QUOTIDIEN DU 16e CONGRÈS DE L’UGICT-CGT Numéro 1 30 MARS 2011
RAPPORT INTRODUCTIF
La démocratie au cœur des défis CLAUDE CANDILLE / OPTIONS
UN MONDE EN MUTATIONS
MARIE-JOSÉ KOTLICKI SECRÉTAIRE GÉNÉRALE SORTANTE DE L’UGICT-CGT
L’année 2011 est celle de tous les dangers, mais aussi de tous les espoirs. Personne ne peut être indifférent à la catastrophe que connaît le Japon (séisme de niveau 9, tsunami, accident nucléaire), avec ses milliers de morts, pas plus qu’à l’irruption révolutionnaire des jeunes et des peuples au Proche-Orient et au Maghreb. Le monde bouge de plus en plus vite et l’Histoire s’accélère. Ce qui se passe au Japon interpelle l’humanité entière. D’une part, sur l’aspect des catastrophes naturelles et des nécessités de prévention et de solidarité ; d’autre part, sur la capacité humaine à maîtriser la nature. Les deux problèmes planétaires majeurs sont le risque de pénurie en eau et en énergie. Ces risques accentuent les conflits et sont sources de guerres. Pour y faire face, la solidarité entre tous les peuples est donc vitale. Quand on sait que le nucléaire couvre 75 % des besoins en France et 20 % à l’échelle de la planète, cantonner le problème à un débat franco-français sur le nucléaire apparaît dérisoire comme toute vision qui résumerait la question aux seuls pays développés. Aux plans scientifique, économique, écologique et politique, le nucléaire fait aujourd’hui partie de la diversité énergétique. La question essentielle est d’agir pour parvenir à la maîtrise sociale sur ce sujet. Dans cette industrie, la priorité doit être donnée à la sécurité sur le profit, au personnel formé avec des qualifications reconnues sur la fuite en avant dans la sous-traitance, aux transferts des connaissances, y compris entre pays, ainsi qu’aux retours sur expérience. La logique financière à bas coût doit être bannie. La maîtrise publique et démocratique doit être la règle, la notion de compétitivité qui conduit au « pas cher, pas sûr » disqualifiée. Des moyens doivent être injectés en permanence pour multiplier les efforts de recherche et d’innovation. La transparence dans l’information doit régner. Il y va de la survie de l’humanité de franchir une étape décisive dans la démocratie. C’est d’un nouveau rapport science/société que nous avons besoin pour dépasser le scientisme comme l’obscurantisme ou l’électoralisme et pousser à un autre type d’entreprise avec un
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autre mode de gouvernance et de management où la démocratie et la citoyenneté ne soient pas laissées à la porte. C’est un autre tsunami ou séisme, politique celui-là, mais également de niveau 9 sur l’échelle de Richter de la démocratie, qui a secoué et secoue les pays arabes. Au Proche-Orient et au Maghreb, la jeunesse a réveillé des peuples entiers, leur faisant retrouver le chemin de la lutte et de la dignité, et la jeunesse diplômée s’est trouvée en première ligne. Ils portent les exigences de liberté et de démocratie, de reconnaissance et de justice sociale. Même s’ils s’opposent à des dictatures fortement armées, le caractère massif et déterminé des mouvements en cours ouvre un chemin nouveau vers l’exigence d’un autre système d’organisation de la société. La montée de pays émergents dans la vie économique mondiale, la progression gé nérale de l’instruction et des aspirations démocratiques, la diffusion et le partage des connaissances sur la planète créent une donne nouvelle. A l’heure où tout s’accélère, le passage de la mondialisation financière à la mondialisation des luttes et de la démocratie devient le combat d’où naîtra l’avenir. Tandis que les contradictions de la logique de financiarisation capitaliste sont chaque jour plus fortes, monte un refus universel de payer la crise. Les Etats ont été mis à contribution pour sauver le système financier mondial, et notamment les banques privées, pendant que le Fmi ne trouve rien de mieux que de sanctionner les peuples en sacrifiant, comme en Grèce, les services publics que l’on était bien content de trouver comme amortisseur social quelques jours plus tôt. De son côté, l’Union européenne, avec son pacte pour l’euro, pratique la fuite en avant dans la compétitivité financière. Ses injonctions conduisent à la destruction des systèmes de protection sociale, à la baisse du prix du travail, à la réduction drastique des investissements publics, à un démantèlement des services publics. Et les agences de notation internationales jouent les vautours. Partout en Europe, la montée des inégalités et la dégradation économique et sociale sont à la source de luttes. 1
La France dans la crise En France, la crise a fait émerger de nombreuses critiques contre la financiarisation, sa logique court-termiste, et a validé un de nos atouts majeurs : l’existence de services publics forts. Elle a aussi permis de mettre en débat le rôle de l’Etat, sa capacité d’intervention dans la sphère économique et fait apparaître de nouvelles réflexions autour de la notion de « politique industrielle ».
