Mémoire de fin d'études Présenté pour l’obtention du diplôme d’Ingénieur de Spécialisation ISAM Innovations dans les Systèmes Agricoles et Agro-alimentaires du Monde
Caractériser l’insertion de démarches collectives en circuit court dans les territoires : quelles contributions au renforcement ou à la fragilisation des territoires ?
par Camille MAFFEZZOLI
Année de soutenance : 2013
Organisme d’accueil : INRA, UMR SAD Innovation
Mémoire de fin d’études Présenté pour l’obtention du diplôme d’Ingénieur de Spécialisation ISAM Innovations dans les Systèmes Agricoles et Agro-alimentaires du Monde
Caractériser l’insertion de démarches collectives en circuit court dans les territoires : quelles contributions au renforcement ou à la fragilisation des territoires ?
par Camille Maffezzoli Année de soutenance : 2013 Mémoire préparé sous la direction de : Yuna CHIFFOLEAU
Organisme d’accueil : INRA, UMR SAD Innovation
Présenté le : 06/11/2013 devant le jury : Stéphane FOURNIER Nathalie Colin
Maître de stage : Pascal AUBREE,
RESUME Les circuits alimentaires de proximité suscitent un engouement renouvelé depuis quelques années. Si la vente directe a fait l’objet de nombreuses analyses, les circuits de distribution reposant sur des partenariats entre producteurs et intermédiaires restent peu étudiés alors qu’ils représentent un potentiel important. Notre étude s’inscrit dans un cadre du projet CASDAR INTERVAL, coordonné par la FRCIVAM de Bretagne. L’objectif de cette étude est de déterminer comment se caractérise l’insertion des démarches collectives en circuit court dans le territoire. Nous entendons comprendre les choix et les mécanismes de coordination qui ont été réalisés au cours de l’évolution de la démarche. Notre questionnement s’articule autour de la problématique suivante ; À quelles conditions une démarche collective s’insère-t-elle au sein du territoire, et génère des plus-values socio-économiques ? Sur la base des constats et questionnements, nous avons élaboré un cadre théorique mobilisant l’approche des Systèmes agroalimentaires Localisés (SYAL), enrichi par des approches en sociologie de l’innovation, et sociologie-économique. Cette étude cherche à tester les hypothèses suivantes ; « Au-delà des relations interpersonnelles, les acteurs s’appuient sur des formes de médiation… » (Grossetti, 2010). « À côté de la construction de règles collectives basées sur la proximité, se mettent en place des conventions territoriales... » (Touzard et al., 2010). Deux territoires, caractéristiques des problématiques rurales et urbaines ont été sélectionnés. Le premier se situe en zone rurale, dans le département du Lot, dans le Pays de Figeac. Le second se localise dans le département de Loire-Atlantique, incarnant un espace fortement urbanisé, un système agroalimentaire industrialisé et des filières agricoles diversifiés. Nous étudions dans chacun de ces territoires, des initiatives collectives portées par des intermédiaires contrastés, coordonnant leurs activités autour de la transformation ou de la commercialisation de produits alimentaires. Les résultats font apparaitre des constantes dans les conditions d’émergence des démarches collectives. Elles sont toutes liées à un contexte de changements et de crises agricoles et agroalimentaires. L’encastrement des démarches collectives en circuit court s’observe dans la mobilisation d’un ensemble de ressources du territoire, dans la construction d’un discours par les porteurs de projets, et à travers la création de nouvelles connexions entre les réseaux territoriaux. Le développement de démarches collectives impacte doublement sur les territoires. Les effets se traduisent par une structuration des réseaux sociaux, de nouveaux échanges économiques et informationnels, mais également par l’émergence de concurrences entre corps de métiers ou démarches collectives et individuelles.
Mots clés Démarche collective, alimentation, coordination, circuit court, économie de proximité, système agroalimentaire localisé-SYAL, réseau socio-technique, gouvernance territoriale, gouvernance alimentaire, médiation, ancrage territorial, entrelacement social
1
ABSTRACT Short food chains of closeness arouse a craze renewed since a few years. If the direct sale was the object of numerous analyses, distribution networks basing on partnerships between producers and intermediaries remain little studied while they represent an important potential. Our study joins in a frame of the project CASDAR INTERVAL, coordinated by the FRCIVAM de Bretagne. The objective of this study is to determine how is characterized the insertion of short food chains in the territory. We intend to understand choices, mechanisms of coordination which were realized during the evolution of the initiatives. Our inquiry focuses on the following issues; Under what conditions is a collective approach does fit within the territory and generates socio-economic impacts? Based on the findings and questions, we developed a theoretical framework mobilizing the theoretical framework of the SYAL approach, enriched by approaches in the sociology of innovation, and economic sociology. This study seeks to test the following hypotheses, "Beyond interpersonal relationships, actors rely on forms of mediation ..." (Grossetti, 2010, p.10). "In addition to the construction of collective rules based on proximity, is set up regional conventions ... "(Touzard et al., 2010). Two territories, characteristics of rural and urban issues were selected. The first is located in a rural area in the department of Lot in the Country of Figeac, the second is localized in the department of LoireAtlantique, embodying a highly urbanized area, industrialized food system and diversified agricultural sector. The results appear in constant conditions for the emergence of collective action. They are all linked to a context of change and agricultural and food crises. Embeddedness of short food chains can be observed in the mobilization of all resources of the territory, in the construction of a discourse by the project sponsors, and through the creation of new connections between territorial networks, including producers, intermediaries, consumers and public institutions. Embeddedness of short food chains generate double impacts on the territory. It contribute to structure socio-technical networks, new economic and informational exchanges, but also by the emergence of competition between actors, or collective and individual initiatives. Key words Short Food Chain, coordination, localized ĂŠconomy, local food systems Local Agro-food System, socio-technical network, territorial governance, governance food, mediation, embeddedness.
2
REMERCIEMENTS Le travail qui est présenté dans ce mémoire est issu de rencontres entre personnes, de partage d’informations, de récits de vie, d’éléments d’analyse. Je souhaite adresser mes remerciements à ma directrice de mémoire, Yuna Chiffoleau, qui m’a accompagné dans la réflexion théorique et la prise de recul face aux informations collectées. Mon maitre de stage, Pascal Aubrée, qui, de par sa connaissance du terrain m’a orienté sur des questionnements propres aux enjeux des territoires et encouragé pendant toute la durée de l’étude. Ma reconnaissance concerne également l’ensemble des partenaires du projet Interval qui m’ont permis d’affiner ma compréhension des problématiques opérationnelles et des relations sociales et politiques qui font des démarches collectives en circuit court, des systèmes complexes et hétérogènes. Sans leur soutien, la coordination des phases terrain et la rencontre avec des responsables institutionnels auraient été difficilement réalisables. Un remerciement particulier s’adresse aux producteurs qui ont collaboré lors des enquêtes, et avec qui nous avons échangé, voir même, philosophé sur les valeurs qu’ils portent à leur travail, ou aux pratiques courantes de coopération. D’un point de vue personnel, je remercie mes proches pour leur soutien et l’écoute dont ils font preuve.
3
TABLE DES MATIÈRES RESUMES.............................................................................................................................................. 1 REMERCIEMENTS ............................................................................................................................. 3 TABLE DES MATIÈRES .................................................................................................................... 4 TABLE DES ILLUSTRATIONS ......................................................................................................... 7 GLOSSAIRE.......................................................................................................................................... 8 SIGLES ET ACRONYMES ............................................................................................................... 10 INTRODUCTION ............................................................................................................................... 12 1. PARTIE 1 : CONTEXTE, ENJEUX ET DÉMARCHE THÉORIQUE..................................... 14 1. 1. CHAPITRE 1 : ANALYSE DE LA DEMANDE ET CONTEXTE DE L’ÉTUDE ............................................................. 15 1. 1. 1. Approche des démarches collectives en circuits courts par le rôle des intermédiaires ............................. 15 1.1.1.1. Le Projet CASDAR INTERVAL : Commanditaire de l’étude ................................................................ 15 1.1.1.2. Analyse de la demande et construction de la démarche de l’étude .......................................................... 17 1. 1. 2. Les enjeux de la reconnexion entre agriculture et alimentation ................................................................ 18 1.1.2.1. Un contexte politique en évolution .......................................................................................................... 18 1.1.2.2. Apports de la recherche et besoins d’approfondissement des dynamiques des démarches collectives en circuit court ........................................................................................................................................................... 19 1. 2. CHAPITRE 2 : DÉMARCHE THÉORIQUE ........................................................................................................... 20 1. 2. 1. Présentation de la démarche théorique ...................................................................................................... 20 1.2.1.1. Entrée par la notion de système agroalimentaire et par l’approche Syal .................................................. 20 1.2.1.2. Formes de coordination innovantes et construction d’une gouvernance des systèmes alimentaires alternatifs............................................................................................................................................................... 22 1.2.1.3. Mobilisation du cadre d’analyse de la théorie de la traduction ................................................................ 23 1. 2. 2. Problématique et enjeux de l’étude ........................................................................................................... 26 1.2.2.1. Problématique .......................................................................................................................................... 26 1.2.2.2. Objectifs de l’étude .................................................................................................................................. 26 1.2.2.3. Hypothèses ............................................................................................................................................... 27
2. PARTIE 2 : DEMARCHE METHODOLOGIE .......................................................................... 28 2. 1. CHAPITRE 1 : CONSTRUCTION DU CADRE D’ANALYSE .................................................................................... 29 2. 1. 1. Choix d’une entrée par le territoire et les réseaux sociotechniques ........................................................... 29 2. 1. 2. De l’approche théorique à la construction d’un cadre d’analyse ............................................................... 29 2.1.2.1. Définir les concepts : recherche effectuée par mots clés, sur les portails de recherche accessible sur internet, en bibliothèques, ..................................................................................................................................... 29 2.1.2.2. Choix des approches théoriques et construction du cadre d’analyse ........................................................ 29 2. 1. 3. Construction du cadre d’analyse ............................................................................................................... 30 2. 2. CHAPITRE 2 : MÉTHODES ET OUTILS .............................................................................................................. 34 2. 2. 1. Méthodes de sélection des terrains d’enquêtes .......................................................................................... 34 2.2.1.1. Définition de critères de choix des territoires........................................................................................... 34 2.2.1.2. Choix des territoires d’étude et des acteurs cibles.................................................................................... 34 2. 2. 2. méthode et outils de collecte des données ................................................................................................. 37 2.2.2.1. Choix des acteurs et organisations ciblés sur les territoires ..................................................................... 37 2.2.2.2. Méthode et outils de collecte des données terrain .................................................................................... 38 2.2.2.3. Méthode d’enquête : élaboration des questionnaires et phase d’enquêtes................................................ 39
4
2. 2. 3. Méthode d’analyse : donner du sens aux données ..................................................................................... 40 2.2.3.1. Lecture verticale ....................................................................................................................................... 40 2.2.3.2. Lecture transversale ................................................................................................................................. 40 2.2.3.3. Biais et limites des méthodes ................................................................................................................... 41
3. PARTIE 3 : PRÉSENTATION ET ANALYSE DES DÉMARCHES COLLECTIVES AU SEIN DE TERRITOIRES CONTRASTES ...................................................................................... 42 3. 1. CHAPITRE 1 : PAYS DE FIGEAC : DÉMARCHE DES MAGASINS FERMES DE FIGEAC.......................................... 43 3. 1. 1. Diagnostic du territoire : Ressources, enjeux et problématiques de l’agriculture à l’alimentation ........... 43 3.1.1.1. Le territoire des Causses-Ségala-Limargue .............................................................................................. 43 3.1.1.2. État des lieux de la consommation ........................................................................................................... 45 3.1.1.3. Maillage des acteurs du territoire et positionnement stratégique vis-à-vis de l’alimentation de proximité .............................................................................................................................................................................. 48 3. 1. 2. cas de la coopérative Fermes de Figeac : construction d’une stratégie territoriale de coordination autour des circuits de proximité ....................................................................................................................................... 49 3.1.2.1. Description de l’organisation : une coopérative d’approvisionnement vers une coopérative de territoire 49 3.1.2.2. Processus de construction d’un réseau sociotechnique : Comment une coopérative agricole s’approprie la notion de circuits de proximité ? ........................................................................................................................... 50 3. 1. 3. L’insertion de la démarche dans le territoire : une coopérative par projet, ou la stratégie des alliances stratégiques ........................................................................................................................................................... 60 3.1.3.1. Insertion de la démarche ans les réseaux du secteur social ...................................................................... 60 3.1.3.2. Émanation d’une démarche collective portée par le Pays de Figeac ........................................................ 61 3.1.3.3. Alliance stratégique entre la coopérative et Mêlée Gourmande pour le développement de projets ......... 62 3.1.3.4. Analyse des liens entre la démarche collective et le territoire.................................................................. 64 3. 1. 4. Quels impacts de la démarche collective ? Entre complémentarité et concurrence .................................. 67 3.1.4.1. Réajustement des relations entre acteurs au sein de la démarche Terre de Figeac, Mêlée Gourmande ... 67 3.1.4.2. De nouvelles stratégies de diversification des débouchés pour les producteurs et une reconnaissance du métier .................................................................................................................................................................... 68 3.1.4.3. Entre démocratisation du concept de circuit court et concurrence aux commerces locaux ...................... 72 3.1.4.4. Les freins et limites du développement des circuits courts et de proximités sur le territoire de Figeac ... 73 3. 2. CHAPITRE 2 : LOIRE-ATLANTIQUE, CAS D’UN ATELIER DE DÉCOUPE ET D’UNE LEGUMERIE-CONSERVERIE ... 75 3. 2. 1. Diagnostic du territoire et développement agricole ................................................................................... 75 3.2.1.1. Un maillage territorial dense .................................................................................................................... 75 3.2.1.2. Contexte de développement de l’économie de proximité ........................................................................ 76 3.2.1.3. Positionnements des acteurs face aux enjeux de la relocalisation de l’agriculture................................... 77 3. 2. 2. Présentation de la démarche collective : l’atelier de transformation multi-espèces : « De la terre à l’assiette » ............................................................................................................................................................. 80 3.2.2.1. Historique et description de l’outil technique .......................................................................................... 80 3.2.2.2. Processus de construction d’un projet collectif autour de la filière viande .............................................. 81 3.2.2.3. L’insertion de la démarche dans le territoire : une logique multiacteur, de mutualisation et de coopération institutionnelle....................................................................................................................................................... 87 3. 2. 3. Description du projet de légumerie-conserverie en pays d’Ancenis ......................................................... 92 3.2.3.1. Un projet porté par le comité du bassin d’emploi du Pays d’Ancenis ...................................................... 92 3.2.3.2. Processus de construction d’un réseau socio-technique : un projet de création d’un outil collectif ......... 93 3. 3. CHAPITRE 3 : DISCUSSION ET ANNALYSE CRITIQUE ........................................................................................ 96 3. 3. 1. Apprentissages et mise en perspective de la sociologie de l’innovation ................................................... 96 3.3.1.1. Des conditions d’émergence en lien avec la situation du marché agricole, les politiques régionales et les dynamiques territoriales ........................................................................................................................................ 96 3.3.1.2. Une diversité de porteurs de projets et de modes de gouvernance ........................................................... 97 3.3.1.3. Omniprésence des relations interpersonnelles et des réseaux face à des épreuves ou points de passage obligés ................................................................................................................................................................... 99 3. 3. 2. Des ressources de médiation pour une coordination collective ............................................................... 104 3.3.2.1. Des ressources de médiation interne à la démarche : entre objets concrets et médiation non formalisée ............................................................................................................................................................................ 104 3.3.2.2. Un manque de médiation destiné à réguler les interactions entre démarches collectives et territoire .... 105 3. 3. 3. Discussion sur la notion d’ « embeddedness » entre développement local et exclusion ......................... 106
5
CONCLUSION .................................................................................................................................. 107 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ........................................................................................ 110 ANNEXE ............................................................................................................................................ 112
6
TABLE DES ILLUSTRATIONS Figure 1 : Localisation et cartographie du Pays de Figeac, département du Lot (46) .............. 35 Figure 2 : Triptyque des enjeux du développement collectif en Pays de Figeac ..................... 36 Figure 3 : Cartographie du département de Loire-Atlantique et localisation des cas d’étude . 36 Figure 4 : Circuits d’approvisionnement et critères de choix des consommateurs .................. 47 Figure 5 : Chronologie des projets menés par la coopérative Fermes de Figeac, par rapport au contexte et aux résultats des études .......................................................................................... 50 Figure 6 : Structure des filières d’approvisionnement des produits des magasins Fermes de Figeac et coordination des activités ......................................................................................... 56 Figure 7 : Processus d’ancrage de la démarche collective dans le territoire ............................ 65 Figure 8 : Gestion des activités de production-transformation-commercialisation des producteurs travaillant en circuits courts ................................................................................. 70 Figure 9 : Historique du développement du projet d’atelier de découpe « De la terre à l’assiette" .................................................................................................................................................. 80 Figure 10 : Répartition des exploitations d'éleveurs adhérents de la démarche "de la Terre à l'assiette", en 2009 .................................................................................................................... 84 Figure 11 : Organisation des tournées de "Terroir sur la route" en Loire-Atlantique .............. 87
Tableau 1 : Bilan de la coordination et des outils de médiation de la démarche collective ..... 59 Tableau 2 : Pratiques associées au type de liens recherchés entre les acteurs du territoire ..... 65 Tableau 3 : Description des entités engagées dans le projet d'abattoir collectif et définition des rôles respectifs .......................................................................................................................... 89 Tableau 4 : Analyse des propos tenus par des éleveurs et artisans par rapport aux enjeux et contraintes de leurs relations .................................................................................................... 91 Tableau 5 : Comparaison des réseaux et relations intervenant au cours de la construction des démarches collectives ............................................................................................................. 101 Tableau 6 : Description des liens construits grâce à la mise en place des démarches collectives au sein des territoires .............................................................................................................. 103
7
GLOSSAIRE CIRCUITS COURTS « Un circuit court est un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire » (MAAP, avril 2009).
SYSTEME ALIMENTAIRE Le système alimentaire traduit soit un modèle, une référence, une manière de s’organiser autour de principes, se traduisant par forme concrète inscrite dans un espace national, régional, départemental, local. Dans la définition de Louis Malassis, l’espace correspond au niveau national, cependant, le rapport à l’espace n’est pas strict, puisqu’il traduit une échelle d’observation pertinente. Autrement dit, selon l’envergure du système alimentaire observé, correspondent différentes échelles d’analyse pertinentes. Il faut également distinguer le système agroalimentaire, partant de l’agriculture. Dans le chapitre 4 « Food systems », de l’ouvrage collectif « Food System Sustainability. Insights from duALIne », Colonna P., Fournier S. et Touzard J-M., différencient différents types de systèmes alimentaires coexistant au sein des territoires. La typologie regroupe 5 modèles se définissant comme suit : « système alimentaire domestique1 » ; « système alimentaire localisé2 » ; « système de production alimentaire régionalisé3 » ; « système agriindustriel ou tertiairisé4 » ; « système alimentaire de qualité différenciée »5 Consommation à l’échelle de l’unité de production, échanges non marchands basés sur des relations familiales ou sociales. Sous-systèmes incluant des organisations coopératives. Mode fonctionnel familial ou individuel ou groupements collectifs. Peut-être couplé à d’autres modèles de production, transformation, etc. 2 Comprends un nombre limité d’intermédiaires et existante d’une proximité géographique entre les producteurs et les consommateurs. La qualité se met en place à travers la connaissance du producteur par les consommateurs. Les signes officiels de qualité ne sont pas requis nécessairement. Historiquement présent à travers le monde. L’organisation de la chaine peut prendre différentes formes, et être portée par différents types d’acteurs (institutions locales, associations de consommateurs ou organisation de producteurs). Les systèmes alimentaires locaux peuvent être couplés avec d’autres filières pour sécuriser « santé, qualité gustative, bien que la proximité améliore des attributs de la qualité. Il est difficile de le mesurer. »[notre traduction] (Colonna et al., 2013) 3 Des produits basiques et autres produits alimentaires peuvent être emmagasinés, transportés sur des distances modérées, entre les régions de production et de consommation. Les chaines incluent des collecteurs, grossistes, des compagnies de transformation de petite échelle ou semi-industrielles. Peu de contrats sont mis en place entre les acteurs, les relations fonctionnent sur un modèle basique ou personnel et des relations de confiance. « La principale logique (ou cohérence) sous-jacente à ces réseaux est; l’approvisionnement et de la distribution, la diversification des activités, peu d’investissement matériel (généralement mené par un coût global relativement bas) et la flexibilité » (Hugon, 1985 ; Moustier et al., 2002 ; cités par Colonna et al., 2013, p.85). 4 L’objectif principal est de produire des produits alimentaires pour le marché de consommation de masse tout en réduisant les coûts et en maximisant les profits. C’est un système alimentaire basé sur le développement technologique ou des économies d’échelles commerciales. La distance économique et géographique et cognitive entre les producteurs et les consommateurs est considérable, avec un nombre relativement grand d’intermédiaires. La standardisation et la régularité sont des attributs qui sous-tendent, la qualité des produits, rendent possible la conformité la régulation nationale et internationale en termes de santé, les attentes sociales et environnementales. (Colonna et al., 2013, p.85) 5 La logique sous-jacente dans le cas de ce type de systèmes est la différenciation des produits ce qui explique un fort coût unitaire des produits et généralement un prix final élevé. Les labels et signes de qualité garantissent des attributs du produit qui ne peuvent pas être évalués une fois le produit acheté. Ce type de système ne peut être stable que s’il existe une gestion pertinente de la qualité le long de la filière (en termes d’information et de contrôles) et si la reconnaissance par le consommateur génère suffisamment de revenus pour couvrir les coûts additionnels de production/transport. Différents sous-systèmes sont liés à la sélection des attributs de qualité, 1
8
SYSTEME AGROALIMENTAIRE LOCALISE (SYAL) L’approche Syal regarde l’évolution des techniques à travers la notion de « faits technique ». Ainsi, la démarche Syal cherche à analyser « les relations entre changement technique et ancrage territorial. » (Muchnik et De Sainte-Marie, 2010). Comme le souligne P. Moity-Maïzi dans le chapitre 2 de l’ouvrage « Le temps des Syal, Techniques, vivre et territoires « L’ancrage territorial relève de ce mouvement de réaction créative aux incertitudes et disparités produites par la mondialisation. Il peut être appréhendé tour à tour à travers un signe, une image, mais encore à travers un projet, une dynamique intentionnelle et nécessairement collective, ou la circulation des ressources cognitives et matérielles joue un rôle stratégique » (Moity-Maïzi, 2010, p.21). « … les liens au lieu varient selon les individus et le type d’activités productives, conditionnant ainsi le degré d’ancrage territorial, l’attachement non seulement économique, mais également affectif et symbolique à un lieu constitue un facteur important dans le processus de localisation/délocalisation » (Muchnik, 2013).
qui sont garantis des labels de qualité ou des noms de marques privées : Systèmes alimentaires avec Qualité Héritée ; Systèmes alimentaires à qualité naturelle ; Systèmes alimentaires avec qualités éthiques, religieuses ou communautaires ; Systèmes alimentaires avec qualités gustatives supérieures (Colonna et al., 2013, p.86)
9
SIGLES ET ACRONYMES ADEFPAT : Association de Développement pour la Formation des Projets, Acteurs et Territoires AMAP : Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne AOC : Appellation d’Origine Contrôlée AOP : Appellation d’Origine Protégée A.P.E.A.I : Association de Parents d’Elèves et d’Animations Intercommunales CA : Chiffre d’Affaire CASDAR : Compte d’Affectation Spécial pour le Développement Agricole et Rural CBE : Comité de Bassin d’Emploi CGAD : Confédération Générale de l’Alimentation de Détail C.I.A.S : Centre Intercommunal d’Action Sociale CMA : Chambre de Métiers de l’Artisanat
CRESS : Chambre Régionale d’Economie Sociale et Solidaire CTE : Contrat d’Exploitation Territorial CUMA : Coopérative d’Utilisation de Matériel Agricole DRAAF : Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture, et de la Forêt ESB : Encéphalopathie Spongiforme Bovine, (Maladie de la vache folle) ESS Economie Sociale et Solidaire FNSEA : Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitations Agricoles GAEC : Groupement Agricole d’Exploitation en Commun GERDAL : Groupe d’Expérimentation et de Recherche : Développement et Actions Localisées GMS : Grandes et Moyennes Surfaces IGP : Indication Géographique Protégée INSEE : Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques PAC : Politique Agricole Commune PME : Petites et Moyennes Entreprises PTCE : Pôle Territorial de Compétitivité Economique SARL : Société Anonyme à Responsabilité limitée SCOT : Schéma de Cohérence Territoriale SELA : Société d’économie mixte d’aménagement et de construction SFSC : Short Food Supply-Chain SFER : Socité Française d’Economie Rurale SICASELI : Société d’Intérêt Collectif Agricole du Ségala Limargue 10
SWOT : Strengths, Weaknesses, Opportunities, and Threats ; (Forces, Faiblesses, Opportunités et Menaces) SYAL : Système Agroalimentaire Localisé TPE : Très Petites Entreprises m2 : mètre carré
11
INTRODUCTION Lamine et Chiffoleau ont mis en évidence que « dans la période récente, le regain d’intérêt pour les circuits courts alimentaires et l’émergence de nouvelles formes de vente directe résultent en grande partie de la prise de conscience croissante de la déconnexion entre agriculture et alimentation » (Lamine et Chiffoleau, 2012). Les institutions Européennes, nationales et de nombreuses collectivités territoriales ont pris conscience de la multiplicité et de la diversité des initiatives, individuelles et collectives organisées en circuits courts alimentaires. Depuis 2009, suite au plan Barnier, la thématique des circuits courts est devenue un enjeu stratégique pour les pouvoirs publics. La coordination entre les producteurs et d’autres acteurs des filières (transformateurs, distributeurs et acteurs publics), et également, entre une offre et une demande (Filippi et Triboulet, 2006) aboutit à la construction de formes innovantes de coordination. Il existe donc une diversité de trajectoire de reconnexion entre agriculture et alimentation. Nous remarquons que « les conditions et enjeux d’une meilleure articulation avec l’offre en produits agricoles » (Lamine et Chiffoleau, 2012) et la mise en concurrence des activités économiques ne sont abordés que partiellement dans les travaux de recherche et par les politiques. Dans le prolongement des travaux sur les milieux innovateurs, clusters ou districts (Muchnik et al., 2007), l’approche par les Systèmes agroalimentaires localisés (Syal) reconnait que la coopération et la concurrence entre acteurs et activités ne s’opposent pas, mais au contraire se combinent. Ce processus contribue à former une ambiance spécifique, favorable aux performances individuelles et collectives (Muchnik et Sainte-Marie 2010). Les partenaires du projet INTERVAL dans lequel s’inscrit cette étude se questionnent sur les spécificités des partenariats ou alliances entre les producteurs et artisans, et avec un intermédiaire. Un autre volet du projet s’intéresse aux leviers et aux freins des synergies territoriales. Compte tenu des enjeux du projet et du balancement entre coopération et concurrences, nous nous intéressons à la manière dont une démarche collective en circuit court peut contribuer à renforcer ou déstabiliser le territoire. La littérature apporte peu d’informations sur les acteurs et structures intermédiaires intervenant dans les filières courtes et de proximité. Il nous semble alors pertinent de choisir cette entrée pour aborder l’étude des démarches collectives. L’objectif principal de l’étude est de déterminer comment se caractérise l’insertion d’une démarche collective en circuits courts au sein d’un territoire, à travers les choix qui ont été faits par les acteurs, durant le processus de construction de la démarche. Nos questionnements seront confrontés à deux territoires caractéristiques des problématiques rurales et urbaines. Le premier se situe en zone rurale, dans le département du lot, dans le Pays de Figeac, au sein duquel une démarche collective portée par une coopérative agricole se déploie au moyen de magasins de produits régionaux et locaux. Le second territoire se localise dans le département de Loire-Atlantique, incarnant un espace fortement urbanisé, un système agroalimentaire industrialisé et des filières agricoles diversifiés. Nous avons choisi d’étudier deux initiatives en Loire-Atlantique, l’une portée, par un groupement d’éleveurs organisés autour d’un outil collectif de découpe et transformation multi-espèces, et l’autre portée par une association composée d’acteurs et entités territoriales, dont le projet est de développer un outil collectif destiné à transformer et conserver les produits du maraichage. Le cadre d’analyse de notre étude s’appuie sur deux types d’approches complémentaires. Nous mobilisons l’approche par les Systèmes Agroalimentaires Localisés, SYAL nous permettant d’appréhender de façon systémique l’articulation entre les variables sectorielles et territoriales dans les nouvelles formes de coopération (Fourcade et al., 2010). Nous définissons ainsi trois temps, nous permettant d’une part d’aborder le territoire à travers le contexte 12
historique, les spécificités socio-culturelles du lieu et les dynamiques et caractéristiques du système agroalimentaire territorial. D’autre part d’analyser le processus de construction des démarches collectives, et dans un troisième temps, d’aborder la problématique de manière transversale de part, les liens qui se tissent entre le territoire et les démarches collectives. Nous étudierons la dynamique de construction des démarches collectives en interaction avec le territoire, par les apports en sciences sociales en mobilisant, la théorie de la traduction (Callon, 1986), et l’approche des réseaux sociaux et des ressources de médiation par la sociologie économique (Grossetti, 2010). Nous confronterons les études de cas afin de mettre lumière, des constantes, des spécificités et des controverses issues de l’analyse des dynamiques d’insertion des réseaux socio-techniques au sein des territoires. Dans un dernier temps, nous discuterons de nos conclusions par rapport à la notion d’« encastrement », en nous appuyant sur l’analyse proposée par Roberta Sonnino.
13
1. PARTIE 1 : CONTEXTE, ENJEUX ET DÉMARCHE THÉORIQUE L’enjeu de ce premier chapitre est de montrer que l’émergence des systèmes agroalimentaires alternatifs dans de nombreux pays du monde suscite de l’intérêt de la part des différents acteurs, depuis l’échelle locale, jusqu’au sein des institutions nationales et européennes. Nous cherchons à relier la diversité des formes de coordination et des pratiques observées à travers, le contexte d’émergence des initiatives ; les stratégies des acteurs qui portent ces projets au sein des territoires. Nous faisons le choix d’étudier les formes concrètes que peuvent prendre les démarches collectives organisées autour des circuits courts et de comprendre les enjeux et les modalités de leur insertion dans les territoires. Le chapitre présente, dans un premier temps ; le cadre de recherche-action dans lequel s’intègre la thématique de l’étude, puis nous présenterons un état des lieux des enjeux et controverses, associé à la thématique des circuits courts, issus d’une revue de la littérature, de dire d’experts, de conférences scientifiques récentes. Nous dégagerons ensuite la problématique de l’étude et présenterons la démarche théorique construite pour appréhender le problème.
14
1. 1. CHAPITRE 1 : ANALYSE DE LA DEMANDE ET CONTEXTE DE L’ÉTUDE 1. 1. 1. APPROCHE DES DEMARCHES COLLECTIVES EN CIRCUITS COURTS PAR LE ROLE DES INTERMEDIAIRES
1.1.1.1. Le Projet CASDAR INTERVAL : Commanditaire de l’étude L’étude fait suite à une demande des partenaires du projet financé par les fonds CASDAR6, coordonné par la FR CIVAM Bretagne. Le projet se déroule entre novembre 2012 et décembre 2015, et est intitulé : « INTERVAL : Quelles plus-values économique, sociale et environnementale des synergies entre agriculteurs et acteurs économiques dans les circuits alimentaires de proximité ? » Les circuits alimentaires de proximité suscitent un engouement renouvelé depuis quelques années. Si la vente directe a fait l’objet de nombreuses analyses, les circuits de distribution reposant sur des partenariats entre producteurs et intermédiaires restent peu étudiés alors qu’ils représentent un potentiel important. Le développement de ces relations apparaît toutefois limité par les concurrences suscitées ou ressenties entre ces acteurs, comme l’illustre le secteur de la viande où le développement de la vente directe a contribué à tendre des relations déjà compliquées entre éleveurs et bouchers. Pour faciliter l’analyse et l’accompagnement de partenariats entre acteurs économiques autour des circuits alimentaires dans les territoires, le projet CASDAR INTERVAL souhaite disposer d’éléments de cadrage issus d’une revue théorique et d’étude de cas concrets, de modèles de coordination économique, appliquée au secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire7.
i. Les partenaires et enjeux du projet Les partenaires du projet sont des acteurs du développement agricole, représentants des métiers de l’artisanat et du commerce, acteurs de la formation et chercheurs rattachés à l’institut national de recherche agronomique. Les objectifs sont, d’une part, d’acquérir les bases de connaissances nécessaires pour développer les circuits courts avec un intermédiaire pour les produits alimentaires courants (viande, produits laitiers transformés, fruits et légumes…) en favorisant les partenariats entre acteurs économiques (agriculteurs, artisans, commerçants, collectivités locales) d’un même territoire ; et d’autre part, de promouvoir des méthodes et outils visant à accompagner les synergies entre acteurs afin d’accroître les plus-values économique, sociale et environnementale de ces systèmes alimentaires à l’échelle des exploitations agricoles et des territoires. Les circuits courts peuvent constituer une réponse efficace face aux défis environnementaux et alimentaires de l’agriculture et des territoires. Les objets étudiés par le projet sont les actions collectives organisées en circuits courts, mettant en œuvre un partenariat entre l’agriculteur et un intermédiaire ou un prestataire sur des filières portant sur des produits de consommation « courante » dans des territoires CASDAR : Compte d’Affectation Spécial pour le Développement Agricole et Rural, compte créé au sein du budget du Ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche, afin de financer les actions du développement agricole. (Site web de la chambre d’agriculture de Champagne – Ardenne, www.champagrica.fr/Presentation-generale) 7 : Par modèles de coordination économique, nous entendons, les Signes d’Indication Géographiques, Les Signes Officiels de Qualité ; AOC/IG, paniers de biens, marques de territoire, marques commerciales, projets de gouvernance territoriale de l’alimentation, etc. 6
15
« ordinaires ». (Fruit, légumes, viande, produits laitiers).. Cette approche est aujourd’hui peut traiter au sein de la littérature et constitue un enjeu conséquent dans la chercher de levier au développement des systèmes agroalimentaires localisés
ii. Controverses soulevées par le projet Le développement des circuits courts entraine de nouvelles questions en termes de concurrences et de complémentarité avec les autres acteurs présents sur les territoires (transformateurs, boucheries, épiceries, restaurateurs…). Si la vente directe ou indirecte par les agriculteurs et intermédiaires peut être interprétée comme une concurrence déloyale par certains artisans ou commerçants, elle renvoie également au bénéfice social et territorial de la pérennité d’une offre locale de produits alimentaires. Le projet INTERVAL s’intéresse à la question des interactions entre corps de métiers différents et des modalités de partenariat permettant d’impulser une synergie potentiellement bénéfique pour l’ensemble des acteurs présents sur le territoire.
iii. Objectifs du projet pour l’année 1 Pour les partenaires du projet CASDAR INTERVAL, l’enjeu est de pouvoir comprendre les fondements des situations de concurrences et de complémentarité qu’ils observent au sein de leur territoire et de pouvoir intervenir et accompagner les acteurs. Pour les représentants d’association de développement, ou d’organisation interprofessionnelle, qui œuvrent dans l’accompagnement des acteurs et la défense de leurs intérêts, les enjeux sont de pouvoir identifier les freins et les leviers sur lesquels ils peuvent intervenir pour répondre aux besoins des porteurs de projets, à chaque étape de la construction des initiatives. Les enjeux sont tout d’abord d’identifier les problèmes qui se posent pour les acteurs des territoires. L’hypothèse que revêt le projet est que la résolution des problèmes passe par un travail collectif. Aussi, estil important d’évaluer comment se posent les problèmes en fonction du contexte, des activités, des ressources, des marges de manœuvre pour les acteurs. Une des problématiques soulevées par les partenaires du projet peut être résumée sous la forme : Comment mettre les acteurs en situation de dialogue pour lever les freins à la coopération ? Dans le courant de la première année du projet, les objectifs définis par le coordinateur général sont, de favoriser l’interconnaissance et l’acquisition d’une « culture » commune entre les partenaires acteurs et chercheuse et de dégager des pistes à travailler et à co-construire en termes d’accompagnement pour favoriser les synergies territoriales en termes de coopération entre acteurs. Un séminaire intermédiaire se tiendra entre les partenaires du projet et les étudiants chargés de mener à bien différentes études, dans le but de partager les apprentissages, les ressources et résultats. 3 axes de réflexion ont été déterminés : les lieux de rencontre et d’exclusion qui influent sur les coopérations ; la sociologie des individus et des organisations ; et les politiques publiques et territoriales visant à la relocalisation de l’alimentation. Notre étude s’inscrit dans un cadre de recherche-action établi par les partenaires du projet. La demande initiale, formulée par les commanditaires s’articulait autour du questionnement suivant ; « Analyse du processus de construction des liens entre les démarches collectives en circuit court impliquant un intermédiaire et le territoire ». Un premier travail d’analyse de la demande et d’identification des enjeux spécifiques à ce questionnement permit de construire la démarche de l’étude.
