La fragmentation du réel dans l’image mise en scène
Christophe Voisin Mémoire Mai 2015
Plan
Introduction p.9 1. Le réel mis en scène
p.19
1.1 Jeff Wall p.21
1.2 Philip-Lorca diCorcia, Streetwork p.25
2. Réalité Métaphysique p.31
2.1 Grégory Crewdaon, Beaneth The Roses p.33
2.2 Lise Sarfati, l’hyperréalité, She p.39
3. Reconstitution p.47
3.1 Taryn Simon, The Innocents p.51
3.2 Mohamed Bourouissa, Périphérique
p.55
Conclusion p.61 Bibliographie Annexes
Introduction
Ce travail de mémoire tente d’analyser la photographie mise en scène sous un angle différent. Habituellement, elle se définit comme une image fictionnelle, c’està-dire qu’elle se crée d’abord dans l’imaginaire du photographe. L’image est préméditée, elle existe dans l’esprit avant d’être réalisée ce qui rend le médium photographique depuis ses débuts, sujet à l’ambiguïté. Ce genre photographique en est pour moi, le principal responsable. Ces images, quelque soit leurs intentions narratives sont toujours une interprétation des choix esthétiques de l’auteur. Nous pouvons alors distinguer plusieurs sortes de sous-catégories, la mise en scène du réel et le presque documentaire sont ceux qui s’approchent le plus de la vie quotidienne que ce soit dans les sujets représentés ou son esthétique proche du photo-reportage. Les reconstitutions, elles, se composent d’éléments évoquant des faits passés avec plus ou moins de précision, dans une affirmation d’artificialité mesurée. Il me semble nécessaire de resserrer le champ des possibles, si l’on prend en compte l’action de cadrage ou la direction du modèle comme de la mise en scène, il est important de circonscrire le sujet sur l’étude d’une photographie construite. J’entends par là l’apport de lieux choisis (ou construits), de personnages précis jouant un rôle (ou leur rôle), une étude minutieuse de la lumière ou encore un dispositif scénographique, ces termes habituellement associés à l’élaboration des plateaux de cinémas, sont utilisé ici, pour une image fixe. « En photographie la composition est le moyen par lequel ce qui, autrement, serait prouvé comme un simple flux phénoménologique est fixé et identifié. Dans certaine photographie de Wall, la composition semble donner une mesure à la direction que les choses devraient prendre (…) » 1. Nous sommes ici dans l’affirmation de la construction. La mise en scène donne l’illusion de la réalité, une réalité agencée, travaillée, de manière à obtenir une narration précise. C’est là tout l’intérêt de réaliser ce type de photographie. Elle permettrait au spectateur de se projeter dans le récit en lui donnant (ou en soustrayant) certains éléments clés pour la lecture de l’image.
