enquêtes n'ont toutefois d'intérêt que si les résultats sont partagés avec les salariés afin qu'ils puissent contribuer aux ajustements. Ainsi, elles ont le double
75 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 82
COMMUNIQUER LE CHANGEMENT : L’APPEL DU 18 JUIN
intérêt de mesurer l'efficacité de la communication et de donner aux salariés l'opportunité de participer au projet de changement, donc de s'y engager. Sans la mobilisation d'équipes soudées autour d'un objectif commun, un projet de changement ne peut pas aboutir. La réussite du changement passe par son « humanisation » et la communication en est la clé de voûte. Porteuse de sens, s'adressant aux acteurs du changement, aidant à dépasser les résistances, cette communication sera à la source de la motivation et de l'engagement individuel et collectif pour un projet compris et partagé.
Françoise Berthier, membre actif du Celerant Change Club, est Change Management Head chez Sanofi Aventis R&D-HR. Spécialiste du Développement des Hommes et des Organisations, elle accompagne notamment, depuis plusieurs années, des équipes ou des managers dans leurs projets de développement et de changement.
CELERANT CHANGE CLUB
76
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
« …les changements de temps sont mieux acceptés si tout le monde retient qu’une saison mène à une autre, plus douce ou plus rude. »
XX
Page 83
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 84
CHANGEMENT DE CLIMAT EN TERRE DES HOMMES ?
TRIBUNE
Changement de climat en terre des Hommes ? Par Élie Matta & Mathilde Leroy 'organisation, entendue comme un écosystème composé notamment d'une communauté d'individus et d'un projet commun, se doit de fonctionner de façon fluide, sans décalages importants, tout en cultivant une adaptabilité vitale face aux variations de l'environnement dans lequel elle évolue.
L
Le propre des écosystèmes est qu'ils sont sujets aux transformations, qu'elles soient directes ou non, drastiques ou modérées, endogènes ou exogènes : la vie de l'écosystème-entreprise, au centre duquel le Capital Humain, est une succession de bouleversements écologiques. En ce sens, le changement génère une perpétuelle quête d'équilibre, voire d'équilibres, pour préserver l'intégrité de l'écosystème. Par temps changeant, lorsque l'écosystème est en mouvance et fait voler en éclats territoires et certitudes, il est vital pour les différents acteurs du changement de ne pas remettre en question le climat global de l'entreprise – la culture organisationnelle – comme repère fondateur, fixateur de liens, dans lequel le projet de changement doit s'inscrire. Pourtant ce climat global est soumis lui aussi aux aléas du changement. Il y a persistance du cadre de la culture, pas nécessairement de ses attributs. Chaque variation potentielle doit être reformulée pour constituer autant de microclimats de gains, individuels et collectifs, et ainsi faire de possibles cataclysmes une opportunité de progrès. C'est précisément tout l'enjeu humain dans les phénomènes de transformation. Et si l'on osait demander pourquoi il ne fait pas beau ? Une des certitudes les moins propices à l'action est de penser que le changement est une fatalité et qu'il n'y a qu'une voie possible. Encourager le besoin de questionner un changement, de le comprendre et d'expérimenter, est une clé de la réussite des transformations. Cette logique de déconstruction et reconstruction des représentations est l'apanage des différents leaders du changement.
CELERANT CHANGE CLUB
78
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 85
CHANGEMENT DE CLIMAT EN TERRE DES HOMMES ?
Rien n'est acquis, tout est à construire : aux leaders du changement de présenter une carte météo où le soleil brille malgré quelques nuages… Ils activent ainsi des leviers essentiels pour mobiliser le Capital Humain : • Se sentir en sécurité : garantir une sécurité psychologique et créer un climat de confiance qui permet l'action et l'engagement dans le changement ; • Donner de la voix : savoir entendre et se faire entendre dans la foultitude des voix latentes (réticences, suspicion, agressivité) et des voix hautes (résistance et sabotage) ; • Avoir conscience de faire partie d'un tout : soi et les autres constituent une somme indivisible. « Lors d'une tempête, on peut trouver la tranquillité au cœur même du typhon. » (Jiang Zilong, La Vie aux mille couleurs) Objectif « Grand Soleil » pour les change managers et les leaders Conduire les équipes dans le changement sans perdre de vue les objectifs de performance, entraîner chaque collaborateur tout en maintenant une dynamique collective et une collaboration efficace… Quelques pistes pour les change managers et les leaders du changement : • Créer la sécurité psychologique : distinguer contribution et évaluation, valoriser l'action par rapport au résultat, pour éloigner le stress inhibant le changement ; • Reconnaître le risque d'échec : l'anticiper, préparer éventuellement les équipes à passer de l'inaction destructive à l'exploration incontournable. L'échec n'est pas une fin, c'est un moyen ; • Donner du pouvoir ou le sentiment de pouvoir : le chaos organisé mène à une période perçue comme anarchique mais qui est tacitement guidée par le leader, à quelque niveau hiérarchique qu'il se situe dans l'organisation ; • Avoir un langage direct et clair : on se comprend tous ; sinon, on reformule ; • Agir dans la cohérence : permettre à chacun de trouver le sens du changement ; • Structurer le processus : établir une feuille de route et identifier l'avancement, les succès et les échecs. C'est la meilleure assurance pour une approche et une tactique gagnantes. « Pour ce qui est de l'avenir, il ne s'agit pas de le prévoir mais de le rendre possible. » (Antoine de Saint-Exupéry) Bouleversements climatiques, changement durable Transformer les organisations sans bouleverser les Hommes est une vue de l'esprit. Ce n'est néanmoins pas l'Homme qu'il faut changer pour réussir le projet de la transformation, c'est l'entreprise elle-même, tout en préservant son écosystème. Les différents acteurs du changement ont en main des leviers pour créer le climat favorable au changement, celui qui permettra à chacun de s'adapter, aux entreprises de gagner en souplesse et en réactivité, tout en acceptant la complexité de l'environnement et en s'ouvrant positivement aux nouvelles dimensions qui s'offrent à elles.
79 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 86
CHANGEMENT DE CLIMAT EN TERRE DES HOMMES ?
Réussir le changement, quel que soit le rôle que l'on incarne et la posture que l'on adopte, c'est apprendre à maîtriser ces mécanismes « météorologiques » qui permettent aux organisations de se transformer. Les déclencher demande des compétences, de l'expérience et de la persévérance. Miser sur les Hommes et leurs talents est indispensable dans la conduite d'un changement durable. “Peu de choses sont impossibles à qui est assidu et compétent… Les grandes œuvres jaillissent non de la force mais de la persévérance.” (Samuel Johnson) Une saison pas comme les autres ? Les agents, les change managers et les leaders subissent les mêmes intempéries et les mêmes éclaircies. Mais les changements de temps sont mieux acceptés si tout le monde retient qu'une saison mène à une autre, plus douce ou plus rude. Chaque saison requiert ses propres ajustements mais c'est en restant prêt pour le changement, et en acceptant que les saisons se succèdent, que les turbulences sont mieux apprivoisées.
Élie Matta Professeur Associé à HEC, Management et Ressources Humaines Mathilde Leroy Directrice du Développement Organisationnel, Bernard Julhiet Talent Management
CELERANT CHANGE CLUB
80
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
81 CELERANT CHANGE CLUB
4/10/10
18:58
Page 87
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 88
TROISIEME PARTIE
Approches et tactiques gagnantes
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 89
« Dans le cadre d’un projet de changement stratégique, il est utile d’associer au sein d’un même ensemble la réflexion stratégique d’une part et l’analyse organisationnelle d’autre part. »
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 90
UNE APPROCHE SOCIOPOLITIQUE DU CHANGEMENT ORGANISATIONNEL
3.1
Une approche sociopolitique du changement organisationnel Par Guillaume Soenen Le changement organisationnel est un enjeu sociopolitique et pas seulement un problème « technique ». Pour réussir, il faut adopter une approche « politique » , adaptée au contexte français et européen. Une telle approche requiert d'accorder une large place au diagnostic préalable, de valider la pertinence stratégique des changements, d'adopter une démarche contingente afin d'éviter le prêt-à-penser managérial et de vérifier son système de valeurs tout en adoptant une démarche juste. Enfin, il faut capitaliser sur les expériences de changement et construire une compétence collective en gestion du changement. ans plus de deux cas sur trois, les projets de changement sont des échecs10. Pour accroître leurs chances de succès en Europe, et en France en particulier, il convient d'adopter des pratiques adaptées au contexte socio-organisationnel européen. Celui-ci se distingue du contexte anglo-saxon qui sert de référence plus ou moins explicite à la plupart des modèles et pratiques courantes en gestion du changement.
D
En caricaturant à grands traits, dans l'approche anglo-saxonne, la gestion du changement est avant tout considérée comme une question « technique ». Comment doit-on communiquer ? Comment créer le sens de l'urgence ? Comment « libérer les énergies » ? Etc. Sans renier l'utilité de ces approches, il faut impérativement prendre en compte la dimension politique du changement, car toute entreprise est un lieu de pouvoir où s'affrontent des rationalités et des enjeux multiples. Une telle approche diverge de celles, formelles, décrites dans la littérature, et se distingue par le refus du prêt-àpenser managérial, de la fausse dichotomie entre formulation et mise en œuvre. Elle postule que le changement organisationnel n'est pas d'abord un problème de technique, mais un problème sociopolitique. L'importance du diagnostic préalable Le changement organisationnel est le plus souvent présenté comme un phénomène certes stratégique, « important », mais relativement simple : il doit être dirigé, il résulte d'une action volontaire, le plus souvent autocratique, quelquefois participative. Autre hypothèse simplificatrice: le changement organisationnel est un processus organisé, car planifié. En réalité, c'est un phénomène complexe. Il incorpore des
10 La gestion du changement. Les étapes d’une transformation réussie de l’entreprise. Etude de Celerant Consulting en partenariat avec The Economist Intelligence Unit, 2008. CELERANT CHANGE CLUB
84
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 91
UNE APPROCHE SOCIOPOLITIQUE DU CHANGEMENT ORGANISATIONNEL
dimensions opérationnelles, systémiques, historiques et culturelles. De plus – et il s'agit d'un point crucial - le changement est souvent conflictuel. C'est une action qui entraîne un déséquilibre, de l'incertitude et suscite des jeux de pouvoir. Enfin, c'est un processus chaotique. Parfois imposé, il est également émergent, voire insidieux. Cette seconde conception du changement, plus « politique », doit nous servir de base lors de l'élaboration et de la mise en œuvre de tout changement stratégique. Si l'on accepte l'idée que le changement est un processus complexe, il convient d'en tirer une première leçon : il faut savoir « perdre » du temps au début afin d'en gagner ensuite et d'augmenter les chances de réussite. Trop souvent, la phase de diagnostic préalable est réduite et approximative. S'il s'agit d'aller vite, de répondre aux besoins du marché, il est également nécessaire d'analyser le contexte dans lequel le changement envisagé doit être mis en place. Sur quoi doit porter ce diagnostic ? Il est fréquent d'opérer une distinction nette entre l'élaboration de la stratégie et sa mise en œuvre. Pourtant, de nombreux travaux de recherche et retours d'expérience nous conduisent plutôt à considérer que l'art de la stratégie est avant tout une question d'exécution. Les stratèges militaires le savent depuis longtemps : « La stratégie est un art simple, qui tient tout entier dans l'exécution » (Napoléon Bonaparte). Dans le cadre d'un projet de changement stratégique, il est utile d'associer au sein d'un même ensemble la réflexion stratégique et l'analyse organisationnelle. Celle-ci, en quelques mots, consiste à analyser l'entreprise comme un système sociotechnique et une communauté humaine, c'est-à-dire un ensemble d'acteurs, de technologies de production, de structures, de comportements, de représentations, de règles du jeu plus ou moins implicites et de valeurs. Le contexte spécifique du changement doit également être considéré. De combien de temps dispose-t-on ? Quelle est l'ampleur des transformations envisagées ? De quelles ressources dispose l'entreprise, tant sur le plan financier que sur le plan de l'expertise ? Ces ressources sont-elles disponibles ? Quels aspects de l'entreprise doivent être préservés pendant le changement et, au contraire, y a-t-il des choses, par exemple des comportements, qui doivent absolument disparaître ? Enfin, quelle est l'attitude des différentes catégories de personnels concernés par le changement ? Il faut ici différencier la connaissance de la nécessité de changer (la notion anglo-saxonne d’ « awareness »), la volonté de changer et enfin la capacité à changer (la notion d’ « empowerment »). Connaître n'est pas vouloir, vouloir n'est pas pouvoir. Valider la pertinence stratégique des changements Le diagnostic préalable au changement conduit à établir la nécessité de changer ainsi que l'organisation « cible » qu'il va falloir mettre en place, en accord avec les évolutions stratégiques envisagées. La distinction classique en management entre stratégie et tactique, entre élaboration et exécution est, dans le cas du changement stratégique, particulièrement problématique. Il convient en effet d'éviter une trop grande séparation de ces deux ensembles de préoccupations. Il y va de la capacité subséquente des managers à porter un changement, à adopter un comportement