16
1.1.1.2. Analyse de la demande et construction de la démarche de l’étude Le développement du phénomène des circuits courts et l’essaimage des initiatives sont confrontés à un contexte économique et sociopolitique de remise en question par certains acteurs, des modèles ; agricole, agroalimentaire, et alimentaire sur lesquels est basé le système alimentaire. La dernière décennie a été marquée par un positionnement stratégique des pouvoirs publics, des organisations privées, associatives, ou de la société civile face aux problématiques de durabilité du système alimentaire, de la récupération de valeur ajoutée par les producteurs, de l’accessibilité à une alimentation de qualité pour les consommateurs. L’étude cherchera à identifier les controverses que suscite le développement des systèmes agroalimentaires territorialisés en abordant la question dans sa transversalité. À travers l’analyse des cas concrets et des apports de la littérature, nous tenterons de révéler les freins et les leviers à la création de synergies entre les acteurs des démarches collectives en circuit court et le territoire. L’analyse des modèles de coordination que sous-tendent les systèmes alimentaires territorialisés peut être décrite à travers ; les conditions d’émergence et motivations des acteurs, les modalités et formes de coordination entre acteurs parties prenantes. De nouveaux schémas d’organisation des activités agroalimentaires, faisant intervenir des ressources, et de nouvelles pratiques participent à redéfinir l’espace territorial et son rapport à l’alimentation, la vie sociale, les dynamiques économiques et politiques. Ces systèmes présentent des spécificités historiques, géographiques, structurelles, politiques ou institutionnelles et cognitives. Plus couramment décrits comme des circuits courts ou de proximité, nous nous intéressons aux liens qui se mettent en place au sein de la démarche, entre les porteurs des projets, les partenaires, les bénéficiaires, et les relations qui se tissent avec le territoire. Un préalable à l’analyse des formes de coordinations est de s’intéresser au territoire au sein duquel se développent les démarches collectives. La prise en compte du lien au lieu permet d’avoir une vision précise du contexte socio-économique et culturel, des ressources, et des controverses autour desquels se coordonnent les acteurs, qui sont dans notre cas, hétérogène. L’analyse des modèles de coordination implique la description ; de l’objectif visé par le projet, des pratiques mises en œuvre et à coordonner, les porteurs du projet et son origine, les ressources devant être mobilisées et activées, et enfin, les structures de coordination associées au projet. Il est question dans cette étude de comprendre ; comment se construit la gouvernance au sein des démarches collectives en circuits courts ? Comment ce modèle de coordination interagit avec les réseaux territoriaux ou supra-territoriaux ? Enfin, quelles plus-values sont générées face aux enjeux du développement durable ? La construction d’une problématique et du cadre d’analyse de l’étude passe préalablement par un état des lieux du contexte politique national et européen portant sur la thématique des circuits courts, des « Short Food Supply-Chain », selon le vocabulaire employé. Dans un second temps nous regarderons à identifier si le rôle des intermédiaires intervenant dans les circuits courts est pris en compte dans la littérature scientifique et les études menées par les chercheurs français. Dans un dernier temps, nous soulignerons l’intérêt d’entrer dans l’analyse des démarches collectives en circuits courts, à travers le processus de construction de liens entre les producteurs et l’intermédiaire et la dynamique des interactions avec le territoire.
17
1. 1. 2. LES
ENJEUX DE LA RECONNEXION ENTRE AGRICULTURE ET ALIMENTATION
1.1.2.1. Un contexte politique en évolution i. Contexte national français : reconnaissance et légitimité des circuits courts En 2009, le groupe de travail « groupe Barnier », constitué par le Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt a réalisé une étude sur « les circuits courts de commercialisation ». Le groupe d’experts se questionne sur les enjeux des circuits courts en France, sur les motivations des producteurs de s’orienter dans une démarche de vente de proximité, et sur les freins rencontrés par les acteurs des circuits courts et en particulier par les producteurs dans la mise en place des circuits courts. À l’issu de ces travaux de recherche, un plan d’action de développement des circuits courts a été développé, portant sur 4 axes et 13 mesures. 1. Améliorer les connaissances sur les circuits courts et les diffuser ; 2. adapter la formation des agriculteurs aux exigences des circuits courts ; 3. favoriser l’installation d’agriculteurs en circuits courts ; 4. mieux organiser les circuits courts. Le Grenelle de l’environnement, la Loi de modernisation agricole et le Programme National pour l’Alimentation, posent les bases d’un consensus sur la définition des enjeux des circuits courts. Ils sont perçus comme un levier de développement agricole. La reconnaissance par les pouvoirs publics, du rôle que peuvent jouer les circuits courts, dans la communication entre producteurs et consommateurs, dans la valorisation des produits en lien avec le territoire, apporte un gain de légitimité aux actions menées sur les territoires. Le réseau rural français a effectué entre 2009 et 2011 un travail de capitalisation d’expériences en circuits courts, et de regroupement d’outils pour le développement territorial, impliquant 120 organisations. « Avant le plan Barnier, il n’y avait pas de références pour les circuits courts ». (Chargée de mission développement du territoire, Chambre Régionale d’Agriculture des Pays de la Loire, 2013). La loi de modernisation agricole en 2011, inclus un volet de promotion de circuits courts alimentaires, ouvre de nouvelles opportunités pour les organisations de développement agricole et les pouvoirs publics de favoriser le développement territorial, avec le soutien financier de l’Union Européenne.
ii. Projet européen de label pour les circuits courts Le projet de rechercher « Short Food Supply Chains and Local Food Systems in the EU : A state of play of their socio-economic characteristics8 » réalisé par un équipe de chercheurs mandaté par la commission Européenne entre 2011 et 2012 avait pour objectif de décrire l’état des lieux des « Short Food Supply Chains » et de systèmes alimentaires localisés en union européenne. L’objectif était de rassembler des éléments permettant de justifier ou non de l’introduction d’un label européen pour les produits locaux et la vente directe. Ces résultats sont issus de la présentation faite par le docteur Moya Kneafsey, du « Centre for Agroecology and Food Security », le 3 juillet 2013, à Coventry (Royaume-Uni) Les conclusions de l’étude ont été présentées en juillet 2013 à Coventry, en Angleterre. Il ressort des résultats qu’en général, les « SFSCs » favorisent l’interaction entre les producteurs et les consommateurs, et promeuvent la confiance, le bien-être, le capital social et le sens de la 8
Le
rapport complet est disponible gratuitement http://ipts.jrc.ec.europa.eu/publications/pub.cfm?id=6279.
sur
le
site
internet
:
18
communauté. Les résultats montrent des impacts sur l’apprentissage, le renforcement des compétences, l’échange de connaissances pour les producteurs et les consommateurs Quels objets sont concernés par le label ? À cette question, les chercheurs distinguent d’une part l’origine des produits, à travers la transparence de l’information ; la connaissance par le consommateur de la personne qui a fabriqué le produit, du lieu de production. D’autre part, la nature des relations commerciales ; « le produit a-t-il été vendu à un prix juste ? » « Le produit alimentaire a-t-il une qualité abordable pour le consommateur ? » « Le consommateur est-il assuré que le partage de la valeur ajoutée est équitable au sein de la chaine de valeur, et participe ainsi à soutenir l’économie locale ? ». Ce projet européen n’a pas apporté d’informations sur le rôle des intermédiaires des circuits courts (artisans-boucher-charcutiers, métiers de bouche, commerçants, etc.). La description des circuits courts reste focalisée sur une conception de vente directe, et très peu d’allusions sont faites aux démarches collectives avec un intermédiaire. Les liens et impacts des circuits courts sur les dynamiques territoriales et l’émergence de concurrence entre acteurs n’apparaissent pas comme un axe de recherche dans ce projet. Cette étude cherche précisément à identifier les acteurs et structures qui interviennent et de quelle manière ils peuvent contribuer à tisser de nouveaux liens ou à déstabiliser ou générer des exclusions au sein du territoire.
1.1.2.2. Apports de la recherche et besoins d’approfondissement des dynamiques des démarches collectives en circuit court i. Les conditions d’émergence de formes innovantes de coordination autour de l’alimentation Les systèmes agroalimentaires ont été étudiés par Deverre et Lamine en 2010 dans une revue de travaux anglophones en sciences sociales. Ils mettent en évidence que « les systèmes agroalimentaires alternatifs émergent dans des contextes différents selon les pays et ne répondent pas aux mêmes objectifs. »(Deverre et Lamine, 2010). En effet, les modèles observés en Amérique du Nord, Grande-Bretagne, Australie et France répondent à des objectifs incarnant les enjeux agricoles et alimentaires de ces pays. À l’échelle de ces pays, on retrouve respectivement des notions de sécurité alimentaire, de besoin de rapprochement entre producteurs et consommateurs suite à une crise de confiance, de réponses organisationnelles à l’agriculture conventionnelle ou de valorisation de la qualité organoleptique des produits. Les valeurs portées par ces systèmes, par rapport au modèle dominant illustre une prise de position politique ou citoyenne sur la thématique alimentaire. Rastoin, soulève la problématique d’un changement de modèle alimentaire, constatant que « la tendance actuelle dans le domaine de la consommation et de la production alimentaire n’est plus soutenable. Le système alimentaire ne répond pas aux préconisations du développement durable » (Rastoin, 2006). L’insécurité alimentaire, l’obésité, la malnutrition, l’inégalité des richesses et de pouvoir au sein des pays et à l’échelle internationale mobilise la recherche à réfléchir sur la faisabilité d’un nouveau modèle en considérant le contexte actuel, à travers ses impacts. En France,
ii. Un besoin de clarification sur le rôle des intermédiaires dans les démarches en circuits courts En juin 2013 s’est tenue une conférence proposée par la Société Française d’Economie Rurale, SFER, portant sur la thématique des « circuits courts de proximité. Renouer les liens entre territoires et consommation alimentaire ». Nous avons constaté que peu de chercheurs ou intervenants s’intéressaient aux intermédiaires, ou même à la manière dont les démarches collectives s’insèrent dans les territoires. Claire Delfosse, Professeur de géographie a abordé ce sujet en illustrant ce propos par les formes de complémentarités et alliances entre agriculteurs et commerçants, montrant que les intermédiaires peuvent jouer un rôle dans le soutien aux 19
filières courtes du point de vue du savoir-faire. Elle a également souligné l’importance des relations entre individus dans la coordination des activités économiques. L’hétérogénéité des profils d’intermédiaires et de leur mode d’action au sein des filières courtes a également été mise en évidence. Cette étude a pour objectif d’apporter des éléments de compréhension sur les modalités de coopérations entre les producteurs et intermédiaires des démarches collectives en circuit court et les liens qui se construisent avec les acteurs, et ressources du territoire. Nous considérerons les formes que prennent les coordinations entre acteurs à travers les échanges économiques, informationnels et le rôle que jouent certains acteurs ou entités dans le déploiement des démarches au sein des territoires. L’insertion de nouvelles filières au sein du système alimentaire territorial génère des déplacements au sein de l’environnement concurrentiel, et également dans la gestion des ressources. Pour cette raison, nous devons prendre en compte la manière dont les démarches collectives interagissent avec d’autres acteurs, organisations, institutions du territoire. Sur la base de ces constats et questionnements, nous avons élaboré un cadre théorique mobilisant le cadre théorique de l’approche SYAL, enrichi par des approches en sociologie de l’innovation, et sociologie-économique.
1. 2. CHAPITRE 2 : DÉMARCHE THÉORIQUE 1. 2. 1. PRESENTATION DE LA DEMARCHE THEORIQUE 1.2.1.1. Entrée par la notion de système agroalimentaire et par l’approche Syal La démarche théorique s’articule autour de deux approches complémentaires, mais que l’on ne peut « fusionner » du fait de leurs sous-brassements théoriques et des hypothèses sur lesquelles elles reposent. Nous abordons l’objet d’étude dans sa forme systémique d’une part, à travers des approches9 des systèmes agro-alimentaire (Malassis, 1994 ; Rastoin, 2006 ; Colonna et al., 2013) et particulièrement du concept des systèmes agroalimentaires localisés (SYAL) (Fourcade, 2006 ; Touzard, Chiffoleau, Dreyfus, 2008 ; Muchnik et De Sainte-Marie, 2010 ; Touzard et Fournier, 2013 ; Muchnik, 2013 ; Chiffoleau et Touzard, 2013). Nous partons du concept de système alimentaire proposé par Louis Malassis, se définissant comme « La façon dont les hommes s’organisent dans l’espace et dans le temps pour obtenir, et consommer leur nourriture. Les systèmes alimentaires concernent l’ensemble des activités qui concourent à la fonction alimentaire dans une société donnée. La nature et les quantités d’aliments disponibles ainsi que la distribution sociale de disponibilités caractérisent aussi ces systèmes alimentaires. » (Malassis, 1994). Les travaux réalisés par Jean-Louis Rastoin et Gérard Ghersi en 2010 dans l’ouvrage « Le système alimentaire mondial, Concepts et méthodes, analyses et dynamiques » mettent en évidence que le système agroalimentaire ou alimentaire peut être modélisé par des flux entrant et sortant du système10, par les activités d’accompagnement et de service dédié au système
9
Différentes approches sont mobilisées autour du concept de système agroalimentaire ; en économie (Rastoin, 2006), en sociologie économique (Chiffoleau et Touzard, 2013), mais également en sociologie de l’innovation (Touzard, Chiffoleau, Dreyfus, 2008). 10 Flux de matières, informationnels, humains, etc., liés aux différentes étapes de la filière : agrofourniture ; production agricole, élevage, pêche ; industrie agroalimentaire ; canaux de distribution ; consommation ; gestion des déchets.
20
alimentaire, et enfin par les activités autres qu’alimentaires11 qui entrent en interaction avec les activités et acteurs du système. Colonna et al12. ont répertorié et établi des modèles théoriques systèmes, classés suivant leurs caractéristiques structurelles, institutionnels et politiques, mais également d’une manière cognitive13. Les travaux de Colonna et al. se positionnent dans une approche économique des systèmes alimentaires14, questionnant leur durabilité au vu des enjeux environnementaux et des attentes sociétales en termes d’alimentation, de sécurité alimentaire, etc. Nous montrerons que les soussystèmes agroalimentaires interagissent avec différentes composantes sociales, économiques, techniques et politiques du territoire. Nous nous appuierons sur l’approche Syal15 pour enrichir la notion de liens entre un système agro-alimentaire et le territoire. Les « systèmes agroalimentaires localisés » renvoient à l’émergence de modèles de développement agroalimentaire basés sur la mise en valeur de ressources locales (produits, savoirs, compétences, institutions…), plus attentifs à la diversité et à la qualité des produits agricoles et alimentaires, plus soucieux des dynamiques de développement local et des nouveaux enjeux du monde rural. (Muchnik, 2005). Notons que les démarches collectives que nous observons dans un contexte territorial ne sont pas vues comme des objets techniques16. L’ancrage/désencrage territorial est vu comme un processus complexe s’appliquant aux activités productives. « … ces processus dépendent des conditions imposées par le contexte (évolution des marchés, changements technologiques majeurs, politiques publiques, réglementations, contraintes environnementales). » (Muchnik et De Sainte-Marie, 2010). La notion de lieu dans lequel se mettent en place les systèmes alimentaires localisés peut être perçue à travers différentes approches17. La compréhension du contexte d’émergence des démarches collectives passe également par une lisibilité des modèles socio-technique présents sur le territoire, les remises en questions socio-politiques et techniques les controverses, les pressions extérieures exercées sur ; l’agriculture ; l’agroalimentaire ; l’alimentation. De nouveaux liens au lieu se définissent. L’approche proposée par Touzard dans le chapitre 13 de l’ouvrage « le temps des Syal, techniques, vivres et territoires », montre à travers l’exemple de la reconversion viticole du midi, que, « Dans cette reconversion, les changements ont en effet d’abord concerné les domaines techniques… Les changements organisationnels se sont affirmés plus tardivement… à travers leurs règles ; les investissements technologiques… ont aussi introduit de nouvelles formes de gouvernance autour de projets stratégiques » (Chiffoleau et al., 2008, citée par Touzard, 2010, p.266). Touzard remarque trois évolutions majeures de cette reconversion, dans le rapport à l’espace géographique. Dans un premier temps, différentes ressources sont identifiées et activités et mise à contribution du « projet stratégique »18. Ensuite, 11
Nous pouvons entendre par cela ; des éléments matériels, informationnels, politiques qui impactent directement et indirectement sur le système. 12 La notion de système alimentaire a évolué depuis sa définition par Malassis, aujourd’hui, Rastoin s’attache à la dimension systémique des échanges, inscrits dans un contexte d’une part historique, et d’autre part, socioéconomique et environnementale. Il apparait qu’une diversité de combinaisons entre les sous-systèmes, ressources, techniques, à chaque étape est possible 13 Se référer à la définition du concept de système alimentaire 14 « Les systèmes alimentaires sont des entités composées de nombreux sous-systèmes, chacune avec une cohérence spécifique relative aux défis de la durabilité et de la qualité. » [Notre traduction] (Colonna et al., 2013). 15 Voir définition du concept SYAL 16 Comme nous le montrerons par la suite, nous entrerons dans l’objet d’étude par la dimension humaine, sociopolitique et technique des dynamiques de structuration et de coordination des systèmes agroalimentaires territorialisés. 17 La référence à la notion de proximité, vue par Bouba-Olga et Grossetti, 2008, dans l’article scientifique « Proximité socio-économique ». 18 Le rapport au paysage, aux écosystèmes, aux vestiges historiques, entre dans le nouveau cadre d’attribution de
21
les « nouveaux usages » associés aux ressources impliquent également un changement de pratiques et de gestion19. L’évolution s’observe in fine au niveau des réseaux d’action stratégique, à travers des alliances entre coopératives, l’implication des pouvoirs publics et les réseaux sociaux des viticulteurs20. « Le territoire s’exprime aussi à travers les dynamiques sociales qui l’animent et “enchâssent” les interactions et représentations des viticulteurs adhérents de la coopérative » (Touzard, 2010, p.273). Le cas traité par Touzard met en évidence que des liens forts unissent les Hommes au territoire21. La démonstration souligne que l’influence du territoire s’exprime à travers les réseaux sociaux, révélant des formes d’interdépendance et de rivalités locales. À l’échelle locale apparaissent des conventions qui justifient l’ordre des grandeurs et les règles collectives liées à des actions collectives produisant des biens collectifs. Chiffoleau et al. mentionnent que les règles peuvent être portées par différents types de justifications ; marchande ou technique, mais qu’elles peuvent exprimer l’influence du territoire. (Chiffoleau et al., 2008, cités par Touzard, 2010). L’auteur s’intéresse aux règles auxquelles se réfère le projet. Dans notre cas, nous nous intéressons aux coordinations entre acteurs qui donnent in fine des règles, des codes ; des actions, des décisions et négociations.
1.2.1.2. Formes de coordination innovantes et construction d’une gouvernance des systèmes alimentaires alternatifs Les enjeux du développement de systèmes alimentaires alternatifs amènent les chercheurs à se questionner sur les modalités de coordination des acteurs pour la mise en place d’une gouvernance répondant aux difficultés rencontrées par les protagonistes. « Comment les acteurs des territoires tentent de mettre en place des formes de gouvernance alimentaire visant à agir ensemble, et pour le plus grand nombre, autour du lien entre agriculture et alimentation, entre production et consommation. » (Lamine et Chiffoleau, 2012). D’après Lamine et Deverre, il y a un besoin de prendre en compte l’échelle à laquelle s’inscrivent les systèmes « locaux » et aux acteurs impliqués dans leur création et leur gouvernance. Les auteurs identifient à travers des cas d’étude que les acteurs impliqués dans la gouvernance ont des profils stratégiques divers. D’autre part, la construction collective des initiatives met en relations des acteurs aux intérêts et valeurs divergents. Il semble crucial d’étudier la manière dont les acteurs s’organisent pour mettre en place des règles et des procédures de coordination et d’étudier la construction des relations entre individus hétérogènes. Touzard et al., analysent les processus d’innovation dans les systèmes alimentaires localisés, et mettent en évidence que « Les calculs stratégiques sont orientés vers la proximité géographique et sont encastrés dans des relations personnelles (liens professionnels, amicaux, familiaux, etc.) et des institutions locales » (Touzard et al., 2008).
la qualité aux vins, remplaçant « le rendement qui déterminait la rente de la production de vin de table. »(Touzard, 2010). 19 L’activation de ressources considérées comme « bien collectif », conjugué à la multiplication des projets de reconversion et d’instance politiques locales, amène les acteurs à entrer en négociations pour l’usage des ressources territoriales. Des recombinaisons et des alliances s’organisent autour de la gestion des ressources du territoire. 20 L’espace originellement concerné par l’action viticole se trouve ainsi modifié, sous l’effet des changements en termes d’activation et d’usage des nouvelles ressources, des alliances et de négociations. « L’ensemble des dimensions de l’activité viticole » est impacté par les « nouveaux regards, usages, savoirs et projets sur l’espace », faisant partie d’un « fait social total ». (Touzard, 2010) 21 La spécificité des pratiques liées aux composantes du territoire, l’activation et la gestion des ressources, les justifications sociales, les règles socio-professionnelles mais également « la composition du groupe d’adhérent… fait partie de la structure économique et sociale du territoire. »(Touzard, 2010).
22
i. La marque Territoire Biovallée La marque territoire Biovallée® de la vallée de la Drôme, soutenu en 2010 dans la région Rhône-Alpes a été créé suite à la mobilisation des élus à travers leurs intercommunalités. Le projet vise à « l’écologisation du territoire et de ses pratiques dans une diversité de domaines complémentaires (construction, urbanisme, les transports et l’alimentation) » (Lamine et Chiffoleau, 2012). Les actions menées sont orientées vers l’agriculture biologique et l’approvisionnement de la restauration collective. Partant d’une initiative publique, la trajectoire du système alimentaire localisé a enrôlé au cours du temps des organisations privées, des acteurs de l’agriculture biologique, et de l’agriculture conventionnelle. Un processus de coordination s’est mis en place à l’échelle de ce territoire, générant de « nouveaux liens », et mettant en place de formes de coordination marchande et non marchande, inexistante au préalable.
ii. Le marché plein-vent de Grabels En 2008, le projet de création d’un marché plein vent dans la ville de Grabels, situé dans la périphérie de Montpellier, l’Hérault, a été initié par l’équipe municipale de cette collectivité périurbaine, et soutenue par des chercheurs de l’INRA de Montpellier. Ce projet a pour objectif de « soutenir à l’agriculture locale avec laquelle il n’y a pas de lien spécifique et la volonté d’accessibilité pour les consommateurs » (Lamine et Chiffoleau, 2012). Cette démarche est issue de la prise de conscience que l’agriculture locale est en difficulté. Suite au constat du manque d’agriculteurs à proximité de la ville, les élus ont décidé de faciliter l’installation sur des terres appartenant à la ville. La gouvernance du marché est multiacteur, elle réunit des consommateurs, des élus, des producteurs locaux, des revendeurs, au sein d’un comité de pilotage. Une charte a été élaborée, « autorisant la participation de producteurs et d’intermédiaire achetant les produits ou matières premières aux producteurs. » (Lamine et Chiffoleau, 2012). Des mesures visant à répondre aux attentes des consommateurs en termes de traçabilité ont été mises en place, sous la forme d’un système d’étiquetage informant de l’origine des produits. « L’enjeu est avant tout la capacité des acteurs locaux à coordonner leurs activités, économiques, sociales, au sein d’un même territoire et la recherche de création de liens inexistants » (Lamine et Chiffoleau, 2012)
1.2.1.3. Mobilisation du cadre d’analyse de la théorie de la traduction La construction du réseau et l’élargissement des liens entre la démarche collective et le territoire sont mis en évidence à travers le rôle des acteurs « tête de réseau ». Nous portons également une attention particulière au rôle de certains acteurs clés des démarches dans le développement du projet. Ces acteurs peuvent être des individus et des entités sociales. Dans les deux cas, nous observerons les liens qu’ils permettent de générer vers l’extérieur et les plusvalues et contraintes que cela peut créer. En mobilisant l’approche de la théorie de la traduction de Callon, nous chercherons à identifier comment se structurent les démarches collectives et comment se répartissent les rôles au sein du groupe. La description d’un processus de coproduction des faits s’effectue en quatre étapes. Les opérations d’un processus général ne se succèdent pas linéairement, mais peuvent se chevaucher.
23
i. Problématisation La première phase est nommée problématisation, elle correspond à la formulation de problèmes dans lesquels interviennent des acteurs, désignés et mis en scène par les initiateurs du questionnement. La définition des acteurs n’est pas stabilisée, mais cherche à établir l’identité de ces acteurs, les relations qui les lient et tente de caractériser leurs intérêts respectifs vis-à-vis de la résolution des problèmes. La définition de points de passage obligés par les porteurs de la démarche amène les acteurs à créer une alliance autour d’une interrogation profitable à tous. Cet intérêt à la coopération est décrit comme un point de passage obligé permettant de dépasser les obstacles et problèmes qui se dressent sur leurs routes et ainsi, d’atteindre ce qu’ils visent individuellement. Dans le chapitre 13 de l’ouvrage « le temps des Syal, techniques, vivres et territoires », Touzard montre que les règles sur lesquelles s’organise ; la coordination des activités et des hommes, au sein d’une organisation collective, se transforme sous l’effet d’interactions internes et externes22. Les échanges informationnels, de compétences, de conseils, de services, « participent aux relations locales » (Chiffoleau et al., 2007), mais également, à l’orientation des règles de gouvernances et de stratégie de la démarche collective. « Les règles évoluent en fonction des épreuves que rencontrent ces systèmes d’action » (Biarnès et Touzard, 2003 ; Chiffoleau, 2001, cité par Touzard, 2010, p.271). On distingue selon la nature du problème rencontré : les épreuves techniques : besoin de compétences pour la compréhension des interactions entre facteurs naturels et techniques liés à l’activité ; les épreuves économiques : gestion des coûts, de l’entrée sur le marché, épreuves liées à la concurrence ; les épreuves sociales23 . Les épreuves mettent en évidence que dans le projet collectif, des réarrangements et ajustements s’effectuent et peuvent s’observer par les pratiques. Les « épreuves » mentionnées par les auteurs peuvent être comparées à la notion de « point de passage obligé », proposé par Callon. Initialement, le réseau est fragile : si certains participants cessent leurs activités, si certaines relations se rompent, il peut disparaitre. C’est la phase du « groupement » (en anglais « cluster ») : Un groupement se forme lorsque les acteurs deviennent « … conscients de leurs structures de communication et commencent à tracer les frontières autour de ceux qui travaillent sur leur problème commun. »(Grossetti, 2010, p.9). Des changements apparaissent, le groupe se structure progressivement autour d’une identité commune servant à identifier le groupe à l’intérieur et à l’extérieur. « On passe du réseau, structure analytique seulement observable de l’extérieur à une entité collective reconnue et constituée comme telle par ses membres. Dans le passage d’une forme à l’autre, des ressources spécifiques ont été construites : un nom, des critères d’appartenance, un récit sur l’histoire du groupe. » (Grossetti, 2010, p.9).
ii. Intéressement et enrôlement des acteurs Les dispositifs d’intéressement correspondent à la seconde phase du processus de traduction. Cela se traduit par un processus, par des états successifs d’ajustement du projet initial où les entités peuvent s’intégrer à ce qui a été défini dans la phase de problématisation ou remettre en question leur identité au sein du dispositif. L’entité représentée par les trois chercheurs a cependant pour objectif de stabiliser l’identité des autres acteurs en créant un lien avec chacun Dans l’exemple de la coopérative viticole, des systèmes d’action différents animent la transformation des règles en interne. « Les actions bilatérales initiées par le directeur ou le président jusqu’à des actions collectives plus larges organisées par une commission d’adhérents : Les systèmes d’action engagent des acteurs externes à l’organisation. »(Touzard, 2010) 23 Nous détaillerons par une approche des réseaux sociaux, des dispositifs de médiation, les épreuves que rencontrent les projets collectifs dans la coordination à différentes étapes ; l’intéressement et l’enrôlement des acteurs ; la stabilisation des entités ; et les controverses pouvant remettre en question l’ordre des grandeurs établi (Callon, 1986 ; Boltanski et Chiapello, 1999), mais également à travers la construction de ressource de médiation (Grossetti, 2010). 22
24
d’entre eux, en usant d’un éventail de stratégies et de dispositifs. « Les démarches collectives peuvent être perçus comme des acteurs qui ont entre eux des relations que l’on peut décrire par la forme d’un réseau, se dotent à un moment donné d’instances spécifiques de coordination, prennent l’habitude de se désigner collectivement, de discuter les frontières du collectif qu’ils constituent. » (Grossetti, 2010, p.9) Ces ressources de coordination sont décrites comme étant de même nature que les « objets intermédiaires » décrits par Vinck (1999). Il a été démontré que les relations personnelles jouent un rôle important dans la mise en contact des organisations (Grossetti et Bès, 2001cité dans Grossetti, 2010) L’enrôlement correspond à un mécanisme de négociations multilatérales par lequel un rôle est défini et attribué à un acteur qui l’accepte. Un des enjeux de l’enrôlement est de faire face aux « forces qui s’opposent au lien ». Une succession de transactions se mettent en place entre acteurs. L’enrôlement s’effectue de différentes manières selon le comportement de l’acteur visé. Grossetti souligne qu’au-delà des relations interpersonnelles de négociation, des formes de médiation24 sur lesquelles s’appuient les acteurs sont à rechercher. « Ces dispositifs passaient tous par la construction de ressources de médiation : le contrat qui engage les entités collectives ; les règles internes des organisations qui contraignent les actions individuelles et produisent de l’action collective ; les dispositifs matériels (maquettes, modèles) qui permettent aux acteurs de se coordonner sans nécessairement interagir directement ». (Grossetti, 2010, p.10). Durant les négociations, l’identité des acteurs est testée, et se révèle plus ou moins en accord avec la définition établie durant l’intéressement. Le traducteur et « les dispositifs de médiations » enrôlent les autres entités en les intéressant. Les liens les plus intéressants consistent en effet souvent à franchir des zones dans lesquelles les médiations étaient rares ou inexistantes (des trous structuraux, dans le vocabulaire de R. Burt, 1992 a) » (Boltanski et Chiapello, 1999). Il en ressort que les relations interpersonnelles se conjuguent aux dispositifs ou ressources de médiation participant à la collaboration. (Grossetti, 2010) « Dans un monde où l’opération principale est l’établissement de connexions, il est donc normal de trouver ou de rechercher des lieux de rencontres, pour la création des connexions… »(Boltanski et Chiapello, 1999).
iii. Mobilisation des alliés et élargissement du réseau e
La 4 phase est nommée ; mobilisation des alliés. Le questionnement porte la représentativité des porte-parole. Le rôle de ces acteurs n’est pas seulement de mettre en valeur les ressources spécifiques, mais aussi d’engager les autres, de donner de l’implication, de rendre désirable le fait de les suivre parce qu’ils inspirent confiance. « Il ne dirige pas de façon autoritaire, mais en se mettant à l’écoute des autres, avec tolérance et en respectant les différences. »(Boltanski et Chiapello, 1999). Une fois le consensus atteint, les marges de manœuvre de chaque entité sont alors étroitement délimitées. Ce n’est que lorsque l’ensemble des alliés jusque-là désordonnés se transforme en un tout organisé et cohérent se comportant comme un seul élément que l’on peut parler de l’acteur-réseau (Vinck 1993). Les relations sociales et les dispositifs de médiation permettent d’accéder à des ressources (un conseil, une compétence particulière, etc.). La notion de ressource de médiation […] permet de donner du sens aux formes collectives qui se situent entre le « contexte » (vu de l’intérieur) et l’« acteur » (vu de l’extérieur) (Grossetti, 2010). Cette qualité de médiation est une valeur ou une grandeur dont est susceptible de se prévaloir tout acteur quand il « met en rapport », « fait des liens » et contribue à « tisser des réseaux ». Nous souhaitons donc approfondir la description des liens sur lesquels se fondent les formes de coordinations permettant l’« ancrage et/ou le désencrage territorial » du projet collectif dans le 24
Grossetti « considère comme ressource de médiation tout ce qui permet un échange sans passer par des chaines de relations personnelles » (Grossetti, 2010, p.10). Dans un troisième mouvement
25
territoire.
1. 2. 2. PROBLEMATIQUE ET ENJEUX DE L’ETUDE 1.2.2.1. Problématique i. Problématique générale Comment se construisent les liens entre une démarche collective en circuit court et le territoire et contribuent à renforcer ou fragiliser le territoire ?
ii. Problématiques annexes À quelles conditions une démarche collective s’insère-t-elle au sein du territoire et génère des plus-values socio-économiques ? Quels acteurs, ressources et dispositifs interviennent dans le processus de construction des démarches collectives en circuit court ? Comment la démarche peut contribuer à structurer ou déstabiliser les dynamiques territoriales ? Quels sont les leviers et les freins à la coordination ?
1.2.2.2. Objectifs de l’étude i. Objectif général L’objectif est de déterminer les comment se caractérise l’insertion des démarches collectives en circuit court dans le territoire. Nous entendons comprendre les choix, les mécanismes de coordination qui ont été réalisés au cours de l’évolution de la démarche.
ii. Objectifs spécifiques 1. Connaitre au préalable le territoire au sein duquel se développe les coopérations. La prise en compte du lien au lieu (approche Syal), permet d’avoir une vision précise du contexte historique, socio-économique, des ressources présentes, et des controverses autour desquels se coordonnent les acteurs, qui sont dans notre cas, hétérogène. 2. Définir le projet : l’objectif visé par le projet, les pratiques à mettre en œuvre et à coordonner, les porteurs du projet et son origine, les ressources devant être mobilisées et activées, et enfin, les structures de coordination associées au projet. 3. Analyser les étapes de construction des démarches collectives depuis les conditions d’émergence de la démarche collective. a. Identifier les acteurs impliqués, le rôle qu’ils jouent, les pratiques associées, leurs valeurs, et stratégies individuelles. b. Analyser la dynamique de construction des liens, des alliances et les réseaux mobilisés. Identifier les épreuves techniques et sociales auxquelles les acteurs ont fait face, et les dispositifs et ressources mobilisées pour les franchir. c. Analyser le rôle clé des intermédiaires : représentés par organismes de développement, les petits grossistes, le commerce de détail, les artisanstransformateurs, les coopératives. 4. Identifier les freins et leviers à l’établissement de synergies entre les acteurs. a. Mettre en évidence les zones de blocage, tant du point de vue technique, sociologique, économique, politique au fonctionnement de la filière courte. b. Identifier les facteurs d’exclusion qui limitent les coopérations. 5. Évaluer les externalités et impacts générés par les démarches collectives. a. Analyser les plus-values et freins pour les producteurs de se coordonner avec un intermédiaire dans le cadre des circuits courts. 26
b. Analyser les impacts de la démarche collective sur les acteurs en dehors de la démarche. Y a-t-il un processus de renforcement et/ou de fragilisation du territoire ? c. Effet d’entrainement au niveau du territoire, de nouveaux projets, mis en place d’une gouvernance territoriale, renforcement du système agroalimentaire territorial…
1.2.2.3. Hypothèses Hypothèse : Au-delà des relations interpersonnelles, les acteurs s’appuient sur des formes de médiation25, des règles internes qui contraignent les actions individuelles et produisent de l’action collective ; des dispositifs matériels qui permettent aux acteurs de se coordonner sans nécessairement interagir directement ». (Grossetti, 2010, p.10). Hypothèse : Les intermédiaires jouent un rôle central dans l’encastrement des démarches collectives en circuit court au sein du territoire et agissent sur le renforcement ou la fragilisation du territoire à travers les liens qui se mettent en place avec les réseaux, les ressources, et les acteurs. Hypothèse : « À côté de la construction de règles collectives basées sur la proximité, se mettent en place des conventions territoriales... » (Hypothèse de Touzard et al., 2010, p. 276)
25
Grossetti « considère comme ressource de médiation tout ce qui permet un échange sans passer par des chaines de relations personnelles » (Grossetti, 2010, p.10). Dans un troisième mouvement
27
2. PARTIE 2 : DEMARCHE METHODOLOGIE
28
2. 1. CHAPITRE 1 : CONSTRUCTION DU CADRE D’ANALYSE D’UNE ENTREE PAR LE TERRITOIRE ET LES RESEAUX SOCIOTECHNIQUES
2. 1. 1. CHOIX
Nous articulons l’analyse entre deux échelles d’observation en vue d’aborder les dynamiques internes des démarches collectives, et d’analyser la manière dont elles interagissent avec le territoire. Les démarches collectives peuvent être appréhendées à travers différentes approches. L’approche sectorielle prend comme objet l’ensemble de la filière, dans la succession des activités, des ressources mobilisées, des flux de matières et économiques, qui circulent de l’amont vers l’aval. Une approche complémentaire consiste à analyser la dynamique de construction du réseau sociotechnique. Cette dernière nous permet d’observer comment se mettent en place les relations entre acteurs, et de décrire les liens qui s’établissent avec des réseaux présents sur le territoire. Au vu des objectifs de l’étude, nous avons construit une méthodologie permettant d’avoir une vision transversale des démarches collectives, que nous résumons en trois points : 1. Le maillage territorial en lien avec la thématique de l’étude, les spécificités du système agroalimentaire, les dynamiques agricoles et alimentaires ; 2. La filière courte, construction d’un système agroalimentaire localisé ; 3. La création d’un réseau sociotechnique encastré dans le territoire ; La grille d’analyse est construite sur ces trois dimensions, à partir desquelles nous avons défini des indicateurs et des méthodes de collecte des données.
2. 1. 2. DE L’APPROCHE D’ANALYSE
THEORIQUE A LA CONSTRUCTION D’UN CADRE
L’étude a débuté par une revue de la littérature ayant pour objectifs, d’une part de définir les concepts, les théories et les travaux portant sur cas concrets de systèmes agroalimentaires localisés. .
2.1.2.1. Définir les concepts : recherche effectuée par mots clés, sur les portails de recherche accessible sur internet, en bibliothèques, « Système alimentaire », « coordination économique », « circuit court », « système agroalimentaire localisé, SYAL », « réseaux socio-techniques », « gouvernance territoriale », « gouvernance alimentaire », « médiation », « ancrage territorial », « encastrement « embeddedness », « économie-sociale et solidaire »
2.1.2.2. Choix des approches théoriques et construction du cadre d’analyse Pour aborder notre objet d’étude, il fallut préalablement étudier les théories nous permettant de décrire les formes de coordination se mettant en place entre les acteurs des démarches collectives et les liens qui se créent avec le territoire : Dans un premier temps, l’approche Syal a été mobilisée, car permettant de considérer « l’émergence de modèles de développement agroalimentaire basés sur la mise en valeur de ressources locales (produits, savoirs, compétences, institutions…), plus attentifs à la diversité et à la qualité des produits agricoles et alimentaires, plus soucieux des dynamiques de 29
développement local et des nouveaux enjeux du monde rural. » (Muchnik, 2005). Les trois dimensions de l’analyse ont été définies grâce au cadre théorique de l’approche Syal : 1. L’histoire du territoire, des produits emblématiques, les modèles agricoles et alimentaires, les événements marquants dans cette histoire. 2. Les conditions d’émergence du système agroalimentaire localisé, les porteurs du projet et leurs motivations. Comment en est-on arrivé là ? 3. Les liens au territoire par l’entrée de l’ancrage. Les liens matériels, immatériels. Approche par les changements techniques, les nouveaux usages, les changements de pratiques et de gestion des ressources. Cependant l’approche Syal ne renseigne pas sur les formes de coordination économique ni sur la dynamique de mise en place d’une gouvernance au sein des démarches. Pour aborder les formes de coordination économique, nous avons procédé à un « inventaire » ou une approche systémique des formes de coordination décrites dans les théories économiques des coûts de transaction. Cette approche s'est révélée limitée dans sa description des relations non marchande. Aussi avons-nous mobilisé les champs de la sociologie de l’innovation, la sociologieéconomique et la sociologie des organisations permettant de décrire les relations non marchandes entre les individus au cours du processus de construction des démarches. Sans mettre de côté les relations marchandes qui coordonnent les activités au sein des filières, nous avons choisi de mobiliser la théorie de la traduction permettant de comprendre comment se structurent les démarches collectives et comment se répartissent les rôles au sein du groupe. Ne pouvant réduire les formes de coordinations aux relations interpersonnelles, nous avons recherché dans les approches théoriques un cadre d’analyse portant sur les ressources de médiation, il en ressort que les relations interpersonnelles se conjuguent aux dispositifs ou ressources de médiation sur lesquels s’appuient les acteurs pour se coordonner. Le cadre théorique a donné lieu à la construction du cadre d’analyse et au choix des indicateurs.