1. WALL Jeff, La cinématographie: un prologue, 2005, Jeff Wall, l’édition complète, Paris, PHAIDON, 2010, p.259
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Fig 1: Mohamaed Bourouissa, carré rouge, série Péripherique, photographie couleur, 2007-2008
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Il est en effet possible de distinguer plusieurs déclinaisons de ces images construites. Celles qui tentent de dissimuler leurs artifices comme dans Carré rouge Fig 1 de Mohammed Bourouissa qui s’apparenterait plutôt à une image de reportage ou dans un cas contraire, celui ou les réels effectifs se composent pour éloigner le spectateur d’une réalité physique, comme pour la série Beneeth the roses de Gregory Crewdson qui sont des représentations de l’imaginaire. La construction comme évoquée ici, n’est en aucun cas liée à sa composition primaire, il s’agit d’en parler comme d’une performance scénographique de la part de l’opérateur. S’il m’est intéressant de laisser la fiction de côté, c’est pour m’intéresser aux éléments qui composent l’image, ceux-ci sont en effet tous issus du réel. Leur empreinte sur la surface photosensible, film ou capteur numérique, en est la preuve. Le fractionnement du réel dans la photographie mise en scène a une part importante dans sa compréhension. Il permet, selon moi, la lecture de celleci dans un sens défini, ainsi, la quantification du réel pourrait nous donner des indications au sujet de l’interprétation que nous devons faire de l’image. Il est nécessaire pour cela de plonger dans différents corpus d’images. Ne pas analyser les nombreuses photographies de Jeff Wall semble difficile. Il fait en effet partie des tenants majeurs de la mise en scène, qu’elle soit une fidèle reproduction d’un moment du réel ou un tableau vivant fictif. Je limiterai néanmoins son apparition au besoin d’analyses comparatives. Plusieurs photographes, tous liés par la construction de l’image, mais ayant des buts narratifs différents seront alors appelés à intervenir. Que ce soit Philip-Lorca diCorcia, Gregory Crewdson, Mohamed Bourouissa ou Taryn Simon, et malgré les apparentes différences esthétiques, nous verrons que le réel à une importance cruciale. Lise Sarfati, aux premiers abords éloignée de ces pratiques de construction, intervient de manière importante avec la notion d’hyperréalité, principe kafkaïen basé sur la mise en doute par « le trop d’informations ».
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Nous sommes face à l’ambiguïté même de la photographie mise en scène. Il s’agit de rentrer un peu plus dans l’image en analysant le réel qui nous est proposée de manière effective et, selon notre vision de la réalité, à interpréter le contenu de l’image. Intervient alors la décision du spectateur de classifier l’image qui lui est donnée d’observer. L’œuvre mise en scène pourrait alors être assimilée à une photographie, de mode, ou d’un autre genre photographique comme le reportage. Ce pourrait être le cas pour les images de la série Périphérique de Mohammed Bourouissa 2. L’imaginaire collectif et les médias nous ont formatés sur l’image que nous avons des banlieues. Et c’est ainsi que les photographies de Bourouissa nous semblent conforment à une certaine réalité que nous avons déjà côtoyée, soit par d’autres médias, soit en les imaginant comme les faits nous ont été contés. Les éléments de l’image font alors appel à ce que nous connaissons ou ce que nous pouvons identifier. Lors d’un entretien avec Lise Sarfati, est ressortie la notion de prisme 3 du spectateur, qui nous permet la lecture de l’image, les informations assimilées lors des vécus du spectateur. Ces aspects du réel sont dépendants de la richesse et de la crédibilité que nous donnons aux détails. Il sera aussi nécessaire d’aborder les liens entre la photographie mise en scène et la peinture, car ils semblent liés depuis toujours. Cette assimilation au médium pictural est présente chez chacun des artistes présentés dans ce travail. Il est alors nécessaire de définir ce qui les relie. Arnaud Rykner explique que ces tableaux vivants, par leur nature spontanée et exubérante, se transforment en scène de vie complexe liée à une grande capacité narrative, représentant principalement des actions. Ils questionnent alors sur le vrai ou le faux: « Il est, par nature, une sorte d’entre-deux instable : mi-corps/mi-code; mi-réalité/mi-fiction; mi-chaire/mi-tableau, en cultivant le doute que suppose cette articulation :
2. RYKNER Arnaud (dir.), Entre codes et corps, tableau vivant et photographie mise en scène, Pau, Presses Universitaires de Pau et des Pays de l’Adour, 2012. BUIGNET Christine, Rikner Arnaud, Nature pas morte vie pas tranquille, du tableau vivant à la photographie mise en scène. p.27-41 3. Interview de Lise Sarfati par Chistophe Voisin, Vevey, 2014. (Voir annexe) 13
«Caractère de ce qui est réel, de ce qui existe effectivement. La réalité d’un fait.» «Ce qui existe, l’existence réelle. Le rêve les illusions et la réalité.» «Choses réelles. Prendre ces désires pour des réalités.»
