Institut d’Études Politiques de Grenoble Charles SINZ
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L’utilisation et la manipulation de l’idéologie dans le discours politique dans le cadre d’élections nationales en France. (Le cas du candidat François Hollande dans la primaire socialiste de 2011 et de la présidentielle de 2012)
Année 2013-2014
Séminaire : « Communication, marché et démocratie » Sous la direction de Haithem Guizani et Bernard Denni
Institut d’Études Politiques de Grenoble Charles SINZ
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L’utilisation et la manipulation de l’idéologie dans le discours politique dans le cadre d’élections nationales en France. (Le cas du candidat François Hollande dans la primaire socialiste de 2011 et de la présidentielle de 2012)
Année 2013-2014
Séminaire : « Communication, marché et démocratie » Sous la direction de Haithem Guizani et Bernard Denni
Remerciements Les remerciements sont à la fois un début et une fin. Un début pour le lecteur qui s’apprête à découvrir le fruit d’un travail de plusieurs mois, une fin pour le rédacteur qui l’invite à repenser au chemin qu’il a parcouru et à ceux qui l’on aidé à le parcourir.
Je tiens ainsi à remercier en premier lieu mes professeurs de séminaire, monsieur Bernard Denni pour ses conseils méthodologiques et bibliographiques avisés, monsieur Haithem Guizani pour ses enseignements dispensés tout au long de l’année.
J’adresse un grand merci à Claudia Courtial amie et partenaire qui m’a accompagné tout au long de ce cheminement tortueux dont je ne voyais pas la fin et que je n’aurais pu atteindre seul.
Je tiens également à remercier Elliott Bernard, ami fidèle et lui-même retardataire du rendu du mémoire avec lequel j’ai traversé bons et mauvais moment.
Je remercie ma famille et plus particulièrement mes parents et mes grands parents pour leur soutien sans faille.
Enfin j’adresse un grand merci à l’ensemble des membres du service flux du CIC Lyonnaise de banque de Grenoble qui m’ont permis de traverser plus doucement cette période âpre de mon existence pendant laquelle j’ai mené une double vie, celle de banquier la journée et celle de chercheur-étudiant la nuit.
À tous merci.
« Un candidat qui dit la vérité c’est un président qui ne déçoit pas » Manuel Valls, Troisième débat de la primaire socialiste i>Télé, Europe, Le Parisien, LCP-Assemblée Nationale Mercredi 28 septembre 2011
Sommaire Sommaire ............................................................................................................... 5 Introduction............................................................................................................. 6 Partie 1 :
De l’existence d’une seconde langue ................................................... 11
Chapitre 1 : De la langue naturelle aux idéosystèmes : construction et diffusion des idéologies à travers le discours politique ...................................................................... 12 Section I : Langue et politique ................................................................................... 12 Section II : Idéologie et discours politique : construction et légitimation par l’art de la rhétorique ............................................................................................................... 19 Chapitre 2 : De l’idéal au réel: évolution idéologique du socialisme et du Parti socialiste français 35 Section I : Organisation, structure et représentation des systèmes de partis ............ 36 Section II : Panorama sur l’idéologie socialiste et l’idéologie du Parti socialiste ........ 42
Partie 2 :
De l’ « homme normal » à l’ « homme sans com’ » ............................... 54
Chapitre 1 : Section I : Section II : Chapitre 2 : gauche Section I : Section II :
Un discours de gauche parmi d’autres discours de gauche ? ................. 59 Analyse lexicométrique classique ............................................................. 59 L’analyse de similitude appliquée au corpus de la primaire citoyenne ..... 72 De l’écart entre le candidat de la primaire et le candidat de (toute) la ............................................................................................................. 77 Analyse lexicométrique classique du « corpus global François Hollande » 78 Analyse de similitude appliquée au « corpus global candidat Hollande ». 88
Conclusion ............................................................................................................ 93 Bibliographie ......................................................................................................... 97 Annexes .............................................................................................................. 102 Table des illustrations.......................................................................................... 108 Table des matières .............................................................................................. 109
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Introduction « François Hollande, libéral depuis 1985 » (Fontenelle, 2014) Au lendemain de la conférence de presse tenue par le président de la République François Hollande, le mardi 14 janvier 2014, et dans laquelle il a présenté les grandes lignes d’un «pacte de responsabilité », la France semble découvrir ébahie une nouvelle facette du candidat socialiste qu’elle a élu en 2012. Car en 2012, le candidat François Hollande était bel et bien considéré comme le candidat de toute la gauche socialiste, fort de sa victoire à la primaire citoyenne de 2011. Pourtant, tout au long de son parcours et notamment durant les longues années d’expérience qui ont précédé son élection à la tête de l’État français, François Hollande s’est toujours décrit comme social-démocrate et parfois même comme social-libéral. Ce dernier déclarait même en 2006, dans son ouvrage intitulé Devoir de vérité (Hollande, 2006) organisé sous la forme d’un entretien avec le journaliste Edwy Plenel, que c’était à la gauche et à des hommes de gauche comme François Mitterrand, Pierre Bérégovoy et plus tard Lionel Jospin que l’on devait la déréglementation de l’économie française… Doit-on donc parler de « parenthèse idéologique » pour le candidat Hollande dans les deux campagnes nationales qu’il a mené en 2011 et 2012 ? Ce tournant libéral qu’il a finalement feint de révéler, a été vécu au début de l’année 2014 comme une trahison par les citoyens Français contribuant ainsi à renforcer le discrédit qui touche aujourd’hui la classe politique française dans son ensemble. Un discrédit palpable de part et d’autre de l’échiquier politique français qui semble résulter, comme le précise Françoise Boursin dans son article Crise de la confiance ou de la communication politique (Boursin, 1999), d’une triple crise, de la confiance, du politique et de la communication politique. François Hollande, candidat « outsider » à la primaire socialiste de 2011, est finalement devenu président de tous les Français en mai 2012. Président le plus impopulaire de la Vème République, souvent qualifié de simple « commentateur » de l’actualité, c’est véritablement le décalage entre son discours et son action qui lui est reproché. Le Parti socialiste, dont il est issu et la gauche en général sont également victimes de ce discrédit, un discrédit avant tout idéologique. L’idéologie, la politique et le discours sont trois disciplines étroitement liées. La politique n’est pas une pratique exclusivement discursive, la cognition politique repose à l’origine sur l’idéologie. Cette idéologie politique est reproduite par et dans le discours politique. Le concept d’idéologie est un concept imprécis qui pendant longtemps a été
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péjorativement connoté. Considéré comme contraire à la vérité, il était opposé à la connaissance objective. Karl Marx et Friedrich Engels parlaient à propos de l’idéologie de « forme de conscience fausse » (Dijk, 2006, par. 2). Du Grec idea, idée et logos, science, la notion d’idéologie a été créée et introduite par le philosophe français Antoine Destutt de Tracy en 1796 dans son ouvrage Mémoire sur la faculté de penser. La notion d’idéologie y est utilisée pour désigner une science ayant pour objet l’étude des idées. À cette même époque, le terme est également utilisé pour désigner ou référer aux systèmes de croyance politique (Freeden, 1998). Les approches classiques du concept d’idéologie considèrent que ce terme est doté d’une nature dominante, les idéologies jouant un rôle important dans la légitimation des abus de pouvoir. Gramsci (Gramsci, 1971) parle de cette caractéristique propre aux idéologies tandis que Bourdieu (Bourdieu, 1994, pp. 265-277 in Dijk, 1994, par.4) préfère parler de pouvoir symbolique ou de violence symbolique. « Une idéologie est le fondement des représentations sociales partagées par un groupe » (Dijk, 2006, par. 4). Teun Van Dijk, dans son article Politique, idéologie et discours (Dijk, 2006), précise que les idéologies sont dotées de propriétés à la fois cognitives et sociales. Elles permettent la cohésion et la coopération au sein d’un groupe. Elles contrôlent les discours des individus membres du groupe et leurs attitudes sociales permettant ainsi la coopération, la cohésion et la coordination au sein du groupe mais également la gestion de la compétition, des luttes et des conflits entre les groupes. Les idéologies sont représentées en terme sociocognitif plutôt qu’émotionnel car elles sont socialement partagées. Les émotions étant par définition individuelles. Enfin, il est important de différencier l’analyse des idéologies de leur emploi et de leur manifestation réelle dans le discours qui, quand à lui, peut déclencher des émotions. Dès lors qu’une idéologie acquiert des fonctions politiques dans le champ politique on parle d’idéologie politique. Ce champ politique est composé de la cognition politique, modèle mental de réflexion de la politique, de processus politiques, de pratiques politiques et de discours politiques. Autant d’éléments mis en œuvre par les groupes politiques tels que les partis politiques. Le champ politique peut être défini par ses systèmes politiques globaux tels que la démocratie, la dictature, par leurs actions macrosociales spécifiques comme les élections, la législation, la prise de décision et enfin par leurs micropratiques, interactions ou discours tels que les débats parlementaires, les campagnes électorales ou les manifestations. Il se caractérise également par ses relations sociales particulières telles que celles du pouvoir institutionnel, par ses normes et valeurs spécifiques mais aussi par ses cognitions politiques. Le processus politique est un processus essentiellement idéologique et la cognition politique est un synonyme à peine dissimulé de l’idéologie. L’organisation sociale du champ politique, des hommes et des partis politiques est basée
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sur les différences, les parallèles et les alliances idéologiques. Les idéologies politiques participent à la production de discours et à leur compréhension et ce n’est qu’à travers le discours que les idéologies politiques peuvent être formulées, exprimées. C’est véritablement à cette articulation entre idéologie et discours que nous nous intéresserons tout au long de ce mémoire. « Les relations entre discours et idéologies politiques sont habituellement étudiées en terme de structure des discours politiques » (Dijk, par. 45). En effet, pour étudier ces relations, on se concentre sur l’utilisation d’items lexicaux, les constructions syntaxiques, les figures de style, l’argumentation ou encore l’implication. Les discours sont conceptualisés en terme de « structures contextuelles » (Duranti, 1992 In Dijk, 2006, par. 46). Il est très important de prendre en compte ces aspects spécifiques de la situation politique que l’on peut résumer sous les questions suivantes : « qui parle ?», « quand ? », « où ? », « à / avec qui ? » et « comment ? ». Ces contextes que l’on peut également désigner sous le terme de « modèles mentaux » déterminent la façon dont les participants vivent, interprètent et se représentent une situation politique. « C’est en effet à travers cette forme de contextualisation que nous pouvons relier les idéologies des participants à leur discours » (Gumperz, 1982 In Dijk, 2006, par. 46). Même le statut politique présuppose une certaine idéologie politique qui participe à cette contextualisation. Ces modèles contextuels conditionnent et contrôlent donc un certain nombre d’éléments du discours politique, notamment les actes de parole, en fonction des intentions, et la sélection d’information dans le modèle mental, selon le sujet abordé et à qui le discours s’adresse. Ils conditionnent également les niveaux de style du discours politique et les schémas globaux du discours. La structure des débats parlementaires est un exemple représentatif de schéma global du discours. L’idéologie politique conditionne la façon dont des interlocuteurs s’expriment et comprennent les autres. Toutes les catégories du discours ne sont cependant pas influencées par des idéologies sous jacentes. Autrement dit, même s’il existe une multitude d’idéologies, la grammaire de la langue utilisée reste la même pour tous. On parle de langue primaire ou de langue naturelle. Ainsi, on peut présupposer que les différences idéologiques sont plus présentes dans le fond que dans la forme du discours. Il existe entre autres des structures idéologiques générales qui conditionnent le discours politique et que Teun Van Dijk, résume sous la forme du « carré idéologique » (Dijk, 2006, par. 55). Ce dernier réside en quatre points essentiels dont l’interlocuteur va suivre les grandes lignes à savoir : accentuer ses points positifs, accentuer les points négatifs de son adversaire, atténuer ses points négatifs et atténuer les points positifs de l’adversaire. Au delà de ces stratégies idéologiques
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générales qui se résument à faire une présentation positive de soi et une présentation négative de l’adversaire, il existe des structures idéologiques sous jacentes beaucoup plus complexes et qui peuvent s’apparenter à un second langage : les « idéosystèmes ». Ces idéosystèmes sont définis par le politologue Frédéric Bon comme des structures qui s’articulent sur les langues naturelles et surajoutent leurs règles de signification. Pour saisir un énoncé politique, il faut ainsi à la fois parler français mais également parler politique (socialiste, communiste...). Les idéosystèmes sont donc des sous-ensembles d’une langue naturelle qui comprend les phrases construites selon les règles d’une idéologie. La primaire socialiste de 2011 et la campagne présidentielle de 2012 constituent ensemble un objet d’étude particulièrement intéressant. La primaire socialiste de 2011 a vu s’opposer plusieurs candidats se revendiquant d’une idéologie commune, l’idéologie socialiste. La dimension citoyenne de cette primaire constitue un enjeu important pour le Parti socialiste, alors désireux de relancer le débat idéologique au sein de sa famille. Cet épisode démocratique a eu un impact médiatique particulièrement important pour le parti : il lui a permis de s’adresser à l’ensemble des citoyens français et de leur offrir une représentation de l’idéologie socialiste à l’heure actuelle. Au cours de ces primaires, six candidats du Parti socialiste et du Parti radical de gauche se sont opposé, en essayant de se distinguer les uns des autres tout en démontrant l’unité de leur famille politique. Différentes variables de l’idéologie socialiste ont donc été présentées, allant de la gauche de la gauche avec le candidat Arnaud Montebourg, à la droite de la gauche avec le candidat Manuel Valls. C’est finalement François Hollande qui a été élu pour représenter la gauche socialiste pendant l’élection présidentielle de 2012.
Ainsi nous avons trouvé pertinent d’étudier l’évolution de l’idéologie manipulée dans les discours de François Hollande et des autres candidats de gauche (Martine Aubry, Arnaud Montebourg, Ségolène Royal, Manuel Valls et Jean-Michel Baylet) lors de la primaire de 2011 et de l’élection présidentielle de 2012. Nous chercherons donc à savoir à travers cette étude de cas précise comment l’idéologie peut être utilisée et manipulée dans le discours politique dans le cadre d’élections nationales en France.
En ce qui concerne la méthode choisie, j’ai décidé d’allier étude théorique de la construction du langage politique et idéologique et étude analytique des discours afin d’en saisir tous les enjeux. L’étude analytique que j’ai réalisée a fait l’objet de la constitution d’un
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corpus. Celui-ci est composé des annonces de candidatures des cinq candidats socialistes, des quatre débats de la primaire socialiste, et d’un ensemble de 25 discours prononcés par François Hollande lors de la présidentielle de 2012. Après retranscription, correction autographique et normalisation, ces textes ont été soumis à une analyse lexicométrique à travers le logiciel Iramuteq, développé par Pierre Ratinaud1. L’intérêt d’une analyse lexicométrique est de pouvoir retransmettre les univers lexicaux utilisés dans les différents discours, et ainsi de pouvoir en relever les différences et les similitudes. Une telle analyse permet donc de cerner avec précision et méthode la teneur idéologique de chaque discours étudié.
La difficulté inhérente à ce type d’analyse réside dans le fait qu’elle ne permet pas de saisir toutes les subtilités syntaxiques et stylistiques présentes dans les discours et les débats. Il est important de souligner que l’idéologie ne se résume pas au champ lexical, mais qu’elle peut se concrétiser dans des figures des styles spécifiques et complexes.
Aussi l’apprentissage en autodidacte d’un tel logiciel ne nous a pas permis d’en exploiter toutes les fonctionnalités qui auraient pu nous permettre d’approfondir nos analyses.
La première partie de ce mémoire vise donc à étudier la relation entre idéologie, politique et discours, les fondements et l’évolution de l’idéologie socialiste, les relations entre systèmes de parti et démocratie représentative. Autant d’éléments indispensables pour réaliser l’analyse que nous venons de décrire et en déduire des interprétations pertinentes. La seconde partie sera donc consacrée à cette analyse lexicométrique et aux résultats que nous en avons déduits. Il sera question de comparer les discours des six candidats à la primaire, puis de l’évolution du discours de François Hollande entre la primaire et la présidentielle. Nos propos serons illustrés d’un certains nombre de figures obtenues à l’aide du logiciel Iramuteq et de l’interface R2.
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http://www.iramuteq.org/
2
http://www.r-project.org/
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Partie 1 :
De l’existence d’une seconde langue
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Chapitre 1 :
De la langue naturelle aux idéosystèmes :
construction et diffusion des idéologies à travers le discours politique
Section I :
Langue et politique
Tous les éléments observés dans le champ politique semblent renvoyer à la linguistique, à l’univers des signes et des symboles. Ainsi, selon le politologue Frédéric Bon « matière et langue semblent se confondre » (Bon, 1991, p. 241). Le politiste s’intéresse davantage aux formes sous lesquelles un événement a été représenté plutôt qu’aux faits en soi. « L’action politique elle même semble avoir pour objet la production de langages et de symboles » (Ibid. p. 242) et les exemples illustrant ce propos sont nombreux : les textes juridiques, les circulaires ministérielles, les ordres, les discours, les plans, les motions, les programmes, les cérémonies...
Fonctions de la langue naturelle dans le processus interprétatif
Les supports symboliques auxquels la vie politique a recours sont extrêmement variés. Parmi ceux-ci on trouve des images, des musiques, des vêtements, des boissons ou encore une certaine alimentation. Comme le synthétise très bien Frédéric Bon « Tous les produits de l’activité humaine ou en relation avec l’activité humaine peuvent être repris et valorisés par l’action politique » (Ibid., p. 243). La dimension politique de la vie publique ne se limite pas à la langue naturelle que nous avons déjà évoquée. Frédéric Bon donne un exemple intéressant en relation avec les différentes interprétations qui peuvent être faites d’une même photographie. En 1923, suite à l’occupation de la Ruhr par les troupes françaises, le Parti Communiste Français (PCF) lance une campagne anti belliciste opposée au président de l’époque, Raymond Poincaré. Ce dernier est pris en photo dans un monument aux morts avec un certain rictus apparent. Trois interprétations foncièrement différentes émergent alors de ce cliché. Le PCF crie au scandale en désignant Raymond Poincaré comme « l’homme qui rit dans les cimetières », le président justifie son expression en expliquant que son visage était tiraillé par le soleil tandis que les salles de rédaction parisiennes relient ce rictus à la chute de l’un des journalistes dans une fausse creusée du cimetière alors qu’il était à la recherche du meilleur angle. Cet exemple aux traits humoristiques met en évidence le fait que le langage impose une certaine signification qui
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peut bloquer tout discours interprétatif. Il est alors nécessaire, pour comprendre cette scène, de prendre en compte des éléments extérieurs à la photographie : le soleil qui est un contexte spatial ou la chute, un contexte temporel. Cette logique interprétative est présente à tous les niveaux et dans tous les domaines. Elle fonctionne notamment avec la musique ou avec les images : « La parole vient fixer le sens de l’émotion créée par la musique » (Ibid., p. 245). L’image devient véhicule d’un message dès lors que l’interprétation est codifiée. « La langue naturelle est l’intermédiaire indispensable pour lever l’ambigüité liée à la polysémie des moyens d’expression » (Bon, 1991, p. 245).
Introduction à la linguistique
Ferdinand de Saussure (1857-1913), fondateur du structuralisme en linguistique est connu pour être l’un des principaux fondateurs de la linguistique moderne et de la sémiologie. Une grande partie de son travail sur la linguistique se concentre dans son ouvrage Cours de linguistique générale (Saussure, 1995). Il considère le langage comme un ensemble confus de faits d’ordre physique, psychologique et mental et résume le phénomène linguistique en deux faces. La première, le langage, est un ensemble de sens articulés, la seconde correspond à l’idée évoquée par le son. « Le langage est à la fois social et individuel ... il est une institution actuelle et un produit du passé » (Saussure, 1995, p. 24 In Bon, 1991, p. 246). Il réalise ainsi la distinction entre langage et parole. « La langue est à la fois un produit social de la faculté du langage et un ensemble de conventions nécessaires, adoptées par le corps social pour permettre l’exercice de cette faculté chez les individus » (Saussure, 1995, p. 25 In Bon, 1991, p. 246). La langue existe au sein d’une communauté et ce n’est qu’à partir de cette communauté qu’elle peut exister parfaitement. La parole quand à elle relève de l’exécution. « La langue est sociale et passive tandis que la parole est individuelle et active » (Bon, 1991, p. 247). Cette opposition entre langue et parole peut être simplifiée sous la forme de l’opposition entre système et événement. « La langue est ce qu’il reste lorsqu’on a éliminé du langage toutes ses déterminations particulières, c’est à dire un système universel d’équivalence entre des images phoniques et - pour reprendre le vocabulaire de Saussure – des concepts » (Bon, 1991, p. 247).
La linguistique moderne est édifiée sur cette distinction. Sans remettre en cause
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l’articulation développée par Ferdinand de Saussure, Noam Chomsky, linguiste et philosophe américain, développe un nouvel axe « compétence / performance ». Il apporte également le concept de « grammaire générative » qui correspond à la compétence du locuteur auditeur à produire et à percevoir un discours. Une compétence particulièrement étendue car elle permet au locuteur auditeur de comprendre et d’assimiler des phrases qu’il n’a jamais entendu auparavant. Noam Chomsky parle de capacité à « former de nouveaux énoncés qui expriment des pensées nouvelles, adaptées à des situations nouvelles » (Chomsky, 1969, p. 19 In Bon, 1991, p. 248). La puissance du langage réside dans le fait qu’il « offre des moyens finis mais des possibilités infinies » (Chomsky, 1969, p. 56 In Bon, 1991, p. 248). C’est véritablement le caractère créateur de la langue qui est mis en avant. Enfin, même si Chomsky considère que le langage est quelque chose d’inné tandis que Saussure le considère plus comme un acquis social, tous deux réalisent la même distinction entre l’acte de parler et les éléments qui fondent la capacité à parler. Cette distinction inaugurée par Saussure a été particulièrement féconde dans plusieurs sous disciplines de la linguistique telles que la phonologie, la morphologie mais également dans le champ de la syntaxique. Le succès de la démarche saussurienne a été plus limité dans le domaine sémantique comme le fait remarquer George Mounin3, linguiste français. Il n’existe pas de véritable théorie linguistique cohérente de la signification.