L’industrie sacrifiée aux dividendes actionnariaux Avec la perte d’un quart de sa capacité de production industrielle, la France a été plus fortement touchée que certains pays européens, notamment l’Allemagne. Sa spécialisation dans des niches de haute productivité, sacrifiant les sites de production au détriment de toute cohérence économique, a profondément disloqué le socle de production. Sortir de la crise implique de redonner à la France ses capacités de production de richesses, donc de refonder une politique industrielle. La question n’est pas plus de soutenir un intégrisme productiviste que de céder à un intégrisme écologique de la décroissance globale, mais de s’interroger sur les finalités et les moyens d’un développement industriel. Il s’agit de reconstruire une industrie en intégrant les impératifs de la reconnaissance de la qualification, de la démocratie sociale et de la préservation de l’environnement. Cette ambition suppose de dépasser le principe « pollueur payeur » et celui des mesures incitatives et d’intégrer l’impact et les besoins de l’environnement en amont de tout choix technologique d’innovation et industriel. Elle nécessite de resituer l’industrie dans une cohérence territoriale, car l’environnement c’est aussi le territoire. Il convient enfin de rompre avec les credo mortifères de concurrence et de coût à court terme en intégrant la question de la finalité industrielle : la qualité des produits et des services, la réponse aux besoins des populations et des clients. Au lieu de les livrer au marché, il convient de considérer l’enseignement supérieur et la recherche comme des atouts à promouvoir dans de nouvelles interactions avec l’industrie et la société. Assurer le financement des entreprises industrielles par un pôle financier public, augmenter les efforts pour la recherche fondamentale et l’innovation sont les clefs pour un développement industriel et des services nouveaux. Les orientations qui ont prévalu jusqu’alors, essentiellement centrées sur la régulation des marchés financiers, ignorent toute alternative à la financiarisation.
La politique en discrédit Toute politique qui ne porte que sur la régulation économique ou sur la seule gestion des conséquences de la crise ne peut que fermer le champ du social. La voie est alors ouverte au partage de la pénurie dans le salariat et à la chasse aux boucs émissaires. N’est-ce pas là le fond de commerce de l’affront national ? Ceux qui comptent prospérer sur la misère et les populations les plus fragilisées, avec pour seule solution la stigmatisation sécuritaire et les restrictions du droit de grève, n’appartiennent pas à un parti comme un autre mais sont des charognards de la politique. Ceux qui en 2
banalisent l’existence s’en font complices, donc coupables aux yeux de la République. Une réhabilitation de la politique ne s’opérera pas sans que les questions du travail et du rapport capital/travail soient au cœur du débat. N’est-ce pas le message prépondérant des urnes lors des élections cantonales ?
Les Ict et le mouvement des retraites Au cœur de cette problématique de création et de répartition des richesses, le grand mouvement social sur les retraites fut un catalyseur des mécontentements, sur un fond de rejet global des réformes proposées. Dans cette lutte que l’on peut qualifier d’historique, la participation des ingénieurs, cadres et techniciens a été remarquée. Distants vis-à-vis des logiques de financiarisation, ils rejettent les impasses d’une retraite par capitalisation ; aspirant à un équilibre entre vie professionnelle et vie privée, ils revendiquent aussi une vie après le travail. Etre en phase avec l’opinion publique d’un bout à l’autre de cette bataille, rassembler jusqu’à trois millions de personnes à travers différentes formes de mobilisation n’était pas gagné d’avance. La Cgt, grâce à sa démarche unitaire et ses contre-propositions, en est sortie grandie. Néanmoins, cette mobilisation n’a pas suffi. Il nous faut donc être en capacité de faire monter en puissance le rapport de forces pour pouvoir créer un mouvement durable plus important. Nous nous sommes heurtés aux limites de notre présence syndicale et du taux de syndicalisation, parfois même à nos pratiques syndicales. Ainsi, les ingénieurs, cadres et techniciens sont parmi les salariés les plus syndiqués et organisés collectivement dans les associations, syndicats professionnels ou encore syndicats autonomes, mais ils sont les moins nombreux dans le salariat à adhérer à la Cgt. Pourquoi l’engagement significatif des Ict ne se traduit-il pas aussi directement sur le lieu de travail ? Pourquoi n’y retrouve-t-on pas non plus les jeunes ? Si la sympathie des jeunes reste de loin la plus forte à l’égard de la Cgt, il n’y a pas de traduction significative en forces organisées, notamment parmi les jeunes diplômés, alors qu’ils sont 44 % à accorder leur confiance à la Cgt. Or, d’ores et déjà, l’inversion du rapport numérique entre Ict issus du rang et diplômés ainsi que la pyramide des âges dans les entreprises font de la syndicalisation des jeunes diplômés un axe stratégique de notre activité. Comment prendre en compte les nouveaux rapports entre individu et collectif posés par la jeunesse, intégrer leur rapport naturel aux technologies de la communication et en particulier aux réseaux sociaux ? Comment concrétiser cet espace de démocratie où ils puissent libérer leur esprit critique, leur rôle contributif, qui leur permette d’être acteurs et décideurs dans le syndicalisme – ce que leur refusent aujourd’hui les directions d’entreprise – et, dans le même temps, que signifie alors assurer la cohérence de l’activité Cgt ? Ces questions ne renvoient-t-elles pas à notre capacité de mutualiser et de mobiliser l’expression des diversités ? Comment, tout en répondant aux revendications liées à la place et au rôle des Ict dans le travail, contribuer à rassembler le salariat sans tomber dans les impasses, soit du tout globalisant, en postulant le « tous pareils », soit de la délégation options SPÉCIAL 16 e CONGRÈS • N° 1 • 30 MARS 2011