MORVAN Daniel (dir), Le Robert de poche 2009, Paris, LE ROBERT, 2008, p.610 14
est-ce un tableau ? / est-ce un corps ? – est-ce une mise en scène ? / est-ce un « instant décisif » ? Le seuil posé est à chaque fois volontairement fragilisé » 4. Ces liens établis entre les médiums pourraient sembler purement théoriques s’ils n’étaient pas voulus par les artistes. Thierry De Duve apporte une réponse sur l’évolution de la photographie en tant que descendant logique de la peinture: «Il est non moins commode, d’un point de vue politique, de répéter ce qui est presque devenu un cliché du corpus critique sur l’œuvre de Jeff Wall (y compris dans ses propres écrits) à savoir qu’il se serait donné comme tâche d’être aujourd’hui le peintre de la vie moderne, comme Manet l’était en son temps. Et puisqu’aujourd’hui la peinture ne saurait plus assumer cette fonction, le peintre se serait fait photographe » 5. L’image mise en scène, riche des informations qu’elle contient, peut elle alors devenir un document en soit ? Elle n’a certes pas la prétention d’une photographie de reportage qui fait état d’une condition, mais contient des indices précis quant à sa lecture. Les scènes de Wall sont représentatives d’une société dans laquelle il évolue. Il parle alors de presque documentaire dans un entretien avec Chevrier: «Des images comme Housekeeping ou Cyclist sont proches du documentaire, mais elles n’en sont pas. Elles sont en relation étroite avec le reportage, mais elles n’en sont pas. Et cette petite différence, ce petit écart me semble très grand (…) Il y a une raison pour laquelle je ne peux devenir un reporter, mais je ne la connais pas» 6. Il se peut dès lors que chaque mise en scène soit une documentation, soit du réel, soit de l’imaginaire. L’image fixe et silencieuse, qui nous est proposée d’observer, reste soumise de façon plus ou moins importante, à interprétations. Malgré cela toutes images photographiques comportent uniquement la trace d’éléments du réel puisqu’il s’agit de l’emprunte de la lumière. Nous sommes donc face à un rassemblement
4. RYKNER Arnaud (dir.), Entre codes et corps, tableau vivant et photographie mise en scène, Pau, Presses Universitaires de Pau et des Pays de l’Adour, 2012. BUIGNET Christine, Rikner Arnaud, Nature pas morte vie pas tranquille, du tableau vivant à la photographie mise en scène. p.27-41 5. Thierry De Duve, Jeff Wall, l’édition complète, Paris, PHAIDON, 2010, p.12 6. Entretien entre CHEVRIER Jean-François et WAll Jeff, école supérieure des beaux-arts de Paris, 2001. 15
d’éléments existants créant une nouvelle réalité/fiction. Il est nécessaire de définir plus précisément ce que sont, pour moi, ces types de réalités, pour pouvoir isoler les éléments plus ou moins factuels de la photographie mise en scène. Ainsi il sera possible de définir plus précisément le genre photographique auquel nous sommes confrontés. S’agit il d’une photographie presque documentaire ou d’une reconstitution ? Sommes-nous face à une réalité physique ou est-ce la projection de l’imaginaire du photographe ? La réalité qui sera observée, ne prendra pas uniquement en compte le contenu de l’image, mais aussi ce qui se passe autour. Etant donné que la photographie est le fragment d’un vaste ensemble 7, il sera nécessaire d’aborder la construction et de prendre du recule par rapport à la prise de vue définitive, plutôt que de focaliser l’attention sur l’intention du photographe et l’image finale. L’observation sera faite sur les moyens nécessaires à la réalisation.