De la sémantique à l’idéologie politique
Dans le Cours de linguistique générale, Ferdinand de Saussure différencie la substance phonique de la pensée. Il illustre ses propos en donnant l’image d’une feuille de papier dont le recto est la pensée, le verso la parole, le son. La symétrie entre le recto et le verso étant parfaite. Cette hypothèse de symétrie a été remise en cause par la dynamique des recherches linguistiques et notamment par le linguiste français, père de l’analyse fonctionnaliste, André Martinet. Ce dernier développe le concept de double articulation du langage (Martinet, 1967, pp. 17-21 In Bon, 1991, p. 249) décomposé en monèmes (mots) et phonèmes (lettres et syllabes) remettant ainsi en cause l’hypothèse de symétrie de Saussure. « Le découpage de la substance phonique n’a pas d’équivalents dans le domaine de la pensée ; la feuille de papier ne se fragmente que sur le verso » (Bon, 1991, p. 247).
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De son véritable nom Louis Leboucher.
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Les générativistes4 distinguent également une asymétrie mais à un autre niveau : « La compétence linguistique est définie comme l’aptitude à former et à comprendre des phrases en fonction des règles syntaxiques » (Bon, 1991, p. 247). Distinction qui pose problème à partir du moment où la notion de grammaticalité ne se superpose pas à la notion de signification. Noam Chomsky donne un exemple particulièrement probant pour illustrer ces propos. Il démontre que l’on peut émettre des phrases grammaticalement correctes mais dépourvues de sens : « Colorless ideas sleep furiously » (Chomsky, 1967, p. 17 In Bon, 1991, p. 250) ; et des phrases grammaticalement incorrectes mais douées de sens : « Read you a book on modern history ?» (Chomsky, 1967, p. 17 In Bon, 1991, p. 250). La mise en lumière de l’existence de ce type de phrases grammaticalement correctes mais dénuées de sens introduit une nouvelle asymétrie et souligne la difficulté de « l’entreprise sémantique » (Bon, 1991, p. 250). « Pour donner une définition scientifiquement exacte de la signification de chaque forme d’une langue, il nous faudrait posséder un savoir scientifiquement exact de tout ce qui forme l’univers du locuteur (...). L’établissement de la signification est donc le point faible de l’étude de la langue et le restera tant que nos connaissances ne seront pas plus avancées qu’elles ne le sont aujourd’hui. En pratique, nous définissons la signification d’une forme linguistique partout où nous le pouvons, dans les termes d’une autre science. Là où c’est impossible, nous sommes obligés d’avoir recours à des expédients ». (Bloomfield, 1970, pp. 132-133 In Bon, 1991, p. 250) Le domaine de la sémantique, sous discipline de la linguistique qui s’intéresse au sens des mots, reste donc encore largement inexploré et c’est ici, comme le précise Frédéric Bon que se situe « la place du politiste qui s’efforce de percer les secrets du langage politique ... » (Bon, 1991, p. 251). Ce dernier approfondit ainsi son étude de la linguistique en redoublant l’opposition « langue / parole ». Il appuie son analyse sur le discours des dirigeants communistes : « Le pouvoir gaulliste est l’expression renforcée de la domination des monopoles » (Rochet, 1961 in Bon, 1991, p. 251). Une phrase grammaticalement correcte mais dont la signification ne peut être saisie par la simple compétence en langue française. Pour en saisir le sens, il est nécessaire de recourir à un second système de valeurs sémantiques : le discours communiste. Une phrase plus neutre
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La linguistique générativiste regroupe un ensemble de théories développées à partir des années
1950 par Noam Chomsky. Opposée au béhaviorisme et au structuralisme elle réalisme une entre compétence et parole qui distingue la capacité langagière de l’acte de parole
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telle que « Il y a un renouveau dogmatique parmi les sectaires » peut prendre différentes significations en fonction du système auquel elle est référée. C’est l’idée que développe l’anthropologue et ethnologue Claude Lévi Strauss à propos du mythe. En effet, il avance l’hypothèse qu’un mot peut être saisi à deux niveaux différents, à la fois comme un signifiant normal mais également comme ayant un lien avec un système significatif plus important, une nouvelle sphère d’intelligibilité. C’est à dire que l’articulation « roi / bergère » présente dans de nombreux contes et mythes recouvre l’articulation « mâle / femelle » et « haut / bas ». Ferdinand de Saussure considère que le signe linguistique est une unité à deux face composée d’une image phonique, le signifiant, et d’un concept, le signifié. Louis Hjelmslev, linguiste danois, prolonge les réflexions de Saussure et reprend sa distinction entre signifiant et signifié en y associant cependant des concepts différents. Il considère que la langue est articulée entre le plan de l’expression, le signifiant, et le plan du contenu, le signifié. Il définit également l’existence d’une langue au second degré, composée des outils fournis par une langue naturelle pour sa propre description. Ce « métalangage » (Hjelmslev, 1968, p. 165 In Bon, 1991, p. 252) comme il le dénomme, le discours politique y recours souvent car il lui donne des ressources considérables. « La langue permet aussi de construire des signes dont les signifiants sont des signes » (Bon, 1991, p. 253). Au degré zéro de la signification le terme « roi » signifie simplement roi et le terme « bergère » signifie simplement bergère. Le mythe transforme ce degré zéro en construisant un nouvel univers de sens redoublant ainsi le contenu du signifié. On peut trouver une quantité infinie de métalangages dans un mythe : le niveau connotatif, le niveau dénotatif, l’analyse de ces deux premiers niveaux, le commentaire de cette analyse, le commentaire de ce commentaire... « L’énoncé politique obéit à la même dynamique que celle du conte, mais il la porte à son terme ultime » (Bon, 1991, p. 253).
Pour saisir toute la signification d’un énoncé politique, il faut à la fois parler la langue naturelle dans laquelle il est exprimé mais également « parler politique ». La phrase issue du discours des dirigeants communistes « Le Pouvoir Gaulliste est l’expression renforcée de la domination des monopoles » (Rochet, 1961) prend son sens dès lors que l’on saisit l’utilisation du terme « monopole » dans ce contexte ci. Le pouvoir gaulliste ne se limite pas au pouvoir du général de Gaulle ni à celui du mouvement politique qui s’en réclame. « Peut-être convient-il d’inverser la problématique : les mythèmes sont-ils des
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mots des mots qui fonctionnent simultanément sur deux plans, celui du langage où ils continuent de signifier chacun pour soi, et celui du métalangage où ils interviennent comme éléments d’une super-signification qui ne peut naître que de leur union » (Lévi-Strauss, 1973, p. 171 In Bon, 1991, p. 254).
La notion d’ « idéosystème » introduite par Frédéric Bon synthétise toutes ces réflexions sur la sémantique. Ces « idéosystèmes » sont des structures qui s’articulent sur les langues naturelles et surajoutent leurs propres règles de signification. Elles peuvent être de nature diverse et variée : religieuse, mythologique, scientifique... « Une classe particulière nous intéresse : les idéosystèmes qui organisent la perception du champ politique, structurent le discours de ses agents et plus généralement organisent une vision du monde en fonction ou en vue de notions politiques » (Bon, 1991, p. 254).
Frédéric
Bon
utilise
le
d’idéologie
terme
pour
désigner
cette
classe
d’ « idéosystèmes ». Les « idéosystèmes » sont des sous-ensembles d’une langue naturelle qui comprend les phrases construites selon une idéologie. Ils répètent la distinction langue / parole à l’intérieur de l’univers de la parole. « La langue fonctionne principalement au niveau de l’expression, les « idéosystèmes » structurent d’abord des contenus » (Ibid., p. 255). Ces structures contraignent à la fois le locuteur mais lui permettent de s’exprimer et elles sont, comme le précise Fernand Braudel, « prisons de longue durée » (Braudel, 1969, p. 51 In Bon, 1991, p. 256). Ces cadres mentaux ont tendance à perdurer dans le temps et à structurer la pensée et le discours des protagonistes qui y adhèrent. Le politiste est notamment souvent confronté à ce problème. « L’idéologie qui nait un jour, cristallise d’une façon simple et forte toute une personnalité complexe en l’affirmant contre une autre. Cette idéologie dure aussi longtemps qu’un apport nouveau de populations, ou des modifications profondes des conditions de vie n’ont pas altéré, effacé la personnalité collective qu’elle représente » (Bois, 1971, pp. 363-364 In Bon, 1991, p. 256).
Ainsi, ces outillages mentaux ne se renouvellent que lorsque les circonstances l’exigent. L’hypothèse de l’existence d’ « idéosystèmes » permet de mieux comprendre et de repenser l’exemple de Noam Chomsky et plus largement la question de la sémantique. La première catégorie de phrase que Chomsky décrit, grammaticalement correcte mais
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dénuée de sens, ne prend de valeur que dans la langue naturelle et ne s’inscrit pas dans un « idéosystème ». La seconde catégorie, mal construite grammaticalement mais douée de sens, est suffisamment structurée par un « idéosystème » pour pouvoir tolérer une dégradation grammaticale de la langue naturelle. Ainsi, le rôle de la sémantique ne serait pas de décrire la langue mais d’analyser les « idéosystèmes », leur organisation et leur application. Les synonymes quand à eux jouent un rôle essentiel dans le fonctionnement des « idéosystèmes ». Ils constituent des réserves de sens susceptibles d’être utilisées, mobilisées en fonction du contexte Ces ressources de la langue française sont par ailleurs largement utilisées par les idéologies politiques. « Les idéosystèmes ne sélectionnent pas simplement les phrases qui peuvent être émises, ils organisent aussi l’exploitation des ressources très vastes du lexique » (Bon, 1991, p. 261).
Structures des idéologies politiques.
L’existence de processus permettant de reconnaître une langue sans la maîtriser est indéniable. De la même manière, certains marqueurs présents dans le discours permettent de saisir l’ « idéosystème » de référence sur lequel se base un locuteur. Un même discours fait d’ailleurs souvent référence à plusieurs idéologies, plusieurs idéologies sont parlées simultanément. La présence de ces idéologies se mesure avant tout au niveau lexical car chaque idéologie utilise un vocabulaire différent. Ainsi, la synonymie et la lexicométrie peuvent se révéler être des outils efficaces mais leurs limites ne doivent pas être ignorées. La lexicométrie, fondée sur la notion de fréquence, démontre un effet paradoxal : « La théorie de l’information démontre que la quantité d’information que véhicule un signal est inversement proportionnelle à sa probabilité d’apparition » (Bon, 1991, p. 262).
Autrement dit, plus un signal apparaît, moins il véhicule d’information. L’analyse lexicométrique relève ainsi des mots dont le contenu informatif est très faible, voir le plus faible du discours étudié. Ces mots deviennent alors emblèmes, porte-étendards de l’idéologie à laquelle ils appartiennent. Les limites de l’utilisation de la lexicométrie résident donc dans le fait qu’elle ne peut révéler les subtilités d’un discours telles que les métaphores, prosopopées et autres figures de style. La lexicométrie fait à la fois apparaître des spécificités positives et des spécificités négatives et toutes deux obéissent à la même
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logique. Les mots non utilisés relevés par l’utilisation de la lexicométrie sont les marqueurs lexicaux d’autres idéologies. En ce qui concerne le choix et la sélection des marqueurs lexicaux, celle-ci n’est pas dénuée de toute contrainte. En effet, tous les mots ont déjà une valeur, positive, négative, neutre, fruit de leur origine et de leur histoire. Ces marqueurs lexicaux font l’objet d’une concurrence, presque d’une guerre entre les acteurs politiques. Ils font débat, sont échangés, annexés, dénoncés, manipulés... « C’est pourquoi, les plus intéressantes des études de lexicométrie politique ont été consacrées à des corpus relevant d’idéologies diverses en compétition dans un champ politique et dans une conjoncture déterminée » (Bon, 1991, p. 264).
Les indices linguistiques qui désignent une idéologie ne se limitent pas au lexique. En effet, les constructions syntaxiques ou marqueurs syntaxiques sont également très importants car ce sont eux qui, comme le désigne Frédéric Bon, « produisent la musique qui caractérise si bien certaines classes du discours » (Bon, 1991, p. 264). L’une des fonctions primaires des idéologies est d’organiser le monde, de le classifier. Pierre Ansart, spécialiste des idéologies politiques va même jusqu’à dire que le langage politique, de par son contenu idéologique, définit le sens de la vie sociale (Ansart, 1974). On parle de la fonction taxinomique des idéologies. Cette fonction des idéologies doit faire face à des exigences opposées, à savoir d’une part être simple, intelligible et d’autre part être assez fine pour répondre à une variété de situations et par la même occasion perdurer dans le temps. L’idéologie actuelle du Parti socialiste, sur laquelle nous reviendrons plu précisément dans le chapitre suivant, s’est construite sur une bipartisation de l’espace politique français opposant gauche et droite.
Section II :
Idéologie et discours politique : construction et
légitimation par l’art de la rhétorique Comme le précise Pierre Ansart dans son ouvrage Les idéologies politiques (Ansart, 1974), une idéologie construit une certaine image de la société, elle permet de la comprendre dans son ensemble en tant qu’organisation sociale. Non seulement elle fixe les objectifs qu’elle veut atteindre mais également les moyens de les atteindre. Ainsi, elle donne une certaine identité aux composants de cette société et notamment à ses citoyens. Cependant, le langage politique n’a pas pour unique support le discours politique comme le démontre Pierre Ansart.
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« Implicite ou explicite, le discours idéologique est discours de légitimation » (Ansart, 1974, p. 17).
Le processus de légitimation d’une idéologie est particulièrement important lorsque l’on s’intéresse au discours politique car c’est par ce dernier et notamment par l’usage de la rhétorique qu’il se réalise. Les défenseurs d’une idéologie doivent prouver que leur système de raisonnement est le plus brillant et pour se faire ils ont recours au discours politique et à l’art de la rhétorique. De même, lorsque l’on essaye de saisir la relation entre idéologie et rhétorique il est essentiel de se pencher plus précisément sur la rhétorique en tant que vaste discipline étudiée depuis l’Antiquité. L’ouvrage de Jean-Jacques Robrieux,
Rhétorique et argumentation (Robrieux dir. Bergez, 2010) réalise une synthèse sur l’histoire de la discipline, d’Aristote à Chaïm Perelman, et reprend les différents modes de classification des figures de style et de la rhétorique. Ainsi, nous verrons dans cette seconde section les différentes étapes de diffusion et de légitimation d’une idéologie dans le discours politique et par l’utilisation de la rhétorique. Nous nous intéresserons également au caractère synthétique de l’idéologie qui lui confère cette force persuasive, cette capacité à tout traiter, à tout expliquer et à s’adapter tout en conservant une certaine base dogmatique solide. Outre l’ouvrage de Jean-Jacques Robrieux, nous nous appuierons également sur les écrits d’Aristote, de Chaïm Perelman ainsi que sur les travaux de Bernard Lamizet et Pierre Charaudeau pour démontrer que la diffusion des idéologies dans le discours politique relève avant tout de l’art de la rhétorique. « À ce point, le discours parait se confondre avec le bon sens et sera d’autant moins accessible qu’il aura revêtu tous les caractères de l’évidence » (Ansart, 1974, p. 19)
Fondements et évolutions de la rhétorique
Encore aujourd’hui le mot et concept de « rhétorique » est chargé d’une connotation négative, connotation qui lui était déjà attribuée à l’époque de Platon et des Sophistes. Cependant, s’il a progressivement été remplacé par le terme de communication on assiste aujourd’hui à son retour en tant qu’ « art de s’exprimer et de persuader » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p.12). Le domaine de la rhétorique ne relève pas, contrairement au discours scientifique, du vrai mais bien du vraisemblable. Cette discipline s’impose aujourd’hui à la fois comme un moyen de s’exprimer mais également comme un moyen de faire passer un message de manière à ce qu’il puisse être facilement décodé par les auditeurs qui le
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reçoivent. Alors que les problèmes politiques semblent aujourd’hui être de plus en plus complexe, le discours politique empreinte à l’art de la rhétorique son caractère totalisant et simplificateur. « Il n’y a de rhétorique que lorsque la finalité du discours est bien de « faire passer » un message » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 12).
Pour saisir la signification actuelle de la rhétorique il convient de revenir sur les principales étapes de son histoire, ses fondements, son évolution et les différents courants qui la composent. Pendant l’Antiquité, les Sophistes, Isocrate et Platon sont les principaux créateurs de la rhétorique en tant qu’ « art de la démocratie par excellence » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 17). Aristote et Platon, en mettant en scène quelque uns des Sophistes les plus connus tel que Isocrate, Gorgias ou Protagoras ont dépeint une image péjorative, presque prétentieuse de ce type d’orateur. C’est principalement dans deux de ses dialogues, Le
Gorgias (Platon, 2011) et Le Phèdre (Platon, 2011), que Platon aborde la question de la rhétorique. Ce dernier distingue deux sortes de rhétorique, la logographie, celle des Sophistes, qui relève de la persuasion et la psychagogie, la formation des esprits, une rhétorique philosophique ayant pour méthode la dialectique et pour but la recherche de la vérité. Aristote, disciple de Platon, reprend cette distinction et défend la rhétorique, non pas pour son pouvoir persuasif, mais pour sa capacité argumentative. Il considère que la rhétorique a pour principale fonction de la diffusion d’idées. Dans son ouvrage, La
Rhétorique (Aristote in Dufour et Wartelle, 1998), Aristote conçoit bien entendu l’usage malhonnête de la rhétorique qui existe déjà à cette époque mais défend une certaine éthique de la rhétorique. Si d’apparence, la rhétorique qu’il défend ressemble aux pratiques des sophistes elle est en réalité régie par un certain nombre de codes obéissant à une logique d’honnêteté intellectuelle. La période Romaine, caractérisée par les travaux de Cicéron et Quintilien s’inscrit directement dans la lignée de la rhétorique inventée par les Grecs en lui donnant cependant un aspect beaucoup plus pratique. C’est finalement pendant l’aire du Moyen-Âge que l’intérêt pour l’art de la rhétorique disparaît remplacé par l’art de la grammaire et de la poétique. Ce désintérêt s’explique entre autres comme l’illustre Tacite, par le fait que l’Empire ait succédé à la démocratie emportant ainsi tout intérêt pour la rhétorique considérée jusqu’alors comme l’art de la démocratie par excellence. « L’empire a succédé à la démocratie depuis Auguste et, par conséquent, le débat
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politique n’a plus sa place dans la vie de l’État » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 24).
Comme nous venons de le voir, les grands fondements de la rhétorique ancienne ont donc été érigés dès l’Antiquité. Ces cadres théoriques constituent encore aujourd’hui des références dans l’art de la Rhétorique. On peut désormais se demander de quoi est réellement constitué cette rhétorique, comment est-elle construite et comment s’organise-telle. Aristote (Rhétorique, I, 1358 in Dufour et Wartelle, 1998) a défini trois genres de l’éloquence correspondant à trois types d’auditeurs. Le genre délibératif, celui des Assemblées ou les décisions sont prises selon les règles de la démocratie et les valeurs qu’elle défend. Le genre judiciaire, celui des tribunaux où le temps passé est employé pour défendre le juste et blâmer l’injuste. Et enfin, le genre épidictique caractérisé par l’utilisation du temps présent et utilisé pour défendre des valeurs relevant du beau et du laid. L’éloquence de l’orateur varie donc en fonction de son statut et de l’auditoire auquel il s’adresse, en fonction d’un certain nombre d’éléments de contexte. Cette vision aristotélicienne de l’éloquence possède cependant des limites dans le sens où l’utilisation d’un genre ne correspond pas toujours au contexte. En effet, un orateur va parfois utiliser le genre délibératif sans forcément s’adresser à un quorum. La plupart des traités de l’Antiquité définissent également cinq parties distinctes de la rhétorique. L’ « invention » (invention, heurisis) correspond à la recherche des idées et des arguments qui seront exploités dans le discours. La « disposition » (dispositio, taxis) est l’art d’organiser et d’ordonner les arguments selon certains schèmes prédéfinis qui laissent une certaine marge de liberté. L’ « élocution » (elocutio, lexis) est constituée de l’ensemble des techniques relatives à l’écriture du discours : style, procédés esthétiques etc. À ne pas confondre avec l’ « action » (actio, hypocrisis) qui correspond à ce que l’on appel aujourd’hui l’ « élocution » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 27), c’est à dire l’ensemble des techniques de l’oral tel que l’intonation ou l’attitude corporelle. Enfin, la « mémoire » (memoria, mnémè) englobe l’ensemble des techniques de mémorisation qui consistent à savoir parler sans notes, à improviser. Nous allons nous intéresser plus précisément ici aux trois premières parties de la rhétorique à savoir, l’invention, la disposition et l’élocution. Aristote dans La Rhétorique (Rhétorique, I, 1356 in Dufour et Wartelle, 1998) lorsqu’il aborde les techniques de l’ « invention » définit également trois types d’argumentation utilisés dans la rhétorique. L’Ethos, l’image que l’orateur donne de lui même au public et qui lui donne une certaine forme d’autorité, de domination charismatique au sens wébérien. Le
Pathos correspond à l’ensemble des émotions que l’orateur veut susciter chez ses auditeurs, la peur, la haine etc. Et, le Logos, l’ « argumentation au sens logique et
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dépassionné, celle qui permet de « prouver » […] » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 28). L’auteur de La Rhétorique distingue également les preuves extrinsèques (atechnoi) issues d’éléments concrets et fondés tel que les textes de loi, des preuves intrinsèques (entechnoi) dites également artificielles et basées sur des exemples infondés parfois même inventés. L’orateur, pour trouver ses arguments, puise dans un ensemble de sources données dénommées « lieux » (loci, topoï) (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 28). Ces réservoirs d’argument, l’orateur y a accès en se posant les questions définies par Quintilien, Qui, quid,
ubi, quibus auxilis, cur, quomodo, quando : « Qui, quoi, où, avec quel moyen, pourquoi, comment, quand ? ». Il accède ainsi à différents types de lieux, les lieux de la personne, les lieux de la cause etc. L’ensemble de ces lieux constitue avant tout des éléments de contexte. La signification du terme de topos, de lieu tel qu’il était utilisé pendant l’Antiquité à cependant beaucoup évolué, si bien qu’il correspond aujourd’hui au terme de « lieux commun », de cliché. Les techniques de la « disposition » sont nombreuses, il en existe autant qu’il existe de discours. Cependant, on distingue certains schèmes classiques définissant les grandes lignes de l’art de la « disposition ». L’ « exorde » ou « proème » (exordium, prooimion) correspond à la partie introductive. Elle a pour but de capter l’attention de l’auditoire par le biais d’une accroche (captatio benevolentiae) et d’annoncer le plan du développement (partitio). La « narration » (narratio, diégésis) est la partie la plus longue et la plus importante dans laquelle les faits sont exposés et décrits. La « confirmation » (confirmatio, apodeixis,
pixis) dans laquelle sont énoncés les arguments des preuves est régie par une question centrale, celle de la disposition des arguments selon leur importance et leur pertinence. Enfin, la « digression » (digressio, parlkbasis) est essentiellement basée sur le pathé, le jeu, sur les émotions du public. Comme le fait remarquer Jean-Jacques Robrieux (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 31), les techniques de la « disposition » définies par Aristote sont organisées selon le modèle du chiasme. En effet, l’ « exorde » se croise avec la « confirmation » tandis que la « narration » se croise avec la « digression » créant ainsi une alternance entre logos (argumentation rationnelle) et pathos (stimulation des émotions). L’élocution, selon Jean-Jacques Robrieux, correspond quant à elle à « L’art de préparer le discours mais en sachant tout de même qu’il sera déclamé » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 31). Cicéron définît ainsi les trois objectifs de la rhétorique à savoir : prouver (ou enseigner), plaire et émouvoir. À ces trois objectifs correspondent trois styles Cicéron, 55 av. J.-C.) , le style « simple » servant à la narration, le style « moyen, » celui de l’exorde et de la digression et le style « élevé » convenant à la péroraison et à la stimulation des émotions des auditeurs. L’étape de l’élocution est finalement une étape cruciale lors de
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laquelle le rédacteur du discours doit trouver l’équilibre entre une utilisation modérée des figures de style et la bonne diffusion de son message à travers le discours. Comme nous le précisions plus tôt, après avoir connu un certain âge d’or depuis l’Antiquité, la rhétorique et l’intérêt qui lui est porté connaît un essoufflement pendant la période Classique. Durant cette période l’accent est d’avantage mis sur la composition littéraire et la stylistique comme en témoigne un certain nombre d’ouvrages d’Antoine Fouquelin, de Baltasar Gracian ou encore de René Bary centrés sur la composition littéraire. « Voilà donc la rhétorique condamnée par le rationalisme au nom de la recherche de la vérité » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 33).
