Les Carroz d’Arâches
Lecture d’un village Haut-Savoyard à travers les noms des habitations Chloé Le Mouël
juin 2015
Mémoire préparé sous la direction de A. Clerc-Renaud en vue de l’obtention du Master Anthropologie sociale et culturelle
Université de Strasbourg Faculté des Sciences Sociales Institut d’ethnologie
Les Carroz d’Arâches
Lecture d’un village Haut-Savoyard à travers les noms des habitations Chloé Le Mouël
Mémoire préparé sous la direction de A. Clerc-Renaud en vue de l’obtention du Master Anthropologie sociale et culturelle juin 2015
Université de Strasbourg Faculté des Sciences Sociales Institut d’ethnologie
Fig. 1 : (en couverture) Chalet Chez Zéline (Le Mouël, 2015).
2
Remerciements
Je tiens à remercier A. Clerc-Renaud, ma directrice de mémoire, pour ses conseils tout au long de ces deux dernières années. Merci à Bertrand, Lise, Yasmina, Suzon, Ema, Cyrielle et tous les autres avec qui les discussions sont si passionnantes. Je remercie tous mes interlocuteurs, qui ont pris le temps de me parler d’eux. Merci beaucoup Xenia. Laurence, Franck et Guillaume, encore une fois !
3
Sommaire Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 1. Identifier l’habitation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 1.1. Donner un nom participe du fait d’habiter. . . . . . . . . . . . . . . 16 1.2. Nommer son habitation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 2. Divulguer un discours sur soi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 2.1. Appartenance à un terroir. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 2.2. Appartenance à une parentèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 2.3. Valeurs et goûts. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 2.4. Parer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69 3. Marquer son appartenance. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 3.1. Appartenance au village. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87 3.2. Appartenance à un groupe social. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 3.3. Inertie des noms . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 Table des figures. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 Table des tableaux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129
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Introduction
Fig. 2 : Les Carroz d’Arâches en hiver (Le Mouël, 2015)
En se promenant dans le village haut-savoyard des Carroz d’Arâches, on peut voir des noms orner les façades des chalets. Tantôt amusée, tantôt étonnée par certains noms, j’ai voulu en savoir plus sur cet élément singulier de l’architecture vernaculaire qu’est le nom de chalet. Ceci qui m’a amené à explorer les noms de tous les habitats de ce village en quête des histoires que ceux-ci véhiculent. Ce village avec les villages d’Arâches, La Frasse et Flaine, constituent la commune d’Arâches-La-Frasse. Son nom complet est Les Carroz d’Arâches, mais il est plus couramment appelé Les Carroz. En Haute-Savoie, dans les Alpes françaises, il est situé à 1100m d’altitude. Il fait partie de la vallée de l’Arve, qui relie Chamonix à Genève. Il n’y a que deux routes qui en partent : l’une finit en cul-de-sac à Flaine, l’autre passe par Arâches et, de là, permet de rejoindre la vallée (voir cartes pages suivantes). 5
Fig. 3 : Carte de France situant Les Carroz d’Arâche (Géoportail, 2015)
Fig. 4 : Carte de la Haute-Savoie situant Les Carroz d’Arâche (Géoportail, 2015)
6
Fig. 5 : Planorama des Carroz d’Arâches (Thuria, 2010).
7
L’histoire des Carroz est intimement liée à celle d’Arâches. Ce village a été peuplé entre l’an 1000 et l’an 1350 (Trabut, 1991 : 7). L’économie était alors basée sur l’élevage de bovins et entraînait des migrations saisonnières. Au début de l’été les troupeaux montent en alpage avec les femmes et les enfants, tandis que les hommes restent à Arâches pour faucher les prairie alentour et rentrer le fourrage pour l’hiver (Trabut, 1996 : 9). Au 18e siècle un cadastre a été établi : la Mappe Sarde. Sur cette Mappe, ont voit le village d’Arâches et une multitudes de hameaux : le Serveray, le Sougy, le Carroz, etc. Ces hameaux, étaient au constitués de chalets d’alpage. La pauvreté force de nombreux habitants à l’émigration. Emile Plantaz n’a pas trouvé à quelle époque cette émigration a commencé, mais il trouve la trace d’habitants d’Arâches installés en Bavière en 1550 (Plantaz, 1991 : 13). La famille Ballaloud, originaire de Saint-Sigismond, commune voisine d’Arâches, aurait introduit l’horlogerie dans le Faucigny vers 1715-1720 (Plantaz, 1991 : 19). Selon Mino Faïta, il est plus probable que des artisans aient travaillé pour l’horlogerie genevoise dès le 17e siècle, et que Ballaloud, en rapportant avec lui les pratiques de parcellisation des tâches apprises à Nuremberg, ait contribué à hisser l’horlogerie au rang d’activité industrielle (Faïta, 1990 : 14). Saint Sigismond, La Rivière-Enverse et Arâches sont les localités qui ont participé à l’essor de l’horlogerie (Faïta, 1990 : 32). Les paysans d’Arâches deviennent horlogers-paysans et cette nouvelle activité contribue à freiner l’émigration. En 1787, Arâches compte 557 habitant et 85 horlogers y sont recensés en 1790 (Faïta, 1990 : 31). A la première moitié du 19e siècle, l’horlogerie décline et l’émigration reprend (Faïta 1990 : 92). Mais la deuxième moitié du 19e siècle voit s’épanouir les liens commerciaux avec Genève, mettant ainsi fin à la seconde vague d’émigration (Faïta, 1990 : 93). Au début du 20e siècle, entre 1876 et 1920, la population d’Arâches chute de 829 habitants à 420. Ils ne seront plus que 367 en 1936 (Trabut, 1996 : 12). Mais l’année 1936 est également celle de l’inauguration du premier téléski qui relie Les Moulins au haut de la Kedeuze (Trabut, 1996 : 15). C’est le point de départ la station de ski, dont 8
Hommes
Femmes
Sources : Insee, RP2006 et RP2011 exploitations principales.
ACT T4 - Lieu de travail des actifs de 15 ans ou plus ayant un emploi qui résident dans la zone 2011 Ensemble
%
2006
ACT G2 - Part des moyens de transport utilisés pour se rendre au travail en 2011
%
1 060
100,0
1 032
100,0
dans la commune de résidence
743
70,1
697
67,6
dans une commune autre que la
317
29,9
334
32,4
située dans le département de résidence
274
25,9
295
28,6
5
0,5
6
0,6
Voiture, camion, fourgonnette 66,0 %
le développement s’accélère à partir des années 1970 (Magazine de l’hiver aux Carroz , Travaillent : 2014 : 4).
Transports en 1,5 %
commune de résidence Avec le développement de l’urbanisme, les hameaux fusionnent en un seul village, Les
Pas de transp 8,8 %
Carroz, et les hameaux deviennent des quartiers (voir plans page suivante). située dans un autre département de la région de résidence
Deux roues 1,2 %
Marche à pied 22,4 %
dans une autre région en 6 0,6 6 0,6 En 1978 la située station de ski des Carroz est reliée avec celle de Morillon, et en 1981 le France métropolitaine Champ : actifs de 15 ans ou plus ayant un emploi. située dans une autre région hors
32
3,0
27
2,6
Source : Insee, RP2011 exploitation principale.
Grand Massif voit le métropolitaine jour : les (Dom, station de Les Carroz, Morillon, Samoëns, Sixt et Flaine de France Com, étranger)
sont reliées entre aujourd’hui 149 pistes desservies par 70 remontées Sources elles : Insee, représentant RP2006 et RP2011 exploitations principales. Chiffres clésde Logement mécaniques (Magazine l’hiver aux Carroz , 2014 : 4). Commune d'Arâches-la-Frasse (74014) LOG T2 - Catégories et types de logements Ensemble Résidences principales
2011
%
2006
%
6 555
100,0
5 815
100,0
792
12,1
781
13,4
5 718
87,2
4 754
81,8
44
0,7
280
4,8
Maisons
1 117
17,0
1 075
18,5
Appartements
5 425
82,8
4 724
81,2
Résidences secondaires et logements occasionnels Logements vacants
Sources : Insee, RP2006 et RP2011 exploitations principales.
Tableau A :
Catégories et types de logements sur la commune d’Arâches-La-Frasse (INSEE,
LOG T3 - Résidences principales selon le nombre de pièces
recensement de la population 2011)
2011
Ensemble 1 pièce
%
2006
LOG T4 - Nombre moyen de pièces des résidences principales
%
792
100,0
781
100,0
72
9,1
87
11,1
Ensemble des résidences principales maison
En 2011, 2sur la commune141d’Arâches-La-Frasse, on comptait 12% de résidences pièces 17,7 133 17,0 appartement 3 pièces
160
20,2
176
22,6
2011
2006
3,7
3,6
4,8
4,7
2,8
2,8
Sources : Insee, RP2006 et RP2011 exploitations principales.
principales pour 87% de résidences secondaires (INSEE, recensement de la population 4 pièces 174 21,9 160 20,5
5 pièces ou plus 31,1 225 28,8 2011). Les termes résidences 246 principales et résidence secondaires sont des catégories Sources : Insee, RP2006 et RP2011 exploitations principales.
administratives, mais ce sont également les termes utilisés aux Carroz pour les désigner. Ces chiffres sont valables sur toute la commune d’Arâches-la-Frasse, mais le nombre de résidence secondaires par rapport aux résidences principales est bien plus élevé aux 5 sur 15
Carroz et à Flaine qu’à Arâche et à La Frasse. De plus, en 2011 la commune comptait 104 résidences principales antérieures à 1946 contre 663 construites entre 1946 et 2009 (INSEE, recensement de la population 2011). Ces chiffres montrent le très rapide et très important afflux de population accompagnant le développement du tourisme. Terre d’émigration, c’est devenu aujourd’hui un lieu d’immigration et de villégiature, très prisé des français mais aussi des étrangers.
9
2
le sougy le laÿ
le pernant
le serveray
Arâches
N
0m
500m
1km
2km
Fig. 6 : Extrait de la Mappe Sarde d’Arâches, cadastre de 1728-1738 (Archives départementales de la Haute-Savoie, 2015)
le laÿ
LES CARROZ
Arâches
N
0m
500m
1km
2km
Fig. 7 : Vue aérienne d’Arâches et des Carroz aujourd’hui (géoportail, 2015)
10
Fig. 8 : Carte postale du hameau des Carroz au premier plan, et du hameau du Pernant en arrière plan (archives privées, antérieur à 1953)
Fig. 9 : Photographie de la vue du quartier du Pernant depuis les Grangettes (Le Mouël, 2015)
11
Fig. 10 : Carte postale de la vue des hameaux du Pernant (premier plan), des Carroz (centre) et du Serveray (à gauche, entouré de rouge) (Archives départementales, date inconnue).
Fig. 11 : Photographie du village des Carroz d’Arâches depuis le haut de la piste de Timalet (Le Mouël, 2012).
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Ce mémoire s’appuie sur un relevé systématique des noms des habitations de l’intégralité du village, ainsi que d’entretiens, que j’ai menés entre octobre 2014 et mai 2015. Ce relevé, pourtant rigoureux, est forcément imparfait. D’une part, l’objet d’étude a un caractère changeant : ainsi, par exemple, Chalet Hazeldyn a changé de propriétaire et le nom a disparu de la façade du chalet au cours de mon enquête et la boucherie est devenue une habitation nommée Rosbif. D’autre part, j’ai été confrontée au passage du temps qui rend parfois illisible des inscriptions ou qui fait pousser des arbres devant celles-ci, rendant le nom invisible depuis la rue malgré une attention à ce genre d’obstacles. La police et la taille des caractères ainsi que l’emplacement de la plaque peuvent également rendre la lecture difficile, mais l’utilisation de la photographie m’a souvent aidé à pallier ces problèmes. Enfin, malgré le fait de revenir systématiquement à plusieurs reprises dans chaque rue, certains noms ont pu m’échapper. La question de la distinction entre habitat individuel et habitat collectif s’est rapidement posée : certaines fermes anciennes ont été rénovées et abritent maintenant plusieurs appartement, les immeubles récents empruntent les codes de l’architecture des chalets, certaines fermes rénovées sont bien plus grosses que des immeubles. Comment les classer ? J’ai pris comme critère de distinction la porte d’entrée : lorsque qu’une même porte mène à plusieurs logements, il s’agit d’un habitat collectif ; en revanche lorsque chaque appartement possède sa propre entrée sur l’extérieur, il s’agit d’habitats individuels. Cette séparation s’est révélée pertinente par la suite. J’ai ainsi relevé 195 noms affichés1 pour 452 logements individuels, c’est à dire que 43% des logements individuels aux Carroz d’Arâches portent un nom de manière visible. Pour les logements collectifs, je me suis appuyée dans un premier temps sur la légende du Planorama qui donne le nom et l’emplacement de la majorité d’entre eux, puis j’ai complété par un relevé : sur les 108 immeubles et résidences2, seuls 2 ne sont pas nommés. 1
Je précise ici « affiché » car, comme nous le verrons par la suite, certains chalets
portent un nom mais qui n’est pas inscrit sur le chalet. 2 Groupes d’immeubles et/ou de logements individuels construits par un même promoteur lors d’une même opération. Il existe un nom pour la résidence, puis les 13
De la même manière, au sein des habitats individuels, j’ai distingué les résidences principales des résidences secondaires. Pour cela, soit l’un de mes interlocuteurs me l’indiquait, soit je me fiais à un faisceau d’indices : présence de neige ou de feuilles mortes devant l’entrée en dehors des périodes de vacances scolaires, présence du logement sur un site internet d’annonces de location de vacances3, plaques d’immatriculation des voitures pendant les périodes de vacances, objets entreposés à l’extérieur, etc. Lors des relevés, les jours ensoleillés, la conversation s’est engagée de manière informelle avec différentes personnes jardinant ou profitant du soleil dans leur jardin. De la même manière, a plusieurs reprises, mon attitude a intrigué des personnes que je ne pouvais pas voir de premier abord mais qui, elles, m’ont observées avant de venir m’aborder. Lors de ces conversations comme lors des entretiens plus formels, j’ai reçu un accueil bienveillant et étonné. Mes parents habitant et ayant une conciergerie aux Carroz, ils sont insérés dans la vie sociale des Carroz et sont en contact avec les propriétaires de résidences secondaires. Lorsque cela était pertinent, me présenter comme étant leur fille a permis d’établir rapidement un lien de confiance avec certains interlocuteurs. Le nombre important de résidences secondaires, et de résidences secondaires dont les propriétaires ne sont pas français, a été une difficulté supplémentaire. En compléments des entretiens, j’ai pu joindre certains propriétaires de ces chalets par e-mails, mais les échanges virtuels sont bien moins riches que les entretiens. En plus de la littérature scientifique, les parutions émises par l’Office du tourisme, la mairie, les musées locaux ou encore les érudits locaux ont enrichi ce travaille. Pour des raisons d’anonymat, tous les noms et prénoms ont été changés. Les noms des logements, eux, sont bien entendu les vrais. L’utilisation de l’italique indique un différents immeubles ou chalet de la résidence peuvent posséder leur propre nom. 3
sites généralistes tels que homelidays.com, airbnb.fr, mediavacances.com, france-
montagnes.com ou sites dédiés à un ou plusieurs logements comme book4alps.com dédié à la location du Chalet Erica et du Chalet Calluna, ou skiology.co.uk dédié à la location du Chalet Deux Frères aux Carroz d’Arâches et d’autres chalets dans des stations de ski voisines. 14
terme vernaculaire, ou l’usage d’une locution latine. Un prénom suivit d’une initiale entre parenthèses indique que l’information précédente provient d’un entretien avec cette personne. A propos de l’usage du mot chalet, il s’agit du terme vernaculaire utilisé aux Carroz pour désigner les maisons. « L’acception du mot chalet ne se limite pas aux chalets d’alpage comme le veut une tradition bien implantée chez les géographes. C’est un terme d’usage courant qui désigne en Savoie toute construction individuelle en bois. On l’oppose aujourd’hui à la villa, maison en brique ou en moellons de facture récente. » (Desveaux, 2011 : 223)
Je n’ai compté que deux maisons aux Carroz qui ne soient pas en bois (structure en bois, ou placage bois en façade). Dans les discours des carroziens, il est parfois précisé si le bâtiment désigné est une ancienne ferme. Mais l’expression les chalets englobe toutes les maisons, qu’il s’agisse de chalets, de fermes ou de villas.
Pour ce mémoire, je me suis donc intéressée au noms des habitations aux Carroz d’Arâches. Je me suis attaché à répondre aux questions suivantes : quel est l’intérêt d’étudier ces noms ? Que peuvent-ils nous apprendre du village des Carroz en tant qu’espace social ? Je m’intéresserai tout d’abord à la relation entre nomination et habitation. En quoi ces noms participent du fait d’habiter ? Qu’est ce qu’un nom propre ? Quelles sont les différences entre nom d’habitation individuelle et habitation collective ? La seconde partie à la relation entre le donateur du nom et le nom lui-même. Comment le nom peut devenir le support d’un discours sur soi ? Quels sont les modalités de ce discours sur soi ? Enfin, comment un nom permet-il de revendiquer une appartenance ? Le tourisme a-il eut une influence sur les noms ? Quelle est la pérennité des noms ?
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1. Identifier l’habitation 1.1. Donner un nom participe du fait d’habiter
En quoi est-il pertinent de s’intéresser au nom des habitations ? Et en quoi ces noms participent du fait d’habiter ? Dans le dictionnaire critique de l’habitat et du logement, Perla Serfaty-Garzon résume la définition d’habiter ainsi : « Fait de rester dans un lieu donné et d’occuper une demeure. Le terme apparaît dans la langue française dès le 11ème siècle ; il revêt ainsi deux dimensions, l’une temporelle et l’autre spatiale qui expriment que l’habiter s’inscrit à la fois dans l’espace et la durée » (Serfaty-Garzon, 2003 : 213).
La langue savoyarde4 exprime tout à fait cela. En effet, habiter se dit réstà qui se traduit par rester, occuper une maison, demeurer, loger, résider, être domicilié, avoir sa résidence, se tenir, mourir (Viret, 2013 : 1122, 1859). Le terme dmeurâ peut également être utilisé : demeurer ; habiter, résider, rester (ibid., 700). L’expression alâ s’fiksâ, littéralement aller se fixer, signifie aller demeurer / habiter / résider (ibid., 982). Ces trois termes insistent sur la durée, la permanence, mettant en relation l’espace (un lieu unique) et le temps (jusqu’à la mort). De plus, dans la version développée de la définition d’habiter, Perla Serfaty-Garzon met en relation « habiter » et « être », qui peuvent être interchangeables en français, qui étaient synonymes en grec ou encore qui ont une racine étymologique commune en vieil allemand (Serfaty-Garzon, 2003 : 213). Elle affirme que « l’habiter organise le monde à partir d’un centre » (ibid.). La demeure est un lieu centré dont l’individu défini l’intérieur, l’extérieur et le seuil. Elle est l’attache à partir de laquelle l’habitant rayonne, va et vient. Cette intériorité est celle du for intérieur, qui se déploie ensuite dans celle de l’espace bâti : « L’homme se tient dans le monde à partir d’un dedans, d’une attention à soi-même, d’une intimité qui est l’ancrage même de sa capacité d’aller au dehors vers le monde» (ibid.).
4
Le français est la langue officielle de l’état civil à Arâches depuis l’Ordonnance
de Villers-Cotterêts en 1539. Le français est parlé depuis longtemps, mais le savoyard n’a pas totalement disparu même si son usage est marginal aujourd’hui. 16
Enfin, habiter est, selon Perla Serfaty-Garzon, un engagement éthique, celui d’assumer sa place dans le monde parmi les hommes : «Ce processus de territorialisation, cette accumulation de signes distinctifs et de significations intimes dans l’espace habité sont propres à chaque habitant. Mais ils représentent aussi, au-delà de l’expression et de la projection individuelles, la contribution de l’habitant à l’instauration de l’habitabilité du monde. Car ces termes – l’établissement de limites, la structuration, la centralité, la concentration, l’ouverture et la cosmisation de la maison – traduisent, aux yeux des phénoménologues, un engagement : sur le plan philosophique, le fait de bâtir ou de constituer son habitation ne peut être que de nature éthique. On ne peut prendre place dans le monde qu’en assumant cette place même. L’habiter équivaut à une prise de responsabilité. Il s’agit d’un engagement de l’être à assumer sa part dans le travail civilisateur - l’habitabilité du monde naturel et social - que l’être doit accomplir dans la société et dans son action sur la nature. Dans cette perspective l’appropriation de la maison, les efforts, la persévérance, les soins et les égards dont celle-ci devient l’objet, dépassent la maîtrise d’un territoire domiciliaire pour entrer dans l’ordre de l’éthique des rapports humains mais aussi de la construction même de l’habitant. » (Serfaty-Garzon, 2003 : 214)
Le nom fait partie de ces signes distinctifs, chargé de significations, utilisé pour s’approprier un habitat. A propos de nom de son chalet, Pierre G. affirme : «dès qu’on est arrivés, on a cherché tout de suite un nom». Ce nom a été pour sa famille un important marqueur d’appropriation de leur nouvelle maison. L’entrée «appropriation» de ce même dictionnaire nous apprend ceci : «La notion d’appropriation véhicule deux idées dominantes. D’une part, celle d’adaptation de quelque chose à un usage défini ou à une destination précise; d’autre part, celle, qui découle de la première, d’action visant à rendre propre quelque chose. L’idée d’adaptation traduit un objectif d’harmonie entre une chose et l’usage auquel on la destine, un heureux appariement entre deux objets, deux actions ou entre un sujet et un objet. Elle traduit l’intention d’atteindre une certaine justesse dans l’action de modification de l’objet sur lequel s’exerce l’appropriation, justesse qui révèle une intelligence intime des qualités propres à cet objet et de ses potentialités.» (Serfaty-Garzon, 2003 : 28)
La notion d’appropriation va de paire avec celle de propriété. Il ne s’agit pas de propriété au sens juridique du terme mais d’une propriété d’ordre morale, psychologique et affective. S’approprier, rendre propre, c’est donc un processus actif qui permet d’adapter à soi une chose et ainsi la transformer en un support de l’expression de soi (ibid.). «L’équipe d’Henri Raymond [...] définira l’appropriation de l’habitat comme l’ensemble des pratiques et, en particulier, des marquages qui lui confèrent les qualités d’un lieu personnel. D’une part, le marquage, par la disposition des objets ou les interventions sur l’espace habité, est l’aspect matériel le plus important de l’appropriation. D’autre part, ces qualités de lieu personnel ne sauraient exister sans l’existence d’un « nous » qui en cautionne la légitimité, sans les valeurs qui leur sont attachées, c’est-à-dire sans l’existence d’un « modèle culturel » qui en inspire et
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fonde l’organisation. [...] Ces travaux ont pour mérite de montrer que si l’habitat est produit, l’appropriation de l’habitat n’est pas un sous-produit mais l’aventure même de l’habiter.» (Serfaty-Garzon, 2003 : 29)
Henri Raymond parle de l’appropriation par le marquage, c’est à dire la disposition des objets et les interventions sur l’espace habité ; l’appropriation est à l’œuvre dans les gestes quotidiens : entretenir, ranger, décorer, mettre en scène, cacher, etc. Il inclut ces actions dans un «modèle culturel». A l’importance du faire, Marion Segaud (2012 : 76) ajoute celle du dire : nommer, qualifier l’espace permet de se l’approprier. Selon Marion Segaud, l’appropriation est donc ce qui permet de passer de la «maison» au «chez-soi» (ibid. : 75).
C’est donc à partir de son habitat que l’homme se tient dans le monde. Donner un nom à son habitat est une forme d’appropriation de celui-ci. En marquant une séparation entre intérieur et extérieur, il choisit de mettre son intimité à l’écart du monde. Néanmoins, par la façade, il choisit ce qu’il montre de lui-même. Le nom est un élément à part entière de la façade, mur physique sur lequel il est inscrit, mais aussi de la façade au sens de Goffman : « partie de la représentation qui a pour fonction normale d’établir et de fixer la définition de la situation proposée aux observateurs » (Chaté, 2003 : 488). Le nom est un élément de la stratégie de présentation de soi : un élément soigneusement choisi de l’affichage de l’intime envers le public.
18
1.2. Nommer son habitation
Nommer, désigner une personne ou une chose par un nom est d’abord un phénomène de langage : c’est en effet attribuer certains sons à une entité (Leguy, 2012 : 51). Les linguistes font la distinction entre nom propre et nom commun ; les noms donnés aux habitations relèvent de la première catégorie. Mais qu’est ce qu’un nom propre ? Etymologiquement, il s’agit du « vrai nom » : du grec onoma kúrion, qui a donné en latin nomen proprium, c’est le nom authentique, celui qui nomme vraiment (ibid. : 53). Quelles sont les spécificités du nom propre et quelles sont ses fonctions ? Cécile Leguy réfute les principaux critères retenus par les linguistes comme distinctifs du nom propre : la majuscule en début de nom, l’intraduisibilité, l’absence de déterminant, l’unicité de la référentialité, l’absence de motivation (au sens où le nom propre serait dépourvu de contenu descriptif), l’absence de sens (Leguy, 2012 : 55). Il n’existe pas de graphie unifiée, signe du nom propre, dans le cas des noms d’habitation aux Carroz : certains noms sont inscrits sur ces habitations avec une majuscule au premier mot, certains ont une majuscule en début de chaque mot, d’autres sont tout en majuscules, ou tout en minuscule, d’autres enfin sont inscrits verticalement, les lettres les unes en dessous des autres ; les noms donnés à l’oral n’ont pas de graphie. J’ai pris le parti ici d’utiliser une graphie unique pour tous les noms, en utilisant une majuscule en début de chaque mot, pour des raisons de lisibilité du texte.
