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Les polars Rééditions: restaurées et réévaluées

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La tabLe ronde remet à L’honneur Kââ, jadis maL jugé, tandis que rivages rétabLit Les textes intégraux de jim thompson.

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« Le monde le plus beau est comme un tas

d’ordures répandues au hasard. » Cette citation d’Héraclite figure en exergue de Silhouettes de mort sous la lune blanche, premier roman fulgurant paru en 1984. Sa couverture arborait un nom d’auteur sibyllin : Kââ. Ce pseudo aux effluves de Kipling (allusion à la jungle des villes ?) dissimulait Pascal Marignac (1945-2002), prof de philo devenu écrivain maudit, né du mauvais côté du noir. Entendre par là: publié dans la collection Spécial police du Fleuve noir, vilain petit canard de la littérature policière opposé à la bienséante Série noire, pourtant non dénuée de scories. Malgré quelques voix courageuses, cette ombre diffamante a étouffé ce texte et les suivants de son auteur, jusqu’à dissimuler cette évidence: Kââ foulait intelligemment les terres du géant Jean-Patrick Manchette. Les éditions La table ronde, qui rééditent périodiquement des ouvrages oubliés du roman noir français, nous convient à découvrir ces premiers pas littéraires de Kââ. Même s’il ne s’agit pas là de son meilleur titre (préférons Petit Renard, périple métaphysique dans l’univers mental d’un assassin), le serpent Marignac y déploie déjà la carte de son univers. C’est d’abord la première apparition de son tueur sans nom, qu’il utilisera à plusieurs reprises. Un personnage dont on ne connaîtra jamais le patronyme, fétichiste des armes et féru autant de philosophie que de gastronomie inventive, narrateur sec et roué de son parcours violent. Kââ y plante aussi ce qui sera son décor de prédilection: la France profonde. L’intrigue, sanglante course-poursuite et règlements de comptes entre truands suite à un braquage qui a mal tourné, se prête à la sillonner longuement. Et Kââ frappe déjà par la vivacité de son style, par son écriture dépouillée, d’une puissance glacée, imprimant un rythme effréné à son récit. C’est là que jaillit la patte Manchette, ainsi que dans le regard, à l’ironie cynique et dénuée d’illusions, porté sur l’homme et la société de consommation… Signalons que cette nouvelle édition est assortie d’une remarquable présentation de Jérôme Leroy, fin connaisseur et auteur talentueux du genre. Pour les textes étrangers, l’art de la réédition se double parfois de l’exigence d’une nouvelle traduction, signe du plus grand respect pour le lecteur. Ainsi, avec Nothing Man, Rivages clôt en ce début d’année la publication, dans des versions entièrement révisées et complétées, des neuf romans de Jim Thompson (1906-1977) jadis outrageusement tronqués dans la Série noire. Travail remarquable, étalé sur plusieurs années, qui permet au lecteur français de disposer de textes majeurs restitués dans leur intégrité. Big Jim, maudit lui aussi (sa reconnaissance fut posthume), s’est imposé comme le chantre incontesté des enfers intérieurs. Ses trames policières sont des instruments d’exploration de l’âme, invoquant les notions récurrentes de culpabilité, de rédemption, d’innocence et d’ambiguïté de la nature humaine. Le nouvel écrin offert par Rivages rend justice à la sombre poésie et aux chants désespérés d’un des plus grands écrivains américains du xxe siècle… Gallimard réalise un beau doublé pour le 50e prix Mystère de la critique, dont les résultats viennent d’être révélés. Le roman étranger plébiscité, Une, deux, trois de Dror Mishani a été chroniqué dans Options n°663. Le titre français s’arroge, haut la main, la palme de la lecture la plus éprouvante du moment… Un semi-remorque frigorifique dans le désert. Dans la cabine, Gros et Vieux. À l’arrière, 157 cadavres. Avancer. Toujours. Ne pas s’arrêter. Jamais. Sauf pour faire le plein. Le gouverneur, qui veut être réélu, l’a ordonné. Les morgues et cimetières sont pleins, alors il faut éloigner les vestiges humains de la violence du régime. Aux confins de nulle part. Et puisque la vie est ainsi (mal) faite, la fureur du monde qu’ils transportent va rattraper Gros et Vieux… Avec Mictlàn (qui signifie lieu des morts), Sébastien Rutés interroge la passivité de toute société résignée (et si Gros et Vieux étaient encore plus morts que leur cargaison?). Il bouscule aussi avec son parti pris stylistique en apnée (certaines phrases font plusieurs pages), symbole de l’étouffement, assorti d’envolées d’humour et d’onirisme. Dans la noirceur oppressante de Rutés, les protagonistes, comme chez Kââ, n’affichent aucune identité. S’y répandent aussi les ordures du monde… ▼

Serge breton

BIBLIOGRAPHIE • Kââ, SilhouetteS de mort SouS la lune blanche, La tabLe ronde, 2021, 296 pages, 8,90 euros.

• Jim Thompson, nothing man, rivages/noir, 2021, 332 pages, 9,50 euros. • sébasTien RuTés, mictlàn, gaLLimard, 2020. réédition FoLio poLicier 2021, 160 pages, 5,70 euros.

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