Ce rationalisme, entre autres défendu par Descartes dans son Discours de la
méthode
(Descartes, 1637), remet systématiquement en cause tout ce qui est
« vraisemblable » et par conséquent éloigne de l’enseignement l’art de la rhétorique pour une certaine période. Il faut finalement attendre la publication par Chaïm Perelman et L. Olbrechts-Tyteca du Traité de l’argumentation (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 1958) en 1958 pour que la rhétorique aristotélicienne fasse son retour dans le champ des sciences de la communication. Chaïm Perlman a la particularité de ne pas prendre en compte, d’ignorer les aspects manipulateurs du discours et de la rhétorique. Dans ce traité, il se focalise donc principalement sur l’argumentation et non sur la rhétorique dans son ensemble et met par exemple de côté l’aspect stylistique de cette discipline. Il défend tout comme Aristote, l’idée d’une certaine éthique de la rhétorique, d’une certaine honnêteté intellectuelle. Après ce renouveau de la rhétorique aristotélicienne, de nouvelles approches communicationnelles se sont développées. « C’est surtout avec la sémiologie que la perspective rhétorique est véritablement retrouvée […] » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 35).
Les approches communicationnelles et sémiologiques sont progressivement nées depuis les années 1950 dans une volonté d’étudier les différentes techniques de persuasion. Certains chercheurs ont également importé ce terme de rhétorique dans le domaine de la communication visuelle. C’est le cas de Roland Barthes et Jacques Durand qui ont développés une certaine « rhétorique de l’image » (Barthes, 1964). L’approche tropologique, liée aux approches communicationnelles et sémiologiques, s’intéresse à la rhétorique comme simple art de plaire et comme moyen de convaincre, de persuader. C’est une approche en terme de figures de style, de tropes, dans laquelle se sont inscrit au cours
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du temps un certain nombre de grammairiens tel que César Chesneau Dumarsais, Pierre Fontanier et plus récemment Gérard Genette. L’approche tropologique a la particularité d’avoir une vision assez restreinte de la rhétorique qui se limite à l’élocution, les figures de rhétorique et l’argumentation n’étant pas abordées. En est déduite une procédure très scientifique de laquelle s’est notamment inspiré le Groupe µ, spécialisé dans la communication linguistique et visuelle, dans les années 1970 dans leur ouvrage Rhétorique
générale (Groupe µ, 1982). En découle un tableau5 très scientifique de l’ensemble des figures de la rhétorique. Les approches logico-linguistiques, à l’inverse de l’approche tropologique, se focalisent uniquement sur l’autre partie de la rhétorique : l’argumentation. Jean-Jacques Robrieux évoque une autre approche de la rhétorique, l’approche néolinguistique (Robrieux, dir. Bergez, 2010, pp. 37-38). Celle-ci semble se rapprocher du concept d’ « idéosystème » développée par Frédéric Bon que nous avons abordé plus tôt. Cette approche est représentée par des chercheurs tel que Jean-Claude Encombre et Oswald Ducrot. Elle s’inscrit dans le courant de la pragmatique linguistique de l’école d’Oxford notamment développée par Searle et Austin. La volonté de cette approche est avant tout de retranscrire et de restituer les actes de langage dans leur contexte énonciatif dans le but de mieux saisir et de mieux appréhender une argumentation. « L’énoncé est, en effet, indissociablement lié à des présupposés et à des implications, c’est à dire à des implicites situés en amont et en aval du discours, conditionnant l’intelligibilité de l’explicite et les conclusions qu’on peut en tirer (on parle de « sémantique intentionnelle ») » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 38).
Ce terme de « sémantique intentionnelle » rejoint finalement celui d’ « idéosystème » Tout deux tentent de déceler un système autonome intelligible par un auditoire lui même construit sur un ensemble de valeurs.
Principes généraux et enjeux de l’argumentation
Comme le précise Jean-Jacques Robrieux, l’étude de l’argumentation est en partie fondée sur l’ « argumentation réelle » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 39). En effet, celle-ci découle de certaines règles de la logique définies sous les termes d’induction et de déduction. « Il s’agit […] de faire progresser la pensée en partant du connu pour faire
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Voir annexe 1
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admettre l’inconnu. La logique appelle cette opération une inférence » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 39).
Ces inférences qui relèvent de l’induction ou de la déduction correspondent à l’idée selon laquelle un être humain parlant une langue est capable de comprendre des phrases qu’il n’a jamais entendues, théorie que développe Noam Chomsky et que nous avons évoqué plus tôt dans ce chapitre. Aristote s’est également intéressé à ces processus et notamment au cas du syllogisme. « Toute l’Europe est démocratique La France fait partie de l’Europe Donc la France est démocratique » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 40).
« Etat démocratique » correspond au terme majeur, « Europe » au moyen terme et « France » au terme mineur. La réorganisation de ces différents termes que nous venons d’évoquer donne au syllogisme un nombre de possibilités infinies. « L’intérêt de la syllogistique est de montrer la validité des raisonnements déductifs indépendamment du contenu des propositions, pourvu que soit respecté le principe d’extensionalité […] » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 41).
Cependant, encore faut-il être sût que les éléments sur lesquels on raisonne soient vrais, justes et déclinables. Antoine Arnaud et Pierre Nicole, dans leur ouvrage La logique ou
l’art de penser (Arnaud et Nicole, 1992) donnent l’exemple suivant : « Tout ce qui est rare est cher Un cheval bon marché est rare Donc un cheval bon marché est cher » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 41).
Ainsi, on comprend que le sens d’un simple mot, en l’occurrence «cher », peut altérer le mécanisme du syllogisme et conduire aux pires sophismes6. L’induction et la généralisation relèvent d’une logique proche de celle de la démarche scientifique qui consiste à déduire des lois générales de faits empiriques. Les logiciens distinguent les 6
Argumentation ou raisonnement qui cherche à paraître rigoureux mais qui en réalité n’est pas
valide. Le sophisme a une dimension fallacieuse qui se traduit par l’intentionnalité de l’orateur de tromper son auditoire.
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inductions complètes des inductions amplifiantes. Les inductions complètes sont des inférences à partir de la totalité des phénomènes concernés tandis que les inductions amplifiantes sont des inférences à partir d’un simple fait, d’un échantillon unique. De plus, il convient de préciser que tout raisonnement inductif n’aboutit pas toujours à une généralisation. Parfois, certaines conclusions sont prises sur des faits uniques, particuliers. Il faut avoir en tête que l’argumentation relève de critères spécifiques qui dépendent du type d’auditoire auquel s’adresse l’orateur mais également du caractère « vraisemblable » qui caractérise la rhétorique. Chaïm Perelman pose la nécessité d’un « auditoire universel » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 43), pour qu’une argumentation soit fondée sur une théorie des valeurs préalablement définie. Cependant, comme le précise Aristote, le discours de la rhétorique se veut être l’opposé du discours scientifique. Il s’adresse à des « non spécialistes ». Ainsi, le postulat énoncé présenté par Chaïm Perelman est remis en cause dans la mesure où cet « auditoire idéal » n’existe pas. L’orateur est donc constamment forcé de prendre en compte autant qu’il le peut les caractères subjectifs de son auditoire dans le but de pouvoir le convaincre. Jean-Jacques Robrieux fait la distinction entre les notions d’argumentation et de démonstration. Tandis que la démonstration est régie par une méthode stricte et relève du scientifique, l’argumentation s’organise selon une certaine stratégie définie par l’orateur et qui peut évoluer selon la réaction de l’auditoire. Il distingue également les arguments ad rem ou ex concessis des arguments had hominem. Les arguments ad rem ou ex concessis littéralement « sur la chose ou tiré de l’assentiment » s’adressent à un auditoire universel. Ce type d’argument nécessite un accord préalable avec l’auditoire sur un certain nombre de concepts et des croyances communes. Les arguments ad hominem littéralement « dirigés vers l’homme », sont les composants d’une argumentation basée sur une « mésentente frontale » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 45) avec le public. Ainsi c’est dans ce type d’argumentation que le caractère simplificateur et même manipulateur de la rhétorique est exploité. Le domaine de l’incertain et du vraisemblable dans lequel s’inscrit la rhétorique fait référence à la polysémie des mots et à la force de cette polysémie. « Le flou de la rhétorique, instrument de pouvoir pour qui sait s’en servir, permet tous les tours de force de la communication, les jeux de mots, les sophismes » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 45).
Lorsque l’on s’intéresse à la rhétorique il convent de ne pas se focaliser uniquement sur ce qui est dit mais également déceler ce qui n’est pas dit, ce qui est omis. Oswald
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Ducrot dans son ouvrage Dire et ne pas dire (Ducrot, 1991) parle de la connotation idéologique de certains mots polysémiques ou historiquement chargés qui sont comme le « reflet implicite des croyances profondes de l’époque » (Ducrot, 1991, p. 13). Ainsi, la cohérence, d’un discours relève des croyances de l’époque auquel il fait référence de manière implicite ou explicite. « Les éventuelles implications du discours relèveront également du non-dit, principalement dans leurs aspects illocutoires (phénomène de parole tendant à réaliser une action dénommée ou suggérée) » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 46).
Il y a donc une certaine ambigüité qui se place derrière une déclaration connotée, polysémique. Une ambiguïté liée à la référence, une ambiguïté liée au non dit et enfin une ambiguïté liée à l’illocutoire, à l’écart qu’il va y avoir entre ce qui a été dit et ce qui va être fait. « […] Il reste à préciser que le caractère vraisemblable de la parole argumentative permet de ne pas lier l’auditoire aux conclusions de l’orateur » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 46).
Ce dernier élément constitue en soi un « parachute de sauvetage » pour le politique qui ne peut se permettre de perdre la confiance de ses citoyens et par conséquent sa légitimité. Finalement, le discours reste subjectif et c’est ce qui fait qu’il est difficile de calculer son impact sur un auditoire. Cependant, il est possible d’identifier et d’évaluer les moyens du discours pour transmettre une idée, un ensemble d’idées.
Les modes de classification des figures de la rhétorique
L’argumentation est à l’évidence une partie constitutive de la rhétorique très importante et pourtant, comme nous l’avons déjà évoqué, argumentation et rhétorique ont longtemps été dissociées. Cela a été le cas sur la période allant de la Renaissance jusqu’au
Traité de l’argumentation : La nouvelle rhétorique (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 1958) de Chaïm Perelman et L. Olbrechts-Tyteca en 1958. Pendant tout le XXème on a continué à considérer l’existence d’un « degré zéro » du langage et de l’écriture que les figures de styles et la rhétorique viendraient argumenter. Cette vision restreinte de la rhétorique a longtemps empêché de prendre en compte tous les procédés constitutifs du langage. JeanJacques Robrieux s’intéresse également au concept de « figure écart », cet écart entre le
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discourt écrit et le discours prononcé, entre l’idée d’une langue naturelle et d’une langue améliorée. Le concept de la « figure écart », s’il a été attribué à Paul Valéry, remonte en réalité à l’Antiquité. « Pour Aristote, les figures (shémata) s’expliquaient par l’insuffisance du langage à entrer en adéquation avec la complexité de la pensée » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 49).
Pendant la période Classique, au XVIIème et XVIIIème siècle, la figure stylistique est considérée comme « ornement du discours » (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 49). Il y a donc derrière ces différentes conceptions l’idée que la figure d’écart pointe une différence entre l’imperfection du langage réel et les virtualités que celui-ci peut atteindre. Jean-Jacques Rousseau dans son Essai sur l’origine des langues (Rousseau, 1817) revient également sur le concept d’écart. Il développe l’idée selon laquelle il y aurait un écart entre l’accessoire et l’essentiel, la figure et la langue usuelle. De nombreux chercheurs ont perpétré cette logique dichotomique entre l’idée d’un « langage zéro » et celle d’un « langage augmenté », c’est l’idée d’une articulation entre la norme et l’écart. Fontanier propose par exemple le couple « sens propre /sens figuré » tout en rappelant que les figures doivent être appréciées dans le contexte historique dans lequel elles s’inscrivent. Ces dernières évoluent au cours du temps et ne sont valables que dans un moment donné, le moment où elles sont écrites, prononcées. Les conceptions de cet « écart » malgré qu’elles soient diverses et nombreuses montrent certaines limites. En effet, elles opèrent une séparation trop claire et brutale entre le style, les figures et l’argumentation. Les figures ne constituent pas en réalité un réel écart entre l’idée d’un langage naturel et d’un langage amélioré, elles sont constitutives du langage naturel. De plus, il est important de rappeler comme l’a démontré Dumarsais dans son traité Des tropes ou des différents sens (Dumarsais, 1730), le langage littéraire tout comme le langage usuel sont tous deux producteurs de sens. On distingue deux grandes familles de mode de classification des figures, les classifications
traditionnelles
et
les
classifications
nouvelles.
Les
classifications
traditionnelles sont très nombreuses, elles divisent les figures en trois, neuf catégories etc. et ont pour but une utilisation avant tout pédagogique. Si les figures stylistiques y ont bien leur place, les figures de la rhétorique ne sont pas abordées. Dans les classifications nouvelles ont distingue deux types de classifications issues de la recherche contemporaine. G. Molinié dans son Dictionnaire de Rhétorique (Molinié, 1997) fait la distinction entre
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figures macrostructurales et microstructurales. Les figures microstructurales, comme le chiasme, sont restreintes sur des segments précis du langage tandis que les figures macrostructurales, comme les allégories ou prosopopées, sont présentes sur de grands segments du langage et plus difficilement isolables. La classification proposée par le Groupe µ dans leur ouvrage Rhétorique générale (Groupe µ, 1982), plus complexe, est modalisée sous la forme d’un tableau à double entrée. « La première entrée distingue les domaines opératoires : les figures (qui reçoivent généralement le nom de métaboles) sont divisées en métaplasmes (opération sur la morphologie), en métataxes (sur la syntaxe), en
métasémèmes (sur la sémantique) et en métalogisme (sur la logique). La deuxième entrée énumère les quatre opérations (simplifiées ici) : suppression, adjonction, suppressionadjonction et permutation (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 52). Jean-Jacques Robrieux a également développé sa propre classification qui s’organise autour de quatre grandes catégories de figures. Les figures de sens (sémiologies, tropes), les figures de mots (jeux sur le lexique et les sonorités), les figures de pensée (ironie, paradoxe, énonciation, dialectique) et enfin les figures de construction (jeux sur la symétrie, sur les répétitions et les accumulations) (Robrieux, dir. Bergez, 2010, p. 53). Enfin, Teun Va Dijk dans son article
Politique, Idéologie et Discours (Dijk, 2006, pp. 67-121) a réalisé une sélection des catégories les plus utilisées dans le discours politique. Ce classement est organisé en trois parties présentant le nom de la catégorie étudiée, le domaine d’analyse dans lequel elle s’inscrit et sa définition7.
Rhétorique et idéologie
« Le discours politique est construit pour plaire et convaincre ; il entretient avec la rhétorique une vielle liaison à peine dissimulée » (Bon, 1991, p. 271). Ce discours exploite et alterne les analogies entre les formes de la logique rhétorique et celle de la pensée
commune. Pierre Fontanier, grammairien français et spécialiste des figures de style précise que le discours politique et l’utilisation de la rhétorique en politique ne se résume pas à l’utilisation démesurée de figures de style recherchées et complexes. Bien au contraire, le discours politique doit être assaini, simplifié par cette rhétorique. L’emploi de chaque figure de style doit être mesurée, jaugée, réfléchie. « Les idéologies politiques assignent à la rhétorique des fonctions différentes. Les figures du discours mettent en contact des catégories idéologiques avec celle de 7
Voire tableau annexe p. Teun Van DIJK, « Politique, Idéologie et Discours », Semen. Revue de
sémio-linguistique des textes et discours, 2006, no 21.
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la pensée commune pour permettre leur diffusion et leur manipulation » (Fontanier, 1968, pp. 103-104 In Bon, 1991, p. 272).
Si l’utilisation démesurée de figures de style peut rapidement mener à l’incompréhension, le discours politique est souvent confronté au problème inverse. Certaines notions ou références issues de la vie quotidienne sont trop bien et trop rapidement comprises par les citoyens. Ces dernières, lorsqu’elles manipulent des expériences négatives, peuvent donc rapidement devenir explosives du fait de leur saturation en émotion. « La technicité croissante des problèmes politiques, la sécularisation de la vie sociale, le développement des moyens de communication de masse auraient, diton, transformé le contenu et le style du discours politique contemporain. Cela n’apparaît guerre au niveau des formes rhétoriques » (Bon, 1991, p. 275).
Jacques Durant, spécialiste de la rhétorique visuelle française, a montré que tous les procédés à l’œuvre dans l’image publicitaire peuvent être ramenés à la rhétorique classique, celle de Cicéron que le général de Gaulle appliquait à la lettre. Le parallèle entre la pensée mythologique et l’idéologie politique initiée par Claude Lévi-Strauss, que nous avons déjà évoqué, peut être approfondie. L’auteur des Mythologiques8, considère que la pensée mythique est semblable à l’idéologie politique en ce sens que toutes deux « fonctionnent de façon analogue au bricolage » (Lévi-Strauss, 1962, pp. 26-27). Les idéologies politiques réutilisent et restructurent l’ensemble des processus et notions initiés par les idéologies précédentes. Ces éléments que les idéologies manipulent portent la marque de leurs origines. Ils forment un ensemble d’objets hétérogènes dont la cohérence doit être réorganisée à chaque instant. « Mais les idéologies politiques ne tirent pas seulement leur matériau du passé » (Bon, 1991, p. 280), elles doivent également tirer des classifications des schémas de pensée issus d’autres idéosystèmes pour apporter des solutions politiques multidimensionnelles. « Les idéologies politiques, comme l’activité politique, ne sont pas créatrices de valeurs » (Bon, 1991, p. 281). En effets, elles ne font qu’établir des relations, opérer des conversations et mobiliser des valeurs à leur profit. Ainsi, l’idéologie se donne « les moyens de donner un sens à tous les évènements de la vie politique et de structurer les modalités d’action » (Bon, 1991, p. 282). Il reste cependant une différence formelle entre la pensée mythique et l’idéologie politique. En effet, le mythe s’exprime à travers un récit tandis que l’idéologie s’exprime à 8
Tétralogie consacrée à l’étude des mythes
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travers une argumentation. Cette dernière constatation doit par ailleurs être mesurée avec l’accélération de l’utilisation du Storytelling en politique, l’art de raconter des histoires, depuis une décennie. Pierre Ansart de cette puissance persuasive du discours politique, processus par lequel une idéologie est véhiculée et par lequel elle essaye de se légitimer (Ansart, 1974). « La rhétorique met la politique en scène dans l’espace public […] La rhétorique finalement théâtralise la communication » (Lamizet, 2011, p. 40).
Bernard Lamizet, dans son ouvrage synthétique Le langage politique (Lamizet, 2011), outre la dimension sociale de la rhétorique politique, aborde également le pouvoir qui se cache derrière cet art. La maîtrise de la parole politique et de la rhétorique par la même occasion, confère un certain pouvoir à l’orateur. On parle de la dimension institutionnelle de la parole. « Le simple fait d’être écouté confère à l’orateur un premier pouvoir, qui rend possible le pouvoir de convaincre » (Lamizet, 2011, p. 41).