Le nom propre, un désignateur rigide Pour Sophie Chave-Dartoen un premier critère distinctif du nom propre est la «stabilité du lien dénominatif» : «à la différence de la relative plasticité du lien sémantique entre noms communs et référent, le lien dénominatif caractérisant le nom propre tend à essentialiser la référence, caractérisée dans
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ses dimensions singulières» (Chave-Dartoen, 2012 : 112).
Le lien entre le référent et le nom pré-existe à toute relation interlocutoire. Il laisse peu de place à la négociation, à l’ajustement. Cécile Leguy, s’appuyant sur le travail du philosophe américain Saul Kripke, écrit : « Pour Kripke, l’acte de nomination, « le baptême initial », est essentiel : c’est à cet acte que renvoie tout usage ultérieur du nom, une « chaine causale » permettant toujours de remonter d’une énonciation du nom propre au baptême initial. Le nom propre est défini par Kripke comme un « désignateur rigide », c’est-à-dire un nom qui désigne le même référent dans tous les mondes possibles, dans un énoncé donné. » (Leguy, 2012 : 60)
C’est donc l’énonciation qui construit la relation au baptême initial. Chaque énonciation est reliée au référent initial par une chaine causale indépendante, ce qui fait qu’il n’y a pas d’ambiguïté lorsqu’un même nom est attribué à deux entités distinctes. De cette manière, dans les deux énoncés suivants, chacun des noms propres renvoient rigidement à l’entité auquel il a été associé par le baptême : (1) « La Pointe d’Areu est le plus haut sommet de la chaine des Aravis. » (2) « J’habite L’Areu. » Ainsi, Cécile Leguy montre qu’une analyse du nom propre doit se situer dans le cadre de l’énonciation, et passer par la dimension du référent. Ajoutant qu’on ne peut espérer comprendre le fonctionnement d’un nom propre sans tenir compte de sa relation à l’entité qui le porte. Néanmoins, elle met en avant les limites suivantes à la théorie de Kripke : un ethnocentrisme et un scripturo-centrisme certains, arguant que la rigidité du désignateur est plus difficile à soutenir dans des sociétés de tradition orale où un individu peut porter simultanément et/ou successivement plusieurs noms, en fonction des circonstances ou selon l’identité de ses interlocuteurs, et où un même nom peut référer à travers le temps et l’espace à plusieurs individus (ibid. : 60).
Signifiance : un sens «pour nous» Par ailleurs, le linguiste John M. Carroll invite à compléter la théorie de Kripke en tenant d’avantage compte de la situation d’énonciation du nom propre et de l’intention 20
du locuteur (ibid. : 64). C’est à dire que c’est le contexte qui permet de comprendre le sens du nom, ainsi que le point de vue que les locuteurs prennent à son égard et selon les visions qu’ils s’en font : ce n’est pas un sens «en soi» mais un sens «pour nous». Paul Siblot propose la notion de «signifiance», qui ajoute une dimension sociale au sens du nom propre : « au sens où le nom propre aurait cette capacité à cumuler du sens au fur et à mesure de ses usages dans le discours, un sens «pour nous» qui se construit par capitalisation » (ibid.).
De le même manière, Sophie Chave-Dartoen propose la notion de «sens dénominatif» : «le nom propre identifie, désigne et fait exister le référent de façon plus particulière que tout autre nom. Cette particularité repose sur les caractéristiques du sens qui s’y rattache et défini plus haut sous le nom de «sens dénominatif». Ce dernier, s’il consiste en des informations et des processus fondamentalement comparables à ceux mobilisés pour les noms communs, se distingue de la «signification» telle qu’elle est généralement comprise en ce que les interactions mobilisées, très complexes, échappent largement au domaine de la sémantique linguistique pour opérer une jonction plus directe entre monde social partagé, vie affective et expérience des interlocuteurs» (Chave-Dartoen, 2012 : 110).
La signifiance est différentes en fonction des interlocuteurs, pour qui des sens différents sont attachés à un nom. Ce sens dénominatif, ou signifiance, évolue avec le temps. Il gagne en profondeur, en densité, par plusieurs processus : l’indexation, la sédimentation, la condensation et la conversion (ibid.). L’indéxation consiste à associer au référent des informations considérées comme pertinentes selon les normes culturelles dans un lieu et à une époque donnés. Dans le cas des noms d’habitation, il peut s’agir d’une adresse, d’une altitude, ou encore de l’année de construction. Cette indexation est visible, matérialisée par un rapprochement physique du panneau sur lequel est inscrit le nom et de l’inscription de l’année, du numéro ou de l’altitude. Rapprochement qui peut aller jusqu’à inscrire ces différentes informations sur un même panneau. Le destinataire doit être familiarisé avec ces pratiques pour comprendre quelle est l’information transmise par le nombre qu’il lit.
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Fig. 12 : Indication de l’adresse : Chalet Felycia (340), Iduzki (295) (Le Mouël, 2015).
Fig. 13 : Indication de l’année de construction : Les Cinq Frères (1995), CAR (1932) (Le Mouël, 2015).
Fig. 14 : Indication de l’altitude : Cristal (1200) (Le Mouël, 2015).
Fig. 15 : Indication d’un patronyme : Elen (A. Martin) (Le Mouël, 2015).
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Le processus de sédimentation est l’ajout de sens nouveaux issus de l’expérience par association sémantique et cognitive (ibid. : 118). «si du sens est retiré de l’expérience, de façon immédiate ou différée, individuelle ou collective, ce sens émerge nécessairement d’une expérience socialement et culturellement travaillée, partagée et ordonnée, cristallisée dans les pratiques et le langage... Langage et société viennent s’intercaler entre l’expérience la plus intime, et la signification, plus ou moins largement partagée, qui est ensuite attachée au nom» (Chave-Dartoen, 2012 : 118)
La sédimentation n’est pas un processus d’accumulation aléatoire, mais d’agrégation selon des modalités sociales. Par exemple, La Folie de Grand-Mère avait plusieurs sens pour les donateurs du nom au moment du baptême initial : Folie dans le sens d’idée déraisonnable et Folie dans le sens de petite maison. Le terme Grand-Mère a acquis plusieurs sens au cours du temps : il a désigné la première propriétaire de ce chalet, puis sa fille, sans que la référence à la première ne soit remplacée par la seconde. Ces sens s’additionnent, ainsi que me l’a indiqué Lise T. la seconde «grand-mère». Sous l’effet de la sédimentation, les noms condensent des informations et des représentations, qui dépendent du contexte d’énonciation. Ces informations se cristallisent sous différentes formes : récit, généalogie, chants, représentations graphiques, etc (ChaveDartoen, 2012 : 120). Pour Aline F. le nom d’un chalet voisin du sien, Opi, condense le récit qui rattache sa famille au village des Carroz : «Opi ça a un lien avec ma famille et la façon dont ma grand-mère est venue aux Carroz. Ma grand-mère a rencontré monsieur B., je ne sais pas vraiment comment, un jour. Ce monsieur lui a dit : «moi je cherche quelqu’un pour garder mes enfants. Si tu es d’accord je te prête mon chalet et en échange tu gardes mes enfants pendant les vacances.» Ma grand-mère avait cinq enfants, donc ça l’intéressait vraiment. Elle venait ici pendant les vacances, avec ses cinq enfants, et elle gardait les deux enfants de monsieur B. C’était le chalet Les Cyclamens, tu as du le voir en venant. Toujours est-il qu’un jour ma grand-mère a plus ou moins adopté une marmotte, qu’ils ont appelé Opi. Ça je ne sais pas pourquoi par contre. et du coup, monsieur B, quand il a construit un nouveau chalet, il l’a appelé du nom de la marmotte.» (Aline F.)
Enfin, le dernier processus qui fait évoluer le sens dénominatif selon Sophie ChaveDartoen est la conversion (Chave-Dartoen, 2012 : 121). Par ce terme elle entend tous les types transposition, de réaménagement et de glissements auxquels un nom propre sert d’appui. « Si l’usage du nom approprié, parmi les noms qui ont été conférés à un référent, indique le registre de relations pertinent dans un contexte donné, le choix de l’un ou l’autre de ces noms permet de passer, pour un même référent, d’un registre d’indexation et de relation à un autre» (ibid.)
Par exemple, Chalet Hazeldyn devient rapidement Hazeldyn lorsqu’une voisine de ce 23
chalet m’en parle, le terme «chalet» devient sous-entendu.
Les critères distinctifs du noms propres sont la relation rigide qui le relie à son référent, et sa signifiance, dépendante de la situation d’énonciation, qui est sujette à évolution au cours du temps. Mais quelles sont ses fonctions particulières ? Un nom propre sert à désigner son référent, à l’individualiser, à le faire exister dans la sphère sociale et à révéler une conceptualisation du monde.
Un nom propre pour désigner L’une des fonctions du nom propre est d’identifier, et ici plus particulièrement d’identifier une habitation (Chaté, 2005 : 57). Pour cela, une attention est portée au fait que le nom soient visibles de la rue, avec une taille de caractères lisible à une dizaine de mètres. Affichés sur la façade du logement qu’ils nomment, ils s’adressent aux passants, piétons et automobilistes.
Fig. 16 : La Tribu, nom lisible depuis la rue (Le Mouël, 2015)
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Le souci de cet affichage lisible depuis la rue est visible également dans le fait que certains noms sont répétés deux ou même trois fois sur un même chalet. Lorsque le chalet est en retrait de la rue, ou invisible depuis celle-ci, le nom est affiché en limite de propriété : sur un poteau de clôture, sur la boite aux lettres, ou encore sur un panneau n’ayant pas d’autre fonction que d’afficher ce nom. Dans les rues à sens unique et les culs de sacs, les noms sont affichés de façon à être lus dans le sens de l’arrivée dans la rue en voiture.
Fig. 17 : Altitude 1220, le nom est affiché sur la façade du chalet et un panneau répète le nom en bordure de route (Le Mouël, 2015).
Avant les arrêtés de numérotage, pris dans les années 19905, les noms des habitations des Carroz étaient utilisés dans l’adresse et avaient pour rôle d’aider à désigner celle-ci. Le lien entre nom et adresse est fort dans l’imaginaire collectif, au point qu’un chalet a pour nom une adresse fictive qui n’est pas en lien avec sa propre adresse : 4 Rue Des 5
«La Commune a mis en place la dénomination des voies et la numérotation des
maisons et bâtiments en 1990 environ selon le système métrique (avec également le principe des n° pairs à gauche et impairs à droit).» (Service d’Urbanisme de la commune d’Arâches, communication personnelle le 4 juin 2015) 25
Petits Chalets. Pour tous les chalets qui font gîte, tels que Le Repos des Marmottes, Gîte Renand ou encore La Bergerie, le terme qui sert à désigner le gîte et le nom du chalet se confondent. Avant 1990 toutes les habitations n’étaient pas pourvues d’un nom, le nom n’est donc pas indispensable pour désigner et localiser. De plus, suite à l’arrivée des numéros, les noms n’ont pas disparus et de nouveau noms sont donnés encore aujourd’hui (par exemple, Rosbif est apparu début 2015). C’est donc que la fonction du nom déborde la seule identification.
Un nom propre pour individualiser Cécile Leguy écrit : « le nom de personne est autre chose qu’un matricule de type «numéro d’INSEE», qui identifie en catégorisant mais n’individualise pas » (Leguy, 2012 : 60). De la même manière, le nom de maison est plus que le numéro de celle-ci, il individualise le logement quand le numéro le catégorise. Cécile Leguy remarque que dans les situations où les personnes sont singularisées de manière unique par un numéro (un compte bancaire, un numéro de sécurité sociale, etc), c’est l’utilisation du nom propre qui est privilégié dans les échanges : l’absence de signifiance blesse la personne désignée par son numéro (ibid. : 65). Il en va de même pour désigner une maison. Ainsi Laurence P. dit pour situer son chalet : «J’habite Le Mistouflon, en face de l’école», et non «J’habite au 130 route du Mont Favy». Cela est encore vrai même lorsqu’il faut faire une périphrase : « le chalet au nom imprononçable» (Marie P.) pour Xochitl. Le nom propre offre la possibilité de nommer non en catégorisant mais en individualisant, mettant en exergue l’unicité : « Alors que la numération n’enregistre que l’unicité et le rang, le nom propre postule une unité, une irréductibilité. Il implique que le caractère individuel est, pour cet objet-là, plus déterminant que l’appartenance à une catégorie, si descriptive qu’elle soit ( Siblot, 1995b, 152-153)» (Leguy, 2012 : 68)
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Une importance est donnée à l’unicité du nom. Ainsi Emilie B., dont le chalet ne porte pas de nom affiché, m’expliquait : «Pour nous c’est Le Chalet mais impossible de lui donner ce nom car il y en a déjà trop6». Sur environ 2007 noms il y a 11 duo ou trios de noms redondants. Il s’agit pour la plupart d’un nom d’un chalet et d’un immeuble. Ils sont rarement exactement identiques (L’Orée du Bois / L’Orée du Bois, Sun Valley / Sun Valley). la différence peut se jouer sur le singulier et le pluriel (Les fayard / Le Fayard, Le Rhodo / Les Rhodos, Le Mazot / Le Mazot / Les Mazots, L’Arolle / Les Arolles / Les Arolles), l’ajout d’un mot (Les Cyclamens / Chalet Cyclamen, Areu / L’Areu / Pointe d’Areu, Adret / L’Adret), l’orthographe (Le Triollet / Triolet, Cristal / Cristal / Krystal). Par ailleurs, une délibération du conseil municipale vieille de plus de 30 ans exige des particuliers et des promoteurs de soumettre leur projet de nom au service de l’urbanisme pour validation, afin d’éviter les redondances de nom (Service d’Urbanisme de la commune d’Arâches, communication personnelle le 4 juin 2015). Dans les faits, ceci est ignoré de beaucoup de personnes qui nomment leur habitation sans faire valider le nom à la mairie.
Noms communs «proprisés» Cécile Leguy évoque les «noms propres modifiés», qui apparaissent dans deux cas de figure : dans une «perspective référentialiste» quand le nom propre perd sa qualité d’unicité et de singularité de référence (par exemple, «viens Don Juan, je vais te présenter une amie») ; dans une «perspective syntaxique» quand le nom propre est affublé d’un déterminant (par exemple, «je connais un Martin guitariste») (Leguy, 2012 : 62). A propos du premier cas, elle développe : « le nom propre ne désigne plus son référent «initial» (selon l’expression de Gary-Prieur, 1994), mais un autre auquel on le compare ou duquel on le rapproche, certaines qualités de l’un pouvant
6 Il existe de nombreux noms comportant le mot chalet, mais aucun autre ne s’appelle Le Chalet. 7
194 noms affichés, plus les noms oraux et les anciens noms 27
être attribuées à l’autre ; par exemple, «vas-y Zidane !» adressé à un enfant qui joue au ballon. [...] Comme l’écrit Kerstin Jonasson, tout nom propre modifié acquiert une «fonction non plus distinctive et identifiante, mais descriptive, classifiante ou caractérisante» (Jonasson, 1994, p. 172). Il se met alors plus ou moins à fonctionner comme un nom commun, sans pour autant être un nom commun «ordinaire», car il s’y joue une part de valorisation ( Zidane, Bobet, etc)» (ibid.).
Dans le cas des noms donnés aux habitations aux Carroz, on observe le phénomène inverse : des noms communs qui deviennent des noms propres (La Hulotte, Le Lys, Les Moulins, Le Grenier, etc). Ils sont souvent accompagnés d’un article définis Le, La ou Les. Ces noms n’ont plus une fonction descriptive, classifiante ou caractérisante mais une fonction distinctive et identifiante. Mais dans ce cas-ci aussi, par comparaison et rapprochement certaines qualité du référent «initial» (une fleur) sont attribuées à son nouveau référent, l’habitation (faire partie de la nature). Les noms des habitations ne se limitent pas aux noms communs. On trouve également des noms créés de toute pièce (JeanFranPa), des propositions (Le Vent qui Chante), ou encore d’autres noms propres (Le Mont Blanc).
Institutionnalisation du référent Donner un nom à une entité permet de la faire exister dans la sphère sociale : «Le nom propre ne promeut pas tant son bénéficiaire comme individu, que comme personne sociale, en le faisant passer d’un statut indistinct (un individu au sein d’une classe homogène) à celui d’une entité particulière socialement pertinente et valorisée» (Chave-Dartoen, 2012 : 110).
Nommer son habitation est donc un choix délibéré de mettre celle-ci en avant, de lui donner une existence officielle en renvoyant à un faisceau de relations socialement reconnues. Parmi les chalets des Carroz, 43% d’entre eux portent un nom affiché. Les résidences secondaires semblent être au dessus de cette moyenne, mais le grand nombre de chalet pour lesquels je n’ai pas su déterminer s’il s’agit de résidence principale ou secondaire ne permet pas d’affirmer qu’il y a une tendance plus grande parmi les propriétaires de résidences secondaires à nommer son chalet que parmi les propriétaires de résidence principale.
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Résidence Principale Secondaire Non-connue TOTAL Tableau B :
Nombre total 91 213 149
Portant un nom affiché 35 104 56
Pourcentage 38,5 % 49 % 37,5 %
452
195
43 %
Répartition du nombre de chalets selon la résidence et le nom
Je précise «dont le nom est affiché» car j’ai connaissance de neufs chalets qui portent un nom sans que celui-ci soit affiché : - Chalet Deux frères : «il n’y a pas de raison particulière pour qu’il ne soit pas affiché. on n’a simplement jamais mis de signe» (Etienne D.). Un site internet est dédié à la location de ce chalet, via lequel les locataires ont connaissance de son nom ; - Chez Olga, Victorine : «ils s’appelaient déjà comme ça. C’est pas écrit dessus, mais ça s’est toujours appelé comme ça. C’est que de l’oral. Ça s’est transmit comme ça d’une génération à l’autre. On a toujours dit : on va Chez Olga ou on va à Victorine» (Aline F.); - Cachemire : le chalet est récent, le propriétaire n’a pas encore eu le temps d’inscrire le nom sur la façade, mais il utilise déjà le nom dans ses annonces de location ; - Le Chalet : nom informel utilisé par la famille et les amis d’Emilie B.. C’est un nom «pour nous», qui n’est pas affiché par peur d’être refusé par la mairie ; - un dont le nom a été retiré le temps d’effectuer des travaux, mais mon interlocuteur n’a pas su me dire le nom. - Chalet Bry, Chalet Cyclamen, Villa Caterina : noms indiqués sur les sites internet dédiés à la location, mais qui ne sont pas affichés sur ces chalets respectifs. Je pense qu’il y en a d’autres, dont je n’ai pas connaissance. La raison énoncée est l’absence d’action ou la continuité d’une absence d’inscription. Cela dessine également les contours d’un cercle social restreint, excluant ceux qui ne connaissent pas le nom. Un logement dont le nom est affiché existe dans une sphère sociale plus grande.
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Agrégation au monde Le nom propre révèle une conceptualisation du monde. Il isole autant qu’il rattache : «le nom propre distingue son porteur, non pour ce qu’il serait en soi, un individu au sein d’une série ou d’une classe desquelles il conviendrait de le faire émerger dans son unicité, mais en reconnaissance du nœud de relations complexes dont il est investi et qu’il actualise pour un groupe social plus ou moins vaste, dans un contexte plus ou moins large» (Chave-Dartoen, 2012 : 85).
C’est à dire que le nom propre, ainsi que les pratiques et les représentations qui lui sont associées, renvoient aux représentations qu’une société a de son monde, des relation entre les éléments de celui-ci telles qu’elles sont comprises et pensées. Il distingue les relations et le contexte qui sont pertinents au moment de l’énonciation. Le sens lexical renvoie directement ou indirectement à des contextes historiques et sociaux particuliers (ibid. : 104). Ainsi, le sens dénominatif est enrichi de la référence à des systèmes de relations temporelles et spatiales dans lesquelles le référent, l’entité nommée, est inséré du point de vue des locuteurs (ibid.). Ainsi, les noms propres contribuent à constituer le monde partagé.
Les spécificités et les fonctions des noms propres que nous avons vu s’appliquent aux noms d’habitats individuels et aussi aux noms d’habitats collectifs. Mais ceux-ci se distinguent entre eux sur deux points : le donateur et le référent.
Donateur du nom Une différence fondamentale entre les noms des habitats individuels et des habitats collectifs est le donateur du nom. Dans le cas des habitats individuels ce sont les habitants qui nomment l’habitat après l’avoir acquis. Ces noms sont liés à une histoire personnelle. En revanche le nom des habitats collectifs est donné a priori par le promoteur. Par exemple, la Résidence Léana n’est pas encore construite mais un panneau publicitaire avec ce nom est déjà implanté en bord de parcelle.
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Fig. 18 : Panneau publicitaire annonçant la future Résidence Léana (Le Mouël, 2015)
Le nom donné à une maison révèle des habitants ce que ils veulent en dévoiler : « il est alors un élément de la « relation parfaite » entre l’intérieur et l’extérieur, laquelle consiste à avoir une façade qui “correspond” à l’intérieur, ce qui ne veut pas dire qu’elle donne à voir ce qu’il y a à l’intérieur, mais qu’elle “exprime” l’intérieur » (Chaté, 2003 : 486).
En choisissant un nom, les habitants choisissent ce qu’ils veulent présenter d’euxmêmes. Mais pour qu’un chalet ait un nom, il faut que les habitants fasse le choix de le nommer puis se mettent d’accord sur un nom qui plaise à tout le monde, puis l’affichent à la vue de tous ou l’utilisent à l’oral (chaque énonciation successive réaffirme l’existence du nom). Ainsi pour un chalet qui n’a pas encore de nom, la femme a proposé d’en donner un ; ce sur quoi son mari est d’accord. Mais il n’est pas d’accord avec les deux noms qu’elle propose, A l’Abade ou Météore, sans pour autant en proposer lui-même. En attendant un consensus ce chalet n’a pas de nom. Les entretiens que j’ai menés ont montré que c’est le couple conjugal ou la famille nucléaire qui donne le nom. Le choix est commun, au point que souvent mes interlocuteurs ne savent plus qui a proposé le nom en premier. Par exemple, le nom du chalet Le Repos des Marmottes a été discuté et choisi par toute la famille de Pierre G. : «c’est un choix commun», il ajoute ensuite en riant : «Nicolas a dit «le», Valérie «repos», Gabriel «des», etcetera». Pour Tinn-Tamm, il semblait évident aux parents de faire participer leur enfants 31
au choix : «pour impliquer les enfants dans un projet commun de résidence secondaire» (Nathalie A.). Les trois cas que j’ai rencontré où le nom a été choisi par la femme seule, Chalet Hazeldyn, La Huguetière et La Folie de Grand-Mère, c’est un héritage reçu par la femme qui a permis l’achat du chalet. Le conjoint a donné son accord implicite, en ne s’opposant pas au nom. Ces trois noms célèbrent l’appartenance à une parentèle en mentionnant les ascendants (Chalet Hazeldyn, La Huguetière) ou les descendants (La Folie de Grand-Mère) (cf. 2.2 Appartenance à une parentèle).
Nommer une habitation, nommer un foyer Une autre différence fondamentale entre noms d’habitations individuelles et d’habitations collectives est le référent, ce qui est désigné par le nom. Pour rappel, j’ai séparé les habitats individuels et collectifs selon le fait que la porte d’entrée du logement donne sur l’espace public (habitat individuel) ou un espace collectif (habitat collectif). Un même bâtiment peut donc abriter plusieurs habitats individuels. Ce cas se présente pour les anciennes fermes rénovées. En revanche, les chalets plus récents (postérieurs à 1960), ne comportent qu’un seul foyer8. De plus, les habitats individuels portent chacun un numéro alors que les habitats collectifs partagent un même numéro, une même adresse. Les noms des résidences désignent un ensemble d’immeubles ou de maisons individuelles. Les noms des immeubles désignent l’immeuble entier, incluant tous les appartements et les espaces communs : le nom correspond à l’entité physique qu’est le bâtiment. En revanche, les habitats individuels portent chacun un nom (dans le cas où ils sont nommés). Le référent n’est pas l’entité physique mais le foyer. Au sein d’un même bâtiment, tous les foyers ne portent pas obligatoirement de nom. Par exemple, dans le quartier du Serveray, une ancienne ferme rénovée comporte quatre logements. Les deux plus anciens, au rez-de-chaussée, ont chacun un nom : Victorine et Chez Olga. L’étage, qui était auparavant la grange à foin, a été transformé en deux logements supplémentaires 8
Il existe toujours des exceptions, tel que le chalet Duo, postérieur à 1960 et qui est
formé de deux logements. 32
qui n’ont pas de nom. Ces logements appartiennent à différents membres de la famille d’Aline F. : «en haut c’était la grange à foin, donc il n’y avait que deux logements. Maintenant il y en a quatre parce que toutes les granges ont été aménagées. Mais ça ne compte pas. Enfin, ça compte pas, entre guillemets. Ça compte maintenant mais c’est tout récent. Mais les vrais logements anciens c’était ceux du bas, et eux ils avaient un nom».
Sidenie, Chez Mani et Chez Colette, ainsi qu’un quatrième logement non-nommé forment un seul et même bâtiment. Tout comme La Bergerie et son voisin non-nommé. Au sein d’un même bâtiment, tous les logements ne portent pas forcément de nom. Le chalet Duo ne porte qu’un seul nom pour deux logements, mais son nom promeut l’existence des deux foyers.
