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Quelle solidarité pour construire « l’après » covid-19 ?
Fraternité politique
Quelle solidarité pour construire« l’après » Covid-19 ?
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Pierre et Flora Leturcq
Bruxelles, Responsables de la Fraternité Politique CCN
Pour les 70 participants du troisième week-end annuel de la Fraternité Politique du Chemin Neuf, qui s’est tenu par visioconférence du samedi 2 au dimanche 3 mai, élaborer une stratégie de sortie de crise doit d’abord amener le politique à penser, préserver et/ou construire de nouveaux mécanismes de solidarité. Jeunes de 18 à 30 ans, de vingt nationalités différentes, nous formons le vœu que ce nouveau chapitre de l’Histoire mondiale soit porteur d’un élan humaniste et écologique inspiré de trois valeurs cardinales : solidarité, responsabilité, et sobriété.
Au chapitre de la solidarité, qui fut étudié durant ce week-end, trois niveaux indispensables et complémentaires nous ont intéressés particulièrement : la commune, l’Union Européenne et l’échelle internationale.
I.« Chez-soi » : préserver une dynamique locale de don et de service
Nous étions nombreux à nous demander d’abord comment participer à « l’effort de guerre ». Rester chez soi et « prendre soin de soi » d’accord. Mais comment soutenir concrètement les populations qui souffrent le plus de la crise ? Les différents témoignages reçus au cours du week-end nous ont donné des exemples concrets d’engagements possibles « à notre échelle ». Sixtine, salariée de l’association Le Rocher, nous témoignait de son quotidien au cœur d’un quartier défavorisé en banlieue parisienne. Aider les enfants à faire leurs devoirs, faire les courses pour les personnes âgées, vivre ensemble tout simplement, était sa manière de répondre aux besoins fondamentaux des personnes vulnérables en temps de crise. Daniel Bashir, jeune pakistanais, nous a donné quant à lui une véritable leçon de générosité en quittant le groupe de partage sur Zoom lorsqu’il fut l’heure de distribuer bénévolement des paniers repas aux plus démunis de sa communauté. Toujours à l’échelle locale, mais dans ses fonctions d’élu cette fois, le maire de Tigery, Germain Dupont, a fait usage de sa bonne connaissance du tissu local pour recenser les volontaires, organiser des ateliers de fabrication de masques, de tonte bénévole des espaces verts, et autres ateliers solidaires entre personnes d’opinions, de confessions, et d’âges différents. Sixtine, Daniel et Germain font partie de ces acteurs de terrain qui ont choisi un engagement de ‘proximité’. Nos échanges sont arrivés à la conclusion que l’échelon local fonctionnait efficacement grâce à la synergie souvent fructueuse entre les pouvoirs publics locaux tels que les communes, « amortisseurs en situation de crises » selon le Dr. Jacques Richir, et les associations de terrain, « éléments clés de la démocratie » selon Patrick De Bucquois, Secrétaire Général de Caritas en Belgique. Le maire de Tigery nous confiait le bonheur qui était le sien de voir se renforcer spontanément les rangs du secteur associatif et l’effort qu’il mettra à préserver cette dynamique de don et
de service dans sa commune. Nous prions pour tous les maires et conseillers municipaux de France, souvent au cœur du réacteur. Ils auront besoin de force et d’audace pour assurer la continuité de la solidarité bénévole et spontanée née avec la crise du Covid.
II.Dans l’Union Européenne : unis dans la diversité, par la solidarité
Les mesures de confinement et le ralentissement économique qui s’en est suivi ont entraîné des conséquences sociales extrêmement graves dans le Vieux Continent. Au-delà des dizaines de milliers de morts et de la précarité supplémentaire qu’ils provoquent, la crise du Covid-19 menacerait directement près de 60 millions d’emplois à travers l’Europe, d’après une étude du cabinet de conseil Mc Kinsey publiée en avril, soit près d’un emploi sur quatre.
Uniforme en termes d’impact sanitaire, cette crise fut à l’inverse tout à fait protéiforme dans les conséquences économiques qu’elle a générées à travers les 27 États membres de l’Union Européenne. La crise et l’urgence ont été de nouveaux révélateurs du manque de solidarité européenne. L’ancien Président de la Commission Européenne Jacques Delors déclarait en mars dernier à l’AFP que le manque de solidarité entre les États membres dans la réponse apportée à la crise faisait courir à l’Union un « danger de mort ». Ce n’est que le 18 mai, plus de deux mois après les premières mesures de confinement, qu’une solidarité budgétaire européenne commence à se mettre en place avec la proposition franco-allemande de plan de relance de 500 Milliards d’euros, mutualisés et accordés en dotations budgétaires aux États membres.