CLAUDE CANDILLE
à une commission Ict, au risque d’une vision accessoire du spécifique dans la Cgt ? Ne faut-il pas donner une tout autre portée à la prise en compte par l’ensemble de la Cgt de la spécificité des Ict et développer la capacité politique de notre organisation, pour lier degré d’autonomie des syndiqués Ict, cohérence de l’activité Cgt et efficacité du rapport de forces ? Ces questions sous-tendent la complexité de la situation au même titre que le regard ambivalent des Ict sur notre syndicalisme. L’image ouvrière historique de notre organisation, le déséquilibre global entre nombre de syndiqués ouvriers-employés et Ict peuvent être un frein au développement de la Cgt parmi ces catégories : craignant la loi du nombre, estimant l’existence de la Cgt importante dans le paysage, mais globalement pas faite pour eux. A contrario, la démarche de contestation et d’indépendance de la Cgt, de propositions alternatives et de respect de la consultation des salariés, ses valeurs de solidarité et de justice sociale les interpellent. Globalement, les Ict ont un rapport spécifique au syndicalisme (quand on sait que les coordinations naissent parmi les luttes de métiers des professions techniciennes et que les cadres sont embauchés par les entreprises pour régler les problèmes, pas pour en poser !). Aujourd’hui, dans plus de 95 % des cas, l’activité revendicative spécifique organisée n’existe pas dans l’entreprise ou sur le lieu de travail. L’activité spécifique est irriguée soit par le canal de l’union fédérale, soit par des dispositifs spécifiques interprofessionnels. Or, dans certaines professions où le rapport numérique s’inverse entre ouvriers-employés et ingénieurs, cadres, techniciens, ces derniers devenant majoritaires, l’existence d’une activité spécifique organisée au sein même de la fédération est réinterrogée. L’évolution sociologique dans une entreprise ou dans tout une profession permet-elle automatiquement à la Cgt de traiter la spécificité du salariat tel qu’il est ? Si la réponse est positive, alors pourquoi craindre pour notre score dans les sièges sociaux à dominante forte d’ingénieurs, cadres et techniciens ou pour la représentativité option s S P É C I A L 1 6 e CO N G R È S • N ° 1 • 3 0 MARS 2011
de la Cgt dans les professions entières où l’encadrement est majoritaire ? Nous ne pouvons pas faire la politique de l’autruche et nous exonérer, quel que soit le nombre d’Ict, d’une activité revendicative spécifique organisée partout pour accroître le rapport de forces général et être la Cgt de tout le salariat.
Les enjeux de l’activité spécifique Si un accord général semble se dessiner dans la Cgt pour développer une activité spécifique, plusieurs problématiques sont à traiter : le contour de cette activité ainsi que son contenu pour répondre aux attentes des Ict. Prenant en compte leur niveau de qualification, d’autonomie, de responsabilité et l’impact significatif de leur travail sur les autres catégories du salariat, l’environnement de l’entreprise, cette activité concerne les salariés qualifiés à responsabilités. Cependant, quel est, sous l’effet d’une élévation générale des qualifications et de l’évolution numérique des Ict, le contour exact de l’activité spécifique ? La crise et l’exploitation accrue du travail qualifié ont accentué le rapprochement avec les autres catégories de salariés. Ainsi, les Ict connaissent comme les autres salariés une précarité croissante des qualifications et de l’emploi et une recrudescence forte de la souffrance au travail. Des convergences fortes émergent entre les Ict et les autres composantes du salariat. Mais, pour autant, cette banalisation des Ict au sein du salariat n’est que relative. Car ils vivent aussi une douloureuse crise identitaire. Le mode de management en vigueur déstabilise ces salariés qualifiés à responsabilités dans la définition de leur rôle, dans la considération de leur place dans l’entreprise, dans le collectif de travail, jusqu’à leur utilité professionnelle et sociale où le lien entre responsables et coupables, voire justiciables, est fortement prégnant. Leur attachement à l’éthique professionnelle, au temps de travail et à la gouvernance d’entreprise renforce leur conviction d’être des 3
Evolutions des cadres Une étude récente de l’Apec pointait une progression de 60 % en vingt ans des cadres du privé. La notion même de cadre dans l’entreprise n’est plus réduite à un petit nombre de cadres encadrants ou hauts managers. Elle s’est à la fois élargie et diversifiée, compte tenu de la mobilité et des polycompétences requises tout au long de la carrière dans le domaine financier, commercial, managérial, de la haute technicité ou de l’expertise dont ces cadres doivent faire preuve et du fait qu’ils possèdent en commun un haut niveau de qualification et des responsabilités sociales étendues. Notre définition du cadre doit donc intégrer ces différentes évolutions plurifonctionnelles. Cette nouvelle approche nous impose aussi de sortir d’une posture purement idéologique ne considérant que le rapport des cadres au capital, c’est-à-dire à la hiérarchie de l’entreprise, et d’intégrer aussi le rapport des cadres au travail, c’està-dire à leur niveau de responsabilité, de qualification, d’utilité sociale et d’autonomie dans le travail.