Le nom d’une habitation est un nom propre. Il est donc doté des spécificités inhérentes aux noms propres : être un désignateur rigide et avoir la capacité de cumuler du sens au fur et à mesure de ses usages. Le nom désigne le même référent dans tous les mondes possibles, le lien sémantique entre le nom et le référent n’est pas plastique. Chaque énonciation du nom renvoie au baptême initial. Le nom est doté d’une signifiance, un sens «pour nous», qui opère une jonction entre monde social partagé, vie affective et expérience des interlocuteurs. La signifiance évolue par indexation, c’est à dire par association d’informations culturellement pertinentes au nom. Cette indexation se construit dans les interactions sociales, puis ces informations sont sélectionnées et transmises dans un processus de sédimentation, puis de condensation. Enfin, le nom peut faire l’objet de transformations, de conversions. Le nom sert à désigner mais aussi à individualiser. Lorsqu’un nom commun, une proposition ou un autre nom propre sont choisis comme nom d’habitation ils acquièrent 33
cette propriété du nom propre qui est d’uniciser le référent. De plus, la nomination amène êtres et choses à l’existence sociale, construisant ainsi un monde partagé. Aux Carroz, deux chalets sur cinq portent un nom affiché, et ces noms ainsi que les pratiques et représentations qui y sont associées révèlent une conceptualisation du monde. Enfin, ce qui différencie les noms d’habitats collectifs et d’habitat individuels sont d’une part les donateurs des noms, et d’autre part le référent. Dans le cas des habitats individuels, ce sont les foyers qui sont nommés individuellement, par les membres de la maisonnée (couple conjugal ou famille nucléaire). Ces noms véhiculent une histoire personnelle. Les habitats collectifs sont nommés, a priori, par leur promoteur. Ces noms désignent l’entité physique, le bâtiment, auquel appartiennent plusieurs foyers.
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2. Divulguer un discours sur soi Lorsque les habitants choisissent eux-mêmes un nom pour leur habitation, ils affirment leur existence et mettent en valeur ce qui est important pour eux. Ce nom est un discours, il dispose d’un locuteur, d’un destinataire et d’un message. Le locuteur est le couple conjugal ou la famille nucléaire qui a choisi le nom. Aux Carroz, l’individu s’efface au profit du groupe. Même dans les cas tels que Chalet Deux Frères ou La Folie de Grandmère, où ce sont les «deux frères» et la «grand-mère» eux-mêmes qui ont choisi ces noms, en se désignant par leur position dans leur parentèle ils affirment leur existence au sein d’un groupe de parenté. Ils laissent ainsi planer le doute sur l’identité du locuteur : il pourrait tout à fait s’agir des parents dans un cas, des petits-enfants dans l’autre. La seule exception est Ma Campagne où un seul individu s’adresse au destinataire : via le pronom possessif à la première personne du singulier il affirme directement son existence. Pour analyser ce qui est du message, je me suis appuyée sur la démarche d’Anne Chaté qui a réalisé une étude similaire des noms des maison de Saint-Brévin-Les Pins en Loire-Atlantique (France) entre 2001 et 2004, mais en l’adaptant à mon propre corpus de noms. J’ai d’abord regroupé les noms par familles lexicales. J’ai pris ici le sens le plus évident, tel qu’il se dévoile au passant, c’est à dire à celui qui ne connaît pas l’intimité des habitants et la multiplicité des niveaux de sens que peut revêtir le nom. J’ai ensuite réuni ces différents groupes de noms par modalité de discours sur soi : l’appartenance à un terroir, l’appartenance à une parentèle, et enfin l’affichage des valeurs et des goûts. Le nom en tant que parure est aussi une forme de discours sur soi. L’appartenance à un terroir est la modalité la plus largement représentée (216 occurrences), puis l’appartenance à une parentèle (41 occurrences), enfin les valeurs et goûts (23 occurrences). Il reste 27 noms que je n’ai pas su classer (cf §3.1 Interaction avec le passant). J’ai ajouté les noms des habitats collectifs en regard des noms des habitats individuels afin de comparer les tendances et comprendre les stratégies mises en place dans le choix de ces noms. 35
2.1. Appartenance à un terroir
L’appartenance à un terroir est la catégorie la plus représentée. Par terroir j’entends une aire géographique considérée dans ses traditions, sa culture, son histoire, son environnement spécifique. Pour les noms des habitations il peut s’agir du terroir alpin ou d’un ailleurs mis en relation avec l’ici. Les catégories lexicales dont relèvent ces noms sont le règne animal, le règne végétal, le monde minéral, les toponymes, les termes de la géographie alpine, le monde pastoral, l’architecture, les phénomènes météorologiques, l’astronomie et les personnages imaginaires.
Règne animal
Res. principale
Habitats individuels Res. secondaire
Habitats collectifs et Indéterminé
résidences
Règne animal Habitat La Bergerie
La Tanière
La Ruche
La Marmottière
/
/
Oiseaux Les Alouettes
L’Aiglon
Le Gypaète
La Gelinotte
Izé
La Hulotte
Le
La Bartavelle
Rousserolles
/
Les Mésanges chalet
des
La Merlette Le
Repos
Marmottes
/ Tableau C :
Mammifères des Casse-Noisette L’Écureuil
Ourson
Les Eterlous
Blanchot
Les Marmottes
Marmottins
/
Autres L’Abeille
/
Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers le règne animal
En dehors de L’Abeille, seuls les mammifères et les oiseaux sont représentés chez 36
les habitats individuels. Ce sont tous des animaux sauvages facilement observables dans la nature proche des Carroz. Certains comme Casse-Noisette (un dessin à côté du nom indique qu’il s’agit de l’écureuil), L’Ecureuil, s’approchent même parfois près des habitations. Quatre chalets portent le nom de l’habitation d’un animal : La Bergerie, La Ruche, La Tanière et La Marmottière. Pour le premier, il s’agit d’une ancienne bergerie rénovée en habitation. Le nom conserve la mémoire du lieu. Les trois autres jouent sur une identification entre les membres de la maisonnée et les animaux. Brigitte V. évoque son précédent chalet, que son mari et elle avaient nommé La Marmottière9 : «La Marmotière, on l’avait acheté parce que on avait quatre enfants, donc ça faisait aussi bien les marmots, le chalet des marmots, que le chalet des bébés marmottes quoi, voilà. [...] Le chalet des marmots, ou chalet des marmottes. Et en fait, c’est un fait qu’on y dormait beaucoup ! Parce qu’on faisait des très très grandes promenades, et on était capable quand on avait fait une grande promenade de se lever à 5h du matin et de se coucher à 8h30 du soir.» (Brigitte V.)
A propos de Le Repos des Marmottes, qui est le nom d’un chalet qui fait gîte,Valérie G. explique : « c’est le nom du gîte, pour que les gens se sentent comme des marmottes dans la montagne à se reposer.». Son mari, parlant du point de vu d’un hôte, ajoute : « On vient aux Carroz, on va rien faire du tout !». Les Eterlous quant à eux sont à la fois les jeunes chamois et les enfants de cette famille qui jouent dans les pierriers. Patricia Fourcade, qui a étudié les représentations de la marmotte dans les usages sociaux du milieu alpin, a identifié trois principaux registres de signification composant l’image sociale de la marmotte, plus ou moins manifestes mais coexistants à l’intérieur desquels les analogies entre l’homme et la marmotte, observées ou imaginées, sont plus ou moins mises en avant (Fourcade, 1995 : 77). Ceci peut être étendu au cas des Eterlous. Ces registres de signification sont : - la marmotte saisie comme animal possédant des caractéristiques zoologiques, éthologiques et morphologiques : rapport au sommeil, au jeu, à la consommation, à la fréquence de la posture verticale, à la vie de groupe, à l’habitat ; - la marmotte saisie comme élément de l’environnement naturel local, régional, alpin, montagnard : éléments du paysage alpin et des activités qui lui sont liées ; - la marmotte saisie comme élément de modes de vie et d’organisation sociale 9
Ce chalet a changé de propriétaires, mais ceux-ci ont conservé le nom. 37
traditionnels : rapport à l’utilisation par l’Homme : chasse, exploitation de la peau, de la graisse et de la viande, captivité. Ici, l’identification entre les hommes et les marmottes, ou les éterlous, reposent sur le rapport à la vie de groupe, et le rapport au sommeil et au jeu. Ainsi la qualité de ces animaux d’être des éléments de l’environnement naturel local est transférée aux hommes, qui ne sont pas des résidents permanents des Carroz mais deviennent ainsi eux aussi des éléments de l’environnement local. Les habitats collectifs jouent également sur l’intégration dans le terroir local via des animaux qui évoquent des images à tous. Seuls l’Izé et Le Blanchot sont moins facilement compréhensibles par des personnes venues de l’extérieur du village, et donc moins facilement appropriables. Néanmoins, il s’agit respectivement de l’oiseau en savoyard et du nom vernaculaire du lièvre variable, appuyant encore l’appartenance à un terroir par l’utilisation de termes vernaculaires.
Règne végétal (Voir tableau page suivante) En montagne, la végétation s’étage suivant l’altitude. La notion d’étage est utilisée par les botanistes pour classer la végétation des montagnes en première approximation ; les différents étages de végétation sont définis par leur paysage caractéristique (Faverger et Robert, 1995 : 20). Dans le contexte particulier d’un village dans les Alpes, trier les noms d’habitations appartenant au règne végétal selon ce système m’a paru le plus pertinent. Les limites supérieure et inférieure d’un étage varient d’un endroit à l’autre selon de nombreux facteurs : adret (versant est toujours exposé au soleil ) ou ubac (versant peu exposé au soleil, plus enneigé), vents, latitude, influence de l’homme, etc (Faverger et Robert, 1995 : 22 ; Isoard, 1987 : 28-30). Les étages présentés ici sont issus de Isoard (1987), ils sont spécifiques aux Alpes et les altitudes données le sont à titre indicatif.
38
Res. principale
Habitats individuels Res. secondaire
Habitats collectifs et Indéterminé
résidences
RÈGNE VÉGÉTAL
Étage collinéen Tilleul-Menthe Les Cerisiers
/
Rosières
Les Fayards
Les 6 Bouleaux Étage montagnard Les Trolles Astrance
Fayard
La Valériane
Les Carlines
Plane
Les Cyclamens
Le Rhodo
Armoise
Chalet Cyclamen
Athamante
L’Origan
Roselières
Les Rhodos Œillets Muguet Carline Étage subalpin Les Ambourzalles
/
/
Les Airelles
Le Triollet
Étage alpin Les Soldanelles La Renouée
Triolet
La Gentiane
Les Chardons bleus
Martagon
Epilobe
Silène
Les Lupins
Lys Campanule Génépy Edelweiss Anémone Ferme Amarelle Les Lothiers Étage nival
/
/
/
/
Divers /
/
/
Jardins Alpins Fleur’Alpes
Tableau D :
Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers le règne végétal.
39
L’étage collinéen (jusqu’à 900m à l’ubac et 1300m à l’adret) correspond aux fonds de vallées, c’est l’étage des chênaies. Étage très peu représenté dans les noms des habitations des Carroz. On trouve néanmoins trois feuillus : Tilleul-Menthe (l’association des deux plantes est très courante en infusion pour une boisson chaude), Les Cerisiers et Les 6 Bouleaux. Les Rosières ou Roselières sont les lieux où poussent les roseaux. Tous ces végétaux peuvent également pousser dans les étages supérieurs. L’étage montagnard (900-1500m à l’ubac, 1300-1800 à l’adret) est celui des forêts de résineux et de hêtres. Parmi les noms, le hêtre est présent (Fayard, et Les Fayards), mais les résineux sont absents. Un autre feuillu est présent, l’érable : Le Plane. Tous les autres noms sont ceux de plantes à fleurs, tels que Les Cyclamens : une ancienne pension qui a naturellement pris comme nom celui du chalet familial. Suzette B. décrit le quotidien des vacanciers dans la pension de ses parents Les Cyclamens en 1924 : «Tous ces vacanciers, habitués à revenir chaque année, s’étaient liés d’amitié. Les promenades sur les communaux se faisaient ensemble souvent via la cueillette parfumée des cyclamens puis on jouait au croquet, on s’affrontait dans des parties de cartes tandis que les dames pendant la grosse chaleur brodaient dans la cour à l’ombre du cerisier.» (Renand, date inconnue : 15)
Les cyclamens sont donc des fleurs que l’on trouve dans les communaux, c’est à dire les alpages qui appartiennent à la commune d’Arâches. Elles sont donc associées au terroir et à la vie pastorale d’une part, et aux notions de promenade, de vacances, de plaisir d’autre part. De plus, elles sont choisies pour les bouquets pour des raisons esthétiques et pour leur parfums. En nommant le chalet familial ainsi, ce sont de toutes ces qualités que les habitants parent leur logement. L’étage subalpin (1500–2000m à l’ubac, 1800-2400m à l’adret ) est celui des forêts de mélèzes. On y trouve les myrtilles, aussi appelées Les Airelles ou Les Ambourzalles en Haute-Savoie. L’étage alpin, au delà de l’étage subalpin, est celui des pelouses rases où pousse le trèfle, aussi appelé Le Triolllet ou le Triolet à cause de ses feuilles caractéristiques composées à trois folioles. Les autres noms sont ceux de plantes à fleurs. L’étage nival est celui du monde minéral, où la végétation composée de lichens et de 40
mousses est rarissime. Aucune habitation ne porte le nom d’un lichen ou d’une mousse, cet étage de végétation n’est pas du tout représenté parmi les noms des habitations aux carroz. Le village des Carroz se situant à l’étage montagnard, on voit que la végétation des Carroz et au delà est très valorisée, contrairement à la végétation poussant à une altitude moins élevée. Il est très étonnant de voir que les conifères tels que l’épicéa, le sapin et le mélèze, pourtant très présents dans le paysage, ne sont pas du tout valorisés. Une hypothèse pour expliquer cela est que les conifères sont très communs et que le nom, ayant pour fonction d’uniciser l’habitat, ne peut se contenter d’un objet de référence si commun. Les végétaux représentés font appels au plaisir des sens. Les très nombreuses fleurs citées par les noms des habitations sont colorées et odorantes. Les cerisiers, Les Ambourzalles, Les Airelles, et le Tilleul-Menthe évoquent des goûts agréables. Plusieurs noms se retrouvent parmi les habitats collectifs et les habitats individuels : Fayard / Les Fayards, Les Rhodos / Le Rhodo, Carline / Les Carlines. De plus, tous les étages de végétation sont autant représentés parmi les habitats collectifs qu’individuels. Les habitats collectifs sont très nombreux à évoquer l’appartenance au terroir alpin à travers le règne végétal. Ces noms sont utilisés parce qu’ils véhiculent des valeurs à la fois de nature, de plaisir des sens, et d’ancrage territorial, cherchant à susciter l’adhésion des habitants à travers ces valeurs.
41
Monde minéral
Res. principale
/
/ Tableau E :
Habitats individuels Res. secondaire
Habitats collectifs et Indéterminé
résidences
MONDE MINÉRAL Pierres précieuses et semi-précieuses Azurite /
Améthystes
Cristal
Cristal
Krystal
Cristallières
Les Lapiaz
Rocs Alpen Roc
Grand Roc
Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers le monde minéral
L’évocation du monde minéral se fait d’une part à travers les pierres semi-précieuses, valorisées pour leur beauté et leur rareté : Azurite, Cristal, Krystal, Améthyste, Cristal et Cristallière. D’autre part par les rocs : «masses de pierre très dure et cohérente qui fait corps avec le sous-sol» (Larousse). Les Lapiaz sont des «rochers calcaires apparents, taraudés par la pluie, dans un pré ; ciselures superficielles creusées par les eaux en terrain calcaire» (Viret, 2013 : 1262). Ces rocs sont donc le sol lui-même, prenant part au paysage. Le lapiaz du Désert de Platé, situé à Flaine, station de ski voisine des Carroz, est le plus grand d’Europe (DIREN Rhône-Alpes, date inconnue).
Fig. 19 : Lapiaz du Désert de Platé, Flaine (DIREN Rhône-Alpes, date inconnue)
42
Les noms évoquant le monde minéral sont uniquement ceux de résidences secondaires et d’immeubles, c’est à dire que des gens extérieurs aux Carroz ont choisi ces noms. Les carroziens n’utilisent pas du tout la référence minéral pour signifier leur attachement au terroir.
Toponymes (Voir tableau page suivante) Parmi les toponymes utilisés en tant que nom d’habitation, il y a les noms de sommets et de massifs alpins, ceux des quartiers ou des lieux-dits des Carroz ainsi que trois autres toponymes qui sont respectivement : - Nant Gron, nom du ruisseau qui passe aux Carroz (nant signifie ruisseau en savoyard) ; - Sabaudia, nom de la région à l’époque Burgonde ; - Timalet, nom d’une piste de ski. Les mêmes stratégies sont mises en places pour nommer les habitats individuels et les habitat collectifs. Selon Henry G., né aux Carroz et qui a assisté aux transformations urbaines importantes dues à l’arrivée du tourisme, les noms des sommets sont les noms donnés aux premiers immeubles construits dans les années 1960 par le constructeur Villaron et qui sont situés au centre du village. Comme le montre la Figure 20, tous les noms de montagnes utilisés pour nommer les habitations des Carroz sont ceux de montagnes proches des Carroz. Les trois points plus éloignés sont Les Diablerets (G), un massif suisse, Les Ecrins (T), un massif situé dans les Hautes-Alpes et en Isère et La Roche Varappe (F) qui est un couloir rocheux du mont Salève qui a donné son nom à la pratique sportive éponyme. Tous les autres sont des noms de sommets. La Figure 21 montre que ces sommets sont ceux qui bordent la vallée de l’Arve et sont visibles depuis le village des Carroz ou depuis son domaine skiable. Chaque nom ne revient qu’une seule fois, sauf L’Areu, Pointe d’Areu et Areu (D) qui
43
Res. principale
Habitats individuels Res. secondaire
Habitats collectifs et Indéterminé
résidences
Le Chardonnet
TOPONYMES Oronymes Les Ayères Le Varens
Aiguilles en M
Les Charmoz
L’Areu
La Roche Varappe
Aravis
Les Diablerets
Marcelly Môle Mont Blanc Platé Pointe d’Areu Les Grands Vans Pointe percée Areu Buet Chevran Les Ecrins Varan Aiguilles blanches
Les Grangettes
Quartiers ou lieux-dits des Carroz Le Creux des Feux Châlet de la Craie Les Feux
Le Sougy
Le Nant d’Orlier
Le Serveray
Le Tuluetta
Moulins
Les Servages
Chalet Bry
Pernant
du Pas de l’Âne
L’Amont des Feux
Laydevant
Pré du bois Sunbry Edenbry
/
/
Autres Nant Gron
Sabaudia Timalet
Tableau F :
Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers les toponymes
44
N Les Carroz Sommets et massifs dont les noms sont utilisé pour : immeuble ou résidence habitat individuel : rés. principale rés. secondaire 50 km
rés. indéterminée
Fig. 20 : Carte des sommets et massifs alpins dont les noms sont utilisés pour nommer des habitations aux Carroz
lac léman
N Rhône
Les Carroz Sommets et massifs dont
Arve
les noms sont utilisé pour : immeuble ou résidence habitat individuel : rés. principale rés. secondaire 10 km
rés. indéterminée
Fig. 21 : Carte des sommets de la vallée de l’Arve dont les noms sont utilisés pour nommer des habitations aux Carroz
45
fait partie de la chaine des Aravis (I). Ne pas écrire le nom complet, par exemple Buet pour le Mont Buet, ou encore Marcelly pour le Pic du Marcelly, est une façon de montrer l’intimité que l’on entretien avec le sommet nommé. Ainsi, par ces noms de montagnes, ces habitations s’inscrivent dans un territoire local à l’échelle de la vallée.
Les noms des quartiers des Carroz sont également présents. Il s’agit toujours du quartier dans lequel est situé le logement. Le nom peut être celui du quartier (Les Grangettes, Le Sougy, Le Serveray, Les Servages, Les Feux, Le Laydevant, Les Moulins, Pernant, Pré du bois) ou composé avec le nom du quartier (L’Amont des Feux et Le Creux des Feux aux Feux, Le Nant d’Orlier à l’Orlier, Chalet Bry, Sunbry et Edenbry au Bry). Le Châlet de la Craie du Pas de l’Âne est situé au lieu-dit Pas de l’Âne. Le Tuluetta est situé au lieu-dit Tuelletta. Le nom de ce lieu-dit est inscrit sur un panneau de randonnée, plus récent que le panneau du nom du chalet, implanté en vis-à-vis du chalet. Le passage de l’oral à l’écrit à donné deux orthographes différentes à un même mot. Les Grangettes, Le Serveray et Le Servage sont les noms de l’un des plus anciens bâtiments de chacun de ces quartiers, sinon le plus ancien. Sur Le Serveray, est gravée la date de 1855. Le Servage appartient à une famille dont la présence est attestée à Arâches en 1350 (Plantaz, 1991 : 7). Le Sougy est le nom d’un chalet qui a été construit dans les années 1970 par le père d’Henry G.. Henry G. est né ici, il précise «ici, au Sougy»10. Le Sougy, comme les plus anciens quartiers des Carroz, était autrefois un hameaux. Henry G. dit «des villages», et aujourd’hui encore lorsqu’il utilise le terme «village», il fait référence au Sougy et non aux Carroz. Les Carroz était également un hameau, qui correspond aujourd’hui au centre du village. Avec l’extension urbaine et la fusion des hameaux en un seul village, le village a pris le nom des Carroz et les noms des hameaux sont devenus les noms des quartiers. Les trois plus vieux chalets du Sougy n’ont pas de nom. Lorsque les parents d’Henry G. ont construit leur chalet, ils ont donné le nom Le 10 Cela fait écho trois autres entretiens où mes interlocuteurs appuient sur l’importance du quartier de naissance. Par exemple, Marie P. en évoquant une famille précise «ils sont là depuis toujours, c’est des gens qui sont nés au Pernant». 46
Sougy «parce que c’est le nom de l’endroit». Le chalet appartient désormais à la sœur d’Henry G., qui a conservé ce nom. Le neveu et la nièce d’Henry G. habitent également dans le quartier du Sougy mais n’ont pas donné de nom à leur chalet : «c’est un choix personnel» (Henry G.). En nommant ces chalets du nom de leur quartier, les propriétaires affirment leur appartenance à un micro-territoire et luttent contre la dissolution des hameaux.
Les toponymes comme noms d’habitation tracent une géographie du territoire d’appartenance centrée sur les Carroz. Les noms des montagnes tracent les contours de là où porte le regard. Les noms des quartiers clament une appartenance bien plus précise que celle à un village : il s’agit de celle des hameaux, qui ont encore une réalité pour les carroziens dont les familles sont implantées dans le village depuis plusieurs générations.
Description de la localisation de l’habitation
Res. principale
Habitats individuels Res. secondaire
Habitats collectifs et Indéterminé
résidences
Le Dôme
Localisation de l’habitation L’Alpic Chalet du Bois
Panoramic
La Fontaine
Horizon
Chalets Plein Sud
L’Orée du Bois L’Orée du Bois La Dérupe Au bord du Nant La Clairière Altitude 1200 Tableau G :
Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers la description de la
localisation de l’habitation
47
Les noms regroupés dans le tableau ci-dessus décrivent la localisation de l’habitation : en haut d’un Dôme, dans une Clairière, Au Bord du Nant (c’est à dire au bord du ruisseau), etc. Horizon et L’Alpic sont tous les deux en haut d’une falaise. Panoramic et La Dérupe (pente forte en savoyard) sont tous les deux dans une pente forte. Horizon et Panoramic mettent l’accent sur leur vue dégagée alors que L’Alpic et La Dérupe mettent l’emphase sur une caractéristique du sol. Comme dans le paragraphe précédent, on voit apparaître d’une part l’ancrage au sol et d’autre part là où porte le regard.
Géographie alpine
Res. principale /
Habitats individuels Res. secondaire
Habitats collectifs et Indéterminé
résidences
TERMES DE GEOGRAPHIE ALPINE La Corniche La Cime Combe L’Adret
Landars Nantey Adret Sanjhon
Tableau H :
Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers des termes de
géographie alpine
Les noms regroupés dans le tableau ci-dessus sont des termes propres à la géographie alpine. Certains sont en français : La Corniche : «escarpement de roches dures, abrupt, surmontant une pente plus douce ou formant surplomb. Formation de neige, due à l’effet du vent, qui ourle la plupart des arêtes effilées à partir d’une certaine altitude» (Larousse). L’Adret / Adret : «en montagne, versant le plus ensoleillé d’une vallée, opposé à l’ubac. (Ce terme et son synonyme endroit sont surtout employés dans les Alpes ; leur équivalent pyrénéen est soulane. L’adret est le versant le plus favorable aux cultures et à l’habitat.)» (Larousse). 48
La Cime : «extrémité supérieure, et le plus souvent pointue, d’une montagne, des arbres, etc. ; sommet» (Larousse). Combe : «dépression de forme oblongue, évidée dans des couches tendres à l’emplacement d’un axe anticlinal et limitée par des crêts se faisant face» (Larousse). D’autres sont en savoyards : Landars : «pays, terre ferme» (henrysuter.ch). Nantey : «lieu où abondent les ruisseaux» (henrysuter.ch). Sanjhon : «sommet» (Viret, 2013 : 549). Ces termes génériques ne font pas référence à un lieu particulier comme le font les toponymes, mais ils font référence à l’aire géographique des Alpes.
Monde pastoral et architecture vernaculaire
Res. principale Bel Alpe
Habitats individuels Res. secondaire
Habitats collectifs et Indéterminé
résidences
Monde pastoral Le Seillot L’En Haut
Les
Les Pratz
Lou Corti
Carroz
Les Snailles
Grandes Alpes
Alpages
des
Le Barlet Le
Hameau
des
Clarines Calèche Le Mazot
architecture vernaculaire Le P’tit Grenier Le Mazot Solarets Lé Tsapeï Le Chalet
Le Grenier
Les Mazots Le Thoral
Les Moulins Tableau I :
Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers les références au
monde pastoral et à l’architecture vernaculaire.
