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élisabeth telsnig préambule

Historienne de l’art et commissaire d’exposition, Elisabeth Telsnig a dirigé pendant 20 ans l’atelier de dessin et peinture de l’institution pour personnes handicapée Lebenshilfe Ried im Innkreis en Autriche. Dès 1998, grâce à son intervention, la production de Josef Hofer a été systématiquement préservée et valorisée. Elisabeth Telsnig a également publié une monographie de l’artiste en 2013 (Josef Hofer. Monographie, Linz, Bibliothek der Provinz), signé un article dans la revue Raw Vision en 2006 “Unlocking the human form” et écrit plusieurs textes pour des catalogues d’expositions.

J’ai rencontré Josef Hofer au début de l’année 1997, lorsque j’ai pris la direction de l’atelier de dessin et peinture de Ried im Innkreis. Je ne l’ai d’abord pas vraiment remarqué en tant que personne, tant il était silencieux et effacé.

En revanche, ses dessins, réalisés sur du fin papier de rouleaux d’imprimante, me sont tout de suite apparus comme quelque chose de spécial et se distinguaient très nettement de tout ce que j’avais pu voir jusque là.

Josef Hofer travaillait alors dans un groupe de vannerie et ne venait qu’une fois par semaine pour dessiner. Mais rapidement, sa participation devint quotidienne.

Josef Hofer a un caractère bien trempé, que d’aucuns ressentent comme entêté, voire borné. Malgré son handicap, il a appris très tôt à s’imposer et à travailler de façon totalement autonome. C’est ainsi qu’il se défend avec véhémence contre toute tentative d’influence ou d’immixtion dans ses activités. Et ce, bien qu’il ne s’exprime guère verbalement, étant pratiquement sourd de naissance. Ses dessins sont donc sans titre, ce qui laisse à celui qui les examine toute liberté d’interprétation et explique partiellement la fascination qu’ils exercent.

Les parents de Josef Hofer exploitaient une petite ferme dans le nord de la Haute Autriche, et dès sa plus tendre enfance, ce dernier manifestait un grand intérêt pour les tracteurs, machines agricoles et, bien entendu, pour les animaux, et particulièrement les chevaux.

Dans ses premiers dessins, cet univers familier tient d’ailleurs une place prépondérante.

Jusqu’à récemment, et chaque fois que le temps le permettait, il jouait avec des tracteurs et des pelleteuses en plastique dans

un bac à sable aménagé spécialement pour lui. Sa chambre est pleine de jouets comme des machines agricoles et autres personnages Playmobil.

Cet univers enfantin, il l’a préservé jusqu’à aujourd’hui. Ses œuvres précoces ont d’ailleurs conservé ce caractère enjoué, «bonsaïesques » comme les a qualifié l’historien d’art autrichien Wieland Schmied.

Au contraire de ses nus - souvent des autoportraits, plus rarement des figures androgynes ou féminines - qui paraissent exprimer une tension opposée et sont de prime abord, pour certains observateurs, irritants et déconcertants. Ses dessins sont comme les témoignages de ses soliloques face au miroir qu’il a installé dans sa chambre.

Alors qu’au début les corps et les objets flottaient dans l’espace de la page, dès 2003 il commença subitement à les encadrer de jaune et d’orange. Depuis, l’envahissement toujours plus manifeste et plus intense de ce cadre traduit nettement l’horror vacui. Hofer s’emploie durant des heures à tracer obsessivement ces bandeaux jaune/orange – qui rappellent d’ailleurs des travaux de vannerie.

Dans des cartouches réservés à cet effet, il appose sa signature, PEPI, dans des séquences et des ordres différents, parfois même de droite à gauche.

Il entoure ses nus avec ces cadres comme pour former un cocon protecteur. Frontaux, crus, le sexe rehaussé de rouge, ses corps sont souvent sans pieds ni tête ou alors contraints dans l’espace restant.

Cette vision fragmentaire, réduite au torse, est probablement due à l’image tronquée que lui renvoie son miroir et, qui plus est, celui-ci est posé à même le sol de sa chambre, car Josef Hofer ne veut pas qu’il soit accroché au mur.

En fait, avec la radicalité de ses autoportraits, Hofer se confronte à sa sexualité. Il ne représente pas, comme Schiele, des corps décharnés ou suppliciés, voire automutilés comme chez les premiers actionnistes comme Rudolf Schwarzkogler ou Günter Brus. Non, il y a chez lui une dimension purement existentielle, juste une manière d’être, une façon de représenter sa masculinité, sans aucune autre intention. Il n’est question chez lui ni de rébellion ni de provocation. Avec joie, fierté même, Hofer donne à voir le plaisir qu’il éprouve avec lui-même.

Michel Thévoz, ancien directeur de la Collection de l’Art But, à Lausanne, parlait, à propos d’Hofer « d’état de grâce ». Soulignant ainsi l’absence d’intention de sa part.

Josef Hofer travaille par séries, répétant inlassablement et avec d’infinies variations ses sujets. Tandis que le cadre en définit invariablement la forme, le sujet incarcéré est décliné en de légères variations de perspective jusqu’à l’épuisement des possibilités. Il vise ce qui paraît être pour lui une forme absolue et ce n’est

qu’une fois cette forme atteinte qu’il peut se consacrer avec la même opiniâtreté au sujet suivant.

Les dessins de Josef Hofer recèlent une composition grandiose déterminée, dès le début, par quelques lignes tracées sur le papier. Il ne sait rien du nombre d’or, pas plus que des lois de la perspective. Et pourtant il parvient avec une aisance frappante à inscrire ses sujets dans des espaces architecturaux, formant ainsi des images avec un grand effet de profondeur.

Josef Hofer ne se considérerait probablement pas comme un artiste, tant ce concept ou celui d’art lui sont étrangers. Le dessin forme plutôt, pour lui, une part de sa réalité quotidienne, ni plus ni moins qu’un travail qu’il exécute avec une grande application. Et il n’est sans doute pas conscient de la place qu’il occupe dans le monde de l’art, ni de l’importance des œuvres qu’il réalise. Quant à nous, seulement pouvons-nous conjecturer sur son degré de conscience de tout ceci, mais sans certitude aucune.

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