Ce discours politique s’inscrit dans un univers contextuel vaste, dans un lieu, dans une situation et par le biais d’un canal. L’orateur s’adresse à un public, lui même doté d’un certain pouvoir d’action et de réaction. Bernard Lamizet parle également d’une « géographie de la rhétorique politique ». Il distingue trois rhétoriques différentes, la « «rhétorique de la parole », la « rhétorique du regard » et la « rhétorique électorale ». La dernière, la rhétorique électorale correspond à ce que l’on pourrait appeler une « rhétorique de la décision » place l’orateur en position de demande et l’auditeur en position de décideur. Il précise également que la rhétorique actuelle se différencie de la rhétorique classique dans la mesure où le pouvoir est de plus en plus dilué, réparti entre de multiples acteurs. La spécialisation ou professionnalisation du domaine de la communication, l’émergence des médias de masse de l’audiovisuel sont également responsables de l’évolution de cette rhétorique. À l’heure actuelle, tous les lieux peuvent devenir lieux de la rhétorique dès lors qu’ils sont médiatisés. En effet, la simple tenue d’un discours dans l’espace public entraine la reconnaissance de ce discours comme « institution ». « Le public de la rhétorique est aussi l’acteur collectif garant de la légitimité de la parole qui lui est adressée, il renvoie aux orateurs l’image de la société politique à laquelle ils appartiennent » (Lamizet, 2011, p. 42).
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On retrouve ici des éléments propres à la démocratie du public décrite par Bernard Manin dans son ouvrage Principes du gouvernement représentatif (Manin, 2012). On y retrouve la personnalisation du pouvoir et la capacité expressive et réactive dont est doté le public notamment par le biais du vote. L’énonciation même du discours fonde un lien social entre l’orateur et son public. La rhétorique s’inscrit dans une certaine temporalité, dans les circonstances mêmes où elle a été utilisée. Il relève donc important de prendre en compte ces différents éléments de contexte. La rhétorique politique confond les logiques subjectives de la séduction et les logiques politiques de l’argumentation. Entre subjectivité et intersubjectivité, elle donne sens à la chose publique et par conséquent devient ellemême action.
Du langage comme action à l’action comme langage
John Langshaw Austin, philosophe anglais contemporain appartenant au courant de la philosophie analytique, et d’autres avant lui comme Aristote ou Kant, ont mis en lumière la dimension performative de certaines phrases. Ces énoncés performatifs, comme le fait remarquer Austin, sont très présents dans le langage juridique et administratif comme en témoigne les ces interjections célèbres : « je déclare la séance ouverte », « vous êtes unis par les liens du mariage ». Ces énoncés créent la réalité à laquelle ils se réfèrent, ils deviennent vrais dès lors qu’ils ont été correctement prononcés. « ... La notion9 peut-être généralisée à toutes les constructions syntaxiques qui s’articulent comme sur des verbes comme permettre, exiger, menacer, demander : Austin propose d’appeler illocutoires ces usages de la langue qui créent les conditions de leur propre vérité » (Austin, 1970 In Bon, 1991, p. 283).
Le discours politique relève donc à l’évidence de l’illocutoire dans la mesure où il est un énoncé performatif. Les énoncés dénotatifs peuvent également être considérés comme illocutoires dans la mesure où ils présentent comme vrai un énoncé. C’est le propre du discours politique de réaliser des assertions. « Comme l’ensemble des pratiques sociales s’accompagnent de productions linguistiques, la tentation est forte de voir dans le discours un lieu privilégié où se réfracte l’ensemble des rapports sociaux. Si le langage est action, il peut être considéré comme le miroir du
monde. La philosophie analytique redonne
consistance à un vieux rêve des sciences sociales et humaines : ramener la 9
La notion d’énoncé performatif.
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matérialité sociale à la matérialité discursive, réduire la science au commentaire» (Bon, 1991, p. 284).
« Inversement, l’action sociale se réduit souvent à sa dimension symbolique » (Bon, 1991, p. 284). C’est le fait de considérer qu’un acte n’est pas et ne se résume pas à son action mais qu’il a une dimension symbolique. Ainsi, on peut considérer le vote, non pas comme une action instrumentale mais comme un rituel (Bon, 1979). « Dans cette perspective, l’ensemble des sciences sociales tend à se résorber dans une anthropologie symbolique » (Bon, 1991, p. 284). L’analyse du langage politique se trouve à mi chemin entre ces deux conceptions. Elle passe à la fois par l’analyse de l’action politique mais également par l’analyse des symboles. Le discours politique est action (dimension performative), mais il est également créateur de symbole (dimension dénotative). Autant d’éléments qui font que le discours politique relève à l’évidence de l’illocutoire. L’analyse du discours politique peut donc et doit se faire par ces deux voies, par l’étude de l’action et de la symbolique que ce dernier génère. Il existe donc un ensemble de corrélations entre le sens et l’action, le dire et le faire, la pensée et la pratique. Si l’idéologie peut déterminer une action à travers le discours politique, une action peut également déterminer une idéologie. En ce sens, la corrélation entre un signifiant et une situation est double : une situation peut être déterminée par un signifiant mais elle peut également déterminer un signifiant. Cette dimension performative du discours politique est par ailleurs de plus en plus prise en compte dans d’autres disciplines comme l’analyse des politiques publiques. Ainsi, on a vu se développer avec le tournant argumentatif dans les années 1990 les approches discursives des politiques publiques. Celles-ci étudient le langage et l’argumentation comme une dimension centrale de l’analyse des politiques publiques. L’étude, l’analyse du discours politique ne se résume pas à se focaliser sur les figures de style ou sur l’argumentation utilisée. Au contraire, lorsqu’on s’intéresse à la diffusion des idéologies au sein du discours politique, il convient de s’intéresser à la synthèse de ces deux éléments que sont les figures / tropes, et l’argumentation. Plusieurs termes définissent cette synthèse, Frédéric Bon parle d’ « idéosystème », Jean-Jacques Robrieux de « sémantique intentionnelle ». C’est aux « idéosystèmes » du socialisme et du Parti socialiste que nous allons nous intéresser dans le prochain chapitre.
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Chapitre 2 :
De l’idéal au réel: évolution idéologique du
socialisme et du Parti socialiste français « Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel » (Jaurès, 1903)
Lorsque l’on entreprend d’étudier un discours politique et plus précisément l’idéologie qui y est manipulée à l’intérieur, il convient évidemment de s’intéresser à l’idéologie en question. Le premier chapitre de ce mémoire nous a permis de comprendre qu’une idéologie était avant tout fondée sur un ensemble de valeurs qui donne un « sens global à la vie collective qui est en question » (Ansart, 1974, p. 15). Elle désigne à la fois les finalités visées mais également les moyens pour les atteindre. K. Mannheim ajoute également qu’une idéologie se caractérise par le fait qu’elle atteint l’ensemble des représentations du passé, du présent et du futur (In Ansart, 1974, p. 17). Elle relève plus de la synthèse que de l’adjonction entre différents jugements et thèmes. Enfin, si l’idéologie peut apparaître comme un dogme reposant sur des fondements inaliénables, elle est également
douée
d’une
capacité
d’adaptation
impressionnante.
Cette
capacité
d’adaptation lui permet de perdurer dans le temps, de légitimer son résonnement face à l’émergence de nouveaux problèmes politiques. Pour comprendre la manière dont se développe une idéologie politique, notamment au sein d’un parti dans une démocratie, il est important de se focaliser dans un premier temps sur les structures de clivage et les systèmes de partis tels que les présentent Lipset et Rokkan dans leur ouvrage séminal consacré aux partis politiques, Party Systems and
Voter Alignements, Cross-National Perspectives (Lipset et Rokkan, 1967), mais également sur les fondements du gouvernement représentatif et notamment à la démocratie de parti et à la démocratie du public. Dans ce second chapitre, l’objectif sera donc d’analyser l’idéologie socialiste au sens large du terme en s’intéressant à la fois à ses fondements mais également aux évolutions qu’elle a connu au cours du temps ainsi qu’à l’idéologie défendue par le Parti socialiste depuis sa création en 1905. Ce travail de recherche s’intéresse à la première étape de la méthode de la sociologie des idéologies définie par Pierre Ansart, à savoir l’étape de la production idéologique.
« Etudier une idéologie c’est se proposer tout d’abord de retrouver le système régulateur qui organise la reproduction des discours et des jugements conformes, puis repérer les distances et les déformations ... » (Ansart, 1974, p. 9).
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Cette étape de production idéologique relève de l’adéquation entre la situation et l’expérience du peuple qui s’en fait porteur. C’est par cette adéquation que l’idéologie réalise une simplification schématique de la réalité.
Section I :
Organisation, structure et représentation des systèmes
de partis Cette première section a pour fonction de poser les bases des systèmes partisans, leurs structures et les clivages sur lesquels ils se fondent.
« L’identité et le fondement idéologique des partis politiques s’articulent autour de ces clivages et il en va de même pour les électeurs » (Lipset et Rokkan, 2008, Quatrième de couverture).
Lipset et Rokkan considèrent par exemple que la montée de la classe ouvrière et l’introduction du suffrage universel sont à l’origine de la formation de nouveaux partis sur la base du clivage « propriété / travail ».
S’il est essentiel, lorsque l’on s’intéresse à l’idéologie développée par un parti politique d’analyser les fondements des systèmes partisans et les clivages sur lesquels ils sont construits, il convient également de se concentrer les principes fondamentaux de la démocratie représentative. Les systèmes partisans tous comme les principes du gouvernement représentatif ont émergé en parallèle à la naissance de l’État moderne occidental, l’État Nation. Ainsi, nous nous intéresserons successivement aux clivages et systèmes de partis tels que les définissent Lipset et Rokkan puis aux principes du gouvernement représentatif et notamment à la démocratie de parti et à la démocratie du public.
Clivages et systèmes de partis
Dans leur théorie des clivages (Delfosse, 2008, pp. 19-28), Seymour M. Lipset et Stein Rokkan définissent deux modèles de base. D’une part les invariants10, composés de la
10
Voire schéma annexe 1 issu de l’ouvrage de Pascale DELFOSSE, « La théorie des clivages. Où
placer le curseur ? Pour quels résultats ? », Revue internationale de politique comparée , 2008, vol. 15, no 3, p. 363‑ 388, p. 20.
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dimension spatiale (oppositions territoriales-culturelles) et de la dimension temporelle (oppositions entre les intérêts touchant au fonctionnement de la société). D’autre part les quatre clivages11 de base ayant dominé l’histoire des sociétés européennes occidentales à savoir le clivage propriété / travail, le clivage État / Église, le clivage rural / urbain et le clivage ethnique / linguistique. Ces clivages ont dominé certaines périodes de l’histoire cruciales, les réformes et contre-réformes des XVIème et XVIIème siècles, la Révolution française de 1789, la Révolution industrielle du XIXème siècle et enfin la Révolution russe de 1917. Tous les clivages que nous venons d’évoquer s’inscrivent dans différentes catégories relevant soit de l’économique, du culturel ou du territorial.
« Le clivage se caractérise par une autonomie sociopolitique forte exprimant tout à la fois des intérêts ancrés socialement parlant, une vision normative claire estimée universelle, et un système organisationnel solide » (Bartolini p. 34 in Delfosse, 2008, p. 24).
Cette définition du terme de clivage issu des raisonnements de Lipset et Rokkan se rapproche sensiblement de la notion d’idéologie qui est au cœur de ce mémoire. En effet, tous deux se caractérisent de par leur forte autonomie, leur caractère totalisant et simplificateur, ainsi que par leur capacité à conceptualiser une organisation sociale. Si ces clivages se traduisent en terme d’organisation, Lipset et Rokkan précisent cependant qu’il n’existe pas de véritable correspondance entre un clivage et l’émergence d’une organisation partisane correspondante. Ainsi, on ne comptabilise pas autant de partis politiques qu’il existe de clivages. De plus, si les partis reposent sur un ou plusieurs clivages, il convient de voir comme le précise André-Paul Frognier qu’il existe une distance palpable entre la « position originelle et stratégique » (Frognier, 2007, p. 285 in Delfosse p. 27) d’un parti politique, distance entre ses bases dogmatique et son idéologie actuelle.
« […] D’après lui, plus un parti est puissant, plus il prendra des positions stratégiques sur d’autres clivages que son clivage d’origine » (Delfosse, 2008, p. 27).
Ainsi, si la théorie des clivages constitue un élément théorique important lorsque l’on s’intéresse à la construction des idéologies politique il convient également d’aborder les principes du gouvernement représentatif qui régissent les partis à savoir la démocratie
11
Voire schéma annexe 2 issu de l’ouvrage Ibid., p. 21.
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de parti et la démocratie du public.
Principes du gouvernement représentatif
La démocratie telle qu’on la connaît aujourd’hui est bien différente de la démocratie inventée par les Grecs et les Romains. En effet, le caractère « représentatif », des démocraties actuelles, par opposition au caractère « direct » des premières démocraties, est considéré pendant l’Antiquité comme antinomique à la démocratie. Selon Bernard Manin (Manin, 2012), cette démocratie représentative est le fruit de l’évolution des institutions et des révoltions, françaises, britanniques et américaines. Madison, Sieyès et plus tard Rousseau ont tous trois distingué le gouvernement représentatif, républicain, de la démocratie. Certaines formes de représentation existent déjà dans les démocraties antiques et sont reconnues tout comme l’idée que le peuple ne dispose pas de compétences suffisantes pour gouverner et prendre les bonnes décisions. Sieyès et Madison considèrent alors que la démocratie représentative est la forme de gouvernement à privilégier dans la mesure où les citoyens ne s’intéressent pas assez à la chose publique et ne disposent pas des compétences nécessaires pour prendre les bonnes décisions. On rejoint ici l’idée de public fantôme décrit par Walter Lippmann dans son ouvrage The
Phantom Public (Lippmann, 2011). Les fondements de la démocratie représentative n’ont finalement jamais été véritablement remis en cause depuis, il se sont même imposés de manière durable depuis le XVIIème et XVIIIème siècles après quelques retours successifs à la démocratie directe.
« Un gouvernement organisé selon les principes représentatifs était donc considéré, à la fin du XVIIIème siècle, comme radicalement différent de la démocratie alors qu’il passe aujourd’hui pour une de ses formes » (Manin, 2012, p. 15).
La distinction entre « démocratie représentative » et « démocratie directe » n’a en réalité pas vraiment lieu d’être dans la mesure où l’on ne dispose pas des moyens suffisant pour établir une démocratie réellement directe où il n’y aurait aucun intermédiaire entre gouvernés et gouvernants, où les gouvernés seraient eux même gouvernants. Bernard Manin définit les quatre principes originels des régimes représentatifs. Dans ces derniers, les gouvernements sont désignés par élections à intervalles régulières, ils conservent dans leur décision, indépendance vis à vis des électeurs qui eux-mêmes sont libres d’exprimer
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leur opinion sans contrôle des gouvernements en question. Enfin, les décisions publiques sont soumises à l’épreuve de la discussion.
« L’élection constitue l’institution centrale du gouvernement représentatif » (Manin, 2012, p. 18).
Quelle est la place de l’élection en tant qu’ « institution centrale du gouvernement représentatif », en quoi participe-t-elle à l’organisation des partis et système partisans ?
La démocratie de parti
L’émergence des partis de masse a été vécue, dans un premier temps, comme une sorte de retour à la démocratie directe, comme une entrée du peuple au Parlement (Manin, 2012, p. 264). S’intéresser à la démocratie de parti c’est également chercher à savoir qui de l’homme politique ou du parti politique prend le dessus et impose ses décisions, l’ « homme d’appareil » ou le « parti d’appareil » (Manin, 2012, p. 267). Manin parle d’une organisation de la scène partisane sur le modèle de la lutte des classes. L’adhésion à un parti est vécue comme une appartenance délibérée à une communauté. Dans une démocratie de parti comme dans un système parlementaire, l’élection apparaît comme une manifestation de confiance et non comme le choix d’un programme. De plus, ce n’est pas une simple personnalité qui fait l’objet de cette confiance mais un parti tout entier. Un homme politique appartenant à un parti n’est pas un homme libre dans la mesure où il doit respecter la ligne idéologique de son parti. Comme nous l’évoquions tout à l’heure dans la théorie des clivages de Lipset et Rokkan, la lutte, l’opposition entre les partis est le reflet de la lutte sociale, de la lutte des classes. Cette lutte met en lumière la fragilité du système politique et la seule solution qui apparaît est le compromis entre la majorité et la minorité. Un parti devient ainsi parti de masse et accède au pouvoir dès lors qu’il accepte cette idée de compromis. Les gouvernants gardent une certaine marge de manœuvre dans la mesure ou une fois le parti élu, ce sont eux qui vont décider de l’application plus ou moins fidèle du programme de leur parti.
« Les partis organisent à la fois la compétition électorale et l’expression de l’opinion publique » (Manin, 2012, p. 274).
Les partis de masses ont donc une fonction d’ « expression », une fonction « instrumentale » ainsi qu’une fonction « représentative » (Lipset et Rokkan, 2012, p. 16).
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Dans la démocratie de parti, le parti majoritaire soutient le gouvernement qui en est l’émanation directe tandis que le parti d’opposition construit l’opposition.
« La discussion n’a plus lieu pendant les séances plénières du Parlement mais au sein du parti, au sein des cercles dirigeants des partis » (Manin, 2012, 277).
Cependant, cette idée de compromis continue à exister de manière interne aux partis, entre les partis, entre partis et gouvernement et partis et société civile. On parle ici d’une certaine idée de gouvernance.
De la démocratie de parti à la démocratie du public
Le véritable tournant entre démocratie de parti et démocratie du public a lieu dans les années 1970, date pivot lors de laquelle on va passer de choix électoraux liés aux critères sociaux à une personnalisation du choix électoral. Cette personnalisation du choix électoral se traduit par un retour au caractère personnel de la relation représentative (Manin, 2012, p. 280). Les citoyens votent pour une personnalité et le pouvoir a tendance à se personnaliser. L’émergence de ce lien représentatif personnel a été favorisée par les nouveaux modes de communication qui ont faussement restauré une certaine proximité et la professionnalisation de la communication.
« La démocratie du public est le règne de l’expert en communication » (Manin, 2012 p. 281).
En parallèle, on a assisté à une prédominance de la personnalité des candidats sur les programmes des partis. Le rôle de l’offre électorale a également beaucoup évolué dans la mesure où c’est désormais celle-ci qui régit, avec les enjeux institutionnels et les thèmes abordés pendant la campagne, l’orientation du vote. D’une dimension sociale dans la démocratie de parti on est passé à une dimension réactive et à court terme du vote dans la démocratie du public.
« Le candidat doit se définir lui même et définir ses adversaires » (Manin, 2012, 1985).
Ainsi, les gouvernants, principalement lors des campagnes, vont activer, jouer avec des clivages sociaux, économiques préexistants dans le but de se situer sur l’échiquier
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politique. Comme nous l’avons précisé, le vote s’est donc transformé en une réaction de l’électorat face aux termes qui lui sont proposés. Ces termes sont le reflet de réalités sociales préexistantes à l’action des hommes politiques et dans cette logique l’électorat peut apparaître dans une certaine mesure comme à l’origine de ces termes. On passe ainsi d’un caractère « réactif » du comportement électoral à un comportement « expressif ». Cette autonomie de l’offre électorale que proposent les hommes politiques est donc relativement limitée dans la mesure où ils se basent eux-mêmes sur certaines réalités sociales pour exposer leurs propositions. C’est l’élection qui vient pas la suite valider ou invalider les termes proposés par l’homme politique. Malgré tous les éléments que l’on vient d’évoquer les candidats sont tout de même dotés d’une plus grande autonomie dans la démocratie du public que dans la démocratie de parti. En effet, la demande des électeurs reste largement dépendante de l’offre proposée par les hommes politiques. Le rôle de représentant de l’homme politique a également évolué. Il n’est plus le représentant d’un groupe ou du peuple, il se contente de porter certains clivages sur la scène politique et d’exprimer une vision du monde en adéquation avec l’attente des électeurs. Certaines études électorales récentes (Manin, 2012, p. 291) montrent que les gouvernants sont avant tout élus dans la démocratie du public sur des images. Images personnelles et images des mouvements auxquels ils appartiennent. Ces images sont des « représentations politiques simplifiées et schématiques » (Manin, 2012, p. 291). Leur caractère flou confère une certaine marge de manœuvre aux gouvernants entre les propositions qu’ils font et les mesures qu’ils prennent. On assiste également a un découplage entre le vote et l’opinion publique. Le vote est une simple réaction face à diverses propositions tandis que l’opinion publique s’exprime sur différentes questions en proposant son propre point de vue. Le gouvernants et politiques ont de plus en plus recours aux sondages dans le but d’évaluer cette opinion publique et de s’y conformer. Enfin, Bernard Manin constate l’émergence d’un électorat informé et instable que l’on qualifie d’électorat « flottant » (Manin, 2012, p. 300). Dans une volonté des politiques et des gouvernements de s’adresser directement à cet électorat on a vu se développer certaines formes de gouvernances déjà préexistantes dans le modèle de la démocratie de parti.
Les structures de clivages présentées par Lipset et Rokkan, la formation de l’État moderne, l’État Nation occidental tel qu’on le connaît aujourd’hui et les principes du gouvernement représentatif ont beaucoup influencé l’organisation, les structures des partis politiques et leur construction idéologique. Maintenant que nous avons fait le tour de tous les éléments théoriques autour de la construction des systèmes de partis et de leur
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idéologie nous allons désormais nous focaliser sur le cas précis de l’idéologie socialiste et en l’occurrence du Parti socialiste.
Section II :
Panorama sur l’idéologie socialiste et l’idéologie du Parti
socialiste Cette seconde section, directement centrée sur les fondements de l’idéologie socialiste et son évolution vise à rendre compte des clivages sur lesquels cette idéologie s’est construite et la distance entre sa position originelle et sa position stratégique. Ainsi, nous nous intéresserons successivement aux fondements de l’idéologie socialiste puis aux évolutions de l’idéologie du Parti socialiste au cours du temps et face à l’exercice du pouvoir. Notre analyse sera focalisée non seulement sur la matière de cette idéologie socialiste mais également sur ses producteurs.
