Jonas Delhaye au Cerfav : "Par delà les horizons les événements"

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ISBN : 978-2-9569945-0-3


Pa r d e l à

les horizons

l es é v é n e m e n ts

Carnet de restitution de résidence au CERFAV Jonas Delhaye, 2019


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Mes astres se sont alignés là. La clairière un peu isolée, masquée par les pins, au sommet de la colline d’Allamps, à seulement deux kilomètres du CERFAV . L’observatoire astronomique. J’ai dégainé mes souvenirs en latence, mes envies d’exploration, soutenu par cette rencontre inopinée du territoire, guidé intuitivement par ce champ de gravitation à appliquer au verre. Une résidence reste un destin offert, ce qui fait se croiser nos histoires. Et mes récits ne s’écartent jamais vraiment de l’envie de rencontrer et raconter. Mes recherches redéfinissent souvent en moi ce lien ténu entre les sciences et les arts. Poésie de l’inconnu, archéologie de l’instable qui se doit de croiser, fouiller, déterrer, explorer, se tromper parfois pour mieux partager. La recherche résiste, et c’est beau par cela, car elle forge un potentiel de découverte et d’apprentissage du monde qui nous entoure, remet en question nos certitudes.

Eurêka ! Tout est là. Rien est visible. La lumière des villes a remplacé notre accès aux étoiles...

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O b s e r v e r



L a L u n e n ’ e s t - e ll e p a s l a s u r f a c e s e n s i b l e d u S o l e i l ?


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P l an i s p h e r e Collodion sur verre, diamètre 105 cm

Après plusieurs rencontres, au fil des mois et des occurences, l’association d’astronomie a accepté avec plaisir de me confier les clefs. Depuis la coupole de l’observatoire astronomique d’Allamps, j’ai oublié l’habituel téléscope pour une chambre photographique 20x25, transformé le rez-de-chaussée en laboratoire photographique. Je décide de regarder la Terre, l’astre que l’on habite et qui devient dans notre égarement, parfois, un simple décor, avec la Lune comme tableau, le Soleil et les étoiles comme images mobiles. Cette inversion du regard par rapport à la fonction de l’outil astronomique repositionne pour moi notre attention. J’ai pu dessiner le modèle 3D d’une coupole, le dôme qui surplombe l’observatoire. Chaque facette est ensuite découpée en verre. Remises à plat, elles reforment le patron de la coupole et invoquent le vitrail, alliées à la technique du collodion humide, procédé photographique ancien qui me permet de réaliser des images positives sur verre. Comme un planisphère, cartographie à 360°, je photographie du sol jusqu’aux cimes des arbres, la clairière qui accueille et protège l’observatoire des lumières parasites. Durant quelques semaines, du petit matin au crépuscule, je tourne la coupole, seize fois, pour réaliser une révolution complète tout en suivant la course du Soleil qui éclaire les différentes portions du paysage.

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Spectroscopie d’une etoile (triangle d’ete) Roll up en verre bullseye coloré, trois sphères 18 cm

La technique du Roll up m’a intéressé car elle permet de réaliser un motif précis par agencement de verres plats qui, après fusion dans un four et reprise à chaud avec la canne, peut redevenir une matière à souffler tout en conservant le dessin. Je suis parti de l’observation des étoiles par spectroscopie. La spectroscopie est l’étude du spectre d’émission de la lumière. Chaque étoile du ciel projette sa lumière composée par le spectre continu de la lumière visible. À l’intérieur de ce spectre, des raies d’absoption (bandes noires) coupent verticalement le spectre à certains endroits précis qui correspondent à l’absorption de la lumière par les matières ou gaz présents dans l’étoile. Ainsi chaque étoile possède son propre spectre lumineux qui est comme un portrait robot et nous renseigne notamment sur sa composition. J’ai cherché à redonner la forme sphérique des étoiles à partir du graphique plan, repositionner spatialement le spectre lumineux en trois dimensions. Trois étoiles sont réalisées qui reforment le triangle d’été : Altaïr, Dénèb et Véga. C’est un astérisme visible durant tout l’été dans l’hémisphère nord, composé de trois étoiles parmi les plus lumineuses du ciel et formant un triangle isocèle quasi parfait. C’est aussi l’astérisme qu’il m’a été donné d’observer le premier soir lors du regroupement des astronomes amateurs de la région à l’observatoire d’Allamps. 14


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E X P L O R e r



A p rè s l ’ é c l i p s e d e S o l e i l : co n s i d é r a n t l a L u n e co m m e o b t u r a t e u r , n ’ e s t - ce p a s p l u tô t l a Te r re l a s u r f a ce s e n s i b l e d u S o l e i l ?