2. 1. 3. CONSTRUCTION DU CADRE D’ANALYSE Le cadre d’analyse reprend les trois dimensions apportées par l’approche Syal et y inclut les indicateurs issus des approches théoriques mobilisées. Ce cadre analytique doit permettre d’articuler une vision des dynamiques territoriales en lien avec la démarche collective, la compréhension des mécanismes de construction d’un modèle de coordination en circuits courts et une vision des relations entre individus et organisations, de la démarche et du territoire. À l’échelle individuelle, nous souhaitons rendre compte du positionnement stratégique de certains individus dans les réseaux et caractériser la nature des relations qu’ils tissent avec d’autres. Pouvant être des relations marchandes, institutionnelles, politiques, amicales, de conseil, domestiques, etc. Nous cherchons à identifier les structures de coordination, rassemblant l’ensemble des règles et ressources de médiation qui contribuent à coordonner les acteurs. Nous évaluerons les positions stratégiques des acteurs et des organisations par rapport à leurs pratiques, ou postures vis-à-vis d’un objet lié à la démarche étudiée.
30
entrée/dimension
Composantes
Critères/Indicateurs
Historique socioculturel
contexte historique, tradition agraire, agroalimentaire et consommation, événements marquants. Conflits profonds entre les types de productions
Contexte du territoire Description du système agroalimentaire Diagnostic territoire/système agroalimentaire
Stratégie et maillages des acteurs du SA gouvernance alimentaire
ressources locales
Dynamique démographique, zones enclavées/rurales/zones péri-urbaines /bassin de production-consommation Modèles agricoles et alimentaires présents sur le territoire modèle(s) agroalimentaire(s) dominant(s), dynamiques et caractéristiques des filières agroalimentaires référentiel de marché, Institutions, collectivités, chambres consulaires, associations de développement agricole, coopératives, etc. sensibilisation des élus sur la question de l’alimentation Actions et pratiques en vue d’une gouvernance alimentaire territoriale, à l’échelle de la région, du département, du Pays Ressources matérielles et immatérielles. Communes et spécifiques. Mobilisée et potentielles
31
entrée/dimension
Variables
Indicateurs
l’objectif visé par le projet, les pratiques à mettre en œuvre et à coordonner ; les porteurs du projet et son origine et les conditions d’émergence, les ressources devant être mobilisées et activées les structures de coordination associées au projet. formulation de problèmes, initiateurs du questionnement. Phase de épreuves techniques, épreuves économiques, épreuves sociales problématisation interactions internes et externes : échanges informationnels, de compétences, de conseils, réarrangements et ajustements, structures de communication interne Formalisation du projet : nom, critères d’appartenance, délimitation des frontières du collectif Voie de différenciation choisie Phase d’intéressement lien entre acteurs, relations personnelles, mutualisation des ressources stratégies et de dispositifs d’intéressement, sympathie, mise en confiance création d’instances de coordination, ressources de coordination, règles collectives Formes et ressources de médiation : contrat règles internes, dispositifs matériels Phase d’enrôlement leaders, créateurs de liens, porte-parole : consensus atteint ? création de nouvelles connexions, zones de médiations rares ou inexistantes, trous structuraux, Flux de matières, informationnels, humains Structure de la filière Étapes de la filière : production agricole, élevage ; transformation agroalimentaire ; canaux de courte. Chaine de valeur distribution ; consommation, Type d’outils ou structure intermédiaire Phase d’émergence
Démarche collective en circuits courts
Profil de l’intermédiaire Relation producteurs intermédiaire limites et freins
description de l’intermédiaire : Nature juridique et organisationnelle, Niveau et mode d’action dans la filière courte. Type de ressources mises en œuvre, référentiel de marché de l’intermédiaire. Intermédiaire préexistent, innovation ? proximité dans la relation, intensité dans le temps, poids dans la prise de décision, type de contractualisation, fixation des prix, nature de la complémentarité producteurs/intermédiaires. Convergence des stratégies ? cohérence entre besoin et projet du CC et Intermédiaire Freins financiers, freins réglementaires, freins organisationnels frein logistique,
32
entrée/dimension
Composantes
Liens démarche/territoire
Gestion des ressources concurrences
Ancrage territorial Insertion de la démarche collective au sein du territoire
Encastrement
limites et freins à la coordination
impacts face aux enjeux de durabilité du territoire
Critères/Indicateurs Communication avec l’extérieur Alliance avec des acteurs du territoire Nature des réseaux mobilisés complémentarités avec d’autres secteurs d’activités, Activations de nouvelles ressources, négociation pour la gestion, avec quels acteurs ? Appropriation du modèle par d’autres acteurs du territoire, mouvement social, collectivités Nature et intensité des relations : présence d’autres acteurs, références au territoire Utilisation d’objets géographiques spécifiques Réseau, capital social, Freins à la cohésion territoriale, concurrences et conflits d’acteurs, freins réglementaires et freins au développement des circuits de commercialisation ou à la création d’alliances. Facteurs d’exclusion Matérielles : changements techniques, organisation du travail, investissements matériels, Mise en réseau : opportunités, mise en place d’une stratégie individuelle Pour les consommateurs : accessibilité de la population aux produits, catégorie sociale Pour les producteurs : reconnaissance, du métier, image, Savoir-faire, nouvelles compétences, projets innovants Pour l’économie locale : effets d’entrainement, implication des collectivités, mise en place d’une politique alimentaire
33
2. 2. CHAPITRE 2 : MÉTHODES ET OUTILS 2. 2. 1. METHODES DE SELECTION DES TERRAINS D’ENQUETES 2.2.1.1. Définition de critères de choix des territoires Le choix des territoires d’étude a été réalisé suivant trois critères, développés en souscritères : 1. Des territoires contrastés : historique du territoire, densité et dynamique des activités agroalimentaires et agricoles, pôles urbains ou zone rurale isolée, compétitivité, caractéristiques du système alimentaire : modèle dominant : présence des GMS, ou faible développement des filières de commercialisation, intensité de la pression des filières longues. Comment se joue le rapport de force entre les acteurs ? 2. Des démarches collectives contrastées : Envergure de la démarche, Modèle de filière courte (innovant, traditionnel), maturité de la démarche, Mode de gouvernance de la démarche (gestion collective avec les producteurs, type de coordination producteur/intermédiaire). Comment s’insère-t-elle, s’inscrit-elle ? Aspects innovants de la démarche (risqué, ou fédérateur) 3. Un intermédiaire contrasté : niveau d’intervention dans la chaine, ressources, services, activités réalisées, outils collectifs, forme juridique, liens avec le territoire.
i. Enjeux associés au choix des territoires Un premier travail de prospection nous a amenés à rechercher des initiatives pertinentes sur le territoire Français. Nous nous sommes orientés vers des initiatives présentes sur les territoires des partenaires du projet INTERVAL afin de valoriser plus facilement l’étude auprès des collaborateurs. Ce choix nous a permis de mobiliser plus aisément les réseaux des partenaires pour coordonner les enquêtes terrains avec les acteurs engagés dans des démarches de circuits courts. Le projet INTERVAL a mobilisé 5 études pour sa première année d’activité, aussi nous a-til paru intéressant de localiser cette étude sur des territoires communs avec les autres stagiaires. Le risque de redondance entre les résultats a été écarté du faire que les études n’abordent pas les filières courtes ou de proximité par la même entrée ni le même cadre d’analyse. La transversalité de cette étude a été perçue comme une manière d’enrichir les autres travaux en apportant des éléments sur les dynamiques territoriales et les relations qui s’établissent en dehors de la filière.
2.2.1.2. Choix des territoires d’étude et des acteurs cibles Nos choix se sont orientés vers le territoire de Loire-Atlantique et Le Pays de Figeac le territoire du Pays de Figeac Voir annexe 2, pour la description des territoires ciblés par l’étude et le processus de sélection des terrains en fonction de leurs spécificités territoriales, des intermédiaires atypiques, et des démarches innovantes.
34
i. Le territoire du Pays de Figeac Localisation géographique Figure 1 : Localisation et cartographie du Pays de Figeac, département du Lot (46)
FIGEAC
Source : Charte de paysage du pays de Figeac, Atelier thématique n° 1, 201226 ; Chiffoleau et Fournié, 2001
Une étude centrée sur un acteur clé du secteur agricole du Territoire Causse-SégalaLimargue Nous centrons l’étude sur le rôle de la coopérative Fermes de Figeac, antérieurement nommée SICASELI dans la mise en place d’une démarche collective en circuits courts et de proximité. Ce cas nous intéresse particulièrement, car l’intermédiaire économique entre les consommateurs et les producteurs est représenté par une coopérative agricole, d’approvisionnement et de service et par le fait que la coopérative se positionne à la charnière entre l’enjeu agricole, alimentaire, et territorial. Cette structure est à l’origine depuis 1994 , de la vente d’une gamme de produits principalement régionaux dans 4 des 6 magasins sous enseigne Gamm Vert installés sur le territoire des Causses-Ségala-Limargue. Nous étudierons la manière dont les liens entre les producteurs et la coopérative se construisent, la nature des liens et relations entre cet intermédiaire et les autres acteurs du territoire. Le schéma ci-dessous montre les enjeux du développement du territoire de Figeac dans lequel interviennent de nombreux acteurs. Nous observons comment se positionne la démarche par rapport à ces enjeux et comment elle interagit avec les acteurs du territoire ?
26
Disponible sur internet : http://www.pays-figeac.fr/files/ATELIER-N1-paysage-environnement-agriculture.pdf
35
Figure 2 : Triptyque des enjeux du développement collectif en Pays de Figeac
Source : Maffezzoli C., 2013
ii. Le territoire du Pays de Loire Le second territoire d’enquête sectionné est localisé sur le département de Loire-Atlantique (44).
Localisation géographique des terrains d’enquêtes Figure 3 : Cartographie du département de Loire-Atlantique et localisation des cas d’étude
PUCEUL
PAYS D’ANCENIS
Source : Atlas des paysages de Loire-Atlantique, http://www.paysages.loire-atlantique.gouv.fr
36
Une étude centrée sur les outils collectifs de transformation de la filière viande et maraichage Notre premier cas d’étude dans le département de Loire-Atlantique est l’initiative collective « De la Terre à l’assiette » dont la réflexion a débuté en 2000, après la crise de la vache folle. Une dizaine de producteurs de Loire Atlantique ont commencé à réfléchir à la création d’un atelier collectif. Un outil qui est au service des usagers en vente directe et leur permet de ne plus être dépendants d’un atelier privé. La perspective d’avenir des associés est la création d’un abattoir multi-espèce attenant à l’atelier. Le second cas d’étude est un projet de création d’un outil collectif de légumerie-conserverie, localisé en Pays d’Ancenis. Ce projet est porté par une association territoriale, La Bassin d’Emploi du Pays d’Ancenis, depuis 2011, la question des débouchés pour les fruits et légumes a émergé, car en saison estivale les producteurs ne parviennent pas à écouler leur production. La stratégie de conservation et de recherche de débouchés complémentaire a incité les acteurs du Bassin d’emploi à réfléchir sur la possibilité de créer un outil collectif offrant aux producteurs la possibilité de valoriser leur production à l’échelle du Pays. Le projet est en cours, aussi, nous avons étudié les phases de construction de la démarche.
2. 2. 2.
METHODE ET OUTILS DE COLLECTE DES DONNEES
2.2.2.1. Choix des acteurs et organisations ciblés sur les territoires L’étude que nous réalisons se base sur des données qualitatives, à travers l’analyse des pratiques des acteurs, et de récit de vie. L’approche territoire qui a été choisie implique de rencontrer un panel d’acteurs représentatif du réseau mobilisé autour des questions alimentaires, agricoles et de gouvernance du territoire. Ces entités (individus et organisations) ont été sélectionnées selon leur domaine d’action. L’enjeu est de représenter les différents points de vue et leviers d’action à travers les réseaux, institutionnels, techniques, de la société civile, du conseil. L’analyse du processus de co-construction des démarches collectives implique de rencontrer d’une part les porteurs de projet, les partenaires ou associés à la démarche et les acteurs extérieurs ayant contribué à accompagner le collectif. Les acteurs rencontrés en Loire-Atlantique sont représentatifs des structures d’accompagnement agricole, technico-économique et politique des producteurs et artisans. Nous n’avons pas rencontré d’éleveur ou d’artisans « Lambda », mais des porte-parole de ces acteurs. Une des études du projet INTERVAL27, c’est intéressé aux relations et perceptions des producteurs et artisans dans le cadre des circuits de proximité. Aussi était-il intéressant de se concentrer sur les alliances, les coopérations qui se mettent en place autour d’un projet collectif, mais également la distance cognitive entre les entités départementales et régionales. Les pratiques et valeurs associées au développement des « circuits de proximité », « à l’économie de proximité » « à la viabilité d’une démarche collective » divergent selon les acteurs, et selon les modèles auxquels ils se référent. La thématique des circuits courts en Loire-Atlantique est 27
Etude menée par Hélène GEGAN, coordonnée par la FR CIVAM de Bretagne dans le cadre du projet INTERVAL. Une autre étude du projet INTERVAL s’intéresse aux relations producteurs/artisans, sur le territoire du Pays de Figeac et de Rodez, réalisé par Valentina-Giovanna ALESSANDRIA, coordonnée par la Coopérative Fermes de Figeac et l’INRA de Montpellier, UMR SAD INNOVATION. L’Etude menée par Aurore COURILLON porte également sur la filière viande, en Pays de Châtre, Indre et Loire, cette étude est coordonnée par l’ADAR dans le cadre du projet INTERVAL.
37
convoitée et appropriée tant à l’échelle locale, du Pays, du département et de la région. La collecte des données et des informations requises pour analyser les territoires et bien cerner les problématiques s’est effectuée en deux temps. La liste des acteurs rencontrés en Pays de Figeac et en Loire-Atlantique est détaillée en annexe 1
2.2.2.2. Méthode et outils de collecte des données terrain i. Les sources d’informations Veille sur les circuits courts et de proximité 1. 2. 3. 4.
Colloque SFER, Paris Conférence Economie Sociale et Solidaire, Paris Forum FODALI, Périgueux Conférence « Food From Here, Critical perspectives on Short Food Chains in Europe », Coventry, Grande-Bretagne
La première phase "terrain" peut être comparée à une veille sur les débats et enjeux actuels autour des « circuits courts », de la « traçabilité et qualité des produits alimentaires locaux » et sur les « nouvelles formes de communication autour de la thématique du local » s’est déroulée pendant la phase bibliographique et méthodologique, en début d’étude. La participation à des conférences, forums et colloques a été l’occasion de recueillir des informations sur les avancées de la recherche, sur des expériences, en France, en Italie, en Europe, autour de la vente de produits locaux. Le forum FODALI, réunissait des acteurs des GMS, des acteurs du secteur privé et publics, proposant aux consommateurs, porteur de projets de plateforme de diffusion de produits locaux. La conférence de l’ESS, portait sur la présentation d’initiatives collectives localisées, alimentaires et non alimentaires répondant aux critères de l’Economie Sociale et Solidaire. Il ressort de ces expériences, une multiplicité de discours pouvant être contradictoire dans leur prise de position, mais revendiquant une volonté de reconnexion entre agriculture et alimentation, et entre les individus, à travers une proximité relationnelle, géographique ou cognitive.
Entretiens avec des personnes ressources, La seconde source d’information a été la rencontre avec des personnes ressources.
Origine des données collectées sur les terrains d’étude
Collecte de données sur le territoire à travers les entretiens
Ressources de diagnostic de territoire exemple des SCOT
Comptes rendus d’assemblées générales
Chartes et documents internes aux démarches collectives
Outils de communications, communiqués de presse
38
ii. Posture de l’observateur En tant qu’observateur du discours des acteurs rencontrés sur les territoires d’étude, il fallut respecter certains principes pour éviter de biaiser les informations recueillies. Tout d’abord, l’impartialité vis-à-vis des arguments des acteurs, c’est-à-dire, ne pas interpréter, ni porter de jugement sur le discours des personnes enquêtés. Dans l’analyse nous avons cherché à ne pas changer de référentiel selon les différents points de vue et arguments des acteurs. Nous analysons les situations à travers le spectre de la sociologie et ne cherchons pas à changer de posture. L’enjeu étant de comparer les pratiques et les valeurs qui transparaissent à travers le discours des acteurs. Nous cherchons à nous détacher des perceptions dont nous font part les acteurs.
2.2.2.3. Méthode d’enquête : élaboration des questionnaires et phase d’enquêtes Les acteurs que nous avons rencontrés, évoluent dans des milieux différents, tantôt dans le monde agricole, en tant que producteurs, directeurs d’une organisation de producteur, évoluant dans des filières différentes, responsable de l’animation, élus, etc. La posture de l’observateur n’est donc pas identique dans chacun des cas. Nous abordons les entretiens avec des thématiques adaptées au monde dans lequel évoluent ces acteurs, tout en gardant l’objectif d’analyser les pratiques des acteurs par rapport aux mêmes objets d’étude.
i. La composition des échantillons Les échantillons ont été construits dans un objectif de triangulation, afin d’obtenir des sources d’information différentes et de croiser les discours. Parmi les grands types d’enquêtes utilisables en sciences humaines pour la production des données nous avons procédé à :
L’observation directe, sur le marché nocturne et durant la visite de ferme pour le cas de Figeac.
De l’étude de documentation écrite, dans les deux territoires. o En pays de Figeac, l'analyse de la charte qualité et des fiches de référencement des producteurs des magasins de produits régionaux, journal d’information de la coopérative Ferme de Figeac, communiqués et articles de presse. o En Loire-Atlantique ; analyse des comptes rendus de conseil d’administration pour la création de l’abattoir de proximité, plaquette d’information des organisations.
Des entretiens semi-directifs et non directifs pour tous les entretiens.
ii. Les thématiques des guides d’entretiens Voir annexe 3 et 4
iii. La trajectoire d’enquête Volonté de prendre des exceptions en plus des cas les plus courants 1. Phase exploratoire : test des questionnaires : Nous nous sommes rendus à Béziers pour effectuer des entretiens auprès de porteurs de projets de boutiques de 39
producteurs. Ces rencontres ont permis de retravailler les guides d’entretiens, d’adapter le vocabulaire employé, de cibler les thématiques pertinentes. 2. Terrain 1 : Pays de Figeac : La démarche d’enquête a été facilitée par la proximité géographique entre les acteurs et organisations ciblés par l’étude. Les entretiens ont été adaptés au type d’acteurs que nous rencontrions. La posture d’observation et le jeu de « question-réponse » se sont affinés avec la connaissance du contexte et des enjeux du territoire. 3. Terrain 2 : Loire-Atlantique : Les enquêtes sur ce terrain ont été plus réduites que sur le territoire précèdent, cependant nous avons cherché à approfondir certains aspects complémentaires du territoire de Figeac. Nous avons cherché à rencontrer des acteurs porteurs de démarche collective, ayant des profils atypiques. La filière viande et le maraichage présentant les principales problématiques dans le développement des filières de proximité, nous nous sommes orientés vers des démarches collectives construites autour de ce type de production. La thématique des relations producteursartisans étant plus conflictuelle en Loire-Atlantique qu’en Pays de Figeac, nous nous sommes également orientés vers la compréhension des enjeux pour ces types d’acteurs. Les deux territoires d’enquêtes ont été analysés en fonction des caractéristiques qui leur sont propres, tant au niveau de l’engagement des politiques dans le soutien aux filières courtes, que dans la nature des intermédiaires engagés dans des démarches en circuits courts.
2. 2. 3. METHODE D’ANALYSE : DONNER DU SENS AUX DONNEES Nous ne prendrons pas en compte le statut social des individus, mais les pratiques, et valeurs qui leur sont propres. Nous analysons le contenu du discours des individus, par rapport aux mots qu’ils emploient, mais nous cherchons également à comprendre ce qu’ils entendent à travers certains termes, comme la proximité, la qualité, la confiance. Nous ferons ressortir le type de relations qui relient deux acteurs, à savoir, relations amicales, professionnelles, de pouvoir, familiales.
2.2.3.1. Lecture verticale Identifier les pratiques des acteurs et les profils stratégiques, comprendre dans quel milieu ils évoluent, comprendre les relations entre groupes d’acteurs. Nous cherchons à mettre en valeurs des concurrences, des conflits et des complémentarités entre les acteurs.
2.2.3.2. Lecture transversale Interprétation des données et passage d’une thématique à l’autre dans le but de donner du sens et d’identifier les liens entre le territoire, les démarches collectives et les modes de coordination. Nous pouvons mettre en évidence des interrelations entre les réseaux, faire ressortir des acteurs ayant un rôle central ou intermédiaire dans la coordination des démarches collectives.
40
2.2.3.3. Biais et limites des méthodes Les échantillons étaient trop petits face au besoin de rencontrer des acteurs de la démarche et en dehors de la démarche collective. Nous ne sommes pas arrivés à saturation par rapport aux informations que l’on a obtenues. Le manque de temps nous a imposé de cibler les acteurs pionniers dans un premier temps, les organisations territoriales pouvant nous apporter des informations clés sur les dynamiques territoriales et les projets qui se mettent en place en dehors de la démarche analysée. Il aurait été intéressant d’aller à la rencontre des acteurs se trouvant en position de concurrence par rapport à la mise en place d’une nouvelle filière courte ou de proximité. Le choix des acteurs s’est effectué selon les objectifs posés dans le cadre méthodologique, mais également avec l’aide des partenaires du projet INTERVAL, qui nous ont orientés vers un certain type d’acteur. Une fois encore, la durée restreinte allouée aux enquêtes terrain (15 jours pour les deux territoires), a limité notre capacité à rencontrer des acteurs « en retrait », ou non représentatifs de la majorité. L’intérêt est en effet d’aller à la rencontre de personnes interagissant avec la démarche, sans pour autant être connues, ou incluses dans le réseau des partenaires de la démarche collective.
41
3. PARTIE 3
:
PRÉSENTATION
DÉMARCHES
ET
COLLECTIVES
ANALYSE AU
SEIN
DES DE
TERRITOIRES CONTRASTES
42
3. 1. CHAPITRE 1 : PAYS DE FIGEAC : DÉMARCHE DES MAGASINS FERMES DE FIGEAC 3. 1. 1. DIAGNOSTIC
DU TERRITOIRE : RESSOURCES, ENJEUX PROBLEMATIQUES DE L’AGRICULTURE A L’ALIMENTATION
ET
3.1.1.1. Le territoire des Causses-Ségala-Limargue i. Présentation générale du territoire Le Pays de Figeac se compose de trois paysages emblématiques allant du Ségala au Lot-Célé avec une partie dans le département de l’Aveyron ; d’une partie dans l’Aveyron ; les Causses, se caractérisent par une roche mère calcaire, des espaces boisés de chênes, buis, genévriers. Le Ségala est un plateau, dans lequel se découpent des vallées où l’on cultive historiquement la châtaigne. Le Limargue est une succession de petites vallées, composées de bocages. Les reliefs variés des contreforts du Massif Central offrent des climats mixtes, à haut gradient thermique annuel. Les productions agricoles se sont adaptées au relief et aux caractéristiques pédoclimatiques. L’observation des paysages montre des démarcations nettes entre les zones. Ce territoire est représentatif des problématiques en milieu rural. D’un point de vue économique, l’agriculture, l’industrie et l’agroalimentaire sont source d’emplois directs jouant sur l’attractivité tant en termes d’actifs, de jeunes agriculteurs, et de touristes. En 2006, 64 % des emplois étaient dans le secteur tertiaire, 8 % dans l’agriculture et 20 % dans l’industrie28. L’agriculture joue en effet un rôle fédérateur et structurant, au niveau des réseaux sociaux, du paysage, ou de l’identité du territoire. Le fort ancrage de la population dans une tradition agricole fait de ce secteur un levier social et économique du développement territorial. Les acteurs institutionnels du pays de Figeac sont engagés aux côtés des acteurs et organisations du territoire dans une stratégie de redynamisation des secteurs agricole et agroalimentaire grâce des programmes d’appui à projet et de l’accompagnement individuel et collectif. Ces initiatives s’inscrivent dans le cadre de projets européens, tels, le projet RIDER réalisé entre 2009 et 2011 et plus récemment le projet ITER.AA29 correspondant aux objectifs européens à l’horizon 2020. Des démarches partenariales se sont mises en place sur le Pays, révélant différentes manières d’impulser des dynamiques d’emploi, d’éducation, de solidarité, d’alimentation. D’autres projets se mettent en place, portés par des clubs d’entreprises et des coopératives agricoles du Pays.
ii. Un territoire agricole historiquement orienté vers l’élevage Généralités sur l’agriculture du Lot et problématiques du Pays de Figeac L’agriculture est dominée par l’élevage ; bovins allaitants, laitiers principalement, l’élevage ovin, dans les Causses et le Quercy, caprin, et l’élevage de volailles grasses et maigres. Les productions végétales se répartissent suivant, des cultures fourragères, céréalières (blé, maïs, orge), vignes, oléagineux, arboriculture fruitière, culture légumière, tabac.
Impact des crises sur les stratégies de production et de 28 29
Source : INSEE, www.insee.fr/ Des informations sur les projets RIDER et ITER.AA sur le site internet du Pays de Figeac ; www.pays-figeac.fr/
43
commercialisation Les modèles agricoles d’élevage et de production végétale ont fortement été touchés par la réforme de la PAC, et continuent à être confrontés à des contraintes réglementaires, économiques et sanitaires impliquant une remise en question de leur système de production et de gestion des exploitations. La crise ESB a également fortement impacté sur la filière bovine, dont on note deux temps forts. Entre 1994 et 1996, ou un vent de panique des éleveurs. En novembre 2000 la chute de 30 % de la consommation de viande bovine en France est presque deux fois plus marquée qu’en 1996. L’effondrement de la consommation intérieure fait suite à l’annonce de la mise sur le marché de viande provenant de bêtes ayant côtoyé une vache atteinte d’ESB en France. Les prix et les flux commerciaux, les abattages chutent encore plus fortement que lors de la crise de 1996. C’est dans ce contexte que des acteurs du territoire de Figeac se sont mobilisés autour des questions de traçabilité de la viande, de qualité vis-à-vis des consommateurs.
D’autres modèles agricoles et mode de commercialisation L’agriculture du territoire ne se résume pas seulement par des exploitations basées sur un modèle conventionnel, d’agriculture extensive en terre et en capital, spécialisée dans la filière élevage. On retrouve aussi de petites exploitations dont le système de production tend vers une diversification des systèmes de cultures, tant, fourragères, céréalières, que maraichères, pouvant être en association avec l’élevage et l’arboriculture. L’agriculture biologique est un domaine en forte progression avec 227 exploitations engagées en 2012, sur les 3960 exploitations réalisant une déclaration PAC à l’échelle du département. Les problématiques de ces agriculteurs sont différentes, et la répartition des exploitations en agriculture biologique est la suivante ; 40 % d’élevages de ruminants bovins, ovins ou caprins, 40 % en productions végétales commercialisant en circuits courts (maraîchage, vins, noix, châtaignes...), et 20 % de diverses productions (petits élevages, petits fruits, plantes aromatiques, services tourismes). Pour les productions animales, les structures valorisent en faible part les produits AB30. Pour les productions végétales, une grande partie est vendue dans les circuits courts et en vente directe chez le producteur ou les marchés de plein vent, ainsi que par l’intermédiaire des magasins bio du département. Des opérateurs régionaux qui interviennent dans la filière bio, représentés par des transformateurs, permettant aux agriculteurs de valoriser la matière première et de capter la plus-value interviennent également auprès de quelques agriculteurs. Dans le Pays de Figeac, entre 1997 et 2011 il n’y avait qu’un seul éleveur de vaches laitières engagé dans l’agriculture biologique. Pour les autres cultures, le réseau de « la bio » s’est constitué progressivement. L’absence de réseaux de commercialisation des produits issus de l’agriculture biologique a poussé ces acteurs à chercher par eux même des débouchés sur le territoire et en dehors du territoire. La vente directe, à la ferme, sur les marchés de plein vent représente les débouchés « traditionnels » accessibles localement.
La problématique du maraichage et des circuits de commercialisation Au sein d’un territoire principalement orienté vers l’élevage, le faible développement des cultures maraichères est devenu problématique depuis que les acteurs du Pays se sont engagés dans une politique de gouvernance alimentaire locale. À partir de 2009, un premier constat est 30
Source issue des données de la chambre départementale d’agriculture http://www.lot.chambagri.fr/agriculture-biologique/lagriculture-bio-dans-le-lot.html
du
Lot
;
44
apparu : « Après un travail d’une année sur le maraichage, on a évalué qu’il fallait à peu près 5000 tonnes de légumes par année pour approvisionner le Pays de Figeac et qu’il y en avait 700 tonnes produites sur le territoire. Dans les 700 tonnes, une grande partie partait sur Rungis, parce que c’était des produits issus de l’agriculture biologique. » (Véronique Thomasson, Syndicat Mixte Pays de Figeac, 2013)
Les maraichers évoluent dans un contexte problématique à l’instar de la filière bovine et de l’agriculture biologique. Les maraichers du Pays de Figeac sont principalement installés dans la vallée du Célé, certains font uniquement de la vente directe, d’autres vendent leur production directement à des intermédiaires, tels que les grossistes, les GMS, ou d’autres acteurs de la distribution alimentaire.
3.1.1.2. État des lieux de la consommation i. Qui sont les consommateurs ? Différents profils de consommateurs peuvent être observés sur le territoire du Pays de Figeac. Le maillage des pôles de population traduit une répartition inégale de la demande alimentaire entre des zones urbaines, touristiques et des zones marginalisées, peu fréquenté par les touristes. Le profil des consommateurs et le volume de la demande varient en fonction de l’année, principalement dus aux flux touristiques. Figeac compte environ 10 000 habitants à l’année. Une part des consommateurs est représentée par les touristes, des retraités, des cadres moyens, pour la population la plus aisée. La population est également composée de ménages plus modestes, voir en situation de précarité économique et alimentaire. D’après les statistiques de l’INSEE, on est globalement sur un territoire où les salaires sont bas. La situation chez les retraités isolés n’est pas évidente du point de vue économique, car certains ne vivent que grâce à leur retraite et sont en situation d’isolement géographique. Depuis les années 2000, les services sociaux de Figeac voient une nouvelle population en situation de précarité apparaitre. Ce sont des personnes dont la marge de manœuvre économique est très basse, se retrouvant dans la précarité ponctuellement, mais de façon régulière, voir chronique.
ii. Quelles sont les attentes vis-à-vis des produits locaux ? Une étude menée par des chercheurs de l’Agro Campus Ouest de Rennes, sur le territoire de Figeac, répondant à la problématique : « Quelles spécialités alimentaires caractéristiques de Terres de Figeac faut-il mettre en avant ? Les critères d’achat privilégiés, pour 100 % des touristes sont l’origine des aliments, pour 90 %, le savoir-faire local, 70 % l’authenticité et 40 %, le contact humain. Les touristes découvrent les spécialités de Figeac majoritairement dans les restaurants dans environ 37 % des cas, au sein de la famille, dans 27 % des cas et dans 15 % des cas sur le marché. Les résultats mettent en évidence que les touristes sollicitent des signes officiels de qualité pour plus de 70 % d’entre eux, des fiches recette et des recettes originales dans 65 % des cas. Il ressort de cette analyse que le territoire est un critère essentiel, que le consentement à payer dépend de la qualité, du goût et de la proximité géographique des produits et que le savoir-faire est perçu à travers les notions de tradition et d’authenticité des aliments. (Stéphane Gouin, 2012)
iii. Les ressources alimentaires spécifiques au territoire 45
L’identification de spécialités gastronomiques spécifiques au Pays de Figeac est une des préoccupations actuelles, et un enjeu dans la recherche d’identité culinaire du territoire. Dans le département du Lot, il existe une grande diversité de produits valorisés sous signe officiel de qualité. Dans les A.O.P, le fromage Rocamadour, la Noix du Périgord, les vins des Coteaux du Quercy (AOC), dans les I.G.P, le vin Cotes du Lot, le melon du Quercy, le canard à foie gras du sud-Ouest, et dans les labels rouge ; l’agneau fermier du Quercy, le veau sous la mère, la volaille fermière du Quercy, la prune reine-claude. En dehors des signes officiels de qualité, des spécialités alimentaires du Pays de Figeac sont également identifiables ; le foie gras, le fromage de brebis, Cabécou et le confit31 faisant partie du régime alimentaire de la population locale. Le Pays de Figeac possède un patrimoine culinaire varié, construit autour de produits de la région et de recettes locales. La sensibilité des consommateurs vis-à-vis des produits locaux est associée à un ensemble de composantes du territoire. Le paysage, l’histoire, le savoir-faire. Il n’y a pas un produit caractéristique de la zone, mais une multiplicité, en lien avec des spécificités techniques, des paysages, une identité culturelle et historique.
iv. Les lieux d’achat et de rencontre entre les consommateurs et le territoire Les circuits d’approvisionnement alimentaire en Pays de Figeac suivent une trame diversifiée, coexistant sur un même territoire ; les filières longues, la vente directe, la vente en circuits courts, la restauration. La fréquentation d’un type filière par rapport à un autre par les consommateurs dépend des différents critères. La figure 8 présente la diversité de circuits de distribution que l’on rencontre sur le territoire. Dans chacune des catégories de circuits, on retrouve des produits locaux, ou régionaux, des circuits courts ou de proximité. La différenciation se fait sur la nature structuration de la filière en amont, sur les formes de coordination au sein de celles-ci, sur les acteurs en charge de la vente, le type de transfert de l’information et les outils de communication destinés aux clients, la qualité et le prix des produits alimentaires. La volonté des acteurs du territoire de réfléchir et de développer une gouvernance territoriale alimentaire s’observe à travers les différents projets, mais également à travers la nature même des acteurs impliqués et leurs stratégies
31
Données issues des enquêtes menées auprès de la filière alimentaire du Pays de Figeac par Stéphane Gouin, d’Agro Campus Ouest Rennes, http://www.pays-figeac.fr/files/Resultats-enquetes-Agro-Campus.pdf
46
Figure 4 : Circuits d’approvisionnement et critères de choix des consommateurs
circuits de commercilisation
Restaurants
gastronomie, connaisance, plaisir
Epiceries
proximité, service, contact humain
Marchés plein vent
Fraicheur, diversité de produits, lien social, fruits et légumes, produits locaux
Vente à la ferme
fraicheur, production locale, rencontre directe alimentation/agriculture, confiance
GMS
achats courants, praticité, facilité, horaires d'ouverture, économique
Magasins alimentaires circuit de proximité/circuit courts
gamme de produits locaux, qualité, conseil, origine, proximité, horaire d'ouverture
Source : Adaptation personnelle de l’étude menée par l’Agro-Campus Ouest de Rennes
. 47
3.1.1.3. Maillage des acteurs du territoire et positionnement stratégique vis-à-vis de l’alimentation de proximité Acteur Domaine Public, vocation Pays et le syndicat mixte de intérêt développement du Pays de Figeac territoriale, collectif Pouvoir public, Communauté de coopération communes/Mairie intercommunale Relais départementaux, Chambre d’agriculture réseau agricole départementale Institutions d’enseignement
publiques
Échelle régionale
Échelle d’action Centre Intercommunal territoriale, partenariat d’Action Sociale (C.I.A.S) public-privé territoires ruraux de Association pour le Développement par la Formation nord Midi-Pyrénées des Projets, Acteurs et Territoires, ADEFPAT ADEAR
Réseau rural agricole, département du Lot
Stratégie/objectifs outil de mobilisation des acteurs économiques et sociaux et un lieu de coordination des politiques publiques et des partenaires territoriaux actions à l’échelle locale se font à travers le Centre Intercommunal d’Action Sociale, la pépinière d’entreprise Informations sur les règlementations, formations courtes, renseignement administratif, accompagnement de projets formation aux métiers de l’agriculture et de l’agroalimentaire
Projet RIDER, Mêlée Gourmande, ITER.AA projets d’approvisionnement de la restauration collective Participation d’élus au sein de la démarche Terres de Figeac, Mêlée Gourmande pôle régional des projets innovants système d’information et d’accompagnement
prestations de services en conseil technique, accompagnement, contrôle sensoriel des produits alimentaires, animations auprès des professionnels historiquement préoccupé des questions Projet de création d’une épicerie sociale et alimentaires solidaire intégrant des produits issus des circuits de proximité, des ateliers Cuisine et un jardin collectif cadre des politiques de la Région MidiAppui aux projets locaux, l’accompagnement à Pyrénées, de la politique nationale de l’emploi et du l’émergence Fonds Social européen Concrétisation et renforcement des démarches territoriales association de développement ayant pour but de d’aider à la transmission des exploitations et rechercher et promouvoir des formes d’agriculture d’encourager l’installation de nouveaux paysans paysanne ayant des répercussions favorables sur l’emploi agricole
Midi-Pyrénées, Organisation des filières d’élevage : bovins, magasins Gamm Vert, Marque Sens du Terroir, Coopérative agricole de de ovins, palmipèdes, porcs, fruits et légumes, outils d’abattage/transformation Productions et d’Élevage du lot — Groupements producteurs, CAPEL Territoire CaussesFilières approvisionnement agricole, énergie, création de la marque « Sens du Terroir » en SI.CA.SE.LI — Coopérative services, alimentation, Jardinerie Gamm Vert 1997, vente de produits régionaux, Fermes de Figeac, agricole et de Ségala-Limargue territoire
48
3. 1. 2.