7. PÉLNEC Arielle, Correspondances,1996, Jeff Wall, l’édition complète, Paris, PHAIDON, 2010, p.36
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1. Le réel mis en scène
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Fig 2: Jeff Wall, A Sudden Gust of Wind, 1993, cibachrome et caisson lumineux, 229 x 377 cm, exemplaire unique et exemplaire d’artiste
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1.1 Jeff Wall
Les éléments effectifs présents dans la photographie mise en scène sont les éléments identifiables dans l’image, la réalité effective, leur présence n’est pas à remettre en question, puisqu’ils sont observables. Toute l’ambiguïté tient dans le sens que l’on va leur donner. La réalité effective est donc une réalité plastique uniquement, c’est la manière dont nous allons percevoir une photographie mise en scène au premier coup d’œil. Ainsi une photographie de Jeff Wall comme A Sudden Gust of Wind Fig.2 pourrait passer pour une image hasardeuse prise sur le vif. La réalité effective se composerait alors de figures (humaines ou animales), d’un lieu dans lequel elles peuvent évoluer, d’une ambiance et de plus ou moins de détails et d’objets. Que les éléments qui composent l’image soit ou non fabriqués (décors, acteurs, lumière) n’a ici guère d’importance, s’ils apparaissent dans le cadre d’une photographie mise en scène, c’est un choix. La légende peut, elle aussi, entrer dans cette réalité, mais uniquement en tant qu’élément présent avec l’image et non pas à titre informatif car sa véracité n’est en aucun cas plus justifiable par le fait qu’une légende soit du texte. Elle peut en tout temps être romancée. La réalité est donc ce que nous percevons du réel à travers nos connaissances et nos ignorances. Mettre en scène des éléments du réel tient compte du fait de l’imaginaire ou du quotidien du photographe. Jeff Wall par sa large pratique du genre, démontre qu’il y a différentes façons de concevoir une image. Nombreuses sont ces compositions réalisées de façon minutieuses ou aucun élément n’est laissé au hasard. Prenons comme point de départ une de ses images emblématiques, Insomnia Fig 3. De prime abord, il pourrait s’agir d’une image de reportage montrant la détresse de l’être, dans l’incapacité d’aborder la sérénité. Cette image représente un homme couché sous une table, dans une cuisine. La pièce est de manière générale relativement hostile et froide, mais c’est la perfection des détails comme le beurre, ou le reflet du tube néon dans la fenêtre nous poussent à
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Fig 3. Jeff Wall, Insomnia, 1994, cibachrome et caisson lumineux, 172 x 213.5 cm, ĂŠdition de deux+EA
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faire confiance au caractère documentaire de l’image. Le titre Insomnia et la posture de l’homme, suant, perdu dans ses pensées renforce notre empathie pour cette figure de l’image, sentiment encore accentué par la sensation de claustrophobie amenée elle aussi, par de minutieux détails. En effet, nous ne voyons pas en dehors de la pièce. Le volet est clos tout comme la fenêtre, même l’orifice qui servait de ventilation pour une cuisinière passée a été soigneusement rebouché. Tout ceci, confond réalité effective et conforme, l’image est impressionnante de réalisme puisque nous sommes enclins à déchiffrer les moindres éléments qui la compose de façon factuelle, mais aussi de la confondre avec une réalité, quelle soit sentimentale ou visuelle. Cette analyse, bien que sommaire, car basée sur le contenu plastique de l’image, pourrait sembler suffisante pour créer un discours social sur la condition de l’être. Mais ce lieu, frappant de réalisme n’est autre qu’un décor conçu par l’artiste 8. L’intérêt de cette prise de position réside dans la maîtrise totale des éléments qui interviendront dans la photographie, décors, acteurs, lumières artificielles et scénographie. «L’exigence du réalisme est dépassée, puisque le faux, reconstitution à la fois mystérieuse et scientifique, promet une réalité qui nous parle plus que le réel lui même » 9. Mark Lewis lie le temps nécessaire à la réalisation de ses images aux daguerréotypes, au début de la photographie, un temps, certes moindre était nécessaire à la photographie pour être figée sur sa surface de cuivre argentée. Il y voit ainsi la résonance de la modernité de la photographie 10. L’utilisation récurrente par Wall des termes tableau et peintre de la vie moderne donne d’autres informations sur la mise en scène.11 Laissant de côté la spécificité du médium photographique qu’est l’instantanéité, il compose, à la manière d’un peintre, des tableaux vivants basés sur des souvenirs ou des événements vus ou vécus.