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V o ya g e r bouteille soufflée en balotte colorée, sablage, argenture, fragment en papier du poème Elévation de Beaudelaire , 15 x 30 cm

Le titre est ambivalent, en français, c’est le verbe de la découverte de l’ailleurs par le déplacement. En anglais, c’est aussi et ici surtout une référence aux sondes spatiales du programme Voyager de la NASA. Les sondes spatiales Voyager 1 et Voyager 2 ont été envoyées dans les confins de l’espace afin d’abord d’étudier les planètes externes inexplorées à l’époque (Jupiter, Saturne) puis le milieu interstellaire non régi par notre étoile. Elles sont devenues les objets réalisés par l’Homme les plus éloignés de la Terre. En reconnaissance préalable, deux sondes avaient été envoyées en 1972 et 1973 : Pioneer 10 et Pioneer 11. À bord, une petite plaque en aluminium et or de 23 x 15 cm a été positionnée. Sur la surface, un message pictural de l’humanité est gravé à destination d’éventuels êtres extraterrestres, donnant des informations sur l’origine des sondes et les caractéristiques physiques de la forme humaine. Puis dans les deux sondes Voyager 1 et 2, la forme plus évoluée d’un disque vidéonumérique y est placée. Ces disques regroupent de nombreuses informations sur la Terre, les Hommes, les Sciences, les Arts, les Langues, avec des images photographiques et des enregistrements sonores («Bonjour» dans tous les dialectes, extraits de musiques classiques célèbres...). Il sont le portrait de l’humanité, de la richesse de notre monde. Parmi ces extraits audios, une voix française récite un extrait du poème Elévation de Charles Beaudelaire...

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J’ai considéré cette histoire comme un message à la mer, une bouteille qu’on lance vers l’inconnu, mais aussi la mémoire de ce que nous sommes et de nos savoir-faire techniques. Ainsi, une bouteille en verre a été soufflée par le maître verrier, jaune ambré teintée dans la masse. Elle est ensuite argenturée à l’intérieur donnant avec l’effet miroitant l’impression d’une dorure rappelant le métal de la plaque de Pioneer. Sur la surface est sablé le célèbre pictogramme. J’ai glissé, à l’intérieur de la bouteille, un fragment découpé d’une page de livre : la partie du poème de Beaudelaire qui est archivée sur le disque de la NASA. C’est aussi pour moi une manière de rendre hommage au maître verrier, dont le savoir-faire technique ancestral se transmet pour continuer d’exister.

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[...] Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées, Des montagnes, des bois, des nuages, des mers, Par delà le soleil, par delà les éthers, Par delà les confins des sphères étoilées, Mon esprit, tu te meus avec agilité, Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde, Tu sillonnes gaiement l’immensité profonde Avec une indicible [...]

Extrait du poème Elévation de Charles Beaudelaire, Les Fleurs du Mal Enregistrement sonore archivé sur le Voyager Golden Record


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U n p e t i t pa s p o u r l ’ H o m m e ( Y u c c a f l at ) Pâte de verre en ouraline, 35 x 80 x 25 cm

Yucca flat est le terrain des essais atomiques dans le désert du Nevada aux Etats-Unis. Des milliers de cratères donnent à cet espace un aspect lunaire. La chaleur dégagée par les bombes au moment de l’impact ou du déclenchement est telle que le sable du désert en a été vitrifié. Ce verre radioactif de couleur verte a été appelé Trinitite du nom du programme militaire américain Trinity qui débute en juillet 1945. Après avoir réussi à modéliser la topographie du terrain, j’ai pu imprimer le modèle grâce à l’imprimante 3D du Fablab, puis recomposer et coller chaque partie pour obtenir la forme transitoire. La réalisation d’un moule en élastomère, la cire coulée, démoulée puis resculptée, la maquette topographique est ensuite cintrée pour retrouver une courbure introduisant le doute, transposant la topographie terrestre en surface planétaire, lunaire. Le verre choisi pour cette pâte de verre contient un très faible pourcentage d’uranate (oxyde d’uranium) utilisé par les verriers pour donner une couleur jaune vert au verre, rappelant à la fois l’ouraline et se rapprochant d’une teinte lunaire. Historiquement, cette tradition de l’ouraline (verre à l’oxyde d’uranium) développée en Europe et aux Etats-Unis a été stoppée net durant quelques années en Amérique suite aux réquisitions de l’ensemble des stocks d’uranium pour le développement de ces programmes militaires. La pâte de verre est sablée sur la surface et sur les champs, comme la poussière recouvrant les cratères qui s’enfoncent dans le sol. Ce paysage est l’exemple ultime de la capacité de l’homme à modifier son territoire. 28