85 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 92
UNE APPROCHE SOCIOPOLITIQUE DU CHANGEMENT ORGANISATIONNEL
exemplaire, à défendre le projet et à résister aux pressions qui vont se multiplier. En effet, on défend toujours mieux ce que l'on comprend de manière intime. Il y a deux façons de créer cette intimité. La première consiste à confier l'exécution aux acteurs responsables de la définition de la stratégie de l'entreprise. Dans le cas d'un changement stratégique de grande ampleur, c'est alors le comité de direction qui devrait porter le changement et en faire « sa » priorité. La seconde option consiste à associer en amont, lors de la réflexion stratégique préalable, les managers qui, selon toute probabilité, auront la charge de conduire les changements nécessaires à son exécution. On fait ainsi « entrer » dans l'élaboration stratégique des préoccupations d'ordre opérationnel et organisationnel qui contribuent à renforcer les chances de mise en œuvre de la stratégie11. Lors de cette phase d'élaboration préalable, il est important de s'appuyer sur des analyses solides et d'éviter de céder aux tentations du « prêt-à-penser » managérial. Il existe en effet une dérive en matière de pilotage des organisations, qui consiste, sous-couvert de « benchmarking » et d'excellence opérationnelle, à adopter des pratiques managériales et des types d'organisation à la manière de modes vestimentaires. Cette dérive est ancienne : TQM, Reengineering, Cercles Qualité, MBWO12… Les annales des best-sellers en management sont remplies de « modes » dont le succès est aussi fulgurant que la disparition rapide. Ces approches « techniques », « universalistes », déconnectent la stratégie de la conduite du changement. Adopter une démarche contingente Après une phase de diagnostic poussée, il s'agit d'établir un programme de changement adapté. Cela demande d'opérer des choix sur de nombreux paramètres : le mode de management (collaboratif ou directif ?), le point d'initiation du changement (approche top down ou bottom up, recours à des sites pilotes ?) ou encore les leviers d'action (actions structurelles et techniques, actions de formation, de communication, actions symboliques, etc.). En fait, l'éventail des décisions à prendre est relativement large, et ces choix doivent être faits sous une double contrainte : répondre aux enjeux stratégiques tout en tenant compte du contexte organisationnel. L'approche inverse consisterait à s'appuyer intégralement sur une démarche standardisée. Clarifions immédiatement notre propos : il ne s'agit pas, bien au contraire, de repousser en bloc tout recours à de « bonnes pratiques » dont l'expérience a validé la pertinence. Néanmoins, l'organisation pratique du programme de changement doit répondre aux conditions locales de sa mise en œuvre. Toute entreprise est un système contingent. Une organisation, quelle que soit sa nature, constitue un système marqué entre autres par une histoire et une culture. Par conséquent, il n'existe pas de « one best way », ni de solution miracle. Prenons un exemple : on sait que la participation accroît l'engagement des salariés et contribue globalement au succès des transformations. Toutefois, dans certaines conditions, c'est l'inverse qui se produit. Notamment, si l'entreprise est composée de plusieurs groupes de personnels aux comportements et intérêts opposés, une 11 Voir les chapitres 2.2, p54 and 2.3, p62 12 Management By Walking Around. CELERANT CHANGE CLUB
86
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 93
UNE APPROCHE SOCIOPOLITIQUE DU CHANGEMENT ORGANISATIONNEL
approche participative peut conduire à un ensablement des discussions et, au final, à un immobilisme marqué par une accentuation des tensions entre ces groupes. Ne vaut-il pas mieux, dans ce cas précis, adopter une démarche plus structurée, qui impose aux différents groupes en présence certains arbitrages a priori ? En fait, il est impossible d'affirmer dans l'absolu quelle est la meilleure solution car, en matière de changement, la contingence revêt une importance capitale. Adopter une démarche contingente va également permettre d'identifier les préoccupations concrètes des différents acteurs de l'entreprise. Parfois, celles-ci sont inexistantes car l'acteur ne connaît pas ou nie la réalité du changement. Souvent, les préoccupations sont très concrètes et renvoient à la sécurité de l'emploi, à l'évolution des conditions de travail et à l'équité des processus. Les acteurs favorables au changement ont eux aussi des préoccupations : comment s'assurer de sa mise en œuvre rapide, comment continuer à servir les clients pendant le changement ? Adopter une démarche contingente signifie que l'on ne va pas se contenter de postulats sur la résistance au changement, mais que l'on va chercher à déterminer avec précision les enjeux réels des principales parties prenantes (en n'oubliant pas d'inclure des acteurs importants qui ne sont pas forcément dans l'entreprise, comme des fournisseurs ou les clients). Cette connaissance sera précieuse : elle permettra de bâtir un changement qui aura du sens pour les collaborateurs, car il sera en phase avec leurs préoccupations réelles. Vérifier son système de valeurs et adopter une démarche juste Les préoccupations liées au réchauffement climatique ont popularisé « l'effet papillon » (petites causes, grandes conséquences…). En matière de changement, c'est « l'effet Pygmalion » dont on doit se préoccuper. Réalisée dans les années 1960 à Oak School, aux États-Unis, par Rosenthal et Jacobson, une expérience classique de psychosociologie a montré que les attentes plus ou moins favorables des maîtres vis-à-vis de leurs élèves avaient un impact significatif sur leurs résultats scolaires, toutes choses égales par ailleurs. Il s'agit d'un exemple de prophétie auto-réalisatrice, où le fait de croire en quelque chose contribue à rendre vraie ladite chose. L'agent de changement doit donc se garder de ses propres représentations. Le premier pas est d'expliciter son propre système de croyances, notamment celles concernant la motivation des individus, car ceci va avoir une influence profonde sur la nature des leviers de transformation que l'on aura tendance à favoriser. « Connais-toi toi-même », en quelque sorte. Une deuxième étape peut consister à contraster ses convictions avec des théories scientifiques de la motivation. Citons, par exemple, la théorie de l'auto-détermination de Deci et Ryan. Elle avance que les individus tendent, de façon innée, à satisfaire trois besoins psychologiques fondamentaux : l'autonomie, la compétence (maîtriser son travail) et la relation à autrui (avoir des relations satisfaisantes). Si l'effet Pygmalion est à prendre au sérieux, et l'expérience montre qu'il l'est, on comprend qu'adopter une vision de la motivation en cohérence avec la théorie de l'autodétermination conduira à structurer, puis à piloter le changement d'une certaine façon : par exemple, privilégier l'apprentissage plutôt que le contrôle par objectifs
87 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 94
UNE APPROCHE SOCIOPOLITIQUE DU CHANGEMENT ORGANISATIONNEL
comme levier de transformation. Une telle approche ne signifie pas qu'il faille renoncer au pragmatisme, et n'est pas incompatible avec des approches directives du changement. Par exemple, si l'on doit annoncer une démarche « directive », on veillera (i) à annoncer clairement la décision et/ou l'objectif, (ii) à expliciter les motifs de la décision, (iii) à reconnaître l'existence de possibles conflits ou insatisfactions (chez le récepteur) et (iv) à permettre un maximum de flexibilité dans la mise en œuvre de la décision. En effet, il est important de rappeler que le sentiment de justice ou d'injustice a deux principaux composants : le fond (ou « justice distributive ») et le processus (ou « justice procédurale »). En d'autres termes, le sentiment vis-à-vis du processus de décision a un fort impact sur les réactions face à ladite décision. D'où une question subsidiaire : quelles sont les caractéristiques d'un processus juste ? Il faudrait de longs développements pour faire le tour de la question. Citons néanmoins quelques « bonnes pratiques » : • solliciter les inputs des personnes concernées et les incorporer dans le processus de décision, • considérer le point de vue d'autrui, • réprimer les biais personnels, • appliquer des critères de décision de façon constante d'un individu à l'autre, d'une période à une autre, • fournir un feed-back rapide sur les décisions, • expliciter les critères de décision (ces critères devant être construits de manière raisonnée et communiqués de façon sincère, et perçus comme tels). On peut y ajouter un dernier élément : l'exemplarité des comportements managériaux. Dans le cadre des grandes organisations en particulier, les changements stratégiques sont souvent complexes et difficilement interprétables par les salariés, et ce, parfois pendant de nombreux mois. Dans ce cas, les regards se tournent vers les figures d'autorité, le chef de service et le(s) dirigeant(s) de l'entreprise. Leurs comportements deviennent un point de référence qui sert aux salariés pour interpréter le caractère juste ou injuste du changement. Ils déterminent plus globalement la perception du changement13. Accompagner les individus dans leur trajectoire de changement On distingue communément trois phases dans les programmes de changement : la mobilisation, la transition et la consolidation. Il convient d'y associer, tout en les distinguant, les phases de transition individuelles. Plusieurs modèles théoriques décrivent les phases de transition qu'un individu traverse après l'annonce d'un changement important. On peut par exemple s'appuyer sur les travaux d'Adams, Hayes et Hopson (1976) qui distinguent 7 phases : le choc, le déni (parfois accompagné de colère), puis la plus ou moins rapide prise de conscience du caractère inéluctable du changement, qui s'accompagne souvent d'un état dépressif, l'acceptation, qui marque la fin de la période dépressive, l'apprentissage et enfin, les deux étapes de la phase de consolidation : la création de sens et l'intégration sociale.
13 Voir le chapitre 2.2, p.54
CELERANT CHANGE CLUB
88
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 95
UNE APPROCHE SOCIOPOLITIQUE DU CHANGEMENT ORGANISATIONNEL
La courbe de transition est un concept utile pour l'agent de changement. On sait en effet que les actions à mettre en place pour soutenir les individus varient d'une phase à l'autre. Ainsi, dans la phase de mobilisation, il faut les aider à accepter le changement et à laisser le passé derrière, tout en tentant de minimiser le choc. On peut accomplir cela en annonçant les intentions et les modalités du changement le plus tôt possible, tout en s'attendant à de la résistance14. Mieux vaut considérer celle-ci comme « normale », tout en cherchant à en comprendre les causes plutôt qu'à en combattre les symptômes. Dans la phase de consolidation, on pourra célébrer les succès et institutionnaliser les nouvelles pratiques dans les processus structurants que sont le recrutement, la promotion et les mécanismes d'incitation salariale. On va également chercher à soutenir les individus dans leurs nouveaux rôles et à encourager la prise de distance par rapport au changement et à l'apprentissage accompli. Ceci nous conduit à considérer une dernière recommandation : la construction d'une compétence collective en conduite du changement. Développer une « capacité à changer » en capitalisant sur l'expérience La fréquente incapacité des organisations à capitaliser sur leurs expériences en matière de changement est l'une des raisons d'échec des programmes de transformation. La recherche académique en management est encore indécise quant à la nature des processus de transformation organisationnelle : s'agit-il de l'accumulation progressive de micro-changements, à la manière de la neige qui s'accumule avant l'avalanche ? S'agit-il plutôt de courtes périodes de transformations brusques, impulsées par de violents chocs externes, ou encore de formes hybrides incorporant ces deux mécanismes ? Un certain nombre d'expériences dans des entreprises comme Apple ou Google tendent à montrer qu'il est possible « d'organiser l'instabilité ». Ceci passe notamment par l'exploitation des situations imprévues, que l'on va traiter non pas uniquement comme des déviations à supprimer, mais comme des opportunités d'apprentissage. La dichotomie classique entre reproduction et innovation, optimisation et changement, est peut-être en fait une dualité. Ou en tout cas, la dualité est possible. Elle passe par la construction d'une compétence collective en matière de changement. Bâtir ce type de compétence devrait être un objectif stratégique à long terme pour la plupart des organisations – du moins, toutes celles confrontées à un environnement dynamique15. De quelles pistes dispose-t-on ? Tout d'abord, il est nécessaire de former les agents de changement (à l'analyse systémique, à l'ensemble des techniques et concepts relatifs au changement organisationnel). Il convient de considérer que la conduite du changement est une véritable compétence managériale et de la développer formellement. Ensuite, il faut conduire les transformations organisationnelles dans une optique de long terme. En tant que communauté humaine, une organisation a une mémoire qui ne se limite pas à celle de ses membres ; elle s'inscrit également dans ses processus, dans sa culture et dans ses normes de fonctionnement. Des propriétés caractéristiques de l'organisation, telles que la confiance, dont on connaît les vertus en matière de mobilisation des salariés, sont des produits « historiques ». 14 Voir les chapitres 1.4, p32 and 2.4, p70 15 Nous renvoyons le lecteur intéressé à la littérature sur les organisations apprenantes.