49
La première référence au monde pastoral est l’alpe, ou l’alpage : Bel Alpe, Les Alpages des Carroz, Grandes Alpes. Les Pratz sont les prés, les alpages (Viret, 2013 : 1714). Ensuite, il y a les objets : Les Snailles (les sonnailles, les cloches accrochées autour du cou des animaux), Le Hameau des Clarines (cloches des vaches), Le Barlet (tonneau), Le Seillot (seille, seau en bois, bac en bois (Viret 2013 : 1954)) mais aussi la Calèche (moyen de transport hippomobile). L’En Haut est le hameau d’estive, par opposition au village situé plus bas (Langlais, 2010 : 27). Lou Corti est le nom savoyard du jardin potager (Viret, 2013 : 549).
Le Mazot (trois occurrences) est un terme valaisan qui sert à désigner aujourd’hui ce qu’on appelait autrefois les greniers (Somm, 2005 : 55). Greniers séparés de l’habitation principale, mesurant entre 2 m et 5 m de côté, ils servaient à stocker le grain et les richesses. L’un des trois est réellement un grenier réaménagé en habitat. Les immeubles nommés Les Mazots sont les plus grands immeubles du village, ce qui est paradoxal quand on sait que leur nom désigne des bâtiments de très petite taille. Ajouté a ces trois Mazots, Le Grenier et Le P’tit Grenier appuient l’importance de ces bâtiments, symboles de richesse dans un monde agricole : «autrefois, l’existence de ce bâtiment de modeste apparence témoignait d’une certaine aisance de la famille. Les plus pauvres gardaient en effet leurs récoltes dans la maison. Lieu privé par excellence, mais mis en évidence dans l’espace public, le grenier séparé montrait autant qu’il dissimulait. Derrière une contenance toujours similaire, largement surestimé comme une garantie symbolique contre la famine, la famille, qui seule y avait accès, tenait à l’abri des regards indiscrets les carences des mauvaises années comme les richesses des meilleures» (Somm, 2005 : 50).
Lé Tsapeï signifient les petites granges (Viret, 2013 : 1094). Selon Élisabeth A., qui vit au Thoral, le nom de cet immeuble est celui des séchoirs à grains. Enfin, le chalet Les Moulins ne fait pas référence au quartier du même nom mais bien au bâtiment où le grain est moulu. Seul élément d’architecture vernaculaire qui ne soit pas directement lié à l’agriculture, les Solarets sont des «galerie[s], long[s] balcon[s] (extérieur[s], au premier étage d’une maison et desservi[s] par un escalier lui-aussi extérieur) ; galerie[s] en bois placée[s], comme un balcon, sur la face la mieux exposée d’une maison, souvent abritée[s] par une 50
avancée du toit et desservant plusieurs pièces de la maison» (Viret, 2013 : 244). A travers des lieux, des objets, et l’architecture, ces noms évoquent un monde pastoral et agricole qui n’existe plus aujourd’hui aux Carroz.
Phénomènes météorologiques
Res. principale
Habitats individuels Res. secondaire
Habitats collectifs et Indéterminé
résidences
Phénomènes météorologiques Le Vent qui Chante / Chalet de Neiges I des Neiges Mille et une Neiges Front de Neige Sun Valley
Les Flocons Verts
Rayons d’Soleil
Les
Les Tourbillons
Soleil
Fermes
du
Sun Valley Tableau J :
Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers les phénomènes
météorologiques
L’attachement au terroir des Carroz est également signifié par la référence aux phénomènes météorologiques. Tout d’abord, par la neige, présente dans le paysageprès de la moitié de l’année : I des Neiges, Mille et une Neiges, Chalet de Neiges, Front de Neige, Les Flocons Verts. Ensuite, viennent les références au soleil : Sun Valley (2 occurences), Rayons d’Soleil, Les Fermes du Soleil. Enfin, le vent est également évoqué Les Tourbillons, un chalet qui doit son nom à la présence constante de vent là où il est situé, et par Le Vent qui Chante. Une locataire vivant dans ce dernier chalet m’a indiqué ne pas savoir l’origine de ce nom, le chalet n’étant pas situé dans un couloir de vent.
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Le monde surnaturel
Res. principale Le Mistouflon Tableau K :
Habitats individuels Res. secondaire
Habitats collectifs et Indéterminé
résidences
Monde surnaturel Le Dahut Le Diable Bleu
Les Lutins
Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers le monde surnaturel.
Pascal P. explique le choix du nom de son chalet : «C’est un petit bouquin d’enfant qui faisait penser à la montagne avec cet animal, le mistouflon. C’était la petite maison de la famille, de nous quatre avec les filles petites. C’était le coté amusant de ce nom et le coté amusant du premier chalet. C’est la consonance. Dans mistouflon il y a mouflon et c’était un truc quand même avec des corne.»
Pascal P. précise le «premier chalet» car celui-ci n’existe plus : sur la parcelle un nouveau chalet a été construit et celui-ci a également comme nom Le Mistouflon. Le choix du nom relève d’un attachement à la montagne, à la famille, et à l’architecture singulière du chalet. Le Dahut est, selon Roger Viret (2013 : 660), un «animal imaginaire et fantastique, ressemblant à un renard, qui a surtout la particularité d’avoir les pattes plus courtes d’un côté que de l’autre pour pouvoir se déplacer plus facilement dans les pentes ; il doit être impérativement chassé par une personne jeune et naïve». Le diable est le démon de la théologie judéo-chrétienne. Mais quand celui-ci est bleu, c’est le surnom désignant un chasseur alpin. Ces trois personnages sont donc spécifiques aux Alpes. Les lutins quant à eux apparaissent parmi les êtres surnaturels des légendes alpines, mais que ceux-ci ne sont pas spécifiques aux Alpes selon Lutz Röhrich (Röhrich, 1982 : 33).
52
Évocation d’un ailleurs
Res. principale
Habitats individuels Res. secondaire
Habitats collectifs et Indéterminé
résidences
Règne animal /
Kilima*
/
Caribou Bharal Le Panda
Les Arolles
L’Arolle
Règne végétal Amborella
Les Arolles
Zinnia If
Chalet Calluna Chalet Erica Tableau L :
Noms d’habitation évoquant l’appartenance à un terroir lointain à travers la faune et la
flore.
Trois immeubles portent des noms de mammifères : Caribou est le nom québécois du renne, le Bharal et Le Panda sont des animaux vivant dans les hautes montagnes asiatiques. Kilima est un genre d’araignées que l’on rencontre en zone afrotropicale (Wikipédia). Il est étonnant qu’un animal ayant une image négative soit utilisé pour nommer un chalet, ce nom a surement un autre sens pour ceux qui l’ont donné. Chalet Calluna et Chalet Erica appartiennent au même propriétaire, qui les a achetés et rénovés dans le but de les louer. Il explique ainsi son choix : «Nous cherchions un nom indicatif de notre nationalité : Ecossais. Le choix, Calluna et Erica, parce que la plante national d’Ecosse c’est le Heather ou Calluna Erica par le nom botanique.» (Roger A.)
L’Amborella est une espèce de plante endémique des forêts pluvieuses de NouvelleCalédonie. Le Zinnia est une plante que l’on trouve aujourd’hui en France pour ses qualités décoratives, mais cette plante est originaire d’Amérique du Nord et du Sud. L’If et L’Arolle sont deux conifères qui peuvent pousser aux Carroz, à condition qu’on les y plante. L’Arolle est un nom vernaculaire du pin cembro. J’avais d’abord classé celuici dans l’appartenance au terroir alpin (étant donné qu’il pousse dans les Alpes du Sud) avant de rencontrer Aline F., habitante des Carroz, avec qui j’ai évoqué la redondance des 53
Arolles : «Les arolles, il n’y en a pas un seul qui pousse par ici. Ça pousse dans les Alpes du Sud et il n’y en a vraiment pas ici. Du tout. Ici c’est pas du tout le secteur pour les arolles. A moins de le planter, c’est vraiment pas un arbre qui pousse spontanément ici.» (Aline F.)
En effet, les habitant du chalet Les Arolles m’ont confié: «Les Arolles c’est le nom du petit arbre qui est devant. C’est un pin en fait. C’est pas un arbre d’ici du tout. L’ancien propriétaire, un suisse, a planté cet arbre et a donné le nom au chalet.» (Alexandre V.)
A travers la faune et la flore tous les continents sont mis en rapport avec Les Carroz.
Res. principale /
Habitats individuels Res. secondaire Le Hoggar
Habitats collectifs et Indéterminé
Toponymes L’Espinoux
Illkirch
Le Vernay
La Couvagne
L’Allègrerie
résidences Eden Roc Chalets Norvégiens
Normandie Shangri-la Tableau M :
Noms d’habitation évoquant l’appartenance à un terroir lointain à travers les toponymes.
L’Allègrerie, La Couvagne, L’espinoux, Le Vernay et Illkirch sont des communes françaises respectivement en Isère, dans le Jura, l’Aude, le Rhône et en Alsace. Normandie est une région française. Le Hoggar est un massif montagneux du sud de l’Algérie. Shangri-La est un lieu imaginaire de l’Himalaya dans le roman Horizon perdu de l’écrivain américain James Hilton sorti en 1933 (Wikipédia). Eden Roc fait partie du comté de Hawaï (USA). Chalets Norvégiens : la Norvège est un pays du nord de l’Europe.
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Res. principale A l’Abade Tableau N :
Habitats individuels Res. secondaire L’Envolée
Habitats collectifs et Indéterminé
Déplacement L’Escapade
résidences /
Noms d’habitation évoquant l’appartenance à un terroir lointain par le déplacement.
A l’Abade est une expression savoyarde qui signifie au loin, loin de chez soi. Ces trois noms suggèrent un déplacement à partir d’un point de départ, chez soi. Mais là où A l’Abade et L’Escapade suggèrent un retour au foyer, ce n’est pas le cas de L’Envolée.
Res. principale /
Habitats individuels Res. secondaire
Habitats collectifs et Indéterminé
Monde surnaturel Le carré d’Oz /
résidences /
Tinn-Tamm Le Sotré Xochitl Iduzki Tableau O :
Noms d’habitation évoquant l’appartenance à un terroir lointain via le monde surnaturel.
Oz est un personnage du roman pour enfants Le Magicien d’Oz écrit par L. Frank Baum et publié aux États-Unis en 1900. Le Sotré est un lutin des récits populaires vosgiens. Tinn-Tamm est l’un des enfants perdus qui accompagne Peter Pan dans le roman de l’auteur écossais J. M. Barrie, écrit au début du 20e siècle et adapté en dessin animé par Walt Disney en 1953. Monsieur et madame M. ont acheté le chalet Xochitl après avoir vécu quelques temps au Mexique. Xochitl est, dans la mythologie aztèque, la première femme mortelle sur la terre. Ils ajoutent que ce nom signifie «fleur», que c’est également un signe du zodiaque aztèque et un prénom féminin. Enfin, dans la mythologie basque Iduzki est la déesse du soleil, la fille de Lur, la terre, qu’elle embrasse chaque jour entre ses bras. 55
Res. principale / Tableau P :
Habitats individuels Res. secondaire Altaïr
Habitats collectifs et Indéterminé
résidences
Astronomie La croix du Sud
/
Noms d’habitation évoquant l’appartenance à un terroir lointain via l’astronomie.
Altaïr et La croix du Sud sont des ailleurs extrêmement lointains puisqu’il s’agit d’une étoile et d’une constellation. Altaïr est visible des Carroz, mais pas La croix du Sud. Cette constellation fait référence à deux ailleurs : elle-même et le lieu d’où on peut l’observer.
Res. principale Ruca Mahuida
Habitats individuels Res. secondaire L’Oustalet
Habitats collectifs et Indéterminé
Architecture Toukoul
résidences Closeau Domaine du clos
Tableau Q :
Noms d’habitation évoquant l’appartenance à un terroir lointain via l’architecture.
Ruca Mahuida : en mapuche (langue amérindienne parlée par la communauté Mapuche au Chili et en Argentine) ruca est la maison traditionnelle et mahuida signifie la montagne (interpatagonia.com, Wikipédia). L’Oustalet est un cabanon en occitan. Toukoul est le nom donné à la hutte traditionnelle éthiopienne en bois et torchis, au toit de chaume (toukoul.be). Un Closeau est un petit clos ; un clos est une «parcelle cultivée et fermée de murs ou de haies» (Larousse). Hors ce type d’agriculture n’a jamais été pratiqué aux Carroz : les parcelles sont ouvertes. La seule parcelle fermée est celle du jardin potager, appelé jardin ou corti (Viret, 2013 : 549) et non pas clos.
56
Res. principale
Habitats individuels Res. secondaire
Habitats collectifs et Indéterminé
résidences
Divers Le Picoulet
L’Artimon
La Fioca
Oasis
/
Troïka Les Trappeurs
Rosbif Tableau R :
Autres noms d’habitation évoquant l’appartenance à un terroir lointain.
Picoulet : «En Suisse, ronde du folklore romand» (Larousse). La Fioca signifie la neige en italien. Mais alors que ce mot s’écrit généralement avec deux «c», il n’en comporte qu’un seul dans le Piémont d’où est originaire le propriétaire. L’Artimon est le mât arrière d’un voilier et la voile gréée sur ce mât (Larousse). Ce nom fait référence à un ailleurs où il y a la mer, où il y a des voiliers et donc des artimons. Oasis : «îlot de terrain, apte à la végétation et à l’habitation humaine, perdu au milieu d’espaces désertiques et dont l’existence est généralement liée à la présence de l’eau» (Larousse). Il n’y a pas de désert aux Carroz. Ce nom peut aussi être pris dans le sens : «toute situation qui offre une détente, un repos, qui se présente comme une exception au milieu de ce qui est désordre, trouble, etc.» (Larousse) où l’oasis est donc le chalet, le lieu de détente, par opposition à la résidence principale, à la vie quotidienne. Il s’agit donc d’un ailleurs spatial, mais aussi temporel : un temps de vacance hors du quotidien. Le bâtiment qu’occupait la boucherie a été réhabilité en chalet d’habitation et acquis par une famille anglaise qui l’a baptisée Rosbif, jouant ainsi avec humour sur différents sens de ce mot : le rosbif est de la viande, mais c’est aussi un surnom donné par les français pour désigner les anglais. Troïka : «en Russie, véhicule (traîneau, landau, etc.) traîné par trois chevaux attelés de front» (Larousse). Les Trappeurs : «chasseur de l’Amérique du Nord, qui chasse les animaux à fourrure et vend leurs peaux» (Larousse).
57
La mise en relation de l’ici et de l’ailleurs se fait par plusieurs procéder. Le premier consiste à fait nommer le logement carrozien par un nom d’une entité exogène (Chalet Calluna, Xochitl, Illkirch, etc). Au contraire, les noms tels que La Fioca et L’Oustalet désignent un élément local (la neige, le chalet) mais dans une langue étrangère. Oasis, A l’Abade et L’Escapade sous-tendent l’existence de deux lieux par le sens même de ces termes. Certains noms rapprochent l’ici et l’ailleurs par association d’idée : la montagne (Le Panda, Bharal, Ruca Mahuida, Shangri-La), le froid (Caribou, Troïka, Les Trappeurs), l’architecture (Chalet Norvégiens, Toukoul). Rosbif condense l’histoire du chalet lui-même (l’ici) et le lieu d’origine des propriétaire (l’ailleurs).
Le nom permet un discours sur soi, mettant en valeur ce qui est important pour les individus de la maisonnée. La première modalité, affirmant l’appartenance à un terroir, est la plus largement représenté, que ce soit pour les résidences principales ou secondaires. C’est avant tout le terroir des Carroz qui est cité. Ces noms montrent un attachement fort au lieu, ils clament le plaisir manifeste d’être ici. L’évocation d’un terroir, proche ou lointain, se lit dans la langue utilisée : français et savoyard ici ; langue maternelle des habitants ou langue choisie pour son caractère exotique pour l’ailleurs. Les noms mettent en valeur les éléments jugés pertinents du terroir : la faune, la flore, monde minéral, les toponymes, les termes de la géographie alpine, le monde pastoral, l’architecture, les phénomènes météorologiques, l’astronomie et les personnages imaginaires. Les animaux sélectionnés pour nommer un habitat sont des animaux sauvages mais jamais effrayants, parés de valeurs positives auxquels les habitants s’identifient. Les plantes sont sauvages, colorées et odorantes : ces noms dessinent un herbiers d’où sont exclues les plantes indésirables, perçues comme étant des mauvaises herbes. De plus, ce sont les plantes des étages montagnards, subalpin et alpin, mettant en relation l’habitation avec les sommets et l’éloignant de la vallée. Les termes issus de la géographie alpine et 58
les toponymes mettent également les habitations en relation avec les sommets, jamais avec la vallée. Ils montrent la fascination qu’exercent les cimes. Ces derniers dessinent une carte centrée sur les Carroz dont les contours sont les limites où porte le regard. Enfin, les noms peuvent manifester une nostalgie d’un autre temps, celui où vaches et hommes effectuaient des migrations saisonnières, ou la nostalgie d’un autre lieu. Ils servent alors à mettre en contact deux temps ou deux lieux. Les noms des habitats individuels, résidence principale ou secondaire, et des habitats collectifs sont très parallèles. Ils sont utilisés parce qu’ils véhiculent des valeurs à la fois de nature, de plaisir des sens, et d’ancrage territorial. Le grand nombre de noms d’habitats collectifs au sein de ce type de nom s’explique par le fait qu’ils cherchent à susciter l’adhésion des habitants. Celle-ci passe par l’appropriation. Et l’appropriation de ces noms est facilitée par le fait que ces noms font directement appel à des expériences sensorielles du monde physique.
59
2.2. Appartenance à une parentèle Habitats individuels Res. principale Res. secondaire Indéterminé Météore
Habitats collectifs et résidences
Prénoms et dérivés Chalet Constantine Chalet Thaïs*
Le Chalet Adénora
JeanFranPa
Chez Mani
Résidence Léana
Sim’ren*
Vé Fanfoué
Chalet Hazeldyn
Chez Sidenie
Chez Zéline
Chez Colette
Frandeleine*
Chalet Felycia
Patiluna*
Alceguy*
Opi Rafaelsa* Schany* Chez Olga Victorine Gîte Renand
Patronymes et dérivés La Huguetière Chalet Verentti
Chalet Petrozzi
Pfeiffer
Chez Bajul
Ruskamp
Val Renand
Villa Caterina /
Membres de la parentelle réelle ou éléctive Grany /
/
La folie de grand-mère Ô Dadou Chalet deux frères Les cinq frères Sixamis Toi et moi Ex-aequo* Duo La Tribu Tableau S :
Noms d’habitation évoquant l’appartenance à une parentèle
60
Une seconde modalité de discours sur soi est la revendication de l’appartenance à une parentèle. Dans cette catégorie, contrairement aux autres, je me suis permise d’inclure mes hypothèses (suivit d’un astérisque dans le tableau) : certains tels que Rafaelsa ou encore Alceguy laissent assez facilement deviner une composition à partir de plusieurs prénoms ; Schany et Chalet Thaïs demanderaient plus de vérifications.
Un premier procédé est l’usage des prénoms ou des dérivés de prénoms pour les noms des habitations : JeanFranPa provient de l’agglomération de la première syllabe des prénoms des trois fils des propriétaires du chalet, Jean, François et Patrick. Comme le remarque Anne Chaté (2005 : 69), ce procédé montre la volonté de lier des destinées, de les fusionner. La majuscule au début de chaque syllabe donne un indice de cette combinaison, tout comme l’apostrophe au milieu de Sim’ren. Parfois, rien ne laisse présager qu’un tel procédé est à l’œuvre tel que pour Météore et Hazeldyn. Un chalet construit récemment n’a pas encore de nom, mais la question se pose actuellement. L’une des possibilités évoquées par la propriétaire pour ce chalet est Météore. Il s’agit de la combinaison des prénoms de tous les membres de la famille nucléaire : Mélanie, Théophile, Odile, René. Mais, jouant sur la multiplicité des niveaux de langage, ce nom à une autre signification : il a fallu creuser la roche pour implanter le chalet, de la même manière qu’un météore créé un cratère. Les propriétaires de Chalet Hazeldyn sont anglais. Ils expliquent ainsi leur choix : «Hazeldyn est la combinaison des prénoms de mes parents. Hazel et Hayden. Ils sont décédés en janvier et août 2011. Nous avons pu acheter le chalet uniquement grâce à l’argent qu’ils m’ont légué, donc cela semblait légitime de dédier le nom du chalet à mes parents. [...] Quand j’étais petite mes parents avaient appelé une maison dans laquelle nous vivions Hazeldyn, nous avons été très heureux dans cette maison. Nous avons été très heureux dans le chalet.» (Ingrid V., communication par email, ma traduction)
Il y a donc à la fois un hommage à la mémoire de deux membres de la parentèle décédés, Hazel et Hayden, et une référence à une précédente maison que ces deux individus avaient nommé à partir de leur propres prénoms. Quant aux prénoms, en dehors de Vé Fanfoué (chez François en savoyard), il s’agit uniquement de prénoms féminins : Chalet Constantine, Chez Zéline, Chez Olga, Victorine, Chalet Thaïs, Chez Mani, Chez Sidenie, Chez Colette, Chalet Felycia. Le Chalet Adénora 61
et Résidence Léana sont des immeubles construits par un même promoteur : MGM Constructeur. Ces deux noms font partie de la stratégie marketing de ce promoteur : «dans le marketing, le storytelling conduit à présenter le produit comme ayant une histoire qui lui fait incarner certaines valeurs, le consommateur achetant le produit pour montrer son accord avec ces valeurs qu’il partage» (Berut, 2008 : 129).
En effet, sur son site internet11, ce constructeur propose à ses clients d’acheter un appartement dans «une station authentique». La Résidence Léana «remplace l’hôtel Arbaron, pionnier de la station» et Le Chalet Adénora est «un parfait reflet de l’esprit chalet montagnard». MGM Constructeur propose une narration qui ancre ces deux immeubles dans l’histoire des Carroz et dans l’architecture vernaculaire. Pourtant, ces deux prénoms ne sont pas savoyards : la clientèle visée par MGM est internationale, ces prénoms doivent évoquer des images féminines à tous. J’ai ajouté Opi dans les prénoms, bien qu’il s’agisse du nom donné initialement à une marmotte apprivoisée, car une fois nommée et apprivoisée «elle faisait partie de la famille» (France T.). Les hommes quant à eux sont nommés par leur patronyme. Elise R., une voisine du Repos des Marmottes, qui s’appelait autrefois Chalet Petrozzi explique : «Chalet Petrozzi, c’était le nom du grand-père. Sa fille vivait là aussi mais elle s’est marié. Petrozzi c’était le grand-père.». Idem pour Chez Bajul, Aline F. raconte : «Je crois qu’ici avant ça s’appelait Chez Bajul, mais aujourd’hui il n’y a pas de nom. C’était un cordonnier Bajul. Je crois.». Mais bien que ces noms désignent un homme en particulier, ils replacent celui-ci dans sa parentèle via son patronyme. Ruskamp est le patronyme de la famille qui a acquit ce chalet La Folie de Grand-mère lorsque celui-ci a été construit. Le patronyme est affiché sur la façade au même titre que le nom du chalet. Ainsi ils affirment leur existence. Aujourd’hui ce chalet appartient à la fille des propriétaires initiaux, suite à un mariage elle a changé de patronyme. En conservant ce panneau, elle conserve l’histoire commune du chalet et de sa famille.
11 http://www.mgm-constructeur.com 62
Fig. 22 : Chalet Ruskamp (affiché à gauche) / La Folie de Grand-mère (affiché à droite) (Le Mouël, 2015).
Le terme «chez» suivit d’un prénom ou d’un patronyme indique que le locuteur est extérieur au foyer. Ce sont des noms oraux qui ont été inscrits par la suite. Dans le cas de Chez Olga, ce nom n’est pas inscrit sur le chalet. La mémoire de qui fut Olga s’est perdue, mais le nom a perduré. Le terme «chalet» suivi d’un prénom ou d’un patronyme fait du foyer une extension de la personne ou de la parentèle. La Huguetière est un nom dérivé du patronyme Huguet : «Mes parents avaient acheté ce chalet en 1965, le chalet La Huguetière. Parce que ma maman, qui n’avait pas du tout ce nom là, elle s’appelait M., avait un papa qui s’appelait Monsieur Huguet, H-U-G-U-E-T. Monsieur Huguet était son papa et avait une ferme. Mon grand-père est décédé et au début maman n’a pas pu avoir son héritage parce qu’elle devait partager la ferme avec son frère. Mais c’est son frère qui a gardé toute la ferme, forcément, pour pouvoir l’exploiter. Et maman n’a pas eut tout de suite cet héritage. Et le jour où elle a eu cet héritage elle a, avec mon père, décidé d’acheter un chalet dans la montagne. Et donc ils ont cherché partout. Et donc comme ça faisait partie de son héritage, de son père, qui s’appelait Monsieur Huguet, on a appelé ça tout simplement, tout bêtement, La Huguetière. [...] Maman voulait que ce soit l’un de ses enfants qui le reprenne ou alors elle disait bon bah on va le revendre. Moi je trouvait que c’était trop bête de le revendre. Avec mon mari on avait décidé de l’acheter. [...] Ca s’appelle «La Huguetière» : c’est l’endroit où il y a les descendants Huguet.» (Marie P.).