De l’idéal au réel
Le socialisme est un mouvement politique que l’on peut qualifier de doctrinaire qui se développe principalement en opposition à la théorie économique libérale initiée par Adam Smith en 1776 dans son ouvrage Recherche sur la nature et les causes de la richesse
des nations, et dans un contexte de transition entre l’Ancien régime et la société moderne. Alors que les prémices apparaissent au XVIIème siècle, ce n’est qu’au XIXème siècle que la notion de socialisme est conceptualisée par Pierre Leroux, philosophe et homme politique français. À l’origine, la notion de socialisme possède un sens flou et les conceptions s’opposent. Pierre Leroux l’oppose à l’individualisme tandis que Robert Owen, socialiste utopique le conçoit plutôt comme un rassemblement d’associations. Ces « réformateurs sociaux »12, terme que l’on donne à ces premiers penseurs du socialisme, sont à l’origine des grands fondements de la doctrine socialiste que l’on connaît à l’heure actuelle. Ils se réfèrent à l’esprit des Lumières et reprennent le concept de « l’homme bon » de Jean Jacques Rousseau, son idée de contrat social. Ces deux références constituent les fondements de l’idéologie socialiste. Tout comme les Lumières, ayant contribué à l’émergence de la Révolution française en 1789, ces premiers socialistes désirent également atteindre leurs objectifs par un grand renversement. Ils veulent compléter ces 12
Saint-Simon, Charles Fourrier, Etienne Cabet et Pierre Leroux sont les plus célèbres de ces
« réformateurs sociaux » que l’on appel également « socialistes utopiques »
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principes issus de la Révolution et qui sont concentrés dans l’idéal Républicain. Ils désirent par ailleurs améliorer l’égalité réelle entre les hommes. Les principes d’égalité et de justice sont donc érigés au premier plan tandis que celui de liberté est relayé au second plan. C’est dans les classes prolétariennes notamment auprès des ouvriers que le mouvement socialiste essaye de diffuser ses idées et de trouver du soutien. Leur influence dans ces milieux populaires restera cependant faible. Ce mouvement initial reste donc plus un groupement désorganisé qu’une organisation reposant sur une véritable idéologie. SaintSimon est finalement le plus grand précurseur de l’idéologie socialiste. Ce dernier ne refuse pas la propriété privée mais remet cependant en cause le droit de succession, l’évolution amenant toujours selon lui, de nouvelles formes de richesse. Il défend l’idée de progrès et souligne ses vertus pacificatrices. Enfin en ce qui concerne l’industrie, il recommande la participation de tous les citoyens à la production pour atteindre une certaine forme de solidarité. Opposé aux visées libérales, il prône une intervention étatique forte et met en lumière les dangers liés à l’égoïsme des particuliers. La non intervention de l’Etat pour réguler ces égoïsmes entrainerait une concentration des richesses. Au delà de ces idées utopiques qui constituent tout de même les base de l’idéologie socialiste, une réalité plus dure existe, celle de la précarité dans laquelle se trouvent les ouvriers suite à la révolution industrielle datant de la première moitié du XIXème siècle. Cette appréhension du réel passe avant tout par les nombreuses révoltes des ouvriers tout au long du XIXème siècle accompagnées le plus souvent de répressions. En 1831 a lieu la révolte des Canuts lyonnais, en 1848, les journées de juin et en 1871 c’est l’épisode de la Commune de Paris qui laissera une trace impérissable dans la mémoire socialiste. Autant d’événements violents qui vont placer la question sociale au premier plan. Dans la révolution de 1848, la gauche républicaine s’oppose à la monarchie censitaire, au second Empire et tente de lutter contre les conditions de travail précaires des ouvriers engendrés par la révolution industrielle. Cette gauche républicaine va également tenter de faire la synthèse entre la tradition montagnarde de la révolution de 1789 et les questions sociales que les premiers mouvements ouvriers ont fait naître.
La structuration du mouvement ouvrier (syndical et politique) a largement été influencée par les théories anarchistes et fédéralistes de Proudhon. En 1864, la reconnaissance du droit de grève favorise le développement de ce mouvement ouvrier. Regroupant une élite de militants ouvriers, la section française de la première internationale ouvrière est créée la même année. Décimée par la Commune de Paris en 1871, il faut attendre 1889 pour que celle-ci renaisse sous la forme de la deuxième internationale. Elle
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est fortement influencée par Karl Marx et Friedrich Engels qui prônent un socialisme « scientifique ». Cependant, les idées anarcho-syndicalistes initiées par Proudhon perdurent. Après la reconnaissance du droit syndical en 1884 c’est en 1895 que se constitue la Confédération Générale du Travail. Elle adopte en 1906 la « Charte d’Amiens » qui consacre le principe d’indépendance du syndicalisme par rapport au socialisme politique. Cette absence initiale de liens organiques entre syndicalisme et socialisme politique français est essentielle. En effet c’est ce qui va différencier le socialisme politique français de la social-démocratie allemande et scandinave. Cependant, si cette distinction initiale existe, il convient de préciser que le socialisme politique français sera pendant longtemps soutenu par une grande partie du mouvement ouvrier. C’est en 1905, sous la pression de la Deuxième Internationale que les différents courants politiques socialistes français (Guesdistes, Blanquistes et Réformistes) s’unissent dans la Section Française de L’internationale Ouvrière13. C’est alors que Jean Jaurès, socialiste pragmatique s’impose comme figure du socialisme français. Il parvient à réaliser la synthèse entre les différents courants de la SFIO alliant ainsi République et socialisme, patriotisme et internationalisme, idées marxistes et tradition révolutionnaire française. C’est ainsi que la SFIO, qui se veut alors parti ouvrier, tente d’acquérir une large base électorale et militante composée de paysans, d’ouvriers, d’artisans proches des milieux intellectuels et de fonctionnaires. De par l’absence de lien organique avec le monde syndical elle n’y parvient cependant pas (Portelli, dir. Bréchon, 2001, p. 86). Elle reste ainsi majoritairement composée de fonctionnaires et d’enseignants. « Le second événement qui structurera durablement la stratégie et la doctrine du Parti socialiste est la naissance du Parti communiste ... » (Portelli, dir. Bréchon, 2001, p. 86). C’est lors du congrès de Tours, en décembre 1921 au lendemain de la première guerre mondiale, qu’une majorité de militants socialistes vont créer le Parti communiste français en adhérant à l’internationale communiste et à ses « 21 conditions ». C’est autour de Léon Blum que la minorité socialiste résistante se structure. Pendant cette période d’entre-deux guerres, elle se retrouve tiraillée entre son aile gauche, favorable à un rapprochement avec le Parti communiste et son aile droite qui refuse toute alliance avec un parti qu’il qualifie de « parti totalitaire ». Ces tensions internes au Parti socialiste débouchent sur la scission de sa droite en 1933 avec les néo-socialistes et de sa gauche en 1938 avec la gauche révolutionnaire. Cela se traduit pour la SFIO, par un recul significatif de son nombre d’adhérents (350 00 en 1945, il ne sont plus que 100 000 en 1962) et par une chute de son 13
Plus connu sous l’acronyme SFIO
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influence électorale. Ainsi, à la fin du second conflit mondial, le Parti communiste français devient pour trente ans, le premier parti de gauche. « Cette domination communiste est avant tout idéologique car le marxisme dont se réclame le PCF, est l’idéologie dominante de la gauche syndicale, intellectuelle et politique » (Portelli, dir. Bréchon, 2001, p.87). Durant cette période, la SFIO a donc du mal à acquérir indépendance et crédibilité. Elle oscille entre affrontement et rapprochement avec le Parti Communiste. En témoigne sa participation au Front populaire de 1936 à 1937 et au Gouvernement provisoire de la République française de 1945 à 1946. C’est notamment à travers ces épisodes que le socialisme français va s’enraciner dans le système parlementaire de la République. L’enracinement dans la République est une des autres caractéristiques importantes du socialisme français qui, comme nous l’avons évoqué, va accéder succinctement au pouvoir gouvernemental à plusieurs reprises. Si La SFIO accède au pouvoir en 1937 au sein du Front populaire c’est surtout à la Libération qu’elle va s’identifier au modèle parlementaire à la française. Léon Blum notamment, défend un régime parlementaire plus équilibré entre l’exécutif et l’assemblée souveraine qui lui est subordonnée en 1945-1946 lors du grand débat constitutionnel. Proposition qui sera cependant rejetée par 52,8% des suffrages exprimés lors du référendum du 5 mai 1946. « Cette défense du parlementarisme l’a conduit à s’opposer au général de Gaulle avant 1958, à se rallier à lui en mai 1958 du fait de la menace du coup d’Etat afin qu’il défende la République mais, sitôt après, à s’y opposer au nom du retour au régime parlementaire » (Portelli, dir. Bréchon, 2001, p. 87). Cette tentative de défense du modèle parlementaire est un échec et la SFIO connaît son « Waterloo électoral » (Portelli, dir. Bréchon, 2001, p. 87) en 1969 lorsque son candidat à l’élection présidentielle, Gaston Deferre, obtient seulement 5% des suffrages.
Le Parti socialiste, du projet au pouvoir
La relation entre le socialisme français et l’exercice du pouvoir est une question centrale dans l’histoire de ce parti. Elle a fait l’objet de nombreux ouvrages et notamment celui d’Alain Bergounioux et Gérard Grunberg, Les socialistes français et le pouvoir.
L’ambition et le remords (Bergounioux et Grunberg, 2005). C’est véritablement face à l’exercice de ce pouvoir que le Parti socialiste a entamé l’une de ses plus conséquentes évolutions idéologiques.
« L’accession du Parti socialiste au gouvernement, en 1981, constitue un tournant dans son histoire. Certes, ce n’est pas la première fois que le Parti socialiste
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exerce le pouvoir mais, pour reprendre la fameuse distinction de Léon Blum, c’est la première fois qu’il le conquiert, c’est à dire qu’il s’empare pour une longue durée des principaux leviers du pouvoir dans l’État. Ce tournant à des effets non seulement sur son rapport aux institutions, mais surtout sur son idéologie » (Portelli, dir. Bréchon, 2001, p. 89).
C’est lors de l’élection présidentielle de 1965 que le candidat d’Union de la gauche, François Mitterrand, entreprend un rapprochement avec le Parti communiste en vue d’une alliance réaliste. L’objectif de cette gauche non communiste dont François Mitterrand se veut le représentant ne s’oppose plus aux institutions de la Vème République, ni à son système présidentiel qui vient tout juste d’être mis en place. Cet objectif de conquête du pouvoir passe à la fois par l’unification de toute la gauche mais également par le rapprochement avec les classes moyennes salariées. La mise en place de l’élection présidentielle au suffrage universel direct suite à la révision constitutionnelle de 1962 profite finalement à cette gauche mitterrandienne qui voit émerger en son sein un leader naturel capable de réaliser la synthèse idéologique qui lui ouvrira les portes du pouvoir. Il ne faut pas confondre cette nouvelle alliance de la gauche avec l’ancien « mythe de la réunification des partis ouvriers ... » (Portelli, dir. Bréchon, 2001, p. 88). En effet, cette nouvelle alliance repose sur un véritable programme de gouvernement réaliste auquel même le Parti communiste se conforme. Ce n’est qu’en 1971, lors du congrès d’Épinay que la réunion de la famille socialiste va véritablement avoir lieu autour de la figure de François Mitterrand qui est élu premier secrétaire du Parti socialiste rénové. Ce dernier entreprend alors l’union de la gauche autour d’un programme commun qui se veut très prudent sur les chapitres institutionnel et international. Il est adopté en 1972 par le PCF et les radicaux de gauche. Il permet à cette gauche unie de progresser de manière significative aux élections législatives de 1973 où le Parti socialiste et le Mouvement des Radicaux de Gauche obtiennent 20,7% des voies. Pendant la décennie 1970 le Parti socialiste poursuit sa progression, élection après élection, et c’est ainsi que le rapport de force avec le PCF, qui devançait le Parti socialiste depuis 1936, s’est inversé. Même ci cette union de la gauche connaît une crise à la fin des années soixante-dix, le Parti socialiste devient parti de gouvernement en accédant au pouvoir en 1981 avec François Mitterrand.
Le socialisme français comme le précise Hugues Portelli « possède une vielle culture de gestion du pouvoir local » (Portelli, dir. Bréchon, 2001, p. 89). Comme nous l’avons déjà évoqué, ce n’est que brièvement que le Parti socialiste participe à l’exercice du pouvoir lors du Front Populaire 1936 à 1938 et avec le gouvernement Blum de 1946 à 1947. Ce n’est
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qu’à la fin des années soixante et avec l’arrivée de François Mitterrand que le Parti socialiste va entamer une transition idéologique en devenant progressivement un parti de gouvernement. Élu sur la volonté d’union de la gauche et de rupture avec le capitalisme, François Mitterrand et le gouvernement de Pierre Mauroy, Premier ministre de 1981 à 1984, veulent concilier contrainte économique et progrès social, gestion de l’appareil étatique et transformation structurelle. Cependant, ce n’est qu’un an après l’accession de la gauche au pouvoir qu’elle se voit contrainte d’entreprendre un tournant dans sa politique économique sous la pression de l’environnement international et notamment de la construction européenne. Ce tournant ne se traduit pas uniquement par un ralentissement des réformes sociales entreprises mais également par une évolution idéologique plus profonde du parti :
« Il lui faut non seulement conduire une politique qui respecte les critères libéraux de l’Europe communautaire, mais aussi intégrer progressivement cette politique dans sa doctrine .... Le Parti socialiste ne dispose plus de discours de gauche de rechange : il lui faut donc innover » (Portelli, dir. Bréchon, 2001, p. 90).
Alors que François Mitterrand parle de « parenthèse » à propos de la « politique de rigueur » initiée en 1982, Laurent Fabius qui devient Premier ministre en 1984 justifie ce tournant sous le terme de « modernisation » nécessaire de la société française. Si la tentative de faire reconnaître cette évolution idéologique du Parti socialiste est initiée par Michel Rocard en 1985 au congrès de Toulouse, il faut attendre le second septennat de François Mitterrand réélu en 1988 pour que le parti révise officiellement sa doctrine. Ce renouveau doctrinaire est théorisé en 1991 lors du congrès idéologique de la Défense. Cette véritable acceptation du « capitalisme » est cependant doublée d’une volonté du parti d’entretenir une relation « critique » vis à vis de ce dernier (Portelli, dir. Bréchon, 2001, p. 90). C’est l’idée d’« économie mixte » initiée par François Mitterrand en 1983, à mi-chemin entre économie de marché et politique de compromis social, que le Parti socialiste va tenter d’impulser.
« Les socialistes français rejoignent ainsi la social-démocratie européenne au stade d’évolution ou elle était parvenue au XX ème siècle, après un siècle d’orthodoxie doctrinale. ... Le congrès de la Défense a d’avantage permis de solder le passé que de définir un projet pour l’avenir » (Portelli, dir. Bréchon, 2001, p. 91).
En 1971, dans une volonté de rompre avec le « centralisme mollétiste » (Portelli, dir.
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Bréchon, 2001, p. 91), sont réinstaurés la collégialité et la proportionnalité. L’objectif étant véritablement de démocratiser le parti et de rétablir le débat interne qui a été paralysé par l’inertie des années 1946 à 1969 pendant lesquels Guy Mollet a dirigé le parti. C’est ainsi que la dialectique interne du Parti socialiste se retrouve dynamisée pendant la décennie soixante-dix. C’est ainsi que divers courants de gauche vont s’opposer et créer une dynamique de d’émulsion idéologique. On y trouve un groupe central rassemblé autour de François Mitterrand alors Premier secrétaire , le courant de Jean Poperen et le CERES de Jean-Pierre Chevènement, l’ex-SFIO menée par Pierre Mauroy et dès 1975 le courant moderniste de Michel Rocard. Cette dynamique se calme cependant à la fin de la décennie, le courant de François Mitterrand ayant tendance à rassembler une grande partie des nouveaux et des anciens adhérents.
« La candidature de François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1974 et le score qu’il y obtient le dotent d’une double légitimité et d’un double circuit de pouvoir : ceux du parti et ceux de l’élection présidentielle » (Portelli, dir. Bréchon, 2001, p. 92).
La présidentialisation du Parti socialiste commence donc dès le début des années soixante-dix et se poursuit tout au long de la décennie si bien que le parti devient la voie d’émergence principale des candidats à la présidentielle. Ainsi comme le précise Hugues Portelli, « Avant même 1981, la dialectique des courants cède donc progressivement la place à l’affrontement des présidentiables » (Portelli, dir. Bréchon, 2001, p. 92). La période qui suit la double victoire de 1981 et de 1988 se traduit par une mise en sommeil du parti qui pendant ces quatorze années est devenu le « parti du président ». Dépourvu d’autonomie idéologique et politique, c’est ainsi qu’il accepte avec aplomb le tournant libéral de 1982-1984. Cette logique d’inertie du Parti socialiste lors de cette période se brise finalement au lendemain du second mandat de François Mitterrand alors qu’une guerre de succession s’installe. La transition vers la succession correspond à la troisième étape du projet de conquête et d’exercice du pouvoir mené par François Mitterrand depuis 1971. C’est lors du premier septennat du président Mitterrand qu’apparaissent les prémisses de cette guerre de succession autour de l’opposition naissante entre Michel Rocard, Lionel Jospin et Laurent Fabius. Après une trêve lors de la cohabitation de 1986 à 1988, ces affrontements internes renaissent en 1988 suite à la réélection du président sortant. Perdant ainsi le contrôle du Parti socialiste, François Mitterrand s’en désintéresse peu à peu mais fait le nécessaire pour qu’il ne revienne pas à Michel Rocard, son adversaire historique. Cet
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éclatement du courant mitterrandiste conduit finalement à la paralysie totale du parti et débouche sur des échecs notables comme lors des élections législatives de 1993 ou la droite obtient 458 sièges contre seulement 54 à gauche. Le Parti socialiste reste premier parti à gauche mais prend bien conscience de la nécessité de sa remise en question pour renouer avec son électorat populaire. Cette crise morale qui débouche sur l’abandon de la ligne d’union de la gauche et du socialisme étatique ne se traduit pas par l’émergence d’une alternative réformiste. Les états généraux de Lyon en juillet 1993 donnent la parole aux militants et sympathisants socialistes pour que ces derniers s’expriment sur le bilan de ces années, sur le projet socialiste qu’ils désirent et sur la stratégie à adopter. Cette lueur d’espoir du renouveau de l’unité du Parti socialiste remobilisée portera Lionel Jospin, candidat Parti socialiste à la présidentielle de 1995, à plus de 47% des voies exprimées au second tour. La difficile expérience de l’exercice du pouvoir de François Mitterrand n’a en rien remis en cause la progression du Parti socialiste réalisée entre 1971 et 1988.
Du droit d’inventaire à la réorientation récente
Perdant de l’élection présidentielle de 1995 mais fort d’un score de 47,4% des voix au second tour, Lionel Jospin revient immédiatement à la tête du Parti socialiste et engage une rénovation approfondie des idées et des structures du parti. Ce dernier réclame le « droit à l’inventaire » de la période mitterrandienne pendant laquelle aucun bilan ni aucune rétrospective n’ont jamais pu être faits. Le « courant Jospin » apparaît désormais comme le nouveau point de référence autour duquel s’agrègent les rocardiens, le conglomérat des nouveaux notables et des alliés ainsi que Laurent Fabius, rival de longue date. En 1996, un nouveau programme est adopté en vue des élections législatives de 1997. Ce dernier confirme la volonté de Lionel Jospin de remettre le parti en ordre suite à l’élection présidentielle de 1995 mais également d’assumer le tournant idéologique impulsé par le tournant de la rigueur dès 1982.
« Ce programme est marqué par le réalisme économique (intégration européenne, mondialisation, fin de l’Etat entrepreneur) imposé depuis le tournant de 19821984, mais aussi par le maintien d’un volontarisme de gauche (abaissement de la durée du travail à trente-cinq heures, création massive d’emplois publics, notamment pour les jeunes) ; » (Portelli, dir. Bréchon, 2001, p. 93).
Une gauche « plurielle » émerge suite à la dissolution de l’Assemblée Nationale par Jacques Chirac en avril 1997. Elle rassemble la gauche historique (PCF, PRG, Mouvement
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des Citoyens) ainsi que les écologistes de gauche, sous l’hégémonie du Parti socialiste. Alors que Lionel Jospin s’installe à Matignon pour une longue durée, François Hollande lui succède à la tête du Parti. Avec le déclin du rôle des différents courants du Parti socialiste, la dialectique interne se voit affaiblie.
« N’étant plus la source d’un débat idéologique et programmatique qui s’est tari, les courants se muent en pur réseaux de pouvoir (dans le parti et hors de celui-ci) au profit des personnalités les plus influentes » (Portelli, dir. Bréchon, 2001, p. 94).
Cette période de cohabitation de la gauche plurielle autour de la figure de Lionel Jospin se solde par le tremblement de terre du 21 avril 2002, où ce dernier se voit renverser dès le premier tour par Jean-Marie Le Pen et Jacques Chirac. Le second tour de cette élection apparaît comme un redoublement de ce choc pour toute la gauche lorsque le Parti socialiste appelle à voter pour le candidat de droite Jacques Chirac pour contrer le Front National. Le parti s’engage alors dans un travail de réflexion sur son action, l’objectif étant de regagner la confiance des Français en leur redonnant espoir. Un nouveau débat militant est ainsi engagé en vue de la préparation du Congrès de Dijon prévu pour l’année suivante, 2003. Le parti s’engage dans une dynamique de réformisme à gauche. La période de six ans qui s’engage après la défaite historique du 22 avril 2001 se caractérise par une volonté du parti de tourner la page, de jouer son rôle de première force d’opposition et de reconquérir son électorat populaire. Si les élections régionales, cantonales, européennes et sénatoriales de 2004 sont historiques pour le parti où il réalise des scores très importants, l’épisode du traité constitutionnel européen cristallise les divisions à gauche. Certes, le Parti socialiste se prononce officiellement en faveur du « oui », les divisions internes au parti sont particulièrement visibles et divisent militants et sympathisants. C’est finalement le non qui l’emporte à 58,64% des suffrages exprimés. Cette période se clôt par l’échec de Ségolène Royal à l’élection présidentielle de 2007 face à Nicolas Sarkozy. Elle avait été désignée lors de la primaire socialiste en novembre 2006 face à Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius. Après cet échec, le Parti socialiste se relève cependant assez rapidement en emportant 186 sièges lors des législatives de juin 2007 et en sortant vainqueur lors des municipales et cantonales de mars 2008. C’est également en 2008 que le siège de François Hollande à la tête du Parti socialiste prend fin. Il aura été premier secrétaire du Parti pendant plus de onze ans ayant été élu à trois reprises. Suite à un congrès de Reims difficile, c’est Martine Aubry qui est élue Première secrétaire du Parti socialiste (avec seulement 50,4% des suffrages exprimés) et qui prend la suite de François Hollande qui se
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retire du monde politique. C’est plus de trois motions de l’ancienne majorité (Martine Aubry, Ségolène Royal et Bertrand Delanoë) que l’on a vu s’affronter sur la méthode et la personne à désigner pour diriger le Parti. A l’université d’été de La Rochelle, la nouvelle Première secrétaire du Parti socialiste engage le parti sur la voie de la rénovation. Une grande consultation des militants est également envisagée sur les questions du cumul des mandats, des primaires socialistes etc. Ce projet est approuvé en octobre 2011 et le parti s’engage dans le Tour de France du Projet en vue de l’élection présidentielle de 2012. L’objectif étant alors de recueillir le sentiment du plus grand nombre pour nourrir la réflexion à gauche. Cette mobilisation citoyenne se traduit par un succès aux élections régionales, cantonales et sénatoriales dont le parti sort successivement vainqueur. La Primaire citoyenne d’octobre 2011 est également une réussite en terme de participants. Elle a réuni plus de 2,8 millions de personnes.