8. BUIGNET Christine, RYKNER Arnaud (dir.), Entre codes et corps, tableau vivant et photographie mise en scène, Pau, Presses Universitaires de Pau et des Pays de l’Adour, 2012. BUIGNET Christine, Iréels réalisé, réalités exacèrbées. p.236 9. BOISSARD Julie, Jeff Wall:faux réels, DUPON Valérie, TILLIER Bertrand (dir), Sociétés et représentations, Pour de faux ? Histoire et fiction dans l’art contemporain, Paris, Publications de la sorbone, printemps 2012, n°33 10. LEWIS Mark, Jeff Wall photographe,2009, Jeff Wall, l’édition complète, Paris, PHAIDON, 2010. 11. OSBORNE Peter, L’art après la photographie, après l’art conceptuel, Jeff Wall, l’édition complète, Paris, PHAIDON, 2010.
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Fig 4. Jeff Wall, Mimic, 1982, cibachrome et caisson lumineux, 198 x 228.5 cm, exemplaire unique 24
1.2 Philip-Lorca diCorcia
Une autre facette du travail de Wall est qu’il n’a pas toujours recours à des subterfuges aussi complexes pour toutes ses images. La photographie Mimic Fig4 en témoigne. Elle, se déroule dans une rue de Vancouver et représente un couple de race blanche se tenant par la main, sur le point de dépasser un jeune asiatique. L’homme blanc porte alors sa main sur le coin de son œil, ce qui à pour effet de mimer l’œil brider du personnage asiatique. La prouesse de Wall est ici de rendre compte d’un micro-geste d’une grande rapidité. C’est l’innocence de la femme et la position des individus qui donnent cette sensation de vitesse, les corps semblent suspendus dans le temps, nous sommes dans la représentation d’un instant décisif. Cette représentation, hors de sa dimension sociale et le fait qu’elle comporte des acteurs, pourrait répondre aux conventions de la street photography 12. Garry Winogrand réalisait dans les années septante des photographies de rue où la plupart du temps les personnages représentés ne se savaient pas photographiés. Il avait comme but de saisir ce que Cartier-Bresson a nommé l’instant décisif. 13 Cette ambiguïté entre street photographie et mise en scène est très bien représentée par le travail de Philip-Lorca diCorcia, Streetwork. Loin des procédés de mise en scènes complexes, il organise des dispositifs d’éclairages sophistiqués dans la rue, ce qui lui permet de photographier les passants à leur insu.14 La part de réel est alors extrêmement importante dans ces images étant donné qu’il n’intervient sur le contenu de ces dernières qu’au moment où il décide de déclencher son appareil. Mais il n’interagît en aucun cas avec les éléments composant sa scène. Roland Barthes propose une théorie dans la chambre claire,15 que lorsque quelqu’un se sait photographié, son comportement est enclin au changement en vue d’une représentation plus précise de son image. Or quand diCorcia réalise ses prises de vue, les figures représentées ne sont, en aucun cas, au courant qu’elles sont photographiées. Elles apparaissent figées dans un instant alors qu’elles traversent ce faisceau de lumière artificielle.
