Dossier cheminots tribune long

Page 1

Dossier tribune 02/2016 (version longue)

Sauvons le rail belge La situation du rail belge est critique, les actions menées par nos camarades du secteur cheminots en ce mois de janvier 2016 sont la réponse légitime aux attaques budgétaires sans précédents prévues dans le tristement célèbre Plan Galant. A l’heure des grands rendez-vous climatiques et des enjeux économiques liés à la mobilité de biens et des personnes, les dirigeants de la SNCB et la Ministre de tutelle s’entêtent à démanteler le moyen de transport collectif le plus écologique et le plus accessible économiquement. Alors que la fréquentation sur le rail belge a augmenté de 46% depuis 2000, ils nous annoncent une diminution d’1/5 de la dotation et réclament simultanément une augmentation de productivité de 20% sur 4 ans. Faire mieux avec moins de moyens, la recette magique de l’austérité dont l’efficacité est loin d’être démontrée.

Vers la libéralisation européenne Pour comprendre les politiques budgétaires mises en place à la SNCB et les volontés de rentabilité affichées par ses dirigeants, il est primordial de revenir sur la libéralisation du rail entamée au niveau européen depuis 2001. Cette libéralisation souhaitée par l’Europe fut imaginée dans un livre Blanc sorti en 2001 « La politique européenne des transports à l’horizon 2010 : l’heure des choix ». Déjà depuis 1991, une directive européenne imposait la scission comptable de l’infrastructure et l’exploitation ferroviaire. Le vote du premier paquet de libéralisation eu lieu en 2001, il visait à ouvrir une partie du réseau national pour le transport transfrontalier de marchandises. Le deuxième paquet voté en 2007 et mis en place à partir de 2010, a officiellement libéralisé tout le transport de marchandise en uniformisant les règles de sécurité et en autorisant le cabotage (permettant à un train d’interrompre son trajet dans un pays pour y charger de la marchandise supplémentaire). Le dernier paquet, le plus important, devait être appliqué en 2017, mais cette date est aujourd’hui remise en question, et concerne le transport des voyageurs. Depuis la mise en place du premier paquet ferroviaire, un indice de libéralisation permet aux pays européens de se classer parmi les bons ou les mauvais élèves de la libéralisation. La GrandeBretagne et les Pays-Bas font figure d’exemple. Pourtant nous verrons plus loin, que la privatisation du rail dans ces deux pays est loin de faire l’unanimité parmi les voyageurs et n’est pas sans coût pour l’état. Encore une fois et comme nous devons hélas trop souvent le répéter, la privatisation des services publics n’est pas avantageuse pour le citoyen et ne signifie pas toujours économie pour l’état puisque les partenariats public-privé ( PPP) mis généralement en place lors de la privatisation représentent souvent un coût plus important pour l’Etat 1.

Rentabilité et rationalisation Le désinvestissement public de la SNCB n’a hélas pas commencé sous cette législature. En effet, depuis 1991, date à laquelle la SNCB est devenue une entreprises publique autonome sous statut de Société Anonyme, son mode de gestion économique et institutionnel a progressivement basculé vers un modèle d’entreprise privée commerciale. L’accent y est mis sur la productivité et sur la

1

Lire l’étude de l’ISP : « PPP, les raisons de leur inefficacité » sur notre site internet http://cgspwallonne.be/documentations/dossiers-thematiques/item/442-ppp-les-raisons-de-leur-inefficacite

Page 1 sur 4 Dossier Tribune 02/2016 – Sauvons le rail belge ! (version longue) – CGSP wallonne


satisfaction des usagers, désormais officiellement appelé « clients » y compris par la Ministre Galant elle-même. Cette logique de rentabilité inspire les dirigeants de l’entreprise et les autorités qui imposent dans ses différents services des mesures de rationalisation allant à l’encontre d’une politique d’investissement ambitieuse et nécessaire dans un contexte de mobilité difficile et de transition énergétique. A titre d’exemple, alors que de 2004 à 2014, le nom de voyageurs de la SNCB est passé de 165 millions par an à 223,3 millions, le nombre de travailleurs de la SNCB (SNCB + Infrabel + Holding) est passé de 40 243 à 33 922 soit une diminution de plus de 6000 travailleurs en 10 ans. Sous la précédente législature, la SNCB avait connu en 2013 une économie 140 millions et en 2014, le ministre Labille avait prévu près de 100 millions d’économie sur les investissements et 50 millions sur l’exercice d’exploitation. Chaque année, alors que le nombre de voyageurs nécessitait de nouveaux investissements, les gouvernements successifs ont grignoté un peu plus les moyens de l’entreprise ferroviaire.

