Sacrifiés ? Jeux de dupes

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Étrangers Au coin de ma rue Au cœur de la crise migratoire de l’été 2015, un lycée désaffecté du quartier de la place des Fêtes, dans le xixe arrondissement de Paris, a été occupé par des migrants, dont le nombre est passé en trois mois de 150 à 1 400. Un « mini-Calais en plein Paris » ont dit des journalistes témoins de l’insécurité et de l’insalubrité du lieu. Concernée en tant qu’habitante et parent d’élève du collège voisin, Isabelle Coutant, sociologue des quartiers populaires, a vu cette fois le « terrain » venir à elle, tiraillée entre le désir d’aider et l’envie de comprendre. L’ouvrage retrace cet événement, la déstabilisation du quartier qui en a résulté, entre stupeur initiale, colère des riverains livrés à eux-mêmes, tensions mais aussi mobilisations solidaires et bouleversement provoqué par la rencontre. Il y a là comme un laboratoire de ce qui traverse aujourd’hui les sociétés européennes : comment accueillir ? À quelles conditions les quartiers populaires, au premier chef concernés par l’arrivée des migrants, peuvent-ils continuer d’assurer la fonction d’intégration qui leur est de fait confiée ? À l’heure où Paris, Londres ou New York s’enorgueillissent d’être des villes-monde ayant vocation à devenir des « villes-refuge », peut-on penser la cause des réfugiés indépendamment de la cause des quartiers ? Isabelle Coutant, Les Migrants en bas de chez soi, Seuil, 2018, 224 pages, 19 euros.

Laïcité En toute conscience « Certaines religions sont incompatibles avec la République » ; « Les signes religieux n’ont rien à faire dans l’espace public », « À l’école, on n’a pas le droit de parler religion »… Bien que régulièrement brandie comme argument massue dans les médias et les débats politiques, la laïcité fait l’objet de fantasmes. Dans un contexte de peurs multiples, nombre de discours visent à imposer un « durcissement » de la laïcité dans le but, parfois inavoué, de réduire les libertés qu’elle garantit et de multiplier les interdits qu’elle prévoit. Au risque de la dénaturer. Les exemples de polémiques à ce sujet se sont multipliés ces dernières années, se focalisant essentiellement sur l’islam. Pour sortir des préjugés et garantir un débat serein, il paraît indispensable de se réapproprier point par point la laïcité telle que définie par le droit et telle qu’elle découle de notre histoire : déconstruire les confusions, les idées reçues et les représentations fausses. Face aux replis identitaires (de tous ordres), aux contestations et aux pressions contre la République, mais aussi face à l’instrumentalisation dangereuse et de plus en plus courante de la laïcité, ce livre s’attache à définir ce qu’elle rend possible et ce qu’elle interdit, et sous quelles conditions. Nicolas Cadène, En finir avec les idées fausses sur la laïcité, L’Atelier, 2020, 176 pages, 10 euros. OPTIONS N° 660 / octobre 2020

Idéologie En arrière, toutes ! Explorant les nouvelles frontières du lobbying, cette enquête dévoile les stratégies de manipulation qu’emploient désormais ces « marchands de doute » pour promouvoir leur « bonne » science et s’emparer du marché de l’information scientifique. Leur cible privilégiée n’est plus seulement le ministre ou le haut fonctionnaire. Aux aguets sur les réseaux sociaux, des agences spécialisées visent le professeur de biologie de collège, blogueur et passeur de science, le citoyen ordinaire, le youtubeur, le micro-influenceur. Instrumentalisés pour propager des contenus dégriffés, les amateurs de science sont transformés en relais zélés des messages de l’industrie et en viennent à se considérer comme des gardiens de la raison. Parmi ces fact-checkers, vérificateurs d’informations autoproclamés, peu savent qu’ils amplifient des éléments de langage concoctés par des officines de relations publiques. Une poignée d’intellectuels et de scientifiques, en revanche, participe sciemment à la réactualisation, autour de la science, de tout le credo conservateur. Un ­projet politique volontiers financé par l’argent des industriels libertariens, et qui porte la marque de leur idéologie anti-environnementaliste et antiféministe. Stéphane Foucart, Stéphane Horel, Sylvain Laurens, Les Gardiens de la raison. Enquête sur la désinformation scientifique, La Découverte, 2020, 368 pages, 22 euros.

Coronavirus Quotidiennes Pendant les cinquante-sept jours du confinement, David Dufresne a tenu le verbatim de ses doutes et interrogations. Ce compte rendu journalier met en scène avec talent le peuple des fenêtres : voisin méfiant, banderole militante sans propriétaire, petit garçon fier d’applaudir chaque soir, murmure de concert au loin. Mais le fil ininterrompu des nouvelles de l’extérieur sature les journées et empêche de respirer, tout aussi sûrement que l’enfermement. Ainsi revoit-on défiler ces semaines où l’anxiété sanitaire s’est combinée à des politiques publiques marquées d’hésitations, de mensonges et de volte-faces, où la règle s’est faite arbitraire. Corona Chroniques est une lecture intime et politique de ce qui se joue aujourd’hui, et un appel à ne pas baisser la garde face aux attaques contre nos libertés collectives et individuelles. David Dufresne, Corona chroniques, Éditions du Détour, 2020, 240 pages, 14,90 euros. 49


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