Evolutions techniciennes Côté techniciens, nos états généraux du 13 janvier dernier ont illustré la très grande diversité de ces professions, à tel point que beaucoup ne se reconnaissent même pas dans l’appellation générique « techniciens », mais plutôt à travers une référence au métier (sages-femmes, infirmières, travailleurs sociaux, géomètres…). Ils constituent une catégorie charnière entre les ouvriers-employés et les cadres. Ce sont des « professions » pivots de l’évolution du travail, des métiers au cœur de la mise en place des nouvelles technologies, mais aussi des nouvelles procédures et des normes de travail. Cette position n’est pas étrangère à une évolution forte et rapide des qualifications qui a traversé toutes les professions dans leur diversité. Beaucoup d’entre eux sont de plus en plus diplômés et désignés comme « techniciens supérieurs ». Parmi les techniciens diplômés, une proximité des aspirations avec les cadres s’affirme en matière d’exigences fortes de reconnaissance des qualifications, d’autonomie et de qualité du travail, de maîtrise de son travail et de nouveaux droits pour exercer des responsabilités. C’est à chaque profession de déterminer au sein de ces techniciens la proximité avec le personnel dit d’exécution ou avec les salariés qualifiés à responsabilités et d’affiner le périmètre d’affiliation. Nous ne sommes pas dans une bataille de propriété, de savoir à qui appartiendraient les techniciens, le général, le spécifique ! Nous avons besoin d’une tout autre dimension dans l’action revendicative pour gagner une reconnaissance des qualifications des techniciens par toute la Cgt. 4
On ne peut en rester à une frontière d’affiliation, ni uniquement aux postes occupés, encore moins aux visions patronales « utilitaristes » qui nient la notion même de qualification. Comme nous ne pouvons nous satisfaire des risques catégoriels dans des luttes segmentées de métiers, sans travailler de façon plus transversale les aspects qui les rassemblent : sens et finalité du travail, reconnaissance des qualifications. Si la Cgt, avec son Ugict, a fait le choix de ne pas réduire le spécifique aux seuls cadres, c’est pour permettre de travailler la proximité revendicative des tech niciens supérieurs et des cadres, de travailler les convergences transversales de l’identité technicienne, de se donner les moyens de contacts avec les cadres pour un déploiement de la Cgt parmi les techniciens, ingénieurs, cadres et maîtrises. C’est donc ce choix pragmatique qui conduit à réfuter toute norme globalisante d’affiliation ou de non-affiliation de l’ensemble des techniciens à l’Ugict. C’est pourquoi l’Ugict nationale propose de bien centrer son cœur d’activité sur techniciens supérieurs (Bts, Dut et plus ou expérience professionnelle équivalente), maîtrises, ingénieurs et cadres.
La stratégie du Medef Ce choix doit nous permettre de gagner en cohérence, tant au regard de la stratégie du Medef que pour dynamiser une réponse aux attentes des Ict. Fidèle à ses options ultralibérales, le Medef a depuis le début de la crise de 2008 pratiqué la fuite en avant dans la baisse du prix du travail. Venant après la réforme de la retraite, la mise en cause des retraites complémentaires, et notamment de l’Agirc, est emblématique de sa volonté de parvenir à tout prix à un développement significatif de la capitalisation dans notre pays. Sur la question de l’emploi, alors que l’indemnisation et le placement des chômeurs sont déjà contestés par la mise en coupe réglée de Pôle emploi, le Medef a décidé de s’attaquer à l’Apec, institution dont tous les acteurs louaient l’efficacité, pour favoriser la mise sur pied d’une gestion privée de l’emploi en France. Faire de l’argent avec le chômage, voilà un nouveau créneau économique dans lequel s’engouffre le Medef : offrir le marché de l’emploi des cadres aux grands groupes de l’intérim. Complétant les offensives sur les salaires et la Rtt, ces attaques contre l’Agirc et l’Apec concrétisent une mise en cause d’ensemble des garanties offertes par un statut cadre que le patronat ne supporte plus. La reconnaissance du travail qualifié fait donc maintenant l’objet d’un affrontement d’ampleur. Elle participe en même temps d’une atomisation toujours plus importante de la société. Derrière l’externalisation généralisée des compétences, se développent des formes d’emplois atypiques et non salariés. Contrats de missions, de prestataires, portage salarial, autoentrepreneuriat… une volonté claire options SPÉCIAL 16 e CONGRÈS • N° 1 • 30 MARS 2011
FABRISSA DELAVILLE / MAXPPP
salariés non pas comme mais au même titre que les autres. N’est-ce pas ce que confirment de nombreuses luttes d’Ict, centrées sur le sens et la finalité de leur travail, voire leur utilité sociale ou les moyens pour exercer leurs propres responsabilités ou encore des batailles pour la reconnaissance de leur qualification ? Pour autant, l’évolution au sein du salariat Ict n’est pas non plus sans conséquence sur le périmètre de l’activité spécifique Cgt. On assiste à une évolution interne importante du groupe des Ict.