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P r o j e ct i o n ast ra l e papier argentique couleur, série 100 cm x 220 cm

Envisageant initialement le vitrail comme moyen de production d’images photographiques, j’ai commencé par faire des photogrammes en couleur de fragments de verre. Est apparue une texture photographique qui m’a fait penser à une surface stellaire ou planétaire. De là, j’ai tiré le fil et me suis orienté sur la réalisation de cives. Le procédé technique de la cive m’intéresse : l’idée d’une sphère, symbolique ici d’un astre, devient un disque par la force centrifuge, avec une mise à plat du motif qui se déporte et se déforme légèrement sur la périphérie. On retrouve les notions de révolution, gravitation, d’un corps en fusion dans son enveloppe de pierre, lumière aveuglante. Jean-Pierre Mateus, maître verrier et formateur en soufflage, m’a guidé peu à peu pour devenir autonome dans la réalisation des cives. C’était ensuite une recherche de couleurs et matières, arriver à se projeter dans l’image que cela produirait, accepter les erreurs et les déformations pour toucher quelque chose de métaphorique. Puis vient le jeu d’empreintes lumineuses avec ces formes posées à même le papier photo argentique (photogramme en négatif couleur), pour enfin projeter mes études de verrier novice dans un espace fantastique où les astres sont en verre, mis en lumière par l’agrandisseur.. Le format des papiers photographiques est emprunté à la pellicule 70mm, pellicule argentique qui fut utilisée pour la documentation de la mission Appollo 11. La série photographique se déploie dans l’espace d’exposition pour englober l’observateur dans cette rêverie... 34


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L ’ U n i v e r s e n t i e r n ’ e s t - i l p a s u n g i g a n t e s q u e a p p a re i l p h o t o g r a p h i q u e d o n t l a b oÎ t e n o i re e n t o u re l e s a s t re s . . .


Je lève la tête, la Lune est une image. Je la regarde et elle change. Je nous regarde. Quel est ce manège? Le reflet de nos attentions fugitives qui se perdent dans le quotidien. Les étoiles m’apprennent, à regarder la Terre.


Aurore solaire, reflet d’une porte en verre sur le mur de chez Marine.


Photos : Jonas Delhaye Fanny Guenzi Photo aĂŠrienne Yucca Flat : United States Department of Energy, U.S. federal government.


Je souhaite remercier les personnes qui ont rendu ma présence au CERFAV possible. Denis Garcia, Directeur du CERFAV. Anne Pluymaekers, Responsable du service médiation artistique, culturelle, scientifique et technique. Sébastien Kieffer, Directeur pédagogique. Fanny Guenzi, Responsable communication. Les institutions partenaires : Région Grand Est DRAC Grand Est FEADER Le Vent des forêts Si le verre fait effectivement ce qu’il veut de nous, je tiens à remercier chaleureusement, les formateurs pour leur accompagnement. Ali Deli, Olivier Léonard, Marilyne Didier, Valérie Florentin, Victor Rarès, Paul Stojadinovic, Olivier Weber. Un merci tout particulier à Jean-Pierre Mateus qui m’a accompagné avec passion dans et en dehors du cadre, et m’a permis de vivre l’expérience avec joie. L’association d’astronomie d’Allamps qui m’a accueilli et fait confiance, Maurice Martin, Philippe Soles, Virgile Cucchiaro ainsi que Michel Mathieu pour l’observatoire de Nancy. Un grand merci au laboratoire photographique Diamantino à Paris. Une attention spéciale pour tous les créateurs verriers en formation qui m’ont entourés, aidés, guidés, assistés, surpris, écoutés durant ce moment. Nous sommes des chercheurs, ni plus ni moins.


Dépôt Légal Septembre 2019


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