CAS DE LA COOPERATIVE FERMES DE FIGEAC : CONSTRUCTION D’UNE STRATEGIE TERRITORIALE DE COORDINATION AUTOUR DES CIRCUITS DE PROXIMITE
3.1.2.1. Description de l’organisation : une coopérative d’approvisionnement vers une coopérative de territoire Tous les trois ans, un président est élu à la tête du Conseil d’Administration. Depuis 1997, c’est M. Pierre Lafragette, éleveur en GAEC à Viazac, producteur de lait et de viande qui préside les Fermes de Figeac. Avec 120 salariés sur l’ensemble du groupe, 650 adhérents et 17 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2010, la SICASELI se classe parmi les trente premières entreprises du Lot. Le conseil d’administration est composé d’une 20aine d’administrateurs qui se réunissent annuellement lors de l’assemblée générale ordinaire. Le rôle officiel des administrateurs est de participer au processus de décision, de faire remonter les informations, les besoins des agriculteurs de la zone dont ils sont les référents et de voir comment appliquer les mesures ou projets de la coopérative. L’assemblée générale est ouverte aux adhérents. Les décisions d’investissement, de mise en place de stratégies se font au consensus au sein du conseil d’administration. La définition des stratégies et les plans d’action se déterminent durant les réunions du comité stratégique de la coopérative. C’est à cette occasion que des compétences spécifiques extérieures sont mobilisées.
i. Solidariser le collectif et ouvrir la réflexion aux acteurs du territoire Chaque année, la coopérative organise un séminaire en dehors du cadre de Figeac ou le comité stratégique de la coopérative se réunit afin d’initier un travail de réflexion. C’est dans ce cadre que le directeur de la coopérative est entré en contact avec le directeur de la coopérative Les Salines de Guérande. Ce premier contact leur a permis de collaborer sur le projet de la vente de produits locaux dans les magasins de la coopérative. Tous les deux ans, l’équipe des administrateurs de la coopérative effectue un voyage d’étude pour rencontrer sur d’autres territoires des cas de démarches collectives. Ils sont partis au Brésil, au Canada, en Pologne, au Japon. D’autres voyages d’études se font chaque année pour des producteurs, des jeunes agriculteurs actifs dans la coopérative, durant 3 à 4 jours, des thématiques sont abordées et des rencontres sont organisées avec des acteurs. L’ouverture de la coopérative vers d’autres territoires et différents types d’expériences, permet aux dirigeants, et administrateurs de prendre du recul et voir d’une manière plus large leurs projets. En 2003 avec l’appui d’une étudiante en stage au sein de la coopérative, une soirée de débat de campagne avec Phillipe Lacombe, réunit près de120 personnes. Les thématiques abordées étaient transversales. La société civile, les élus et les agriculteurs étaient présents. Le travail a ensuite été de communiquer pour que les acteurs du territoire s’approprient les thématiques. En 2011 coordonné par le Pays de Figeac, le Réseau Rural Régional, la coopérative Fermes de Figeac, le séminaire de Figeac « Circuits courts de proximité : un enjeu pour le développement des territoires », initie le point de départ d’une dynamique de territoire. Ce séminaire réunit environ 200 personnes, issues des réseaux du territoire de Figeac, de la région et au niveau national. Les circuits courts apparaissent comme « porteurs de lien social », « Faire appel à tous les ressorts de la société et affirmer une politique publique de l’alimentation à travers des objectifs, des règles et des outils ; » 49
Figure 5 : Chronologie des projets menés par la coopérative Fermes de Figeac, par rapport au contexte et aux résultats des études
1991 Réforme de la PAC
Ouverture rayon produits régionaux, Gamm Vert Figeac
1994 Ouverture usine d’alimentation animale
Création marque « Sens du Terroir » Création d’une boucherie d’éleveur magasin de Figeac Magasin produits régionaux et boucherie à Souseyrac
Audit patrimonial
Crise ESB Fermeture abattoirs locaux, crise de l’artisanat et élevage
1997
Création atelier de mécanique agricole
Montage de la filière Bois
Création de la CUMA
Crise ESB
2000
2002
Diagnostic territoire
2003
Bilan Sociétal
ISO 9001
ISO 14001 Ouverture magasin produits régionaux LacapelleMarival
Technification des modèles agricoles
Charte du conseil coopératif
Problèmes d’accès au foncier Chute du nombre d’emplois agricoles
Soirée débat campagne
2008 Société « Ségala Agriculture et Énergie Solaire »
Prospective à l’horizon 2020
2011
Séminaire Circuits Court
2013
Source : Maffezzoli C., 2013
3.1.2.2. Processus de construction d’un réseau sociotechnique : Comment une coopérative agricole s’approprie la notion de circuits de proximité ? i. Émergence de la vente de produits locaux : Problématisation En 1994-95, la coopérative avait le magasin Gamm Vert de Figeac dédié à la jardinerie. À cette époque les circuits courts étaient des démarches individuelles, selon un schéma traditionnel, de vente sur le marché plein vent. Le directeur de la coopérative avait des relations amicales avec des producteurs en vente directe. Dans un contexte de problématique d’installation des agriculteurs, de réduction du nombre d’actifs agricoles et de recherche de revenus complémentaires, l’idée de créer une vitrine de produits régionaux au sein du magasin a émergé. Dans les années qui ont suivi la prise de conscience qu’il y avait de moins en moins d’agriculteurs et que la coopérative est une des plus petite de France et que la légitimité de son 50
action reposait sur sa capacité de créer des liens avec le territoire. La concurrence des autres coopératives de la région au niveau de la production agricole a incité les dirigeants à engager une diversification vers l’aval des filières avec le potentiel du magasin et l’espace concurrentiel de la vente de produits du terroir.
Mobilisation des réseaux de réflexion À partir de 1990, la rencontre de Sol & Civilisation, a donné lieu à un audit territorial, qui amena le directeur de la coopérative à travailler 10 ans en temps partiel pour Sol & Civilisation pour faire du développement agricole grâce au partenariat avec une association régionale ; l’ADEFPAT. L’implication des leaders de la coopérative dans certains nombres de réseaux dits du développement leur a permis de changer d’horizon. Le directeur a pris des responsabilités dans un certain nombre d’entre eux, ils comprirent que les actions devaient sortir du domaine de la coopération agricole.
Démarche de construction d’une identité de la démarche À cette époque, la vision de la coopérative était encore « producto-producteur », le projet était la création d’une usine d’alimentation animale. En 1997, la coopérative créa la marque de produits locaux « Sens du Terroir ». Le concept de la marque de produits du terroir « Sens du Terroir », c’est élargi à l’échelle nationale grâce à la coopération en la coopérative Fermes de Figeac et Gamm Vert France. La mise en place de plateformes d’approvisionnement, de référencement des produits suivait un modèle différent de celui créé par la coopérative. Le concept adapté à l’échelle globale suit une logique de grande distribution, sans appuyer sur la relation de proximité sociale et géographique entre le producteur local et le consommateur. La création d’une marque n’était pas une fin en soit, qui était d’avoir des produits locaux et des producteurs. L’objectif était de constituer une gamme complète et cohérente de produits de consommation provenant du territoire et de compléter avec des produits provenant du commerce équitable et d’autres régions françaises. Aidée de relations amicales, dans le domaine de la communication, la marque fut développée et intéressa d’autres acteurs du monde coopératif, voulant bénéficier de cette démarche dans leur région. La démarche de commercialisation des produits locaux s’est positionnée sur les notions de proximité, de qualité et de prix leur permettant de se différencier par rapport à la concurrence des grandes surfaces. Ils manquaient de compétences en termes, de stratégie de commercialisation classique et d’approvisionnement.
ii. Intéressement : mobilisation des ressources territoriales pour de nouveaux usages Intéressement des producteurs : Au départ, les agriculteurs dits « conventionnels » considéraient les circuits courts comme réservés aux dits « marginaux » et lesdits « marginaux », considéraient que leur métier s’exerçait à travers la vente sur les marchés. Un producteur de yaourt a coopéré avec la coopérative en vendant une partie de ses produits dans le magasin Gamm Vert. L’expérience
« Certains produits comme les fromages des Vermande sont très locaux, ils marchent mieux à Lacapelle-Marival qu’à Figeac. (Responsable produits régionaux magasins Fermes de Figeac, 2013)
51
mit du temps à se mettre en place, mais finalement, le producteur de yaourt fit 50 % de son CA au sein du magasin et le reste sur les marchés. Cette démarche lui permit d’alléger son travail. La règle de la commercialisation des produits dans les magasins coopératifs est de toujours donner priorité aux produits locaux. De nombreux produits comme la châtaigne n’étaient pas transformés par des producteurs locaux. La coopérative s’est approvisionnée chez des producteurs régionaux. Cette démarche incita les producteurs locaux à proposer eux aussi des produits dérivés (confiture, confiserie, pâtisserie). Cette stratégie de faire jouer la concurrence entre les producteurs a permis de développer certaines productions et inciter les producteurs à transformer leurs produits pour les vendre en circuits courts ou de proximité. La recherche de producteurs se fait par le bouche-à-oreille, et privilégie les producteurs proches des magasins. Aujourd’hui entre 30 et 40 producteurs travaillent avec la coopérative. Parmi ces agriculteurs on observe une grande diversité de profils et de pratiques
Coordination économique : Fixation des prix L’intéressement des producteurs à la démarche s’observe à travers le processus de fixation des prix. Pour l’ensemble des producteurs rencontrés, ce sont à eux de fixer leur prix de vente. Il n’y a pas de négociation, le magasin ajoute sa marge et effectue l’acte de vente. Sur des produits concurrentiels, la coordination avec les intermédiaires de la distribution est facilitée, les producteurs gardent un pouvoir de négociation fort. Cependant pour des produits plus génériques, s’inscrivant dans un espace concurrentiel plus fort (exemple des fromages), et facilement accessible pour les revendeurs, la négociation peut être problématique et présente des risques pour les producteurs. C’est le cas avec les grandes surfaces présentes sur le territoire de Figeac, cherchant pour certains produits, à minimiser le prix d’achat, et maximiser leur marge. Les magasins Fermes de Figeac ne procèdent pas de la sorte et laissent aux producteurs la liberté de fixer leur propre prix.
Exemple d’un éleveur proposant des produits de charcuterie, salaisons, travaillant en vente directe et indirecte depuis près de 8 ans
« La fixation des prix chez Gamm Vert c’est moi qui effectue mes calculs, je regarde mon prix de reviens et fixe ma marge, je leur dis que le prix est ainsi. Le but du jeu c’est justement ça, ce n’est pas pour retomber dans le système des éleveurs qui se font exploiter. L’objectif c’est que l’éleveur fixe son prix. Intermarché voulait mes produits, ce sont eux qui sont venus me démarcher, je leur ai dit mon prix, ils l’on prit. (Éleveur de porc/transformateur/vendeur, 2013)
Exemple d’une famille, producteurs en individuel, dans l’élevage de vaches laitières et de volailles grasses, reconvertis dans la fabrication de Fromages depuis2 ans.
52
« Dès que l’on a eu les produits, on a commencé, et j’ai fait du porte-à-porte. On a fait venir le responsable des produits du terroir au Gamm Vert de Figeac, il est venu voir le labo et nous a dit que nos produits les intéressaient. Dès le départ, avant qu’on ait les produits ils étaient venus voir si ça avançait, et on savait qu’ils vendaient des produits du terroir dans les magasins. Quand on est allé démarcher, dès le départ ça a été notre prix. Le tarif est resté le même, car les clients ont apprécié le produit. On a vendu aussi dans des restaurants et aussi dans des Leclerc, mais on a été très déçu des Leclerc et des Intermarché. Dès le départ, le petit carré ils l’ont voulu emballé, mais le fromage devient amer. Ça n’a pas marché. Nous on le vend sans emballage, et il y a de la concurrence pour les fromages. Ils nous ont fait descendre le prix du petit carré à 35 centimes, mais il ne partait pas. Ils n’ont pas bien géré la vente du produit. Au niveau de la tome qui aurait pu bien marcher, on leur vend 12 euros, Gamm Vert le revend 16 euros, et Leclerc, plus de 18 euros. » (Famille d’éleveurs de vaches laitières/transformateurs de fromage, 2013).
Cet exemple montre que la coordination entre un intermédiaire et un producteur ne s’effectue pas de façon similaire. Certaines grandes surfaces s’approprient la thématique des circuits courts, mais leur mode de fixation des prix peut poser des contraintes aux producteurs. La démarche de la coopérative Fermes de Figeac va plus loin, dans les relations qu’ils entretiennent avec les producteurs. Les responsables des magasins connaissent personnellement les producteurs, soit parce qu’ils sont adhérents de la coopérative, soit parce qu’une proximité relationnelle s’est construite à travers les rencontres sur la ferme ou en magasin.
Mise en place d’outils de médiation pour la coordination entre les producteurs et l’intermédiaire Dans une volonté de transparence et de communication avec la clientèle et les adhérents, une démarche d’amélioration continue a été mise en place en 2003 avec la certification ISO 9001 ayant pour but de surveiller les informations relatives à la perception du client sur le niveau de satisfaction de ses exigences par l’organisme. En 2009 la certification ISO 14001 a été mise en place, portant sur le management environnemental et la gestion des impacts des activités. En 2010, un expert extérieur, spécialiste de la qualité a accompagné la création d’une charte qualité de produits Sens du Terroir, et d’un dispositif d’évaluation et de référencement des produits sollicité pour la vente dans les magasins. La qualité porte sur les caractéristiques propres aux produits, sur la nature et la localisation des fournisseurs, devant respecter les critères de proximité géographique, identitaire du territoire et de qualité gustative. Le dispositif de contrôle est réalisé par les responsables « produits régionaux » et les vendeurs ayant suivi une formation préalable, leur permettant de contrôler le respect des critères et de disposer d’informations pertinentes sur les méthodes de travail du fournisseur, l’origine des aliments, et de communiquer aux clients des magasins. Les
« On va visiter leur ferme ou leur entreprise, on regarde comment ils travaillent, avec quelles matières premières, ou ils se fournissent (sans porter un regard très pointu sur l’alimentation des animaux). On est plutôt sur la provenance de l’animal, du produit. Ensuite on déguste chez le producteur ou entre nous, on fait des dégustations. Si ça nous convient, on référence le produit. Pour référencer un producteur, on y va avec 3 à 4 filles. Comme pour le vin on a une sommelière qui fait des dégustations deux fois par an. Avant Noël on en fait une et une autre l’été. Sinon on déguste toute notre cave une fois par an » (Responsable produits régionaux magasins Fermes de Figeac, 2013)
53
visites de contrôle chez les fournisseurs locaux, la dégustation des produits et le dispositif de référencement des produits sont les pratiques d’application de la charte qualité.
Implication des producteurs dans la démarche à travers l’animation Du fait d’être un intermédiaire entre les producteurs et les consommateurs, la coopérative a mis en place un dispositif d’animation par les producteurs. Ils sont rémunérés par la coopérative pour faire la promotion et des dégustations de leurs produits au sein des magasins. Cette initiative permet de réduire la distance relationnelle entre agriculteurs et consommateurs. Les magasins sont une ressource de communication intéressante pour les producteurs. Grâce à la visibilité des actions de la coopérative sur l’ensemble du territoire, l’image des producteurs est diffusée et les amène à être connus autrement que par la communication sur les marchés ou la vente à la ferme.
« On fait des animations, des fermes ouvertes, des marchés festifs, pour se faire connaitre, et tout ce travail même s’il n’y a pas de grosses ventes, c’est important. C’est porteur, car derrière ça entraine des ventes. Au début les marchés représentaient plus de 80 % des ventes, mais sur des petits volumes, mais maintenant ce sont les magasins, maintenant que j’ai augmenté en volume c’est 70 % sur les magasins. 35 % les marchés et 5 % à la ferme. (Éleveur, transformateur, commerçant, 2013)
La responsable des produits régionaux hors boucherie nous a indiqué qu’ils souhaitent améliorer l’intervention des producteurs surtout en fruits et légumes, par ce qu’il est difficile de trouver des maraichers dans le territoire. Lorsque les producteurs débutent la vente de leurs produits dans les magasins, ils viennent faire des présentations et dégustations. Tous les producteurs n’ont pas les compétences en communication, aussi, la coopérative privilégie les personnes ayant des facilités dans ce type d’actions, et les font revenir au magasin. En mobilisant le réseau coopératif, la coopérative Fermes de Figeac a sollicité la coopérative Fromagère Jeune Montagne, à Laguiole dans l’Aubrac, pour faire une animation autour d’un aligot géant avec dégustation dans son magasin de Figeac.
Intéressement des artisans et éleveurs : relocaliser la consommation de viande et valoriser les compétences Dans les années 2000, suite à la crise de la vache folle, la logique de la coopérative s’est concentrée vers la filière viande. Les producteurs dits « conventionnels » étaient en demande de débouchés. Ces successions de crises jointes à une prise de conscience des éleveurs et responsables de la coopérative, que pas 1 kilogramme de viande locale n’était vendu sur le territoire de Figeac. C’est dans ce contexte que la filière viande de proximité s’est mise en place. En 1980, Figeac comptait 10 boucheries – charcuteries indépendantes, et en 2013, il n’y en a plus que 3. Les administrateurs de la coopérative ont sollicité en 2000 la création d’une boucherie dans les magasins coopératifs. Suite à des visites en dehors du territoire, qui fut effectif en 2003. L’objectif était de créer un lien de confiance avec les consommateurs. La coopérative est allée à la rencontre des bouchers qui à cette époque rencontraient des difficultés économiques, leur proposant de travailler dans le magasin de la coopérative. Suite à l’ouverture d’un magasin et d’une boucherie à Souseyrac en 2010 et d’un autre à Lacapelle-Marival en 2013, on compte aujourd’hui 9 bouchers. L’engouement des consommateurs pour la boucherie 54
s’observe dès le début, avec un chiffre d’affaires généré, près de 5 fois supérieur au chiffre d’affaires espéré. Les motivations des bouchers de revenir travailler avec la coopérative sont liées à la situation de difficultés économique rencontrée par les artisans indépendants, et aux conditions de travail proposées par la coopérative. Les valeurs de la coopérative, la recherche de qualité dans les produits proposés et la volonté de valoriser le savoir-faire des artisans, voire de réapprendre un savoir-faire traditionnel pour certains des artisans ou apprentis ont été des moteurs de coopération. Les bouchers travaillent en équipe et ont de meilleurs droits sociaux (vacances, maladies). La coopérative dispose de moyens de communication et de réseaux que les bouchers n’ont pas pour développer dans leur activité et dans le contexte actuel. « Ce que le producteur récupère, c’est une image. Les gens sont très attachés à ça et ça génère des réactions des producteurs qui ne peuvent pas vendre leurs vaches à la coop pour qu’elle soit au magasin. Car le magasin n’a pas la possibilité d’acheter beaucoup de vaches. (6/7 vaches par semaine), les éleveurs sont très attachés à l’image. »(Éleveur de vaches laitières et viande, 2013)
Intéressement des clients : valoriser le lien au lieu et répondre à la demande Les magasins sont des lieux de rencontre entre l’offre et la demande ou les liens qui se créent sont principalement des relations commerciales et économiques entre l’intermédiaire et les fournisseurs. Les relations directes entre producteurs et consommateurs arrivent en second plan. Pour convaincre les consommateurs des valeurs sous-jacentes au modèle créé par la coopérative, et créer un climat de confiance et de qualité autour de l’alimentation, des objets et outils de communication sont mobilisés. La stratégie d’intéressement des clients passe par différents canaux :
la communication : o à travers l’animation faite par les vendeurs dans les magasins, les dégustations de produits locaux faits par les producteurs au sein des magasins, o L’identification des fournisseurs sur des fiches apposées aux produits dans les magasins, o La communication sur les projets menés dans le territoire par la coopérative : exemple de « la clef des champs », permettant aux clients et non-clients des magasins de visiter les fermes des agriculteurs. o Publicité, tracts.
Une gamme de produits cohérente avec les valeurs portées par la coopérative et la qualité gustative des produits
La localisation des magasins et les horaires d’ouverture
La fidélisation de la clientèle : disponibilité des produits et régularités de l’approvisionnement, carte de fidélité, services « bien-être »
55
L’adaptation de l’offre à la demande des clients est également une manière de rechercher la cohérence avec le type de consommateurs des magasins. En zone rurale, les clients ont des budgets plus modestes qu’à Figeac, ainsi, les offres proposées portent sur des formats types « colis ».
Les clients veulent de bons produits, frais, bon marché, recherchent la qualité et souhaitent être informés sur l’identité des producteurs. Dans les petits magasins on vend du sous-vide ou du pré emballé, ce n’est pas de la vente à la coupe. Mais ce sont les mêmes produits. Dans les plus petits magasins, les fruits et légumes ne sont pas en grosse quantité, et sont présents selon les saisons, pas comme ici. (Responsable « produits régionaux », 2013).
iii. Construction d’un modèle de commercialisation hybride Figure 6 : Structure des filières d’approvisionnement des produits des magasins Fermes de Figeac et coordination des activités
Source : Maffezzoli C., 2013
Trois types de filières permettent de construire une gamme complète de produits, respectant les critères de qualité et l’éthique des porteurs de la démarche.
Des circuits courts contrôlés par la coopérative, basés sur un système de confiance réciproque Dans la mesure où les produits souhaités sont disponibles sur le territoire, et que le producteur accepte ou désire travailler avec la coopérative, les responsables des magasins procèdent à un référencement et à une visite de contrôle sur le lieu de production des produits. L’application et l’évaluation des critères de la charte qualité, permets de s’assurer que le producteur, ses pratiques et les produits qu’il vend correspondent à l’éthique du modèle. Nous avons remarqué que la charte qualité reste flexible, dépendante d’appréciations empiriques de 56
la part des personnes chargées de son application. Dans le document de référence de la charte, peu de garanties sont sollicitées. Cela ne sous-entend pas qu’il n’y ai pas de garanties, cependant, ces garanties sont principalement issues de relations entre personnes, d’accords et d’engagements informels sur le respect des règles. Les critères sur lesquels insiste la charte sont : la proximité géographique du fournisseur par rapport au lieu de distribution des produits, la capacité de transparence dans l’information liée à la préparation des produits, le modèle agricole et agroalimentaire. L’approvisionnement des magasins est à la charge des producteurs. La coopérative effectue aussi un travail de répartition des produits entre les 5 magasins du territoire. Les trois magasins les plus importants, Figeac, Lacapelle Marival et Souseyrac essayent de travailler indépendamment. Pour le moment il y a une tournée tous les jeudis de produits régionaux. C’est un camion de la coopérative qui va livrer tous les magasins. À terme l’enjeu serait que chaque magasin soit autonome et ai ses propres livraisons, pour cela il faudrait avoir du volume. Le maraicher que nous avons rencontré livre ses produits au magasin de Figeac, qui sont ensuite répartis.
Des circuits de proximité Ce qui motive les éleveurs qui vendent leur viande dans les magasins de la coopérative c’est l’image, car il n’y a pas de valorisation du prix. La coopérative passe par un intermédiaire qui achète les bêtes aux producteurs et les fait abattre dans la région. La coopérative rachète ensuite les carcasses et les valorise dans ses magasins. Des informations sur les éleveurs sont visibles dans les magasins. Il n’y a pas de valeur ajoutée économique pour les éleveurs qui vendent leur viande dans les magasins de la coopérative. La valeur ajoutée vient du fait que l’éleveur est identifié par les consommateurs et que la viande est valorisée sur le territoire, par la coopérative. Tous les éleveurs ne peuvent pas en bénéficier, car les volumes sont trop faibles. Environ 6 à 7 vaches par semaine permettent d’approvisionner les boucheries des magasins Fermes de Figeac. La situation pose certains problèmes, car des « jalousies » entre éleveurs se manifestent. Nombre sont ceux qui souhaiteraient vendre leur viande dans les magasins. Le message diffusé aux clients met en avant que les animaux sont élevés localement et abattus localement. La traçabilité de la viande est promue par ce biais. Il n’y a pas de label pour la viande. D’après le discours des responsables de la coopérative, les clients en zone rurale n’attachent pas une réelle importance aux signes officiels de qualité, qui est substituée par des informations telles que : le nom de l’éleveur, le prix, la race, la qualité. Le prix de revente de la viande reste plus élevé que dans les autres commerces, aux alentours de 3-4 % par rapport à la concurrence. Les produits les plus accessibles sont des préparations bouchères comme la viande hachée et les saucisses.
Des circuits longs « éthiques » La marque Sens du terroir® qui a été créé par la coopérative Fermes de Figeac en 1997, a ensuite été reprise par la franchise Gamm vert France pour développer le concept au niveau national. La marque Sens du terroir correspond à un référencement de produits de qualité, typiques des régions et vendus dans les magasins Gamm Vert de France. L’approvisionnement se fait via des plateformes ou les colis de produits régionaux sont préparés puis distribués. Ce modèle de filière n’est pas basé sur une relation personnelle entre les producteurs et les revendeurs. Ce schéma s’apparente au fonctionnement des filières longues, valorisé via les marques de distributeur. La coopérative Fermes de Figeac, utilise cette filière pour tous les produits non disponibles sur le territoire. Cependant, entre la forme initiale mise en place lors 57
de la création de la marque et l’organisation actuelle de la filière, il n’y a plus en commun que le nom de la marque et certains produits qui ont été référencés par la coopérative. Cette filière ne fonctionne pas de façon optimale, les responsables des magasins Fermes de Figeac observent des irrégularités dans l’approvisionnement des plateformes et dans les livraisons de produits. La commande des produits en direct permet de régulariser les fluctuations sur cette filière.
58
Tableau 1 : Bilan de la coordination et des outils de médiation de la démarche collective Nouvelles pratiques La prospection fournisseurs, L’approvisionnement
Ressources mobilisées, partagées, compétences locaux, plateforme de Producteurs d’approvisionnement « Sens du terroir », traiteur, éleveurs, acheteur, organisation planning d’approvisionnement, matériel de transport (logistique)
Réseaux, type de relation
Formes de coordination, outils de médiation
Relations interpersonnelles, réseaux d’adhérents, proximité géographique,
Ajustement entre filières d’approvisionnement, gestion des volumes, adaptation de l’offre à la saisonnalité
Le contrôle de la qualité
Expert extérieur, compétences dans Réseau de conseil Mise en place d’un dispositif de contrôle : l’évaluation de la qualité, œnologie, Relations interpersonnelles (représentant charte, de document de référencement, visite des sécurité sanitaire, respect chaine du froid magasin/producteur exploitations, dégustations
La fixation des prix
Relevé de prix de la concurrence, Analyse de la concurrence élaboration des prix (achat + marge relation directe fournisseur – responsable intermédiaire) magasin, relation de confiance magasin-producteur
La vente
Animation communication
Compétences en communication, Relation commerciale, connaissance des attentes des clients, relation interpersonnelle consommateurvendeur producteuret Savoir-faire des producteurs, compétence Relation interpersonnelle de communication entre producteurs et consommateur, consommateurs, intéressement des Relation de confiance, consommateurs Proximité cognitive
Découpe et transformation Savoir-faire métiers d’artisanat, boucherie, viande de qualité, informations sur de la viande l’origine des produits, amélioration de la formation des artisans bouchers
Fixation libre du prix par le fournisseur, contrat ? Fluctuation prix de la viande selon le marché, peut de volatilité sur les produits non carnés Outil de commercialisation Coordination économique Communication, Animation
Réseaux d’éleveurs du territoire Peu d’éleveurs engagés dans cette filière Relation interpersonnelle artisans – Communication auprès des consommateurs consommateur, Relation indirecte éleveur-consommateur, filière de proximité
Source : Maffezzoli C., 2013
59
3. 1. 3. L’INSERTION
DE LA DEMARCHE DANS LE TERRITOIRE : UNE COOPERATIVE PAR PROJET, OU LA STRATEGIE DES ALLIANCES STRATEGIQUES
3.1.3.1. Insertion de la démarche dans les réseaux du secteur social i. Partenariat avec le CIAS, épicerie sociale et solidaire Depuis fin 2011 le Centre Intercommunal d’Action Sociale a créé une épicerie sociale et solidaire dans la ville de Figeac. L’épicerie sociale et solidaire est une réponse qui se veut complémentaire du caritatif. Cette action s’adresse aux ménages ayant des difficultés financières et un budget alimentaire restreint. Les familles payent 20 % de la valeur des produits en magasin. Un mécénat entre la coopérative Fermes de Figeac et le C.I.A.S a été établi avec l’épicerie sociale et solidaire. L’approvisionnement de l’épicerie reste auprès de la grande distribution, et les collectes de la banque alimentaire qui se localisent à Cahors, et dans une volonté de faire accéder à d’autres produits locaux, le partenariat avec les magasins de la coopérative permet d’approvisionner en fruits, légumes et de viande. Une fois par semaine, une personne de la coopérative Fermes de Figeac va expliquer aux bénéficiaires de l’épicerie sociale et solidaire, comment faire des repas équilibrés et bon marché. « C’est nous qui sommes allés vers la coopérative. La coopérative occupe bien le terrain, donc on sait ce qu’il se passe, moi je travaillais déjà avec la coop sur des chantiers de nettoyage du Célé, je me fournis à la coop. Et j’arrive à négocier au prix coutant. On a déjà quelques habitudes de travail ensemble, donc naturellement on verra ce qu’il se passera. C’est un partenaire comme les autres, mais qui n’est pas n’importe lequel. Parce qu’il y a cette dimension locale. On a 20 familles en file actives, bénéficiaires. 70 personnes, c’est à l’échelle intercommunale. » (Responsable du centre social de Figeac, 2013)
Le partenariat entre les deux organisations a été permit grâce à des relations préexistantes entre les porteurs du projet du centre social, le directeur de la coopérative et le responsable des produits régionaux boucherie des magasins Fermes de Figeac. La visibilité des actions de la coopérative au niveau du territoire a également facilité la création de cette nouvelle coordination. Dans cette logique les responsables de l’épicerie sociale et solidaire envisagent à court terme de repenser les achats groupés et de remettre en place des achats groupés avec la dimension supplémentaire qui n’existait pas il y a 40 ans, celle du circuit court.
ii. A.P.E.A.I : produits traiteurs L’A.P.E.A.I est une association présente à Figeac, dont le projet se décline en quatre grands thèmes : la personne handicapée, les établissements, la famille, l’association. Différents établissements composent cette association dont, l’ESAT L’abeille proposant des services d’aide par le travail (ESAT). Ce sont des établissements médico-sociaux qui offrent aux personnes adultes handicapées des activités à caractère professionnel. Un projet de partenariat entre la coopérative Fermes de Figeac et l’ESAT a été créé autour de la préparation de produits traiteur pour les magasins de la coopérative. Partant du constat que L’ESAT produit près de 2000 repas par jour et achètent leurs produits sur les filières conventionnelles, sans information sur la traçabilité, les administrateurs de la coopérative on cherchés à développer un partenariat « humain » avec l’association. À partir du 1er aout 2013, la coopérative va fournir 200 kg de viande par semaine à l’association et d’autres produits bruts. L’association va préparer les produits traiteur qui seront ensuite vendus dans les magasins. L’association propose également 60
un service de blanchisserie, dont la coopérative va également bénéficier. Au lieu d’envoyer les vêtements de travail du personnel de la coopérative à une entreprise de blanchisserie de Rodez, elle passera dorénavant par l’association pour ce service. Cette coopération est issue d’intérêts communs entre les deux organisations, leur permettant de se coordonner autour des ressources et compétences dont elles disposent respectivement, tout en valorisant l’économie locale et l’action sociale.
3.1.3.2. Émanation d’une démarche collective portée par le Pays de Figeac La démarche « Terres de Figeac, Mêlée Gourmande® », portée par le syndicat mixte de développement du Pays de Figeac à pour enjeux d’inciter la consommation de produits locaux et de construire avec les acteurs du territoire des voies de valorisation de leurs produits. L’émergence de l’initiative en avril 2010, a fait suite au nouvel axe de développement local par l’accompagnement des TPE à travers le projet RIDER en 2009, en partant de l’entrepreneuriat local puis, vers la distribution, et la production. Le syndicat considère que ces secteurs sont susceptibles d’être un facteur de développement local. Les objectifs de l’initiative collective sont doubles ; c’est une plateforme d’animation et de rencontre entre acteurs du territoire autour de l’alimentation de proximité et également une marque déposée de territoire. Un premier groupe de réflexion s’est mis en place, constitué par les représentants de la coopérative et du Pays de Figeac. Les objectifs suivants ont été validés par les acteurs suite à une succession de rencontres :
Améliorer les connaissances et les compétences alimentaires ; Valoriser les produits et les savoirs locaux ; Soutenir les innovations sociales ; Promouvoir les spécificités et les qualités territoriales.
En 2011 le groupe d’acteurs historique a validé le projet auprès des élus. La démarche se mit en place progressivement, incluant de nouveaux partenaires et participants, issus du monde du développement territorial, des catégories socio-professionnelles de la production, transformation, commercialisation alimentaire. En 2011, les acteurs de « Terres de Figeac, Mêlée gourmande » ont concrétisé la partie la plus difficile de leur mission… le véritable enjeu est de tisser des relations de confiance entre producteurs, intermédiaires et consommateurs afin de développer les activités économiques liées à l’alimentation sur le territoire… »(Charles Perraud, 2012)
La démarche réunit 7 familles, représentant les consommateurs, les producteurs, les transformateurs, les distributeurs, les métiers de bouche, les artisans, les collectivités locales. Chaque famille a développé un cahier des charges portant sur des critères spécifiques à son activité, suite à des sessions de dialogue et de négociations intrafamille. La gouvernance est coordonnée par deux collèges : un comité de suivi qui valide les nouvelles adhésions, les projets et un conseil de gouvernance qui apporte le consentement sur la décision du comité de suivi. Différentes actions ont été menées depuis le commencement du projet en 2011, sous la forme de panier de produits locaux, de carnet de recettes, de communication auprès des consommateurs, de soutien aux projets d’approvisionnement de la restauration collective, d’éducation au goût et aux produits d’antan, etc. La construction de cette plateforme stratégique de construction d’une gouvernance territoriale de l’alimentation a fait intervenir des experts 61
externes pour aider à la mise en place des cahiers des charges, à la coordination interne, et soutenue par une association, l’Adefpat32 apporte des compétences aux porteurs de projets en mettant à leur disposition des experts. « La construction d’un système alimentaire localisé, n’est pas faisable avec les outils classiques de diagnostics et d’état des lieux, c’était par le dire d’acteurs et l’animation que c’est mis en place le réseau et le dispositif de gouvernance multiacteurs… Entre la réflexion et la mise en œuvre concrète, il y a un pas à franchir qui est difficile. » (Véronique Thomasson, SMD, 2013)
Les visites de fermes, la création du groupe grillade ont été mis en place, dans le but de créer d’avantage de lieux de rencontre entre producteurs et consommateurs, et de se détacher de l’enjeu commercial.
3.1.3.3. Alliance stratégique entre la coopérative et Mêlée Gourmande pour le développement de projets i. Projet du groupe grillade Le projet « Groupe Grillade » vient de la volonté d’un administrateur de la coopérative Fermes de Figeac, membre de la démarche Terre de Figeac, Mêlée Gourmande, de valoriser l’image du métier d’éleveur et de la viande produite localement, auprès des consommateurs. L’enjeu est d’aller à la rencontre de la population en dehors des magasins. L’idée est née d’une visite au sein de la coopérative fromagère « Jeunes montagnes », dans l’Aubrac. Cette dernière a initié la structuration d’un groupe de producteurs chargés de faire des animations et dégustations autour de l’Aligot, pour faire connaitre le savoir-faire et les spécialités du territoire auprès des consommateurs. C’est sur ce modèle qu’un administrateur de la coopérative encadré par d’autres acteurs de la Mêlée Gourmande et soutenue par la coopérative, ont monté le projet du groupe grillade, en choisissant comme produit de référence la viande produite sur le territoire de Figeac. Le développement de ce projet a été accompagné par l’association de développement, ADEFPAT, dans les phases de réflexion, de structuration et de mise en action du projet. Le groupe, composé de l’administrateur de la coopérative porteur du projet et d’éleveurs. Ils proposent des plats à base de viande, de saucisses, de crêpes au blé noir et de légumes, lors d’événements gastronomiques, et de festivités locales. Le matériel de préparation est une plancha, leur permettant de préparer des spécialités locales. Le groupe opère durant la période touristique à l’occasion des marchés nocturnes, d’événements organisés par les élus de communes, etc. Les résultats sont positifs, tant du côté des consommateurs que des éleveurs. Cette communication directe permet aux éleveurs de rencontrer les consommateurs, et de parler de leur métier, la coopérative considère que ce sont les mieux placés pour en parler. Ce projet permet la création de nouveaux liens entre agriculteurs et consommateurs, favorisant les relations de confiance, mais également la compréhension des attentes, des pratiques qui leur sont propres. Cette initiative vient compléter les actions mises en place au sein des magasins et permet de diffuser l’image du territoire autrement que par les activités commerciales de la vente en boucherie.
ii. Visites de fermes : La clé des champs 32
« Association pour le développement par la formation des projets, acteurs, territoires. L’Adefpat, financée par la région, l’Europe, les conseils généraux du Lot, du Tarn et du Tarn-et-Garonne, est un outil efficace au service des initiatives individuelles et collectives au profil de l’activité et de l’emploi. » (www.ladepeche.fr)
62
Le projet de visite de fermes nommé « La clé des champs » est issue d’une demande des agriculteurs, d’améliorer la perception qu’ont les consommateurs de leurs métiers et d’une volonté de recréer du lien entre les producteurs et les consommateurs. Ce projet est mené par le partenariat entre la coopérative Fermes de Figeac, l’office de tourisme et les producteurs. L’association ADEFPAT est un acteur parti prenant dans la formation et l’accompagnement des producteurs dans la communication et dans l’amélioration continue de la démarche. Depuis 2010, le projet fonctionne et un réseau constitué de producteurs, de touristes, d’autochtones, d’association, de représentants de la coopérative et du pays, s’est constitué. Le réseau réunit des producteurs dont les pratiques sont vairées, à l’image des modèles agricoles et agroalimentaires que l’on rencontre au sein du territoire. Des producteurs sont issus du monde de l’agriculture conventionnelle, de l’agriculture biologique, d’autres ont des formes de production/transformation innovantes. Tous ont en commun la volonté de défendre l’image de l’agriculture, de parler de l’alimentation qui fait tant débat, de parler de leur métier qui est peu connu et ôter les images archaïques qui peuvent exister à propos de l’agriculture. Ils souhaitent à leur façon, montrer un métier moderne, inscrit dans son temps. Le groupe de producteurs change d’une année sur l’autre, mais reste réduit à environ 8 à 9 producteurs, ce qui permet de proposer aux visiteurs du panorama représentatif des modèles et stratégies agricole et alimentaire présents sur le territoire. Les résultats des évaluations effectuées les premières années du projet montrent que les préoccupations des visiteurs sont orientées vers les problématiques ; de protection de l’environnement, vers l’agriculture biologique, la provenance des animaux, les risques pour la santé. Ce sont les thématiques que l’on retrouve dans les médias, concernant le développement durable, les crises sanitaires, la certification et la traçabilité. Les coordinateurs du projet observent une déconnexion entre les préoccupations, enjeux et problématiques au niveau de la production et de la consommation. Les questionnements des consommateurs apparaissent comme décontextualisés de ce qui impacte sur les pratiques et les activités des producteurs. Dans le même temps, les producteurs se sont rendu compte qu’ils ne percevaient les réflexions menées par les consommateurs.
iii. Du projet de distributeurs de lait aux « passeuses de goût » La coopérative a mis en place un projet de distributeurs de lait cru en libre-service, au niveau des magasins. Une équipe d’éleveurs était en charge de faire des animations pour rappeler à la population que sur le territoire, le lait était produit et qu’il pouvait être consommé localement. Le projet a été abandonné, car le coût des distributeurs n’était pas rentable face à la petite quantité vendue. Le groupe qui s’occupait des animations a souhaité garder la logique d’animation qui leur convenait et s’est questionné sur la réorientation possible de leur projet. Parmi les animateurs du projet lait, il y avait des femmes d’administrateurs de la coopérative. Suite à une réflexion, la thématique du projet s’est orientée vers l’alimentation et la préparation des plats cuisinés. Un nouveau groupe de personnes s’est ainsi constitué par 6 femmes ayant des statuts différents ; agricultrices élevage de vaches laitières, salarié agricole, conjointe de collaborateur, gérante de chambres d’hôtes, et agricultrice en production de châtaignes. Ces 6 femmes ont été encadrées par l’association ADEFPAT pour aboutir à un projet partagé dont l’objectif est de créer un lien entre les producteurs et les consommateurs. Ce lien est matérialisé par la cuisine. Le public visé est varié, des enfants jusqu’aux adultes. La particularité du projet est d’aborder les ateliers avec une description des produits par le producteur, en présentant le mode d’élevage, les contraintes au niveau techniques, économiques, et financières, l’impact sur le territoire, etc. Aujourd’hui, la coopérative et le Pays parrainent le projet, mais les 6 femmes souhaitent préserver leur autonomie et leur indépendance vis-à-vis de la coopérative.