DOMINIQUE GUTEKUNST / MAXPPP
apparaît : remplacer le contrat de travail par un contrat commercial. Ainsi, le patronat vise une précarisation de la main-d’œuvre qualifiée. Même les jeunes diplômés de grandes écoles sont aujourd’hui sollicités par des entreprises de prestation dès leur sortie d’études pour travailler à la mission. Cette stratégie s’articule avec de nouvelles violentes attaques contre les services publics, puisqu’il convient de faire disparaître tout obstacle à cette entreprise de déstructuration sociale. La France comptait cinq millions trois cent mille fonctionnaires en 2008, dont 20 % de non-titulaires, et Sarkozy, en juin 2010, se félicitait de la suppression de cent mille postes. La collusion entre gouvernement et Medef est aujourd’hui totale pour tenter de mettre l’Etat au seul service des marchés financiers.
Contradictions et résistances
(1) « Partage de la valeur ajoutée », rapport Insee, mai 2009. (2) « Tableau de l’économie française », 2011, Insee. (3) Idem.
Mais le refus du Medef de tirer les enseignements de la crise financière se cogne aussi à une dynamique de luttes revendicatives et butte sur des contradictions économiques fortes. Ainsi, le Wall Street management mis en œuvre consacre la suprématie actionnariale contre le travail, sa valeur, sa réalité, sa finalité. C’est parce que ce management tue le travail, qu’il tue au travail. La recrudescence de la souffrance au travail chez les Ict, la perte de sens et de reconnaissance du travail fourni accroissent le hiatus entre le fort degré de motivation au travail et le faible degré d’implication, de mobilisation pour l’entreprise. La surenchère dans la volonté de satisfaction des actionnaires – plus de 36 % des profits bruts (1) – et sa logique court-termiste exercent une pression sans précédent sur le prix du travail, à tel point que la faible progression des salaires aboutit à ce que la part des revenus de la production distribuée aux salariés est à un point historiquement bas. Nous sommes entrés dans un cercle vicieux où la chute du travail dans la valeur ajoutée plombe la croissance économique : – 2,6 % en 2009 (2). Celle-ci ralentit sous le double effet d’une demande de plus en plus atone, tandis que l’épargne s’investit de moins en moins dans l’ap-
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pareil productif – moins dix points en 2008 (3) – et se porte sur les actifs patrimoniaux qui connaîtraient des bulles déstabilisantes. L’Etat, roue de secours des banques et « dispensateur » d’exonérations aux entreprises (encore près de 30 milliards en 2009), aussi nombreuses qu’inefficaces, court après l’équilibre budgétaire et sacrifie le financement de biens publics pourtant essentiels à une croissance potentielle. En résumé, le sacrifice des salariés est préjudiciable à l’efficacité économique, environnementale et à l’avenir. De plus en plus de personnalités diverses s’élèvent pour le dire. Ainsi en est-il, par exemple, de Michael Porter, professeur à Harvard, prêcheur depuis trente ans de la concurrence et de la compétitivité, qui livre en mars 2011 : « le capitalisme est assiégé, et c’est la faute aux entreprise. Elles continuent de voir la création de valeur de manière étroite, optimisant la performance financière à court terme dans une bulle en oubliant les besoins plus fondamentaux, ceux de leurs clients, et ignorant les influences plus larges qui déterminent leur succès à plus long terme. Le renouveau de l’entreprise ne se fera pas sans le social ». Alors, si même les gourous ultralibéraux sont touchés par la grâce… A quand l’abdication de Mme Parisot ! Mais les voix les plus crédibles et les plus constantes, sur ce chapitre, sont bien celles des Ict eux-mêmes. Après le tournant des années 2000 avec la Rtt, la plupart des luttes Ict portent sur l’exigence de reconnaissance des qualifications et les moyens d’exercer une responsabilité sociale. Dans la dernière période, les magistrats défendant l’indépendance de la justice et les luttes des enseignants contre l’hémorragie des emplois dans l’Education nationale exigent des moyens suffisants pour travailler ; les ingénieurs et techniciens de l’aéronautique et de l’électronique débrayent sur les questions de salaires, et les infirmiers Iade et les travailleurs sociaux agissent pour la reconnaissance de leur qualification dans la catégorie A (cadre). Face à cette logique financière, économique et politique, nous avons besoin d’une construction alternative d’ensemble au plan social. C’est 5
6PA / MAXPPP
tout l’enjeu de la démarche de management alternatif que nous portons pour la reconnaissance du sens et de la valeur du travail ainsi que pour le développement d’une réelle démocratie dans l’entreprise.