Ce chalet a toujours été la résidence secondaire de la famille, et aujourd’hui Marie P., ses enfants et ses petits-enfants viennent y passer les vacances. Pour Marie P. le nom de ce chalet est important et permet de transmettre l’histoire familiale. Enfin, un troisième procédé pour afficher son appartenance à une parentèle est d’utiliser 63
le nom d’un membre de cette parentèle. Grany et Ô Dadou sont les surnoms respectifs de la grand-mère et du grand-père de ces familles. Un surnom est quelque chose d’intime. En l’affichant ainsi publiquement, c’est l’affection qui existe entre les membres d’une parentèle qui est mis en avant. Ces deux noms, ainsi que La folie de Grand-mère mettent l’accent sur un seul membre de la famille, tout en le reliant à sa parentèle. Ceci peut être pour son rôle déterminant dans l’histoire commune du chalet et de la famille : «Ma mère avait un caractère indépendante. Et elle a reçu de sa mère, après la mort de ses parents, une somme d’argent. Et moi je n’avais pas une bonne santé. Avec l’asthme. Et elle, elle savait que l’air de montagne c’était bon pour l’asthme. Et elle a voulu avoir quelque chose à la montagne pour tous ses enfants. Mon père n’aimait pas cette idée, parce que mon père aime la sécurité. Tout secure. Et s’il n’était pas secure d’acheter le chalet ? Et la folie s’appelle, pour nous c’est parce que ma mère était folle d’acheter une maison et c’est aussi le mot pour dire une petite maison. [...] C’était ma mère elle-même [qui a donné le nom]. [...] Elle avait déjà trois petits enfants à ce moment là. [...] La suite était : nous avons acheté la maison en 2004, le jour avant que j’étais grand-mère ! Parce que ma petite-fille est née le 28 janvier et nous avons acheté le 27 janvier. Les papiers ont été changés. Alors moi je suis la deuxième folie de grand mère !» (Lise T., néerlandaise, entretien en français)
Le terme «grand-mère» a donc désigné deux femmes différentes au cours de l’histoire de ce chalet. Le nom du chalet suit l’histoire de la famille. Chalet Deux Frères et Les Cinq Frères mettent en avant des fratries. Mais ces noms ne laissent pas la place à une nouvelle naissance : ils figent dans le temps une situation donnée. Le nom Les Cinq Frères a été choisi par la mère de ces cinq garçons alors que le nom Chalet Deux Frères a été choisi par ces frères eux-mêmes, qui ont acheté ensemble ce chalet, premier d’une série de chalets qu’ils ont acheté afin de les louer. Il est à noter que les propriétaires de La folie de Grand-mère sont néerlandais et ceux de Chalet Deux Frères sont anglais : ils ont choisis des noms français pour montrer leur attachement au lieu. Toi et Moi met en avant le couple conjugal. Duo est le nom d’un seul chalet coupé en deux logements, il s’agit donc d’un duo de foyers, un duo de parentèles. Bien qu’ayant des foyers séparés, ils ont choisi un nom commun qui les réunit. Je n’ai pas d’informations relatives à Ex-æquo, mais je l’ai fait apparaître dans cette catégorie car il faut être au moins deux, issus d’une même famille ou non, pour être ex-æquo. Sixamis est un chalet qui a été acheté par trois couples en tant que résidence secondaire. Il s’agit également d’une parentèle élective : ils choisissent de recréer un foyer temporaire, durant les vacances, ensemble. Enfin, La Tribu évoque l’image d’une très grande famille. 64
La profondeur généalogique mise en jeu dans les noms pour lesquels j’ai des informations est la suivante: - une génération : Chalet Deux Frères, Les Cinq Frères, Toi et Moi, Sixamis, Chalet Constantine, JeanFranPa, Chez Zéline, Chez Olga, Victorine, Chez Mani, Vé Fanfoué, Chez Sidenie, Chez Colette, Chalet Felycia - deux générations : Chalet Hazeldyn - trois générations : Grany, Ô Dadou, Chalet Petrozzi - quatre générations : La Folie de Grand-mère - six générations : La Huguetière Donc, bien que la mémoire familiale soit une raison du choix d’un nom évoquant l’appartenance à une parentèle, cette mémoire ne remonte pas à beaucoup de générations. Mais n’oublions pas que la plupart de ces noms sont des résidences secondaires, que le tourisme s’est massivement développé à partir des années 1960, et que, par conséquent lorsque ces chalets sont restés dans une même famille ils n’ont été transmis qu’à une génération. L’histoire commune de ces résidences secondaires et de la famille propriétaire est relativement courte.
Nous avons donc vu que l’affichage de l’appartenance à une parentèle peut se faire à travers des prénoms - ou dérivés-, des patronymes -ou dérivés-, ou la citation d’un ou plusieurs membres de la parentèle - réelle ou élective. Contrairement aux maisons des Pyrénées centrales et occidentales, les particularités physiques ou les métiers des habitants ne sont pas utilisés comme nom (Bonnain, 1988). Le choix de cet affichage de l’ancrage affectif peut être un hommage à un ou plusieurs ancêtres, surtout lorsque l’achat du chalet fait suite à un héritage. Cela lie la mémoire et 65
la destinée de la famille à celle du bien immobilier. Cela ancre dans le temps une situation donnée : une fratrie, une amitié. Mais ces noms ne laissent pas la place aux changements (naissance, vente, ...). Les femmes sont nommées par leur prénom, unicisées ; les hommes sont nommés par leur patronyme, rattachés à une parentèle. Enfin, utiliser des prénoms fictifs dans le cadre de la vente immobilière pour suggérer une narration est une technique marketing.
66
2.3. Valeurs et goûts
Res. principale
Habitats individuels Res. secondaire
Habitats collectifs et Indéterminé
résidences
Exposer sa réussite /
Rêve Alpin
/
/
/
/
/
/
N’ot P’tite Folie Ma Campagne Le Repaire Humour /
Symarse Beau’tanik Religion
/
Saint Maximin St Michel
Op Tracken
Loisirs : autour du ski Le Talon Libre Maléfice
Le Ski d’Or
Glissando
Le Club
CAR1 (Club Alpin
Orée des Pistes
de la Roseraie)
Chalets Belles Pistes Escale Blanche
/ / / Tableau T :
1
Loisirs : autres / Toboggan Luxe Cachemir / Maximes Carpe Diem Sém Scià
/ / /
Noms d’habitation évoquant la réussite personnelle, les goûts et les valeurs.
CAR appartient au Club Alpin de la Roseraie, où les membres du club peuvent
séjourner pour pratiquer des sports de montagne (raquettes, ski de fond et de randonnée, ski alpinisme, escalade sur cascades de glace, randonnées, escalade, alpinisme, via ferrata) 67
La troisième modalité de discours sur soi concerne les valeurs et les goûts. Les personnes utilisant ces noms font référence à l’essence de leur vie : ces noms révèlent ce en quoi ils croient, ce pour quoi ils ont œuvré. La réussite personnelle peut être la réussite de la vie de famille à travers les prénoms (voir §2.2 Appartenance à une parentèle). Cela peut également être la réussite matérielle et immobilière : Rêve Alpin, exprime de manière explicite l’achèvement d’un but, tout comme Ma Campagne, Le Repaire et N’ot P’tite Folie. Ce dernier exprime également la modestie par l’utilisation de «p’tite». Il peut également s’agir de valeurs religieuses à travers des noms de saints : Saint Maximin, St Michel. Les maximes utilisées comme nom montrent quant à elles un état d’esprit : Carpe Diem, locution latine traduite en français par «cueille le jour présent sans te soucier du lendemain», Sém Scià, locution de la Suisse italienne signifiant «nous sommes là». Les noms relevant du champ lexical du ski montrent l’attachement des habitants aux sports d’hiver. Op Tracken est une technique en ski : «à skis, mouvement rapide de repli des jambes sous le corps permettant un saut contrôlé pour éviter un décollage intempestif au passage d’une bosse ou d’une rupture de pente.» (Larousse). Le Talon Libre est le surnom du télémark. Ces deux noms sont des termes d’initiés, inconnus même des skieurs ordinaires. Maléfice est le nom d’une piste noire (difficulté maximum, réservée aux meilleurs skieurs) du domaine skiable des Carroz ; la même couleur que le chalet. Glissando est un jeu de mot entre le terme musical qui désigne un glissement continu d’une note à une autre et les sports de glisse. Ce dernier nom relève donc également du jeu de mot, de l’humour. Beaucoup de noms jouent sur la multiplicité des sens (voir par exemple Météor au §2.2). Symarse et Beau’tanik sont également des jeux de mots. Cette modalité de discours sur soi est relativement peu développée (22 occurrences), et quasiment absente des noms des résidences principales. Les habitants des Carroz n’affichent pas leurs valeurs ou leurs goûts via le nom de leur habitation. On peut donc y voir une forme de modestie, qui fait écho à celle consistant à ne pas afficher son existence personnelle mais uniquement son existence au sein d’une parentèle. 68
2.4. Parer
Le nom d’un logement peut parer celui-ci de deux manières : symboliquement et matériellement. En effet, le nom, les mots choisis pour nommer, peuvent être une parure en eux-mêmes. Mais l’objet, le support matériel de ce nom, participe également de la décoration de l’habitat.
La parure symbolique L’enjolivement symbolique joue sur la puissance évocatrice des mots. Aucun nom n’est chargé d’image négative (maladie, mort, etc). Mais certains noms ont une dimension esthétique contenue dans leur sens. Ainsi, certains noms tels que Mille et une Neiges et I des Neiges enveloppent ces chalets du scintillement de la neige. Idem avec les noms d’étoiles ou de pierres précieuses. Les fleurs quant à elles évoquent leur couleur, comme le blanc de l’Edelweiss ou de rose vif des Rhodos. Ceci est d’autant plus vrai quand celle-ci est citée : Les Chardons bleus, ou que la fleur est dessinée sur le panneau. Les fleurs font également appelle à un autre de nos sens, l’odorat, en suggérant leur parfum : Muguet, Lys, etc.
Fig. 23 : Panneau du chalet La Gentiane, sur lequel le nom du chalet est inscrit et la fleur de gentiane est représentée (Le Mouël, 2015).
69
Fig. 24 : Panneau du nom du chalet Virofleur, paré de dessins de fleurs (Le Mouël, 2015).
Les baies également sont des points de couleurs : le violet des myrtilles (Les Ambourzalles, Les Airelles) ou le rouge des cerises (Les Cerisiers).
Fig. 25 : Panneau du nom du chalet Les Ambourzalles (Le Mouël, 2015).
Enfin, l’utilisation du mot «beau» et de ses dérivés entre également dans la parure symbolique : Belalp, Beau’tanik, Chalet belles pistes. On voit dans le tableau suivant que ce type de parure symbolique est utilisé aussi bien pour les habitats individuels que collectifs, aussi bien pour les résidences principales que les secondaires. Néanmoins, les résidences principales, restant dans un registre esthétique plus sobre, ne font appelle qu’aux fleurs.
70
Res. principale
Habitats individuels Res. secondaire
Habitats collectifs et Indéterminé
résidences
Scintillements Rayons d’Soleil Mille et une Neiges Le Ski d’Or
/
Altaïr
/
I des Neiges
La Croix du Sud Pierres et matières précieuses Azurite /
Améthyste
Cristal
Cristal
Krystal
Cristallière
Cachemire La Gentiane
Fleurs et baies Les Chardons bleus La Renouée
Fleur’Alpes
Epilobe
Les Carlines
Astrance
Edelweiss
Les Ambourzalles
Les Soldanelles
Les Cerisiers
Carline
La Valériane
Le Rhodo
Virofleur
Anémone
Les Lupins
Chalet Calluna
Airelles
Chalet Erica
Génépy
Zinnia
Campanules Muguet Lys Rhodos Silène Athamante Armoise Martagon Oeillets Ferme Amarelle
/ Tableau U :
Champ lexical du beau Bel Alpe Beau’tanik
Chalet Belles Pistes
Tableau des noms d’habitations qui sont en eux-mêmes une parure
71
Par ailleurs, un autre moyen de parer symboliquement un habitat est d’utiliser un nom qui évoque un autre type d’habitat plus valorisant. De cette manière, de nombreux immeubles ont un nom qui inclus le mot «chalet» ou encore «ferme». Ces termes ne servent pas à décrire une réalité mais à convoquer un imaginaire. Sauf dans le cas de la Ferme Amarelle, qui est une ancienne ferme transformée en habitat collectif : le nom rappelle l’histoire du bâtiment. Les résidences, qui sont des groupement de logements collectifs ou individuels issus d’une même opération immobilière et ayant ainsi une très forte unité architecturale utilisent le même procédé en convoquant l’imaginaire du «hameau» : «groupe de maisons rurales situées hors de l’agglomération principale d’une commune» (Larousse). Ces opérations immobilières ne sont en rien des hameaux, mais encore une fois ces nom convoquent un imaginaire pour parer les résidences des vertus des hameaux. Les chalets, les fermes et les hameaux relèvent du monde rural, alors que les immeubles et les résidences relèvent du monde urbain. Ces noms traduisent une quête de pittoresque. Immeubles Chalets belles pistes
Résidences Hameau d’Olivia
Chalets de jouvence
Le hameau des Clarines
Chalets Norvégiens
Domaine du Clos
Le Chalet des Rousserolles
Jardins Alpins
Les Mazots Chalets plein Sud Chalet des neiges Le Chalet Adénora Les fermes du soleil Ferme Amarelle Tableau V :
Tableau des noms d’habitations qui font référence à un autre type d’habitation
J’ai pu relever deux cas où un procédé similaire est utilisé : Résidence Lou Caca Tire et Cabane du Petit Ange, respectivement des anciens toilettes et un parking privé couvert, ce sont donc des annexes de l’habitation principale. Ces annexes ont un nom qui les élève 72
au rang d’habitation. Résidence Lou Caca Tire joue sur le registre de l’humour par le contraste entre Résidence (ici dans le sens d’une habitation confortable) et Lou Caca Tire (les toilettes en savoyard). Le propriétaire, Henri G., n’a pas désiré nommer l’habitation principale, une ancienne ferme, qui n’avait pas de nom lorsqu’il en a hérité. Mais il a rénové la toiture de ces toilettes, attenants au jardin potager qui existe encore et à un bassin en pierre. Autrefois, les excréments récoltés dans les toilettes servaient à fertiliser le jardin potager. Cette pratique n’est plus d’actualité et les toilettes sont désormais à l’intérieur de l’habitation principale. Il s’agit de l’un des derniers, si ce n’est le dernier, toilette de ce type aux Carroz. Il sert aujourd’hui à entreposer les outils de jardin de Henri G.. Ainsi, par le nom d’une annexe de son habitation et grâce à l’humour, Henri G. valorise l’histoire de toute son habitation.
Fig. 26 : Résidence Lou Caca Tire (Le Mouël, 2015).
73
Le nom peut donc être une parure symbolique en fonction du nom choisi. Mais pour tous les noms une attention est portée à l’aspect matériel de celui-ci dans la parure de l’habitation. Il s’agit d’une attention aux matériaux utilisés, à l’emplacement sur la façade, et enfin aux aspects graphiques.
La parure matérielle : matériaux
rés. principale rés. secondaire indéterminé TOTAL Tableau W :
Bois Métal Pierre 82 % (28) 6 % (2) / 67 % (67) 22 % (22) 1 % (1) 77 % (43) 12 % (7) 5 % (3) 73 % (138) 16 % (31) 2 % (4)
Autre / 6 % (6) 2 % (1) 4 % (7)
Inconnu 12 % (4) 4 % (4) 4 % (2) 5 % (10)
Tableau des pourcentages de matériaux utilisé en fonction de la résidence, dans le cas des
habitats individuels (le nombre d’occurrences apparait entre parenthèses).
Pour les habitations individuelles, qu’il s’agisse de résidences principales ou secondaires, le bois est le matériau très largement privilégié comme support pour le nom. Vient ensuite le métal, qui est utilisé dans 16% des cas. Enfin, l’usage d’autres matériaux est marginal : la pierre (4 occurrences), le verre (1 occurrence), la terre cuite (2 occurrences), le papier plastifié (1 occurrence) ; sans support : gravé et peint sur une poutre du chalet (1 occurrence), peint sur le chalet (1 occurrence), peint uniquement sur la boite au lettre (1 occurrence). Enfin, pour 10 noms je ne connais pas le matériau soit suite à un oubli lors du relevé (3 occurrences), soit parce qu’il ne m’a pas été permis de m’approcher suffisamment pour lever le doute quant au matériau utilisé (7 occurrences).
Le bois se présente de différentes façons. Le support le plus courant est une planche de bois gravée, pyrogravée et/ou peinte. Parfois, la planche peut être travaillée de façon à faire apparaître les lettres en relief. Enfin, on peut trouver des lettres découpées.
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Fig. 27 : Planches en bois creusées (Le Mouël, 2015).
Fig. 28 : Planches en bois peintes (Le Mouël, 2015).
Fig. 29 : Planches en bois creusées et peintes (Le Mouël, 2015).
Fig. 30 : Lettres en relief et lettres découpées (Le Mouël, 2015).
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La planche de bois est généralement une contre dosse. La contre dosse, qui ne présente d’aubier que sur les chants, peut être utilisée comme planche si on le désire mais après un second débit. Néanmoins, dans le cadre des noms d’habitations l’aubier et l’écorce sont généralement conservés, les contours sont donc irréguliers et des nœuds sont souvent visibles.
Fig. 31 : Schéma du débit du bois dit « sur dosse » (Bois Le Bouvet, date inconnue)
Voici le processus de fabrication d’un panneau en bois tel qu’il m’a été décrit par André H., propriétaire d’un chalet aux Carroz d’Arâches où il se rend pour les vacances en famille. André H. habite en région parisienne. C’est l’un de ses collègues de travail et ami qui lui a donné la planche de bois qui servira de support. Cette planche est une contre-dosse, que mon interlocuteur appelle une queue d’hirondelle. Queue d’hirondelle qui provient d’une scierie qui l’a elle-même donnée au collègue d’André H. : les contredosses sont des chutes lors du débit du bois. Pour fabriquer le nom de son chalet, André H. a tout d’abord choisit sur son ordinateur une police d’écriture cursive, c’est à dire simulant l’écriture à la main, ainsi que la taille de cette police. Cette police d’écriture sert à accentuer l’aspect «fait main». Il a imprimé le texte avec son imprimante domestique. Il s’est ensuite installé dans son garage, sur son établi, et a utilisé ses propres outils de 76
bricolage : crayon de chantier, règle, ciseau à bois, maillet, papier de verre et pinceaux. Il a tracé au crayon un quadrillage sur son modèle en papier, a tracé un quadrillage identique sur la planche de bois, et a reporté le texte utilisant comme repère les points d’intersection des contours des lettres avec le quadrillage. Il a ensuite creusé le texte au ciseau à bois, formant ainsi une gouttière d’un centimètre de profondeur. Pour cela, l’extrémité du ciseau à bois est posée contre la planche, le côté biseauté placé du côté de la matière que l’on souhaite retirer. Il faut ensuite frapper l’extrémité du ciseau à bois au maillet pour retirer de la matière par touches successives. La gouttière est poncée au papier de verre. Il a ensuite peint les lettres en noir et, une fois la peinture sèche, il a recouvert l’ensemble de verni. Plus tard il a emmené ce panneau dans sa résidence secondaire aux Carroz et l’a vissé à la façade de son chalet. Lorsque les panneaux sont fabriqués par un membre de la famille à partir d’une planche de bois, tous les processus de fabrication qui m’ont été décrit suivent sensiblement le même déroulement : le panneau est réalisé dans un espace de la maison dédié au bricolage ; un modèle est réalisé à la main ou à l’ordinateur et est reporté sur le support, ou directement réalisé au crayon (c’est à dire effaçable, modifiable) sur le support ; lorsqu’il est creusé, l’intérieur des lettres est creusé au ciseau à bois ; l’intérieur des lettre est peint avant que la surface totale soit vernie. André H., comme mes autres interlocuteurs, justifie l’utilisation de cette méthode par le fait qu’il s’agit de techniques qu’il maitrise et que le bois gravé et verni résistera aux intempéries. Le choix du bois est ressenti comme «évident» : «c’est comme ça qu’on fait ici» (Catherine F., carrozienne). L’un de mes interlocuteur a justifié son choix ainsi : «le chalet c’est le bois» (Hervé M., propriétaire d’une résidence secondaire aux Carroz). En lui demandant par la suite de me préciser ce qu’il entendait par cette réponse, il m’a répondu : «je n’aurais pas imaginé utiliser quelque chose qui ne soit pas naturel à la montagne. Et puis ici c’est le bois qui règne partout : les chalets, les barrières le long de la route... même les panneaux de signalisation ils sont entourés de bois ! [mouvement du menton vers un panneau de signalisation] D’ailleurs c’est bien plus joli» (Hervé M.)
Explication qui fait écho à celle de André H. à propos du choix de la queue d’hirondelle : «Parce qu’on trouvait ça plus sympa. Mais après pourquoi on trouvais plus sympa... Plus brut,
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plus montagne. Une planche droite aurait fait plus citadine» (André H.)
Le choix du bois se justifie donc par la reproduction d’une pratique établie, par la possibilité de fabriquer soi-même l’objet et enfin par un choix esthétique qui relie le chalet à la nature. Les noms en métal sont réalisés par des artisans. Les quatre techniques que j’ai observées sont le fer forgé, la tôle pliée, la plaque de métal gravée et la plaque de métal évidée. Les noms en fer forgés sont toujours en écriture cursive. Les autres prennent plus de libertés quant à la police, assumant leur identité d’objets manufacturés. La pierre et le verre gravés requiert également de faire appel à un artisan. Les quatre plaques de pierre et la plaque de verre sont sophistiquées et contrastent avec la rusticité des plaques de bois ou de fer forgé. Ces cinq plaques sont apposées sur des chalets qui ont été construits ou rénové récemment (inférieur à 15 ans selon mon estimation), sur des chalets dont les matériaux et la taille montrent l’aisance financière des propriétaires. Le choix de la pierre ou du verre et également un signe extérieur de richesse. Le chalet Xochitl, comme nous l’avons vu, porte un nom qui fait référence à un ailleurs, le Mexique. Le choix de la faïence a donc été fait consciemment, dans une recherche d’exotisme. Le propriétaire de ce chalet a acheté les carreaux de faïence et la colle, et a collé les carreaux sur la façade du chalet. Dans son discours, il valorise le fait de l’avoir «fait lui-même», bien que les lettres aient déjà été peintes sur les carreaux lorsqu’il les a acquit.
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Fig. 32 : Fer forgé et tôle pliée (Le Mouël, 2015).
Fig. 33 : Plaque de métal gravée et plaque de métal évidée (Le Mouël, 2015).
Fig. 34 : Lettres en faïence et affichette en papier plastifié (Le Mouël, 2015).
Fig. 35 : Plaque de pierre gravée (Le Mouël, 2015).
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Pour les habitats collectifs, le bois est également le matériau le plus répandu. Néanmoins, on voit des plaques récentes de métal ou encore de plastique. Le nom est alors imprimé, parfois accompagné d’un fond qui imite la texture du bois.
Fig. 36 : Plaque de plastique imitant le bois (Le Mouël, 2015).
La parure matérielle : emplacement L’emplacement où le nom d’un habitat est accroché est choisi avec soin. Comme nous l’avons vu, il est placé de façon à être lisible. Mais il est placé avec un souci esthétique et entre dans la composition de la façade. Il est placé de façon à accrocher l’œil, comme une mouche sur un visage. Ci-dessous, le chalet La Clairière est un exemple typique. Le nom est en bois et est accroché sur la partie crépie de la façade. Il ressort grâce au contraste de couleur avec le crépi beige, et la couleur de l’essence de bois choisie rappelle celle du bois de la partie supérieure de la façade. De plus, comme beaucoup de noms, il est penché, rappelant ainsi la signature d’un tableau. Penché et de forme courbe, il est en contraste avec les autres éléments de la façade qui sont orthogonaux et rectilignes. Enfin, le nom joue avec le numéro qu’il recouvre partiellement.
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Fig. 37 : Chalet La Clairière (Le Mouël, 2015).
Les noms sont parfois apposés juste au dessus de la porte d’entrée, accentuant l’axe de symétrie de celle-ci. Ou, au contraire, sur des façades symétriques, ils viennent casser la rigidité de la composition.
Fig. 38 : Porte d’entrée surmontée du panneau du nom du Châlet de la Craie du Pas de l’Âne et d’une fleur de chardon séchée (Le Mouël, 2015).
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La parure matérielle : aspects graphiques La couleur de la police d’écriture est souvent le blanc ou le noir, voir le marron, pour contraster avec le support : Ex-aequo est écrit en blanc sur une planche de bois foncée, tout comme Maléfices, ou encore Le Vent qui Chante ; St Michel est en noir sur une planche peinte en blanc ; Le Nant d’Orlier est en marron. Lorsqu’une autre couleur est utilisée, elle est généralement en harmonie avec d’autres éléments de la façade tels que les volets ou alors elle est en rapport avec le nom lui-même comme Les Chardons Bleus. Il est à noter que les noms en fer forgé sont souvent noirs, mais ils peuvent également être colorés.
Fig. 39 : Panneau du chalet Les Chardons Bleus (Le Mouël, 2015).
Par ailleurs, certains noms comme celui ci-dessus sont accompagnés de dessins. Il s’agit de fleurs, feuilles, arbres, animaux, flocons de neige, silhouettes de montagnes, ou encore blasons de la Haute-Savoie ou scène alpestre. Ces éléments sont des marqueurs d’un ancrage dans le territoire local. Il sont parfois en relation avec le nom lui-même : un dessin d’écureuil à côté de Casse-Noisette vient révéler le sens de celui-ci. Parfois ils n’ont pas de relation avec le nom et ont un simple but esthétique. Un panneau de bois est découpé et gravé de façon a représenter une chaussure de ski ; dessus un skieur est représenté en position de télémark. Ces deux éléments permettent de comprendre le nom, Le Talon Libre, surnom du télémark pour les connaisseurs.
