Sacrifiés ? Jeux de dupes

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à propos Lorsque l’intolérance devient raison suprême Que dire ? Surtout, comment le dire ? L’assassinat de Samuel Paty, enseignant au collège du Boisd’Aulne, à Conflans-Sainte-Honorine, est de ces drames qui abasourdissent, laissent sans voix, sans mots, tant il est difficile, douloureux d’en accepter la réalité. On se plaît souvent, dans cette rubrique, à s’amuser du dérisoire, jamais très éloigné du tragique social. On se moque à loisir du grotesque et des faux-semblants dont s’affublent les discours ampoulés d’un aréopage politique et économique désastreux et aux prétentions d’infaillibilité. On apprécie d’autant plus de prendre ces choses à la légère que les préoccupations quotidiennes de l’activité syndicale le permettent rarement ; et si l’on rit avec plaisir, c’est que l’humour fait antidote aux maux qui plombent notre société. Mais là… En d’autres temps, le légionnaire franquiste José Millán-Astray y Terreros avait fourni deux points de repère majeurs à la pensée fasciste avec un tonitruant « Vive la mort ! », suivi de « À mort l’intellectualité traîtresse ! » Ce programme sinistre a eu un bel avenir devant lui et fait couler beaucoup de sang. Les temps ont changé. Les fascismes se sont adaptés. Les fanatiques, eux, sont restés semblables à eux-mêmes : inhumains, sauvages, toujours aussi disponibles dès qu’il s’agit de faire couler le sang et d’en faire spectacle aux fins de semer l’effroi. Celui qui a tranché la vie de Samuel Paty était très jeune. Du haut de ses 18 ans, il avait déjà appris à célébrer la mort comme les autres aiment la vie. On lui avait inculqué l’intolérance comme raison suprême, une morale dépassant toute humanité – car d’essence divine – une haine forcenée de la pensée critique et, partant, de la liberté de ­penser. C’est à partir de ces ingrédients que les dictateurs fabriquent des mécaniques assassines.

De quel ténébreux vortex celle-ci est-elle issue ? L’assassin ne parlera plus et c’est bien regrettable. Mais son cri de guerre est sans mystère : ce jeune Tchétchène avait embrassé une vision de l’islam où le sang supplée l’encre et où le sabre dispense d’arguments. En l’espèce, cette doxa s’est probablement trempée dans des temps ensanglantés d’une sale guerre ; sans doute le destin de l’assassin s’est-il forgé en amont de son crime, dans un contexte de violences et de frustrations. Mais la décision de tuer, vraisemblablement inspirée par des voix bien humaines, reste la sienne et l’inscrit au rang des assassins les plus abjects. Face à quoi, que faire ? Et surtout comment le faire ?

On ne défendra pas la liberté en réduisant les libertés

Aurélie LADET/maxppp

Ce meurtre frappe, d’un même coup, la liberté et la République. Au-delà, il cherche à opposer croyants et non-croyants, à séparer le musulman du citoyen, à refuser que l’école commune soit bien celle de toutes et de tous. Il brutalise notre chair, mais entend détruire la psyché collective. La levée de manifestants qui s’est ensuivie montre que ces enjeux sont clairement perçus par l’opinion publique. Leur issue reste en débat. Depuis des années, les controverses flambent sur la conception que l’on a en France de la laïcité, de la place de l’islam dans le pays, des amalgames de plus en plus fréquents entre musulmans et terroristes. Le meurtre de Conflans va exacerber les passions. Le nombre des rassemblements qui se sont tenus le dimanche 18 octobre, dans toute la France, notamment à l’initiative des organisations syndicales, indique à la fois l’ampleur de l’émotion et la 6

OPTIONS N° 660 / octobre 2020


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