63
3.1.3.4. Analyse des liens entre la démarche collective et le territoire La présentation des différentes étapes allant des conditions d’émergence, de la construction de la démarche vers l’élargissement du réseau et l’entrainement des acteurs du territoire fait intervenir une diversité de liens. Nous allons tenter de différencier et de regrouper ces liens selon différents critères qui les caractérisent. L’aspect dynamique de ces relations doit également être appréhendé dans notre analyse. Les liens évoluent, et se structurent au cours du temps, des objets sont créés, de nouvelles coordinations apparaissent. Nous observons à travers l’exemple de la démarche collective initiée par la coopérative Fermes de Figeac, que des liens se sont construit suite à la mise en évidence de problèmes et de contraintes portant sur les activités économiques, sur les dynamiques sociales et culturelles du territoire. De nombreuses zones de fracture ont été révélées grâce aux études menées depuis les années 1994. Ces espaces ou trous structuraux ont été réfléchis par les acteurs du territoire afin de mettre en place des dispositifs et des outils, dont l’objectif est de recréer des liens. Des objets d’actions ont été déterminés par les acteurs du territoire autour desquels il y a des enjeux et des structures de coordination se mettent en place.
i. Les objets de l’action : objectifs visés Les objets autour desquels les acteurs se sont coordonnés portent sur :
La reconnexion entre agriculture et alimentation, Le développement local et la mise en place d’une politique alimentaire territoriale,
Les premiers liens qui se dessinent durant la phase d’émergence des projets sont des liens interpersonnels, entre des individus ayant une forte capacité d’action sur les réseaux et ressources du territoire.
ii. Des projets qui reposent sur des relations entre individus Nous remarquons que la mise en place de nouveaux liens repose essentiellement sur des relations interpersonnelles. Certains acteurs que nous identifiions comme des individus pionniers, ou initiateurs sont centraux dans la création de nouvelles relations. De par l’implication de ces individus dans de nombreux réseaux, et les ressources dont ils disposent à un instant t, ils se placent en position d’agir en vue d’un objectif particulier. Dans les espaces où il n’y avait pas de liens, la coopérative a su se positionner et créer des synergies entre acteurs. Ces relations ont été permises, grâce à la mobilisation de différents réseaux, informations et ressources. Les réseaux de conseil, les réseaux coopératifs, les relations d’amitié entre acteurs ont joué un rôle essentiel dans la coordination des projets menés sur le territoire.
iii. Nature type de liens créés par les différents projets de la coopérative Fermes de Figeac Une fois le projet développé, de nouveaux liens se créent. Ce sont les liens manquants, identifiés dans les objets visés par le projet.
64
Tableau 2 : Pratiques associées au type de liens recherchés entre les acteurs du territoire
Lien producteurs-consommateurs
Lien producteur-producteur
Animations en magasin, lien indirect à travers les produits, Visites à la ferme, Mêlée gourmande, groupe grillade Réseau des producteurs des visites à la ferme, bouche-à-oreille, communication de la coopérative, éleveurs du groupe grillade
Lien producteur-intermédiaire
Relation commerciale magasin Fermes de Figeac, rencontre à la ferme contrôle qualité
Lien intermédiaire-consommateur
Relation commerciale magasin Fermes de Figeac, communication et publicité
Lien coopérative-territoire
Réseau d’adhérents, promoteur de projets, transfert d’information (séminaire, rencontres), relations avec les pouvoirs publics, partie prenante Mêlée Gourmande, Terre de Figeac, acteur du club d’entreprises, projets associatifs,
Source : Maffezzoli C., 2013
Afin d’approfondir les liens qui se tissent avec le territoire, il semble intéressant de préciser les étapes du processus d’entrainement des acteurs du territoire vis-à-vis de la valorisation de l’alimentation locale. Figure 7 : Processus d’ancrage de la démarche collective dans le territoire
65
Etudes : Audit territorial
Production maraichère, recherche de plus d’implication des consommateurs dans la démarche
émergence d'une réflexion recherche de nouvelles opportunité + amélioration continue + légitimité des acteurs pionniers
Nouveau magasin, partenariat centre social, A.P.E.A.I
Réseau du monde coopératif + Sol & Civilisation identification et activation de ressources et nouvelles compétences + mobilisation des réseaux
prise de concience plus large + appropriation des problématique par de nouveaux acteurs
Directeur, président, producteurs pionniers, Création marque « Sens du Terroir », Boucherie d’éleveurs
construction d'un projet + constitution d'un groupe de "leaders"
Développement mêlée gourmande, création d’un réseau socio-technique
Prospective, changement de paradigme : coopérative de territoire reconnaissance des résultats + stabilisation du réseau socio-technique + élargissement du réseau
Séminaire circuits courts, création de la démarche mêlée gourmande
Concrétisation des stratégies + mise en oeuvre
enrolement + création de nouvelles pratiques + diffusion des informations vers le territoire
Développement filières courtes/proximité Animation, visites de fermes
formalisation de l'entité commune + construction d'outils de médiation
Conseils stratégiques, voyages d’étude, expert extérieur, charte qualité
interessement des acteurs + négociation + communication
Source : Maffezzoli C., 2013
66
3. 1. 4. QUELS
IMPACTS DE LA DEMARCHE COMPLEMENTARITE ET CONCURRENCE
COLLECTIVE
? ENTRE
3.1.4.1. Réajustement des relations entre acteurs au sein de la démarche Terre de Figeac, Mêlée Gourmande Nous prendrons le cas de la démarche collective Terre de Figeac, Mêlée Gourmande, pour illustrer les jeux d’acteurs sous-jacents à la mise en place d’une politique alimentaire territoriale. Notre étude s’est concentrée sur le rôle que joue la coopérative Fermes de Figeac d’une part, dans la structuration des échanges économiques autour de la vente de produits locaux et d’autre part dans la création de liens. La volonté de faire participer l’ensemble des acteurs du territoire a fait émerger chez certains producteurs, participant à la démarche, l’impression que le projet était « fait pour la coopérative Fermes de Figeac ». Suite au séminaire sur les circuits courts et de proximité à Figeac en mai 2011, la position de la coopérative dans la démarche a été questionnée. La coopérative est effet très dynamique et impliqué dans les projets territoriaux. Cependant, tous les acteurs n’ont pas de capacité d’innovation et de franges d’investissements comparable à la coopérative. Or l’enjeu de la démarche était d’appuyer ce type d’acteur et de mettre en situation de dialogue l’ensemble des partenaires. Suite à ces remarques, la coopérative s’est repositionnée au sein des familles d’acteurs. Ce repositionnement a eu plusieurs effets. D’une part il facilité le dialogue entre acteurs moins pro-actifs que la coopérative, et étant à des stades moins avancés dans les projets ou les réflexions face aux problématiques qui leur sont spécifiques. D’un autre côté, le retrait substantiel de la coopérative et le départ de la directrice du Syndicat Mixte ont été associés à un ralentissement du processus de construction de la démarche. Nous ne pouvons pas conclure qu’il y ai un lien direct entre ce réajustement de pouvoir et la dynamique de la démarche, cependant ces acteurs étaient pionniers dans les réflexions et moteurs d’initiatives concrètes sur le territoire. La démarche menée par la coopérative Fermes de Figeac, en son nom, sur le territoire, est associée à une gouvernance propre à la coopérative et à une forme de coordination que nous avons détaillée dans la présente étude. Cependant, la mise en place d’une gouvernance alimentaire, portée par les représentants des pouvoirs publics suit une logique différente. On remarque que les acteurs du territoire sont inclus et qu’ils ont co-construit le dispositif de gouvernance à travers ; une succession de rencontres, de débats, de discussions ayant abouti à la création d’un projet commun. Des outils ont été développés par les parties prenantes, sous la forme de cahiers des charges, spécifiques à chaque famille. Les deux démarches portent sur les mêmes objets d’action, mais on remarque que les pratiques de coordination et de gouvernance différentes sur certains points. Le propos ci-dessous illustre l’enjeu pour les acteurs de s’approprier les problématiques du territoire, en cherchant à faire émerger des idées qui leur sont propres. « Ça n’est pas parce qu’il y a une organisation puissante dans sa capacité à investir et qui a beaucoup d’idées que l’on ne doit pas générer nos propres idées. Et c’est comme ça que l’on prendra une certaine forme d’autonomie et de collaboration. »
« L’activation de ressources considérées comme “bien collectif”, conjugué à la multiplication des projets… et d’instances politiques, amène les acteurs à entrer en négociations pour l’usage des ressources territoriales. Des recombinaisons et des alliances s’organisent autour de la gestion des ressources du territoire. » (Touzard, 2010). Les enjeux 67
liés aux différentes formes de coordinations mobilisant des ressources territoriales ont amené les pouvoirs publics à se positionner comme une entité légitime d’accompagnement des acteurs, dans la gestion « démocratique » de ces ressources, et d’établissement de référentiels de coordination autour d’objets d’action comme la « qualité » et la « proximité ». La mise en place d’une politique alimentaire territorialisée et sa déclinaison en actions est un projet de long terme, devant être reconnue par l’ensemble des acteurs et institutions territoriales, pour se révéler légitime. À l’instar des actions menées par la coopérative, les acteurs de la démarche Mêlée Gourmande cherchent l’intéressement et l’enrôlement de nouveaux partenaires et la mise en place d’actions concrètes répondant à leurs attentes. En 2013, les coordinateurs de l’initiative ont fait appel à une personne en charge de l’animation, de la concertation entre partenaires de la démarche, de mener des études et diagnostics, préalables au développement afin d’orienter le développement de projets autour, de la restauration collective, la diversification de la production, ou la création d’outils de transformation collectifs. La démarche de la coopérative et du pays se révèlent complémentaires, par le fait que la coopérative est une entité motrice de l’innovation technique et sociale, au sein du territoire, dont la capacité d’action, tant en termes de dynamisme et d’envergure des projets, permet de faire changer les mentalités et d’inciter de nouveaux acteurs à s’engager dans le changement. La démarche Terre de Figeac, Mêlée Gourmande est là pour accompagner le changement, en fonction des ressources et des compétences des acteurs concernés. C’est également une plateforme de mise en réseau, un lieu de rencontre facilitant le dialogue, la négociation et le passage à l’acte. Ce dispositif est dans une dynamique différente de la coopérative étant donné qu’il n’a pas vocation à proposer des services, mais à co-construire des projets impliquant des acteurs n’ayant pas coutume de coordonner leurs activités. Les deux entités ont pleine légitimité dans leurs actions respectives, impactant positivement sur le territoire. Nous nous questionnons sur l’évolution du mode de gouvernance de la coopérative, à savoir, le degré d’implication des adhérents dans les projets « coopératifs » et l’évolution du mode de management de cette structure. En presque 20 ans, la coopérative est passée d’une structure locale spécialisée dans l’approvisionnement comptant 8 employés, à une structure territoriale, de 120 employés engagés dans de nombreux projets transversaux.
3.1.4.2. De nouvelles stratégies de diversification des débouchés pour les producteurs et une reconnaissance du métier i. Complémentarité entre vente directe et vente en magasin Les producteurs faisant partit de la démarche collective mise en place par la coopérative ont des profils divers, certains pratiquent la vente directe sur les marchés pleins vent, ou à la ferme dans le même temps qu’ils commercialisent leurs produits à des intermédiaires en circuits courts. D’autres allient filières longues et filières courtes, d’autres cumulent vente directe, circuits courts à 1 intermédiaire et filières longues. Chaque producteur met en place une stratégie de commercialisation spécifique à l’organisation de son système de production/transformation, aux ressources dont il dispose, au volume et type de produits qu’il doit commercialiser. De manière générale, les producteurs cherchent à diversifier leurs débouchés de façon à sécuriser leurs ventes pendant toute l’année. Au niveau de la commercialisation, les producteurs en circuits courts se distinguent des producteurs dits « conventionnels » travaillant avec un acheteur, en filière longue. Cette étude s’est également intéressée aux producteurs hors circuit court, pratiquant l’élevage bovin pour la vente de lait et de viande. Ces agriculteurs commercialisent l’ensemble de la production à un seul acheteur et ont choisi une organisation sous forme sociétale, tels que les GAEC. Une minorité d’éleveurs 68
vendent des bêtes pour les boucheries des magasins des Fermes de Figeac. Pour ces éleveurs, la vente en filières de proximité n’implique pas de changement significatif dans l’organisation du travail du système de production, puisque les bêtes sont achetées par la même intermédiaire que pour les filières « conventionnels ». Les différences portent sur des aspects sociaux, et la création de nouveaux liens avec la coopérative et les consommateurs. L’ensemble des agriculteurs travaillant en vente directe et en circuits courts travaillant avec la coopérative Fermes de Figeac, ont insisté sur la complémentarité qu’il existe entre la vente directe et la vente à un intermédiaire en circuit court. En effet, le volume capté par l’intermédiaire leur permet de dégager du temps de travail pour d’autres activités. Nous sommes allés à la rencontre d’un couple d’éleveurs de volailles maigres, récemment installés et pratiquants principalement la vente directe à la ferme et sur les marchés pleins vent. « On est très tributaire du temps par ce que l’on fait les marchés. Cet hiver, il y a eu de la neige, on n’a pas pu aller sur les marchés, ou alors les clients ne sont pas présents. Pour chaque type de saison, il y a des contraintes. Les kilomètres ça compte beaucoup et une clientèle ça se fait en un certain temps, il faut trois ans pour commencer à voir le fruit de son travail sur les marchés. Le bouche-à-oreille est très important, l’assiduité, ça compte. Vendre une partie de notre production au magasin Fermes de Figeac ça fait du volume, ça permet d’écouler des poulets » (Eleveurs de volailles maigres, Lacapelle-Marival, 2013)
Pour des producteurs récemment installés et vendant en circuits courts, les conditions de travail sont contraignantes. En zone rurale les freins sont nombreux du fait de la distance à parcourir pour rencontrer les consommateurs et le nombre de marchés qu’il faut faire pour écouler la production. La vente d’une partie de la production à un intermédiaire apparait comme une opportunité pour les producteurs, à la condition que le prix d’achat leur soit profitable. La proximité géographique entre leur exploitation et les magasins leur permet de réduire la charge de travail liée à la logistique d’approvisionnement. D’un point de vue éthique, technique et économique, les magasins sont perçus comme des débouchés complémentaires aux autres circuits de distribution des producteurs. « La vente directe, je veux la garder, car les deux marchent ensemble, c’est-à-dire que c’est complémentaire. La vente directe et la vente indirecte. Les gens que je rencontre le samedi au marché, s’ils veulent acheter d’autres produits ils peuvent aller au Gamm Vert. Ou venir à la ferme. On fait des animations, des fermes ouvertes, des marchés festifs, pour se faire connaitre, et tout ce travail même s’il n’y a pas de grosses ventes, c’est important. C’est porteur, car derrière ça entraine des ventes. » (Éleveur de porc sur paille, Ferme Lou Secadou, 2013)
ii. Reconnaissances du métier Des lieux de rencontre ou la reconnaissance du métier sont possibles Le métier d’agriculteurs présente de nombreuses contraintes liées à la charge de travail, à leur dépendance vis-à-vis des aléas climatiques, à la faible valorisation du prix des matières premières sur les filières conventionnelles. Historiquement, le métier de paysan n’était pas perçu par le reste de la population comme un statut honorable. La rencontre avec les agriculteurs a révélé les conditions dans lesquelles ils évoluent et l’isolement géographique ne facilite ni la communication ni la compréhension par les consommateurs des contraintes auxquelles ils font face. Parmi les agriculteurs que nous avons interviewés, pratiquant la vente 69
directe, ou indirecte en circuit court, on remarque que la rencontre avec les consommateurs sur les marchés pleins vent, lors des visites de fermes, ou lorsqu’ils participent à des événements festifs autour de l’alimentation leur apporte une grande satisfaction et le sentiment d’être considéré pour la valeur de leur travail et la qualité des produits qu’ils transforment. L’enjeu social, de la vente en circuits courts ou de proximité, du point de vue des agriculteurs, passe par le partage d’un certain nombre de valeurs, et d’informations liées à leurs pratiques. L’intérêt porté par les consommateurs aux spécificités historiques, culturelles et aux caractéristiques des produits impacte positivement sur les agriculteurs. Il est difficile pour des agriculteurs ne pratiquant pas la vente directe ou indirecte, de trouver des lieux de rencontre ou l’échange serait possible avec les consommateurs, mais également les acteurs du territoire. L’ensemble des actions menées sur le territoire, par la coopérative fermes de Figeac, à travers les magasins, les animations de producteurs, le groupe grillade, ou par le syndicat mixte de développement, à travers la mêlée gourmande, l’initiative des « Passeuses de goût », les visites de ferme « La clé des champs » sont l’occasion pour les producteurs de communiquer sur leur métier et d’être directement impliqués dans une dynamique territoriale. La participation des agriculteurs à des animations leur offre l’opportunité d’être pro-actifs dans les changements de mentalité, et de leur donner un rôle de premier plan au sein de leur territoire. Ces formes de reconnexions entre la production et les enjeux de l’alimentation permettent aux agriculteurs d’être leur propre porte-parole des enjeux et contraintes de leur système, par rapport aux modèles « classique » d’une interprofession ou d’intermédiaires parlant au nom des agriculteurs sur la scène politique.
iii. Pérennisation des initiatives individuelles et renforcement des pratiques L’analyse des données fournies par les agriculteurs s’étant reconvertis dans la transformation et pratiquant la vente directe et indirecte en circuits courts nous a permis de faire ressortir les leviers sur lesquels les producteurs agissent pour faciliter la gestion des activités. Figure 8 : Gestion des activités de production-transformation-commercialisation des producteurs travaillant en circuits courts
• Recherche d'autonomie dans la production des matières premières •Travailler sur la qualité de la matière première •Ajuster volume de production aux besoins en aval •Dégager du temps de travail/créer des emplois
système de production
Source : maffezzoli C., 2013
Processus de transformation •créer un outil individuel ou collectif de transformation •Identifier les produits d'appel •Rechercher la qualité et le savoir-faire •Constituer un stock •régulariser /rationaliser les volumes par rapport au seuil de rentabilité
•Optimiser la logistique/ choix des clients •Diversifier les débouchés / sécuriser les ventes •Capter la valeur-ajoutée •Fidéliser la clientèle
logistique comercialisation
Gestion de la filière = nouvelles pratiques 70
La gestion des filières courtes par des producteurs individuels, en collectif, est une autre manière de raisonner un système de production. Le temps de travail est réparti sur trois groupes d’activités, les finalités sont différentes et la valeur ajoutée n’est pas captée grâce à des économies d’échelles, mais à la valorisation de la qualité et la vente d’un produit élaboré. De nombreux changements impactent sur les systèmes agricoles pour les producteurs choisissant la voie de la transformation et des circuits courts.
« Le système a été modifié, car nous étions sur lisier, mais on est sur fumier, litière accumulée, en paille, car tout cela est un raisonnement sur l’exploitation, quand on a arrêté le lait cela fait deux ans, donc toutes les surfaces que l’on avait consacrées aux vaches je les ai consacrées aux céréales pour les cochons parce que je veux mettre en place ce système en autonomie complète. Pour cette année on va essayer de caller les productions sur les besoins, et cela nous permettra de tracer tout de A à Z et de garantir des coûts moindres pour l’exploitation… Je préfère réduire mon volume et arriver sur un système complètement autonome, la avec un élevage de 15 truies on a un chiffre d’affaires qui équivaut à un élevage de porc engraissage de 70 porcs en industriel. On a des plusvalues en plus. » (Éleveur de porcs sur paille/transformateur/vente directe, 2013)
Nous remarquons avec l’exemple de cet éleveur de porc sur paille, qui a créé avec 5 autres éleveurs un laboratoire de transformation, les impacts du changement de trajectoire commerciale sur la gestion du système d’élevage et de production. La rentabilité de son système n’est plus basée sur la productivité, mais la qualité de la viande. Le développement d’une nouvelle activité lui a permis de substituer l’élevage de vaches laitières par la transformation de la matière première. Pour les agriculteurs n’effectuant pas de transformation, mais pratiquant la vente directe et en circuits courts, des différences s’observent également par rapport aux modèles orientés filières longues. L’exemple du maraichage illustre Ces différences de stratégies. « La vente en circuit court c’est aussi une ligne de conduite sur l’exploitation, et de changer d’objectif de commercialisation, ce n’est pas donné à tout le monde et ce n’est pas évident. Pour travailler avec des magasins il faut avoir des approvisionnements réguliers, donc ça veut dire un certain volume, donc on ne peut pas s’éparpiller à faire 50 000 productions. Pour maitriser les volumes et la régularité, ce n’est pas simple, c’est toute une organisation agricole. » (Maraicher de la vallée du Célé, en circuits courts avec les magasins, 2013)
Ce maraicher travaille avec les magasins Fermes de Figeac et Leclerc (Alliance Leclerc) en approvisionnement direct. Il nous explique que selon le circuit de commercialisations choisi ; le volume de production, le nombre de productions et l’organisation de l’approvisionnement sont différents. Au vu des enjeux de la gestion d’un système de commercialisation en circuits courts, l’intérêt pour les producteurs de travailler avec un intermédiaire comme les magasins de la coopérative est non négligeable. Cela leur permet d’assurer la vente d’une partie de leur production localement, n’impactant pas de façon significative sur la logistique d’approvisionnement. L’image de leurs produits est valorisée sur le territoire, auprès d’une clientèle qu’ils rencontrent sur les marchés pleins.
71
3.1.4.3. Entre démocratisation du concept de circuit court et concurrence aux commerces locaux i. Des circuits courts « ouverts » aux agriculteurs en agriculture conventionnelle La démarche de la coopérative a su mettre en mouvement les acteurs du territoire et initier un changement de mentalité, ou comme nous l’entendons fréquemment ; un changement de paradigme. Initialement, de nombreuses idées reçues étaient présentes dans l’esprit des producteurs à propos des circuits de proximité et circuits courts. Les circuits courts étaient pratiqués par des producteurs vendant sur les marchés plein-vent ou par des producteurs en agriculture biologique. Aujourd’hui, le constat montre que de nombreux producteurs historiquement en agriculture « conventionnelle », d’élevage, se sont approprié le modèle des circuits courts. La coopérative quant à elle, s’est positionnée en tant qu’intermédiaire économique, de services et relai des informations. L’envergure de la démarche et le travail de communication effectué par la coopérative, permets de la rendre visible sur l’ensemble du territoire et bien au-delà, dans les réseaux régionaux, nationaux. Le fait qu’un acteur du monde agricole, « conventionnel » se soit engagé dans cette démarche a permis de rompre avec les stéréotypes associés aux circuits courts, et de faire prendre conscience aux agriculteurs « conventionnels » que la valorisation des matières premières leur est également accessible. Le discours et les pratiques de la coopérative mettent en évidence que les circuits courts ne sont pas « La solution » de remplacement des filières longues ou des modèles agricoles extensifs, mais bien complémentaires.
i. Un accès encore limité pour les éleveurs Nous venons de montrer qu’un intermédiaire comme la coopérative peut créer des opportunités de marchés, de nouvelles voies de communication et de visibilité des produits locaux auprès des consommateurs et valoriser le travail des agriculteurs. D’un autre côté, la démarche entreprise par la coopérative, malgré le nombre de magasins qu’elle a construit sur le territoire reste limitée dans son accessibilité pour les éleveurs. Aujourd’hui, la coopérative achète 6 à 7 vaches par semaine à des éleveurs locaux, permettant à une minorité d’éleveurs, adhérents de la coopérative d’en bénéficier. Qui sont les éleveurs qui bénéficient de ce circuit de proximité ? Quelles sont les plus-values de la démarche pour les autres éleveurs ? Nous savons que la valorisation de l’image de certains adhérents a généré des jalousies auprès des autres éleveurs, aussi nous nous questionnons sur l’impact de cette initiative sur la cohésion entre les adhérents de la coopérative.
ii. Un intermédiaire concurrentiel face aux commerces locaux L’insertion de la démarche de la coopérative dans le territoire est source d’innovation et de dynamisme local. L’ouverture des magasins a permis à des producteurs de valoriser leur production et compétence. Cependant, il ressort de l’analyse des entretiens que les magasins représentent pour les commerces locaux un concurrent de taille. En effet, les moyens dont dispose la coopérative ne sont pas comparables aux ressources que peuvent mobiliser des producteurs individuels, des commerçants ou des artisans indépendants. D’une part, la coopérative est créatrice de synergies et d’alliances avec certains acteurs du territoire, comme des producteurs, des artisans, le centre social de Figeac, et l’A.P.E.A.I,, mais contribue d’un autre côté à déstabiliser des commerces locaux en situation de précarité ou de difficulté économique. Le nouveau magasin Fermes de Figeac, ouvert en 2013 dans la ville de Lacapelle-Marival, inclu un restaurant, or, dans cette ville d’environ 6000 habitants, les restaurateurs s’inquiètent des impacts de l’ouverture du restaurant sur leur activité. Il nous semble important de relativiser les impacts que peut produire l’insertion de la 72
démarche dans le territoire. Il est difficile pour les initiatives individuelles de faire face à un acteur tel que la coopérative. L’une des principales menaces, c’est le fossé qui se creuse entre des démarches collectives fortes, car elles ont abouti à des signes de qualité, à une reconnaissance, et les démarches individuelles, et donc l’absence de contact entre ces deux univers-là creuse des fossés, amène des incompréhensions, et empêche ensuite des partenariats qui pourraient être possible par ailleurs. (Perraud, 2013)
3.1.4.4. Les freins et limites du développement des circuits courts et de proximités sur le territoire de Figeac i. Quelles stratégies pour dynamiser l’agriculture et diversifier la production à destination des filières courtes ? Plusieurs constats apparaissent lorsque l’on se questionne sur les stratégies de dynamisation de l’agriculture et d’attractivité du territoire pour les jeunes agriculteurs. La problématique de maintien des exploitations et d’installation de jeunes agriculteurs est au centre des réflexions pour tous les acteurs du secteur agricole du Pays. 78 % de la population active agricole à plus de 40 ans. Les enjeux de reprise entre 5 à 10 ans concernent 29 % des agriculteurs, et 49 % entre 10 à 20 ans33. Il est actuellement difficile pour de jeunes agriculteurs d’accéder au domaine foncier et ainsi initier de nouvelles activités agricoles. Le maraichage apparait comme un enjeu stratégique pour le développement de l’alimentation locale. Or le nombre de maraichers et les volumes produits sur le territoire ne suffisent pas à couvrir les besoins des consommateurs. L’approvisionnement est effectué par des maraichers des territoires voisins. Une stratégie pensée par les acteurs du territoire est de permettre l’installation de jeunes agriculteurs en maraichage, et développer les débouchés locaux. Malgré une topographie et un climat adaptés à la production maraichère, l’installation de jeunes agriculteurs apparait fortement compromise par la pression foncière. L’enjeu est aujourd’hui, de permettre de développer de nouveaux systèmes de production sur un territoire ou les terres n’est pas disponible. Une solution a été mise en avant par la coopérative Fermes de Figeac, et consiste en la mise en place de nouvelles cultures, au sein de moyennes et grandes exploitations d’élevage. Les propriétaires n’ont pas à vendre, ni à louer leur foncier, mais, de créer des emplois pour les productions annexes tels que le maraichage, l’élevage de volailles, ou encore des activités de transformation. Cette initiative n’a pas valeur de solution généralisable, mais, illustre le fait qu’il existe des alternatives même temporaires aux problématiques d’installation, permettant de développer de nouvelles productions sur le territoire. Le processus de négociation sur la gestion terres, est un enjeu pour le territoire, mobilisant l’ensemble des acteurs, autour de la question « Que voulons nous pour le territoire de demain ? », « Comment construire une agriculture adaptée aux besoins ? ». Les exploitants agricoles sont responsables du choix de l’orientation de leur système de production et des usages de leurs foncier, cependant, des acteurs comme la coopérative, la chambre d’agriculture, ou les pouvoirs publics, ont la capacité d’influencer et de négocier avec les agriculteurs en cherchant des solutions de type « gagnant gagnant ». Le groupe de réflexion territorial sur la transmission et la reprise des exploitations agricoles, réunies actuellement l’ensemble des acteurs du monde agricole autour de la même table. Mêlant les représentants des agriculteurs, dont les systèmes de production, sont basés sur des référentiels différents, et ayant des objectifs parfois divergeant. La construction et le développement d’un système agroalimentaire localisé 33
Source issue du SCOT, atelier n° 1, Pays de Figeac, 2013.
73
débutent par une réflexion sur l’orientation donnée à l’agriculture.
ii. Un bassin de consommation limité : Penser la complémentarité entre débouchés locaux et extra territoriaux Sur ce territoire rural, les pôles de consommation sont limités par une population dispersée au sein d’un maillage de bourgs et de villes secondaires de faible densité. Comme nous l’avons observé dans les différents exemples et cas de producteurs en vente directe ou indirecte, la commercialisation de produits alimentaires requiert de parcourir de longues distances. De nombreux producteurs font le choix de sortir du territoire pour trouver des débouchés plus rémunérateurs, soit en vendant à des grossistes, ou semi-grossistes, soit en vendant en direct, mais dans des pôles urbains plus importants que Figeac où ils peuvent valoriser les produits du terroir. La coopérative Fermes de Figeac a développé ses magasins sur l’ensemble du territoire, cherchant à se rapprocher des consommateurs ruraux, et créer des synergies au sein de son propre territoire. Nous observons que le nombre de producteurs impliqués dans la démarche de la coopérative reste limité. Entre 30 et 40 producteurs pour la vente de produits locaux hors boucherie, et un nombre plus faible pour l’approvisionnement des boucheries, correspondant à la valorisation de 6 bêtes par semaine. Face à l’enjeu d’inclure un plus grand nombre de producteurs locaux et de permettre aux producteurs installés en circuits courts d’augmenter leur production, il y a nécessité de trouver de nouveaux débouchés, soit sur le territoire, soit en dehors du territoire. Dans toute démarche collective de vente de produits sur un marché spécialisé, arrive un moment où le réseau se stabilise, le groupement de producteurs est constitué et permet d’assurer la demande des clients. Cet effet « club » ne permet plus d’accueillir de nouveaux producteurs et peut faire émerger une impression de « fermeture du réseau ». Nous observons que la dynamique des magasins de la coopérative pourrait entrer dans cette situation, car la vente des produits est limitée par la consommation locale. Le cas des boucheries d’éleveurs de la coopérative met en évidence que certains éleveurs se sentent « exclus » de la démarche et souhaiteraient pouvoir valoriser leur viande dans les magasins. Deux types de stratégies complémentaires pourraient permettre de développer le marché des circuits courts et de proximité et ainsi valoriser l’identité du territoire au sein de celui-ci et en dehors. En premier lieu, des liens se créent au sein du territoire, et permettent de créer une dynamique collective, reconnue pour les plus-values générées. La coopérative Fermes de Figeac, aux côtés des acteurs du Pays contribuent à travers les initiatives, comme les magasins et la démarche Terres de Figeac, Mêlée Gourmande, à générer des dynamiques locales et accompagner les producteurs dans la recherche de débouchés, dans la communication entre producteurs et consommateurs, entre corps de métiers. En second lieu, la recherche de débouchés porteurs et la volonté de valoriser le travail collectif en dehors du territoire, peuvent être associées à la diffusion de l’image du territoire sur des marchés départementaux, voir régionaux. « La construction d’une image collective passe par la perception des acteurs externes et la coordination interne. » (Perraud, 2013). La stratégie de sortir de l’échelle microéconomique, vers une échelle mésoéconomique, prend un sens lorsque l’identité du territoire est construite sur des liens de confiance et un réseau stabilisé. L’attractivité du territoire et sa reconnaissance, passent également par la capacité de faire connaitre et d’intéresser autour de « sois ». L’objectif de faire « vivre » le territoire ne se limite pas seulement à développer les liens internes, mais revêt un double objectif, consistant à diffuser l’image culturelle, construite par les acteurs, et rendre le territoire compétitif dans d’autres lieux.
74
3. 2. CHAPITRE 2 : LOIRE-ATLANTIQUE, CAS D’UN ATELIER DE DÉCOUPE ET D’UNE LEGUMERIECONSERVERIE 3. 2. 1. DIAGNOSTIC DU TERRITOIRE ET DEVELOPPEMENT AGRICOLE 3.2.1.1. Un maillage territorial dense En Loire-Atlantique, la diversité des filières agricoles représente un bassin d’emplois directs et indirects important. Le chiffre d’affaires généré par l’agriculture représente plus de 1 milliard d’euros, repartit sur trois filières. L’élevage bovin viande et lait représente 42 %, le maraichage 14 % et la viticulture 10 %. La pression générée par croissance démographique est de l’ordre de 13 500 habitants chaque année dû à l’arrivée de population et de naissance. Cette augmentation impacte sur la consommation des terres agricoles, et représente un bassin de consommation permettant de valoriser les productions locales. La Loire-Atlantique est le 1er département français en surface de production de produits issus de l’agriculture biologique. Le contexte spatial, social, humain et éducatif de la région des Pays de la Loire est dynamique et moteur de l’économie régionale. Le territoire s’articule autour d’une armature urbaine constituée d’une métropole de grande taille ; Nantes Saint-Nazaire, et de villes moyennes bien réparties sur le territoire et qui constituent des relais pour l’accès aux services et équipements pour des populations issues des petites villes et espaces ruraux. Le territoire est structuré autour d’infrastructures de transport diversifiées, qui contribuent à sa compétitivité économique. L’agriculture et l’agroalimentaire sont des secteurs clés pour le département de LoireAtlantique, avec une des filières de productions animales, mais également des productions végétales diversifiées. L’agriculture est structurée autour de grandes structures coopératives encadrées par des syndicats agricoles actifs dans le domaine politique et stratégique. Le réseau des coopératives agricoles est fortement développé sur le territoire. Notons que depuis 2000 les trois structures historiques ; CANA, CAVAL et CGA se sont regroupées en union sous le nom de Terrena s’appuyant sur 22 000 agriculteurs et rayonnant sur 4 départements de la région. La forte mobilisation de confédération paysanne et de la FNSEA, mettent en évidence des clivages historiques entre agriculture paysanne et agriculture dite « libérale ». « La vie syndicale agricole de Loire-Atlantique constitue un cas un peu particulier en France, mais de ce fait exemplaire : les contradictions du monde paysan s’y expriment au grand jour dans des clivages syndicaux complexes qui traduisent aussi la diversité du milieu agricole de ce département. »(Peyron, 1992). Les circuits courts alimentaires n’ont pas connu un fort développement, contrairement à l’agriculture biologique. Suite à la succession des crises sanitaires, financières et face à la concurrence internationale sur les marchés des matières premières et de la viande bovine, les acteurs intentionnels et associatifs du monde agricole se sont engagés dans un processus de réflexion et de remise en question du fonctionnement des exploitations agricoles. Fortement tournées vers un modèle « dit « productiviste », les mutations agricoles connaissent certaines limitations. Le monde rural a été touché par la succession des crises depuis le milieu des années 1990, associé à la prise en compte des conséquences environnementales de modèles agricoles, de nouveaux modes de pensée ont émergé. Le conseil général des Pays de LoireAtlantique, les chambres consulaires et les réseaux des associations de développement agricole, cherchent à redonner aux exploitants les moyens de soutenir leur production et sécuriser leurs 75
débouchés. La recherche de valorisation de l’économie et d’emplois durables autour de l’alimentation de proximité a émergé à partir de 2010, au niveau des institutions régionales et départementales. Les principaux objectifs ont été dans un premier temps de trouver des référentiels d’encadrement des projets et des outils d’accompagnement au développement. Du côté de l’artisanat, des métiers de l’alimentaire et plus particulièrement de la boucheriecharcuterie, le secteur a souffert de nombreuses crises. Depuis près de 30 ans, le nombre de boucheries-charcuteries est passé de 380 établissements à environ 150 aujourd’hui 34. Les organisations interprofessionnelles de l’artisanat se mobilisent également pour répondre aux attentes des professionnels. L’enjeu actuel porté par la chambre des métiers de l’artisanat porte sur les thématiques d’évolution du métier et de la formation des jeunes et la recherche de modèles innovants de coopérations entre artisans et de partenariat entre les artisans et les éleveurs. Les freins à la coopération sont multiples et le cloisonnement entre le monde agricole et de l’artisanat ne facilite pas les synergies territoriales. Au niveau local, on observe l’émergence d’initiatives pionnières en matière de coopération artisans-éleveurs. Les acteurs cherchent à se réapproprier des outils d’abattage, de découpe et de transformation.