89 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 96
UNE APPROCHE SOCIOPOLITIQUE DU CHANGEMENT ORGANISATIONNEL
Ces propriétés collectives, tout comme la compétence individuelle des agents de changement, se bâtissent dans le temps. Un projet de changement est semé d'embûches. Dans ce chapitre, nous avons proposé une approche sociopolitique globale. De nombreux « grains de sable » peuvent néanmoins gripper la « mécanique » du changement, comme une mauvaise gestion du tempo du programme, qui fait l'objet du chapitre suivant.
Guillaume Soenen, diplômé d'HEC, est professeur de Stratégie à EM LYON Business School. Ses recherches et interventions portent notamment sur la conduite du changement et l'exécution de la stratégie. Il a travaillé pour des entreprises telles qu'Alcatel Lucent, Arc International, Bouygues Telecom, GDF SUEZ, Renault, Somfy, The Enterprise Group, etc.
CELERANT CHANGE CLUB
90
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 97
« …il faut marquer la cadence, battre le rythme, gérer l’allure, respecter la durée, et réaliser le changement avec tous les hommes et femmes de l’organisation... »
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 98
GÉRER LE RYTHME ET LA CADENCE DU CHANGEMENT : SPRINTER OU MARATHONIEN ?
3.2
Gérer le rythme et la cadence du changement : sprinter ou marathonien ? Par Tanguy Appert La gestion du temps est un élément clé pour mobiliser et motiver les équipes. Il est primordial de diviser le projet en jalons définis par leurs objectifs et les activités pour les atteindre. Une cadence hebdomadaire de revue des activités, au rythme des célébrations des passages de jalons, impose le changement comme significatif, inexorable et inévitable. En allant vite et sur une courte période, on crée un sentiment d'urgence qui contribue à engager les équipes dans la réussite du changement. our passer de cette intention à la réalisation, il faut marquer la cadence, battre le rythme, gérer l'allure, respecter la durée, et réaliser le changement avec tous les hommes et femmes de l'organisation, qu'ils aient un tempérament de sprinter ou de marathonien. ne organisation confrontée au changement reçoit un excès d'énergie. Idéalement, toutes les personnes concernées par le projet de changement sont convaincues de sa nécessité, et chacun désire y prendre part. Les objectifs à atteindre ainsi que les moyens pour y arriver ont été clairement définis. Les intentions sont explicites, tout le monde est encouragé à participer. Cependant, il va bientôt falloir se confronter à la réalité du changement. C'est alors que l'excès d'énergie se transforme en stress.
U
Si ce stress devient envahissant, il peut provoquer soit de l'agressivité, soit des réactions de fuite. Par contre, si le programme de changement est mené tambour battant, en évitant les temps morts, le stress peut se transformer en un formidable agent d'adaptation. Parvenir à en faire un allié est une question de cadence et de rythme. Avancer par étapes pour marteler le changement Pour mener un projet, il est important de définir la route à suivre et de la jalonner de points de repère. Ces jalons divisent le projet en plusieurs étapes. Pour chacune, il faut définir des objectifs, les partager, développer les actions pour y parvenir, les attribuer, les réaliser, mesurer les résultats et les communiquer. Il s'agit de mobiliser les énergies sur une durée déterminée, afin d'atteindre un jalon pour lequel un ou plusieurs résultats intermédiaires contrôlables sont livrés. À la fin de chaque étape, les résultats obtenus seront communiqués à l'ensemble des équipes. Ils permettront d'obtenir l'adhésion par la démonstration de l'efficacité
CELERANT CHANGE CLUB
92
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 99
GÉRER LE RYTHME ET LA CADENCE DU CHANGEMENT : SPRINTER OU MARATHONIEN ?
de la transformation. Il est important de s'employer à ce que l'ensemble de l'organisation reçoive cette communication, véritable levier d'impulsion du rythme. La première communication est celle du lancement du projet. Son objet est de convaincre chacun de se rassembler sur la ligne de départ, prêt à répondre au signal du starter, que la course à venir soit un sprint ou un marathon. Elle doit expliquer la nécessité du changement et décrire son impact sur l'organisation et sur chacun. Le dialogue sur le terrain, en complément de réunions d'information, est déterminant pour montrer l'engagement de l'équipe de direction et tenter de répondre aux inquiétudes. Vient ensuite le temps de la mise en œuvre du projet de changement, avec la nécessité de communiquer des résultats au passage de chaque jalon. L'objectif est alors de présenter l'état d'avancement à l'équipe de direction mais aussi d'obtenir l'adhésion de tous au projet. Cela réclame une communication sur le terrain, illustrée par des exemples concrets de l'impact du changement dans le quotidien de chacun. Il s'agit en quelque sorte de célébrer les victoires obtenues. En résumé : « On avait dit qu'on en arriverait là, on l'a fait ensemble, et voilà le résultat dans le travail de tous les jours. C'est le moment de célébrer la victoire. » Ces victoires doivent être partagées et, pour les plus significatives, récompensées. Si l'on veut changer les comportements, il faut changer les règles de rétribution. Avec un réel effort de communication pour célébrer les réussites au passage de chaque jalon, l'équipe se fédère. Célébrer les victoires est le moyen de mobiliser et canaliser les énergies. Lors de chaque passage de jalon, ces célébrations deviennent un rite. Il faut en quelque sorte marteler le changement, démontrer son omniprésence et, en fin de compte, prouver que les choses bougent. Marcher à rythme cadencé pour mener le changement Pour chaque étape, le travail nécessaire pour atteindre chaque objectif intermédiaire est divisé en une succession d'activités élémentaires. Leur suivi permet de piloter le projet. Le « pilote » doit suivre l'avancement, corriger si besoin à l'aide de leviers et vérifier que les corrections sont efficaces. Ces activités sont le plus souvent planifiées à la semaine. Leur revue hebdomadaire impose une cadence au projet. La régularité de la cadence résulte de l'adéquation entre les ressources et la charge de travail. Toute accumulation d'activités non terminées reportées d'une semaine à l'autre entraîne immédiatement un sentiment de débordement, qui provoque une situation de stress. Si la cadence impose de courir un sprint chaque semaine, on risque l'abandon. Une cadence d'exécution régulière donne une impression de contrôle qui peut cependant masquer la réalité. En effet, seule l'atteinte d'un objectif permet de statuer sur l'efficacité des activités réalisées. Rapporter « froidement » que 80% des activités sont accomplies n'est pas très mobilisateur. Il est plus stimulant d'annoncer qu'il ne reste que 20 % des activités à accomplir pour atteindre le dernier objectif fixé. D'où l'importance de fréquemment marteler le changement après plusieurs cadences, afin de rompre avec la monotonie de la marche cadencée du projet. Le rythme du projet correspond à la durée de chaque étape, c'est-à-dire au temps
93 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 100
GÉRER LE RYTHME ET LA CADENCE DU CHANGEMENT : SPRINTER OU MARATHONIEN ?
écoulé entre les passages de jalons. Cette durée est très souvent comprise entre 4 et 8 semaines : • Un rythme de 4 semaines permet en début de projet de s'assurer que l'énergie déployée par les équipes est bien ciblée. Il s'agit aussi de rapidement convaincre en montrant les premiers résultats. Ensuite, il peut devenir plus difficile de communiquer toutes les 4 semaines des améliorations tangibles et confirmées d'une semaine à l'autre. Le rythme peut alors être ressenti comme frénétique et provoquer du stress. • Un rythme de 8 semaines occasionne souvent un infléchissement de la mobilisation après le passage d'un jalon car le suivant semble très éloigné. La durée donne l'impression fausse que le retard est rattrapable. Les problèmes sont souvent remontés tardivement. • Un rythme de 6 semaines et/ou la combinaison de rythmes de 4 et 6 semaines sont souvent considérés comme de bons compromis. C'est un rythme soutenu qu'il est possible de maintenir du début à la fin. Il dissocie également la conduite du changement de celle du business dont la périodicité est mensuelle. Cette marche cadencée par les revues hebdomadaires des activités, au rythme des célébrations des passages de jalons, impose à tous le changement comme significatif, inexorable et inévitable. Un rythme élevé imposé par des jalons courts favorise la convergence et facilite l'adhésion. Il laisse peu de place aux mécanismes de résistance. Devant le chemin parcouru, il devient alors chaque jour de plus en plus évident qu'il faut y participer maintenant, avant qu'il ne soit trop tard. C'est un long parcours, une longue distance, un marathon. Concourir pour accorder le rythme du changement Il ne suffit pas de donner la cadence, de battre le rythme. Il s'agit également de coordonner les acteurs du changement pour qu'ils s'accordent et maintiennent cet accord. Il est recommandé de scinder l'organisation projet en plusieurs équipes avec leurs propres objectifs. Le « pilote » s'emploie à faire en sorte que l'avancement de chacune d'elles soit connu des autres. Le non-respect de la cadence et/ou du rythme par une équipe entraîne une pression bénéfique sur chacun de ses membres. Ils s'emploient alors la plupart du temps à rentrer dans le rang afin de ne pas s'installer durablement en marge de l'organisation. Il est primordial d'accompagner les équipes au quotidien. Un moyen pour ce faire est de « coacher » les membres des équipes identifiés comme déterminants pour mener le changement. Le coach, externe à l'organisation, n'aura de cesse de donner à ces individus les outils, les connaissances nécessaires à la conduite du changement. Il les aidera à surmonter eux-mêmes les obstacles et sera disponible, de manière informelle, entre chaque revue hebdomadaire, pour répondre à toute question. Il fournira également régulièrement un feed-back formel dont l'objet est de rassurer mais aussi de définir sans aucune ambiguïté les points à améliorer. Ce coach est un guide pour l'action, pour éviter tout écart de rythme. C'est un véritable chef d'orchestre. Si rigueur et discipline sont exigées pour respecter le rythme, il faut gérer les conséquences des écarts. La direction du projet doit être informée de tout manquement
CELERANT CHANGE CLUB
94
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 101
GÉRER LE RYTHME ET LA CADENCE DU CHANGEMENT : SPRINTER OU MARATHONIEN ?
