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Les romans France trajectoires et blessures
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les romans FranceTrajectoires et blessures
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le cAntAl De mArie-Hélène lAFon, le lot De serge joncour, lA moselle De lAurent PetitmAngin, les BAnlieues De mAgyD cHerFi : quAtre romAns Au cHevet Des FrActures FrAnçAises.
Durant le rude hiver 1919, à l’internat d’Au-
rillac, le jeune Paul «a décrété qu’il se laverait entièrement, dût-il pour ce faire user de glace à peine fondue ». Cela le conduira à l’infirmerie… et à l’infirmière. Elle lui conseille de se recoucher, indiquant qu’«on est toujours bancal sur trois jambes ». Le jeune homme part à Paris terminer ses études de droit; elle le suit. Elle confie le fruit de cette passion – un nouveau-né – à sa sœur et à son beaufrère, Hélène et Léon, près de Figeac: «C’est un accident mais ça vous fera un fils et un frère pour mes nièces.» Le voici donc, ce fils d’un géniteur inconnu, celui qui va «flairer les traces du père », dans le dernier roman de Marie-Hélène Lafon, Histoire du fils. De 1908 à 2008, quatre générations se succèdent, abîmées et décimées par les guerres. Les gens qui traversent le roman sont empreints des odeurs, des couleurs, des saisons de son Cantal. Ce roman narre, avec acuité et talent les métamorphoses de la France, ses crispations, mais aussi l’attachement profond à la langue des terroirs enracinés. Peut-être que le sujet de ce roman est la disparition d’une parcelle de notre territoire intérieur… Une vallée du Lot héberge la ferme de la famille Fabrier et le jeune Alexandre va reprendre l’exploitation. Mais la nature a ses caprices qui bordent le récit, de la canicule de l’été 1976 à la tempête Lothar de 1999. Et comme si cela ne suffisait pas, la « nature humaine » s’en mêle: l’arrivée du téléphone, la télévision, les luttes du Larzac, l’élection de Mitterrand, la catastrophe de Tchernobyl, les projets d’autoroute, le bug de l’an 2000. Et l’amour, sous les traits et la peau de Constanze, étudiante est-allemande dont les copains ont quelques actions antinucléaires en vue. Ruralité contre modernité, tel semble être au cœur du roman. Mais Nature humaine de Serge Joncour est surtout le récit d’une France qui doute, qui questionne l’avenir des mouvements du monde: un roman tempétueux. Entre Metz et Thionville, un père et ses deux enfants vivent modestement dans le souvenir de « la moman » morte d’un cancer « après trois ans d’hôpital, de chimio, trois ans de rayons ». Le père élève Fus et Gilou, lui l’ouvrier syndiqué, militant PS avec en sa besace des valeurs aussi solides que les caténaires SNCF qu’il entretient. Gilou, le plus jeune des fils, travaille bien à l’école, direction Sciences po. Fus (pour fussball) est passionné de foot, robuste défenseur qui fait l’orgueil du père et la fierté de l’équipe. Mais un jour, il revient avec un bandana paré d’une croix celtique. Le père se sent trahi : « Mon fils avait fricoté avec des fachos. Et d’après ce que j’en avais compris, il y prenait plaisir.» Le roman de Laurent Petitmangin, Ce qu’il faut de la nuit, décrit dans une langue pudique et vive à quel point la désindustrialisation et le néolibéralisme ont façonné les populations, ont pénétré les familles, se sont insinués dans la peau de chacun. Magyd Cherfi, le chanteur de Zebda, livre, quatre ans après Ma part de Gaulois, un nouvel opus, La Part du Sarrasin. Le récit débute aux « Francs-Voisins », devant une salle de concert, ou plutôt « une minuscule salle en sous-sol qui servait pour le soutien scolaire, les cours d’économie familiale et d’alphabétisation pour les primo-arrivants, mais aussi de salle de danse et de sports pour haltérophiles en rupture de citoyenneté». Le Madge est le leader d’un groupe de rock et il l’a voulu, ce concert en cité. Pendant que Polo, Riton, Bébert et Ludo, ses musiciens, déchargent l’estafette, il aborde trois «reubeus» affublés d’« insupportables survêtements larges dont on venait d’arracher l’étiquette ». Le Madge tente de les convaincre d’assister au concert: Où ça? Là? «Mais on y va pas, là-bas, cousin, y a des poucaves (mouchards), y parlent avec les chtars (flics).» Du rock? «Mais on est pas des gouères (français)». C’est gratuit? «Gratuit pour les Arabes? Y a que de la racaille ici, tout est gratuit pour nous, tu le sais pas?», «Mais tu veux pas du shit?», «Moi, si t’as cent balles, je viens». «Il est à vous, ce camion?» À la fin du concert, où aucun môme de la cité n’a montré le bout de son nez, le Madge se précipite: «Ouf, ils avaient juste crevé les roues.» Dans la France des années 1980, avec l’élection de Mitterrand, la montée du Fn, la Marche des beurs, Le Madge fait chanter les mots, en quête d’une identité entre made in France et «made de l’autre côté de la Méditerranée», dans un temps où le métissage «est la pire des qualités». ▼
Jean-Marie oZAnne
BIBLIOGRAPHIE • Magyd cherFi, La Part du sarrasin, actes sud, 2020, 427 pages, 22 euros.
• Laurent PetitMangin, ce qu’iL Faut de nuit, La manufacture des Livres, 2020, 187 pages, 16,90 euros • serge joncour, nature humaine, fLammarion, 2020, 400 pages, 21 euros. • Marie-héLène LaFon, histoire du FiLs, Buchet-chasteL, 2020, 170 pages, 15 euros.