3.2.1.2. Contexte de développement de l’économie de proximité Les circuits courts représentent 3 à 5 % du volume alimentaire produit. Différents modèles agricoles coexistent sur ce territoire, l’agriculture paysanne, défendue par des organismes tels que Cap44, Terroir 44, considère avec intérêt les enjeux du développement des démarches collectives en circuits courts ou de proximité. Depuis 2009, suite au plan Barnier, au Grenelle de l’environnement, les acteurs institutionnels de la région et des départements, tels, le conseil général des Pays de la Loire, les chambres consulaires, d’agriculture, des métiers de l’artisanat cherchent à construire des référentiels et promouvoir « la proximité ». À l’image de la diversité des modèles agricoles, le département se caractérise par la mobilisation d’un panel d’acteurs, publics, associatifs, des interprofessions agricoles et de l’artisanat, autour de la problématique alimentaire. Chaque structure porte une stratégie et des moyens d'actions qui lui sont propres. Nous nous intéressons au cas de la Loire-Atlantique, car les circuits courts revêtent une dimension politique forte, nous permettant d’analyser les enjeux politiques, ou stratégiques d’une prise de position sur la thématique des filières courtes. Les questionnements politiques ont émergé suite au Grenelle de l’environnement et se sont renforcés avec la conjoncture agricole faisant fait de la fragilisation des filières et de la concurrence internationale. L’enjeu de reprendre en main l’organisation des filières, de capter la valeur ajoutée des produits alimentaires et de rapprocher producteurs et consommateurs ont initié les réflexions sur la relocalisation de l’agriculture par rapport aux services rendus pour le territoire. Le développement des circuits courts est devenu stratégique et l’on observe un engagement politique et un soutien institutionnel de la région des Pays de la Loire. En septembre 2011, la région s’est dotée d’une charte de proximité pour soutenir et accompagner les porteurs de projets cherchant à valoriser l’alimentation de proximité. La charte cherche à poser les bases de définition de la proximité, de la qualité, de l’équité et du « développement durable ». Elle contient des descriptions de référentiels produits et décrit le cadre d’application et modalité de mise en œuvre opérationnelle. Le conseil général des Pays de la Loire, n’a pas vocation à orienter les projets, mais à susciter leur émergence, d’accompagner, de donner un cadre économique et un modèle de financement. Les projets de développement des circuits courts et de proximité, appuyés par la région ne concernent pas les démarches individuelles, et valorisent les démarches collectives à destination de la restauration collective. 34
Source : Données recueillies auprès du président de la CGAD Pays de la Loire, 2013.
76
Il existe une diversité de cultures de coopération et de soutien de projets de développement des circuits courts et de proximité au sein du département de Loire-Atlantique, avec une majorité de projets issus du secteur agricole. Les initiatives provenant des métiers de l’Artisanat sont principalement soutenues par la CGAD, en collaboration avec la chambre des métiers de l’artisanat. La coopération entre les institutions et structures d’accompagnement agricole et de l’artisanat est encore assez récente. On note une évolution dans les discours tenus par les représentants du corps des artisans bouchers-charcutiers, reconnaissant les avantages de la coopération entre éleveurs et artisans bouchers dans le cadre des projets de valorisation des filières courtes et de proximité. Néanmoins, la concurrence entre les éleveurs choisissant de vendre des produits carnés en vente directe et les artisans bouchers-charcutiers reste encore très conflictuelle. L’enjeu pour les organisations de développement de ces secteurs est d’étudier les modalités de coopération entre les deux secteurs et de mettre en avant des expériences témoignant de la réussite.et de la pertinence de ces coopérations.
3.2.1.3. Positionnements des acteurs face aux enjeux de la relocalisation de l’agriculture i. Bilan des freins et limites au développement des circuits courts En Pays de la Loire, le niveau de production agricole est, pour beaucoup de produits, largement supérieur aux besoins alimentaires des trois millions et demi d’habitants de la région. Du côté des consommateurs, de nouveaux comportements et des évolutions dans les mentalités sont apparus ces dernières années. Même si l’achat alimentaire en grande distribution (grandes et moyennes surfaces — GMS — et hard discount) demeure le mode le plus pratiqué des Français (85 % des achats), la part de marché des circuits courts est en constante progression35. La relation qui se tisse entre le producteur et le consommateur est aussi un facteur clé pour développer une offre alimentaire de qualité, répondant aux enjeux de durabilité des modes de production. De nombreuses limites au développement des circuits courts sont révélées par les diagnostics menés à l’échelle régionale. Les 4 principaux freins sont les suivants :
La plupart des producteurs impliqués en circuits courts sont confrontés à des savoirfaire et des pratiques qui diffèrent largement de leur activité initiale ;
La commercialisation implique un investissement considérable en temps, lequel peut cependant être réduit grâce aux formes collectives de vente ;
Une troisième limite au développement des circuits courts réside dans les investissements en capital nécessaires, notamment lorsqu’il y a transformation à la ferme avec mise en place d’ateliers ou de laboratoires devant répondre aux normes techniques et sanitaires en vigueur ;
Il y a des besoins non satisfaits sur le territoire. Même si la région est relativement bien couverte, la plupart des abattoirs répondent avant tout à une logique industrielle (gros volumes, spécialisation et planification) qui ne correspond pas toujours aux besoins des producteurs en filières courtes. (CESER, 2010)
ii. Bilan des acteurs impliqués dans le soutien et l’accompagnement des circuits courts et de proximité en Loire-Atlantique 35
Source : CESER, rapport circuits courts, Pays de la Loire, 2010.
77
Le département de Loire-Atlantique se caractérise par un fort engagement des pouvoirs publics dans le soutien aux filières courtes depuis la mise en place du plan Barnier en 2009. C’est à cette époque que la chambre d’agriculture régionale et le Conseil général des Pays de la Loire ont entamé un référencement des initiatives existantes et élaboré des stratégies de développement du secteur des filières de proximité. Cet appui permet aux porteurs de projet un accès plus aisé aux financements et formes d’accompagnement. Des associations et organisations de développement comme Cap 44 et Terroir 44 soutiennent également des démarches individuelles et collectives en circuits courts tout en défendant le modèle d’agriculture paysanne. Avant 2009, le développement des modèles de vente directe et de circuits courts était porté par les organisations de promotions de l’agriculture paysanne, et de l’agriculture biologique. On note également qu’avant 2006, la chambre d’agriculture régionale était majoritairement représentée par le syndicat de la Confédération Paysanne. Les stratégies de développement agricole et d’accompagnement ont ensuite été portées par la FNSEA, majoritaire depuis 2006. C’est à l’occasion de ces élections que l’association Cap44 a été créée par la Confédération Paysanne afin de préserver la capacité d’action et l’accompagnement des agriculteurs à l’échelle de la région. Nous sommes allés à la rencontre de ces acteurs afin de comprendre les enjeux du développement des circuits de proximité au sein du département et identifier leur implication dans les démarches collectives que nous étudions.
78
Acteur
Domaine
Stratégie/objectifs
Pouvoir public, intérêt Application des politiques publiques, dans un cadre collectif d’intervention allant du niveau régional à la coopération Conseil régional des Pays soutien aux différents avec les collectivités territoriales. de la Loire secteurs socio-économiques de Renforcer l’ingénierie de projet pour accompagner les la région porteurs de projets Chambre régionale d’agriculture
Pouvoir public, coopération interconsulaire
Chambre départementale Relais départementaux, des métiers de l’Artisanat réseau agricole Cap 44, Association et SCIC, construction d’une agriculture paysanne performante
Échelle départementale, réseaux agricoles
Échelle d’action CGAD Pays de la Loire, départementale La Confédération générale Coopération réseaux sociode l’alimentation en détail professionnels
Terroir 44
Comité du Bassin d’emploi du Pays d’Ancenis
Réseau de coopération agricole Échelle départementale
Réseaux départementaux, publics, privés, citoyen
Développement agricole et appui aux producteurs dans la construction de projets. Appui aux collectivités. Mise en place de politique, application de la réglementation, sensibilisation des élus sur la question de l’alimentation Informations sur les règlementations, appui des métiers de l’artisanat. Circuits de proximité, opportunité d’affirmer le savoirfaire, volonté de changer les mentalités Promotion de l’agriculture paysanne, initiative de la confédération paysanne en 2007. Faciliter la coopération avec les collectivités. ; Réseau de paysans : 600 adhérents actifs et 400 adhérents retraités Organisation interprofessionnelle représentative des métiers de l’artisanat et du commerce alimentaire de proximité et de l’hôtellerie-restauration, représenter les artisans auprès des pouvoirs publics, accompagner des projets Association de producteurs fermiers, marginalisés, crée par des producteurs et la chambre d’agriculture
Association loi 1901, contribution au développement global en faveur de l’emploi, s’appuyant sur des acteurs locaux, et sur les synergies. Relation avec la CGAD et Cap 44
Projet charte de proximité, programme de déploiement des objectifs l’appel à projets et la définition de cadres pour l’accompagnement Cahier des charges évaluation du projet, technico-économique, financière Conseil et accompagnement de projet, mis de en place de formations et d’accompagnement à la construction de projet : volet commercial spécifique. Production de références Partenariats et accompagnement de projet de coopération éleveursartisans. Projet d’abattoir collectif, ateliers de transformation. Travail coopératif avec la CGAD Animation, accueil social. Captation de financement pour des projets collectifs d’envergure départementale et locale. Défense de l’agriculture paysanne. Appui projet de la terre à l’assiette Partenaire du projet « de la terre à l’assiette », et de l’abattoir de proximité. Impliqué dans des réseaux trans-départementaux. Coordinateur projet de coopération artisans-producteurs avec Terroir44 promouvoir des produits dans différents accompagnements de projet dans les circuits courts et la vente directe. Appui aux réseaux, rencontres, accès aux réseaux. Formation sur la commercialisation, étude de marché diagnostic sur la base de méthodes participatives, études sur les formations Animation territoriale, mise en place de réunion, forum (des métiers de la formation et des entreprises) création de la plateforme PRES : mise en relation salariés et entreprises, accès à l’information. PME, TPE, salariés
79
DE LA DEMARCHE COLLECTIVE : L’ATELIER DE TRANSFORMATION MULTI-ESPECES : « DE LA TERRE A L’ASSIETTE »
3. 2. 2. PRESENTATION
3.2.2.1. Historique et description de l’outil technique i. Contexte d’émergence de la démarche collective Le projet a émergé dans un contexte de fermeture progressive des abattoirs en Loire Atlantique ou de faible développement d’outils de découpe et de transformation de petits volumes de viande en multi-espèces. « Dans un contexte de crise pour l’élevage de bovins viande, une association d’éleveurs du canton de Nozay travaillait depuis trois ans sur la mise en place de démarches de proximité auprès des consommateurs. Une enquête avait été réalisée auprès des éleveurs du canton engagés dans la vente de proximité ou la consommation familiale pour mesurer l’intérêt de réaliser un tel investissement. Sur cette base, le groupe a décidé d’approfondir ce projet par une étude de faisabilité complète » (Fiche expérience — Programme LEADER, 2000-2006). Le choix de vendre directement les produits aux consommateurs a été choisi par les éleveurs, porteurs du projet, car, au-delà d’être un outil technique et économique, le modèle est structuré sur un système de valeurs lié à la démarche de durabilité dans laquelle ils étaient préalablement engagés dans leurs activités agricoles respectives. Figure 9 : Historique du développement du projet d’atelier de découpe « De la terre à l’assiette" 20012002
2002
2003
2005
• Formation action des éleveurs engagés dans la vente directe • étude de réalisations similaires sur d'autres territoires • Création de l'association pour porter le projet • pré-étude sur un premier site / Abandon face au coût du projet • Cadre du projet LEADER + : Etude duprojet sur la zone d'activité de l'Oseraye à Puceul • début des travaux • ouverture de l'atelier
2006
Source : Fiche expérience, programme LEADER 2000-2006
ii. Description générale de l’outil technique L’atelier de découpe est organisé autour d’une double structure juridique : Une CUMA et une SARL. Le bâtiment est partagé entre un atelier de découpe de 200 m2 et un atelier de transformation de 200 m2. Les deux sont multi-espèces : boeuf, veau, porc, mouton, volaille. 80
La SARL comprend l’ensemble des activités commerciales, elle est gérée par les 10 éleveurs associés, la CUMA comprend tous les outils de découpe et transformation des produits, elle réunit 116 éleveurs utilisateurs. La SARL compte aujourd’hui 9 salariés. Les premiers employés sont embauchés et les éleveurs suivent des formations. La gestion de l’atelier de découpe et transformation amènent les éleveurs à se tourner vers des acteurs dont les compétences correspondent avec leurs attentes. C’est ainsi que la gérante de l’atelier de découpe, ingénieur agroalimentaire, et épouse d’un des éleveurs s’intègre à la démarche. Initialement elle fut embauchée comme salarié de la SARL. Au démarrage, un boucher fut embauché. Avec le développement de la structure et le besoin en ressources humaines, 4 autres bouchers et un apprenti ont été embauchés. Aujourd’hui, 3 personnes s’occupent de l’emballage, 1 personne du nettoyage, 1 apprenti en vente directe et une personne chargée de la livraison et logistique. La démarche collective est organisée autour de 4 activités
Prestation complète Service logistique avec l’organisation du ramassage des animaux, de l’abattage et du retour des carcasses à l’atelier. Cette prestation consiste à aller chercher les animaux en vif chez l’éleveur jusqu’à l’abattoir, par l’intermédiaire d’un prestataire de transport. (Crain, mayenne) Pour le porc, l’abattoir se trouve à Laval. Un autre prestataire se charge du retour des carcasses, sur toutes les espèces. Pour le travail de découpe et l’atelier de transformation, les utilisateurs ont la possibilité de préparer des produits en cru, cuit, des conserves, des plats cuisinés, et de la charcuterie. L’étape finale est l’emballage et la livraison des produits.
Mise à disposition des locaux Mise à disposition des locaux aux adhérents pour la conserverie. Le personnel de l’atelier prend en charge le pilotage de l’autoclave.
Commercialisation : couplage entre circuit court et circuit de proximité 1. Vente aux professionnels : Restauration collective, collectivités, restaurateurs, point de vente de produits fermiers, associations… 2. Vente directe aux consommateurs sur place : Magasin, vente directe à l’atelier, restauration collective, dépôt magasin collectif, restaurateur
3.2.2.2. Processus de construction d’un projet collectif autour de la filière viande i. Émergence du projet et construction de l’identité du groupe Depuis les années 2000, les dix éleveurs souhaitaient se réapproprier leur produit, c’est-àdire les animaux qu’ils élèvent, afin de pérenniser leur production et valoriser la matière première sur des circuits de proximité. Le groupe d’acteurs est issu de relations de voisinage (proximité géographique), relations professionnelles (réseaux socio-professionnel), relations politiques et syndicales (proximité cognitive, réseaux de pouvoir). Les motivations des éleveurs répondent à deux enjeux : chercher des plus-values pour leur production et dynamiser le territoire et les dynamiques locales. À travers ce projet, les éleveurs cherchaient également à promouvoir le territoire et les dynamiques locales. Avec le lancement du contrat territorial d’exploitation (CTE) suite à la nouvelle loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 reconnaissant la multifonctionnalité de l'agriculture, de projets collectifs, de producteurs se 81
sont mis en place. En contrepartie d’une aide au financement des projets par les pouvoirs publics, les producteurs s’engagent sur des critères de valorisation de la qualité des produits, le respect de règles sociales et environnementales. 2000 et 2002, dans le cadre de la phase exploratoire, les éleveurs se sont coordonnés auprès de porteurs de projets ayant mis en place des ateliers et magasins de producteurs dans des départements limitrophes à la Loire-Atlantique. La création de l’association d’éleveurs marque la première étape de formalisation de la démarche collective. En 2002, la première étude du projet permet de préciser les objectifs, les valeurs et de faire émerger les questionnements quant à la faisabilité de la démarche. Quelle forme juridique ? Quelles activités ? En 2004, le projet est accompagné par le programme LEADER +, permettant de co-financer les études projet, la formation des éleveurs et les voyages d’études. Les premiers résultats montrent que les objectifs de découpe avoisinent les 60 tonnes au commencement et 150 par la suite. La démarche se construit autour des activités de découpe, de transformation et de commercialisation en vente directe par les éleveurs.
Choix des critères et valeurs communes Les critères sur lesquels le projet se construit sont :
le respect des recettes traditionnelles et l’authenticité ;
la traçabilité des produits sur l’ensemble de la filière de proximité ;
le respect de la réglementation et l’agrément aux normes de la communauté européenne, et à l’agriculture biologique;
Durant les premières phases de la construction du projet, les éleveurs se sont coordonnés autour des valeurs portées par leur démarche. Une agriculture durable : dans les pratiques et les produits, la qualité de l’élevage, à travers l’alimentation du bétail avec des céréales produites sur l’exploitation et l’engagement de nonutilisation d’Organismes Génétiquement Modifiés. La qualité s’applique au produit final, grâce au savoir-faire de la découpe et de la transformation.
ii. Des alliances avec les collectivités territoriales : enjeux économiques et renfoncement de compétences Coopération avec les collectivités territoriales dans la mise en place d’un modèle juridique et financier Entre 2004 et 2005 le groupe d’éleveurs crée la CUMA et la SARL grâce à la création de nouvelles alliances leur permettant de disposer d’un fonds d’investissement dans le matériel et les locaux. Les besoins en finançant du projet sont élevés aussi, les porteurs du projet se tournent vers les acteurs du territoire. Le financement de la trésorerie ne permettant pas d’assurer le cout du projet, différentes stratégies sont mises en place à travers une dynamique inter-acteur, engageants les associés-éleveurs et les collectivités territoriales. La SELA, Société d'économie mixte d'aménagement et de construction, accompagne les collectivités locales du département dans leurs projets d'aménagement. C’est à travers un rapprochement des collectivités locales que les porteurs du projet à travers la SARL deviennent locataires des locaux avec une option de rachat équivalente à 400 000 euros. Le financement hors locaux a été réalisé avec le soutien du conseil général des Pays de la Loire et des collectivités. Le capital investit se répartit selon le rapport : 1/3 financement par 82
les utilisateurs, 1/3 par la collectivité, 1/3 aide public, financement européen. La CUMA, propriétaire du matériel, des fluides et de l’énergie. L’atelier de découpe est inauguré en 2006. L’enjeu pour les éleveurs est de trouver en parallèle de nouveaux acteurs pour créer des synergies en relation avec le besoin en compétences et savoir-faire. Une phase de remise cause, et de renouvellement du projet grâce à de nouvelles alliances. En 2007, des contraintes dans la gestion des ressources humaines et dans l’organisation du travail au sein de la démarche ont fortement impacté sur la dynamique de l’atelier et sur le coût des prestations. La chambre des métiers de l’artisanat intervient afin d’apporter son soutien dans la résolution des problèmes de main d’œuvre et de réorganisation des taches. Ce réarrangement est suivi par une réflexion stratégique salariale et commerciale. Les associés engagent de nouveaux capitaux dans la démarche et trois nouveaux salariés sont embauchés. Cette remise en question du projet est également associée à un processus de négociation et de discussions entre associés. En 2010, des coopérateurs de la CUMA quittent le groupe et un fondateur l’envisage. Ce sont dans les moments de crise que les profils se révèlent. Les critiques faites sur le déficit économique de la démarche, ont des justifications sociales sous-jacentes. Le désengagement de coopérateurs et la menace de départ d’un fondateur révèlent des incompréhensions quant à l’évolution du projet, l’augmentation des coûts pour les exploitants face à des alternatives de débouchés privés sur le territoire. Après une période d’expérimentation de nouvelles formes de gestion et de stratégies, les bénéfices apparaissent pour l’exercice de l’année 2009 qui est le premier à avoir un bilan comptable positif. Rappelons que cela correspond à l’année N+4. De nouveaux projets se mettent en place comme une prestation de produits secs, le projet de logistique et l’initiation d’un projet d’abattoir à proximité de l’atelier de découpe. La rentabilité économique d‘un tel outil est, comme nous le voyons, à évaluer sur une longue durée. Dans un contexte fortement influencé par la fluctuation des prix de la viande (bovine et porcine) et des volumes traités par l’atelier. La situation de « crise » au sein du groupe d’éleveurs aura permis de créer de nouvelles alliances face à un besoin de compétences en gestion. En dehors des relations entre les porteurs de la démarche et les acteurs « institutionnels » du territoire, des liens se sont formés avec les acteurs agricoles et alimentaires.
iii. Mise en place d’un réseau d’éleveurs sur le territoire Qui sont les utilisateurs de l’atelier de découpe/transformation ? Nous nous questionnons sur la capacité de la démarche à intéresser et enrôler des éleveurs du territoire. La carte ci-dessous montre comment se répartissent les éleveurs dans le département de Loire-Atlantique, selon le type d’élevage qu’ils pratiquent. Les exploitations des utilisateurs de l’atelier se concentrent sur une aire allant de la côte atlantique nord –ouest jusqu’à la limite départementale au Nord-Est. Ce périmètre d’action correspond à des espaces hétérogènes ou l’on retrouve de l’élevage, de la production légumière et des céréales sur la côte atlantique. La partie centrale comprend des zones de bocages à vocation agricole pastorale à forte spéculation laitière. Et dans la zone Nord-Est, répartie autour de Chateaubriand, ce sont plutôt des fermes isolées, et parcelles morcelées ou l’on retrouve de l’élevage laitier et des productions de céréales.
83
Figure 10 : Répartition des exploitations d'éleveurs adhérents de la démarche "de la Terre à l'assiette", en 2009
Source : Présentation « de la terre à l’assiette », Cécilia Briand, 2009
Une attractivité liée à la renommée et à la stabilisation du modèle économique Depuis 2009, la gestion de l’atelier s’est améliorée en termes d’optimisation des ressources humaines, prospection de nouveaux marchés et recherche de cohérence dans l’équilibre des matières grâce à la complémentarité entre les débouchés. De nouveaux producteurs se sont engagés dans la démarche en 2012, comptant actuellement 116 adhérents. Les perspectives de rachat des locaux sont envisagées par les associées de la SARL ; grâce à une amélioration des recettes et un bilan comptable positif pour l’année 2011. Selon les informations collectées sur le terrain, le système de production représentatif des adhérents à la CUMA « de la terre à l’assiette », correspond à un modèle de polyculture – élevage, avec une activité de vente directe. La partie vente directe, pour plusieurs exploitations, assure une grande partie du revenu. Cependant tous les éleveurs ne pratiquaient pas de vente directe avant d’adhérer à la démarche. Les coordinateurs de la démarche collective voient apparaitre de nouveaux profils d’adhérents depuis 2008, ce sont des producteurs qui développent des activités de vente directe sur leur exploitation. Cette date correspondrait avec la mise en place du Plan Barnier en 2009 et l’engagement des chambres consulaires d’agriculture, du conseil général dans le référencement des initiatives territoriales de valorisation de la proximité alimentaire, 84
dans l’accompagnement des d’initiatives individuelles et/ou collectives en circuit court.
iv. Enjeux et freins à la coopération éleveurs-artisansbouchers Il s’est avéré problématique de mettre en place des coopérations entre éleveurs et artisansbouchers. Malgré les tentatives de rapprochement, ne sont pas visibles dans cette démarche. . Selon les propos des représentants de la CGAD et de Cap 44, les relations entre éleveurs et artisans sont conflictuelles dans la région des Pays de la Loire. « Les artisans sont une profession qui n’est pas dans le travail collectif comme les agriculteurs. ». La problématique des bouchers charcutiers est propre à leur domaine de compétences, ils travaillent avec des intermédiaires structurés, les habitudes d’achat de bêtes en vif ne sont plus courante dans le métier d’artisan boucher-charcutier. Certains artisans coopèrent avec des éleveurs, mais ces exemples sont encore peu développés. L’enjeu pour les structures interprofessionnelles et la chambre des métiers de l’artisanat est de communiquer avec le monde artisans sur les coopérations exemplaires, afin de faciliter un changement de mentalité. « Le développement de la vente directe a exacerbé les tensions/passions. Beaucoup d’artisans croient voir leur métier leur échapper et une forme de concurrence déloyale s’installer » (Brument, 2013).
v. Coordination autour de l’équilibre de matières : stratégie de recherche de débouchés Difficulté d’anticipation des tonnages et répartition du volume selon les activités de l’atelier L’atelier de découpe et de transformation multi-espèces a été créé dans la volonté de proposer aux éleveurs un outil de travail alternatif aux structures industrielles ne proposent pas de services comparables sur le territoire. Les outils industriels de découpe et de transformation ne sont pas présents sur le territoire, pour le porc, pour l’agneau, la structure est éloignée, et la concurrence sur la filière veau et bovin est forte. Il est difficile pour les porteurs de la démarche d’effectuer des anticipations quant au volume de viande travaillé dans l’atelier, car la concurrence territoriale impacte fortement sur les décisions des éleveurs. Les éleveurs ont le choix entre travailler avec l’atelier de découpe ou les filières longues. Suivant la fluctuation du cours de la viande, les éleveurs choisissent entre les débouchés disponibles sur le territoire. La démarche compte aujourd’hui près de 116 adhérents à la CUMA. La coordination économique autour de la fixation du prix d’achat des bêtes en vif, pose problème pour la rentabilité de l’outil, car la fixation des prix dépend de la concurrence sur le marché. Le coût des matières premières impacte fortement sur les budgets prévisionnels et génèrent des incertitudes dans la gestion des activités économiques. Pour l’année 2009, on remarque que les activités de prestation aux éleveurs représentaient 80 % du volume total traité annuellement, pour 48 % du chiffre d’affaires, et que l’activité commerciale représentait quant à elle 20 % des volumes pour 32 % du chiffre d’affaires. Sur les 200 tonnes de produits ont été traitées par l’atelier de découpe sur l’année 2012, entre 4050 tonnes vont vers les débouchés commerciaux. Le reste du volume correspond à de la prestation. Ces résultats montrent l’intérêt que représente l’atelier de découpe pour les utilisateurs. Les utilisateurs de l’outil collectif portent un intérêt aux activités de découpe, préparation et transformation des produits qu’ils récupèrent ensuite pour valoriser au sein du cadre familial, à travers la vente directe en circuit court, ou sur des filières de proximité. L’activité de commercialisation des produits par l’atelier est une activité porteuse de la démarche et semble 85
complémentaire aux activités dites « intermédiaires » dans le processus de transformation. Depuis 2009 on note une augmentation du volume de viande commercialisé par le biais de l’atelier. La problématique l’offre commerciale est liée à la difficulté d’anticiper la quantité de viande destinée à la commercialisation, impactant directement sur la gestion des débouchés et le type d’acteurs avec lesquels les responsables de l’atelier devront se coordonner.
Mise en place de stratégies de prospection de débouchés : appui sur des ressources et compétences territoriales La recherche de débouchés commerciaux est une activité à part entière qui requière des compétences spécifiques en prospection, et intéressement des clients potentiels. La recherche de nouveaux marchés est également liée aux types de produits que propose l’atelier. Enfin, l’enjeu est de rechercher de débouchés commerciaux permettant de valoriser l’ensemble des produits issus de la découpe, et de la transformation de la viande. Vente directe à l’atelier et possibilité de visite des locaux Au sein des locaux de l’atelier de découpe, les éleveurs ont mis en place un magasin de vente directe par les éleveurs, c’est un lieu de rencontre directe entre les producteurs et les consommateurs. La communication et le transfert d’information sur les valeurs et les critères de traçabilité, et de fonctionnement de la démarche sont facilités. Débouchés auprès des collectivités territoriales La valorisation des morceaux d’intérêt des carcasses s’effectue auprès de la restauration collective, des artisans charcutiers, restaurants. La coordination avec la restauration collective implique un rapprochement entre les deux structures et une réflexion conjointe sur la mise en cohérence de l’offre et de la demande. Dans le cas de gros volumes, les collectivités proposent un marché public correspondant au mieux à l’offre proposée par le fournisseur, tout en respectant les règles de libre concurrence économique. L’atelier travaille avec une 20aine de cantines scolaires localisées dans le périmètre du circuit logistique. La coordination et la constitution d’un type d’offre passe par le chef cuisinier. Le rapprochement entre les responsables de l’atelier et les communautés de communes permet de créer de nouveaux liens et de mobiliser des ressources comme les associations de parents qui en retour peuvent influencer et faciliter la coopération avec les sociétés de restauration et les chefs cuisiniers. Pour faciliter la coordination entre l’atelier et les structures de restauration collective, les représentants de la démarche collective s’appuient sur l’association de restauration collective, « Manger bio 44, qui détient des compétences en communication et des réseaux d’influence. Les 10 associés de l’atelier de découpe et en particulier un des éleveurs fondateurs de la démarche que nous avons rencontrés, intervient dans la recherche d’opportunités tant sur le plan financier, politique que commercial. Cet acteur est présent dans de nombreux réseaux territoriaux lui permettant de créer des relations interpersonnelles et de capter des informations sur les appels d’offres du conseil régional, et de la chambre d’agriculture. Débouchés auprès des restaurateurs Comme nous l’avons précisé, les restaurateurs cherchent des produits de qualité et ne permettent pas de valoriser l’ensemble de la carcasse. La coordination commerciale avec les restaurateurs s’effectue différemment de la restauration collective. La notion de prix pour les restaurateurs n’est ni corrélée avec la renommée du restaurant, et n’implique pas forcement une forte propension à payer. La négociation avec les restaurateurs pose des difficultés aux gérants et associés de l’atelier. 86
3.2.2.3. L’insertion de la démarche dans le territoire : une logique multiacteur, de mutualisation et de coopération institutionnelle i. Coordination autour de la mutualisation ressources pour la logistique commerciale
des
En 2010, le lancement de l’opération « Terroir sur la route », marque l’émergence de nouvelles coopérations entre acteurs du territoire, de type association-intermédiaire. Cette opération vient de la rencontre entre les coordinateurs de l’association Terroir 44 et des éleveurs associés « de la terre à l’assiette ». Les déterminants de cette coopération sont liés au fait que la charge de travail liée à la livraison est importante et l’aspect économique représente un frein dans la flexibilité du travail. Pour l’atelier de découpe, la gestion et la rentabilité du service livraison étaient un axe d’amélioration conséquent et un enjeu pour diminuer le cout des prestations auprès des éleveurs. L’atelier de découpe dispose des ressources : un camion frigorifique et un employé. La coopération avec Terroir 44, et l’unité d’enseignement IUT de Saint-Nazaire leur ont permis d’établir certains constats face à l’objectif : optimisation du parcours de livraison.
« On se croise sur la route », il y a une diversité de points de livraisons : points de vente collectifs, magasins de producteurs, cantines
deux tournées de livraison ont été mises en place sur le département pour approvisionner les points de vente collectifs, magasins de producteurs et de cantines. Ce projet a permis de créer un réseau de coopération technique entre l’intermédiaire (l’atelier de découpe) et les producteurs du territoire. Cette stratégie de mutualisation impact de différentes manières sur le territoire. L’optimisation des parcours de livraison contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre ; ce service permet de créer des liens entre les initiatives collectives et individuelles du territoire ; la prise en charge de l’activité logistique par un intermédiaire permet aux producteurs de réduire la charge de travail. Figure 11 : Organisation des tournées de « Terroir sur la route » en Loire-Atlantique
Source : Document réalisé par les coordinateurs de l’association Terroir 44
87
ii. Construction d’un abattoir collectif multi-espèces : un projet de territoire valorisant la coopération artisanséleveurs Les porteurs du projet Le projet d’abattoir collectif est issu de la rencontre entre individus insérés différents type de réseaux en lien avec les enjeux de la filière viande en Loire-Atlantique. D’une part, un éleveur, faisant partit des fondateurs de la démarche collective « de la terre à l’assiette », cet individu est en charge de la coordination entre l’atelier de découpe et les collectivités territoriales, du point de vue des stratégies, commerciale et politique. Le second acteur clé est un artisan boucher – charcutier, président de la CGAD Pays de la Loire, il représente par son statut, les intérêts et le savoir-faire des artisans. Le troisième acteur clé est le président de la chambre des métiers de l’artisanat de Loire-Atlantique, dont la posture vis-à-vis des relations éleveurs-artisans, est un facteur influent dans le monde de l’artisanat.
Enjeux et spécificité du projet Ce projet expérimental dans le département est soutenu par de nombreux acteurs : Conseil général des Pays de la Loire, élus du canton de Nozay, la DRAAF, la chambre des métiers de l’artisanat, la CGAD, Cap 44, Pour que la création de cet outil partagé soit cohérente avec les objectifs fixés par les partenaires.
Ce projet sous-entend un processus de « réflexion approfondie sur les aspects financiers, liés au dimensionnement de la structure par rapport à un seuil de rentabilité visé, la répartition des rôles dans la gestion des activités, ou encore les enjeux de création de synergie entre éleveurs et artisans ». (Compte rendu assemblée générale de l’association pour la création d’un abattoir collectif, mai 2012).
Les enjeux sont de « structurer la filière de proximité dans le département et relocaliser les circuits de l’alimentation ». La mise en place de l’abattoir permettra la création d’une microfilière viande multi-espèces (gros bovins, veaux, porcs, ovins, caprins) de proximité. Les spécificités de l’abattoir collectif sont les suivantes
Un positionnement géographique stratégique : à Puceul, accolé à l’atelier de découpe, accessible par la route nationale,
Une structure juridique et une gouvernance impliquant les artisans bouchers et les éleveurs. Mise en place d’un partenariat public/privé probablement sous la forme d’une SCIC.
Émergence du besoin d’outils de médiation Les rencontres entre partenaires du projet ont permis de soulever l’idée de la mise en place d’une charte et d’un contrat de progrès ou contrat d’engagement mutuel basé sur le fait que « le territoire est le plus petit dénominateur commun entre un producteur, un artisan et un consommateur. ». La création d’une charte doit porter sur la valorisation des métiers et des savoir-faire spécifiques, à la qualité des produits permettant de répondre à la demande des consommateurs. La charte est également orientée vers la mise en place d’une régulation des concurrences locales entre artisans et producteurs en impliquant les élus. 88
Reconnaissance de la légitimité du projet et des acteurs et enrôlement des partenaires Le projet de création d’un abattoir collectif est comme nous l’illustrons dans les tableaux cidessus, un dispositif multiacteur, impliquant les pouvoirs publics, les associations, l’interprofession, des professionnels. Les partenaires intéressés et enrôlés dans le développement du projet proviennent du monde agricole et du secteur de l’artisanat, leurs responsabilités peuvent s’appliquer à des échelles allant du local au régional. Dans l’état actuel du projet, les acteurs sont identifiés, et les rôles se répartissent en fonction des compétences, des ressources dont ils disposent. La mise en place d’une charte, met en évidence le besoin de définir des valeurs et des critères autour desquels les acteurs pourront se coordonner. Tableau 3 : Description des entités engagées dans le projet d’abattoir collectif et définition des rôles respectifs
Institutionnels Le Conseil Partenaire public, reconnaissant la légitimité du projet et apportant son appui, Général est un. Le dans l’étude des caractéristiques du modèle économique et juridique et des Conseil Général aspects techniques Possibilité de financement d’une partie des investissements dans un abattoir de proximité pour développer sur le territoire la dynamique des circuits courts. Élus de commune Nozay
la Partenaire public, rôle dans la reconnaissance, la gouvernance de
Chambre des Représentée par le président, affirmant que la CMA 44 soutiendra le travail des métiers de artisans, mais qu’elle ne se désolidarisera pas leurs décisions. Les objectifs sont l’artisanat 44 dans un premier temps, d’intéresser les professionnels et les enrôler dans le projet et ensuite la CMA appuiera leurs actions. Chambre d’Agriculture 44
Partenaire du projet, reconnaissance et participation au processus de réflexion
SELA
Rôle dans l’étude des aspects technique (volume, process, équipement, etc.), réactualisation des coûts, faisabilité technique, modèle juridique et financier
Interprofession CGAD
Syndicat de Boucherie 44 Cap 44
la
Rôle dans l’animation et la communication + mission de faire venir les professionnels en s’appuyant pour cela sur l’animation, le contrat de progrès, les visites communes Représentant des bouchers, relai de l’information, communication avec les professionnels Représentation des intérêts des agriculteurs, rôle dans l’animation, relai de l‘information
89
Associations Association pour Rôle animation du groupe artisans et agriculteurs, « nous pouvons faire passer la création et la le message à nos troupes et contribuer à faire évoluer les pratiques » promotion d’un abattoir de proximité Terroirs 44
Animation, réalisation d’étude en collaboration avec la CGAD, relai auprès des agriculteurs
FDCIVAM
Adhérent au projet, participe au processus de concertation, réflexion
Manger Bio 44
Adhérent au projet, participe au processus de concertation, réflexion
Individuels/professionnels Artisans
« On subit la concurrence de producteurs qui viennent afficher les ventes à la ferme devant nos magasins » Ensemble de professionnels dont les points de vue varient. Les artisans impliqués dans le projet soulèvent un besoin de régulation du marché de la vente de produits carnés et des relations entre éleveurs et artisans
« Pour les producteurs, travailler avec les artisans c’est retrouver un référentiel, partager des valeurs. Ils souhaitent convaincre les artisans de co-construire un projet commun et s’engagent politiquement dans cette voie. » Pour les éleveurs, et représentants des éleveurs, volonté de chercher des voies pour une coopération artisans-éleveurs. « de la terre à Partenaire et porteur du projet l’assiette » Eleveurs
90
Recherche de compromis entre éleveurs et artisans : démystifier et dialoguer Au cours des conseils d’administration qui se sont tenus depuis 2010, les propos des partenaires ont été recueillis. Nous en avons sélectionné quelques-uns, représentatifs des points de vue et des controverses soulevées par des artisans et éleveurs. Tableau 4 : Analyse des propos tenus par des éleveurs et artisans par rapport aux enjeux et contraintes de leurs relations Citation « Si j’avais accès à un annuaire des producteurs et des labels ou à une relation humaine forte, je pourrais m’interroger sur la proximité plutôt que de passer par les acheteurs de l’abattoir » « il y a besoin d’un outil en Loire-Atlantique, mais il faudrait interdire son accès aux producteurs en vente directe » « Il faut construire un contremodèle qui produira d’autres relations que ce que les artisans dénoncent. Il faut aller vers plus de dialogue, plus de coopération, il faut écrire une nouvelle histoire dans un département avec une forte tradition d’innovation de la part des acteurs. » « C’est un pari sur l’avenir, l’outil est un prétexte pour dynamiser les relations. On est dans le concret »
Type d’acteur Propos d’un artisan
Propos d’un artisan
traduction Besoin de référencement des producteurs pratiquant la vente directe + garantie sur la qualité et les pratiques Importance des relations interpersonnelles et de l’instauration de la confiance Besoin d’outils par les artisans bouchers, valoriser leur métier ; Problème de concurrence entre artisans et éleveurs en vente directe
Propos d’un éleveur
Mettre en place de nouvelles pratiques de coopération entre artisans et éleveurs Mettre en avant des expériences qui fonctionnent ; Instaurer le dialogue, changer les mentalités ; Prendre appui sur les ressources territoriales, compétences, innovations
Propos d’un éleveur
L’outil est un vecteur de dynamiques sociales, et de création de nouveaux liens entre acteurs du territoire
Enjeux de la coordination éleveurs-artisans et rôle de la médiation Il ressort de l’analyse des discours tenus par des artisans et des producteurs que le dialogue entre les acteurs est nécessaire afin d’installer une confiance réciproque et harmoniser les pratiques. Les acteurs territoriaux ont également un rôle à jouer dans la coordination entre artisans et producteurs. Des dispositifs de régulation, des outils de médiation pourraient être mis en place pour faciliter les échanges et limiter les incompréhensions et tensions qui naissent entre les deux corps de métier. L’abattoir constitue comme l’a dit un éleveur, « un prétexte pour dynamiser les relations ». En effet, cet outil est un lieu de rencontre et de partage de compétences spécifiques. La mise en place d’une gouvernance multiacteur est un dispositif impliquant une rencontre physique entre artisans et éleveurs, des temps dédiés à la négociation et à la construction de valeurs communes. L’animation des dynamiques de groupe à un rôle à jouer dans la mise en place de la gouvernance, elle doit apporter des méthodes et faire avancer les acteurs vers un consensus en respectant les principes d’équité, de représentativité et de reconnaissance des acteurs. 91
3. 2. 3. DESCRIPTION D’ANCENIS
DU PROJET DE LEGUMERIE-CONSERVERIE EN PAYS
3.2.3.1. Un projet porté par le comité du bassin d’emploi du Pays d’Ancenis i. Présentation des enjeux du maraichage et de l’agriculture en Pays d’Ancenis Le pays d’Ancenis est une zone de culture de la vigne avec une aire urbaine développée au niveau de la ville d’Ancenis. L’agriculture maraichère est présente dans l’espace périurbain et rural se dessinant autour d’Ancenis. Les enjeux liés au développement de la filière de maraichage en agriculture biologique et l’amélioration de l’offre alimentaire ont stimulé différentes initiatives de producteurs en circuits courts et en vente directe, comme une AMAP, des magasins de producteurs. Une des problématiques rencontrées par les agriculteurs pratiquant la vente directe est la surabondance des produits en été par rapport à la fréquentation des espaces de commercialisation. Certains acteurs du Pays cherchent à faciliter l’accès à des produits de qualité ou des produits de 4e gamme, en quantité suffisante. Pour les producteurs locaux en agriculture biologique, souvent dispersés sur des exploitations de petite taille, il est difficile de fournir le volume suffisant aux différents clients.
ii. Présentation de l’organisation initiatrice du projet Fin 2011, plusieurs maraîchers, charcutiers traiteurs, AMAP, associations d’insertion et élus locaux se sont regroupés autour du Comité de Bassin d’emploi du Pays d’Ancenis, pour engager ensemble, une réflexion autour de la mise en place d’un projet de légumerieconserverie, chacun ayant à cœur de la création d’un outil commun mettrait les clients potentiels et les producteurs en synergie pour trouver des débouchés aux produits agricoles, développer de nouveaux marchés et ainsi palier Le Comité du Bassin d’Emplois du Pays d’Ancenis, (CBE), est une association dont l’objectif est de contribuer au développement global en faveur de l’emploi. Leurs actions s’appuient sur des acteurs locaux, dont l’objectif est de créer des synergies. En 1994 la structure organisationnelle du CBE s’organise sous forme de 4 collèges : Communauté de commune, entreprises, syndicats, associations, et Economie Sociale et Solidaire. Leurs actions se répartissent entre 3 catégories 1. Des diagnostics sur la base de méthodes participatives, d’études sur les formations ; 2. des animations territoriales, la mise en place de réunion, de forum (des métiers de la formation et des entreprises), la création de la plateforme PRES : mise en relation salariés et entreprises, accès à l’information. PME, TPE, salarié 3. des tables rondes : objectif de sensibiliser les entreprises à l’accueil. Les méthodes qu’ils mobilisent sont basées sur des témoignages, l’intervention d’experts externes (CMA, etc.), la création de débats sur les générations, cherchant à identifier les attentes des jeunes générations (exemple de la nouvelle génération Y = Why, caractérisée par la recherche de sens ? le questionnement ? La technologie, les réseaux sociaux, la culture du loisir, l’épanouissement personnel. À travers leur engagement dans l’ESS, les responsables de la structure mettent en place des projets et ont l’ambition de créer un Pôle Territorial de Compétences Economique (PTCE), sur la base du modèle porté par le CRESS. Le CBE entend favoriser les relations économiques et sociales au sein du territoire. Depuis 2004 les salariés ont été inclus dans le processus de décision, de nouvelles thématiques de développement ont émergé autour de tables rondes, différents projets ressortent. 92
Les liens interpersonnels apparaissent importants, autant que le dialogue entre les partenaires. Le CBE effectue également une veille sur des thématiques en émergence et des appels à projets, en cherchant à faire correspondre les objectifs régionaux avec l’orientation des projets qu’ils soutiennent.