à la cadence, sans attendre le passage du prochain jalon. On exigera de l'équipe qui fait défaut un plan d'actions correctives et un engagement sur les délais. La répétition délibérée de ces manquements doit être sanctionnée. Cette coordination repose sur l'émulation entre les équipes. Elle s'appuie également sur le coaching. Elle exige de tous de concourir en accord avec le rythme. Elle est sans concession car seule la somme de tous les comportements individuels crée le changement de culture. Chaque écart risque de casser le rythme et ainsi donner une chance à la culture existante de perdurer. Gérer pour moduler le rythme du changement La succession des jalons, imposée, donne au déroulement du projet un rythme alterné de compression (atteindre des échéances avec une connaissance précise de l'objectif poursuivi et des moyens pour y parvenir) et de décompression (développer les nouvelles activités, apprendre, fixer de nouvelles échéances). L'importance du rythme alterné invite à ne pas privilégier un mode unique de gestion du temps : dans certains cas, il faut temporiser, dans d'autres accélérer. L'habileté du « pilote » se situe dans sa capacité à faire en sorte que le changement épouse un rythme approprié aux circonstances, mélangeant à bon escient ces phases de compression et de décompression. Dans le milieu de l'athlétisme, on le surnomme « le lièvre ». Il est chargé de courir devant, pour tirer les coureurs en donnant le rythme. Il mène l'allure tout en restant à l'écoute des autres. Dans la conduite du changement, le lièvre est le change manager16. Quand la nécessité du changement ne répond à aucune urgence particulière, il doit bousculer les hommes et les femmes pour les inciter à modifier leurs habitudes. Il imprime alors un rythme qui sera perçu comme celui du sprint. Par contre, quand il y a urgence, il doit faire attention aux hommes et femmes pour ne pas les meurtrir. Il imprime alors un rythme qui sera perçu comme celui du marathon. Courir pour imposer la cadence du changement Une fois le rythme de chacun accordé, le mouvement d'ensemble sera perçu comme rapide par ceux qui se sentent dépassés, mais aussi par ceux qui se dépassent pour atteindre les objectifs. La vitesse est une notion somme toute relative. Elle est fonction des personnes mais aussi de l'environnement. Il est troublant d'entendre qu'il faut aujourd'hui 5 ou 10 ans pour changer des comportements individuels dont la somme forme la culture d'entreprise. Il faut combattre ces idées reçues que les gens finissent par croire et traduire dans leurs propres programmes de changement. Si l'organisation souhaite rester maîtresse de son rôle dans son environnement, elle doit évoluer plus rapidement que celui-ci. Des résultats tangibles et visibles doivent survenir dans les semaines ou mois qui suivent le lancement du projet, et non des années plus tard. Il y a plus de raisons d'aller vite pour changer la culture de l'organisation que d'arguments pour aller lentement. La vitesse peut effrayer, donner le sentiment d'être impétueux, faire craindre une perte de contrôle. Mais c'est le plus souvent le manque de vitesse qui en est la 16 Voir le chapitre 2.1, p46
95 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 102
GÉRER LE RYTHME ET LA CADENCE DU CHANGEMENT : SPRINTER OU MARATHONIEN ?
cause. Lorsque les gens sont bien installés dans leur travail quotidien, forts de leurs réseaux et de la connaissance de l'entreprise, il faut les bousculer pour les mobiliser. Les hésitations, les doutes et les craintes provoquent plus d'erreurs que la rapidité, qui ôte toute chance aux anciens comportements et aux anciennes pratiques de perdurer. Le sentiment d'urgence met sous tension l'organisation et contribue à engager les équipes sur la réussite du projet. C'est pourquoi il faut démarrer rapidement et s'évertuer à gagner en vitesse. On peut d'ailleurs toujours aller plus vite qu'on ne le pense. Lorsque le projet est terminé, on s'aperçoit souvent qu'il aurait été possible de le boucler plus rapidement ! Terminer la course pour graver le changement Le changement est un long parcours entre un existant rassurant et un avenir incertain. Il est préférable de rester prudent sur l'aptitude d'une organisation à soutenir l'effort sur une longue durée. Les collaborateurs risquent de perdre courage ou tout simplement le fil des événements. À la fin, on ne saura plus pourquoi on a lancé le projet. Pour éviter cette situation, il faut d'abord sélectionner les objectifs avec pragmatisme. Il s'agit de se garder de résoudre toutes les opportunités identifiées lors de la phase d'inventaire. Ensuite, il faut décliner ces objectifs à l'ensemble de l'organisation pour démultiplier les ressources. Plutôt qu'un programme étalé sur plusieurs années, il est préférable de mobiliser les énergies sur de courtes périodes de 6 à 9 mois et, le cas échéant, segmenter la conduite du changement. Pour contenir le nombre d'abandons, il vaut mieux courir plusieurs marathons que de tenter de participer à un super-marathon, un « Ironman » qui laisserait beaucoup de coureurs sur le bord du chemin. Le monde continue d'avancer pas à pas, avec de temps à autre une révolution. Pour mener un programme de changement en entreprise, il est préférable de s'inscrire dans un projet de transformation plutôt que d'envisager une rupture dramatique. Il s'agit alors de conduire le changement en mobilisant chacun pour qu'il avance, marche, concoure, gère, coure et au final termine le parcours. Pour passer de cette intention à la réalisation, il faut marquer la cadence, battre le rythme, gérer l'allure, aller vite, respecter la durée, avec pour mission de réaliser le changement avec tous les hommes et femmes de l'organisation, qu'ils aient un tempérament de sprinter ou de marathonien. La construction d'une feuille de route solide sera un élément-clé de la bonne gestion du tempo du changement.
Tanguy Appert est membre fondateur du Celerant Change Club. En tant que Directeur industriel pour Rohm and Haas, il a dirigé des projets d'amélioration de la performance industrielle, obtenue par des modifications techniques et la responsabilisation et l'engagement des employés en agissant sur l'organisation, les systèmes de suivi de la performance et les processus. Après le rachat de la société par Dow Chemical en 2009, il a pris la responsabilité de l'intégration des sites industriels de Rohm and Haas de la région EMEA. À ce titre, il met en place de nouveaux modèles organisationnels et de nouveaux processus afin de réaliser les synergies attendues par le rapprochement des deux sociétés.
CELERANT CHANGE CLUB
96
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
« Autant le préciser tout de suite, sans feuille de route, votre projet de changement n’a aucune chance d’aboutir. »
Page 103
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 104
CONCEVOIR ET METTRE EN ŒUVRE SA FEUILLE DE ROUTE
3.3
Concevoir et mettre en œuvre sa feuille de route Par Régis Brachet La feuille de route est l'élément indispensable à la mise en place du processus de changement. Elle se fonde sur une analyse approfondie de l'existant, qui doit permettre de déterminer la stratégie la plus adaptée à la conduite du changement dans l'entreprise. our 24% des entreprises17, les programmes de changement échouent non pas par manque de moyens, mais principalement à cause d'un planning négligé et d'objectifs non clairement définis ou difficilement atteignables, qui ne permettent pas d'évaluer les progrès accomplis. Êtes-vous prêt pour le changement ? Sa mise en place ne s'improvise pas : pour mettre toutes les chances de succès de votre côté et minimiser ainsi les risques d'échec, vous devez soigneusement préparer votre feuille de route.
P
Qu'est-ce qu'une feuille de route et pour quoi faire ? Autant le préciser tout de suite, sans feuille de route, votre projet de changement n'a aucune chance d'aboutir. La feuille de route en est un élément indispensable : c'est la colonne vertébrale autour de laquelle toute l'organisation, les actions et le rythme du changement vont s'articuler afin d'atteindre les objectifs fixés. Elle permet de tracer l'itinéraire à suivre depuis la situation existante jusqu'à celle que vous visez. C'est en quelque sorte le contrat passé entre l'équipe projet et l'équipe dirigeante. La direction fixe le cadre et sa vision du changement, à partir desquels l'équipe projet est chargée d'en établir la feuille de route, validée par le comité de pilotage. Le chef de projet a la lourde charge de s'assurer du bon déroulement des opérations, de la cohésion des équipes et d'harmoniser les plans d'actions afin de coordonner les décisions à prendre. La feuille de route lui permettra, ainsi qu'au comité de pilotage, de suivre l'état d'avancement du processus de changement. Elle se présente en général sous la forme d'un planning détaillant précisément les actions à accomplir et les étapes clés à franchir, où les rôles et les responsabilités de chacun sont clairement définis. Les objectifs indiqués doivent être réalistes. Des indicateurs permettront de visualiser les variations de votre processus et vous aideront à évaluer et reconnaître les progrès effectués. Définis et validés par l'équipe projet, ils doivent être pertinents, c'est-à-dire en lien direct avec l'objectif que vous vous êtes fixé, et fondés sur des données réellement mesurables et vérifiables sur le terrain. 17 La gestion du changement. Les étapes d’une transformation réussie de l’entreprise. Etude de Celerant Consulting en partenariat avec The Economist Intelligence Unit, 2008.
CELERANT CHANGE CLUB
98
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 105
CONCEVOIR ET METTRE EN ŒUVRE SA FEUILLE DE ROUTE
Typiquement, cela peut être un graphique montrant l'évolution de l'efficacité d'une machine, qui se situe au commencement du projet à 65 % et qui, grâce aux modifications apportées et à l'organisation mise en place, indiquera que l'on progresse vers l'objectif de 80%. Ou encore, un indicateur de service client représentant l'écart entre le délai demandé par le client et le délai accusé par l'usine ou l'atelier avant, pendant et après le projet. L'affichage de vos indicateurs est le meilleur moyen de les rendre visibles par l'ensemble du personnel et de challenger vos équipes. Il est également recommandé de faire apparaître les phases de coaching et de formation qui vont jalonner la feuille de route à certaines étapes clés du processus. Cela aura pour effet de rendre visible la volonté de l'équipe projet d'accompagner et de responsabiliser le personnel dans l'opération de changement que l'on souhaite mettre en place. Les éléments de la feuille de route sont déterminants pour obtenir l'adhésion des équipes et conserver la dynamique dans l'entreprise. Le chemin à parcourir sera difficile. L'équipe dirigeante et l'équipe projet, aidées par les ressources humaines, devront communiquer régulièrement à l'ensemble du personnel de manière ouverte et transparente. C'est un point fondamental pour conserver la confiance, ôter les doutes et capitaliser la motivation18. Chaque entreprise a son identité propre, son histoire, sa culture et son mode de fonctionnement. Vous devrez prendre ce contexte en considération et adapter votre feuille de route en tenant compte des femmes et des hommes en place dans l'entreprise. Le changement que vous allez déployer va inévitablement engendrer des bouleversements dans les faits et les esprits. Mais ces bouleversements ne doivent pas être synonymes de révolution ni de chaos. Conditions préalables à la feuille de route S'il est difficile, voire impossible, de piloter un projet de changement sans feuille de route, il est tout aussi difficile d'imaginer bâtir une feuille de route sans une analyse approfondie, en amont, du terrain sur lequel doit s'opérer le changement. Tout d'abord, savez-vous exactement comment fonctionne tel ou tel service ? Connaissez-vous les liens entre les services et les moyens de communication ? Existe-t-il des contrôles visuels19 et, le cas échéant, sont-ils efficaces ? On constate très souvent que les managers connaissent parfaitement leur domaine d'activité mais ont une vision limitée de l'ensemble du fonctionnement de leur entreprise. Vous l'aurez compris, l'analyse préalable est indispensable et déterminante dans le choix de la stratégie à mener et de la tactique à déployer. L'analyse est pilotée par l'équipe projet et doit être planifiée sur un horizon de cinq à six semaines maximum, afin que les informations recueillies et les événements étudiés soient toujours pertinents au moment d'entamer le processus de changement. Pendant ces quelques semaines d'observation, il s'agira de réaliser des interviews de l'ensemble du personnel concerné, de l'opérateur au manager. Certains dirigeants préféreront s'adjoindre l'aide de consultants dans cette démarche, avec un double 18 Voir le chapitre 2.4, p70. 19 Par exemple, des panneaux d'affichage lumineux permettant de suivre, en temps réel, l'évolution de la production horaire ou des stocks tampons entre deux ateliers. Le management visuel est directement inspiré du modèle Toyota.
