Salaire minimum légal: un arrêt regrettable du Tribunal fédéral

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Salaire minimum légal: un arrêt regrettable du Tribunal fédéral

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30 août 2017 N° 3153


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Salaire minimum légal: un arrêt regrettable du Tribunal fédéral s’élevant à 20 francs par heure dans le canton de Neuchâtel. Cette décision politico-judiciaire, qui ébranle le régime helvétique de partenariat social et de paix du travail, n’est hélas que la suite logique d’un précédent arrêt qui admettait le principe du salaire minimum légal. Dans l’intérêt des travailleurs autant que des employeurs, il serait souhaitable que le cas neuchâtelois reste isolé.

Législation neuchâteloise contestée… La revendication d’un salaire minimum légal sur le plan fédéral a connu son épilogue en mai 2014, lorsque l’initiative de l’Union syndicale suisse a été refusée par plus de 73% des votants et par la totalité des cantons. depuis plusieurs années d’obtenir satisfaction à travers les législations cantonales. Des initiatives populaires en faveur d’un salaire minimum légal ont été refusées dans les cantons de Vaud et de Genève en 2011, puis en Valais en 2014, mais acceptées en 2011 à Neuchâtel, en 2013 dans le Jura et en 2015 au Tessin.

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Les députés jurassiens et tessinois n’ont pas encore concrétisé la demande populaire; le Grand Conseil neuchâtelois en revanche s’est exécuté: il a révisé la loi cantonale sur l’emploi en y inscrivant un salaire minimum légal de 20 francs par heure, avec indexation automatique à l’indice des prix à la consommation. Ce montant a été choisi en se référant aux prestations complémentaires à l’AVS/AI. Aux termes de la nouvelle loi, des exceptions restent possibles dans l’agriculture, l’horticulture ou la viticulture, ou pour des personnes en formation ou en réinsertion; les conventions collectives de travail en tion et doivent immédiatement être adaptées si nécessaire.

Cette loi a immédiatement été contestée par plusieurs entreprises et organisations économiques du canton de Neuchâtel, qui ont recouru au Tribunal fédéral (TF). Le recours s’appuyait sur divers arguments, mais en particulier sur le fait que le TF, dans un précédent arrêt de 2010 portant sur la validité de l’initiative genevoise, avait certes admis le principe d’un salaire minimum légal, mais un niveau relativement bas, proche du revenu minimal résultant des systèmes d’assurance ou d’assistance sociale, sous peine de sortir du cadre de la politique sociale pour entrer dans celui de la politique économique». A l’époque, on avait cru pouvoir en conclure qu’un salaire minimum légal, pour ne pas violer la liberté économique, devait impérativement rester à un niveau proche de l’aide sociale – bien en dessous de ce qu’attendent la plupart des travailleurs.

C’est donc avec beaucoup de surprise et d’inquiétude qu’on a pris connaissance, au début du mois d’août, du verdict du TF dans le cas minimum de 20 francs de l’heure était admissible au titre de la politique sociale et ne violait pas la liberté économique. Cette décision, qui risque de faire jurisprudence, ébranle considérablement le régime helvétique de partenariat Suite au verso


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social et de paix du travail. Contrairement à ce que l’on avait cru pouvoir déduire de l’arrêt de 2010, le TF admet cette fois un salaire minimum qui interfère directement avec les rémunérations usuelles de certaines branches, perturbant ainsi le marché du travail.

C’est en admettant le principe même d’un salaire minimum légal, il y a sept ans, que les juges fédéraux ont inopportunément ouvert la boîte de Pandore.

L’argumentation du TF tient au fait que le législateur neuchâtelois s’est explicitement référé à une nor me d’assurance sociale (en l’occurrence les prestations complémentai res AVS/AI, considérées com me plus adéquat es que l’aide sociale) et que l’objectif principal de la loi relève explicitement de la politique sociale. Juridiquement, c ’est probablement inattaquable… Les juges fédér aux ont donc conclu que rien ne les autorisait à in valider cette loi cantonale. On aime rait presque saluer cette prudence fédér aliste… tout en remarquant que, dans le cas gen evois, le TF a défendu le principe du salai re minimum légal en cassant une décision du parlement cantonal. Une victoire pour les syndicats, pas pour les travailleurs De fait, on réalise que l’ arrêt rendu cet été n’est hélas que la sui te logique de c elui de 2010, dont on avait pensé à tort qu’il serait même d’un salair e minimum légal, il y a sept ans, que les juges fédér aux ont inopportuné ment ouvert la boîte de Pandore.

Mais si l’on doit critiquer le r ôle joué par le TF, il ne faut pas oublier que la r esponsabili té première incombe aux syndicats qui ont lancé ces initiati ves. Ces derniers crient aujourd’hui victoire, en espé rant que le cas neuchâtelois fasse école dans d’ autres cantons. Pourtant l’int ervention de l’Etat dans la victoire pour les travailleurs. Au contraire, la remise en question des conventions collectives et du part enariat social risque de c réer un climat délét ère qui pèsera sur les salair es au lieu de les ti rer vers le haut. Les quelques patrons «exploiteurs», pour reprendre la terminologie syndicale, trouveront d’autres moyens d’exploiter leur personnel, tandis que de nombreux autres em ployeurs, même dési reux de bien faire, verront dans le salai re ã á å á ãä une ~ forme de salai re å ç ê ãä.~ Dans l’intérêt des tr availleurs autant que dans celui des emplo yeurs, il faut souhai ter que la nou velle législation neuchât eloise reste un cas isolé et que les syndicats retrouvent la voie du partenariat social . Pierre-Gabriel Bieri


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