Pour un statut de l’encadrement et de l’expertise Cette démarche suppose très concrètement, dans l’action générale pour un nouveau statut du travail salarié que revendique la Cgt, de conforter le statut cadre et de lui donner un nouveau contenu élargi et solidaire. Ce sont les Ict instrumentalisés, chevaux de Troie du démantèlement des garanties collectives, qui sont in fine l’enjeu stratégique de transformation des entreprises. Les garanties collectives perdues pour les cadres sont perdues pour tous les salariés. La remise en cause des droits et des garanties des Ict sape leur capacité de mobilisation, non seulement pour eux-mêmes, mais pour tout le salariat. Un nouveau statut de l’encadrement et de l’expertise doit correspondre à la modernité de la notion de cadre d’aujourd’hui et s’adresser à l’ensemble des salariés qualifiés en responsabi lités. Il doit participer à la revalorisation de la technicité et à la reconnaissance de l’expertise, à l’intégration de toute la polytechnicité de ces salariés dans leur diversité de fonctions : commerciales, d’ingénierie, de management, d’encadrement de proximité… Il doit favoriser les transitions professionnelles avec une transférabilité des droits appropriée. Ce nouveau statut solidaire doit d’abord asseoir une solidarité dans l’ensemble de la composante Ict, en interdisant le dumping social par les jeunes diplômés, en levant les 6
oppositions entre Ict diplômés et Ict issus du rang, par une reconnaissance de tous les aspects de la qualification, qu’elle soit issue du diplôme ou de l’expérience. Ce statut solidaire doit aussi promouvoir l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes en s’attaquant aux plafonds et aux parois de verre, à la disponibilité comme critère discriminatoire. Nous avons besoin de pousser les questions d’égalité : « à travail de valeur comparable, salaire égal » ; « égalité d’accès aux postes à responsabilités ». Un statut de l’encadrement et de l’expertise solidaire est enfin un statut solidaire entre catégories de salariés, un statut qui donne aux Ict les moyens d’exercer leur activité, tout en étant responsables de l’impact sur les autres catégories de salariés et sur la marche de l’entreprise. C’est donc un statut qui vise à modifier la conception même de la hiérarchie dans l’entreprise et à modifier les rapports sociaux. C’est une nouvelle place et un nouveau rôle pour l’encadrement dans les entreprises qui est en jeu.
Construire un management alternatif Favoriser l’intervention des Ict pour conquérir et la reconnaissance de leur travail et des droits démocratiques effectifs dans l’exercice de leur responsabilité est la démarche syndicale offensive que nous voulons promouvoir. Nous visons à transformer les finalités du management en articulant les dimensions économiques, sociales et sociétales, en restaurant le rôle contributif des Ict, en revalorisant l’expertise. Il s’agit de mettre à la portée de chacun des changements du mode de management. options SPÉCIAL 16 e CONGRÈS • N° 1 • 30 MARS 2011
A cet effet, nous proposons de revoir les outils managériaux, tant au niveau des contrats d’objectifs, de la charge de travail que de l’intervention dans la gestion et l’évaluation. Ce qui implique notamment, au niveau des CE, d’intervenir dans la gestion et : • de poser, en matière d’organisation du travail, des droits de recours dans la définition et le contenu des contrats d’objectifs (et pas seulement sur la réalisation des résultats) ; de nouveaux critères d’évaluation fondés sur le travail et non sur le comportement des salariés ; • de revendiquer une définition collective et transparente des indicateurs de gestion ; • de prendre en compte le développement durable et la Rse avec la présentation d’un rapport annuel sur la façon dont l’entreprise gère ou non les répercutions sociales et individuelles de ses activités. De même, au niveau des Chsct, il est im portant d’intervenir en amont sur la santé au travail. Nous proposons la création de commissions de suivi du temps de travail pour mesurer et surveiller l’intensification de la charge de travail, mais aussi l’utilisation effective des jours de Rtt. Il s’agit aussi de permettre l’exercice de la Rse avec l’introduction d’un droit de refus et d’alternative en cas de problème d’éthique professionnelle qui pourrait compléter le droit d’alerte sur la dangerosité des produits ou sur les questions de sécurité afin de se prémunir contre la souffrance psychique au travail.
Dans la fonction publique Ce Wall Street management entre au forceps dans la fonction publique. Au nom d’une pensée unique, il s’agit d’offrir de nouvelles niches de productivité au privé par la privatisation des missions les plus rentables, ou encore, dans le cadre d’une restriction drastique des investissements publics, de privilégier les missions dites solvables et de mettre à mal la question de l’égalité de traitement des usagers. On nie alors, sans le dire, la spécificité de la fonction publique, sa finalité, au nom d’une pseudorationalité managériale et de sa vision comptable. A contrario, viser une efficience sociale, économique et sociétale suppose de rompre avec la transposition du Wall Street management dans la Rgpp et implique d’innover sur plusieurs axes : • redimensionner la démocratie, permettant l’intervention et la prise en compte des apports et des attentes de toutes les parties prenantes. • Innover dans les critères d’évaluation des politiques publiques en construisant des indicateurs qualitatifs. • Faire de l’exercice de la responsabilité sociale, économique et sociétale des services publics le moteur de la définition des contrats d’objectifs. • Assurer la cohérence et la cohésion des missions en confortant un statut des personnels garant de leur indépendance, de la reconnaissance de leurs compétences et de leur professionnalisme. • Repositionner le rôle contributif de l’encadrement à travers un droit de propositions alternatives.