99 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 106
CONCEVOIR ET METTRE EN ŒUVRE SA FEUILLE DE ROUTE
objectif : approfondir certaines questions posées aux collaborateurs et leur permettre de s'exprimer plus librement. La communication est là encore primordiale et doit être effectuée avant et pendant le déroulement de l'analyse. Les ressources humaines ont un rôle important à jouer : il faut les impliquer dès le début du projet. Leur support est indispensable pour les managers et l'équipe projet, pour expliquer la démarche et, au besoin, dédramatiser la situation. La synthèse de l'analyse vous permettra de comprendre les modes de fonctionnement et de communication actuels et de quantifier les points d'amélioration possibles. Elle constituera la base essentielle de votre feuille de route, pour déterminer les axes et groupes de travail, ainsi que les ressources et moyens nécessaires à la mise en place du changement. Vous aurez également une meilleure estimation de la complexité du projet, des coûts et des résultats attendus. Les écarts constatés entre la situation existante et l'objectif à atteindre vous permettront enfin de situer le niveau de maturité de l'entreprise face au changement et de revoir éventuellement à la baisse vos objectifs initiaux. Insistons sur le fait que cette analyse préalable doit se faire de la façon la plus ouverte et honnête possible. Il faudra donc avoir du courage et admettre les défaillances présentes. Si le point de départ est tronqué, le risque d'échec de votre plan sera plus important. La mise en œuvre : Blitz ou guérilla urbaine ? Votre analyse terminée, vous êtes en mesure d'orienter votre choix sur la tactique à déployer. Votre feuille de route soigneusement élaborée en conséquence, vous avez maintenant le plan de bataille entre vos mains : vous voilà vraiment prêt à démarrer le processus de changement dans votre entreprise. Mais avez-vous pensé au comportement des hommes face au changement ? On peut considérer qu'il y a trois camps dans l'entreprise : les alliés, les opposants et les indécis. Les premiers veulent le changement et sont prêts à s'investir ; le camp adverse le refuse : ce sont les individus qu'il va falloir combattre et convaincre. Entre les deux se trouvent les individus passifs. Ceux-là ne souhaitent pas s'engager mais ils se rallieront au gagnant au moment opportun. Il est plus facile de gérer un opposant car son jeu est clair. L'individu passif, s'il paraît neutre, ne l'est en fait jamais : il attend simplement le bon moment pour choisir son camp et y trouver son intérêt. Il faudra donc identifier rapidement ce type d'individus afin qu'ils ne freinent pas le projet, et essayer de les convaincre de devenir acteurs dans le processus de changement. Comment le mettre en œuvre ? Une méthode peut consister à vouloir « frapper » vite, tel le Blitz, et de manière directive. On privilégie ainsi l'effet de surprise afin de minimiser l'impact du bouleversement engendré sur l'organisation et les hommes. Cela aura pour conséquences d'installer immédiatement la voie du changement dans l'entreprise, de rendre les actions pertinentes et de dynamiser les équipes en rompant avec les habitudes.
CELERANT CHANGE CLUB
100
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 107
CONCEVOIR ET METTRE EN ŒUVRE SA FEUILLE DE ROUTE
Cette tactique « top down » peut s'avérer payante pour un projet à très court terme et de faible envergure: vous êtes dans l'urgence, le champ d'action sera donc restreint et les personnes impliquées (acteurs, managers) devront être en adéquation totale avec cette stratégie. Le compromis, ici, n'est pas possible et l'appropriation du projet par les acteurs eux-mêmes n'a pas sa place puisque l'on avance à marche forcée. L'inconvénient d'une telle tactique est l'absence de concertation avec les acteurs eux-mêmes. On se prive de toute suggestion et idée nouvelle émanant de la « base », avec le risque réel d'un sentiment de frustration de l'équipe à tous les niveaux. La pérennité n'est donc pas garantie. Une autre approche, radicalement opposée, est celle d'une configuration de type guérilla urbaine. Le processus de changement se déroulera alors sur plusieurs fronts à la fois dans différents secteurs de l'entreprise. La tactique consistera donc à comprendre puis à infiltrer l'organisation en place par petits groupes de travail, avec cohésion. Ensuite, à franchir les étapes par assauts successifs et à consolider le territoire conquis. Le renforcement des positions acquises s'effectuera par un accompagnement quotidien des équipes engagées sur le terrain. Cela implique également la mise en place de réseaux d'information et de communication performants. Le but est de montrer clairement à tous que le changement est en cours, qu'il est nécessaire, qu'il peut et doit fédérer les équipes autour d'un même objectif, celui d'avancer et de réussir. Cette tactique offre l'avantage de déployer le changement de manière simultanée dans toute l'entreprise, tout en amorçant une approche participative. Elle permet également de faire savoir rapidement que le processus est en marche, favorisant ainsi la dynamique du changement. Plus complexe à mettre en œuvre que le Blitz, elle nécessite une feuille de route plus structurée et doit être parfaitement orchestrée. Alors, Blitz ou guérilla urbaine ? Dans la plupart des cas, la bonne tactique se situera en fait entre ces deux extrêmes qui présentent le risque, si vous n'y prenez pas garde, de vous installer rapidement dans un chaos permanent où le contrôle de la situation vous échappera, avec les conséquences désastreuse que l'on peut imaginer in fine. Méthode et tactique gagnantes : le cas SKF Projet de changement mené à terme chez SKF, dans une unité de la division Industrie qui fabrique des roulements à billes sur son site de Saint-Cyr-sur-Loire. Contexte : L'activité de cette unité est en forte croissance et se situe sur un secteur de plus en plus concurrentiel. 80% de sa production est vendue sur stock. SKF veut préserver ses marchés actuels et en développer d'autres. La réactivité et la flexibilité sont donc des facteurs clés pour répondre à cette attente et optimiser les stocks. Projet : La direction de la division Industrie décide de lancer un programme de changement afin de réduire drastiquement les délais de réapprovisionnement de ses stocks de produits finis de 90 jours en moyenne à moins de 10 jours, tout en
101 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 108
CONCEVOIR ET METTRE EN ŒUVRE SA FEUILLE DE ROUTE
maintenant un niveau de service à 96% pour tous ses clients. Un délai de 10 mois est fixé pour atteindre cet objectif avec l'aide de consultants. La direction et le management de l'unité optent pour une stratégie de démarrage du projet très ciblée et arrêtent leur choix sur la ligne de production la plus complexe. L'expérience acquise permettra ensuite de déployer plus facilement le projet sur d'autres lignes de production et dans d'autres usines du groupe. Le périmètre du projet inclut le service planning de l'usine, les achats et la sous-traitance, la production et tous les services supports. Communication : Une réunion de communication est aussitôt faite à l'ensemble du personnel concerné afin d'expliquer la stratégie de la division et les enjeux d'un tel projet. Analyse : Elle est planifiée sur 5 semaines puis lancée et pilotée par le chef de projet et les consultants. Elle implique plus de 80 personnes chaque semaine. L'analyse est focalisée dans un premier temps sur la compréhension et l'organisation de l'usine, ses spécificités, les rôles et responsabilités de chacun, la complexité de la production. Ces données sont ensuite étudiées. Les flux de production, de communication et les supports informatiques sont soigneusement examinés. L'analyse met en évidence des points d'amélioration quantifiables et les ressources nécessaires. Une structure de projet avec des équipes et des axes de travail peut alors prendre forme. Feuille de route : Un planning détaillé est élaboré pour chaque groupe de travail précisant leur fonction, les tâches à accomplir par semaine et les objectifs à atteindre. Des indicateurs sont définis et des étapes clés à franchir toutes les 10 semaines jalonnent le planning. Mise en œuvre : Des réunions hebdomadaires très structurées ainsi qu'une réunion de synthèse sont mises en place pour chaque groupe de travail. Elles sont sanctionnées par un audit d'efficacité qui note et quantifie les écarts par rapport aux objectifs et déclenche des actions correctives. Après la réunion de synthèse, un rapport est envoyé au management local et à la direction de la division. Accompagnement : Des réunions d'information sont régulièrement réalisées auprès de tous les collaborateurs de l'unité. Elles permettent de jauger la motivation de chacun et de répondre aux attentes et inquiétudes qui subsistent. Une réunion mensuelle est programmée avec la direction de la division et l'équipe projet. Chaque leader de groupe présente ses indicateurs et l'état d'avancement du projet. Une visite sur les lieux est généralement organisée pour juger sur place des progrès effectués et des objectifs atteints. Il s'agit d'un moment privilégié pour la prise de décision, pour échanger et célébrer les succès accomplis avec les acteurs du changement, mais aussi discuter des difficultés et des points bloquants rencontrés. Une campagne de communication a été organisée à l'intérieur et à l'extérieur du site, sous forme de présentations, d'affiches et d'articles dans le magazine interne. Résultat : L'appropriation du processus de changement par les acteurs s'est faite à partir d'une approche participative, de l'acceptation de la méthode et des outils
CELERANT CHANGE CLUB
102
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 109
CONCEVOIR ET METTRE EN ŒUVRE SA FEUILLE DE ROUTE
utilisés. Quelques erreurs ont été commises mais les équipes épaulées par le top management ont su en tirer profit pour mieux rebondir. Le projet a accusé un retard de 3 mois. Le délai de réapprovisionnement des stocks est passé de 90 jours à 14 jours. Vous l'aurez compris, il n'existe pas de méthode ni de tactique idéale type. La meilleure tactique est celle que l'on sait structurer et adapter en fonction des objectifs fixés, de l'identité et de la situation de l'entreprise, de la communication et des relations que l'on souhaite établir avec les hommes en place. La reconnaissance des progrès accomplis doit être partagée avec tous et se faire tout le long du processus de changement. Une feuille de route réaliste et acceptée par les acteurs du changement est la meilleure façon de s'assurer de l'appropriation de ce processus et de contribuer en grande partie à son succès. Régis Brachet, membre fondateur du Celerant Change Club, est Supply Chain Manager et Deployment Champion 6 Sigma chez SKF, premier fournisseur mondial de produits et solutions sur les marchés des roulements, des systèmes de lubrification, de la mécatronique, de l'étanchéité et des services. Dans le cadre de ses fonctions, il coordonne les activités de cinq unités de production situées en Europe, aux États-Unis et en Asie. Il a été amené à conduire plusieurs projets de changement internationaux.
103 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 110
CELERANT CHANGE CLUB
104
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
« Le changement, comme la santé, ne se décrète pas. Il ne peut être le fruit de la seule volonté. »
18:58
Page 111
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 112
MENER LE CHANGEMENT : UNE MÉDECINE DE POINTE
3.4
Mener le changement : une médecine de pointe Par Jean-Marc Bouillon Comme un patient qui expérimente la maladie, l'entreprise doit adopter de bonnes pratiques pour gérer les « signaux d'alarme » du changement. Si elle fait le choix d'une médecine de pointe, elle s'entoure alors d'une équipe expérimentée et aux compétences multiples. Généralistes et spécialistes du changement déploient leur savoir-faire et accompagnent au quotidien l'entreprise qui se transforme. Le changement, comme la santé, ne se décrète pas. Il ne peut être le fruit de la seule volonté : objectifs, méthodes et savoir-faire précis sont également nécessaires, tout comme pour le déploiement d'une médecine de pointe. hangements et transformations sont aujourd'hui au cœur de la vie de l'entreprise : les clients changent, de nouveaux marchés émergent, l'environnement compétitif se transforme, les critères financiers évoluent, de nouvelles technologies apparaissent. Tous ces facteurs impactent et influent sur la santé de l'entreprise.
C
Quels liens entre santé et changement ? D'un côté, la santé peut se définir comme un état d'équilibre et d'harmonie sur une période de temps appréciable. De l'autre, le changement qualifie ce qui évolue et se modifie. Il apparaît dès lors que changement et santé éclairent, chacun à sa manière, le chemin vivant qui relie passé, présent et futur. Une certitude : au cœur du changement et de la santé, il y a l'humain dans une perspective en mouvement. Concrètement, lorsqu'une personne expérimente une maladie, elle est confrontée à de multiples « signaux d'alarme ». Quelle réaction l'emporte ? La peur, le déni ou l'envie de se saisir de cette épreuve pour mieux avancer ? Quelles décisions prendre ? Quelles compétences mobiliser ? Pour une entreprise, la réalisation du changement pose les mêmes questions. Le recours à une médecine de pointe La médecine de pointe est une médecine centrée sur la personne et orientée vers sa santé. Elle conjugue soins et préventions. Elle met en œuvre des savoir-faire de précision. C'est une médecine profondément humaine qui se transforme au rythme des découvertes scientifiques et de l'évolution du monde. Différentes phases structurent un parcours médical de pointe : • Le diagnostic, en réponse à des symptômes ou dans une démarche de prévention ; • Les traitements, qui peuvent associer des thérapies très diverses ;
CELERANT CHANGE CLUB
106
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 113
MENER LE CHANGEMENT : UNE MÉDECINE DE POINTE
• La convalescence, un temps essentiel et incontournable ; • Le bilan médical, qui permet de réévaluer régulièrement l'état de santé du patient. Chaque bilan peut être l'occasion de poser de nouveaux diagnostics et de déclencher de nouveaux traitements adaptés. Au fil du temps et des rencontres, une équipe multidisciplinaire se déploie et entoure le patient, qui se positionne de façon proactive. Médecins généralistes et spécialistes, soignants et thérapeutes lui prodiguent des soins et interagissent avec lui. Avec le développement récent de disciplines transversales, la médecine de pointe facilite le déploiement d'une approche systémique et holistique de la maladie. Toutes les compétences de l'équipe soignante peuvent alors se mettre au diapason du patient. Trois vecteurs de la réalisation du changement À la lumière de cette pratique de la médecine de pointe, trois vecteurs structurant la réalisation du changement émergent : la capacité de résilience, l'intelligence émotionnelle et le facteur comportemental. Ils se perçoivent plus facilement au niveau individuel, mais s'appliquent également à une équipe, une organisation ou une entreprise. La capacité de résilience La résilience est cette capacité à développer la confiance en soi malgré les chocs. Elle permet d'avancer au travers d'un environnement incertain vers la concrétisation d'objectifs clairement identifiés. Dans la médecine de pointe, la résilience du patient joue un rôle déterminant à chacune des étapes de diagnostic et de soins. Au niveau d'une organisation, la résilience est la faculté à se transformer tout en continuant à fonctionner. « Pendant les travaux, les ventes continuent » : ce slogan illustre la capacité de certaines organisations, fortement résilientes, à adapter en permanence leur fonctionnement dans des environnements très évolutifs. Une organisation faiblement résiliente entrera beaucoup plus facilement en crise dans un contexte de forts changements. Au niveau des individus, dans le quotidien des affaires, certains vivent leurs problèmes comme bloquants. Ils entrent parfois, à leur insu, en mode « résistance ». D'autres, au contraire, perçoivent leurs problèmes comme des opportunités. Ils investissent du temps pour analyser la situation, pour développer et nourrir leur vision, pour préparer et planifier les actions qui les mèneront à la concrétiser. Ils font preuve d'une confiance inébranlable : ils sont en mode « résilience ». Un autre exemple concret et très courant de la résilience dans le monde de l'entreprise s'observe lors de l'implémentation de progiciels de gestion : à l'issue de tels projets, certains sont bloqués dans leurs difficultés alors que d'autres se sont adaptés et tirent profit des nouveaux outils mis en œuvre.