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Fig. 40 : Éléments graphiques qui ne sont pas en rapport direct avec le nom : une marmotte et des montagnes enneigées pour Not P’tite Folie ; une silhouette de montagnes et des gentianes pour Sevannaz, à côté d’un blason de la Haute-Savoie (Le Mouël, 2015).
Fig. 41 : Représentation figurative du nom : La Bartavelle et La Fioca (la neige) (Le Mouël, 2015).
Fig. 42 : Éléments graphiques qui viennent soutenir la compréhension du nom : une chaussure de ski et un skieur de télémark pour Le Talon Libre (Le Mouël, 2015).
Fig. 43 : Élément graphique qui remplace un mot : I des Neiges (Le Mouël, 2015).
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Ne concentrons plus notre regard sur le nom mais sur l’intégralité de la façade, le nom prenant place dans une composition plus large. Les façades des chalets nommés, mais aussi celles des chalets sans nom, sont très décorées. Les objets qui ornent ces façades sont des cloches, des sonnailles et des clarines (cloches portées autour du coup par le bétail, les secondes étant plus lourdes que les premières); divers objets en bois généralement des outils ou des objets en rapport avec la vie agricole (roues, tonneaux, casse-cou : hotte pour remonter la terre). On voit parfois d’anciens skis en bois et des luges en bois. Des poyas ornent également les façades. Les poyas sont des peintures sur bois profanes, qui représentent la montée à l’alpage. Venant de Suisse, elles se sont diffusées jusqu’en Haute-Savoie. Nathalie Langlais, peintre contemporaine de poyas, en parle ainsi : «Ce terme (du latin podere, monter) désignait initialement en patois gruérien le chemin qui menait à l’alpage, chemin qu’empruntaient les fermiers avec leur famille, leur bétail et tout le matériel nécessaire à la vie quotidienne en montagne ainsi que celui servant à la fabrication du fromage. Vaches, taureaux, chevaux, cochons, chèvres, moutons, chiens faisaient partie de cette procession qui, dès le début du XIXe siècle, inspira nombre de peintre du canton de Fribourg. Porteuse des promesses de félicité et de prospérité de la belle saison, cette scène souvent naïve était réalisée sur un support en bois que l’on accrochait au fronton des granges en gage de bonheur et faisait la fierté de leur propriétaire heureux d’exposer la richesse de leur cheptel.» (Langlais, Scheinkman, 2010 : 3)
Les vaches, personnages centraux des poyas, sont représentées de profil. Le cadre est le chemin qui monte à l’alpage ou le village d’alpage, L’En Haut, terme qui a donné son nom à un chalet. Les scènes alpestres qui accompagnent certains noms sont elles aussi des poyas. Mais elles ne représentent plus le cheptel du propriétaire du chalet et ne sont pas accrochées sur la grange mais sur l’habitation. Les poyas comme les autres objets exposés ont perdus leur utilité première. Ils ont aujourd’hui un double but : esthétique et de mémoire. Il peut s’agir de la mémoire d’une histoire personnelle : Alain P., retraité, gardait des vaches étant jeune ; aujourd’hui il peint des poyas qui décorent l’intérieur et l’extérieur de son chalet. Mais cela est parfois un clin d’œil à l’histoire du village sans être rattaché à une histoire personnelle. C’est pour les mêmes raisons qu’une sculpture de vache a été placée sur une façade : je vois dans celleci une forme contemporaine de poya.
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Fig. 44 : Chalet d’ Alain P., qui n’est pas nommé mais qui est décoré de poyas, d’outils et de skis en bois, et zoom sur l’une des poyas (Le Mouël, 2015).
Fig. 45 : Poya accrochée au dessus d’une porte d’entrée et sculpture de vache (Le Mouël, 2015).
Fig. 46 : Panneaux des noms des chalets L’En Haut et Rêve Alpin ornés de poyas (Le Mouël, 2015).
Fig. 47 : Panneau de la Ferme Amarelle ornée d’une poya réduite au strict minimum : une vache et son pâturage (Le Mouël, 2015).
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La parure peut être d’une part symbolique, grâce à la puissance évocatrice des mots. Il s’agit des fleurs, des pierres précieuses ou encore des scintillements de la neige. Ils s’adressent à nos différents sens, vue, odorat et goût. Un autre moyen de parer symboliquement un habitat est d’utiliser un nom qui évoque un autre type d’habitat plus valorisant, relevant d’une quête de pittoresque. Une attention est portée à l’objet matériel support du nom. Le bois est le matériaux le plus largement répandu, valorisé pour son origine naturelle et sa pérennité. L’utilisation du bois relève également de la reproduction d’une pratique établie. Les panneaux sont tous fait main, par les propriétaires ou par un artisan, jamais industrialisés. Il en résulte que chaque panneau est unique. Ceci, avec la recherche d’unicité du nom, insiste sur l’aspect individualisant du nom propre. Des dessins, également réalisés à la main, viennent décorer ces panneaux. Ils représentent des éléments physiques du contexte proche (fleurs, flocons de neige, montagnes, etc). Certains noms réactualisent la pratique des poyas, peintures sur bois profanes, qui représentent la montée à l’alpage. L’emplacement de ces panneaux sur la façade est réfléchie. Ils entrent dans une composition établie, ou y répondent en contrepoint. Ces compositions comprennent les modénatures de la façade, mais également des objets en bois.
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3. Marquer son appartenance
Les destinataires du nom de l’habitation sont multiples. Tout d’abord, il y a le passant, qui reçoit une information sur les habitants de la résidence sans qu’il n’ait à la chercher, ou même sans qu’il le souhaite. N’oublions pas que le nom signifie toujours plus que ce que l’on perçoit de l’extérieur. Ensuite, le destinataire est le groupe social, auprès duquel les habitants affirment leur existence et leur appartenance. Les membres du groupe perçoivent des sens du nom, par exemple en utilisant une langue commune, que les personnes hors de la communauté ne perçoivent pas. Enfin, il y a les habitants du logement concerné, et éventuellement leurs proches, qui connaissent toutes les subtilités des différentes significations du nom. Le nom des habitations délimitent un monde partagé. Quelles représentations du monde ces noms mettent-ils en évidence ? Quelle est la pérennité des noms dans le temps ?
3.1. Appartenance au village
Appartenir à une station de ski Aux Carroz, un peu plus de deux chalets sur cinq portent un nom affiché. Sur la même commune, à Arâches, village en relation directe avec Les Carroz situé à 3km, les chalets nommés sont très minoritaires. Toujours sur la même commune, au hameau de La Frasse, à 5km, je n’en ai vu que trois sur une trentaine de chalets. En revanche, à La Clusaz, qui est situé à 50 km des Carroz, et au Grand Bornand, à 45 km, nommer les chalets est une pratique répandue. Ce que ces villages ont en commun, c’est qu’ils sont des stations de ski ; ces villages se sont développés grâce au tourisme. Ce n’est pas le cas d’Arâches 87
et de La Frasse. En nommant leur logements, les propriétaires de chalets aux Carroz participent à la reproduction de l’identité de station de ski, par cette pratique commune, par opposition aux simples villages d’altitude qui ne sont pas directement reliés à un domaine skiable. Donner un nom c’est se conformer à une tradition. Le nom est donc un signe d’appartenance à cette communauté. Le nom est d’autant plus un signe d’appartenance à une communauté lorsque l’effort est fait de choisir un nom en français lorsque cette langue n’est pas la langue maternelle du donateur du nom. Les propriétaires anglais de Chalet Hazeldyn, a qui j’ai demandé si le terme «chalet» est un jeu sur les deux langues, anglais et français, dans lesquelles ce mot s’écrit de la même manière, m’ont répondu que non : Chalet ici n’est que le terme français. Le propriétaire de La Merlette est également anglais, idem pour Chalet deux frères, La Ruche, etc.
Connivence et exclusion De plus, en nommant son habitation, le propriétaire s’adresse aux passants. J’appelle passant toute personne susceptible de lire le nom depuis la rue, piéton ou automobiliste, résidant dans le village ou non, quel que soit son motif pour se trouver en situation de lire le nom. En s’adressant au passant via le nom de son habitation, l’habitant créé une situation de communication, même fugace, avec celui-ci. Le passant à un rôle important : en étant le destinataire du nom, il est le témoin de l’existence du nom et donc de son référent. Il reçoit des informations sur les habitants de la résidence sans qu’il n’ait à les chercher, ou même sans qu’il ne le souhaite. Ces informations partielles laissent entrevoir une personnalité, mais sans que le passant ne connaisse les personnes évoquées. La première information qu’il reçoit est que les habitants ont choisit de faire exister leur habitation dans la sphère sociale en la nommant. Quant au sens, il s’agit d’un jeu avec le passant qui ne peut pas décoder le nom, il peut en percevoir certains niveaux de signification sans en comprendre l’intégralité. Le sens peut donc créer de la connivence, un amateur de Talon Levé peut reconnaitre un autre 88
amateur de télémark. Le nom est comme un clin d’œil qu’ils s’adressent : un signe de reconnaissance mutuelle que seuls les initiés comprennent. Mais cela créé aussi de l’exclusion lorsque le passant ne comprend pas le sens d’un nom. Ainsi, le tableau de suivant contient tous les noms dont je ne possède pas la clé de compréhension. Par ces noms, les propriétaires me signifient que je ne fais pas partie de leur communauté. Les habitats collectifs sont dotés de noms qui créent de la connivence, afin que les habitants puissent s’y identifier. Mais pourtant certains ont des noms que je n’ai pas su déchiffrer.
Res. principale
Habitats individuels Res. secondaire
Habitats collectifs et Indéterminé
Divers Sevannaz
résidences
La Seuty
Le Gent’abri
Lou Capets
Virofleur
Les Chalabros
Grann
La çévrèle
L’Artoche
L’Achutta
Elocines
La Pépinarie
Les Givrynes
Riant Manet
L’Ouka
Franceorag
Sablets
Le Murget
Le Bijolet
La Craloupette
Le Quatran
La Gronch’ta
L’Annonciade
Cintra
DLE Le Barboti Elen Marduka Tableau X :
Noms d’habitation indéterminés.
Solliciter l’imaginaire Mais en ne donnant pas la clé de compréhension, les propriétaires proposent une 89
devinette, invitent à la réflexion, sollicitent l’imaginaire. Ainsi, une carozienne a affirmé à Laurence P. : « Avec un nom comme ça, j’ai toujours pensé que c’était une institutrice qui habitait au Mistouflon ». Elle expliquera que c’est par association d’idées – le personnage du mistouflon est le héros d’un livre pour enfants lu dans les écoles, de plus ce chalet est situé face à l’école – qu’elle a projeté cette image sur ses habitants. Un autre, reconnaissant ne pas connaitre le sens de ce nom, propose : «c’est parce que tu as été Miss Touflon ?» (Patrick N.). Calluna, qui est le nom d’une plante m’a été présenté comme étant un nom en relation avec la lune. Achutta évoque à Marine G., carrozienne, le mot savoyard désignant une accalmie entre deux chutes de neiges, sans qu’elle puisse me l’affirmer mais elle «aime bien imaginer que c’est ça, c’est quelque chose de doux» (Marine G.). Les noms permettent le jeu entre les chalets qui se répondent. Un chalet sans nom en vis à vis de Shangri-La, cité himalayenne imaginaire, est décoré de drapeaux tibétains. La çévrèle et La Bartavelle sont également en vis à vis et sont tous deux ornés de dessins d’oiseaux. Vé Fanfoué répond à Chez Mani, Chez Colette et Chez Sidenie.
La nomination des chalets est une pratique propre aux stations de skis. Cette pratique met donc en relation Les Carroz avec ses homologues, les distinguant des autres villages. A l’échelle du village, ils peuvent également mettre en relation des chalets dont les noms se répondent. Enfin, ils peuvent mettre en relation des individus, le propriétaire et le passant, en créant une connivence fugace lorsque celui-ci comprend le sens du nom. Mais ils sont également des outils d’exclusion, marquant ainsi les contours d’un cercle social. Ces noms sont avant tout ludiques, ils invitent à la réflexion et à la rêverie. Le passant peut ainsi se faire sa propre définition du nom. 90
3.2. Appartenance à un groupe social
Le découpage entre habitats individuels et collectifs, puis résidences principale et secondaire donne une idée générale des différents discours sur soi mis en œuvre via les noms d’habitation aux Carroz. Mais le nom propre, ainsi que les pratiques et les représentations qui lui sont associées, renvoyant aux représentations qu’un groupe social à de son monde, regardons quels sont les différents groupes et leurs rapports aux noms des chalets.
Les différents groupes sociaux et leurs interactions Le village vit au rythme des saisons. Il s’agit des saisons touristiques, qui ne se superposent pas exactement aux saisons climatiques : la saison d’hiver, la saison d’été et l’inter-saison qui revient deux fois par ans. La saison d’hiver correspond à la période d’ouverture des pistes, c’est à dire la période pendant laquelle les remontées mécaniques sont ouvertes et les pistes de ski entretenues. Les dates d’ouvertures dépendent de la quantité de neige présente et des vacances scolaires. Cette année, les pistes du Grand Massif (domaine skiable dont la station des Carroz fait partie) devaient être ouvertes durant quatre mois, du samedi 20 décembre 2014 (premier jour des vacances de noël) au dimanche 19 avril 2015 (pendant les vacances de printemps, quand la fonte de la neige ne permet plus de skier). Exceptionnellement cette année il n’a pas neigé avant le 27 décembre 2014, repoussant l’ouverture des pistes mais pas l’arrivée des touristes. La saison d’été est plus courte, elle correspond à peu près aux grandes vacances scolaires d’été. Les dates d’ouverture de la piscine municipale donnent une idée des dates de la saison (du 17 juin au 6 septembre pour l’été 2016). Mais celle-ci n’est pas aussi rigidement déterminée que la saison d’hiver. L’inter-saison est définie en creux, quand une saison est finie et que la suivante n’a pas 91
encore commencé. Les différents groupes sociaux qui composent la population des Carroz sont les résidents permanents, les touristes et les saisonniers. Nous verrons par la suite les distinctions au sein de chacun de ces trois ensembles. Leur présence au village dépend des saisons. Les résidents permanents habitent aux Carroz toute l’année, travaillent dans la commune ou dans la vallée de l’Arve, parfois jusqu’à Genève12. Ils sont propriétaires de leur logement ou le louent sur un temps long13. Les saisonniers viennent résider et travailler aux Carroz le temps d’une saison d’hiver ou d’été. Ils sont absents du village à l’inter-saison. Soit ils sont locataires de leur appartement, soit ils logent dans un appartement prêté à titre gratuit par leur employeur, soit ils sont propriétaires de leur logement mobile (campingcar, caravane, camion aménagé). Enfin, les vacanciers viennent pour le loisir, sur leur temps libre (vacances et week-ends). Ils logent dans leur résidence secondaire, ou dans un logement loué pour l’occasion (location «à la semaine», du samedi au samedi suivant), ou encore dans un gîte, un hôtel, ou un centre de vacances. Le tableau ci-dessous montre les établissements actifs par secteur d’activité au 31 décembre 2012 sur la commune d’Arâches-La-Frasse. L’agriculture et l’industrie sont quasiment absents de la commune. La mairie se trouve dans le village d’Arâches. En revanche l’école maternelle et primaire, la bibliothèque, ainsi que le cabinet médical et la pharmacie sont aux Carroz. Arâches, La Frasse et Les Carroz ont chacun une église ou une chapelle (culte chrétien catholique), mais seuls Arâches et La Frasse disposent d’un cimetière. Tous les commerces, restaurants, bars et boite de nuit sont aux Carroz, sauf 12 En 2011, sur toute la commune d’Arâches-La-Frasse, 70,1% des résidents actifs ont un emploi dans la commune, 25,9 % ont un emploi dans le département de résidence (Haute-Savoie), 1,1 % en France hors du département de résidence, 3,0 % hors de France métropolitaine (Suisse) (INSEE, recensement de la population 2011) 13 En 2011, sur toute la commune d’Arâches-La-Frasse, 58,5 % des résidences principales sont occupées par leur propriétaire, 33,7% par des locataires, et 7,9% des résidences principales sont prêtées à titre gratuit. (INSEE, recensement de la population 2011). 92
une boulangerie à Arâches. Les commerces et les restaurants des Carroz ferment à l’intersaison. Entre Arâches et Les Carroz un magasin d’alimentation et la station-service qui Insee - Commune d'Arâches-la-Frasse (74014) - Dossier complet
http://www.insee.fr/fr/themes/d
y est rattachée sont ouverts toute l’année depuis cinq ans, mais ses horaires d’ouvertures changent à l’inter-saison. L’économie de la commune est principalement basée sur le Chiffres clés Caractéristiques des entreprises et des établissements tourisme.
Commune d'Arâches-la-Frasse (74014) CEN T1 - Établissements actifs par secteur d'activité au 31 décembre 2012 Total Ensemble
%
0 salarié
1à9 salarié(s)
10 à 19 salariés
20 à 49 salariés
846
100,0
665
152
18
7
0,8
7
0
0
Industrie
12
1,4
5
6
1
Construction
54
6,4
39
14
1
506
59,8
357
126
15
Agriculture, sylviculture et pêche
Commerce, transports, services divers dont commerce et réparation automobile Administration publique, enseignement, santé, action sociale
78
9,2
37
41
0
267
31,6
257
6
1
Champ : ensemble des activités. Source : Insee, CLAP.
Tableau Y :
Établissements actifs par secteur d’activité au 31 décembre 2012 sur la commune CEN T2 - Postes salariés par secteur d'activité au 31 décembre 2012
d’Arâches-La-Frasse (INSEE, recensement de la population 2011) Ensemble
Total
%
1 258
100,0
Agriculture, sylviculture et pêche
1à9 salarié(s)
10 à 19 salariés
515
20 à 49 salariés
50 à 99 salarié
225
193
0
0,0
0
0
0
Industrie
37
2,9
27
10
0
Construction
67
5,3
50
17
0
Les différents groupes, résidents permanents, et saisonniers, s’entendent bien Commerce, transports, services divers touristes 999 79,4 420 180 dont commerce et réparation automobile
138
11,0
138
132
0
0
et ils ont besoin les unsAdministration des autres. Les touristes sont les clients des résidents permanents publique, enseignement, santé, 155 12,3 18 18
61
action sociale
qui leur fournissent tous les services dont ils ont besoin ; et les saisonniers sont des Champ : ensemble des activités. : Insee, CLAP. employés d’appoint quiSource permettent de faire face aux variations saisonnières. Mais au delà
CEN G1 - Répartition des établissements actifs par CEN G2 - Répartition des établissements actifs p des relations marchandes, amitiés se sont développées entre des carroziens et des secteurdes d'activité au 31 décembre 2012 tranche d'effectif salarié au 31 décembre 2012 Administration publique, Par exemple, George P. est résident aux Carroz et touristes qui reviennent régulièrement. enseignement, santé, 50 salariés et plus
action sociale
ses voisins sont des propriétaires de résidences secondaires qui reviennent plusieurs fois Commerce, transports, 20 à 49 salariés services divers
par année. Georges P. a les clés Construction des chalets de ses voisins et fait des réparations10 àdans ces 19 salariés chalets au besoin.
Industrie
1 à 9 salariés
Agriculture, sylviculture et pêche
0 salarié
0 20 40 60 80 Les résidents permanent ont un rapport ambigu aux touristes, ils les100apprécient, tout en0
20
40
%
se sentant «envahis» :
Champ : ensemble des activités. Source : Insee, CLAP.
Champ : ensemble des activités. Source : Insee, CLAP.
«C’est vrai qu’on utilise souvent des termes péjoratifs pour désigner les touristes. C’est une habitude T3 - Établissements selon les sphères de CEN T4 - Entreprises (sièges sociaux a de les critiquer... Mais on CEN oublie bien trop souvent que c’est grâce à eux si la station vie. C’est bizarre on l'économie au 31 décembre 2012 secteur d'activité au 31 décembre 2012 est en général content de les voir arriver au début de la saison mais aussi content de les voir repartir à la fin Établissements Postes salariés pour être plus tranquille !» (Claire G.) Nombre % Nombre % Ensemble Ensemble
846
100,0
1 258
100,0
Sphère non présentielle
177
20,9
24
1,9
Industrie
0
0,0
0
0,0
Construction
669
79,1
1 234
98,1
9
1,1
143
11,4
dont domaine public Sphère présentielle dont domaine public Champ : ensemble des activités. Source : Insee, CLAP.
Agriculture, sylviculture et pêche
93
Commerce, transports, services divers dont commerce et réparation automobile Administration publique, enseignement, santé, action sociale Champ : ensemble des activités.
Parmi les termes relevés utilisés par les résidents permanent et les saisonniers pour désigner les touristes, il y a tout d’abord touristes, qui peut prendre un sens très péjoratifs selon le contexte, vacanciers, qui lui a un sens positif. Il y a aussi le monchu : «c’est du patois, ça veut dire «monsieur». Les monchus, c’est ceux qui sont ridicules, qui ne savent pas tenir leurs skis.» (Alexandre B.)
Le terme moonboots désigne les touristes par un type de chaussures qu’ils portent en hiver et qui sont perçues comme ridicules par les habitant permanents. Enfin, ils peuvent être désignés par leur lieu d’origine, réel ou supposé. Chacun de ces noms véhicule des images associées : «Il y en a qui sont plus aimés que d’autres. Parmi les plus critiqués : les parisiens et les lyonnais !» (Claire G.) «Les lyonnais ils se croient chez eux ici. Les parisiens.. bon c’est les parisiens... Ils sont hautains mais au moins ils savent faire la queue, ils sont disciplinés. [...] Les anglais, ce sont des bons consommateurs. Ils font bien tourner les commerces. [...] Les belges, ils sont charmants. Ils vont dans les autres stations, il faudrait les faire venir.» (Alexandre B.)
Lyonnais et parisiens ne désignent pas que les habitants de ces villes, mais les personnes venues de Rhône-Alpes et d’Ile-de-France, voire même d’aires géographiques plus larges : « [en riant] tu sais, Paris commence au bout de la vallée. Si ils ne sont pas d’ici, alors ce sont des parisiens» (Jérémy V.)
Idem pour les anglais, qui peut désigner le groupe de personnes originaires du RoyaumeUni, tous les anglophones, ou encore toutes les personnes qui ne sont pas françaises. Les saisonniers sont simplement désignés par le terme saisonniers par les résidents permanents, terme qui marque les pulsations du temps. A ce terme est attachée l’image d’un groupe de personnes faisant beaucoup la fête et peu soigneuses envers les appartements. Les touristes nomment les habitants permanents les carroziens, les locaux, les gens du coin, gens du cru, les montagnards, les gens à l’année. Il y a donc une dimension spatiale, mais aussi temporelle dans la perception des résidents permanents par les touristes. Au sein de ces différents groupes, plusieurs sous-groupes existent. Je vais m’attacher à décrire les distinctions existant au sein des résidents permanents et des touristes, et leurs différentes attitudes vis à vis des noms des chalets ; laissant de côté les saisonniers qui n’interviennent pas dans les noms des habitations aux Carroz. 94
Les résidents permanents Le groupe des résidents permanents, les carroziens, correspond à la catégorie «résidences principales» dans les chapitres précédents. Le rythme des saisons correspond à un rythme social : hiver et été sont dédiés au travail, l’inter-saison est plus propice à la vie sociale et aux loisirs. Les carroziens se distinguent en deux groupes : les vrais carroziens et ceux que j’appellerai les néo-arrivants.
Le terme vrais carroziens est utilisé par ceux-ci, mais aussi par les néo-arrivants. Pour être un vrai carrozien, les critères qui m’ont été donnés sont les suivants : être né dans le village, que la famille réside aux Carroz (ou auparavant à Arâches) depuis plusieurs générations14, mais c’est surtout la propriété de la terre transmise d’une génération à la suivante qui fait le vrai carrozien. «Un vrai carrozien digne de ce nom sait bien qu’il est catelu avant tout» (Nicolas V.)