Depuis ses origines les plus anciennes, le socialisme s’est toujours organisé et situé de manière dichotomique, entre idéal et réel, entre révolution et réforme sociale, entre réunion et division. D’où sa relation particulière avec son électorat populaire qui représente son aspect social. Certaines personnalités politiques désormais historiques ont permis ce rassemblement, cette synthèse, on pense notamment à Jean Jaurès ou encore à François Mitterrand. Le socialisme a également été, et il l’est toujours, tiraillé entre tradition et rénovation idéologique, entre constance, fidélité aux fondamentaux et adaptation permanente, entre le parti d’opposition et le parti de gouvernement, entre contrainte économique et progrès social, entre gestion et transformation de l’appareil étatique. Autant d’oppositions et de conciliations qui constituent l’axe dichotomique de la colonne vertébrale du Parti socialiste actuel. Ce positionnement a également participé et participe encore à l’organisation en terme et de « gauche » et de « droite » de l’échiquier politique français. Si l’on peut considérer que l’histoire du socialisme est faite d’une succession d’oppositions dichotomiques, il faut cependant avoir conscience que ce courant a connu une évolution globale avec l’acceptation des lois du marché, du capitalisme. La confrontation du Parti socialiste, pendant longtemps parti d’opposition, à l’exercice du pouvoir est à l’origine de cette évolution idéologique. C’est donc à un retournement de situation que l’on a assisté dans le sens où l’idéologie qui est censée impulser l’action c’est vue modifiée par cette même action. De l’idéal au réel on est passé à une redéfinition par le réel de l’idéal socialiste. Ce qui est intéressant avec le parti que l’on a étudié dans ce chapitre et l’état dans lequel il se trouve en 2012 c’est le fait qu’il ne se revendique pas d’une idéologie unique
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mais qu’il soit composé d’une multitude de courants idéologiques tous désireux d’incarner la rénovation de la gauche. Cette classification des différentes familles idéologiques présentes au sein du Parti socialiste n’est pas chose aisée dans la mesure ou l’on se retrouve confronté aux dangers de la simplification dichotomique d’une part et aux dangers de l’hyper analyse focalisée sur les détails d’autre part. Dans les deux cas on risque d’être en décalage avec la réalité. Olivier Duhamel, politologue français a tenté de saisir ces décalages idéologiques en proposant une classification dichotomique opposant la « nouvelle gauche » à la « vielle gauche » (Duhamel, 2007). Ces différences d’appellations soulèvent des différences idéologiques opposant ainsi la gauche « sociale-démocrate », « sociale-libérale », pour un « socialisme réformiste » alliant acceptation de la société capitaliste et recherche de compromis avec les partenaires sociaux,
à la « gauche
traditionnelle », « égalitariste », « étatiste » et rejetant l’économie de marché. Olivier Duhamel souligne qu’il existe un rapport de force déséquilibré entre ces deux gauches : les idées de la gauche sociale libérale étant défendu par le centre gauche, le centre et le centre droit tandis que les idées de la gauche traditionnelle ne sont défendues que par l’aile gauche de cette gauche. Ces divisions reflètent selon lui les contradictions des opinions des Français qui acceptent les difficultés du réel mais aspirent encore à un certain idéal. Ainsi, pour reprendre l’exemple évoqué par Olivier Duhamel, ces citoyens sont conscients que la réduction des déficits est inévitable d’une part mais ils continuent à lutter pour préserver leurs aides sociales, pour que le nombre de fonctionnaires soit maintenu etc. C’est une toute autre classification qui est proposée dans l’ouvrage L’idéal et le réel,
enquête sur l’identité de la gauche (Miquet-Marty, 2006) réalisé, sous la direction de François Miquet-Marty. Celle-ci est le fruit du résultat d’une enquête exclusive commandée par La Fondation Jean-Jaurès à l’institut LH214 et qui consistait à interroger les sympathisants de gauche sur leurs références idéologiques. La division binaire du Parti socialiste est ici abandonnée au profit d’une typologie plus complexe regroupant cinq familles de sympathisants.
« Ce que relève cette enquête, c’est que les sympathisants de gauche peuvent être regroupés en cinq familles : les réfractaires, les sociaux libéraux, les antiautoritaires, les étatistes, les radicaux – cinq familles qui ne recoupent pas les formations politiques traditionnelles » (Miquet-Marty, 2006, p. 6).
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Institut de sondage d’opinion français racheté en 2014 par BVA institut d’étude de marché et
d’opinion
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Enfin, pour d’autres comme le journaliste politique français Eric Dupin, le Parti socialiste, suite à l’échec de Ségolène Royal à la présidentielle de 2007, se divise en trois courants à savoir le Parti socialiste « officiel », rue de Solférino dont le leader est François Hollande, le Parti socialiste « parlementaire » mené par Jean-Marc Ayrault et son contre gouvernement, et le Parti socialiste des « éléphants » composé Ségolène Royal, Laurent Fabius et encore à l’époque Dominique Strauss-Kahn. Tous désirent alors s’approprier la rénovation du parti qui les conduira alors au pouvoir.
Finalement, peu importe la distinction qui est faite entre ces différentes mouvances idéologiques présentes au sein du Parti socialiste, la question qui se pose est surtout celle de la stratégie à adopter pour parvenir au rassemblement de cette gauche. Une équation difficile à résoudre et qui présuppose de faire un choix entre synthèse, compromis ou positionnement assumé. La victoire d’un courant sur les autres ou d’une gauche sur une autre entrainerait certes une clarification idéologique salutaire mais entrainerait également une rupture au sein même du parti, une rupture entre ses militants et ses sympathisants. Le choix d’une idéologie et sa diffusion dépend donc grandement du but visé et de la stratégie employée pour l’atteindre. Lors d’élections nationales et principalement lors de campagnes présidentielles, la clarification idéologique est particulièrement importante dans la mesure où elle est incarnée par une seule et même personne qui se doit de réaliser un rassemblement des différents courants qui composent sa famille politique. C’est la course dans laquelle se lance François Hollande, candidat outsider à la primaire socialiste de 2011.
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Partie 2 :
De l’ « homme normal » à l’ « homme sans com’15 »
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Formule issue du titre de l’ouvrage de Denis PINGAUD, L’homme sans com’, Seuil, 2013.
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Le cas de la primaire socialiste de 2011 pour l’élection présidentielle de 2012 est particulièrement représentative du passage de la démocratie de parti à la démocratie du public que nous avons évoquée dans la première partie. Cette transition entre ces deux types de démocratie représentative a également entrainé une personnalisation du choix électoral qui a été renforcée par les institutions de la Vème République en France, notamment par la désignation du président de la République au suffrage universel direct. En effet, les citoyens ne votent plus pour un parti ou pour un programme mais pour une personne bien définie. Cette personnalisation a même atteint les partis politiques dans leur organisation et leur fonctionnement. C’est ainsi que depuis 1995, le Parti socialiste a mis en place un système de « primaire » destinée à inviter les sympathisants du parti à désigner leur candidat préféré à l’élection présidentielle. La primaire présidentielle socialiste de 2011 est particulièrement intéressante en ce sens qu’elle est dite « citoyenne ». En effet, les 9 et 16 octobre 2011, tous les citoyens français inscrits sur les listes électorales étaient invités à voter, contrairement aux deux primaires précédentes où seuls les militants étaient conviés à voter. Encore plus que les primaires de 1995 et de 2006, la primaire citoyenne de 2011 est en soi une preuve de l’acceptation et de l’adhésion totale de la gauche socialiste à la démocratie représentative et aux institutions de la Vème République qu’elle rejetait initialement. Il faut également envisager cette élection préliminaire comme un moyen efficace d’occuper l’espace médiatique en vue de toucher un public le plus large possible.
« Le candidat doit se définir lui même et définir ses adversaires » (Manin, 2012).
Enfin cette primaire pose un certain nombre de questions d’analyse intéressantes dans la mesure ou chaque candidat était amené à se différencier tout en préservant l’unité de leur parti. Choix cornélien ou équation impossible, tous ont donc cherché à trouver l’adéquation parfaite entre l’attente des citoyens et leur propre vision de la société. Notre focale étant située sur le candidat François Hollande, nous avons décidé d’élargir notre période d’analyse à la campagne présidentielle de 2012. Cette campagne de 2012 se caractérise par deux éléments essentiels qui ont structuré le calendrier électoral à savoir l’apogée de l’ « anti-sarkozysme » et l’installation durable de la crise économique.
Notre analyse sera organisée autour de deux niveaux de comparaison : un premier niveau entre les différents candidats de la primaire socialiste puis un second entre le discours du candidat François Hollande à la primaire socialiste et le discours de François Hollande lors de la campagne présidentielle.
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Le corpus global que nous avons décidé d’analyser est en réalité composé de deux sous corpus. Celui de la primaire socialiste, contenant les annonces de candidature de François Hollande, de Martine Aubry, de Manuel Valls, d’Arnaud Montebourg et de Ségolène Royal, les trois premiers débats opposants les candidats du Parti socialiste et Jean-Michel Baylet candidat du Parti radical et enfin le débat du second tour de cette primaire opposant les finalistes François Hollande et Martine Aubry. Et, celui de la campagne présidentielle de 2012 contenant un total de vingt-six discours prononcés par François Hollande au cours du premier et du second tour. La constitution de ce corpus global a été le fruit d’un long travail de collectage et de retranscription notamment pour l’ensemble des annonces de candidature et des débats de la primaire citoyenne de 2011. Il a également fait l’objet d’un travail de correction et de standardisation orthographique, de balisage et de normalisation selon la méthode ALCESTE (Reinert, 1983, 1990) préconisée dans l’utilisation du logiciel Iramuteq. Ainsi, l’analyse du corpus global a permis de dresser les tableaux suivants :
nombre d'uci16 : 707 nombre d'occurrences17 : 235936 nombre de formes18 : 6650 moyenne d'occurrences par forme : 35.48 nombre d'hapax19 : 2398 (1.02% des occurrences - 36.06% des formes) moyenne d'occurrences par uci : 333.71
Tableau 1: Caractéristiques générales (corpus lemmatisé) Pour faciliter les différents niveaux de comparaisons, nous avons choisit une variable unique, la variable « candidat » que nous avons fait suivre des différentes modalités à étudier.
**** *candidat_valls1 **** *candidat_montebourg1 **** *candidat_royal1
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Unité de Contexte Initiale, ensemble de segments de texte.
17
Apparition d’une unité linguistique dans un texte
18
Classe lexicale
19
Mots n’ayant qu’une seule occurrence dans le corpus
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**** *candidat_baylet1 **** *candidat_aubry1 **** *candidat_aubry2 **** *candidat_hollande1 **** *candidat_hollande2 **** *candidat_hollande3 **** *candidat_hollande4
Tableau 2: Découpage du corpus en modalités Le chiffre 1 correspondant au premier tour de la primaire socialiste, le chiffre 2 au second tour de cette primaire, le chiffre 3 au premier tour de la présidentielle et le chiffre 4 au second tour de cette présidentielle. Ce mode de distinction nous a permis de privilégier la comparaison du discours global entre les candidats et entre les quatre périodes que nous venons de citer, les deux tours de la primaire socialiste de 2011 et les deux tours de la présidentielle de 2012.
C’est à travers le logiciel Iramuteq, développé par Pierre Ratinaud, chercheur, sociologue et expert en communication et notamment par le biais de la fonctionnalité « analyse de similitude » que nous avons étudié le corpus global. Cette technique « reposant sur la théorie des graphes, classiquement utilisée pour décrire des représentations sociales, sur la base de questionnaire d’enquêtes » (Marchand et Ratinaud, 2011, p.688) peut également être appliquée aux corpus textuels. L’analyse de similitude, contrairement à certaines techniques d’analyse lexicométrique plus classiques comme la recherche de spécificité ou l’analyse de correspondance, permet de mettre en lumière en un seul graphique les éléments communs et les éléments différenciés d’un corpus sous la forme d’arbre maximum20.
« L’analyse de similitude (ADS) permet de représenter graphiquement la structure d’un corpus, en distinguant également les parties communes et les spécificités des variables codées » (Marchand et Ratinaud, 2011, p. 688).
C’est donc à travers l’analyse de similitude et les techniques classiques de la lexicométrie allant de la recherche de spécificité lexicale à la classification descendante hiérarchique que nous avons pu étudier l’évolution du discours de François Hollande sur la 20
Voir graphique en annexe 3
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période de la primaire socialiste de 2011 et de la présidentielle de 2012. Ainsi, cette seconde partie sera organisée selon les deux niveaux de comparaison que nous avons définis, à savoir la comparaison entre le discours de François Hollande et des cinq autres candidats de la primaire puis entre le discours de François Hollande candidat de la primaire et candidat de toute la gauche à l’élection présidentielle de 2012. A cela viendra s’ajouter un niveau de comparaison supplémentaire entre discours oral (propre aux débats de la primaire) et discours écrits (pour l’ensemble des discours prononcés pendant la campagne présidentielle).
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Chapitre 1 :
Un discours de gauche parmi d’autres discours
de gauche ? Dans un souci empirique et méthodologique, l’objectif étant avant tout d’obtenir des résultats fondés et exploitables, ce premier chapitre de la seconde partie est basée sur l’analyse que nous avons réalisée mais également sur l’analyse de Pascal Marchand et Pierre Ratinaud (Marchand et Ratinaud, 2011) réalisée sur une période de temps plus restreinte à savoir les quatre trois de la primaire socialiste de 2011. Celle-ci apportera une certaine plus-value, en ce sens qu’elle réalise une comparaison entre les trois débats, chose que nous avons dû abandonner pour nous concentrer uniquement sur les différences générales entre les candidats.
Section I :
Analyse lexicométrique classique
Le premier sous-corpus de la primaire socialiste a donc été soumis à des analyses factorielles et classificatoires selon les six modalités que sont les six candidats : François Hollande, Martine Aubry, Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Ségolène Royal et Jean-Michel Baylet.
Retour sur l’analyse de Pascal Marchand et Pierre Ratinaud
L’analyse de Pascal Marchand et de Pierre Ratinaud est organisée selon les mêmes modalités à savoir les six candidats et selon les trois débats de la primaire. On retrouve ainsi les modalités suivantes : *locdec_hollande1, *locdec_hollande2, *locdec_hollande3, *locdec_aubry1 etc. Ce corpus a été successivement soumis à des analyses factorielles et classificatoires puis, une fois découpé en sous-corpus (un corpus par candidat) à une analyse de similitude.
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Tableau 3: AFC des formes lexicales pour les trois premiers dĂŠbats (Marchand et Ratinaud, 2011, p.691)
60
Tableau 4: AFC des six locuteurs dans les trois premiers débats (Marchand et Ratinaud, 2011, p.692) De cette première analyse factorielle classificatoire, il en ressort un certain nombre d’éléments particulièrement intéressants notamment sur le positionnement des candidats les uns par rapport aux autres et l’évolution de leur position au fil des trois débats. On voit ainsi se dégager deux axes dichotomiques nets :
« Le premier facteur oppose les formes : inventer, imaginer, histoire, nouvelle,
unir, vie, banque… aux formes : priorité, sortir, falloir, recherche, justice, changer… Le deuxième facteur oppose les formes : devoir, soutien, Nicolas Sarkozy, oublier,
échec, doute, droite, étrange, drogue, effort, vérité, candidature… , aux formes :
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aider, an, je, Manuel, tenir, supprimer, centrale, nucléaire, absolument, bien sûr, moi, droit, ressources, smic, prix… » (Marchand et Ratinaud, 2011, 691).
Ces deux axes rappellent très clairement certaines oppositions dichotomiques sur lesquels l’idéologie socialiste et l’idéologie du Parti socialiste se sont construites notamment l’opposition entre « l’idéal et le réel ». Le deuxième facteur oppose deux types d’argumentation sur le modèle de la stratégie générale du carré idéologique développé par Teun Van Dijk (Dijk, 2006). Certains candidats privilégient la défense de leurs idées tandis que d’autres vont développent un réquisitoire contre le gouvernement alors en place et contre le « président sortant », Nicolas Sarkozy, nommé ainsi par François Hollande. Il convient d’observer les tableau 3 et 4 illustrés si dessus pour comprendre les correspondances entre les couleurs, les candidats et leur choix lexicaux. L’analyse de correspondance des six locuteurs dans les trois premiers débats est également riche de sens. En effet, on remarque qu’au fil des trois débats tous les locuteurs restent constants sur le lexique qu’ils emploient.
« Les débats n’ont donc pas structuré le corpus aussi fortement que les débatteurs » (Marchand et Ratinaud, 2011, 691).
Cette affirmation confirme la validité de l’analyse que nous avons entreprise et qui consiste à privilégier la distinction entre le discours global des candidats et non l’évolution de discours des candidats au fil des débats. En ce qui concerne la position des candidats les uns par rapport aux autres, cette analyse de correspondance des six locuteurs permet de voir qu’Arnaud Montebourg (1er facteur) se distingue en s’opposant au six autres candidats tandis que Manuel Valls et François Hollande s’opposent à Martine Aubry, JeanMichel Baylet et Ségolène Royal (2ème facteur). Les spécificités de chaque candidat sur les trois premiers débats ont permis de se faire une idée claire du caractère de chacun, de l’idéologie défendue et de la stratégie rhétorique utilisée. Manuel Valls et François Hollande sont assez proche en se sens qu’il sont les candidats de la vérité. François Hollande se situe cependant plutôt à mi-chemin entre réalité et espoir en mettant notamment en avant des notions comme la « jeunesse » ou le « contrat de génération ». Il est également le candidat qui arrive le plus à se projeter dans l’avenir et notamment au poste de président de la République.
En témoignent ses emplois
répétés
des termes « présidence »,
« quinquennat », « élection », « 2012 » etc. Martine Aubry, Jean-Michel Baylet et Ségolène Royal se situent dans une zone commune. Martine Aubry manipule le vocabulaire du redressement économique de la France et de la lutte contre la dette. La phrase « je serais la
62
présidente du redressement de la France » est particulièrement représentative de son discours. Jean-Michel Baylet est quant à lui centré sur ce qui le différencie des autres candidats, à savoir le fait qui ne soit pas membre du Parti socialiste mais du Parti radical de gauche. Il privilégie les méthodes non coercitives et défend avec ferveur l’Europe. Ségolène Royal est finalement la candidate qui utilise le plus un vocabulaire que l’on pourrait qualifier « de gauche ». En effet, on voit revenir dans son vocabulaire les mots « état », « peuple », « révolution », « liberté », « travail », « ouvrier », « Nation », etc. Elle privilégie la lutte contre la spéculation bancaire au niveau européen et même international. Enfin, Arnaud Montebourg, le candidat qui se différencie de tous les interlocuteurs que nous venons d’évoquer, dessine un tableau pessimiste de la situation économique et défend un protectionnisme engagé. Il désigne pour responsable à la fois la finance mais également le gouvernement alors en fonction, celui de Nicolas Sarkozy. Il fait naître un nouveau clivage entre les six candidats de la primaire, clivage entre mondialistes et protectionnistes.
63
Tableau 5: ADS des sous-corpus des candidats (Marchand et Ratinaud, 2011, p.695) Enfin, la première application de l’analyse de similitude au sous corpus de la primaire socialiste réalisée par Pascal Marchand et Pierre Ratinaud confirme également le fait que
64
tous les candidats sont restés constants dans leur utilisation lexicale au cours des trois débats. Tout comme la méthode classique, l’analyse de similitude de chacun des souscorpus des candidats permet de voir les différences qui s’instaurent entre les candidats.
Il convient maintenant d’avancer les premiers résultats de notre propre analyse. Ces derniers apportent des éléments plus généraux sur l’ensemble de la primaire citoyenne de 2011 puisqu’ils regroupent les annonces de candidature de François Hollande, Martine Aubry, Arnaud Montebourg, Manuel Valls et Ségolène Royale ainsi que les quatre débats ayant eu lieu sur cette période.