107 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 114
MENER LE CHANGEMENT : UNE MÉDECINE DE POINTE
L'intelligence émotionnelle Au niveau individuel, l'intelligence émotionnelle se caractérise par la capacité à percevoir les émotions, à les prendre en compte et à les réguler. Ces compétences fondamentales s'expriment soit en tant que compétence individuelle (« se connaître »), soit en tant que compétence sociale (« connaître autrui »). C'est l'intelligence émotionnelle des personnes et des équipes qui « fait » le résultat des actions de changement entreprises, dans les dimensions de collaboration, de productivité et de créativité. Considérons par exemple la peur, une des émotions humaines fondamentales, qui se rencontre couramment dans le monde l'entreprise comme dans celui de la santé. Celui que la peur paralyse aura du mal à être proactif dans une démarche de changement. Il aura besoin d'accompagnement pour apprendre à identifier sa peur et la traverser. Alimentés par leurs peurs, certains refuseront obstinément toute démarche de changement. Un autre exemple est la manière dont un entrepreneur gère ses émotions. Celle-ci est déterminante dans les différentes phases de développement et de pilotage de son activité. L'intelligence émotionnelle de l'entrepreneur est essentielle dans la conduite de ses affaires. S'il se « noie » dans ses émotions ou s'il les ignore, ses capacités de gestion peuvent être rapidement fragilisées : son entreprise se retrouve alors en zone de forts risques. Celui qui accompagne le changement, comme le médecin, doit faire preuve d'un grand savoir-faire dans la gestion de ses propres émotions. Il doit également pouvoir intervenir si le décideur est en difficulté « émotionnelle ». Qui n'a pas connu un manager qui, prenant ses décisions sous l'emprise de la colère, laisse ses émotions l'emporter dans des pratiques de gestion approximatives et risquées ? Le facteur comportemental Ce sont les comportements observés qui font la preuve que l'intention de changement initial s'est finalement réalisée. Dans la médecine de pointe, le comportement du patient, tout comme celui des membres de l'équipe soignante, participent à la qualité des traitements thérapeutiques. Pour favoriser de nouveaux comportements, il est nécessaire de prendre en compte le contexte dans lequel ils s'inscrivent ainsi que leurs conséquences perçues. Chaque cas de changement, qu'il s'agisse d'un individu ou d'une entreprise, est à la fois un cas universel et spécifique, unique. Pour paraphraser l'anthropologue Clyde Kluckhohn, à l'aune du facteur comportemental, « tout individu est comme tout autre individu, comme certains autres individus, comme aucun autre individu ». Le coaching de performance est une illustration claire de l'importance du facteur comportemental. Il est couramment proposé dans la réalisation de programmes de changement en milieu industriel. Il se concrétise alors comme un dispositif ciblant
CELERANT CHANGE CLUB
108
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 115
MENER LE CHANGEMENT : UNE MÉDECINE DE POINTE
les responsables de production et les chefs d'équipe. Il permet à chacun de travailler en entretiens individuels avec un coach extérieur à l'unité de production, pendant plusieurs semaines. À l'issue de ce type de programmes, l'obtention de meilleures performances de production est étroitement corrélée à la mise en œuvre de nouveaux comportements au quotidien. Un autre exemple de l'importance du facteur comportemental : les programmes d'évolution organisationnelle implémentés sur la base du volontariat. C'est le signe fort d'un comportement proactif de salariés qui adhèrent ainsi visiblement au changement proposé et montrent qu'ils en perçoivent les conséquences positives les concernant. Résilience, intelligence émotionnelle et facteur comportemental révèlent que les mécanismes sur lesquels s'appuie la réalisation du changement sont à la fois complexes et précis. Le changement, comme la santé, ne se décrète pas. Il ne peut être le fruit de la seule volonté : objectifs, méthodes et savoir-faire précis sont également nécessaires, tout comme pour le déploiement d'une médecine de pointe. Le changement, des métiers de généralistes et de spécialistes Dans l'entreprise, de très nombreux acteurs agissent sur le changement. Certains métiers y sont même entièrement dédiés : consultants, chefs de projets, praticiens spécialisés sont à même de préparer et piloter les projets de changement de grande ampleur. C'est à ces professionnels que l'on fait appel pour mettre en place de nouveaux systèmes d'information pour des dizaines de milliers d'utilisateurs au sein d'entreprises internationales, ou pour restructurer les moyens de production de sites industriels de taille conséquente. D'autres métiers, moins spécifiques, intègrent quant à eux une dimension de conduite et de contribution au changement : les missions d'encadrement, par exemple, de même que les missions de communication, d'innovation ou de développement. Comme dans le monde de la santé, c'est au travers d'équipes qu'il devient possible de fédérer les multiples compétences et expertises requises par un programme de changement, avec des généralistes, qui coordonnent les approches d'ensemble, et des spécialistes hautement qualifiés, à même de déployer des savoir-faire très spécifiques, des méthodologies de pointe, dans un contexte donné. Que ce soient les fonctions dédiées au changement ou celles qui intègrent une dimension de changement, elles s'appuient toutes, au quotidien, sur la capacité de résilience, l'intelligence émotionnelle et le facteur comportemental de celles et ceux qui sont impliqués dans le changement. Les praticiens du changement doivent nécessairement mettre en œuvre différentes compétences spécifiques, en particulier : • Une capacité d'analyse générale pour dégager la cohérence d'ensemble du changement entrepris,
109 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 116
MENER LE CHANGEMENT : UNE MÉDECINE DE POINTE
• Des techniques spécialisées pour traiter de problématiques de changement précises dans un environnement ouvert et évolutif. Prenons le cas d'une entreprise de plusieurs milliers de salariés qui se transforme et se repositionne sur ses marchés. L'équipe qui pilotera le changement pourra typiquement être sous la responsabilité d'un responsable de programme ayant une formation généraliste de haut niveau. Celui-ci sera responsable d'une demi-douzaine de chantiers dans lesquels interviendront des spécialistes de différents domaines (opérations, logistique, ressources humaines, finance…), bénéficiant de formations supérieures d'excellence. Les expériences de chacun seront suffisamment longues et diversifiées pour permettre le développement pertinent du programme de changement dans ses différentes phases. Le travail en équipe sera privilégié et permettra une étroite collaboration avec l'encadrement qui portera le changement au cœur de l'entreprise. Il apparaît donc que, loin de s'opposer, généralistes et spécialistes sont tous deux nécessaires et se complètent au sein de l'équipe qui anime le changement. Il est à noter que dans certains changements d'ampleur moyenne ou faible, personne n'est dédié à plein temps à la réalisation du changement : ce peut être, par exemple, l'équipe de direction qui se répartit les différents rôles, avec l'appui d'un consultant qui intervient ponctuellement lors de la préparation et de la réalisation du changement. Une formation ciblée de cette équipe de direction à la gestion du changement et à ses différentes techniques peut contribuer très efficacement à la réussite de ce type de démarche. Proposition d'une feuille de route pour la réalisation du changement Concrètement, développons au travers d'un exemple la manière dont un praticien du changement peut implémenter une action au sein d'une organisation. Certains commenceront par se préparer une feuille de route détaillée dans le cadre concret du changement considéré, à la façon d'un programme de santé. Le généraliste considérera la feuille de route dans son ensemble, alors que le spécialiste se concentrera plus spécifiquement sur certaines de ces étapes. • Première étape : mobiliser, c'est-à-dire créer le sentiment d'urgence du changement. Il s'agit de faire du changement une priorité largement partagée au sein de l'organisation. Tout comme le diagnostic dans le parcours médical, cette mobilisation, qui peut être une onde de choc, vise à la mise en mouvement. Questions clés : - Y a-t-il assez de personnes qui partagent un sentiment d'urgence, qui se mobilisent pour le changement ? - Comment l'organisation réagit-elle au changement ? - Est-ce en mode crise, en mode réactif ou en mode anticipatif ? - Quels sont les vecteurs de changement externes et internes ? - Quels sont les cas de changements qui montrent l'insatisfaction engendrée par le statu quo et l'urgence à changer ?
CELERANT CHANGE CLUB
110
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 117
MENER LE CHANGEMENT : UNE MÉDECINE DE POINTE
• Deuxième étape : identifier et fédérer les alliés. Il s'agit de constituer un groupe qui aura le pouvoir d'influencer et de piloter le changement. Questions clés : - Qui fera partie de la coalition qui guide le changement ? - Quels sont les agents du changement, les attentistes, les résistants ? - Ont-ils l'état d'esprit et les compétences nécessaires pour adopter les changements proposés ? - Quels sont les niveaux d'influence et de résistance de chacun ? - Qui sont les innovateurs ? - Qui sont les champions du changement ? - Où se situe la majorité silencieuse ? - Qui sont les conservateurs ? • Troisième étape : développer la vision, pour guider les efforts de changement et développer les stratégies adéquates. Questions clés : - Le changement considéré s'appuie-t-il sur des activités en croissance dans un contexte externe porteur ? - S'agit-il d'investir de nouvelles ressources et de concrétiser un challenge motivant ? - Le changement considéré est-il basé sur des gains de productivité avec une focalisation interne sur l'organisation ? - L'objectif est-il de réaliser des économies en réduisant les coûts ? Une fois la vision structurée, elle doit être communiquée clairement et de façon acceptable : quels en sont les bénéfices, les gains et les difficultés ? Sur quels éléments l'aspiration au changement peut-elle s'appuyer ? Qu'est-ce qui nourrit le sens de l'engagement et favorise l'appropriation de cette vision ? • Quatrième étape : ces différents éléments préparés, un plan d'action peut être impulsé pour implanter le changement localement et surmonter, contourner et réduire les obstacles rencontrés. Il s'agit de développer un plan crédible et efficace, qui soit suffisamment spécifique pour « coller au terrain » et suffisamment structuré pour exprimer une cohérence d'ensemble. À cette étape, la prise en compte du retour d'expériences passées est très bénéfique pour bien identifier certains obstacles majeurs prévisibles. Questions clés : - Quels sont les obstacles rencontrés ? - Quelle en est la nature (stratégique, organisationnelle, technique, humaine) ? - Comment s'en affranchir ? - Comment communiquer régulièrement, tant sur la vision que sur le plan de changement et les actions en cours ? - Comment s'assurer de l'équité des changements mis en œuvre ?