12. FRIED Michael, la street photography revisitée: Jeff Wall, Beat Steuli, Philip-Lorca diCorcia, Pourquoi la photographie à aujourd’hui force d’art, France, Éditions Hazan, 2013 13. Ibid, p236 14. DICORCIA Philip-Lorca, Reflections on Streetwork, Streeteork, Espagne, Ediciones Universidad de Salamanca, 1998 15. BARTHES Roland, La chambre claire, Mayenne, Éditions de l’étoile, Gallimard, le seuil, 1980, p. 24-25 25
Fig 5. Philip-Lorca diCorcia, New York, 1993, sĂŠrie Streetwork, Ektachrom print, 62.6 x 95 cm, 26
Tout dans ces clichés est issu de la réalité, et c’est la lumière, amenée par l’artiste qui pousse notre regard à se focaliser sur certains éléments comme dans New York Fig 5. Cette photographie, qui, comme le reste de la série comporte une esthétique forte, est composée de plusieurs figures qui semblent toutes renfermées sur elles-mêmes. La lumière se focalise alors sur un personnage central, un aveugle demandant l’aumône. Éclairé ainsi le personnage se mystifie, devenant presque irréel. L’artiste explique dans une réflexion préfaçant le livre Streetwork :
The content may criticize the media or the state or the history of photography, but I would be disappointed if the work were reducible to any one of those things. The world is too elusive to pin down in a photograph. The image has to create its own world, hopefully self contained, an analog of reality, not a mirror of it. Issues raised in the images are part of their content. That there should be more questions than answers should surprise no one.16 Et c’est là tout le sens de la mise en scène, si l’image crée son monde, il semblerait alors important de pouvoir créer son monde dans l’image.
16. DICORCIA Philip-Lorca, Reflections on Streetwork, Streeteork, Espagne, Ediciones Universidad de Salamanca, 1998, p.14
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Philip-Lorca diCorcia, Tokyo, sĂŠrie Streetwork, Ektachrom print, 64.8 x 96.5 cm,1994 29
2. Réalité métaphysique
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Fig6. Gregory Crewdson, untitled, beneath the rosese, 2007, Digital C-print,121.9 x 152.4 cm 32
2.1 Grégory Crewdson
Nombreux sont les photographes qui composent leurs images comme Thomas Demand ou Sandy Scoglund, qui construisent tout ce qui compose l’image. Mais il y en a un pour lequel, la construction prend des proportions dantesques, c’est Gregory Crewdson. Semblable à un arrêt sur image d’un blockbusters américain, les images de Crewdson, contrairement à la majorité de celle de Wall, ne cherchent pas à dissimuler leur artificialité, au contraire elle est forte et assumée. Les images qui composent Beneth the Roses, série, selon lui, la plus aboutie en termes de scénographie, sont alors en partie produites dans deux villes industrielles sur le déclin dans le Massachusetts, North Adams et Pittsfield. 17 Les extérieurs, qui comprennent des scènes de ville ou de quartier, sont alors modelés par les lumières artificielles, mais pas uniquement. Les photographies de cette série ne comportent pas de titre, cela, pour ne pas influencer le spectateur dans sa lecture de l’image18, elles apparaîtront donc dans l’ordre chronologique de leur évocation. La première fig 6 est donc une photographie réalisée en ville. Nous nous situons dans le coin droit d’un carrefour, lequel comporte un véhicule, stoppé en son centre, portière conducteur ouverte. Une jeune femme se trouve sur le siège passager, elle semble absorbée par le fait d’un événement récent. Chacun des éléments précités composent une réalité conforme. Nous pouvons à ce stade imaginer une image de Wall simple et froide homogène en terme de composition de lumière, plus proche d’un réel mis en scène, or il n’en n’est rien. Le photographe donne ici plus d’importance à l’environnement qu’à l’automobile où semble s’être passé l’action. Mais c’est aussi lorsque l’on se penche sur les sources de lumière que l’image perd de son aspect conformiste. Si l’on découpe l’image en tiers verticaux, on remarque que les deux premiers sur la gauche sont plutôt chaleureux et accueillants. Le soleil s’est couché depuis peu au dessus de l’enseigne d’un magasin de meubles de luxe, tandis que la lumière des vitrines qui longent l’avenue vient mourir au cœur de celles-ci. Le troisième tiers quant à