Des formes d’organisation efficaces Déployer une telle activité suppose de réfléchir aux formes d’organisation. Le 49e Congrès a demandé à l’ensemble des syndicats de la Cgt de réfléchir à leurs périmètres d’activité. L’objectif option s S P É C I A L 1 6 e CO N G R È S • N ° 1 • 3 0 MARS 2011
est d’adapter les formes d’organisation aux communautés effectives de travail qui dépassent souvent le seul périmètre statutaire de l’entreprise et où interviennent de multiples sous-traitants ou travailleurs de statuts différents. Il y a lieu de regarder également le périmètre effectif sur lequel rayonne chaque syndicat. Est-ce l’ensemble du salariat de l’entreprise ou seulement une fraction, une partie des collèges électoraux ? Ces formes d’organisation ont un lien étroit avec le travail que la Cgt sera en capacité de mener, ou pas, dans les entreprises de soustraitance, dans les sièges sociaux, dans les pôles de compétitivité, par exemple. Il n’y a, en ce domaine, ni modèle à appliquer, ni génération spontanée à attendre. Une chose est sûre : les 4 % de syndicats ou sections spécifiques aux Ict dans l’ensemble des bases syndicales Cgt sont une réalité insatisfaisante. Même dans des sièges sociaux ou des entreprises au personnel constitué quasi exclusivement d’Ict, une activité globalisante Cgt restera hors-jeu en termes de syndicalisation de masse et de rapport de forces. L’activité spécifique partant du vécu au travail et portant les revendications transversales de reconnaissance et de responsabilité sociale des Ict est incontournable. L’expérience conduit à préciser les conditions du développement d’une telle activité. Un degré d’autonomie suffisant en matière d’organisation, l’élaboration des revendications et des formes d’action sont nécessaires aux Ict pour qu’ils puissent être acteurs, décideurs et jouer pleinement leur rôle contributif. A l’inverse d’une logique de clivage que cultive le capital, les formes d’organisations spécifiques Cgt portent des exigences de vie commune et de « travail ensemble ». C’est la capacité politique d’ensemble de l’organisation qui est interrogée en permanence pour savoir mutualiser les diversités et orchestrer une vie commune assurant une cohérence de l’activité de la Cgt. La question est aussi posée aujourd’hui d’impliquer un maximum de syndiqués isolés dans l’activité syndicale : isolés soit parce qu’ils sont seuls syndiqués dans l’entreprise, soit qu’ils se retrouvent seuls comme cadres ou techniciens dans le syndicat. Ces réflexions nous ont conduits à proposer quelques axes permettant de nourrir le débat général enclenché par la Cgt. Premièrement, travailler à des formes d’organisation permettant un syndicalisme de proximité en collectifs, sections, syndicats sur le lieu de travail, l’entreprise ou le territoire. Plusieurs unions départementales réfléchissent à expérimenter des syndicats spécifiques interprofessionnels de territoire, regroupant des syndiqués Ict isolés dans l’entreprise et leur permettant de s’impliquer dans une activité revendicative et de déploiement de la Cgt localement. Ce type de structure peut aussi servir de lieu d’échanges avec des syndiqués Ict appartenant déjà à des syndicats existants. Deuxièmement, travailler à des dispositifs qui rassemblent les Ict syndiqués pour construire des revendications transversales et impulser le déploiement Cgt sur des zones d’activité où interviennent donneurs d’ordres et soustraitants sur les nouveaux pôles de compétitivité, sur de grandes métropoles avec des commissions départementales… Adapter les périmètres des syndicats existants au lieu de travail réel, organiser les isolés, mettre en place des dispositifs de travail revendicatif et de déploiement dans les territoires sont des 7
aspects qui se conjuguent pour augmenter notre capacité à couvrir l’ensemble du salariat.
De nouveaux défis De la même manière que les élections prud’homales ont montré comment les résultats Cgt dans l’encadrement ont été dopés autour des lieux où existe une activité spécifique, la différence est significative en matière de syndicalisation et de résultats électoraux dans les fédérations où existent des unions fédérales. A l’expérience, les formes de collectifs mis en place dans les organisations Cgt ont une efficacité dès lors qu’ils se situent dans une volonté de faire naître et développer une activité spécifique durable et de rendre acteurs les Ict syndiqués. Ces formes se révèlent négatives si elles correspondent à la formule « pour se débarrasser d’un problème, créons une commission Théodule », ou pire encore s’il s’agit d’une mise sous tutelle de l’activité spécifique. Il nous faut penser des formes d’organisation qui n’opposent pas cohérence et diversité, rassemblement et démocratie de l’organisation. La sympathie envers la Cgt n’a cessé de progresser ces dernières années. Ce mouvement est significatif dans la section cadres aux prud’homales, puisque l’Ugict-Cgt y a réalisé, avec 17 %, le meilleur score depuis l’origine de cette élection.