111 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 118
MENER LE CHANGEMENT : UNE MÉDECINE DE POINTE
- Chacun aura-t-il l'opportunité d'être entendu ? - Les décisions seront-elles appliquées de façon cohérente ? - Comment et à quels moments les retours d'information suite aux décisions seront-ils pris en compte ? - Les gains obtenus rapidement sont-ils identifiés et systématiquement communiqués ? - Celles et ceux qui contribuent aux changements sont-ils reconnus et récompensés ? - Comment le développement professionnel de celles et ceux qui œuvrent activement à la réalisation du changement est-il assuré ? - Sur quels domaines se focaliser pour activement développer la dynamique du changement ? - Comment mieux anticiper et préparer les étapes à venir ? - De quelle façon la culture de l'entreprise évolue-t-elle ? - Quelles en sont les observations concrètes ? - Comment les objectifs de changement et les résultats attendus sont-ils mesurés ? - Quel tableau de bord est mis en œuvre ? Pour compléter cette feuille de route, certains praticiens recommandent vivement de faire une place à la créativité en ménageant une « pièce vide », un espace qui invite au temps créatif et à se ressourcer. Comme la santé, la réalisation du changement demande une attention et une vigilance particulières. Dans le changement comme dans la santé, il y a l'impermanence et le mouvement : ce qui est vrai à un moment ne l'est pas forcément à un autre. Santé et changement se vivent au quotidien, dans l'instant présent. Se former au changement et l'expérimenter sont deux activités nécessaires et complémentaires pour déployer des pratiques de conduite du changement pertinentes et de qualité. Pour se développer professionnellement dans le domaine de la conduite du changement, chacune des voies, voie de généraliste ou voie de spécialiste, est possible. Dans tous les cas, le travail en équipe sera privilégié et fera de chaque changement une expérience unique. Un jour, un des slogans qui éclaireront la vie des affaires sera peut-être : « Quand le changement va, tout va ! »
Jean-Marc Bouillon, membre actif du Celerant Change Club, est Corporate Chief Engineer au sein de Nestlé Waters (Groupe Nestlé). Il prépare et accompagne l'exécution d'investissements industriels sur des marchés en forte croissance. Il a piloté différents programmes de conduite du changement en milieu industriel, dans des fonctions opérationnelles et projet. Ingénieur diplômé de l'INPG (Institut National Polytechnique de Grenoble), il a commencé à étudier le change management lors de son MBA avec l'Open University Business School (Royaume-Uni).
CELERANT CHANGE CLUB
112
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 119
« En termes de cadence, un programme de changement pourrait s’apparenter à un marathon avec de nombreux sprints intermédiaires. »
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 120
L'ART D'ALLIER TECHNIQUE ET TACTIQUE
TRIBUNE
L'art d'allier technique et tactique Par Philippe Jaspart
L
e changement est une question d'Hommes et n'est donc pas infaillible. Comme toute machine bien huilée, un programme de changement court le risque qu'un grain de sable enraye la mécanique et entraîne son échec, comme cela se produit dans 66% des cas20.
Bien définir sa feuille de route, adopter des techniques pointues de conduite du changement ne suffisent pas : il faut des leaders à fort quotient émotionnel, qui vont persévérer, savoir écouter, déceler les grains de sable et mettre en œuvre les mesures nécessaires pour les éliminer. Dans tout programme de changement, comme en médecine, le diagnostic initial est crucial : il est important d'y accorder le temps suffisant tout en le menant rapidement, pour éviter une propagation trop importante de la maladie, qui nécessiterait un temps de guérison plus long. C'est ce diagnostic qui va quantifier les symptômes et leur importance, identifier les maux de l'entreprise et définir le traitement le mieux adapté. Il doit comporter une dimension émotionnelle (mettre en avant l'intérêt individuel de changer), rationnelle (analyses factuelles et chiffrées de la situation) et politique (conforter les leaders de l'entreprise dans leur décision de guérir les maux), mais aussi créer un sentiment d'urgence grâce auquel l'ensemble de l'entreprise va se sentir concernée et va devoir s'impliquer. À la fin de ce diagnostic, les clés du succès seront d'avoir : • Réalisé une analyse exhaustive et factuelle de la réalité qui ne porte pas de jugement et qui n'est pas contestable ; • Evalué l'impact du problème sur l'entreprise ; • Défini la vision du succès (la direction ); • Construit une feuille de route détaillée qui permet d'atteindre cette vision et prend en compte la culture de l'entreprise ainsi que son niveau de maturité ; • Mobilisé l'organisation autour du programme en ayant assuré l'adhésion aux conclusions et convaincu de l'urgence de traiter le problème. Un manque d'engagement des acteurs du changement est souvent une cause majeure d'échec. La définition de la feuille de route doit impliquer ceux que l'entreprise a identifiés et mandatés comme porteurs du projet le plus en amont possible : il est essentiel de savoir leur donner la direction tout en leur laissant la liberté d'exécution. 20 La gestion du changement. Les étapes d’une transformation réussie de l’entreprise. Etude de Celerant Consulting en partenariat avec The Economist Intelligence Unit, 2008.
CELERANT CHANGE CLUB
114
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 121
L'ART D'ALLIER TECHNIQUE ET TACTIQUE
Ils doivent se sentir investis d'une mission critique pour l'entreprise et avoir un support fort de la Direction, des Ressources humaines et de la Direction de la Communication dès le lancement du programme. Une fois l'équipe projet formée, elle doit tout de suite se préoccuper d'engager le reste des acteurs : il faut comprendre le besoin de chaque population, ses attentes, ses craintes, ce qui la motive et ce que le programme peut lui apporter. Identifier ces populations en amont du programme va permettre de définir quel temps consacrer aux uns et aux autres : il est inutile de passer trop de temps avec les 10% de « résistants » ; mieux vaut le consacrer aux « convaincus » qui sauront faire adhérer les indécis et les entraîneront sur la voie du succès. Un outil tel qu'une matrice d'engagement se révèle très utile pour faire un bilan régulier (en moyenne deux fois par mois), adopter la bonne tactique et mener les actions efficaces selon la phase du programme. La durée d'un programme de changement, sa cadence et son rythme, donnés par l'équipe projet, vont aussi conditionner la réussite de la transformation. Un programme trop long risque de s'essouffler tandis qu'un programme trop court ne permettra pas une transformation assez profonde pour assurer la pérennité des changements. Une durée d'un an est généralement un bon compromis, avec des objectifs tendus mais réalistes qui permettent de justifier une cadence élevée et la priorité donnée. En termes de cadence, un programme de changement pourrait s'apparenter à un marathon avec de nombreux sprints intermédiaires. La gestion du rythme et la capacité à accélérer ou ralentir en fonction des signaux renvoyés par l'organisation sont importantes. L'équipe projet doit s'assurer que la majorité de l'organisation suit. Elle doit aussi savoir accélérer pour éviter que celle-ci ne tergiverse trop et que des craintes ne se créent, et ralentir pour lui laisser le temps de digérer. Il y aura toujours désaccord entre ceux qui subissent le changement et trouvent que « ça va trop vite », et ceux qui le pilotent et seront enthousiastes du chemin parcouru en si peu de temps. Il est impératif, dans ce cadre, que l'équipe projet fasse preuve de pragmatisme et privilégie l'efficacité, quitte à dégrader momentanément la qualité pour construire l'adhésion. Efficacité = Qualité x Adhésion Le programme doit être rythmé à mailles journalières, hebdomadaires et mensuelles. La maille journalière gère l'avancement des activités des membres de l'équipe projet, la maille hebdomadaire gère les points de blocage et la coordination des axes du projet, tandis que la maille mensuelle pilote l'avancement global du projet par rapport à ses jalons clés et son interaction avec d'autres initiatives ou entités de l'entreprise. Toujours dans le même souci d'engagement des acteurs, la communication doit suivre le même rythme que le programme et y contribuer. Elle intervient en support pour communiquer sur les premiers succès, marteler le changement et montrer la réalité des transformations. Elle est cependant bien souvent la première oubliée dans les programmes de changement.
115 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 122
L'ART D'ALLIER TECHNIQUE ET TACTIQUE
Une fois que le programme a atteint ses objectifs, comme pour tout mal traité, il faut s'assurer de la pérennité des changements – la guérison –, tout en démantelant l'équipe projet. Pérennité ne signifie pas que tous les changements apportés soient encore en place plusieurs mois ou années après, mais bien que l'entreprise se soit inscrite dans une culture de l'amélioration continue. Le programme de changement doit avoir contribué à former un nombre important de managers qui soient capables de reconnaître les dérives ou les nouveaux maux, de les prévenir et de prendre les actions nécessaires en amont. Tout comme dans le cas d'un patient guéri, un audit régulier de la pérennité des changements par un œil extérieur – le bilan médical – est utile pour assurer le passage du mode projet, où la guérison de l'entreprise, pilotée au quotidien par l'équipe projet, est au cœur de toutes les préoccupations, au mode « business as usual », où l'entreprise peut assurer son propre suivi et piloter sa performance. Cela signifie-t-il que les entreprises pourront à terme faire de l'automédication et se passer de spécialistes du changement ? Sont-elles condamnées à se lancer dans des programmes de changement permanents pour assurer leur survie ? À la première question, je répondrai que les consultants ont encore un avenir. Les leaders du changement en entreprise arriveront toujours à un stade où eux non plus ne pourront plus prendre le recul nécessaire, se retrouveront absorbés dans le quotidien et « le nez dans le guidon ». Eux aussi seront un jour rattrapés par les enjeux politiques de l'entreprise ou de leur propre développement de carrière, et perdront leur objectivité, leur capacité à challenger à tous les niveaux de l'organisation et à faire changer les choses. C'est là, la valeur ajoutée du consultant. À la deuxième question, je répondrai que les entreprises de demain sont celles qui sauront adapter leurs modes de fonctionnement au rythme du changement de leur environnement : cela nécessitera des phases d'évolutions progressives et permanentes, mais aussi des phases de changements radicaux que l'entreprise devra être capable d'anticiper pour se mettre rapidement en formation de combat, et passer l'obstacle dans les meilleures conditions possibles.
Philippe Jaspart Membre fondateur du Celerant Change Club Principal Manager, Celerant Consulting
CELERANT CHANGE CLUB
116
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 123
CONCLUSION
De l’intention à la réalisation Par Bart Le Clef
D
ans un monde qui change toujours plus vite, où les marchés sont soumis à la pression d'une économie globalisée, l'aptitude au changement est un critère essentiel de maturité et de vitalité d'une entreprise. Mieux, elle peut même y trouver l'occasion d'acquérir un avantage concurrentiel.