3.2.3.2. Processus de construction d’un réseau socio-technique : un projet de création d’un outil collectif i. Conditions d’émergence problématisation
du
questionnement
et
L’idée de départ est issue du soutien au montage d’une AMAP dans laquelle prit part la coordinatrice du CBE. L’implication personnelle dans le projet et les liens privilégiés qui se tissèrent avec les agriculteurs fit émerger des questionnements sur les débouchés pour les fruits et légumes. En période estivale, les producteurs ne parviennent pas à écouler leurs produits par manque de débouchés. Une réflexion s’est mise en place entre les producteurs et les coordinateurs du CBE pendant 1 à 2 années. L’enjeu de la conservation et de la recherche de nouveaux débouchés initia le projet. L’ancien président du Bassin d’Emploi avait entamé la réflexion sur la mise en place d’outils pour le territoire, afin de structurer les filières alimentaires de proximité. En décembre 2011, le directeur du CBE, deux élus et la coordinatrice du CBE se réunirent pour réfléchir à la mise en place d’un outil destiné aux producteurs maraichers. Le projet fut défini et la répartition des rôles discutée.
ii. Processus d’intéressement : Créer un producteurs et la restauration collective
lien
entre
Les réunions suivantes ont cherché à inclure des acteurs clés dans le processus, encore sous forme de projet nébuleux. Les associations, administrateurs du CBE, la chambre d’agriculture, Cap 44 se sont joints au processus de réflexion, lors de la présentation des résultats de l’étude de marché réalisée par le CBE. Il apparait que d’autres projets de légumeries sont en cours d’évaluation dans la région, en cadrés par le conseil général, ce qui n’implique pas un arrêt du projet mené par le CBE, mais pose des questions sur la pertinence d’essaimer ces projets, plutôt que de travail collectivement sur un outil commun. Les partenaires du projet sont Cap 44, la chambre d’agriculture et une institution d’enseignement. Le projet cherche à identifier les leviers financiers à travers une enquête auprès des collectivités territoriales. Pour le moment le projet est financé par des fonds propres. Les premières étapes du projet afin de connaitre leurs intérêts vis-à-vis de la mise en place d’un outil collectif de transformation et de conservation des produits. La rencontre avec des maraichers en agriculture biologique, a débouché sur des résultats révélant leurs intérêts dans la recherche de débouchés, pour certains, ou comme facteurs favorisant l’installation. Certains agriculteurs ayant un modèle économique en place furent moins intéressés, que les « nouveaux » agriculteurs mettant en place des stratégies de commercialisation. L’étude d’opportunité s’est ensuite intéressée aux débouchés, à travers la rencontre avec des responsables de la restauration collective dans des lycées, des collectivités locales du Pays. Les élus présents dans le cercle des personnes intéressées, a exprimé leur intérêt pour les établissements de retraite, des associations d’artisans bouchers, ont également manifesté leur intérêt pour la préparation des produits de charcuterie. Le groupe de travail constitué dans le cadre de la démarche, inclut des acteurs présents dans de nombreux réseaux territoriaux, dont le président de la CGAD de Loire Atlantique, également acteur du projet d’abattoir collectif. Ces acteurs ont manifestement la volonté de participer à des changements dans la structuration de nouvelles filières de proximité. Trois artisans bouchers-charcutiers sont présents dans la démarche. Ces trois acteurs sont engagés dans des pratiques faisant intervenir des relations 93
interpersonnelles, soit avec les éleveurs pour l’achat des bêtes en vif, sois avec des maraichers pour l’achat de produits locaux pour les préparations charcutières.
Apporter des bénéfices court terme aux producteurs pour éviter le désintéressement La seconde phase du projet a débuté en 2012 avec l’étude de faisabilité et une étude de marché réalisée auprès de 29 communes du pays d’Ancenis, mobilisant les élus, des groupes de restauration avec l’idée de mettre en place des coopérations pour les producteurs sur le court terme. En effet, les études demandent du temps pour être réalisées, et pendant ce temps, les producteurs sont en attente de résultats concrets. L’enjeu de cette étape intermédiaire est de permettre aux producteurs de coopérer avec les acteurs du territoire, en attendant de voir se réaliser le projet de légumerie-conserverie. L’objectif à l’issue de l’étude de marché est d’assurer un engagement des clients dans le dispositif, suivant leurs besoins en produits. Cette étape permettant de structurer la filière amont autour de la demande et d’assurer la viabilité de la création d’un nouveau marché. Un premier problème se pose. Les producteurs n’étant pas structurés en collectif, et ne pouvant assurer dans l’état actuel des choses, un volume satisfaisant la demande, les coopérations entre producteurs et collectivités ou artisans, ne se concrétisent pas. Le CBE décide de mettre en place un groupe de travail entre les producteurs, encadré par un animateur. L’objectif est de déterminer les prix et les modes de coordination avec les clients, d’évaluer des volumes disponibles à la vente en fonction de la saisonnalité, le type de produits, etc. Dans un second temps, le travail consiste à structurer le groupe de producteurs, en répartissant les rôles et les tâches.
Questionnement sur le modèle d’approvisionnement : confrontation entre le bio et le non bio Un nouvel acteur intervient dans le projet, dans le cadre d’une expertise technicoéconomique et d’étude du process de l’outil collectif. Cette étude donne lieu à un questionnement sur les volumes d’approvisionnement en matière première pour correspondre à la demande des clients. L’approvisionnement en produits de l’agriculture biologique est-il suffisant ? Le dispositif doit-il inclure des bio et non bio ? Ces questionnements font émerger des réactions de la part des producteurs. Les valeurs et pratiques associées aux différents modèles d’agriculture posent problème aux agriculteurs de « la bio ». L’animation du groupe d’agriculteurs a pour rôle de mettre en place une démarche de facilitation du dialogue pour aboutir à une stratégie commune entre bio et non bio. Le jeu de l’animation mobilise des outils de l’ingénierie de projet, s’organise en deux temps : 1. comparaison des modèles bio/non bio, analyse SWOT, discussion, débats, négociations ; 2. Le choix s’oriente vers un modèle de type association de produits du bio + non bio, mais valorisation du bio, et organisation du travail de façon à travailler les produits bio indépendamment du conventionnel. Suite à ce consensus, les chargés de mission cherchent à enrôler de nouveaux producteurs, aidés de la chambre d’agriculture sur le référencement des producteurs. Le groupe de producteurs issus de ces démarches présente comme spécificités d’associé différents profils, dans certains cas contradictoire, en terme de valeurs et de pratiques agricoles. On trouve des agriculteurs en bio (puristes), des bio (reconvertis), des conventionnels (flexibles) et des 94
conventionnels (puristes). Questionnement sur le rôle des producteurs dans la gestion de l’outil et du degré d’engagement dans le processus de transformation des produits.
iii. Structure de l’outil collectif et entités impliquées Enjeu du projet
Gouvernance des produits
Outil de transformation
Clients
Groupe de producteurs Désignent des producteurs qui s’impliqueront plus que les autres : Leader INGENIEURIE DE PROJET
Comité du Bassin d’Emploi du Pays d’Ancenis
Chambre d’Agriculture
Experts extérieurs
Cap 44 + CIAP
Animation, coordination des études, des groupes de travail et partenaires
Apport de compétences, de ressources, accompagnement de projet
Le projet en est à ce point, c’est-à-dire qu’à partir d’un groupe de producteurs dont les profils sont différents, voir opposés, les animateurs se questionnent sur la stratégie d’implication des producteurs dans le projet. L’enrôlement des producteurs sollicite de nouvelles méthodes de travail et un passage à l’acte de ceux-ci afin qu’ils s’approprient le projet. Dans un premier temps, les animateurs du groupe de producteurs ont cherché à identifier des leaders parmi le groupe de producteurs. Ce sont des personnes prêtes à s’investir physiquement et activement dans le projet. Ce leader présente les caractéristiques d’être à l’écoute des différents points de vue, et les prendre en compte dans les actions qu’il est amené à réaliser. La question de l’implication des producteurs dans le fonctionnement de l’outil implique l’intervention d’acteurs territoriaux compétents en la matière. Les partenaires sont concernés par les problématiques soulevées par le projet. Pour les questions d’installation de nouveaux agriculteurs, la Coopérative d’Installation en Agriculture Paysanne (CIAP), portée par Cap 44, travaille sur ces questions, aux côtés du CBE et d’autres acteurs départementaux. On note une forte présence de la confédération paysanne est présente dans la réalisation de ce projet, valorisant l’agriculture paysanne et son insertion dans des filières de proximité.
95
Dans ce chapitre, nous souhaitons enrichir l’étude par une analyse transversale des cas étudiés, dans le but de faire ressortir des redondances, mais également des spécificités dans la construction de formes de coordination entre les acteurs d’un territoire autour des problématiques agricoles, des métiers de l’artisanat et de l’alimentation. Nous chercherons à mettre en évidence les facteurs limitant la cohésion territoriale et pouvant générer des controverses. Dans le même temps, nous identifierons des facteurs clés facilitant l’ancrage des démarches dans le territoire. Nous nous questionnerons sur le rôle que jouent les intermédiaires des démarches collectives en circuit court, dans la structuration ou la fragilisation du territoire. Certains résultats ressortent de la lecture linéaire des cas d’étude.
3. 3. CHAPITRE 3 : DISCUSSION ET ANALYSE CRITIQUE 3. 3. 1. APPRENTISSAGES L’INNOVATION
ET MISE EN PERSPECTIVE DE LA SOCIOLOGIE DE
3.3.1.1. Des conditions d’émergence en lien avec la situation du marché agricole, les politiques régionales et les dynamiques territoriales i. Impacts du contexte global Les cas sur lesquels se base notre analyse ont émergé dans des contextes particuliers concernant, les conditions du marché des matières premières agricoles, l’orientation des politiques nationales et régionales relatives à l’agriculture et à l’alimentation et également, les préoccupations et attentes des consommateurs. Nous avons montré que la mise en mouvement des acteurs locaux est liée à un contexte de crise économique et sanitaire de la filière viande bovine, incitant les producteurs et les organisations de producteurs à se réapproprier les outils, les ressources et les filières de commercialisation. En Loire-Atlantique la crise ESB a fortement impacté sur les systèmes de production et d’élevage, cependant les initiatives se sont mises en place plus tardivement. Nous expliquons cela, par le fait de la conjugaison entre un contexte économique contraignant et de politiques publiques soutenant les démarches des agriculteurs face aux enjeux du développement durable. Dans le Pays de Figeac, la coopérative s’est également mise en mouvement suite à des réformes importantes de la PAC, puis sous l’effet de la crise de la vache folle. Ces éléments ont été déclencheurs de remises en question et de mobilisation d’un certain nombre d’acteurs face à un problème commun.
ii. Importance des dynamiques territoriales Les conditions d’émergence de ces initiatives sont également en lien avec les spécificités territoriales, tant du point de vue des dynamiques agricoles, démographiques ou économiques et sociales. En Loire-Atlantique, l’emprise de l’industrie agroalimentaire sur les outils d’abattage, de découpe et de transformation pour les filières d’élevage, joint à la volatilité des prix, a incité les éleveurs à chercher de nouvelles voies de valorisation de la matière première à travers la création d’un outil collectif comme alternative à l’industrie agroalimentaire. L’atelier de découpe-transformation multi-espèces est un illustre le positionnement d’éleveurs face à l’industrie agroalimentaire. Le cas de l’abattoir collectif illustre une autre problématique territoriale, d’un côté une volonté des éleveurs de gagner en autonomie sur l’ensemble de la filière viande et d’un autre côté, la situation complexe des artisans dont le modèle économique des boucheries artisanales 96
connait de fortes concurrences face aux grands distributeurs et dont le savoir-faire traditionnel, d’achat des bêtes, du travail de découpe a été substitué par leur enrôlement dans des filières structurées. De part et d’autre, les acteurs ont des intérêts communs à coopérer. Dans le Lot, la coopérative Fermes de Figeac, sous la pression, de la concurrence d’autres coopératives départementales, de la diminution du nombre d’actifs agricoles et du manque de débouchés pour les produits locaux, à chercher à se positionner dans une niche, comme vecteur d’opportunités de marché, créateur de liens sociaux, au sein d’un territoire rural en perte d’attractivité. Le développement d’outils collectifs, comme nous l’avons observé, requiert de la part des porteurs de projet des leviers de financement pour la construction des infrastructures, l’achat de matériels. En Loire-Atlantique, les porteurs de projet ont mobilisé des leviers de financement public, alors que la coopérative n’a pas mis en place d’alliance spécifique pour le financement de ses projets. Les acteurs sont dans un cas « dépendant » de l’engagement des politiques publiques pour la mise en œuvre des démarches, dans un autre cas, la coopérative est « dépendante » de la validation du projet par ses administrateurs et adhérents. En LoireAtlantique, les acteurs ont profité d’un contexte territorial enclin au développement des circuits courts alors que dans le lot, la démarche de la coopérative a précédé l’engagement des pouvoirs publics dans le développement d’une politique alimentaire territorialisée.
3.3.1.2. Une diversité de porteurs de projets et de modes de gouvernance i. Des individus aux statuts différents, mais semblables dans les pratiques Les individus porteurs des projets sont différents dans chacun des cas. Il nous parait important, de mentionner que l’émergence de démarches collectives en circuits courts ou de proximité ne repose pas seulement sur des individus issus du milieu agricole ou des consommateurs proactifs. Tous les acteurs ont des enjeux particuliers face au développement de nouvelles filières et débouchés pour l’agriculture ou l’artisanat. L’atelier de découpe est une initiative d’éleveurs, familiers de la vente directe, le projet d’abattoir collectif est issu d’une réflexion commune entre des acteurs actifs dans le monde de l’élevage, et de l’artisanat. Dans le cas de la légumerie-conserverie, la démarche vient de la rencontre entre des acteurs représentatifs des réseaux de développement territoriaux, des élus, des représentants d’organisations interprofessionnelles de l’artisanat et de l’agriculture. La démarche portée par la coopérative Fermes de Figeac, est une initiative des dirigeants de l’organisation de producteurs. Malgré une diversité apparente des statuts des fondateurs de démarches collectives, nous remarquons certains points en commun en termes, de pratiques et de position dans les réseaux. Que les acteurs proviennent du corps institutionnel, du monde coopératif, de l’agriculture ou de l’artisanat, ils sont en relation avec de nombreux réseaux (socio-professionnels, politiques, de conseil) leur permettant un accès à l’information et à des ressources stratégiques (appel d’offres, financement, expertise, etc.), et sont des individus moteurs de pratiques innovantes dans leur domaine de compétence. La capacité d’action et d’échange avec d’autres individus constitue également un point de concordance entre les fondateurs. Un des pionniers de la démarche de l’atelier de découpe en Loire-Atlantique est une personne active dans les réseaux agricoles, engagés dans une démarche de durabilité des pratiques d’élevage, en charge du développement commercial de 97
l’atelier de découpe « de la Terre à l’assiette », président de l’association de promotion d’un abattoir collectif et inséré dans les réseaux agricoles, et de l’artisanat. La coordinatrice du projet de légumerie conserverie, est chargée de mission au sein du bassin d’emploi du Pays d’Ancenis, elle a notamment contribué à la création d’une AMAP, et réalise de nombreuses actions dans l’accès à la formation et à l’emploi, à la communication avec les partenaires territoriaux. Enfin, le directeur de la coopérative Fermes de Figeac, est un acteur présent dans de nombreux réseaux territoriaux et extraterritoriaux. La position hiérarchique ou le statut social d’un individu sein d’une organisation ne déterminent pas sa capacité à mettre en place des projets innovants, et enrôler d’autres acteurs. Les « leaders » des démarches collectives sont des innovateurs, actifs dans les réseaux, et coutumiers du travail collectif.
ii. Différents degrés d’implication des producteurs dans la démarche Ces projets collectifs reposent sur des individus clés, porteurs d’idées et capables de mobiliser des réseaux d’importance, cependant la pertinence des projets s’observe à travers le groupe d’acteur dans son ensemble. Nous n’avons pas analysé la gouvernance interne des démarches collective, mais la question de la répartition des rôles et du « pouvoir » pourrait légitimement être posée. Dans le cas de la coopérative Fermes de Figeac, nous avons questionné certains des adhérents ou administrateurs sur le processus de décision interne. Il apparait que la coopérative affiche une volonté de promouvoir l’esprit « coopératif » en mobilisant des outils d’évaluation comme son adhésion à la charte du conseil coopératif, ou en ayant appliqué un bilan sociétal. La démarche qualité indique une volonté de participation et de communication interne. D’un autre côté, l’implication des adhérents de la coopérative dans la « vie sociale » de la structure peut être questionnée. Combien de producteurs bénéficient réellement de la mise en place des magasins Fermes de Figeac ? Et, qui sont-ils ? La gouvernance des magasins n’implique pas les producteurs qui participent et la filière de proximité développée à travers les boucheries, permet à une minorité d’éleveurs de valoriser leur image. Sachant que l’atelier de découpe « De la terre à l’assiette » mobilise près de 130 adhérents, peut-on penser que les 40 producteurs qui fournissent les magasins de la coopérative constituent réellement une population représentative de l’ensemble des 650 adhérents de la coopérative ? Dans le cas de la démarche de l’atelier de découpe et de transformation « De la terre à l’assiette », les décisions sont prises par les 10 associés de la SARL et de la CUMA. Tous ont une parité de vote et de décision égale dans les statuts. Nous avons eu accès à des informations plus précises sur le dispositif de gouvernance pour le cas de l’abattoir collectif. Il apparait, dans les comptes rendus des assemblées générales, une volonté, voir une condition posée par la chambre des métiers de mettre en place une gouvernance multiacteur, incluant les éleveurs et artisans partenaires du projet, les partenaires associatifs, institutionnels et les élus. Dans le cas du projet de légumerie-conserverie, la démarche est différente, les producteurs ont été inclus au projet dans un second temps. La construction du projet, et ses finalités ont été définies par les représentants du CBE du Pays d’Ancenis, les élus. La difficulté actuelle est d’inclure les producteurs dans la gouvernance et de transférer certains « pouvoirs » aux producteurs pour leur permettre de s’approprier l’outil. Derrière le terme de démarche collective, nous observons que différents modèles de gouvernance sont à l’œuvre, se distinguant entre autres, par le degré inclusion des producteurs ou partenaires au processus de construction et de décision. 98
3.3.1.3. Omniprésence des relations interpersonnelles et des réseaux face à des épreuves ou points de passage obligés L’application de la grille d’analyse en sociologie de l’innovation nous a permis de mettre en évidence l’importance des relations interpersonnelles dans le développement de la démarche collective. La succession des étapes de construction d’un réseau socio-technique fait apparaitre des épreuves face auxquelles les acteurs sont confrontés. La définition de points de passage obligés amène les acteurs à dépasser les obstacles et problèmes qui se dressent sur leurs routes. Nous remarquons que différents types de relations interpersonnelles interviennent, et permettent de mobiliser des ressources pour la construction du projet, puis de la démarche en elle-même. Nous souhaitons identifier les types de réseaux mobilisés, les épreuves qu’ils permettent de dépasser et les ressources qu’ils font intervenir au cours du processus. Simplement, à travers l’analyse linéaire des processus de construction des réseaux sociotechniques, nous avons remarqué, que la phase de problématisation est associée à des relations interpersonnelles de type relations de proximité géographique, amicale et des réseaux de réflexion pour faire face aux épreuves de construction du projet.
i. Les épreuves rencontrées par les acteurs des démarches collectives Le processus de construction des réseaux-socio-techniques se caractérise par une succession « d’épreuves », se définissant comme des « points de passage obligés » pour l’avancée du projet. Nous les avons relevés dans les différents cas étudiés. Les épreuves sont liées à différents facteurs, pouvant être des enjeux techniques, financiers, sociaux, organisationnels, ou dans la gestion des ressources. Les épreuves proviennent également du processus même de construction de la démarche depuis la phase de problématisation, vers la stabilisation du réseau socio-technique. Quels passages sont communs aux démarches étudiées ? Quelles sont les difficultés rencontrées par les acteurs de la démarche ? Les premières épreuves auxquelles sont confrontés les porteurs de projet sont la construction d’un modèle économique, juridique de la démarche et la définition des valeurs communes au groupe.
Nous avons retrouvé dans chacune des démarches analysées, une étape importante de définition des acteurs et du rôle qu’ils vont jouer dans la démarche. Ce point de passage implique une phase de prospection auprès des acteurs d’intérêt afin de les intéresser au projet et une série de négociations et de discussions, afin d’identifier les compétences spécifiques de chaque acteur peut apporter au processus. Cette étape s’est déroulée différemment en fonction des cas étudiés.
La définition des valeurs portées par la démarche est également un point de passage caractéristique, commun à chaque projet. Nous remarquons que malgré une diversité de définitions et de valeurs, « la qualité » et « la proximité » sont des termes récurrents sur lesquels les acteurs portent un vif intérêt et qui suscitent nombre de discussions collectives. Les valeurs associées aux démarches sont des points de références sur lesquels les acteurs porteront un jugement et pourront évaluer la pertinence de leurs actions. « L’équité dans les échanges », « la valorisation du territoire », ou « l’économie de proximité » sont les valeurs ou critères que l’on retrouve dans des principes des modèles concrets et également dans les fondamentaux de l’Economie Sociale et Solidaire.
99
Une épreuve du processus de construction consiste en la définition d’une forme organisationnelle, à travers sa structure juridique et financière. Cette étape implique de dimensionner la démarche en fonction de l’offre et de la demande et de mobiliser les financements nécessaires. Cette épreuve peut se révéler problématique dans le cas d’un besoin en financement élevé et des apports en autofinancement limités. Ce fut le cas pour les acteurs de l’atelier de découpe et transformation et également le cas pour la légumerie-conserverie qui fonctionne actuellement sur un modèle autofinancé. Le retour sur investissement pour la mise en place d’outils agroalimentaires ou de commercialisation est généralement plus élevé que pour des structures impliquant de gros volumes et cherchant à jouer sur les économies d’échelle. Cet aspect peut induire des difficultés pour les porteurs de projets, dans la recherche de financements externes donc dans l’aboutissement de leur projet.
Des épreuves techniques, sociales et d’autres, sont associées à des incertitudes quant à la gestion des ressources impactent sur la trajectoire des démarches collectives. La création de synergie en interne, mais également avec le territoire a pour but de renforcer les liens entre acteurs et stabiliser les démarches. Les épreuves techniques sont corrélées avec des changements de pratiques et l’apprentissage de nouvelles compétences dans la transformation des matières premières, dans les compétences en commercialisation et communication. Le besoin des producteurs en formation est central dans le changement de métier, leur permettant de transformer leur production, d’organiser leur travail au sein du système de production. Ces ressources sont apportées grâce à des coopérations avec des associations de développement et d’accompagnement, comme l’ADEFPAT, dans le lot. Les épreuves sociales sont principalement liées à la cohésion du groupe d’acteurs de la démarche et leur confrontation avec le territoire. Nous avons observé différents types d’épreuves sociales : La désolidarisation du groupe de fondateurs « de la terre à l’assiette » met en évidence des remises en question des décisions prises par certains associés, l’émergence de questionnement vis-à-vis de la viabilité économique du projet. Les tensions apparues entre artisans et éleveurs sont d’une part associées à la mise en concurrence de ces acteurs sur le marché, mais également liées à des incompréhensions et un manque de communication. Le dernier point que nous souhaitons aborder sur les épreuves concerne la gestion des ressources, tant en interne que des ressources territoriales. Nous remarquons que les enjeux portent sur l’approvisionnement des outils collectifs. Dans le cas de l’atelier de découpe, l’équilibre des matières constitue une des principales difficultés. Face à la concurrence des industries agroalimentaires, le volume de produits carnés varie fortement et pose des problèmes quant à la sécurisation de l’activité de commercialisation.
Les épreuves rencontrées par les acteurs des démarches, qu’elles soient, d’ordres organisationnels, techniques, sociales ou liées à la mise en place d’une gouvernance, requièrent un apprentissage et donnent lieu à la création de nouveaux liens entre acteurs.
ii. Mobilisation de réseaux et création de nouveaux liens En comparant l’ensemble des phases de construction des projets, des redondances apparaissent, principalement dans la phase d’émergence où les réseaux mobilisés sont des relations de conseil et de réflexion, faisant intervenir des experts extérieurs, des associations d’accompagnement, etc. Cette première phase mobilise des compétences d’ingénierie de projet, nécessaire à la construction de modèles économiques, juridiques et techniques. 100
Tableau 5 : Comparaison des réseaux et relations intervenant au cours de la construction des démarches collectives Cas d’étude Étapes de construction
Phase de problématisation
Intéressement
Enrôlement
Atelier de découpe
Abattoir collectif
Légumerie conserverie
Coopérative Fermes de Figeac
Demande de conseil Réseaux de réflexion
Demande de conseil Réseaux de réflexion
Demande de conseil Réseaux de réflexion
Demande de conseil Réseaux de réflexion
éleveur-éleveur association d’éleveursorganisation d’accompagnement Relation amicales, proximité géographique, cognitive Réseaux socio-professionnel, institutionnels
Eleveur-artisan Eleveur-éleveur Président CMA-artisan-éleveur Relation professionnelles, politiques Réseaux socio-professionnel, institutionnel
Coordinatrice CBE-agriculteur Élus CBE-coordinateur CBE
Directeur coop-association de développement Admirateur coop-dirigeants
Relations professionnelles Réseaux socio-professionnel, institutionnel, têtes de réseaux
Relations amicales, proximité géographique, cognitive Réseaux coopératif, politique
Eleveurs-éleveurs Fondateurs-collectivités Eleveurs-artisans
Associations, institutions, individuels, interprofessions
Coordinateurs CBE-Producteurs bio
Directeur coop — producteurs Dirigeant coop-administrateurs Coop-consommateurs
Réseaux de proximité géographique
Réseaux socio-professionnels, institutionnels, de conseil
Réseaux agricole, associatif, institutionnel
Réseaux coopératifs, agricoles
Éleveurs consommateurs Fondateurs-nouveaux agriculteurs
Eleveurs-artisans Multi-acteur
Coordinateurs-collectivité Producteurs-animateur Producteur-producteur
Réseaux de réflexion, de conseil
Employés coop-producteurs Coop-consommateurs Producteurs-consommateurs Nouvelles alliances : réseau caritatif social, réseaux de réflexion
Élargissement du réseau
Fondateurs-association de développement Têtes de réseaux éleveursartisans
Expert extérieur-coop fondateurs-collectivités territoriales fondateurs-producteurs
Remise en question, crises
Fondateurs-fondateurs Fondateurs-institutions
Concurrence démarche individuellecollective Réajustement des relations de pouvoir
101
Les relations interpersonnelles interviennent au long du processus de construction du réseau. On remarque dans chacun des cas, que la mobilisation des réseaux amicaux, de connaissance entre professionnels sont récurrente. La proximité géographique et cognitive entre les individus est également un facteur redondant entre les cas étudiés. Notons que la rencontre entre individus est une caractéristique spécifique de ces formes de coordination collective. En effet, la mise en place d’un modèle économique et juridique viable ne suffit pas à décrire les démarches collectives. Un ensemble de relations « formelles » et « informelles » sont à l’origine des liens qui se mettent en place avec le territoire. Du fait que les réseaux et les liens se localisent à l’échelle du territoire, la rencontre entre individus partageant une histoire commune, vient enrichir et solidifier les relations. De par, cette spécificité des démarches collectives ; de relocaliser l’agriculture et l’alimentation au sein d’un espace assez réduit, elles ont également vocation à rétablir une proximité entre les individus et de valoriser les rencontres physiques. Nous nous sommes questionnés sur l’échelle pertinente des démarches collectives, et les enjeux du changement d’échelle. Il ressort de notre analyse que la viabilité des initiatives dépend de leur capacité de coordonner l’approvisionnement et la distribution, localisés dans un bassin de production et de consommation, mais également à préserver la rencontre entre les acteurs. Les démarches que nous avons analysées permettent de recréer des liens qui, soit n’existaient pas auparavant, soit avaient disparu avec la transformation des systèmes de production, et le développement du système alimentaire « agro-industriel ». L’enjeu du développement des filières de proximité n‘est pas tant l’alimentation, mais la création de nouvelles dynamiques sociales au sein du territoire. Les liens que nous détaillons dans le tableau ci-dessous sont des vecteurs d’information, de communication entre acteurs, contribuant restructurer les réseaux sociaux, et décloisonner les schémas conventionnels – agriculture-agroalimentaire-consommation. C’est dans la transversalité des rapports entre acteurs que les démarches collectives trouvent leur légitimité, elles permettent en effet de créer des lieux de rencontres qui n’existent pas par ailleurs centré autour de l’objet alimentaire.
102
Tableau 6 : Description des liens construits grâce à la mise en place des démarches collectives au sein des territoires Liens transversaux
Liens entre coopératives et démarches collectives
Lien producteursproducteurs
Liens producteursintermédiaire
Liens producteurs — consommateurs
Liens producteurs — artisans
Coordination entre producteurs bio et non bio autour d’un projet commun
Création d’entités intermédiaires : flux économique, flux de matière, transfert d’informations, lieux de rencontre
Diversification des lieux de rencontre entre producteurs et consommateurs
Rétablissement des pratiques d’achat de bêtes en vif
Rencontre entre les élus, les producteurs, association, etc. autour d’une réflexion collective sur l’alimentation
Rencontres entre porteurs de projets, visites, partage d’expériences
Les liens complémentaires aux actes d’achat : visites de fermes, sensibilisation, éducation
Mise en place d’innovations sociales : communication entre éleveurs et artisans, recherchent de nouveaux modes de coordination via un outil collectif
Contribution des démarches collectives à la construction d’une politique alimentaire, effet d’entrainement sur les pouvoirs publics
Création de liens entre démarches collectives, création de réseaux d’innovations
Coordination entre éleveurs dans la mise en place d’un outil collectif
Structuration des filières courtes, liens entre offre et demande
Entre organisations du territoire
.. 103
3. 3. 2. DES
RESSOURCES DE MEDIATION POUR UNE COORDINATION COLLECTIVE
Nous avons fait l’hypothèse qu’au-delà des relations interpersonnelles les acteurs s’appuient sur des formes de médiation36, des règles internes qui contraignent les actions individuelles et produisent de l’action collective ; des dispositifs matériels qui permettent aux acteurs de se coordonner sans nécessairement interagir directement ». (Grossetti, 2010, p.10). Nous avons identifié deux catégories de médiations, une médiation centrée sur la démarche collective et une médiation orientée vers le territoire
3.3.2.1. Des ressources de médiation interne à la démarche : entre objets concrets et médiation non formalisée Reprenant le schéma de construction d’un réseau socio-technique, il apparait que les ressources de médiation évoluent dans la forme et le rôle qu’elles jouent dans la coordination collective. Comme vues précédemment, les premières phases correspondent à une réflexion commune, à une série de négociations portant sur les valeurs du groupe, les enjeux du projet, le type d’activités, le rôle que chacun joue. Les ressources de médiation que l’on observe fréquemment se distinguent comme suit :
L’intermédiation par des animateurs de réseaux permettant d’organiser la répartition des rôles, les enjeux communs, la définition et validation du projet. Le rôle des animateurs est central dans « l’intermédiation » des démarches collectives. Ce sont les premières étapes de la démarche, lors desquelles se mettent en place des rapports de confiance entre les acteurs, ou chaque individu exprime ses attentes, ou l’on identifie les compétences. Les ressources mobilisées sont des outils participatifs, comme la méthode GERDAL, qui aide les acteurs à formuler et à traiter les problèmes professionnels dans une approche participative et accompagnée.
La construction d’objets intermédiaires, tels que les chartes, les cahiers des charges ou de référencement des producteurs. Les acteurs des démarches collectives peuvent faire appel à des experts extérieurs, pour co-construire ces ressources. Des débats apparaissent sur la définition des termes. Nous l’avons observé dans le cas de la coopérative Fermes de Figeac, qui ont co-construit leur démarche qualité avec le soutien d‘un expert de la qualité des produits alimentaires et la définition de fiches de référencement de producteurs. La formalisation des règles collectives permet aux acteurs de valider un consensus sur des objets de l’action, comme « la qualité », « les pratiques agricoles », etc. Ces règles fondent les principes fondamentaux de la démarche et permettent aux acteurs de se coordonner sur des conventions collectives.
Les démarches collectives ont un fort besoin de médiation dans l’animation du groupe et la recherche de consensus sur les principes ou fondement de la coordination collective durant les premières phases du projet. La formalisation des règles est une étape clé du processus et requière des compétences spécifiques. Il apparait ensuite que les relations interpersonnelles et des modes de médiation « non formalisées » prennent le relai des « règles écrites ». L’enjeu pour nombre de démarche est le passage à l’acte et la planification des taches entre les acteurs. 36
Grossetti « considère comme ressource de médiation tout ce qui permet un échange sans passer par des chaines de relations personnelles » (Grossetti, 2010, p.10).
104
Comme le soulignent les acteurs, « nous avons appris à marcher en marchant » ou « en expérimentant ». Les ressources de médiation viennent compléter les relations interpersonnelles, elles sont cruciales dans les démarches qui reposent sur une gouvernance multiacteur. Dans le cas où les acteurs proviennent de « monde » différent, la médiation est d’autant plus importante.