Plan Galant = Plan libéralisation Le gouvernement De Wever-Michel s’est caractérisé par une attaque massive et sans précédent contre les services publics et le statut des fonctionnaires. La SNCB est particulièrement dans l’œil du cyclone, ces attaques ont un objectif, appliquer strictement les directives européennes prévues dans le cadre de la libéralisation du rail européen. Ce gouvernement a la ferme intention de libéraliser le transport des usagers en 2017 et ce même si cette libéralisation sonne le glas de l’entreprise belge. Jo Cornu, administrateur délégué de la SNCB et la Ministre Galant plaident tous deux pour une augmentation des tarifs jugés trop bas et non rentables. Le premier imagine de moduler les tarifs en fonction des heures de pointe, en pénalisant dès lors les travailleurs et encore plus ceux qui ne bénéficient pas de participation financière de leur employeur. Cette volonté d’augmenter encore les tarifs va à l’encontre de la mission de service public de la SNCB. Si le gouvernement souhaite inciter les travailleurs et citoyens à emprunter les transports en commun pour désengorger les routes et lutter contre les émissions à effet de serre, augmenter les tarifs est un non-sens. Sans compter que de nombreuses voix s’élèvent pour proposer la gratuité des trains pour tous en le finançant notamment par l’arrêt des cadeaux fiscaux aux entreprises comme les voitures de société (ce poste représente à lui seul un coût pour l’Etat à hauteur de 4,1 milliards d’euros par an)2. D’autant que, des initiatives locales existent dont les résultats sont plus que positifs. Ainsi, dans la ville d’Aubange, l’instauration des transports en commun gratuits dans toute la localité a fait augmenter leur fréquentation de 175% en 3 ans. En vue de cette libéralisation prochaine, les dirigeants de la SNCB ont imaginé une réduction de la redevance payée par la SNCB à sa filiale Infrabel pour l’utilisation du réseau. Cette mesure représente certes un gain d’argent pour la SNCB qui paie moins cher pour faire rouler ses trains mais elle signifie une perte équivalente pour Infrabel qui reçoit moins d’argent. Cette mesure a donc pour objectif de rendre plus compétitive et plus attractive l’infrastructure ferroviaire belge afin d’attirer dans les prochaines années des compagnies privées qui voudraient concurrencer la SNCB. Toujours dans une volonté de rentabilisation du réseau belge, la SNCB a sorti en 2014 son nouveau plan de transport, dans lequel certaines lignes jugées peu rentables ont été réduites au minimum ou 2

La gratuité des trains pour tous, opinion parue sur la Libre.be d’Olivier Malay et Samuel Sonck, http://www.lalibre.be/debats/opinions/le-train-gratuit-pour-tous-568698f13570b38a57eaba1c, le 04/01/15

Page 2 sur 4 Dossier Tribune 02/2016 – Sauvons le rail belge ! (version longue) – CGSP wallonne


supprimées sans pour autant que des lignes de bus aient été prévues pour les remplacer. Ce n’est pas moins de 800 km de voies qui sont menacées par les restrictions budgétaires et le nouveau plan de transport. Le plan avantage les liaisons principales entre les villes conditionnant de nombreux navetteurs à effectuer obligatoirement une correspondance dans leur trajet. Un récent rapport commandé par le ministre de la mobilité wallon, a démontré l’inefficacité du nouveau plan de transport et les conséquences négatives sur les temps de parcours des voyageurs (3% en moyenne) et particulièrement pour les voyageurs wallons plus impactés que leur voisin Bruxellois ou Flamand (+10% en moyenne).3 Sans compter que sur beaucoup de lignes, les premiers et derniers trains de la journée ont purement et simplement été supprimés. Temps de trajet plus long, correspondances obligatoires, trains supprimés, le choix entre le train et la voiture semble basculer chez certains navetteurs lassés. Rappelons au passage qu’une des valeurs essentielles des services public est l’universalité et l’égalité, donc tous les citoyens, indépendamment de leur lieu de résidence ou de leurs moyens devraient avoir accès à un service de qualité égale, ruraux contre citadins, wallons contre flamands, pour la Ministre et les dirigeants de la SNCB, le service aux citoyens est devenu le service aux clients et surtout aux clients rentables. La SNCB a également décidé de fermer 33 guichets de gare en plus. Plus de 2/3 des gares n’ont plus de guichet et ils envisagent également de faire rouler les trains sans accompagnateurs. Les voyageurs sont obligés d’acheter leur ticket sur internet, de l’imprimer ou de le mettre sur leur smartphone quand ils disposent bien sûr de tout le matériel nécessaire. Ils peuvent aussi acheter leur ticket au distributeur automatique, quand celui-ci n’est pas en panne. Le point de contact humain que représente le guichet n’est pas uniquement un outil de vente, c’est une aide précieuse pour les voyageurs en quête d’information sur les lignes, horaires et tarifs disponibles. Sans oublier qu’en cas de panne du distributeur, le prix du billet acheté dans le train est automatiquement majoré de 7€. L’usager pourra réclamer mais devra attendre plusieurs mois pour se voir rembourser les 7€ s’il a pu prouver la panne de la machine sur le quai. Le rôle social des cheminots en contact avec les usagers est nié et gommé par les dirigeants, au détriment des travailleurs eux-mêmes et des citoyens. Ce plan prévoit également une réduction des investissements qui se traduit concrètement par le report de la finalisation du RER, véritable outil de désengorgement de la région Bruxelloise, essentiel à la fois pour la vie économique de la région et mais aussi pour les deux Brabant. Ces diminutions d’investissement auront comme impact le report de certains travaux sur des voies qui devaient être rénovées. Ces reports vont dès lors augmenter les risques de panne et engendrer des perturbations sur le trafic, retard, trains supprimés… Déjà largement amputé, le plan d’investissement 2013-2015 (passant de 26 milliards à 42) sera probablement complètement revu par la Ministre qui a annoncé en juillet 2015, un nouveau plan portant sur les 5 prochaines années. Nouveau plan, sans concertation, rédigé en quelques mois alors que le précédent avait été le fruit de plusieurs années de réflexions avec les acteurs du rail.4 Enfin, ce plan s’attaque directement à l’emploi et aux conditions de travail. En raison de la pyramide des âges, la SNCB connaît un nombre important de départs naturels. Au lieu de remplacer ce personnel, la SNCB profite de ces départs pour diminuer le nombre de travailleurs. D’ici à 2019, la