Comme le montre cet ouvrage, le changement revêt de multiples facettes : le besoin de changer, la partie tactique, la gestion des résistances, la pérennisation des transformations… Mais quelles que soient l'ampleur ou la complexité du défi qui est le vôtre, quel que soit votre secteur d'activité ou département, une certitude demeure : ce sont les Hommes qui détiennent la clé d'un changement réussi. Il est fascinant d'observer à quel point, derrière les postures que nous affichons « l'esprit d'équipe », « la coopération », « le partage d'information » –, notre ADN nous rappelle que nous sommes avant tout des individus. La première question que va se poser une personne impliquée dans un programme de changement est, sans le moindre doute : « Comment le changement va-t-il m'impacter ? » Par conséquent, plus les change managers sauront transmettre un message clair et transparent sur les raisons du changement, et surtout son impact sur les équipes et les individus, plus ils optimiseront leurs chances de succès. Au cours de mon expérience d'accompagnement du changement, je n'ai jamais vraiment eu de mal à amener quiconque à communiquer sur le changement : cela met sur le devant de la scène, offre un public et un message à transmettre. La vraie difficulté commence après… lorsqu'il s'agit de faire face aux réactions de celles et ceux qui seront impactés par les transformations. C'est alors que l'enthousiasme se mue en peur, l'optimisme en scepticisme et la confiance en doutes. Il m'est arrivé parfois d'avoir d'âpres discussions avec des managers, non pas tant sur les outils et méthodes, mais parce qu'ils avaient conscience que j'abordais quelque chose de plus important : je remettais en cause leur capacité à faire advenir le changement ! Lorsqu'on me demande quelles sont les recettes pour réussir un programme de changement, je repense toujours à l'un de mes premiers projets, que j'ai piloté dans une usine. Dans un immense atelier de production, plusieurs équipes faisaient le même travail répétitif depuis des années, avec seulement deux certitudes : on commence à 6 heures et on finit à 15 heures ! Au moment de lancer un important programme de changement (dans le cadre d'une approche Lean), tout fut mis à plat : la communication, la planification du projet, le discours
117 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 124
des dirigeants, les réunions de travail… Le programme dura deux ans et, à leur grande surprise, les objectifs furent atteints bien plus tôt que prévu. Quand je suis revenu voir les équipes de l'atelier pour discuter autour d'un café de cette expérience, j'ai compris que tout mon bagage théorique sur le changement n'avait pas été l'essentiel dans ce projet. Et quand je leur ai demandé comment ils expliquaient un tel succès, ils m'ont répondu : « On travaillait dans les mêmes équipes, mais maintenant il y a une notion de compétition positive avec les autres équipes », « nous sommes fiers d'avoir obtenu des résultats concrets et mesurables », « l'approche Lean nous a donné l'occasion de nous parler », et surtout, « nous nous sommes amusés ». Cette discussion a changé mon point de vue sur la meilleure manière de passer de l'intention à la réalisation du changement. Bien sûr, les outils et les modèles, les processus et les procédures, facilitent la mise en œuvre du changement mais ils ne garantissent pas à eux seuls le succès. Pour ceux qui ont à conduire le changement, je suis convaincu que les facteurs clés de succès sont l'écoute, l'empathie, le travail collectif autour d'un projet concret et la prise de décision. Et depuis ce jour, je m'assure que les notions « d'équipe », de « fierté », de « résultat », de « compétition » et de « plaisir » soient présentes pour créer les vraies conditions du succès. Le reste n'est-il alors qu'une promenade de santé ? Non, bien sûr. Comme toujours, ce sont les acteurs qui détiennent la clé d'un changement réussi : tout commence et finit par eux. Des Allemands qui ont tendance à considérer les outils et méthodes comme une fin en soi, aux Néerlandais qui ne cessent de débattre de la pertinence du programme même en phase d'implémentation, il serait illusoire d'imaginer qu'il puisse exister une approche globale du changement. Les différentes formes de résistance au changement illustrent bien, également, nos divergences culturelles : depuis le « Yes we can » américain jusqu'à « calons un déjeuner ou un dîner pour en parler » typiquement français ou belge, en passant par « définissons un plan détaillé » révélateur de l'esprit allemand, on voit qu'il ne faut pas sous-estimer la force du facteur culturel. Les programmes de changement menés simultanément dans plusieurs pays européens nous donnent une parfaite illustration de cette complexité. Pour beaucoup d'entreprises dans cette situation, les différences culturelles et le style de leadership sont les principaux obstacles à une mise en œuvre rapide et efficace du changement. Notre expérience ne devrait-elle pas nous permettre de relever ce challenge ? N'oublions pas que cela ne fait que cinquante ans que nous ne nous faisons plus la guerre ! Il faudra encore de longues années pour nous rejoindre dans une approche commune du changement en Europe. Le premier ouvrage du Celerant Change Club y contribuera peut-être. Ces témoignages de professionnels français ayant vécu ou piloté des programmes de changement dans leurs entreprises sauront, je l'espère, inspirer d'autres acteurs à travers l'Europe et dévoiler d'autres facettes et retours d'expériences sur un sujet qui, on le sait, dépasse les frontières. Bart Le Clef, SVP - Directeur des Opérations Europe, Celerant Consulting.
CELERANT CHANGE CLUB
118
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 125
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Bareil (Céline). La résistance au changement: synthèse et critique des écrits. Centre d'études en transformation des organisations, Cahier n°04-10, 2004. Bareil (Céline). Démystifier la résistance au changement : questions, constats et implications sur l’expérience du changement. Télescope, 14(3), 2008. Bauer (Martin). Resistance to change: a functional analysis of responses to technical change in a Swiss bank. LSE, Department of Sociology, PhD dissertation, London, 1993. Büchel (Bettina). Charting in new territory: the need to map the change process. Perspectives for Managers (IMD), n° 118, June 2005. Carton (Gérard). Éloge du changement. Village Mondial, 2e édition, 2007. Chandler (Dawn E.), Eby (Lillian) and McManus (Stacy). When Mentoring Goes Bad. The Wall Street Journal, May 2010. Coch (Lester) and French (John R. P.). Overcoming resistance to change. Human Relations, 11: 512-532, 1948. Cyrulnik (Boris). Parler d'amour au bord du gouffre. Odile Jacob, 2004. Daniels (Aubrey C.). Bringing out the best in people. McGraw-Hill, 1999. D'Herbemont (Olivier), César (Bruno). La Stratégie du projet latéral. Dunod, 2005. Deci (Edward L.) and Ryan (Richard M.). Intrinsic motivation and self-determination in human behavior. Plenum, New York, 1985. Dent (Eric B.) and Goldberg (Susan G.). Challenging resistance to change. Journal of Applied Behavioral Science, 35(1): 25-41, 1999. Dent (Eric B.) and Powley (Edward H.). Employees actually embrace change.’ Journal of Applied Management and Entrepreneurship, 2003. Dufour (Maurice). Les relations interpersonnelles. Le cas du chef de projet in L’Individu dans l’organisation. Les dimensions oubliées, dir. Jean-François Chanlat. Les Presses de l’Université Laval, Éditions ESKA, 1990. Folger (R.) and Skarlicki (D. P.). Unfairness and resistance to change: hardship as mistreatment. Journal of Organizational Change Management, 12(1):35-50, 1999. Garrette (Bernard), Durand (Rodolphe) and Dussauge (Pierre) (dir.). Strategor. Toute la stratégie d'entreprise. Dunod, 5e édition, 2009. George (Michael L.). Lean Six Sigma pour les services. Maxima, 2005. Goldstein (Jeffrey). The unshackled organization. Productivity Press, Portland, 1994. Goleman (Daniel). L'Intelligence émotionnelle. Robert Laffont, 1997. Hammel (Pascal). Guérir et mieux soigner. Un médecin à l’école de sa maladie. Fayard, 2008. Hannan (Michael T.) and Freeman (John). Structural inertia and organizational change. American Sociological Review, 49: 149-164, 1984. Hssain (Adi Ait). Optimisation des flux de production. Dunod, 2000. Johns (Edward A.). The sociology of organisational change. Pergamon Press, Oxford, 1973. Kotter (John P.). Leading Change. Harvard Business Press, Boston, 1996. Kotter (John P.) and Schlesinger (Leonard A.). Choosing strategies for change. Harvard Business Review, 57 (2): 106-114, 1979. Kourilsky-Belliard (Françoise). Du désir au plaisir de changer. Dunod, 4e édition, 2008. Lawrence (Paul R.). How to deal with resistance to change. Harvard Business Review, 32 (3): 49-57, 1969. Lewin (Kurt). Frontiers in group dynamics. Human Relations, 1: 143-153, 1947.
119 CELERANT CHANGE CLUB
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 126
Lewin (Kurt). Field theory in social science. Harper and Row, New York, 1951. Marsan (Christine). Réussir le changement. Comment sortir des blocages individuels et collectifs ? Éditions de Boeck, 2008. Pritchett (Price) and Pound (Ron). High Velocity Culture Change: A Handbook for Managers. Pritchett Publishing Company, Dallas, 2007. Reichers (A. E.), Wanous (J. P.) and Austin (J. T.). Understanding and managing cynicism about organizational change. The Academy of Management Executive, 11(1): 48-59, 1997. Rumelt (Richard P.). Inertia and Transformation in Montgomery (Cynthia A.), ed., Resources in an evolutionary perspective: towards a synthesis of evolutionary and resource-based approaches to strategy. Kluwer Academic Publishers, Norwell, 101-132, 1995. Scott (C. D.) and Jaffe (D. T.). Survive and thrive in times of changes. Training and Development Journal, 25-27 April 1988. Senge (Peter). The Dance of Change: The Challenges of Sustaining Momentum in Learning Organizations. Broadway Business, New York, 1999. Strebel (Paul). Why do employees resist change ? Harvard Business Review, 74(3):86-92, 1996. Tournand (Juliette). La Stratégie de la bienveillance. InterÉditions, 2007. Trépo (Georges), Estellat (Nathalie), Oiry (Ewan). L'Appréciation du personnel. Mirage ou oasis ? Éditions d'Organisation, 2002. Autres articles et ouvrages intéressants Armenakis (A. A.) and Bedeian (A. G.). Organizational change: a review of theory and research in the 1990s. Journal of Management, 25(3): 293-315, 1999. Del Val (M. P.) and Fuentes (C. M.). Resistance to change : a literature review and empirical study. Management Decision, 41(2): 418-427, 2003. Dunphy (D. C.) and Stace (D. A.). Transformational and coercive strategies for planned organizational change : beyond the O.D. Model. Organization Studies, 9(3): 317-334, 1988. Furst (S. A.) and Cable (D. M.). Employee resistance to organizational change: managerial influence tactics and leader-member exchange. Journal of Applied Psychology, 93(2): 453-462, 2008. Labianca (G.), Gray (B.) and Brass (D. J.). ‘A grounded model of organizational schema change during empowerment.’ Organization Science, 11(2): 235-257, 2000. Larsson (R.) and Finkelstein (S.). Integrating strategic, organizational, and human resource perspectives on mergers and acquisitions : a case survey of synergy realization. Organization Science, 10(1): 1-26, 1999. Morrison (E. W.) and Milliken (F. J.). Organizational silence: a barrier to change and development in a pluralistic world. The Academy of Management Review, 25(4): 706-725, 2000. O'Toole (J.). Leading change: overcoming the ideology of comfort and the tyranny of custom. Jossey Bass, San Francisco, 1995. Piderit (S. K.). Rethinking resistance and recognizing ambivalence : a multidimensional view of attitudes toward an organizational change. The Academy of Management Review, 25(4): 783-794, 2000. Reger (R. K.), Mullane (J. V.), Gustafson (L. T.) and DeMarie (S. M.). Creating earthquakes to change organizational mindsets. Academy of Management Executive, 8(4) : 31-43, 1994. Schneider (B.), Brief (A. P.) and Guzzo (R. A.). Creating a climate and culture for sustainable organizational change. Organizational Dynamics, 24(4): 6-19, 1996. Wanberg (C. R.) and Banas (J. T.). Predictors and outcomes of openness to changes in a reorganizing workplace. Journal of Applied Psychology, 85(1): 132-142, 2000.
CELERANT CHANGE CLUB
120
C-Cube Book FR Artwork INSIDE PAGES final 2a
4/10/10
18:58
Page 127
Le Celerant Change Club tient d'abord à remercier tous les auteurs de cet ouvrage collectif pour leurs contributions fondées sur leurs expériences personnelles et professionnelles. Nous espérons que ces réflexions aideront nos lecteurs à mieux comprendre et appréhender des programmes de changement -– qu'ils soient conduits dans la sphère professionnelle, publique ou privée. Nous remercions également toutes les personnes qui participent activement aux réunions trimestrielles du Celerant Change Club et tout particulièrement les consultants de Celerant Consulting qui font de ce club un espace d'échanges, convivial et enrichissant. Cet ouvrage n'aurait pu se faire sans l'aide précieuse d'Anne Bleuzen et Andrew Barnes-Jones. Enfin, nous remercions chaleureusement Bernard Leblanc et Bart Le Clef pour leurs notes et encouragements ainsi que Mathilde Leroy qui a apporté, tout au long de ce projet, ses quinze années d'expérience dans la formation et le Knowledge & Talent Management.
C-Cube Book FR Artwork COVERS 9mm final 2
5/10/10
15:34
Page 1
Le Celerant Change Club, créé fin 2008, accueille des professionnels de tous horizons désireux d'échanger des points de vue, de nourrir la réflexion et de partager les bonnes pratiques en matière de conduite du changement dans l'entreprise. Le changement : de l'intention à la réalisation est le premier ouvrage réalisé par ses membres. Journalistes, universitaires et opérationnels de différents secteurs, ils explorent les multiples facettes du changement, ses pratiques et son alchimie. Issues d'années d'expériences riches et variées, les contributions de cet ouvrage sont autant de témoignages précieux qui accompagneront avec pertinence la réflexion de tout dirigeant ou praticien au moment de la mise en œuvre d'un programme de changement.
LE CHANGEMENT : DE L’INTENTION A LA REALISATION
Le changement : de l'intention à la réalisation
LE CHANGEMENT DE L’INTENTION A LA REALISATION
Un ouvrage du Celerant Change Club
Un ouvrage du Celerant Change Club