Analyse factorielle et classificatoire du corpus global de la primaire
socialiste
Ce corpus de la primaire socialiste que l’on qualifiera de global car il comprend la totalité des locutions de chaque candidat sur cette période, a été soumis successivement à des analyses de spécificités et factorielles puis à la méthode de classification GNEPA également connue sous le nom de classification Reinert21 . Nous avons fait le choix de réaliser une classification simple sur segments de textes dans le but de pouvoir comparer les univers lexicaux dans lesquels s’inscrivent chaque candidat. Enfin, nous avons également appliqué une analyse de chaque sous-corpus (un sous-corpus) par candidat. Si la méthode que nous avons suivie se rapproche fortement de la méthode employée par Pascal Marchand et Pierre Ratinaud dans leur analyse des trois premiers débats de la primaire socialiste c’est avant tout pour effectuer une comparaison des résultats et ainsi en déduire des conclusions les plus justes et intéressantes possibles.
nombre d'uci : 705 nombre d'occurrences : 97547 nombre de formes : 4597 moyenne d'occurrences par forme : 21.22 nombre d'hapax : 1819 (1.86% des occurrences - 39.57% des formes) moyenne d'occurrences par uci : 138.36
Tableau 6:
Caractéristiques générales du corpus de la primaire socialiste
(lemmatisé) 21
Méthode développée par Max Reinert ancien chercheur au CNRS et créateur de la méthode
ALCESTE, «Analyse du Lexique Cooccurrent Etabli par Segmentation(s) du Texte Etudié »
65
Tableau 7: AFC des formes lexicales pour le corpus global de la primaire socialiste
66
Tableau 8: AFC des six locuteurs dans l’ensemble du corpus de la primaire De ces deux premières analyses factorielles classificatoires se dégagent certains éléments s’inscrivant directement dans la lignée des conclusions déduites de l’analyse de Pascal Marchand et de Pierre Ratinaud. En effet, durant la totalité de la campagne de la primaire citoyenne de 2011, les candidats vont fonder leur argumentation sur la défense d’un idéal et la conscience d’un réel, la défense de leurs propres idées et la critique du gouvernent en place. Il convient aussi de voir qu’un certain nombre d’éléments de contexte cloisonne et organise les discours de chaque candidat. On voit que les notions de « crise », de « dette » ou encore de « redressement économique » sont présentes dans le vocabulaire des six débatteurs.
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Ensuite, en ce qui concerne la position des candidats les uns par rapport aux autres on retrouve, malgré quelques différences, les schèmes démontrés dans l’analyse de Pascal Marchand et Pierre Ratinaud. En effet, la proximité entre François Hollande et Manuel Valls, la proximité entre Martine Aubry, Jean-Michel Baylet et Ségolène Royal ainsi que la distinction de Arnaud Montebourg se confirme tout au long de cette campagne de la primaire socialiste. Manuel Valls et Arnaud Montebourg semblent même structurer et borner les échanges. Chacun aux deux extrémités du spectre de la gauche socialiste, ils poussent les autres candidats à aborder des thèmes qu’ils auraient peut être négligé. On pense notamment à la question du protectionnisme pour Arnaud Montebourg et au champ lexical de la vérité développé par Manuel Valls.
Tableau 9: AFC du corpus global de la primaire socialiste
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Tableau 10:
AFC des six candidats tout au long de la primaire
Les trois classes obtenues suite à la classification du texte par le biais de la méthode Gnepa nous ont permis de préciser les univers lexicaux de chaque candidat. Ainsi, comme le démontre le code couleur utilisé dans les deus tableaux précédents (9 et 10), on voit bien se distinguer le candidat Montebourg, se rapprocher les candidats Valls et Hollande et les candidats Aubry et Royal.
69
70
Tableau 11:
ADS des 6 candidats de la primaire socialiste de 2011
71
Enfin, l’analyse de similitude que nous avons réalisé sur les sous-corpus de chaque candidat montre la manière dont les candidats abordent certains termes de manière commune. En l’occurrence chaque arbre maximum est structuré selon les termes « France », « français », « pays », « candidat » etc.
Maintenant que nous avons pris conscience des particularités des différents candidats grâce aux techniques d’analyse lexicométrique classiques nous allons désormais essayer de saisir le corpus global de la primaire socialiste dans son ensemble
en le
soumettant à la technique de l’analyse de similitude.
Section II :
L’analyse de similitude appliquée au corpus de la
primaire citoyenne L’analyse de similitude est ici véritablement utilisée comme un moyen de voir non pas ce qui différencie chaque candidat mais bien ce qui les lie. En effet, on accède ainsi à l’univers lexical de l’ensemble de la primaire socialiste, ensemble complexe qui finalement peut s’apparenter aux « idéosystèmes » définis par Frédéric Bon que nous avons détaillé dans la première partie. Les arbres maximums et autres schémas issus de ces analyses de similitudes s’apparentent aux enchevêtrements complexes d’une seconde langue organisée selon une idéologie unique, l’idéologie socialiste. Nous verrons dans cette seconde section la partie commune à tous les candidats de la primaire socialiste grâce à la représentation des relations entre les formes lexicales utilisées par les six candidats.
72
Analyse
Tableau 12:
ADS appliqué au corpus global de la primaire socialiste de
2011 Ce premier arbre maximum issu de l’application de l’analyse de similitude au corpus global de la primaire met en évidence les éléments lexicaux centraux qui structurent le reste du lexique. Ainsi, on voit certains pôles dominants se distinguer notamment autour des termes « aller », « français », « France », « président », « pays », « entreprise », « emploi »
73
etc. On se rend finalement compte que les éléments lexicaux ayants structurés la primaire socialiste ne sont pas issus de l’univers lexical de l’idéologie socialiste mais plutôt orienté autour de la France, de ses citoyens et d’autres éléments de contexte touchant à la crise économique et à la dette. On remarque également que l’axe dichotomique entre idéal et réel est toujours présent, « république » est lié aux mots « principes », « respecter » tandis que « pays » est lié à « dette » et « économie ». C’est à partir de ce même arbre des liaisons lexicales du corpus global de la primaire socialiste que nous avons réalisé un second arbre colorié selon les formes lexicales utilisées par les différents candidats.
Tableau 13:
ADS appliqué au corpus global de la primaire socialiste de
2011(avec spécificités)
74
Ce second arbre, plus complexe car agrémenté des six variables colorées représentant chaque candidat nous permet d’approfondir les relations idéologiques que ces six candidats à la primaire socialiste entretiennent.
Conclusions
Les enjeux et les objectifs de cette primaire citoyenne de 2011 qui consistaient pour chaque candidat à se différencier les uns des autres tout en préservant l’unité de leur parti, ont finalement été surmontés et respectés. Si bien respectés que l’on ne peut pas parler, à propos des débats successifs qui ont structuré la campagne, de véritables « débats idéologiques ». Ces débats ont finalement étaient bornés par deux candidats aux deux extrémités du spectre du Parti socialiste, Aranud Montebourg d’une part, à la gauche de la gauche, et Manuel Valls d’autre part à la droite de la gauche. C’est le candidat Montebourg notamment qui a introduit au sein du débat le clivage entre protectionnisme et mondialisme en rappelant que lui seul avait voté non au traité constitutionnel européen de 2005 ou en proposant un projet de démondialisation. De l’autre côté Manuel Valls s’est imposé en candidat de la vérité dans la lignée directe de la gauche Rocardienne, en affirmant également le redressement des comptes publiques comme sa priorité numéro un. Les autres candidats se sont donc exprimés au sein des bornes fixées par les deux candidats que nous venons d’évoquer. Martine Aubry est apparue comme la candidate du courage et du volontarisme, Ségolène Royal a beaucoup mis en avant son expérience présidentielle et c’est elle qui a le plus manipulé un vocabulaire que l’on pourrait dire de gauche. JeanMichel Baylet a cherché à démontrer ce qui le différenciait des autres candidats et à mettre en avant son propre parti, le Parti radical de gauche. Quant à François Hollande, sérieux et grave, il a voulu prouver au citoyen qu’il était le seul candidat capable d’affronter le « président sortant » Nicolas Sarkozy. François Hollande est d’ailleurs avec Manuel Valls le candidat ayant le plus parlé de son futur adversaire (voir tableaux 9 et 10) En ce qui concerne les thèmes abordés tout au long de cette primaire, on remarque que ceux-ci on largement été structurés par des éléments contextuels tels que la crise économique et le chômage. L’ensemble des candidats du parti se sont donc retrouvés polarisés autour de la question de la dette, autour des solutions à apporter à la crise. C’est la première fois dans l’histoire du Parti socialiste, que celui-ci fait de la dette et des finances publiques un thème de campagne. Ainsi, on peut dire que cette primaire a également été
75
organisée par l’opinion publique qui attendait elle-même que des solutions face à la crise économique soient exposées. Finalement, étant donné que les thèmes traditionnellement défendus par la gauche comme le pouvoir d’achat où la réduction du temps de travail ont été remplacés par des thèmes économiques, des thèmes de société etc. on assiste à un appauvrissement idéologique du débat mené entre les candidats. La gauche a abandonné ses vieux « topoï » (arsenal de thèmes et d’arguments en rhétorique antique) pour réorienter le débat de manière générale autour de sujets beaucoup plus ancrés dans le présent, dans le contexte dans lequel se déroule la campagne. Et, celui qui se distingue comme le « présidentiable », François Hollande n’est pas le candidat qui pendant la primaire socialiste a tenté de présenter sa propre vision de l’idéologie socialiste. Il est le candidat qui a réussi à se conformer aux attentes des citoyens et aux attentes de l’opinion publique. Sa capacité à résumer le discours des autres candidats sur laquelle Manuel Valls a ironisé à plusieurs reprises, tout en conservant sa propre ligne directrice lui aura valu d’être élu candidat du Parti socialiste et du Parti radical de gauche à 56,57 % des voies contre Martine Aubry.
On peut finalement se demander si François Hollande, qui se trouvait idéologiquement proche de Manuel Valls (voir tableau 8bis) va continuer dans cette lancée au cours des tours de la présidentielle de 2012 ou s’il va tenter de réaliser une synthèse entre les différents points de vue ayant été exprimés pendant la primaire socialiste.
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Chapitre 2 :
De l’écart entre le candidat de la primaire et le
candidat de (toute) la gauche L’analyse présentée dans ce second chapitre s’appuie sur un nouveau corpus plus large et regroupant l’annonce de candidature de François Hollande à la primaire socialiste, l’ensemble de ses interventions lors des quatre débats de la primaire socialiste et la retranscription de vingt-cinq de ses discours prononcés pendant les deux tours de la campagne présidentielle de 2012. La méthode d’analyse du discours reste la même que dans le chapitre précédent. Ainsi, nous avons obtenu le tableau suivant :
nombre d'uci : 168 nombre d'occurrences : 158521 nombre de formes : 5254 moyenne d'occurrences par forme : 30.17 nombre d'hapax : 1872 (1.18% des occurrences - 35.63% des formes) moyenne d'occurrences par uci : 943.58
Tableau 14:
Caractéristiques générales du corpus global François Hollande
Ce corpus que nous appellerons « corpus global François Hollande » a été sectionné selon les quatre modalités suivantes :
**** *candidat_hollande1 **** *candidat_hollande2 **** *candidat_hollande3 **** *candidat_hollande4
Tableau 15:
Découpage du corpus global François Hollande en modalités
Les chiffres 1 et 2 correspondent au premier et au second tour de la primaire socialiste de 2011, les chiffres 3 et 4 au premier et au second tour de la présidentielle de 2012. Ce découpage en quatre périodes de temps bien délimitées par le calendrier électoral nous a permis dans un premier temps de réaliser des analyses indépendantes de chaque modalité, puis dans un second temps de réaliser plusieurs analyses de similitude entre les deux campagnes mais également entre les deux tours qui les ont structuré. Nous nous sommes également appuyé sur l’ouvrage de Dominique Labbé et Denis Monière, La
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campagne présidentielle de 2012. Votez pour moi ! (Labbé et Monière, 2013) pour agrémenter notre analyse d’éléments plus généraux sur la stratégie choisie par le candidat socialiste et son évolution au cours de la campagne présidentielle.
Section I :
Analyse lexicométrique classique du « corpus global
François Hollande »
Principales caractéristiques du « corpus global François Hollande »
Cette première partie s’inscrit méthodologiquement dans lignée de l’analyse que nous avons réalisée sur le corpus de la primaire socialiste. En effet, nous avons ici soumis le « corpus global François Hollande » à des analyses factorielles et classificatoires selon les quatre modalités que nous venons de définir. Si nous avons fait le choix de ne pas distinguer les discours de François Hollande prononcés pendant la campagne présidentielle c’est parce que nous avons constaté que les éléments factuels ayant eu lieu pendant la campagne ne l’ont pas directement impactée, mis à part les attentats de Montauban et de Toulouse.
« Si de nombreux incidents ont émaillé cette campagne, seuls les attentats de Montauban et de Toulouse ont eu une répercussion notable sur le déroulement de celle-ci » (Labbé et Monière, 2013, p. 29).
78
Tableau 16:
AFC des formes lexicales pour le corpus global Franรงois
Hollande
79
Tableau 17:
AFC des formes lexicales pour le corpus global François
Hollande (avec sĂŠlection lexicale plus restreinte)
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Tableau 18:
AFC du candidat Hollande pour le corpus global François
Hollande Les deux premiers graphiques (tableaux 17 et 18) que nous avons obtenus nous ont permis de situer le candidat Hollande à travers les différentes périodes étudiées. On remarque a première vue que celui-ci est resté constant entre les deux tours de la primaire citoyenneCe sont du moins les deux périodes qui se rapprochent le plus comme en témoigne le tableau 19 (distance faible entre les locuteurs Hollande1 et Hollande2). Dans le tableau 17 les mots s’entrecroisent entre Hollande 1 (en rouge) et Hollande 2 (en vert) alors que la « frontière » avec Hollande 3 (en bleu) et Hollande 4 (en violet) est beaucoup plus marquée. Cependant sa position évolue beaucoup entre les deux campagnes ainsi qu’entre les deux tours de la présidentielle de 2012. S’il a tenté pendant la primaire de se distinguer
81
des autres candidats en essayant de se crédibiliser, il va dès le premier tour de la présidentielle s’opposer et tenter de s’imposer face à Nicolas Sarkozy. On remarque également qu’une certaine distance sépare les locuteurs Hollande3 (en bleu) et Hollande4 (en violet). On présuppose ainsi ici une certaine évolution du discours du candidat Hollande entre les deux tours de la présidentielle. C’est finalement pendant le premier tour de la présidentielle que François Hollande a le plus manipulé un discours que l’on pourrait qualifier « de gauche ». En effet, il emploie certains termes propres aux « idéosystèmes » socialistes , comme « égalité », « France », « gauche », « peuple » etc. que l’on retrouve dans les tableaux 17 et 18 en bleu. L’analyse à travers la méthode GNEPA va nous permettre d’approfondir ces premiers résultats.
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Evolution du discours de François Hollande entre les différentes
phases électorales
Tableau 19:
AFC du corpus François Hollande global (méthode GNEPA)
83
Tableau 20:
AFC du candidat Hollande pour le corpus global François
Hollande (méthode classificatoire GNEPA)
Nous avons donc soumis le corpus global François Hollande à une classification selon la méthode GNEPA pour voir quelles classes et univers lexicaux se sont distingués entre les différentes périodes étudiées. Ainsi cinq classes lexicales sont apparues dans le tableau 20. Le tableau 21 montre quel candidat se rapproche le plus telle ou telle classe grâce à un code couleur. Il en ressort que le candidat Hollande de la primaire s’est ancré dans la réalité pour essayer de se crédibiliser. Il a alterné entre une description pessimiste
84
de la situation politique et économique et la volonté de « soulever une espérance », expression qu’il emploie à plusieurs reprises au cours des débats. En effet, on peut observer sur le tableau 20 des termes comme « dette », « déficit », « croissance » qui se distinguent en bleu, et donc plus employés lors du second tour de la primaire. D’autre part on remarque l’emploi de certains termes orientés vers l’avenir comme « jeune », « scolaire », « poste », « santé », « accès » qui se distinguent par la couleur verte, et donc plus employés lors du premier tour de la primaire. Cette positionnement entre idéal et réel pendant la primaire se justifie par le fait que le candidat Hollande était opposé à des candidats de la même couleur politique que lui. Ainsi son objectif n’était pas de se positionner clairement sur le spectre de la Gauche mais plutôt de faire la synthèse entre les divers courants représentés, et montrer sa capacité à affronter Nicolas Sarkozy. On remarque que lors du second tour de la primaire face à Martine Aubry, François Hollande se retrouve contraint de se différencier de celle-ci, et privilégie certains sujets comme le redressement des finances publiques. Concernant les thématiques abordées pendant la présidentielle, les tableaux 20 et 21 montrent que le candidat Hollande3 (en noir) se rapproche plus de celles liées à l’idéologie socialiste : « destin », « républicain », « révolution », « nation », « socialisme », « humanité », etc. Lors de ce premier tour de l’élection présidentielle, d’autres candidats de gauche et de centre gauche sont en lice, Jean-Luc Mélenchon du Front de Gauche, François Bayrou du Modem, Eva Joly d’EELV, etc. La stratégie de François Hollande, consiste donc à s’affirmer comme le candidat légitime du Parti socialiste et du Parti radical de gauche, et donc à privilégier la défense de l’idéologie politique à laquelle il adhère. C’est de cette manière qu’il parvient à se différencier des autres candidats de gauche. Lors du second tour, c’est la première fois que François Hollande se retrouve véritablement et directement opposé à son rival de droite, Nicolas Sarkozy. Comme en témoignent les tableau 19 et 20, le candidat Hollande4 privilégie la critique de son adversaire pour mieux légitimer sa propre candidature à travers les termes « adversaire », « Nicolas
Sarkozy »,
« quinquennat »,
« douter »,
« polémique »,
« décevoir »,
« changement ». Cette analyse confirme l’hypothèse selon laquelle c’est véritablement pendant le premier tour de l’élection présidentielle que le candidat Hollande a le plus développé son idéologie, sa conception de l’idéologie socialiste. Ainsi on présuppose que chaque période électorale a été dominée par une stratégie rhétorique différente plus en fonction de ses adversaires qu’en fonction du contexte.
85
Tableau 21:
ADS du candidat Hollande sur les deux tours de la primaire et
de la prĂŠsidentielle
86
Premier tour primaire
Second tour primaire
Premier tour prĂŠsidentielle
Second tour prĂŠsidentielle
Tableau 22:
Nuages de mots du candidat Hollande sur les deux tours de la
primaire et de la prĂŠsidentielle
87
Les analyses de similitude que nous avons appliqué aux sous corpus du « corpus global François Hollande » ont également confirmé l’évolution du candidat Hollande au cours des deux campagnes de 2011 et de 2012.
Il convient ici de se concentrer un moment plus précisément sur le discours du candidat Hollande pendant la campagne présidentielle car c’est dans ce discours où il a le plus développé son idéologie, sa conception de l’idéologie socialiste à laquelle nous nous intéressons. Ce dernier développe notamment une certaine conception de la France qu’il associe souvent aux termes de « présider », « changer », « redresser » comme on peut l’observer dans le tableau 22. C’est ce que font remarquer Dominique Labbé et Denis Monière dans leur propre analyse : François Hollande à une conception très « politique » de la France qu’il associe beaucoup à la gauche (Labbé et Monière, 2013). C’est par le biais de la glorification nationale de la France qu’il parvient à faire une présentation positive de luimême, lui-même qui s’est construit seul sur ses valeurs et qui n’a pas « reçu la gauche en héritage ».
Maintenant que nous avons vu ce qui différenciait le candidat Hollande de la primaire socialiste du candidat Hollande de la présidentielle, nous allons voir ce qui lie ces deux candidats qui ne font en réalité qu’un.
Section II :
Analyse de similitude appliquée au « corpus global
candidat Hollande »
Analyse
L’enjeu de cette dernière section est de voir non pas ce qui différencie les discours du candidat Hollande au cours des deux élections nationales de 2011 et 2012 mais ce qui a fait que son discours a été choisi par les citoyens Français. En réalisant les arbres maximus du candidat Hollande on obtient finalement un aperçu des « idéosystèmes » qu’il a manipulé au cours que cette course à la présidentielle.
88
Tableau 23:
ADS appliqué au « corpus global François Hollande
De ce premier arbre maximum issu de l’application de l’analyse de similitude au corpus « François Hollande global » on en déduit que le discours de François Hollande s’est constamment organisé autour de plusieurs grandes thématiques à savoir « France », « Français », « République » et « pays ». Thèmes qui finalement étaient communs à tous les candidats de la présidentielle de 2012 comme le précisent Dominique Labbé et Denis Monière (Labbé et Monière, 2013). François Hollande a cependant développé certains thèmes de société plus chers à la comme les « quartiers », les « jeunes », la « ville », tous reliés entre eux en haut à droite de l’arbre maximum présenté dans le tableau 23.
89
Tableau 24:
ADS appliqué au corpus global de François Hollande (avec
spécificités) Ce second arbre maximum coloré en fonction des quatre variables du candidat Hollande au cours de la primaire et de la présidentielle permet de voir qu’un lexique constant (en noir) à été utilisé dans l’ensemble du discours de François Hollande, « France », « République » etc. Ainsi on peut dire que c’est plus sur sa façon d’aborder ces thèmes que sa position a évolué. En effet, dans la primaire socialiste il va associer les termes « France », « français » et « pays » à la nécessité de sortir de la crise tandis que
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pendant la campagne présidentielle et plus particulièrement pendant le premier tour il va associer ces mêmes termes aux valeurs de la gauche et du socialisme.
Conclusions
L’étude du « corpus global François Hollande », à travers des techniques d’analyse lexicométrique classiques et à travers l’analyse de similitude, nous a permis de comprendre à la fois ce qui différenciait le candidat Hollande de chaque période électorale mais également les liens qui existaient entre ses discours et qui donnaient une certaine cohérence à son discours global. On peut ainsi parler de « va et vient » entre « idéal et réel » à propos de la stratégie rhétorique employée par le candidat Hollande au cours des deux campagnes étudiées. En effet, nous avons pu constater que dans le premier tour de la primaire il s’était beaucoup exprimé sur le thème de la jeunesse et de l’avenir tandis que dans le second tour, face à Martine Aubry, il s’était focalisé sur les thèmes du déficit public, de la croissance et de l’investissement pour paraître le plus crédible et le plus cohérent possible. C’est finalement au cours du premier tour de la campagne présidentielle qu’il a le plus puisé dans l’idéologie socialiste en liant celle-ci notamment au thème de la glorification nationale, de la France, de la nation. Il est finalement revenu dans le domaine du réel pendant le second tour de la présidentielle en alliant critique de son adversaire unique Nicolas Sarkozy et nécessité de changement. On distingue également deux autres phases dans la campagne présidentielle. Une première phase, pendant le premier tour, correspondant à une tentative de rallier tout l’électorat de la gauche autour de sa candidature (chose qu’il avait déjà en partie accomplie grâce à la primaire socialiste). Une seconde phase de dépolitisation de son discours pour rallier le plus d’électeurs possibles pendant le second tour, notamment l’électorat flottant si prisé des candidats. Finalement la stratégie employée par François Hollande est en adéquation avec l’évolution de position des électeurs comme le font remarquer Dominique Labbé et Denis Monière : « Comme les citoyens ne croient plus en l’efficacité de l’action politique et aux engagements électoraux, ils sont moins sensibles aux offres de politiques et aux débats d’idées […]. Il s’agirait d’obtenir le vote des électeurs en stimulant un rejet plutôt qu’une adhésion » (Labbé et Monière, 2013, p. 163) Cette « spirale de la négativité » (Labbé et Monière, 2013) qui est venue polluer la campagne présidentielle de 2012 a finalement poussé le candidat Hollande à faire l’amalgame entre la nécessité de changer de politique et la nécessité de changer de président mettant au premier plan le choix de l’homme politique pour son caractère et au second plan le choix de l’homme politique pour le programme qu’il défend.