3

L'administration wallonne flingue le plan de transport de la SNCB, Philippe Lawson, paru dans l’Echo le 29/12/15, http://www.lecho.be/entreprises/transport/L_administration_wallonne_flingue_le_plan_de_transport_de_la_ SNCB.9714872-3016.art?utm_medium=twitter&utm_source=dlvr.it 4

M. Verbauwhede, En route pour un service maximum, Editions du PTB, Bruxelles, 2015

Page 3 sur 4 Dossier Tribune 02/2016 – Sauvons le rail belge ! (version longue) – CGSP wallonne


Ministre souhaite une diminution de 7000 emplois supplémentaires, cette perte s’additionne aux 6000 déjà perdus en 10 ans. Les cheminots tirent la sonnette d’alarme, avec si peu de travailleurs, ils ne pourront plus effectuer leur travail dans des conditions de sécurité pour eux et pour les voyageurs. La ministre prévoit des pauses de 12h au lieu de 8h pour combler les effectifs, y compris dans des fonctions critiques comme le poste de signalisation. Faute de personnel suffisant, les cheminots accumulent des heures de récupération et de congés qu’ils ne parviennent pas à prendre tant la demande de productivité ne cesse d’augmenter. Le gouvernement fonce littéralement dans le mur et fait la sourde oreille. Pourtant de nombreux acteurs, pas uniquement syndicaux, ont manifesté leur soutien aux actions de grève des cheminots. Associations, partis politiques, simples usagers, étudiants, associations de voyageurs, ont conscience que cette asphyxie n’a qu’un but, celui de préparer une privatisation au rabais de notre société belge de transport ferroviaire. Ce scénario bien rodé qui consiste à rendre délibérément l’outil inopérant afin de justifier plus facilement la vente de ses missions aux services privés ne dupe personne. Pourtant en ne prenant que l’exemple britannique de privatisation des chemins de fer, le gouvernement devrait prendre conscience que dans l’intérêt de sa population, investir dans une société nationale est la solution la plus efficace, la plus juste et même la plus rentable pour l’état luimême. En Grande-Bretagne en 1993, le rail a été privatisé, 22 ans plus tard, le bilan est très négatif. Le prix des billets a fortement augmenté, sur certains trajets, en fonction des sociétés qui les gèrent, les trajets ont doublé. Le nombre d’accidents a augmenté, l’efficacité du rail est largement critiquée, les retards et les trains surpeuplés sont devenus la norme. Le passage d’une société nationale à 23 opérateurs privés rendant le réseau complexe et hétérogène n’a en rien amélioré la qualité du transport. De plus, même privatisé, le rail coûte à l’état britannique qui le subsidie à hauteur de 4 milliards d’euros5 et qui participe également à l’entretien des lignes pour que les sociétés privées puissent générer des bénéfices qui vont tout droit dans la poche des actionnaires.

5

Les syndicats suspectent le gouvernement de vouloir privatiser la SNCB: les Anglais l'ont fait, ça donne quoi ?, rue RTL.be, http://www.rtl.be/info/monde/economie/les-syndicats-suspectent-le-gouvernement-de-vouloirprivatiser-la-sncb-les-anglais-l-ont-fait-ca-donne-quoi--783976.aspx, 06/01/2015

Page 4 sur 4 Dossier Tribune 02/2016 – Sauvons le rail belge ! (version longue) – CGSP wallonne


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.