17. BANKS Russell, Gregory Crewdson: Sous la surface des roses, Paris, Les Éditions Textuelles, 2008 18. Entretiens, http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/entretien-avec-gregory-crewdson-106782
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fig 7. Gregory Crewdson, untitled, beneath the rosese, 2008, Digital C-print,121.9 x 152.4 cm copie 34
lui est baigné dans la pénombre, même les lampadaires ne semblent pas réchauffer l’ambiance froide (bleutée) de la rue. Attardons-nous maintenant sur le véhicule, celui-ci semble s’être immobilisé dans la précipitation, j’en veux pour preuve les feux de signalisation encore au orange et les phares allumés alors qu’il se trouve sur la partie centrale du carrefour, entre deux passages pour piétons. La portière du véhicule, elle, est ouverte en direction de la pénombre et laisse elle aussi échapper un filet de lumière qui se meurt sur le bitume. Nous sommes au cœur de l’instant prégnant, celui ou la narration laisse place à l’imaginaire. Cette envie de laisser le spectateur se créer son histoire est encore plus forte dans les photographies où apparaissent les intérieurs des bâtiments. Fig 7 En premier lieu, nous pourrions penser à une maison dont l’intérieur est aménagé pour l’occasion, il n’en est rien. L’image, comme le prouve les photographies making-off, Fig.8 a été réalisée en studio, le choix de cette photographie est intéressant car le point de vue est à l’intérieur alors que l’action semble se dérouler à l’extérieur. Extérieur qui, lui aussi, est aménagé pour créer l’illusion d’un quartier. Il apparaît donc que Crewdson crée un monde, certes factice et temporaire, mais dans lequel il a la possibilité d’évoluer réellement et de placer de multiple objets comme il lui convient, et ceci sans limite de taille. Il crée ainsi un nouveau réel comme il l’imagine, qui pourrait à mon avis appartenir à une réalité métaphysique, la construction d’un réel à partir d’une pensée ou d’un imaginaire. La lumière qui donne alors ce ton si singulier aux photographies de Crewdson n’est certainement pas sans rappeler les peintures de Edward Hopper 19 qu’il l’évoque sans détours : «Hopper a exercé sur moi une influence déterminante en tant qu’artiste (…) émergeant d’une tradition purement Américaine, son œuvre aborde les termes de la beauté, de la tristesse, de l’aliénation et du désire » 20. Cette influence picturale se mesure aussi dans la construction des images, si l’on s’attarde à observer les mises en scène qu’il propose nous constatons que
19. BANKS Russell, Gregory Crewdson: Sous la surface des roses, Paris, Les Éditions Textuelles, 2008
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Fig.8 Photographie de plateau de: Gregory Crewdson, untitled, beneath the rosese, 2008, Digital C-print,144.8 x 223.5 cm 36
la profondeur de champs n’a pas de limite, ce qui a pour effet, d’une part de ne pas classer les éléments sur une échelle de valeur, chacune des parties de l’image apporte son lot d’informations sans pour autant s’imposer comme un élément majeur. Malgré que Crewdson se lie au travail de Hopper en terme de lumières et de compositions, il a par cette démarche d’ ”aplatissement ” de l’image une méthode plus proche des expressionnistes qui tentent eux aussi, par des représentations subjectives de la réalité de déclencher chez le spectateur des réactions émotionnelles fortes 21.