L’Histoire européenne nous apprend que les crises sociales peuvent être à l’origine de bouleversements politiques, mais également provoquer une accélération de certaines tendances préexistantes. La crise du covid-19 a ouvert un chapitre politique particulier en Europe en ce qu’elle a mis en évidence l’interconnexion de problématiques environnementales, sanitaires et sociales. L’occasion est donnée d’exprimer dans les politiques publiques une vision renouvelée de la place de l’Homme face à son environnement. Elle donne corps à la prise de conscience généralisée de l’absence de résilience et des incohérences sociales et environnementales du capitalisme contemporain. Il sera nécessaire de focaliser les investissements de relance sur des secteurs qui remplissent deux critères d’égale importance : le potentiel de création ou de préservation d’emplois et le potentiel de transformation écologique de notre modèle économique. La rénovation des bâtiments, la mobilité douce, la gestion et le recyclage des déchets et des eaux usées et le tourisme côtier sont quelques exemples de secteurs qui remplissent ces deux critères. Il s’agira également pour l’UE dans les mois qui viennent de se servir de sa puissance commerciale pour rehausser les ambitions environnementales et climatiques de ses partenaires. Une Union Européenne « Laudato Si – compatible » ? On y croit !
III.Mondialisation et solidarité nord-sud : à prendre ou à laisser ?
Sur une initiative lancée par le Pape François et quelques autres dirigeants politiques nationaux, la communauté internationale s’est enfin saisie de la question de la dette des pays africains. Aujourd’hui encore les pays africains - notamment ceux d’Afrique sub-saharienne - payent aux détendeurs de leurs dettes publiques
des intérêts indécemment élevés. Pour un total de dette de 365 Milliards d’euros et un remboursement annuel de 32 Milliards prévu en 2020, les pays d’Afrique sub-saharienne auraient dû s’acquitter cette année de près de 44 Milliards d’euros d’intérêts. Si le Président français Emmanuel Macron avait appelé en avril à une annulation massive de la dette africaine détenue par les pays occidentaux (qui n’est qu’une partie du problème), c’est finalement un moratoire sur la dette africaine, visant à ne plus réclamer les intérêts, qui a été proposé par le G20. Il reste que l’Afrique sera touchée plus durement que les autres continents sur le plan économique - et par voie de conséquence sur le plan humain - et que la question demeure quant au niveau adéquat d’assistance et de solidarité dont elle devra bénéficier pour repartir.
Cette crise montre ainsi du doigt une réalité difficile à intégrer dans nos sociétés occidentales, souvent obnubilées par le confort sanitaire. Le Docteur Jacques Richir, médecin gériatre, adjoint de Martine Aubry à la Mairie de Lille et administrateur des Hôpitaux catholiques de Lille, rappelait à notre mémoire des chiffres terribles : 525 000 enfants de moins de 5 ans décèdent de diarrhées liées au manque d’accès à une eau saine potable chaque année, 770 000 personnes du sida et 400 000 du paludisme, dont une majorité d’enfants. Le Covid-19 avec ses 350 000 décès recensés à ce jour a amené dans le confort de notre univers riche et développé une réalité presque aussi dure que celle que vivent chaque jour les 50% les moins riches de la planète, ces 3,5 milliards de personnes dont les revenus n’ont pas augmenté depuis 1980… la mondialisation. En quête de résilience, les systèmes productifs connaîtront vraisemblablement des mouvements de relocalisation et de diversification des chaines de valeur. L’essentiel du monde de demain se trouve toutefois non pas dans le renoncement à la mondialisation en elle-même, comme les esprits acides aiment à le penser, mais bien dans la reconstruction du capitalisme, pour le rendre à la fois plus humain, plus efficient et résilient et moins inégalitaire. -
Loïc Rigal, Docteur en droit de la santé et consultant en accès aux soins, plaidait quant à lui pour une réponse internationale à la problématique des prix du médicament, fixés aujourd’hui par l’industrie pharmaceutique en fonction de la rareté des maladies. Il affirme que la justice sanitaire passe par un accord international sur le prix des médicaments et une différenciation des prix selon leurs lieux de commercialisation.
Du point de vue du commerce international, la crise du Covid-19 a d’ores et déjà entamé la transformation des oripeaux de
Dès lors, comme Monseigneur Rougé nous l’exhortait dans son introduction au weekend, nous sommes appelés, à tous les niveaux, à être des témoins de l’amour par notre bienveillance, à rechercher « l’intelligence de la vérité, et à ajuster notre justice humaine à la justice divine par un surcroit de générosité ». Peut-être pourrions-nous continuer à méditer le verset 11 du Psaume 84 : « Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ». A défaut de pouvoir nous embrasser, redoublons d’inventivité pour oser la rencontre fraternelle et devenir des citoyens actifs selon le cœur de Dieu !! P.F.L.