Catelu est le gentilé d’Arâches. Nicolas V., vrai carrozien lui-même, rappelle ainsi l’histoire des Carroz intimement liée à celle d’Arâches. Dans le magazine de la station édité par l’Office du Tourisme à destination des touristes, on peut lire : «Catelus, c’est le nom des habitants d’Arâches. L’origine supposée vient du mot Catel variante de Chatel qui désigne un bien, un patrimoine. Et on appelle Angorins, les habitants de la Frasse et tout simplement Carroziens ceux des Carroz» ( Magazine de l’hiver aux Carroz , 2014 : 6)
Les familles qui m’ont été citées comme faisant partie des vrais carroziens (Passy, Renand, Moret, Roux, Greffoz, Effrancey15) apparaissent toutes dans le registre accompagnant la Mappe Sarde d’Arâches, datant de 1798, qui répertorie les propriétaires et la surface de chaque parcelle, sauf la famille Renand. Pour mémoire, à cette période, Arâches est le village principal ; les Carroz n’existent pas encore en tant qu’un village mais est une multitude de hameaux. Les familles Passy, Roux, 14 Dans les villages haut-savoyards de Morzine et de Duingt, le critère est d’«avoir plusieurs générations au cimetière». Faits rapportés par deux néo-habitants de ces villages. 15 Il est possible qu’il y en ait d’autres. Néanmoins le nombre de vrais carroziens est restreint. 95
Morel et Greffoz (sous l’orthographe Griffoz) font partie des grands propriétaires terriens en 1798. De plus, selon Emile Plantaz, au 17e et au 18e siècle on écrivait indifféremment Passy ou Passier, puis l’othographe de ce nom s’est fixée en Passy (Plantaz, 1991 : 25). La présence de cette famille est attestée à Arâches depuis 1350 (Plantaz, 1991 : 7). La famille Effrancey (qui apparait sous l’orthographe Effrance dans le registre) possède très peu de terres en 1798, néanmoins ils sont considérés comme vrais carroziens aujourd’hui. La famille Renand n’apparait pas du tout dans le registre de la Mappe Sarde, laissant supposer qu’elle n’est pas présente sur la commune à cette période. Entre 1726 et 1732, des membres des familles Passy, Moret, Roux et Effrancey ont eut la charge de syndic16 (Plantaz, 1991 : 10). Parmi les notaires qui ont instrumenté à Arâches entre le 17e et le 19e siècle, on retrouve des membres des familles Moret et Greffoz (Plantaz, 1991 : 11). Il n’est fait mention d’aucun Renand parmi les notables cités par Emile Plantaz. Dans ces documents, d’autres noms de familles de grands propriétaires terriens et de notables sont récurent (Pernant, Decret, Ducrue, Lydrel, etc). Certaines de ces familles sont présentes à Arâches mais pas aux Carroz, d’autre ne sont plus présentes du tout sur la commune. Dans l’arbre généalogique de la famille Renand établi par Régina Renand (Renand, date inconnue : 34), il apparait que ses ancêtres se sont installé au Serveray (l’un de quartiers actuel des Carroz), vers la moitié du 18e siècle. Au début du 20e siècle, des membres de cette famille ont joué un rôle majeur dans le développement futur du tourisme en ouvrant les premières pensions ( Renand, date inconnue : 7 ; Trabut 1996 : 13) Les individus qui se revendiquent comme étant des vrais carroziens sont donc issues de familles présentes sur la commune depuis au moins le 18e siècle.
Parmi les familles Passy, Renand, Moret, Effrancey, Roux et Greffoz aujourd’hui, j’ai dénombré 20 chalets aux Carroz, dont 16 n’ont pas de nom. Les chalets nommés sont : Chalet des Charmoz (toponyme : sommet de la chaine du Mont Blanc), Lou Capets 16 «Sous l’Ancien Régime, personne élue par une communauté villageoise pour défendre ses intérêts» (Larousse) 96
Insee - Commune d'Arâches-la-Frasse (74014) - Dossier complet
http://www.insee.fr/fr/themes/dossier_complet.
(indéterminé), Gite Renand (patronyme) et les Servages (toponyme : quartier des Carroz). Selon Henry G., avant les années 1960 il était rares que les habitations soient nommées. Séries historiques des résultats du recensement
Selon lui cette pratique s’est développée depuis les cinquante dernières années, avec Commune d'Arâches-la-Frasse (74014)
T1M - Population l’arrivée POP du tourisme. L’expression «chez Untel» était utilisée pour désigner un chalet, 1968
1975
1982
17,5
20,4
25,8
1990
1999
2006
2011
mais n’était pas considéré comme658étant769le nom chalet. : «aujourd’hui c’est Population 971 du 1 383 1 680 Il1 ajoute 819 1 823 Densité moyenne (hab/km²)
36,7
44,6
48,3
48,4
au choix de chacun» (Henry G.). A la question de savoir pourquoi leurs chalets ne sont Ce tableau fournit une série longue. Les données proposées sont établies à périmètre géographique identique, pas nommés, un propriétaire m’a répondu «il n’y a pas de nom, parce que je suis là» dans la géographie communale en vigueur au 01/01/2013.
1999 dénombrements, RP2006 et«pourquoi RP2011 exploitations principales.un nom ?» (Amédé (Victor N.)Sources et un: Insee, autreRP1968 m’aàretourné ma question je mettrais
POP T2M - Indicateurs démographiques F.), montrant par là que pour lui la chose logique est de ne pas avoir de nom. En ne 1968 à 1975
1975 à 1982
1982 à 1990
1990 à 1999
1999 à 2006
annuelle moyenne de la population en % +2,3 +4,5 +2,2 ceux nommant Variation pas leurs chalets, ces vrais carroziens marquent+3,4 leur distinction d’avec due au solde naturel en %
+1,6
+1,1
+1,6
+1,5
qui nomment : néo-arrivants et touristes. une+2,3 façon de+2,9 faire propre due au solde apparent des entrées sorties en % Ils perpétuent +0,7 +0,7 à leur Taux de natalité (‰)
25,9
21,2
21,5
20,9
groupe social. Mais les quelques chalets nommés montrent10,0que le fait de nommer son Taux de mortalité (‰) 10,0 5,8 5,6 habitation se diffuse également à ce groupe. Ce tableau fournit une série longue.
Les données proposées sont établies à périmètre géographique identique, dans la géographie communale en vigueur au 01/01/2013. Sources : Insee, RP1968 à 1999 dénombrements, RP2006 et RP2011 exploitations principales - État civil. FAM G1M - Évolution de la taille des ménages Nombre moyen d'occupants par résidence principale
Les néo-arrivants sont également des carroziens, mais ils n’ont pas de noms pour s’auto3,0 2,5
2,0 se distinguer des vrais carroziens. «Je suis carozienne. Mais un peu moins désigner et 1,5
carrozienne qu’un vrai carrozien» (Claire G.). Il existe donc des degré sd’appartenance 1,0 au village.0,5 Ce sont «ceux qui sont arrivés après» (Aline F.). Ils forment la majorité des 0,0
1968 1975 1982 1990 1999 2006 2011 habitants du village. Le tableau ci-dessous montre leur augmentation rapide en nombre
Ce graphique fournit une série longue.
Les données proposées sont établies à périmètre géographique identique, depuis les années 1970 (ligne : «logement principal»). Le village des Carroz fait face à un dans la géographie communale en vigueur au 01/01/2013. Sources : Insee, RP1968 à 1999 dénombrements,
RP2006 et RP2011 exploitations principales. renouvellement de sa population.
LOG T1M - Évolution du nombre de logements par catégorie Ensemble
1968
1975
1982
1990
1999
2006
2011
847
1 484
3 200
4 954
5 061
5 815
6 555
Résidences principales
193
254
385
572
681
781
792
Résidences secondaires et logements occasionnels
578
1 128
2 673
4 022
4 218
4 754
5 718
76
102
142
360
162
280
44
Logements vacants Ce tableau fournit une série longue.
Tableau Z : Les données Évolution dusont nombre logement par catégories proposées établies de à périmètre géographique identique,(INSEE, recensement de la population 2011)
dans la géographie communale en vigueur au 01/01/2013. Sources : Insee, RP1968 à 1999 dénombrements, RP2006 et RP2011 exploitations principales.
Parmi les néo-arrivants, il y a des anciens touristes et saisonniers qui ont emménagé 97
2006 à 2011
+1,1
+0,0
+1,0
+1,0
+0,1
-0,9
14,0
15,0
3,8
5,2
aux Carroz. Ils viennent de toute la France, quelques uns viennent du Royaume-Uni. Ce sont des ex-citadins venus vivre «à la campagne» (Laurence P.). Leur attitude vis-à-vis des noms est comparable à celle des propriétaires de résidences secondaire comme nous le verrons par la suite.
Les touristes Les touristes ne résident pas aux Carroz, mais y sont présents pour leurs loisirs au rythme des congés scolaires. Parmi les touristes, il y a ceux qui possèdent un logement aux Carroz et ceux qui n’en possèdent pas. Parmi ces derniers, certains ne viennent qu’une fois, d’autres reviennent régulièrement et créent des liens d’amitié durables dans le village. Ils reviennent souvent dans le même logement, pour lequel ils développent un attachement et qu’ils nomment par son nom. Les propriétaires de logements secondaires, parfois appelés par eux-mêmes, mais aussi par les carroziens qui ont repris cette dénomination, les propriétaires. Ce nom vient de celui d’une association : L’association des propriétaires d’Arâches-La-Frasse-Les-Carroz, qui est théoriquement ouverte à tous mais, dans les faits, elle est composée uniquement de propriétaires de résidences secondaires. Certains possèdent leur chalet ou appartement uniquement dans le but de le louer à la semaine et ne viennent qu’exceptionnellement aux Carroz. La location se fait via une agence immobilière, un site internet dédié uniquement à la location de ce bien ou un site internet de location généraliste tel que homelidays.com. Chalet Deux frères, Cachemire, Chalet Bry, Chalet Cyclamen sont des chalets dédiés à la location. Leur nom n’est pas affiché sur leur façade mais ils sont indiqués sur les sites de location. Le nom n’est pas le témoin d’un attachement particulier au lieu, il a un rôle de séduction du locataire potentiel. Il est utilisé dans la communication entre le locataire et le propriétaire. Mais n’ayant pas pour but de faire exister le chalet dans la sphère sociale du village, il n’a pas besoin d’être affiché.
98
Ceux qui ont acheté un chalet pour eux-mêmes et leur famille le louent parfois lorsqu’il n’est pas occupé. Mais le but initial de l’achat n’est pas la rentabilité financière mais le plaisir de se rendre aux Carroz. Le nom du chalet affirme l’existence des propriétaires de celui-ci même en leur absence. Ils n’ont pas de nom particulier pour se reconnaitre. L’une d’entre eux, Marie P., m’a proposé le terme de touristes implantés. Plusieurs d’entre eux ont développé un attachement fort au village, au point de se reconnaitre comme carrozien mais tout en se distinguant des résidents permanents : «Je me sens carrozienne. Je vote aux carroz, soit physiquement soit par procuration. Je me sens concernée et connais beaucoup de carroziens à plein temps.» (Emilie B.)
Les quartiers de L’Orlier et des Genièvres, construits dans les années 1960-1970, sont composés de tels chalets. Dans ces quartiers plus de 70% des chalets sont nommés. Caroline, venue en vacances dans le chalet familial raconte : «C’est le chalet de mes grands-parents. Ils l’ont acheté quand il a été construit, il y a quarante ans. On s’y retrouve tous les ans avec mes cousins. On est tous un peu éparpillés partout en France, ça nous fait un endroit pour nous retrouver. Mes oncles et tantes viennent moins souvent qu’avant, mais c’est important pour eux aussi.» (Caroline D.)
Lors des changements familiaux (déménagements successifs, déménagement des enfants devenus adultes, séparations, décès, etc) le chalet familial reste un repère stable et la signifance du nom agrège ce fait. «Je reviens en moyenne une fois par an. J’essaierai d’y aller cet été. Maintenant ça se résume plus à des week-end de retour aux sources. Des shoots de carroz intenses me permettant de patienter jusqu’à la fois suivante ! Je me sens chez moi au Chalet et aux Carroz. C’est le seul repère géographique fixe de mes 25 premières années. Mais je ne suis pas sûr de me sentir carrozien.» (Baptiste B.)
Parmi les touristes, propriétaires ou non, il y a majoritairement des français, puis des anglais et des suisses. D’autres nationalités, principalement européennes, sont représentées. En 2004, un tiers des acquéreurs de chalet en Savoie et Haute-Savoie étaient étrangers ; et 70% d’entre eux sont anglais (Faure, 2005 : 57). Les anglais forment aux Carroz un réseau d’inter-connaissance et d’entraide très développé. Mais cela ne se ressent pas dans les noms, qui sont présents dans toutes les modalités de discours sur soi vues au chapitre précédent ; ils n’ont pas de caractéristique distinctive des autres noms.
99
Noms des chalets des néo-arrivants et des propriétaires de résidence secondaire
L’image des Alpes relève d’une construction sociale (culture, média, publicité, politique d’aménagement du territoire) (Baukhaus, 2007 : 18) et les noms des chalets sont les témoins de l’image que les donateurs des noms se font des Alpes. Backhaus donne la définition suivante de l’image : «Les images sont le résultat d’un processus de définition socio-historique qui leur confère un sens, et qu’elles constituent donc une donnée relative, on peut par exemple expliquer qu’un phénomène physique élémentaire comme un nuage puisse être vu comme une image. Le regard que l’on porte sur le phénomène est alors chargé d’intention, on veut y déchiffrer une figure. C’est un contexte subjectif qui transforme les formations nuageuses en images. Et c’est un contexte socio-historique qui fait que l’on interprète les figures formées par les nuages d’une manière plutôt que d’une autre. Pour mieux comprendre ceci, aidons-nous d’une tripartition du monde en trois catégories : le matériel, le mental et le social. Les images relèvent des trois.» (Baukhaus, 2007 : 28).
Les représentations d’un objet passent par la perception concrète de celui-ci, puis par le filtre des modèles appris, des schèmes présents dans la culture (Baukhaus, 2007 : 18). Ces représentations conditionnent l’espace vécu. Les représentations individuelles et collectives que se font les hommes des paysages alpins sont porteuses de sens (Baukhaus, 2007 : 18). Les néo-arrivants et les propriétaires de résidence secondaire ont en commun de venir d’endroits variés, en France et en Europe, et d’avoir fait le choix de venir acheter un bien dans ce village. Les noms des logements individuels des néo-arrivants et des propriétaires de résidence secondaire dessinent une vision partagée, un monde commun. Trois grands thèmes se dégagent des noms : l’agropastoralisme, la nature, les loisirs.
100
Néo-arrivants
L’agropastoralisme
La nature
Les loisirs
La Bergerie
Le Mistouflon
Le Repos des Marmottes
La Ruche
La Fioca
La Roche Varappe
L’Origan
Le Vent qui Chante
A l’Abade
Le Triollet
Le Chardonnet
Op Tracken
Les Grangettes
Les Charmoz
Les Servages
Les Alouettes
La Fontaine
Le Gypaète
Les Pratz
Les Fayards
Bel Alpe
La Valériane
Le Mazot
Les Cyclamens Les Ambourzalles La Gentiane Epilobe Les Lupins
Tableau AA :
Les noms des chalets des néo-arrivants comme marqueurs des différents aspects d’un
mondes partagé.
101
L’agropastoralisme
La nature
Les loisirs
Le Seillot
Les Soldanelles
Oasis
Le P’tit
Les Chardons bleus
L’Envolée
Grenier
Les Trolles, Le Rhodo
Ma Campagne
Lé Tsapeï
Les Carlines
Rêve alpin
Le Chalet
La Renouée
Maléfice
Les Moulins
Chalet Cyclamen
Glissando
Le Dahut
CAR (Club Alpin de la
La Corniche
Roseraie)
L’Alpic
Carpe Diem
L’Orée du Bois (x2) La Dérupe Horizon Au bord du Nant Propriétaires de résidence secondaire
La Clairière Altitude 1200 Le Nant d’Orlier Les Ayères L’Areu Les Lapiaz Azurite, Cristal, Krystal, La Tanière La Marmottière La Gelinotte, La Hulotte, La Bartavelle, L’Aiglon, La Merlette, Casse-Noisette, Les Eterlous, Les Marmottes
Tableau AB :
Les noms des chalets des propriétaires de résidence secondaire comme marqueurs des
différents aspects d’un mondes partagé.
102
Groupe social indéterminé
L’agropastoralisme
La nature
Les loisirs
L’Abeille
Le Diable Bleu
L’Escapade
Le Mazot
I des Neiges
Le Talon libre
Le Grenier
Mille et une Neiges
L’En Haut
Sun Valley
Lou Corti
Rayons d’Soleil
Les Snailles
Les Tourbillons La Cime Chalet du Bois Nant Gron Les Diablerets Le Varens Alpen Roc L’Écureuil Astrance
Tableau AC :
Les noms des chalets, dont les propriétaires ne sont pas déterminés, comme marqueurs
des différents aspects d’un mondes partagé.
103
Les trois thèmes sont développés dans les noms des résidences des néo-arrivants et des propriétaires de résidence secondaire. Le thème de la nature est très largement majoritaire pour ces deux groupes. Les néo-arrivants valorisent plus l’histoire du village via la référence à l’élevage que les propriétaires ; ces derniers valorisent plus les loisirs.
Le premier thème, l’agropastoralisme, correspond à une image de la nature apprivoisée, à mettre en relation avec la valorisation des outils anciens utilisés en décor de façades, aux poyas, et à la revalorisation des mazots : «bien qu’il ne s’agisse pas de modèles réduits des maisons locales, les greniers ont été perçus comme des chalets en miniatures, représentation idéale d’une architecture montagnarde mythique. [...] Les mises en scène [des façades] parfois savantes créent une ambiance significative de la manière dont le propriétaire invente non seulement l’espace montagnard, mais aussi un temps virtuel imaginé autour d’un passé agropastoral méconnu dans sa réalité.» (Somm, 2005 : 55).
La représentation des Alpes en tant que paysage rural avec des vaches qui paissent et des chalets patinés par l’eau et le soleil ne renvoie plus guère à une réalité tangible (Baukhaus, 2007 : 22). Ces noms sont les témoins d’une nostalgie pour un passé idéalisé, généralement inconnu de ceux qui utilisent ces noms. L’histoire locale est fantasmée, réécrite : l’agropastoralisme est valorisé, alors que l’époque de l’horlogerie par exemple est effacée. Il s’agit donc d’un passé mythique, symbole d’une montagne atemporelle, dans une quête d’authenticité sans cesse réinventée.
Le second thème est celui des Alpes comme espace de nature vierge, sauvage, qui donne lieu à contemplation, et des montagnes comme lieu de pureté doté d’un pouvoir de régénération. Ces noms sont à mettre en relation avec des éléments du discours des propriétaires de ces chalets : «l’air pur des montagnes» (Marie P.), «venir me ressourcer» (Emilie B.), «on vient profiter de la montagne, s’entourer de verdure et déconnecter du quotidien» (Fabrice G.). Mais c’est également à mettre en relation avec l’usage du bois en tant que support du nom, valorisé pour «son aspect naturel» (André H.). La réputation de l’air de montagne d’être «pur» n’est pas déconnecté de toute réalité. En effet, même au plus fort des pics de pollution de janvier 2015, alors que la vallée de 104
l’Arve est la vallée la plus polluée de France17 (journal télévisé, France 3 Régions, 17 février 2015), la qualité de l’air est jugé «bon» par l’Observatoire Air Rhône-Alpes.
Les Carroz d’Arâches x
Fig. 48 : Carte de la qualité de l’air lors du pic de pollution, le 8 janvier 2015 (Observatoire Air RhôneAlpes, 2015).
Mais même si les montagnes sont peuplées d’animaux et plantes sauvages, le paysage des Carroz est façonné par l’homme qui trace des pistes des skis, modifie la topographie de celles-ci lorsqu’il le juge nécessaire, veille à ce que les arbres n’empiètent pas sur ces tracés, installe des remontées mécaniques, creuse des lacs artificiels, etc. Il ne s’agit donc pas d’une nature vierge, mais c’est pourtant cette image qui est véhiculée à travers les noms des chalets. Enfin, le troisième thème est celui de la montagne comme espace de loisirs, de détente, de sport et de repos. Cette image n’est pas visible uniquement dans les noms des résidences secondaires : elle est partagé par les néo-résidents tel qu’André H. qui a 17 «Au pied du Mont-Blanc, la petite commune de Passy est même plus polluée que Paris. Cent quatre-vingts huit jours de qualité d’air moyenne à très mauvaise en 2014, contre quatre-vingts treize dans la capitale.» (journal télévisé, France 3 Régions, 17 février 2015) 105
«l’impression d’habiter en vacances». La montagne est alors valorisée pour les activités de loisirs qu’elle propose, en tant que lieu de villégiature.
Il ne s’agit pas de trois visions indépendantes les unes des autres. Elles existent en même temps, se superposent et se complètent. Elles dessinent un monde idéal d’où sont absents la peur, l’angoisse, la maladie et la mort, et qui laisse très peu de place au surnaturel. Comme l’écrit Christophe Faure, «habiter la montagne aujourd’hui, c’est succomber à la promesse de vivre un dépaysement temporaire idéalisé» (Faure, 2005 : 57). Les noms participent à ce dépaysement, font partie de la mise en scène du chalet comme représentation idéale et participe à l’invention de l’espace. Ils témoignent du monde partagé et le renforce en en faisant partie.
Les Carroz sont constitués de plusieurs groupes sociaux, présents ou non dans le village en fonction du rythme des saisons touristiques : les résidents permanents, les saisonniers et les touristes. Seuls certains d’entre eux jouent un rôle dans les noms des habitations. Les vrais carroziens, dont les familles sont implantées dans la commune depuis plusieurs siècles et qui sont propriétaires des terres, ont vu arriver les noms des habitations dans le village avec le tourisme. Pour eux, ne pas nommer son habitation est une marque d’appartenance à ce groupe, afin de se distinguer des néo-arrivants et des propriétaires de résidences secondaires. Parmi ces derniers, certains possèdent un ou plusieurs biens destinés uniquement à la location. Les noms donnés à ces chalets ont pour vocation d’être des outils marketing pour la location en ligne. Nombre d’entre eux ne sont pas affichés sur ces chalets, marquant une connivence entre propriétaire et locataire, et une exclusion des voisins. Enfin, les néo-arrivants, qui sont carroziens par choix et non par naissance, ainsi que 106
les propriétaires de résidence secondaire pour leur propre usage, sont ceux qui nomment le plus leurs chalets. Ces chalets dessinent un monde commun Ils témoignent des schèmes présents dans la culture qui permettent la lecture de l’environnement montagnard. Ce monde partagé est un feuilletage d’agropastoralisme, de nature vierge et d’espace de loisir. Le passé mythique se mêle au présent idéalisé, participant à l’identité du village. Finalement, il est intéressant de constater que les noms des habitats collectifs jouent sur les mêmes registres et sont également le reflet des représentations communes liées aux montagnes.
107
3.3. Inertie des noms
Les noms persistent-ils au passage du temps et aux changements de propriétaires ? Permettent-ils la promotion de leur référent dans la sphère sociale sur un temps long ? Je n’ai connaissance d’aucun changement de nom parmi les habitats collectifs : ceux-ci ont été donnés au moment de la construction et n’ont pas subit de changement depuis, malgré les nombreux changements de propriétaires. Ces propriétaires n’ont pas prise individuellement sur le nom. En revanche les habitats individuels peuvent être sujets aux changements de noms : un chalet peut être baptisé, débaptisé ou rebaptisé. Ainsi sur certaines façades la trace d’un nom qui a été décroché est visible.
Fig. 49 : Chalet dont le nom a été ôté mais dont la trace est encore visible (Le Mouël, 2015).
Fig. 50 : Chalet dont le nouveau nom recouvre partiellement l’emplacement de l’ancien nom (Le Mouël, 2015).
108
Deux types de changements de propriétaires sont à distinguer : d’une part lorsque le chalet est transmis à la génération suivante au sein d’une même famille et d’une autre part lorsque le chalet est vendu à une tierce personne. Dans le cas d’une succession, le nom est conservé. Lorsque le chalet n’a pas de nom, cette absence de nom est conservée également. Lors de la transmission, la signifiance, le sens «pour nous» s’enrichit : la sédimentation est à l’œuvre. La liste des propriétaires successifs est indexée au nom, ajoutant de la densité à la signifiance. Dans le cas d’une succession, tous les enfants héritent du patrimoine de leurs parents à parts égales. Suite au décès des propriétaires, La Huguetière et La Folie de Grand-Mère ont été transmis à leurs enfants. Dans les deux cas, la propriété a fait l’objet d’une négociation entre les enfants et dans les deux cas l’un des enfants a racheté les parts des autres, devenant seul propriétaire, afin de «conserver le chalet dans la famille, pour ne pas vendre» (Marie P.). Les critères pertinents selon les enfants pour un tel choix sont la situation financière personnel de chaque enfant, son attachement au lieu (au village ou au chalet) et aux souvenirs familiaux liés au bien (Lise T.). La propriété en indivision n’a pas été la solution retenue dans ces deux cas. Aline F. habite aujourd’hui un chalet sans nom. Il y a environ cinquante ans, ses parents ont acheté une moitié du chalet voisin, Victorine, et sa grand-mère l’autre moitié, Chez Olga, comme résidence secondaire afin de venir en vacances. Ces deux noms n’ont pas été donnés par des membres de la famille d’Aline F., mais ils les ont conservés lorsqu’ils ont acquis ces logements. Comme ces noms sont oraux, les conserver nécessite une démarche active : c’est par l’énonciation des noms que ceux-ci restent dans la mémoire collective. Par la suite, les parents d’Aline F. ont acheté le chalet dans lequel elle vit aujourd’hui alors qu’il était en ruine. L’étage du premier chalet, c’est à dire la grange à foin respective de chaque logement, a été transformé en deux logements supplémentaires. Victorine a été transmis à Aline F., puis à son frère cadet. L’ex-grange de Victorine a été transmise au frère aîné d’Aline F.. Aujourd’hui, Aline F. réside aux Carroz. Elle habite dans le chalet voisin de Victorine, un chalet sans nom : «Il n’y a pas de nom. Ce n’est pas un choix. C’est un... un état de fait. Mes parents n’ont jamais donné de nom. Avant il n’y avait jamais eu de nom.»
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Du côté de Chez Olga, ce sont des oncles et tantes d’Aline F. qui possèdent le logement de la grange à foin réhabilitée, et trois de ses neveux et nièces qui possèdent Chez Olga en indivision. Les différents logements ont été transmis à différents membres de cette famille au cours du temps : les logements nommés ont conservé leur nom, les logements non-nommés ont continué à ne pas avoir de nom. Garder ces noms (et dans une moindre mesure conserver l’absence de nom) participe à garder la mémoire de la famille cristallisée dans le nom. Le chalet Le Sougy a également conservé son nom lors de la transmission des parents d’Henry G. à la sœur de celui-ci. Henry G. est aujourd’hui propriétaire d’une ancienne ferme qui appartenait à ses grands-parents maternels qu’il n’a pas nommée car «elle ne portait pas de nom lorsqu’[il] l’a reçue en héritage» (Henry G.). Les familles de Marie P., de Lise T. et d’Aline F. appartiennent au groupe des propriétaires de résidence secondaires ; Aline F. elle-même est une carrozienne néo-arrivante. Henry G. est un vrai carrozien. Les pratiques de conservation du nom lors d’une succession sont identiques dans ces différents groupes sociaux.