91
Le discours de François Hollande à travers les périodes électorales se caractérise finalement par une certaine unité stylistique globale. Enfin, on peut ajouter que le discours du candidat Hollande pendant les deux tours de la campagne présidentielle se caractérise par une certaine unité stylistique propre au caractère « écrit » de ses discours. Unité qui était moins présente dans le corpus de la primaire socialiste composé essentiellement de débats. Cet aspect écrit de ses discours a facilité l’approfondissement de thèmes propres à l’idéologie socialiste.
92
Conclusion Les différentes étapes que nous avons suivi tout au long de ce mémoire s’inscrivent dans la logique de notre questionnement initial qui consistait à s’interroger sur l’utilisation et la manipulation de l’idéologie dans le discours politique dans le cas d’élections nationales en France et en l’occurrence le cas de François Hollande, candidat vainqueurs de la primaire socialiste de 2011 et de la présidentielle de 2012.
La première partie, théorique, nous a permis de revenir dans un premier chapitre sur les différents éléments de construction du langage et du discours politique, de langue naturelle aux « idéosystèmes » définis par Frédéric Bon comme une seconde langue autonome. Nous avons vu que le processus de légitimation des idéologies politiques se faisait essentiellement à travers le discours politique et l’utilisation de l’art de la rhétorique. De ce premier chapitre, nous avons conclu que l’analyse du discours politique ne se limitait pas à l’analyse stylistique ou à l’analyse de l’argumentation mais bien à une combinaison des deux (Robrieux, 2010). Nous nous sommes ensuite intéressé à l’organisation des systèmes de partis et l’évolution de leur relation avec les différents types de la démocratie représentative. Comme le précise Bernard Manin (Manin, 2012) nous sommes passé de la « démocratie de parti » à la « démocratie du public ». Cette « démocratie du public » s’est même invitée au sein des partis politiques français de la Vème République comme le Parti socialiste. Notre étude globale de l’idéologie socialiste et de l’évolution du parti socialiste depuis sa naissance en 1905 nous a permis de voir que cette idéologie était basée sur un ensemble d’oppositions dichotomiques qui perdurent encore aujourd’hui. Entre « idéal et réel », « révolution et réforme » etc. L’accession du Parti socialiste au pouvoir a entrainé un bouleversement idéologique profond en son sein. Ce bouleversement s’est essentiellement traduit par la transformation du parti en un parti de gouvernement, en un parti ancré dans le réel. En parallèle à ce bouleversement, le parti a également entamé un autre grand tournant idéologique par l’acceptation du capitalisme et les lois de libre concurrence des marchés. A la lumière de ces deux premiers chapitres, nous avons dressé un bref panorama des enjeux de l’étude de cas que nous avons choisi d’étudier. Ainsi, nous nous sommes questionné sur l’idéologie manipulée par les différents candidats de la primaire socialiste et sur l’évolution de cette idéologie dans le discours de François Hollande au cours de cette primaire de 2011 et au cours de la présidentielle de 2012.
Les analyses successives que nous avons réalisé à l’aide du Logiciel Iramuteq
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développé par Pierre Ratinaud et à la lumière de son étude réalisée avec Pascal Marchand (Marchand et Ratinaud, 2011), nous avons conclu que les principaux enjeux de la primaire ont été surmontés par les six candidats avec succès. En Effet, ces derniers ont su se différencier aux cours des différents débats qu’ils ont mené tout en préservant l’unité de leur parti. Certains candidats comme Arnaud Montebourg et Manuel Valls, grâce à leurs positions tranchées, ont su baliser les échanges et imposer aux autres candidats d’exprimer leur position sur certains thèmes qu’ils n’auraient aborder par eux-mêmes. Arnaud Montebourg a par exemple introduit au sein du débat la question du protectionnisme national et de la « démondialisation ». Les éléments contextuels ont également beaucoup structuré et organisé les différents débats. En effet, la gauche socialiste s’est approprié la question de la dette et du déficit public abandonnant ainsi ses vieux « topoï » pour s’ancrer durablement dans le temps présent et l’univers contextuel qui le structure. Cela lui a permis de répondre aux attentes des citoyens et de l’opinion publique en ce qui concernait ces questions. Autant d’éléments qui ont favorisé l’appauvrissement idéologique des débats qui ont été menés. François Hollande qui a alterné entre « idéal et réel » a su s’imposer comme présidentiable de par sa crédibilité, sa gravité et sa cohérence. En effet, même s’il a abordé différents sujets parfois éloignés, il a su les relier et ainsi rester cohérent en toute circonstance. Il est par exemple parvenu à relier des sujets assez distants comme la « jeunesse » et le « déficit » public en montrant que c’était dans l’intérêt des générations futures qu’il fallait résoudre le problème de la dette. Le 16 avril 2011 il a été désigné candidat de toute la gauche socialiste à l’élection présidentielle de 2012. L’association des techniques classiques d’analyse lexicométrique avec l’analyse de similitude nous ont permis d’avoir une vision d’ensemble du discours global de François Hollande sur la campagne de la primaire de 2011 et sur la campagne présidentielle de 2012. Ainsi, nous avons pu en déduire l’évolution de l’idéologie manipulée dans le discours de François Hollande à travers ces périodes électorales successives. Ce dernier a opéré un va et vient constant entre « idéal et réel » à travers les deux tours de chaque campagne. Il a privilégié la défense d’un certain espoir tout au long du premier tour de la primaire socialiste en mettant en avant le thème de la jeunesse. Au second tour, face à Martine Aubry il a cherché à se crédibiliser et à se différencier en fixant comme priorités des thèmes plus concrets tel que l’économie et la question du déficit public. Il a véritablement manipulé une idéologie de gauche pendant le premier tour de la présidentielle pour finir de manière plus pragmatique pendant le second tout en alliant critique de son adversaire Nicolas Sarkozy et nécessité de changement.
94
Ainsi, notre démarche globale appliquée tout au long de ce mémoire peut se résumer par la phrase suivante issue de l’ouvrage de Dominique Labbé et Denis Monière :
« Dans cet océan, la statistique lexicale permet de retrouver les principales caractéristiques du vocabulaire, des thèmes, du style et des choix de communication de chaque candidat. Certes, on pourra toujours prétendre a
posteriori que certaines conclusions présentées dans ce livre sont intuitivement évidentes. Mais l’intérêt essentiel de l’analyse de contenu et de la lexicométrie est de fournir des données fondées sur une démarche sans a priori, transparente, vérifiable et reproductible. » (Labbé et Monière, 2013, pp. 159-160).
En effet, nous avons cherché à vérifier les propos que nous avions exposés dans la première partie et les hypothèses que nous avions formulé à travers une démarche qui se veut scientifique et méthodique.
Finalement, l’évolution de l’idéologie manipulée dans le discours de François Hollande relève avant tout d’une stratégie électorale et d’une stratégie rhétorique bien définie. Celle-ci consiste à se conformer aux attentes des citoyens et de l’opinion publique en formulant des propositions en totale adéquation avec leurs propres attentes. François Hollande s’inscrit finalement dans la continuité de l’évolution idéologique qu’a connu le Parti socialiste ces quarante dernières années. En effet, celle-ci relève également de l’évolution de sa stratégie électorale et rhétorique. L’accession au pouvoir du Parti socialiste est en grande partie responsable de l’évolution idéologique de ce parti. Si ce parti était construit sur l’articulation logique entre « idéal et réel », on peut dire que cette corrélation c’est finalement inversée. En effet, c’est désormais le « réel » qui est responsable d’un appauvrissement significatif de l’ « idéal » socialiste. Enfin, si les primaires socialistes apparaissaient comme une réponse à cette crise idéologique qui touche le parti depuis un certain temps, Remi Lefebvre nous fait remarquer que ces primaires et notamment la primaire citoyenne de 2011 n’ont en réalité pas atteint leur objectif.
« Au lieu de primaires longues et argumentées comme le voulaient ses concepteurs, le processus adopté est court et strictement encadré : le travail de renouveau idéologique passe au second rang » (Foucher in Lefebvre, 2011, p.3).
« Enfin, les primaires mettent en cause la fonction programmatique et idéologique du parti, car elles déconnectent le choix du candidat de celui du projet » (Foucher
95
in Lefebvre, 2011, p.4).
Finalement certains vont même jusqu’à se questionner sur une possible « mort cérébrale de la gauche » comme Philippe Corcuff intellectuel Français et Radical de gauche dans son ouvrage La gauche est-elle en état de mort cérébrale (Corcuff, 2012). A l’heure de la constitution du tout nouveau gouvernement Valls 2 l’unité idéologique de la gauche socialiste semble être en véritable danger alors que certaines figures de son aile gauche comme Arnaud Montebourg et Benoit Hamon ont décidé de quitter le navire du duo Hollande-Valls.
96
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100
101
Annexes Annexe 1:
Tableau déduit de la classification du Groupe µ dans leur ouvrage
Rhétorique générale (Groupe µ, 1982) ................................................................. 102 Annexe 2:
Sélection des figures les plus présentes dans le discours politique .. 102
Annexe 3: Modèle de l’arbre maximum développé par Flamment et Rouquette (Marchand et Ratinaud, 2011, p.88) ..................................................................... 106
Annexe 1: Tableau déduit de la classification du Groupe µ dans leur ouvrage
Rhétorique générale (Groupe µ, 1982)
Métaphasmes (opération sur la morphologie)
Métataxes (opération sur la syntaxe)
Métasémèmes (opération sur la sémantique)
Métalogisme (opération sur la logique)
Supression
…
Ellipse
…
…
Adjonction
…
…
…
…
SupressionAdjonction
…
…
…
…
Permutation
…
…
…
…
Annexe 2: Sélection des figures les plus présentes dans le discours politique
Synthèse de la classification réalisée par Teun Va Dijk dans son article Politique,
Idéologie et Discours (Dijk, 2006, pp. 67-121). Il est organisé en trois parties présentant le nom de la catégorie étudié, le domaine d’analyse dans lequel elle s’inscrit et sa définition.
102
Domaine d’analyse du discours Sens
Nom de la catégorie Description de l’acteur
Catégorisation
Démentis
Implicite
Glorification nationale
Polarisation
103
Définition Description positive de soi, description négative de l’adversaire et fonction de l’idéologie que l’on défend. La catégorisation relève de la psychologie sociale. Chacun a tendance à catégoriser autrui. Combinaison de présentation positive de soi et de présentation négative de l’autre avec une plus grande insistance sur l’aspect négatif de l’autre. C’est une stratégie basée sur l’idéologie et qui se résume en trois éléments : empathie apparente, dénégation apparente et concession apparente. Pour des raisons pragmatiques et souvent contextuelles, une partie du discours du locuteur reste sous entendu. Ces informations implicites peuvent être captées par les récepteurs grâce au savoir et aux attitudes partagées et ainsi intégrés aux modèles mentaux de l’événement ou de l’action représentée dans le discours. La présentation positive de soi peut prendre la forme de types variés de glorification nationale : référence positive au pays dont le locuteur est citoyen, louanges envers cette nation, références nombreuses aux principes, à l’histoire et aux traditions de la nation en question. Ces types de glorification nationale sont très différents entre les pays. La rhétorique nationaliste est très présente aux Etats-Unis tandis qu’elle fait l’objet d’une instrumentalisation par la droite en France. A relier avec la présentation négative de l’autre. Catégorisation
Présupposition
Flou sémantique
Victimisation
Argumentation
Autorité
Illustration / Exemple
Topos
Charge
Stratégie politique
Consensus
Populisme
Ironie
Rhétorique
Hyperbole
104
en fonction de l’intériorité ou de l’extériorité au groupe. Les discours peuvent être considéré comme la partie émergente de plusieurs idéologies sous jacentes. Expression vague des référents prédéterminés. Des quantifieurs vagues « peu de », « beaucoup de » ; des adverbes, « très » ; des noms, « chose » ; des adjectifs, « bas », « élevés ». Dramatisation et polarisation. Organisation autour de l’axe linaire nous / eux. Les gens des autorités différentes, au sens d’autorités institutionnelles, citent différentes autorités. Exemples et persuasions sont présents dans les discours sous forme d’histoires, de vignettes. Celles-ci illustrent et justifient les dires du locuteur. Elles ont un impact émotionnel fort et sont persuasives. Du grec topos, topoï (plur), lieux communs également appelé cliché littéraire ou poncif il désignait un arsenal de thèmes et d’arguments en rhétorique antique dans lequel puisait l’orateur afin d’emporter l’adhésion de ses orateurs. Réclamer le consensus est une stratégie politique bien connue qui est utilisée dans les situations où le groupe est menacé. Il existe plusieurs variantes et composantes de cette stratégie. Le peuple est souvent pris à parti et les topos sont beaucoup utilisés. une accusation ou une dénonciation en la formulant sous des formes apparemment plus douces. Élément sémantique rhétorique
Style
Macrostratégie sémantique
Sens, argumentation
qui accentue le sens. Les propriétés négatives de l’autre sont souvent exprimées en terme hyperbolique pour les accentuer. Ironie Manière de rendre plus efficace Remotivations sémantique Le locuteur va recourir à l’utilisation d’un ou de plusieurs champs lexicaux dans le but de servir son argumentaire. Cette lexicalisation évolue en fonction des caractéristiques de l’argumentaire et du contexte. Présentation négative de Catégorisation positive ou l’autre négative des individus en fonction du fait qu’ils soient intérieurs ou extérieurs au groupe. Cette catégorisation se fait en rapport aux valeurs et normes que les individus intègrent dans leur idéologie. Présentation positive de soi Ou « favoritisme » envers le groupe. Cette présentation positive de soi n’est pas toujours couplée avec une présentation négative de l’autre ou de ce qui est extérieur au groupe. La présentation positive de soi est essentiellement idéologique car basée sur le schéma positif qui définit l’idéologie du groupe. Comparaison Il y a comparaison lorsque les locuteurs comparent des éléments de leur groupe à ceux qui lui sont extérieurs. Cette comparaison peut être positive ou négative mais généralement ce qui est extérieur au groupe est comparé négativement tandis que ce qui est intérieur est comparé négativement. Contrefaits « Que se passerait-il si... ». Volonté de mettre l’autre à sa propre place ou de le faire s’imaginer dans une position, un contexte particulier. Tentative de persuasion qui se rapporte à une demande d’empathie. Évidentialité L’expression de revendications et
105
de points de vue sont plus crédible quand les locuteurs présentent une marque, une preuve de leur savoir et de leur opinion. Cela peut se faire par référence à une autorité institutionnelle ou à travers des formes variées d’évidentialité, c’est à dire comme et où le locuteur a obtenu ses informations. Quand les sources sont effectivement citées, on parle d’intertextualité. Cette figure peut être mise scène par certaines techniques du discours tel que le Storytelling. Différentes des histoires, les généralisations peuvent être utilisées par le locuteur. Elles sont très présentent dans le discours populiste et raciste.
Généralisation
Rhétorique, sens
Euphémisme
Métaphore
Rhétorique, argumentation
Jeu des chiffres
Hors domaine
Expression de la norme
Démarche sémantique d’atténuation pour atténuer un problème, un sujet. Cela peut être considéré comme une exigence de politesse comme elle existe par exemple dans les débats parlementaires. Les figures sémantico-rhétoriques servent efficacement à la persuasion. Leur utilisation permet de rendre certaine signification abstraites, complexes ou inhabituelles plus concrètes et familières. Renforcement de la crédibilité à travers des démarches discursives mettant l’accent sur l’objectivité de l’affirmation en présentant chiffres et statistiques. Utilisation d’un discours normatif
Annexe 3: Modèle de l’arbre maximum développé par Flamment et Rouquette
106
(Marchand et Ratinaud, 2011, p.88)
107
Table des illustrations Tableau 1:
Caractéristiques générales (corpus lemmatisé) .................................. 56
Tableau 2:
Découpage du corpus en modalités .................................................. 57
Tableau 3: AFC des formes lexicales pour les trois premiers débats (Marchand et Ratinaud, 2011, p.691) .......................................................................................... 60 Tableau 4: AFC des six locuteurs dans les trois premiers débats (Marchand et Ratinaud, 2011, p.692) .......................................................................................... 61 Tableau 5: p.695)
ADS des sous-corpus des candidats (Marchand et Ratinaud, 2011, ......................................................................................................... 64
Tableau 6: Caractéristiques générales du corpus de la primaire socialiste (lemmatisé) ......................................................................................................... 65 Tableau 7:
AFC des formes lexicales pour le corpus global de la primaire socialiste ......................................................................................................... 66
Tableau 8:
AFC des six locuteurs dans l’ensemble du corpus de la primaire....... 67
Tableau 9:
AFC du corpus global de la primaire socialiste .................................. 68
Tableau 10:
AFC des six candidats tout au long de la primaire ........................... 69
Tableau 11:
ADS des 6 candidats de la primaire socialiste de 2011 .................... 71
Tableau 12:
ADS appliqué au corpus global de la primaire socialiste de 2011 .... 73
Tableau 13: spécificités)
ADS appliqué au corpus global de la primaire socialiste de 2011(avec 74
Tableau 14:
Caractéristiques générales du corpus global François Hollande ...... 77
Tableau 15:
Découpage du corpus global François Hollande en modalités ......... 77
Tableau 16:
AFC des formes lexicales pour le corpus global François Hollande . 79
Tableau 17: AFC des formes lexicales pour le corpus global François Hollande (avec sélection lexicale plus restreinte) .................................................................. 80 Tableau 18:
AFC du candidat Hollande pour le corpus global François Hollande .... ....................................................................................................... 81
Tableau 19:
AFC du corpus François Hollande global (méthode GNEPA) ........... 83
Tableau 20: AFC du candidat Hollande pour le corpus global François Hollande (méthode classificatoire GNEPA) ........................................................................... 84 Tableau 21: ADS du candidat Hollande sur les deux tours de la primaire et de la présidentielle 86 Tableau 22: Nuages de mots du candidat Hollande sur les deux tours de la primaire et de la présidentielle ............................................................................... 87 Tableau 23:
ADS appliqué au « corpus global François Hollande ........................ 89
108
Tableau 24: spécificités)
ADS appliqué au corpus global de François Hollande (avec ....................................................................................................... 90
Table des matières Sommaire .............................................................................................................................................5 Introduction .........................................................................................................................................6 Partie 1 :
De l’existence d’une seconde langue ................................................................ 11
Chapitre 1 : De la langue naturelle aux idéosystèmes : construction et diffusion des idéologies à travers le discours politique .......................................................................................... 12 Section I : Langue et politique ................................................................................................................ 12
Fonctions de la langue naturelle dans le processus interprétatif ................................................. 12 Introduction à la linguistique ............................................................................................................................. 13 De la sémantique à l’idéologie politique..................................................................................................... 14 Structures des idéologies politiques. ........................................................................................................... 18
Section II : rhétorique
Idéologie et discours politique : construction et légitimation par l’art de la 19
Fondements et évolutions de la rhétorique .............................................................................................. 20 Principes généraux et enjeux de l’argumentation ................................................................................. 25 Les modes de classification des figures de la rhétorique ................................................................ 28 Rhétorique et idéologie........................................................................................................................................ 30 Du langage comme action à l’action comme langage ....................................................................... 33
Chapitre 2 : De l’idéal au réel: évolution idéologique du socialisme et du Parti socialiste français 35 Section I : Organisation, structure et représentation des systèmes de partis ............... 36
Clivages et systèmes de partis........................................................................................................................ 36 Principes du gouvernement représentatif ................................................................................................. 38 La démocratie de parti ......................................................................................................................................... 39 De la démocratie de parti à la démocratie du public .......................................................................... 40
Section II :
Partie 2 :
Panorama sur l’idéologie socialiste et l’idéologie du Parti socialiste .......... 42
De l’idéal au réel ...................................................................................................................................................... 42 Le Parti socialiste, du projet au pouvoir ..................................................................................................... 45 Du droit d’inventaire à la réorientation récente ...................................................................................... 49
De l’ « homme normal » à l’ « homme sans com’ » ........................................ 54
Chapitre 1 : Un discours de gauche parmi d’autres discours de gauche ? ...................... 59 Section I : Analyse lexicométrique classique .................................................................................. 59
Retour sur l’analyse de Pascal Marchand et Pierre Ratinaud ........................................................ 59 Analyse factorielle et classificatoire du corpus global de la primaire socialiste ................... 65
Section II :
L’analyse de similitude appliquée au corpus de la primaire citoyenne ...... 72
Analyse ......................................................................................................................................................................... 73 Conclusions ............................................................................................................................................................... 75
Chapitre 2 : De l’écart entre le candidat de la primaire et le candidat de (toute) la gauche 77 Section I : Analyse lexicométrique classique du « corpus global François Hollande » 78
Principales caractéristiques du « corpus global François Hollande » ........................................ 78 Evolution du discours de François Hollande entre les différentes phases électorales .... 83
Section II :
Analyse de similitude appliquée au « corpus global candidat Hollande » 88
Analyse ......................................................................................................................................................................... 88 Conclusions ............................................................................................................................................................... 91
Conclusion ........................................................................................................................................ 93
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Bibliographie .................................................................................................................................... 97 Annexes .......................................................................................................................................... 102 Table des illustrations ................................................................................................................ 108 Table des matières ...................................................................................................................... 109
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