La loi sur la représentativité La loi du 20 août 2008 lie la représentativité aux résultats électoraux ; les défis auxquels nous sommes confrontés sont clairement posés, que ce soit par rapport à notre implantation générale ou par rapport à une activité Cgt pérenne et organisée dans l’encadrement. Dans les résultats électoraux récents, un point d’attention apparaît concernant les diplômés. Ces derniers sont maintenant majoritaires dans le salariat, ce qui est loin d’être le cas dans la Cgt, et notamment chez les Ict syndiqués.
La problématique des jeunes diplômés Les problématiques diplômés/non-diplômés, celles des attentes des jeunes diplômés et celles qu’expriment les Ict, dans leurs interventions individuelles et collectives, sont entièrement liées. En recherchant dans le travail un lieu qui participe à l’accomplissement de soi, à son propre épanouissement, tout en demandant à ce même travail d’être utile socialement, les jeunes diplômés veulent lui donner un sens qui suppose un autre système d’organisation du travail et de gouvernance des entreprises. A l’instar de la formule selon laquelle « on ressemble plus à son époque qu’à son père », nous ne sommes pas avec les jeunes diplômés devant un changement d’âge, mais d’abord devant un changement de génération. Cette génération a toujours connu la crise et a été mise en concurrence dès les circuits scolaires. Elle a intégré le fait qu’elle ne fera pas carrière dans une seule entreprise et que, même si le travail est un moyen de subsistance, il ne s’agit pas de perdre sa vie en la gagnant. Le travail est pour eux un enjeu pour gagner sa vie mais aussi pour la construire. Ils considèrent le travail comme une modalité d’affirmation, donc de reconnaissance. C’est à partir de cet élément que prennent forme les luttes pour la reconnaissance de la 8
dignité, de la qualification, des aptitudes acquises progressivement. La question de l’engagement des jeunes diplômés commence avec l’accomplissement de certaines valeurs, d’abord celle d’un travail bien fait au sein de l’entreprise. Faire de la réponse aux besoins et aux attentes des jeunes diplômés un axe stratégique de notre activité syndicale revêt donc plusieurs enjeux pour lutter contre le dumping social avec les autres salariés, pour leur propre avenir, celui du syndicalisme Cgt et des transformations à opérer. Mais l’enjeu fondamental est de bien positionner la Cgt au cœur des transformations du travail, des entreprises et de la société.
Conclusions Nous sommes tous citoyens du monde, à l’aube de ces mouvements sociaux inédits qui traversent les frontières, rejetant les dictatures civiles, militaires, idéologiques, religieuses, refusant d’être les victimes de la crise de la finance, porteurs de dignité, de justice sociale, de reconnaissance. Dans cette accélération de l’Histoire, il n’y a ni fatalisme ni déterminisme. Comment ces mécontentements profonds vont-ils s’exprimer durablement, pris dans une course de vitesse entre l’atomisation de la société, le repli sur soi, la chasse aux boucs émissaires et la soif de démocratie, de droits nouveaux, de recherche de sens et de valeurs de solidarité ? Au cœur de ce bouillonnement, la modernité de la lutte de classe s’affirme. Contre le partage de la pénurie dans le salariat (entre ouvriersemployés/Ict, statutaires/précaires, actifs/chômeurs), la Cgt pose la révision du rapport capital/ travail en faveur du travail dans l’ensemble de ses propositions revendicatives. Elle refuse une société du sacrifice tournant le dos au progrès social, économique, sociétal. Le partage capital/travail interpelle le syndicalisme comme le politique. A défaut, on ouvre les vannes au populisme, à la haine de l’autre, à l’ordre et au bruit des bottes contre la liberté et la démocratie. Mais décréter la lutte des classes n’est pas la gagner. Cette volonté ne se concrétisera pas sans répondre aux exigences de la jeunesse – notamment des jeunes diplômés – de maîtriser son travail, de reconnaître son individualité dans le collectif, de recherche de sens et d’utilité sociale. Réhabiliter le travail passe par la promotion de la citoyenneté, dans l’entreprise, dans la société, et suppose de franchir une étape quantitative et qualitative pour le rassemblement du salariat, la démocratie syndicale et sociale. Il ne peut y avoir aucun raccourci dans cette démarche. Pour rendre plus lisible et plus efficace l’outil spécifique, pour être plus et mieux la Cgt de tout le salariat, ce n’est pas de moins mais de plus d’activité spécifique qu’il y a besoin, mieux comprise, plus solidaire et mieux partagée. Ne rien s’interdire en matière de forme d’organisation, tirer les leçons de chaque expérience, rompre avec la loi du nombre pour que coexistent cohérence et spécificité, c’est faire preuve du sérieux nécessaire pour affronter l’avenir en innovant, pour prendre la main dans la construction sociale, pour gagner une mondialisation des luttes et de la démocratie. Nous voulons un congrès qui dessine des choix d’avenir. A vous la parole ! n
Options-Quotidien Ce journal quotidien est réalisé grâce à l’investissement des ouvriers et cadres de la FilpacCgt travaillant à l’Imprimerie du quotidien La Montagne. Qu’ils en soient remerciés au nom de tous les délégués.
options SPÉCIAL 16 e CONGRÈS • N° 1 • 30 MARS 2011