3.3.2.2. Un manque de médiation destiné à réguler les interactions entre démarches collectives et territoire « À côté de la construction de règles collectives basées sur la proximité, se mettent en place des conventions territoriales... » (Touzard et al., 2010, p. 276). La mise en concurrences des démarches collectives avec des démarches individuelles ou des corps de métiers comme l’artisanat et les acteurs du territoire nous amènent à réfléchir a la pertinence de mettre en place des ressources de médiation non pas à l’échelle de la démarche, mais au niveau du territoire. Cette idée a été envisagée par un artisan de Loire-Atlantique, suggérant de mettre en place un système de régulation ou de coordination entre les éleveurs en vente directe et les artisans. Les initiatives que nous avons analysées portent des valeurs d’équité dans les rapports sociaux et économiques, de volonté de dynamiser le territoire et de promouvoir les savoir-faire. Face à ce constat est-il cohérent que des démarches portant ces valeurs restent « indifférentes » face aux impacts qu’elles peuvent générer au sein du territoire ? Dans l’exemple de la coopérative Fermes de Figeac, son insertion dans le territoire à des impacts sur la déstabilisation des commerces locaux. Ces impacts et craintes de la part des acteurs individuels s’expriment notamment à travers la démarche Mêlée gourmande. Pourraiton penser à un arbitrage entre les acteurs locaux, de manière à répartir « équitablement » le marché ? L’instauration d’un dialogue ou de démarche de résolution des conflits sont des options envisageables, pouvant prendre appui sur la plateforme de dialogue mise en place par le Pays. Dans le cas de la Loire-Atlantique, des outils de médiations pourraient également être créés spécifiquement pour la situation des artisans et éleveurs en vente directe. Les pouvoirs publics pourraient avoir un rôle à jouer dans la gestion de la concurrence à l’échelle locale. Cet axe de médiation de l’insertion des démarches dans les territoires est un aspect de la gouvernance alimentaire territoriale. Nous avons remarqué que les pouvoirs publics sont particulièrement actifs dans la région des Pays de la Loire, cependant la thématique de « régulation » des concurrences ne fait qu’apparaitre, mobilisant les chambres consulaires et les interprofessions. Pour le moment, aucune mesure concrète n’a été prise par les politiques. Un frein à cette médiation inter-acteurs est le principe de libre concurrence des agents économiques sur le marché. Ne pouvant nous défaire de ce principe de fonctionnement du marché, des instances de régulation pourraient venir accompagner l’insertion des démarches dans les territoires et analyser les impacts et externalités négatives induites par l’apparition d’un nouvel acteur compétitif sur un marché limité en termes de débouchés.
105
SUR LA NOTION D’« EMBEDDEDNESS DEVELOPPEMENT LOCAL ET EXCLUSION
3. 3. 3. DISCUSSION
»
ENTRE
Nous avons souhaité achever la discussion de cette étude sur la notion d’« embeddedness » d’après l’analyse proposée par Roberta Sonnino dans l’article « The power of place: embeddedness and local food systems in Italy and the UK », paru en mars 2007. « La notion d’“entrelacement social” n’est pas une caractéristique donnée. Elle résulte d’un procédé dynamique d’attribution de sens à travers lequel les acteurs sociaux construisent et défendent la relation entre le produit et le lieu. » (Sonnino, 2007). Le processus repose sur un groupe d’acteur pionnier ou « … un acteur individuel, qui amorcent le processus “d’embeddedness” par la refonte des reconnexions biolocal/régionales, » comme ce fut le cas pour la coopérative Fermes de Figeac. Comme le cadre d’analyse de la sociologie de l’innovation nous a permis de l’illustrer, le lien au lien apparait comme un processus de construction socioculturelle au sein duquel les acteurs en réseau négocient et redéfinissent les arrangements avec l’espace, les ressources, les objectifs. Le processus d’« embeddedness » analysé va ici au-delà du développement d’une réaction de « localisme défensif ». (Winter, 2003), les démarches n’ont pas été développées dans le but de dénoncer un système, ni contre un modèle dominant, mais cherchant à créer de nouvelles « symbioses entre l’alimentation et le territoire, les producteurs et les consommateurs, tradition et authenticité » ([traduction], Sonnino, 2007). Le discours de la coopérative cherche en effet à se positionner sur des valeurs composées du triptyque : « alimentation, territoire et agriculture », pour la démarche de l’atelier de découpe de la terre à l’assiette : « durabilité, équité, authenticité ».
106
CONCLUSION L’analyse que nous venons de mener nous apporte plusieurs points de compréhension sur les dynamiques collectives et leur insertion dans le territoire. En premier lieu, nous observons des constantes dans les conditions d’émergence des démarches collectives. Elles sont toutes liées à un contexte de changements et de crises agricoles et agroalimentaires. La réforme de la PAC, la succession des crises de l’ESB, a impacté sur les systèmes agricoles et induit des questionnements et une prise de conscience auprès des acteurs pionniers des démarches. Un besoin de repenser la relation entre agriculture, alimentation et territoire a donc stimulé le passage à l’acte de ces acteurs et structures. En second lieu, la grille d’analyse de la sociologie de l’innovation a été validée dans chacun des cas d’étude. La succession des étapes de problématisation, d’intéressement, d’enrôlement et d’élargissement du réseau, ne se succède pas linéairement comme Michel Callon l’indique dans la théorie de la traduction. Des boucles de rétroaction et des itérations entre les phases d’intéressement et d’enrôlement s’observent tout au long du processus de construction du réseau-sociotechnique, à mesure que de nouveaux acteurs intègrent ou interagissent avec le projet, et que de nouveaux liens se mettent en place avec le territoire. Un facteur déstabilisant le réseau-sociotechnique et amenant les acteurs à problématiser le projet est énoncé dans la théorie et se confirme dans la pratique. Ce sont les remises en question, qui jalonnent la construction du dispositif. En Loire-Atlantique, nous avons observé cette remise en question du projet, à travers la menace de départ d’un fondateur, révélant des incompréhensions quant à l’évolution du projet. En pays de Figeac, il ne nous semble pas avoir noté de remise en question majeure du projet, au sein des fondateurs, mais des réactions de la part des producteurs, souhaitant bénéficier de la plus-value sociale qu’apportent les magasins en termes de valorisation de l’image et de reconnaissance de leur métier. Ces remises en cause ou épreuves portent dans le premier cas sur la conjugaison entre facteurs économiques et sociaux. Une attention particulière à ces revendications doit être portée par les fondateurs afin de maitriser la trajectoire de la démarche et limiter les externalités négatives induites par la gouvernance. Les relations interpersonnelles et les ressources de médiation sont des composantes essentielles aux structures de coordinations des démarches collectives. La mise en place de règles, de principes communs constitue les fondamentaux du fonctionnement des réseaux socio-techniques. Ces objets intermédiaires sont formalisés sous forme de chartes, de cahiers des charges, d’accord de principe. La médiation prend également la forme de dispositif d’animation des groupes d’acteurs dans les phases de construction des démarches. L’intervention d’experts externes est fréquemment mobilisée dans la construction des règles et la définition des valeurs partagées et dans la construction « sociale » de la qualité telles que la « qualité », « la proximité ». La médiation passe à travers différents canaux, dont les médiateurs font partie. Les relations interpersonnelles se caractérisent par un ensemble relations entre acteurs et organisations. Il ressort de l’analyse, une prédominance de relations amicales, de conseil pendant les premières phases du projet. Les relations de pouvoir mobilisant des réseaux politiques et socio-professionnels interviennent particulièrement lors que les porteurs des projets cherchent à intéresser, enrôler et créer de nouvelles alliances. La rencontre entre individus constitue une des principales caractéristiques des systèmes de coordination. En effet, la relation directe est omniprésente dans les activités économiques, entre producteurs, 107
intermédiaires et clients. Les intermédiaires des circuits courts et de proximité jouent un rôle clé dans la mise en relations des acteurs du territoire. Ces structures, dont la gouvernance peut être réalisée par les producteurs eux-mêmes, ou par des acteurs extérieurs comme la coopérative Fermes de Figeac ou le Comité du Bassin d’Emploi du Pays d’Ancenis interviennent à travers les échanges informationnels, la rencontre entre acteurs institutionnels, acteurs du monde agricole, la société civile, les consommateurs. Au-delà des spécificités structurelles et des finalités qui les distinguent, ils constituent des lieux de rencontre ou des plateformes d’échanges et de communication. L’insertion des démarches collectives dans les territoires s’observe à travers les liens matériels, immatériels et les réseaux. Les liens matériels se traduisent par la mobilisation des ressources agricoles, agroalimentaires présentes sur le territoire. La construction d’un outil collectif tel que l’atelier de découpe constitue un élément de l’insertion des activités économique au sein d’un lieu. L’ensemble des démarches collectives et individuelles sur un territoire contribue à structurer un système agroalimentaire localisé, impactant sur le paysage, sur les dynamiques socio-économiques. Les liens au lieu s’observent dans la construction d’un discours par les porteurs de projets. L’encastrement social « implique un processus dynamique d’attribution de significations par lesquelles des acteurs sociaux construisent et défendent le rapport entre un produit et un lieu » ([traduction] de Sonnino, 2007). Ce processus repose sur des éléments historiques, culturels, ou identitaires du territoire, promus dans les discours, des politiques, des porteurs de projets, comme nous l’avons observé. Il ressort de l’analyse la création d’un discours et de pratiques qui renforce le lien au lieu. Nous l’observons dans le discours des acteurs mentionnant, la volonté de renforcer les dynamiques territoriales et de valoriser les ressources locales. Enfin nous observons que le lien au lieu s’observe à travers la création de nouvelle connexion entre les réseaux territoriaux. Comme nous l’avons souligné précédemment, les intermédiaires des circuits courts jouent un rôle crucial dans la mise en réseaux des acteurs. Le cas du projet de légumerie-conserve, regroupant des producteurs en conventionnel, en agriculture biologique illustre le fait que par le biais d’un intermédiaire, les nouvelles relations se sont développées. Une diversité de liens apparaît par le biais de l’étude des réseaux. Nous ne sommes pas allés jusqu’à modéliser ces liens, cependant, nous en avons identifié les principaux. Ces connexions reposent sur quelques acteurs, que l’on identifie de par leur position stratégique, au sein de la démarche collective et également au sein d’autres réseaux du territoire. Les réseaux politiques, en particulier, régionaux, territoriaux et locaux ont une forte influence sur les démarches collectives notamment en Loire-Atlantique, avec le soutien financier, et technique du conseil général, des collectivités territoriales et des chambres consulaires. La mise en place sur un territoire, d’une forme d’engagement politique en faveur de l’économie de proximité peut être motrice de l’émergence de démarches, telles que l’atelier de découpe, le projet de création d’un abattoir collectif, ou encore la légumerie-conserverie du Pays d’Ancenis. Nous ne pouvons cependant pas établir de constat quant à la pérennité de ces projets. La faible implication des pouvoirs publics dans le projet de la coopérative Fermes de Figeac est également liée au fait que les porteurs de la démarche sont issus d’une structure suffisamment conséquente pour mobiliser les ressources financières, et techniques requises au montage du projet. De plus, lors de l’émergence de l’initiative, le Pays de Figeac, n’avait pas encore développé de politique en faveur de la relocalisation de l’alimentation. Dans ce dernier point, nous abordons la double action du développement de démarches collectives en circuit court et leurs impacts sur la structuration ou la déstabilisation du territoire. La fragilité inhérente des réseaux alimentaires locaux est mise en relief, à travers un équilibre entre concurrence et coopération qui est une constante et une part active des réseaux de 108
maintenance. ([Traduction], Sonnino, 2007). L’équilibre dont parle l’auteur est un aspect qu’il faudrait analyser plus précisément. L’effet d’entrainement induit par les démarches collectives a été soulevé dans cette étude, cependant, des concurrences émergent dans le même temps. L’équilibre entre concurrence et complémentarité est discutable, et requiert selon nous un besoin de régulation et de médiation. Nous nous questionnons sur le type d’acteurs légitimes pour instaurer une régulation ou une négociation multi-acteurs autour de ces problématiques.
109
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Adir. (2010). Observer les circuits courts à l’échelle des territoires. MAAP, FR Civam Bretagne. 8 p. Azoulay G. 2012. Jean-Louis Rastouin et Gérard Ghersi – Le système alimentaire mondial : concepts et méthodes, analyses et dynamiques – Editions Quae, 565 p. Économie rurale, 329, mai – juin 2012, pp. 98-99. Bernon F., Derio M., Pain M. 2013. Circuits courts de l’Économie Sociale et solidaire. Les publications du labo de l’ESS, Paris. 22 p. Boltanski L., Chiapello E., 2011. Le Nouvel Esprit du Capitalisme. Editions Gallimard, 1999. 971 p. Callon M. 1986. Eléments pour une sociologie de la traduction. « La domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins pêcheurs de la baie de Saint-Brieuc ». L’année de la sociologie, N° 36. 1986. pp. 209-221 Chiffoleau Y. 2013. Circuits courts alimentaires, dynamiques relationnelles et lutte contre l’exclusion en agriculture. Economie rurale [en ligne], 332, nov-dec, mis en ligne le 30 novembre 2012, consulté le 14 janvier 2013. URL : http://economierurale.revues.org/3694. Chiffoleau Y., Laporte C. 2004. La formation des prix : le marché des vins de bourgogne. Revue française de sociologie, 2004/4 Vol. 45, pp.653-680. Chiffoleau Y., Degenne A. L’analyse des réseaux sociaux, clé d’analyse et d’intervention pour le développement des circuits courts alimentaires : applications en France. Inra, CNRS. 9 p. Colonna P ; Fournier S., Touzard J-M. 2013. Food systems in Esnouf C. Russel M, Bricas N., Foods systems sustainability. Insights from duALIne, Cambridge, cambridge University Press 2013, pp. 69-100. Colonna P, Fournier S., Touzard J-M. 2011. Chapitre 4 : Systèmes alimentaires. In : duALIne – Durabilité de l’alimentation face à de nouveaux enjeux. Questions à la recherche. Rapport (INRA, Cirad), pp.60-85. Deverre C., Lamine C. 2010. Les systèmes agroalimentaires alternatifs. Une revue des travaux anglophones en sciences sociales. Économie rurale [en ligne], 317. Mai-juin 2010, mis en ligne le 5 mai 2012. URL : http://economierurale ;revue ;org/index2676.htm. Filippi M., Triboulet P. 2006. Coordination des acteurs et valorisation de produits liés à l’origine. Les signes d’identification comme signes d’exclusion ? Revue d’économie régionale & urbaine, 2006/1, juin, pp. 103-129. Fourcade C. 2008. Des dynamiques territorialisées novatrices : le cas des PME agroalimentaires. Revue d’économie régionale & urbaine, 2008/2, juin, pp.193-210. Fourcade C. 2006. Les systèmes agroalimentaires comme modalités collectives. Revue française de gestion, 2006/8, n ° 167, pp. 103-201. Fournier S., Touzard J-M. 2013. Syal et globalisation : Quelle valeur heuristique de l’approche Syal pour appréhender la complexité des systèmes alimentaires ? In : VI Congreso 110
Internacional, Sistemas Agroalimentares Localizados, Florianopolis, Bresil, 2013, 27 p. Friedberg E. 1981. L’analyse sociologique des organisations. In : série « les dossiers pédagogiques du formateur ». POUR, n° 28, octobre 1981, Paris. 110 p. Michel Grossetti, 2010, « Réseaux sociaux et ressources de médiation », in Vincent Liquette (coord), Médiations, Les essentiels d’Hermès, Paris, CNRS éditions, p. 103-120. Lamine C., Chiffoleau Y. 2012. Reconnecter agriculture et alimentation dans les territoires : dynamiques et défis. POUR, novembre 2012, n° 215-216, pp. 85-92. Le Velly R., Paturel D. 2012 Associer circuits courts et aide alimentaire ? Un dispositif de marché expérimental en Languedoc-Roussillon. In : 6ème Journées de recherche en sciences sociales INRA, SFER, CIRAD, Toulouse, 13-14 décembre 2012, 24 p. Prevost B. Echanges alimentaires et juste prix, un détour par l’histoire de la pensée économique pour alimenter un débat contemporain. L’homme et la société, 2012/1, n ° 183-184, pp. 35-59. Rastoin J-L. 2006. Vers de nouveaux modèles d’organisation du système agroalimentaire. Approches stratégiques. Inra, Montpellier. 11 p. Roep D., Wiskerke H. 2006. Nourishing networks : Fourteen lessons about creating sustainable food supply chains. Rural sociology Group, Wageningen University, 176p. Sonnino R., 2007. The power of place: embeddedness and local food systems in Italy and the UK. Local food products and systems, S2, Mars 2007. 9 p. Teisserenc P. 1994. Politique de développement local : la mobilisation des acteurs. Sociétés contemporaines, n° 18-19, Juin/Septembre 1194, pp. 187-213. Touzard J-M., Chiffoleau Y., Dreyfus F. 2008. Analyser l’innovation dans un Système Alimentaire localisé : construction interdisciplinaire en Languedoc. Cahier Agricultures, vol. 17, n° 6, nov-dec 2008, pp. 526-531.
111
ANNEXE Table des annexes Annexe 1 : Acteurs rencontrés pour l’analyse des démarches collectives en Pays de Figeac et Loire-Atlantique ................................................................................................................. 113 Annexe 2 : Tableau des territoires envisagés par l’étude .................................................. 115 Annexe 3 : Structure générale guide d’entretien ............................................................... 116 Annexe 4 : Exemple du guide d’entretien producteur-élevage ......................................... 117
112
Annexe 1 : Acteurs rencontrés pour l’analyse des démarches collectives en Pays de Figeac et Loire-Atlantique Profils des acteurs Directeur, administrateurs de la coopérative Fermes de Figeac Responsables magasins Gamm Vert, Fermes de Figeac Technicien de la coopérative Fermes de Figeac, Réseau d’animation « La clé des Champs »
Producteurs commercialisant en circuits courts
Producteurs ne commercialisant pas en circuit courts Chambre départementale d’agriculture
Elus, parties-prenante de la démarche Terre de Figeac, Mêlée Gourmande
Représentant épicerie sociale et solidaire Expert extérieur
Personnes rencontrées Directeur général de la coopérative Fermes de Figeac Administrateurs de la coopérative Fermes de Figeac Responsable produits régionaux (hors boucherie), magasin Gamm Vert Responsable Boucherie magasin de Souseyrac
Effectif cumulé 1 2 3 4 5
Animatrice et technicienne du réseau agricole de la coopérative Fermes de Figeac Maraicher, GAEC familial, vente circuits courts, et grossistes Eleveur de porcs sur Paille, GAEC, transformateur, vente directe et circuits courts
6 7
Eleveurs de volailles fermières, vente directe et circuit court Producteur « Paysan » en agriculture biologique « Biodynamie », transformation par un intermédiaire, vente directe et circuits courts, grossiste Éleveurs vaches laitières, producteurs de lait et transformateur en Fromage et élevage de volailles grasses. Commercialisation en vente directe et circuits courts Eleveur de vaches laitières en agriculture biologique et président d’une association commercialisation lait (lait bio 12) et administrateur de la coop. Fermes de Figeac
8
Eleveur de vaches laitières en conventionnel et administrateur de la coopérative Fermes de Figeac Conseillère agricole à la chambre d’agriculture du lot
9
10
11
12 13
Animateurs et coordinateurs Terres de Figeac, responsable développement des TPE et PME Maire de la commune de Bagnac sur Célé et élu au sein de la démarche Terre de Figeac Maire de Camburat, Femme d’éleveur conventionnel, partieprenante du groupe des « Passeuses de goût », groupe élus : Mêlée Gourmande Responsable Centre social de Figeac, projet épicerie solidaire, partenaire groupe Mêlée gourmande, élu Haut-Ségala
14
Consultant externe, projets collectifs, qualité des produits alimentaires
18
15 16
17
La phase terrain en Pays de Figeac a été l’occasion d’observer le déroulement de deux initiatives de communication avec les consommateurs :
Le marché nocturne de Figeac avec la participation du groupe grillade de la coopérative Fermes de Figeac 113
La visite chez un éleveur dans le cadre de « la clé des champs »
En Loire-Atlantique, la démarche d’enquête a concerné les acteurs suivants : Profils des acteurs
CGAD, Confédération Générale de l’Alimentation de Détail Terroir 44, association d’accompagnement et de développement, réseau de producteurs en vente directe Chambre Régionale d’Agriculture des Pays de la Loire CBE Pays d’Ancenis, Comité du Bassin d’Emploi, instance d’animation de dialogue social, de concertation et d’action Atelier de découpe, transformation « De la Terre à l’Assiette »/Projet d’abattoir de proximité Chambre des Métiers de l’Artisanant de LoireAtlantique Cap 44, Association et SCIC, d’appui à l’agriculture paysanne Conseil Régional des Pays de la Loire
Personnes rencontrées Déléguée Générale CGAD Pays de la Loire, accompagnement projet de l’abattoir de proximité de Puceul, partenaire du projet INTERVAL Président de la CGAD Pays de la Loire, associé atelier multi espèce « de la terre à l’assiette » et association de l’abattoir de Puceul, boucher-charcutier Coordinatrice association terroir 44, accompagnement projet « de la terre à l’assiette », « terroir sur la route » Coordinateur association terroir 44, partenaire du projet INTERVAL
Effectif cumulé 1
2
3 4 5
Chargée de mission circuit de proximité, CRA 6 Chargée de mission au CBE du Pays d’Ancenis, initiatrice du projet de légumerie-conserverie Eleveur à l’origine du projet de « la Terre à l’assiette » atelier de découpe et magasin de producteurs, et président association de l’abattoir de Puceul Gérante de l’atelier de transformation multi-espèces « De la terre à l’assiette » Président de la chambre des métiers et de l’artisanat de LoireAtlantique, partie-prenante du projet d’abattoir de proximité de Puceul Directeur de Cap 44, impliqué dans le projet « de la terre à l’assiette », « projet de légumerie-conserverie » Chargé de mission Filière Bois et Proximité, conseil régional des Pays de la Loire, charte de proximité, appels d’offres circuits de proximité
7
8 9
10
11
114
Annexe 2 : Tableau des territoires envisagés par l’étude Territoires envisagés Caractéristiques du territoire
Démarches identifiées/Intermédiaire
Présence d’un partenaire du projet
Pays Cathare®
Pays de Lunel®
Vallée de la Drôme, Biovallée®
Loire-Atlantique
Pays de Figeac
Viticulture 55 % du produit brut agricole, secteur touristique développé, zone montagneuse, littoral, zones forestières. élevage Systèmes polyculture
Enjeux agricole forts, pression démographique, modèle agricole tourné vers l’export, filières longues
Agriculture diversifiée, maraichage, viticulture, plantes aromatiques, élevage. Pôles urbains et ruraux, 2ème département de France en superficie, paysages contrastés. 1er département de l’agriculture biologique de France.
Agriculture orienté élevage, vin, maraichage majoritairement. Forte pression démographique et fort développement des filières agroalimentaires, GMS. Localisation des circuits courts proches des zones urbaines. vente directe à la ferme principal mode de commercialisation
Zone rurale, agriculture d’élevage extensif bovin viande et lait, maraichage dans la vallée du Célé. agriculture à risque, exode rural, Maillage de hameaux, bourg, centrée sur Figeac. Toulouse pôle urbain fort.
La marque collective « Pays Cathare » propriété du Conseil Général de l’Aude depuis 1992, valeurs identitaires. Coordination par la chambre d’agriculture, et association des producteurs agricoles du pays Cathare
Marque territoire, partenariat communauté de commune, association de développement, chambres consulaires. enjeux de développer les circuits courts, redynamiser l’économie locale
Marque territoire déposée en 2002, partenariat communautés de communes, habitants, entreprises privées, associations Thématiques du développement durable, Filière biologique, restauration collective.
Atelier de découpe/transformation multi espèces, « de la terre à l’assiette », initiative éleveurs/artisans, projet d’abattoir de proximité. Projet de légumerieconserverie, du bassin d’emploi du Pays d’Ancenis. Présence d’intermédiaires économiques et accompagnement des collectivités territoriales ; Enjeux d’étude des concurrences éleveurs/artisans
Recherche de valorisation des produits locaux, créer des synergies territoriales, Marque territoire Pays de Figeac, Mêlée gourmande® + initiative de magasins de produits locaux développés par la coopérative Fermes de Figeac.
non
Non et déjà étudié par les stagiaires
non
Oui, CGAD, Terroir 44
Oui, Coopérative Fermes de Figeac
115
Annexe 3 : Structure générale guide d’entretien
Thématique 1 : Parcours professionnel et trajectoire personnelle
Étapes clés du parcours et relations stratégiques
Contexte du territoire, changements majeurs
Engagement dans des réseaux au sein du territoire
Apprentissages, prise de conscience, passage à l’acte
Thématique 2 : Émergence et gouvernance de la démarche collective
difficultés rencontrées et motivations de travailler collectivement
profil de ses collaborateurs, relations, coordination, dialogue
Enrôlement d’autres acteurs, engagement dans le projet
Répartition des rôles dans le groupe
règles mises en place, outils de médiation, accompagnement
étapes clés du projet, contraintes rencontrées,
Thématique 3 : Activités économiques, fonctionnement technique
Activités et pratiques dans son activité économique
Coordination économique avec les acteurs des filières
Viabilité du modèle économique, pérennité de la démarche
Ressources requises, activées, outils collectifs, organisation du travail
contraintes rencontrées, freins,
plus-values générées, économiques, sociales, autre
Thématique 4 : Lien avec le territoire
Pratiques et stratégie d’action de communication
Coopération dans d’autres projets du territoire
Valeurs associées à la démarche, valeurs associées aux produits,
Coopération, concurrences, négociation
Évolution des guides d’entretiens
116
Annexe 4 : Exemple du guide d’entretien producteur-élevage Présentation de l’enquêteur Nom, prénom, domaine d’activité. Pourquoi je suis là aujourd’hui ? Pour qui je travaille ? Pourquoi est-ce utile pour lui ? Comment va se dérouler l’entretien ? Les grandes phases. L’objectif est de déterminer comment se caractérise l’insertion d’une démarche collective autour de l’alimentation, dans le territoire. Comprendre les choix qui ont été faits au cours de l’évolution de la démarche. Chercher à savoir ce qui fait territoire. Les conditions des plusvalues c’est aussi une inscription réussie dans le territoire. À quelles conditions territoriales on en est arrivé là et les impacts au niveau des gens de la démarche, mais aussi pour les autres acteurs du territoire. Comment la démarche se renforce dans son interaction avec le territoire ? Quels sont les leviers de la coordination ? Facteurs explicatifs. Données professionnelles et personnelles
1. Parcours professionnel et trajectoire personnelle Quelles sont vos origines familiales ? Est-ce l’exploitation familiale ? Quelle est votre formation initiale ? Quel est votre parcours professionnel ? Votre descendance reprendra-t-elle la suite de l’exploitation ?
2. Étapes clés de son parcours d’éleveur et de coopération Par quelles étapes il est passé avant d’arriver dans sa situation actuelle ? Quelles personnes ont été importantes dans les décisions que vous avez dû prendre ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? Quels éléments extérieurs à votre système d’exploitation ont eu un impact sur vos choix de production ? (crises de consommation, réglementation, événements climatiques, autres) Comment avez-vous procédé pour faire face aux difficultés ? Quelles sont les ressources ont été mobilisées ? Quelles coopérations avez-vous mises en place ? Avec qui ? Sur quel champ d’intervention avez-vous coopéré ? Quels apprentissages et changements pour vous ? Quand vous avez besoin de conseil sur qui vous vous appuyez ? Quelles sont les productions et activités présentes sur l’exploitation ?
1. Pénibilité du travail et variation annuelle En moyenne combien d’heures de travail réalisez-vous par jours ? Combien de jours par semaines ? Quelles activités pendant la semaine ? Y a-t-il une variabilité saisonnière ? Que faites-vous en dehors de votre travail d’agriculteurs ? D’après vous, votre main d’œuvre est-elle adaptée à votre activité ? Est-ce compliqué de trouver de la main-d’œuvre pendant l’année ? 117
Quelles sont les sources d’incertitude liées à votre activité ?
2. Pratiques et filières de commercialisation Quels sont l & ²s modes de commercialisation de vos produits agricoles ? Quels intérêts voyez-vous à coupler circuits courts et circuits longs ? Quels produits sur quels circuits ? Pourquoi ? Qu’est-ce que ça représente en termes de chiffre d’affaires ? Comment fixez-vous les prix en CL vs CC ? En termes de pratiques ? Négociation ? Commercialisez-vous des produits issus de l’agriculture ou de l’élevage en circuits courts ou de proximité ? Quel est votre point de vue sur les motivations qui poussent les agriculteurs à choisir ce type de circuits de commercialisation ? Connaissez-vous d’autres producteurs pratiquants cette alternative ? Comment percevez-vous cette stratégie de développement local de la part des acteurs du territoire ? Les élus locaux sont-ils engagés dans la valorisation du local ? Le Pays de Figeac ?
3. Coordination agricole et mutualisation Qu’est-ce que vous partagez avec d’autres ? Mutualisez-vous des ressources avec d’autres producteurs ? Avec qui ? Pourquoi eux et pas d’autres ? Des terres ? Fermage Du matériel agricole ou de transformation ? Achat d’intrants ? Des travailleurs ? Autre mode de coopération ? Est-ce de façon formelle (CUMA, SCIC, etc.. ) ou informelle (entre voisins, amis, autres) ? Quelles sont les raisons de ce choix ? Qu’est-ce que cela vous apporte ? Est-ce que vous êtes membre de quelques associations (Syndicat, CUMA, Coop, SCIC) ? Partagez-vous des outils de transformation pour réaliser ses activités ? Lesquels ? Comment gérez-vous la répartition de l’utilisation ? Qui allez-vous voir quand vous avez-besoin d’un conseil technique ? Avez-vous des responsabilités et engagements professionnels au niveau régional, départemental local en dehors de l’exploitation ? Quelle a été votre trajectoire au sein de la coopérative Sicaseli ? En tant qu’adhérent de la coopérative ? Quels services sollicitez-vous de la coopérative ? (Préparation alimentaire animale, formation, aide au financement, autre), matériel agricole, énergie, bois ?
Démarche collective 118
Pourriez-vous m’indiquer les motivations qui vous ont amené à envisager de créer une démarche collective avec d’autres agriculteurs ? À quelle problématique cherchez-vous à répondre en vous organisant collectivement ? Spécifique à l’élevage ? Foncier ? Main d’œuvre ? Sécurisation des risques ? Autre…
4. Émergence de la démarche et coordination collective Comment avez-vous procédé pour décider de la structure organisationnelle de votre groupement ? Comment est né ce projet Quelles sont vos motivations personnelles ? Quels producteurs sont engagés ? Sont-ils des agriculteurs comme vous (j’entends par « comme vous » : vision, stratégie, pratiques, personnalité ?) Ont des surfaces agricoles équivalentes ? (petites, moyenne, grande) Des préoccupations sur le développement local Des pratiques agricoles, bio, raisonnées… Comment c’est passé la rencontre entre les producteurs ? Est-ce qu’il a été nécessaire de se mettre d’accord sur quelque chose de précis pour débuter la rencontre ? Sur qui vous êtes-vous appuyé pour monter le projet ? Avez-vous mobilisé des ressources nouvelles ? (communication, logistiques, savoir-faire, acteurs, mode de décision en groupe, animateurs) Certains sont-ils partis en cour de route ? Pourquoi ? D’autres ont-ils intégré le projet ? Comment se déroulent les réunions, les discussions ? Par quelles grandes étapes le groupe et passé pour mettre en place le projet ? Valider les objectifs la stratégie ? Comment passez-vous à l’action ? Est-ce difficile d’opérationnaliser vos idées ? Sur qui vous appuyez vous pour avoir des conseils ? Pour avoir des formations ? Pour avoir des aides administratives ou pour les subventions ? La situation actuelle est-ce celle que vous avez voulue au départ ?
5. Gouvernance interne Quel est le mode de gouvernance ? En termes de risques, qu’est-ce qui change dans la mise en commun de ressources ? de compétences ? Cela convient-il à tous les producteurs ? Vous faites appel à un prestataire de services pour vous appuyer dans votre projet ? Lequel quel type de formalisation a été mis en place ? 119
Sur quel point d’accroche du concept vous êtes-vous mis d’accord avec les autres producteurs pour démarrer le projet ? Avez-vous formalisé ces étapes ? Participez-vous à des activités d’animation (ex. clés des champs, groupe grillade, etc.) ? Avez-vous des relations directes avec les consommateurs ? Quelle est votre perception sur les attentes/satisfaction ? Comment percevez-vous la demande locale pour vos produits ? Comment évolue-t-elle ? Pensez-vous que tout le monde peut acheter vos produits (prix, localisation, culture, temps…) ?
6. Lien au territoire Comment avec vous interagit avec les ressources du territoire ? Comment avez-vous bénéficié de ce qui est présent sur le territoire ? De quelle(s) nature(s) sont les échanges non apportés par les circuits courts avec les autres agriculteurs (entraide, amitié, courtoisie, concurrence…) ? Comment ont évolué ces échanges dans le temps ? Qu’est-ce que cela vous apporte ?
7. Lien producteur-producteurs De quelle(s) nature(s) sont les échanges avec les autres producteurs ? Comment ont évolué ces échanges dans le temps ? Qu’est-ce que cela vous apporte ? D’après vous, quelle image de votre métier et de votre travail ont vos pairs ? Qu’est-ce que cela vous apporte ? 8. Lien démarche-consommateurs De quelle(s) nature(s) sont les échanges avec les consommateurs, si vous en avez ? Comment ont évolué ces échanges dans le temps ? Qu’est-ce que cela vous apporte ?
9. Lien producteur-artisan Comment se passent les relations avec les artisans, commerçants de détail de la zone ? Dialoguez-vous avec eux ? Commercez-vous avec eux ?
10. Liens démarche-élus De quelle(s) nature(s) sont les échanges non apportés par les circuits courts avec les autres acteurs du territoire (voisins…) ? Comment ont évolué ces échanges dans le temps ? Qu’est-ce que cela vous apporte ? Les pouvoirs publics locaux participent-ils suffisamment au soutien des projets collectifs ? Sont-ils engagés dans une démarche de communication, de concertation ou de co-constrution avec les acteurs du territoire, autour des thématiques d’alimentation ?
11. Effets d’entrainement, innovation Quels on été les impacts de cette démarche sur votre exploitation ou activités économiques et sociales ? Sur le type de produits que vous proposez ? 120
Sur vos relations avec d’autres producteurs ? Et pour les autres, qu’est-ce qui a changé ? Pouvez-vous hiérarchiser ces enjeux ? — — — — —
Aspects économiques Aspects techniques (modes de production…) Organisation du travail (temps de travail, main d’œuvre, statuts…) Autonomie, « innovation » Perception de la dimension alimentaire (qualité des produits…)
Votre démarche incite-t-elle d’autres à se regrouper ou à coopérer ? De la part d’autres producteurs ? De la part d’élus ? De la part d’organisations déjà présentes sur le territoire ?
121
RESUME Les circuits alimentaires de proximité suscitent un engouement renouvelé depuis quelques années. Si la vente directe a fait l’objet de nombreuses analyses, les circuits de distribution reposant sur des partenariats entre producteurs et intermédiaires restent peu étudiés alors qu’ils représentent un potentiel important. Notre étude s’inscrit dans un cadre du projet CASDAR INTERVAL, coordonné par la FRCIVAM de Bretagne. L’objectif de cette étude est de déterminer comment se caractérise l’insertion des démarches collectives en circuit court dans le territoire. Nous entendons comprendre les choix et les mécanismes de coordination qui ont été réalisés au cours de l’évolution de la démarche. Notre questionnement s’articule autour de la problématique suivante ; À quelles conditions une démarche collective s’insère-t-elle au sein du territoire, et génère des plus-values socioéconomiques ? Sur la base des constats et questionnements, nous avons élaboré un cadre théorique mobilisant l’approche des Systèmes agroalimentaires Localisés (SYAL), enrichi par des approches en sociologie de l’innovation, et sociologie-économique. Cette étude cherche à tester les hypothèses suivantes ; « Au-delà des relations interpersonnelles, les acteurs s’appuient sur des formes de médiation… » (Grossetti, 2010). « À côté de la construction de règles collectives basées sur la proximité, se mettent en place des conventions territoriales... » (Touzard et al., 2010). Deux territoires, caractéristiques des problématiques rurales et urbaines ont été sélectionnés. Le premier se situe en zone rurale, dans le département du Lot, dans le Pays de Figeac. Le second se localise dans le département de Loire-Atlantique, incarnant un espace fortement urbanisé, un système agroalimentaire industrialisé et des filières agricoles diversifiés. Nous étudions dans chacun de ces territoires, des initiatives collectives portées par des intermédiaires contrastés, coordonnant leurs activités autour de la transformation ou de la commercialisation de produits alimentaires. Les résultats font apparaitre des constantes dans les conditions d’émergence des démarches collectives. Elles sont toutes liées à un contexte de changements et de crises agricoles et agroalimentaires. L’encastrement des démarches collectives en circuit court s’observe dans la mobilisation d’un ensemble de ressources du territoire, dans la construction d’un discours par les porteurs de projets, et à travers la création de nouvelles connexions entre les réseaux territoriaux. Le développement de démarches collectives impacte doublement sur les territoires. Les effets se traduisent par une structuration des réseaux sociaux, de nouveaux échanges économiques et informationnels, mais également par l’émergence de concurrences entre corps de métiers ou démarches collectives et individuelles.
ABSTRACT Short food chains of closeness arouse a craze renewed since a few years. If the direct sale was the object of numerous analyses, distribution networks basing on partnerships between producers and intermediaries remain little studied while they represent an important potential. Our study joins in a frame of the project CASDAR INTERVAL, coordinated by the FRCIVAM de Bretagne. The objective of this study is to determine how is characterized the insertion of short food chains in the territory. We intend to understand choices, mechanisms of coordination which were realized during the evolution of the initiatives. Our inquiry focuses on the following issues; Under what conditions is a collective approach does fit within the territory and generates socio-economic impacts? Based on the findings and questions, we developed a theoretical framework mobilizing the theoretical framework of the SYAL approach, enriched by approaches in the sociology of innovation, and economic sociology. This study seeks to test the following hypotheses, "Beyond interpersonal relationships, actors rely on forms of mediation ..." (Grossetti, 2010). « In addition to the construction of collective rules based on proximity, is set up regional conventions ... » (Touzard et al., 2010). Two territories, characteristics of rural and urban issues were selected. The first is located in a rural area in the department of Lot in the Country of Figeac, the second is localized in the department of Loire-Atlantique, embodying a highly urbanized area, industrialized food system and diversified agricultural sector. The results appear in constant conditions for the emergence of collective action. They are all linked to a context of change and agricultural and food crises. Embeddedness of short food chains can be observed in the mobilization of all resources of the territory, in the construction of a discourse by the project sponsors, and through the creation of new connections between territorial networks, including producers, intermediaries, consumers and public institutions. Embeddedness of short food chains generate double impacts on the territory. It contribute to structure socio-technical networks, new economic and informational exchanges, but also by the emergence of competition between actors, or collective and individual initiatives.