Lorsque le bien est vendu à des personnes hors de la parentèle, différentes stratégies de transmission du nom sont possibles. Tout d’abord, le nom peut être volontairement retiré, décroché, et non-communiqué par les vendeurs. Ainsi le nom Chalet Hazeldyn, composé des prénoms Hazel et Hayden, les parents de l’épouse, a été retiré lorsque le chalet a été vendu : «nous avons vendu le chalet le 16 mars 2015. Je ne pouvais pas laisser le panneau, à cause de mes parents. Il y a de la tristesse attachée à ce nom, comme mes parents sont décédés.» (Ingrid V., communication par email, ma traduction)
La signifiance du nom est ressentie comme extrêmement personnelle : le nom condense l’existence des parents, mais également leur décès. Par ailleurs, Hazeldyn était le nom d’une maison18 que possédaient les parents d’Ingrid V., et elle et son époux ont acheté une nouvelle résidence secondaire en France qu’ils ont prévu de baptiser ainsi également. Le nom suit la famille, marque une continuité entre ses différentes résidences secondaires à travers plusieurs générations. Le nom fait partie du patrimoine de la famille et non d’un 18 Je ne sais pas s’il s’agissait de leur résidence principale ou secondaire 110
logement en particulier. Les Chalet Verentti et Chalet Petrozzi étaient des noms donnés à l’oral, indiquant le patronyme des propriétaires. Ces noms n’ont pas été communiqués lors de la vente du bien. Les nouveaux propriétaires ont nommé ces chalets, respectivement Chalet Deux Frères et Le Repos des Marmottes. Ils ont appris le nom précédent par la suite, par des voisins : «nous n’avons su le nom qu’un an et demi après l’avoir acheté. Et nous avions déjà changé le nom» (Etienne D.). Ensuite, le nom peut être modifié par les nouveaux propriétaires, parce qu’il ne fait pas sens pour eux. Le chalet Grany et JeanFranPa ont été débaptisé pour cette raison. Idem pour Les Tourbillons qui est devenu Calluna. Il y a des noms dont je constate la disparition (4 chalets dont la trace d’une plaque est encore visible), ou le changement, sans connaitre la raison de ces modifications. Par exemple, la nouvelle plaque du chalet l’En Haut masque partiellement la trace d’une ancienne plaque, indiquant ainsi un changement de plaque et donc probablement un changement de nom. De la même manière, le chalet La Ruche était auparavant Les Cyclamens. Cette ferme a été bâtie en 1876 et transformée en gîte en 1934, prenant alors le nom de Pension Les Cyclamens (Renand, date inconnue : 25). Elle a subit d’important travaux en 1963, puis en 1980 (360sunandski.com). Depuis 2003, le gîte appartient à une famille anglaise. Aujourd’hui il s’appelle La Ruche ; je ne sais pas quand ce changement de nom à eu lieu.
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Fig. 51 : Pension Les Cyclamens en 1963 (à gauche) et en 1964 (à droite) après extension (Renand, date inconnue : 25).
Fig. 52 : Le même chalet aujourd’hui, rebaptisé La Ruche (360skiandsun, 2010).
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Par ailleurs, le nom peut être conservé. Cela peut être parce que les nouveaux propriétaires considèrent que le nom et le chalet sont une seule et même entité, il n’y a donc pas de raison de modifier le nom (Les Arolles), ou parce que le nom fait sens pour les nouveaux propriétaires (L’Horizon). Lorsque l’Horizon a changé de propriétaires, ceux-ci ont décroché le nom afin de le rebaptiser. Finalement, ce nom a été conservé «parce qu’on ne trouvait pas mieux» (Alexandre G.). Néanmoins, ils ont refait faire un nouveau nom en fer forgé. La réappropriation du nom est passée par la refabrication de l’objet. Le chalet La Merlette n’a pas changé de nom non plus lorsqu’il a changé de propriétaire, mais je ne sais pas quelles raisons ont poussé ceux-ci à le conserver. Enfin, lors de l’achat d’un chalet sans nom celui-ci peut être baptisé par ses nouveaux propriétaires (Ô Dadou, Le Mistouflon). Le Mistouflon n’avait pas de nom avant d’être acquis dans les années 1990. Il a été baptisé par ses nouveaux propriétaires. Mais il a été démoli afin de construire un chalet neuf sur le même terrain. Ce nouveau chalet porte le même nom, le panneau du premier chalet a été décroché et accroché sur le second. La continuité entre les deux chalets est ainsi très fortement signifiée.
Le nom est un marqueur de rupture ou de continuité dans l’histoire du chalet et / ou de ses habitants : vente, transmission, démolition, construction, mariage, etc. Ils peuvent survivre à leur donateur, suivre plusieurs générations au sein d’une même famille. Ou subir plusieurs modifications en l’espace de quelques années. Mais à l’échelle du village, ces évènements ponctuels ne remettent pas en cause le monde partagé décrit par les noms d’habitations. Les noms des habitats collectifs, par leur très grande stabilité, offrent un socle durable au corpus de noms.
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Conclusion
Les noms des habitations participent du fait d’habiter en permettant l’appropriation d’un logement. Ils donnent la possibilité d’un discours sur soi : ils clament l’importance de l’appartenance au terroir des Carroz, l’importance de l’appartenance à une parentèle, les goûts, ainsi que l’importance donnée à la parure de la façade du logement. Ils dessinent un monde où leur absence est tout aussi significative que leur présence, un monde au passé pastoral mythique et au présent composé de nature sauvage et de loisirs.
En effet, c’est à partir de son habitat que l’homme se tient dans le monde. L’appropriation est ce qui permet de passer de la «maison» au «chez-soi», et le nom est un signe distinctifs, chargé de significations, utilisé pour s’approprier un habitat. En marquant une séparation entre intérieur et extérieur, l’habitant choisit de mettre son intimité à l’écart du monde. Néanmoins, via la façade et via le nom il choisit ce qu’il montre de lui-même. Le nom est un élément de la stratégie de présentation de soi, un élément de l’affichage de l’intime envers le public. Le nom d’une habitation est un nom propre. Il est donc doté des spécificités inhérentes à ceux-ci. Le nom propre est un désignateur rigide, désignant le même référent dans tous les mondes possibles : chaque énonciation du nom renvoie au baptême initial. Le nom est doté d’une signifiance, un sens «pour nous», qui opère une jonction entre monde social partagé, vie affective et expérience des interlocuteurs. Le nom a la capacité de cumuler du sens au fur et à mesure de ses usages. La signifiance évolue par indexation, c’est à dire par association d’informations culturellement pertinentes au nom. Cette indexation se construit dans les interactions sociales, puis ces informations sont 114
sélectionnées et transmises dans un processus de sédimentation, puis de condensation, et enfin de transformations, de conversions. Le nom sert à désigner mais aussi à individualiser. Lorsqu’un nom commun, une proposition ou un autre nom propre sont choisis comme nom d’habitation ils acquièrent cette propriété du nom propre qui est d’uniciser le référent. De plus, la nomination amène êtres et choses à l’existence sociale, construisant ainsi un monde partagé. Aux Carroz, deux chalets sur cinq portent un nom affiché, et ces noms ainsi que les pratiques et représentations qui y sont associées révèlent une conceptualisation du monde. Enfin, ce qui différencie les noms d’habitats collectifs et d’habitat individuels sont d’une part les donateurs des noms, et d’autre part le référent. Dans le cas des habitats individuels, ce sont les foyers qui sont nommés individuellement, par les membres de la maisonnée : le couple conjugal ou la famille nucléaire. Ces noms sont témoin d’un projet commun, ils véhiculent une histoire personnelle. Les habitats collectifs sont nommés, a priori, par leur promoteur. Ces noms désignent l’entité physique, le bâtiment, auquel appartiennent plusieurs foyers.
Le nom permet un discours sur soi, mettant en valeur ce qui est important pour les individus de la maisonnée. Aux Carroz, les trois modalités de discours sur soi sont l’appartenance à un terroir, l’appartenance à une parentèle, l’affichage des valeurs et des goûts, et la parure. La première modalité, affirmant l’appartenance à un terroir, est la plus largement représenté, que ce soit pour les résidences principales ou secondaires. C’est avant tout le terroir des Carroz qui est valorisé. Ces noms montrent un attachement fort au lieu, ils clament le plaisir manifeste d’être ici. Les noms mettent en avant les éléments du paysage, réels ou fantasmés, jugés pertinents. Ils mettent en rapport l’habitation avec les sommets, l’éloignent de la vallée. Les animaux cités vivent en haute-montagne, les plantes poussent dans les étages montagnards, subalpin et alpin. Les termes issus de la géographie alpine et les toponymes mettent également les habitations en relation avec les cimes. Tous ces éléments sont parés de valeurs positives auxquels les habitants s’identifient. 115
Enfin, les noms peuvent manifester une nostalgie d’un autre temps, celui où vaches et hommes effectuaient des migrations saisonnières, ou encore la nostalgie d’un autre lieu dont le sens ou la langue vante l’exotisme. Les noms sont alors des traits d’unions entre deux époques ou deux endroits. Les noms des habitats individuels, résidence principale ou secondaire, et des habitats collectifs sont très parallèles. Ils sont utilisés parce qu’ils véhiculent des valeurs à la fois de nature, de plaisir des sens, et d’ancrage territorial. Le grand nombre de noms d’habitats collectifs au sein de ce type de nom s’explique par le fait qu’ils cherchent à susciter l’adhésion des habitants. Celle-ci passe par l’appropriation. Et l’appropriation de ces noms est facilitée par le fait que ces noms font directement appel à des expériences vécues du monde physique.
La mise en avant de l’appartenance à une parentèle peut se faire à travers des prénoms - ou dérivés-, des patronymes -ou dérivés-, ou la citation d’un ou plusieurs membres de la parentèle - réelle ou élective. Le choix de cet affichage de l’ancrage affectif peut être un hommage à un ou plusieurs ancêtres, surtout lorsque l’achat du chalet fait suite à un héritage. La faible profondeur généalogique est à mettre en relation avec la relative jeunesse de la station de ski. Ces noms lient la mémoire et la destinée de la famille à celle du bien immobilier. Cela ancre dans le temps une situation donnée : une fratrie, une amitié, sans laisser la place aux changements. Les femmes sont nommées par leur prénom, unicisées ; les hommes sont nommés par leur patronyme, rattachés à une parentèle. Enfin, utiliser des prénoms fictifs dans le cadre de la vente immobilière pour suggérer une narration relève du story telling, une technique marketing. Certains chalets affichent les valeurs et les goûts des habitants. Cette modalité de discours sur soi est relativement peu développée, et quasiment absente des noms des résidences principales. Plus modestes, les habitants des Carroz n’affichent pas leurs valeurs ou leurs goûts via le nom de leur habitation, tout comme ils n’affichent pas leur existence personnelle, mais uniquement leur existence au sein d’une parentèle
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La parure peut être d’une part symbolique, grâce à la puissance évocatrice des mots. Il s’agit des fleurs, des pierres précieuses ou encore des scintillements de la neige. Ils s’adressent à nos différents sens, vue, odorat et goût. Un autre moyen de parer symboliquement un habitat est d’utiliser un nom qui évoque un autre type d’habitat plus valorisant, relevant d’une quête de pittoresque. Une attention est portée à l’objet matériel support du nom. Le bois est le matériaux le plus largement répandu, valorisé pour son origine naturelle et sa pérennité. L’utilisation du bois relève également de la reproduction d’une pratique établie. Les panneaux sont tous fait main, par les propriétaires ou par un artisan, jamais industrialisés. Il en résulte que chaque panneau est unique. Ceci, avec la recherche d’unicité du nom, insiste sur l’aspect individualisant du nom propre. Des dessins, également réalisés à la main, viennent décorer ces panneaux. Ils représentent des éléments physiques du contexte proche (fleurs, flocons de neige, montagnes, etc). Certains panneaux sont prétexte à réactualiser la pratique des poyas : peintures sur bois profanes, qui représentent la montée à l’alpage. L’emplacement de ces panneaux sur la façade est réfléchie. Ils entrent dans une composition établie, ou y répondent en contrepoint. Ces compositions comprennent les modénatures de la façade, mais également des objets et outils en bois.
La nomination des chalets est une pratique propre aux stations de skis. Cette pratique met donc en relation Les Carroz avec ses homologues, les distinguant des autres villages. A l’échelle du village, ils peuvent également mettre en relation des chalets dont les noms se répondent. Enfin, ils peuvent mettre en relation des individus, le propriétaire et le passant, en créant une connivence fugace lorsque celui-ci comprend le sens du nom. Mais ils sont également des outils d’exclusion, marquant ainsi les contours d’un cercle social. Ces noms sont avant tout ludiques, ils invitent à la réflexion et à la rêverie. Le passant peut ainsi se faire sa propre définition du nom. Les Carroz sont constitués de plusieurs groupes sociaux, présents ou non dans le village en fonction du rythme des saisons touristiques : les résidents permanents, les saisonniers et les touristes. Seuls certains d’entre eux jouent un rôle dans la nomination 117
des habitations. Les vrais carroziens, dont les familles sont implantées dans la commune depuis plusieurs siècles et qui sont propriétaires des terres, ont vu arriver les noms des habitations dans le village avec le tourisme. Pour eux, ne pas nommer son habitation est une marque d’appartenance à ce groupe, afin de se distinguer des néo-arrivants et des propriétaires de résidences secondaires. Ceux qui possèdent un ou plusieurs biens destinés uniquement à la location n’affichent pas tous les noms, ceux-ci étant des outils marketing, marquant une connivence entre propriétaire et locataire et une exclusion des voisins. Enfin, les néo-arrivants, qui sont carroziens par choix et non par naissance, ainsi que les propriétaires de résidence secondaire pour leur propre usage, sont ceux qui nomment le plus leurs chalets. Ces chalets dessinent un monde commun. Ils témoignent des schèmes présents dans la culture qui permettent la lecture de l’environnement montagnard. Ce monde partagé est un feuilletage d’agropastoralisme, de nature vierge et d’espace de loisir. Le passé mythique se mêle au présent idéalisé, participant à l’identité du village. Finalement, il est intéressant de constater que les noms des habitats collectifs jouent sur les mêmes registres et sont également le reflet des représentations communes liées aux montagnes. Le nom est un marqueur de rupture ou de continuité dans l’histoire du chalet et / ou de ses habitants : vente, transmission, démolition, construction, mariage, etc. Ils peuvent survivre à leur donateur, suivre plusieurs générations au sein d’une même famille. Ou subir plusieurs modifications en l’espace de quelques années. Mais à l’échelle du village, ces évènements ponctuels ne remettent pas en cause le monde partagé décrit par les noms d’habitations. Les noms des habitats collectifs, par leur très grande stabilité, offrent un socle durable au corpus de noms. Les noms interviennent en tant que puissant moyen d’identification et de reconnaissance sociale. Ils entrent dans un processus d’appropriation territoriale par les deux groupes dominants. Les noms font partie du monde qu’ils décrivent. Choisis dans le présent ou hérités du passé, ils témoignent de ce monde partagé et l’inscrivent de manière pérenne engageant ainsi le futur. 118
Table des figures
Figure 1 (en couverture) Chalet Chez Zéline (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . . . . 2 Figure 2 Les Carroz d’Arâches en hiver (Le Mouël, 2015). . . . . . . . . . . . . . . 5 Figure 3 Carte de France situant Les Carroz d’Arâche (Géoportail, 2015) . . . . . . . 6 Figure 4 Carte de la Haute-Savoie situant Les Carroz d’Arâche (Géoportail, 2015) . . 6 Figure 5 Planorama des Carroz d’Arâches (Thuria, 2010). . . . . . . . . . . . . . . . 7 Figure 6 Extrait de la Mappe Sarde d’Arâches, cadastre de 1728-1738 (Archives départementales de la Haute-Savoie, 2015). . . . . . . . . . . . . . . . . 10 Figure 7 Vue aérienne d’Arâches et des Carroz aujourd’hui (géoportail, 2015) . . . . 10 Figure 8 Carte postale du hameau des Carroz au premier plan, et du hameau du Pernant en arrière plan (archives privées, antérieur à 1953). . . . . . . . 11 Figure 9 Photographie de la vue du quartier du Pernant depuis les Grangettes (Le Mouël, 2015). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Figure 10 Carte postale de la vue des hameaux du Pernant (premier plan), des Carroz (centre) et du Serveray (à gauche, entouré de rouge) (Archives départementales, date inconnue).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 Figure 11 Photographie du village des Carroz d’Arâches depuis le haut de la piste de Timalet (Le Mouël, 2012). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 Figure 12 Indication de l’adresse : Chalet Felycia (340), Iduzki (295) (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 Figure 13 Indication de l’année de construction : Les Cinq Frères (1995), CAR (1932) (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 Figure 14 Indication de l’altitude : Cristal (1200) (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . 22 Figure 15 Indication d’un patronyme : Elen (A. Martin) (Le Mouël, 2015). . . . . . 22 Figure 16 La Tribu, nom lisible depuis la rue (Le Mouël, 2015). . . . . . . . . . . . 24 119
Figure 17 Altitude 1220, le nom est affiché sur la façade du chalet et un panneau répète le nom en bordure de route (Le Mouël, 2015). . . . . . . . . . . . 25 Figure 18 Panneau publicitaire annonçant la future Résidence Léana (Le Mouël, 2015) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 Figure 19 Lapiaz du Désert de Platé, Flaine (DIREN Rhône-Alpes, date inconnue). 42 Figure 20 Carte des sommets et massifs alpins dont les noms sont utilisés pour nommer des habitations aux Carroz. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Figure 21 Carte des sommets de la vallée de l’Arve dont les noms sont utilisés pour nommer des habitations aux Carroz. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Figure 22 Chalet Ruskamp (affiché à gauche) / La Folie de Grand-mère (affiché à droite) (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 Figure 23 Panneau du chalet La Gentiane, sur lequel le nom du chalet est inscrit et la fleur de gentiane est représentée (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . . . 69 Figure 24 Panneau du nom du chalet Virofleur, paré de dessins de fleurs (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70 Figure 25 Panneau du nom du chalet Les Ambourzalles (Le Mouël, 2015). . . . . . . 70 Figure 26 Résidence Lou Caca Tire (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . . . . . . . . 73 Figure 27 Planches en bois creusées (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . . . . . . . . 75 Figure 28 Planches en bois peintes (Le Mouël, 2015). . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 Figure 29 Planches en bois creusées et peintes (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . . . 75 Figure 30 Lettres en relief et lettres découpées (Le Mouël, 2015). . . . . . . . . . . 75 Figure 31 Schéma du débit du bois dit « sur dosse » (Bois Le Bouvet, date inconnue).76 Figure 32 Fer forgé et tôle pliée (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 Figure 33 Plaque de métal gravée et plaque de métal évidée (Le Mouël, 2015). . . . 79 Figure 34 Lettres en faïence et affichette en papier plastifié (Le Mouël, 2015). . . . . 79 Figure 35 Plaque de pierre gravée (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . . . . . . . . . 79 120
Figure 36 Plaque de plastique imitant le bois (Le Mouël, 2015). . . . . . . . . . . . 80 Figure 37 Chalet La Clairière (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 Figure 38 Porte d’entrée surmontée du panneau du nom du Châlet de la Craie du Pas de l’Âne et d’une fleur de chardon séchée (Le Mouël, 2015).. . . . . 81 Figure 39 Panneau du chalet Les Chardons Bleus (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . 82 Figure 40 Éléments graphiques qui ne sont pas en rapport direct avec le nom : une marmotte et des montagnes enneigées pour Not P’tite Folie ; une silhouette de montagnes et des gentianes pour Sevannaz, à côté d’un blason de la Haute-Savoie (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 Figure 41 Représentation figurative du nom : La Bartavelle et La Fioca (la neige) (Le Mouël, 2015). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 Figure 42 Éléments graphiques qui viennent soutenir la compréhension du nom : une chaussure de ski et un skieur de télémark pour Le Talon Libre (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83 Figure 43 Élément graphique qui remplace un mot : I des Neiges (Le Mouël, 2015)..83 Figure 44 Chalet d’ Alain P., qui n’est pas nommé mais qui est décoré de poyas, d’outils et de skis en bois, et zoom sur l’une des poyas (Le Mouël, 2015)..85 Figure 45 Poya accrochée au dessus d’une porte d’entrée et sculpture de vache (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 Figure 46 Panneaux des noms des chalets L’En Haut et Rêve Alpin ornés de poyas (Le Mouël, 2015). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85 Figure 47 Panneau de la Ferme Amarelle ornée d’une poya réduite au strict minimum : une vache et son pâturage (Le Mouël, 2015). . . . . . . . . . 85 Figure 48 Carte de la qualité de l’air lors du pic de pollution, le 8 janvier 2015 (Observatoire Air Rhône-Alpes, 2015). . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105 Figure 49 Chalet dont le nom a été ôté mais dont la trace est encore visible (Le Mouël, 2015).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 Figure 50 Chalet dont le nouveau nom recouvre partiellement l’emplacement de l’ancien nom (Le Mouël, 2015). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 121
Figure 51 Pension Les Cyclamens en 1963 (à gauche) et en 1964 (à droite) après extension (Renand, date inconnue : 25). . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 Figure 52 Le même chalet aujourd’hui, rebaptisé La Ruche (360skiandsun, 2010).. 112 Figure 53 Mappe Sarde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132 Figure 54 Carte d’Etat Major de 1866. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133
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Table des tableaux
Tableau A Catégories et types de logements sur la commune d’Arâches-La-Frasse (INSEE, recensement de la population 2011) . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Tableau B Répartition du nombre de chalets selon la résidence et le nom. . . . . . . 29 Tableau C Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers le règne animal. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 Tableau D Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers le règne végétal.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39 Tableau E Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers le monde minéral. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 Tableau F Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers les toponymes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 Tableau G Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers la description de la localisation de l’habitation. . . . . . . . . . . . . . . . 47 Tableau H Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers des termes de géographie alpine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 Tableau I Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers les références au monde pastoral et à l’architecture vernaculaire.. . . . . . . 49 Tableau J Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers les phénomènes météorologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 Tableau K Noms d’habitation évoquant l’appartenance au terroir alpin à travers le monde surnaturel.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 Tableau L Noms d’habitation évoquant l’appartenance à un terroir lointain à travers la faune et la flore.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 Tableau M Noms d’habitation évoquant l’appartenance à un terroir lointain à travers les toponymes.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 Tableau N Noms d’habitation évoquant l’appartenance à un terroir lointain par le 123
déplacement. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 Tableau O Noms d’habitation évoquant l’appartenance à un terroir lointain via le monde surnaturel.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55 Tableau P Noms d’habitation évoquant l’appartenance à un terroir lointain via l’astronomie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 Tableau Q Noms d’habitation évoquant l’appartenance à un terroir lointain via l’architecture.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56 Tableau R Autres noms d’habitation évoquant l’appartenance à un terroir lointain. . 57 Tableau S Noms d’habitation évoquant l’appartenance à une parentèle . . . . . . . . 60 Tableau T Noms d’habitation évoquant la réussite personnelle, les goûts et les valeurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 Tableau U Tableau des noms d’habitations qui sont en eux-mêmes une parure. . . . 71 Tableau V Tableau des noms d’habitations qui font référence à un autre type d’habitation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 Tableau W Tableau des pourcentages de matériaux utilisé en fonction de la résidence, dans le cas des habitats individuels (le nombre d’occurrences apparait entre parenthèses).. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 Tableau X Noms d’habitation indéterminés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89 Tableau Y Établissements actifs par secteur d’activité au 31 décembre 2012 sur la commune d’Arâches-La-Frasse (INSEE, recensement de la population 2011) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 Tableau Z Évolution du nombre de logement par catégories (INSEE, recensement de la population 2011). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 Tableau AA Les noms des chalets des néo-arrivants comme marqueurs des différents aspects d’un mondes partagé.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101 Tableau AB Les noms des chalets des propriétaires de résidence secondaire comme marqueurs des différents aspects d’un mondes partagé. . . . . . . . . . . 102 Tableau AC Les noms des chalets, dont les propriétaires ne sont pas déterminés, comme marqueurs des différents aspects d’un mondes partagé.. . . . . . 103 124
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Annexes
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Fig. 53 : Mappe Sarde
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N
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1km
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Fig. 54 : Carte d’Etat Major de 1866
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2015 © IGN
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04.4" E 6° 38' N ' 50.5" 46° 01
Résumé Aux Carroz d’Arâches (Haute-Savoie, France) de nombreux chalets, immeubles et résidences portent des noms. Ces noms sont un discours qu’adresse l’habitant au promeneur : il parler de lui, évoque ce qui lui tient à cœur. Mais ces noms tous ensemble dessinent un monde partagé, issu d’une fabrication sociale de la montagne où cohabitent vaches d’autrefois et skieurs d’aujourd’hui.
L’auteure Chloé Le Mouël, architecte et amatrice de montagnes. Les questionnements autour des usagers au cours de ses études en architecture et une observation intriguée de l’architecture vernaculaire à travers plusieurs continents l’ont menée à l’ethnologie. Elle porte sur le monde un regard nourri par ces deux disciplines, les faisant communiquer et résonner afin de tenter de comprendre le monde qui l’entoure.
Contact 3 rue Jean Moulin 74100 Ambilly chloe.lemouel@wanadoo.fr