20. BANKS Russell, Gregory Crewdson: Sous la surface des roses, Paris, Les Éditions Textuelles, 2008, p.8 21. Ibid
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«Pas d’acteur (Pas de direction d’acteur) Pas de rôles (Pas d’étude de rôle) Pas de mise en scène Mais l’emploi de modèles pris dans la vie. Etre (modèle) au lieu de paraître (acteur)»
BAJAC Quentin, L’anti-album de famille, Bresson Robert, Note sur la cinématographie,1975, Sarfati Lise, She, Santa Fe, TWIN PALMS PUBLISHERS,2012 38
2.2 Lise Sarfati, l’hyperréalité
La série She, de Lise Sarfati, est pour moi un condensé d’ambiguïté. Elle ne se range jamais dans un genre photographique. Jeff Wall disait dans un entretien: « Je pense qu’il y a une fusion entre deux ou trois façons possible de regarder la photo(…) » 22. C’est ce que confirme, d’une certaine façon, Lise Sarfati en parlant du spectateur : « La photographie n’existe pas tant que personne ne la regarde, la photographie à son propre langage. Ce n’est pas à la personne qui fait la photo de la définir. » 23. C’est cela qui, avec ma première lecture de ses images me pousse à la faire intervenir dans ce travail. Pour cette série, comme pour la plupart, Lise Sarfati s’intéresse avant tout à l’élément humain. Il est important pour elle de travailler avec des personnes réelles « qui existent », et donc de ne pas leur faire jouer un rôle qui ne serait pas le leur. Nous suivons donc Christine, une femme d’une quarantaine d’année, maman de deux filles, Sloan et Sasha ainsi que sa sœur, Gina. Chacune est représentée dans son environnement personnel, son lieu de travail, leur maison respective ou de manière plus large, dans leur ville. C’est lorsque l’on découvre les images, que se mettent en place plusieurs ambiguïtés, pour « Sloan #15 San Francisco CA2007 », qui représente une jeune femme, assise sur un tapis dans le salon d’une maison Victorienne, entrain de plier des habits d’enfants, la sensation d’être face à une photographie mise en scène est forte. Tout d’abord, le regarde de la fille est un élément majeur, elle semble, malgré la tache qui lui incombe, complètement absente, absorbée par ces pensées. Il est alors difficile de ne pas penser à l’absorbement des images de Wall, et de faire le lien avec sa photographie, Adrian Walker 24 . Nous sommes ici, de la même manière, face à une personne qui ne semble pas se rendre compte du fait qu’elle est photographiée. Or Sarfati avoue que les figures qu’elle utilise pour cette série n’aiment pas se faire prendre en photo.
22. FRIED Michael, la street photography revisitée: Jeff Wall, Beat Steuli, Philip-Lorca diCorcia, Pourquoi la photographie à aujourd’hui force d’art, France, Éditions Hazan, 2013, p.38 23. VOISIN Christophe, entretien avec Lise Sarfati, 2015 24. SCHWANDER Martin, entretien avec Jeff Wall, Jeff Wall photographe,2009, Jeff Wall, l’édition complète, Paris, PHAIDON, 2010. 39
Fig.10 Lise Sarfati, SLOANE #15 SAN FRANCISCO, 2007 40
Nous l’avons vu plus tôt, Barthes décrit la photographie de portrait comme une mise en scène introspective, «je me fabrique instantanément un autre corps, je me métamorphose en image.» 25 dit-il lorsqu’il se sait photographié. Mais ici la photo semble si spontanée que l’idée d’être face à un portrait s’efface vite, Sarfati se défend d’intervenir peu dans ces compositions, mais elle ne cache pas faire rejouer des gestes ou choisir des lieux de prise de vue : «Car contrairement à ce qui pourrait sembler je ne les suivais pas du matin au soir pour faire une édition pointue de photos de reportage. Ces personnes là, une fois que je suis chez elles, je reste très évasive et je reste là observer leur évolution, je les regarde s’asseoir, toucher une porte… Je ne les fais pas forcément rejouer une scène cela change d’une photo à l’autre. Si je suis par exemple dans le salon avec Christine lorsqu’elle ouvre son carton de macarons et qu’elle se retourne vers moi, j’ai envie de faire cette photo. A ce moment là je lui ferais éventuellement refaire le geste. Mais lorsque Sloan est avec les vêtements de bébé fig 10 nous sommes sur une photo de type snapshot. C’est un mélange des gestes de ces femmes. Lorsque Gina se roule sur le lit pour prendre une cigarette c’est son geste à elle, lorsqu’elle est raide au milieu de la route c’est un geste que nous avons décidé ensemble» Fig.11. 26 Nous serions donc à la frontière du portrait, de la mise en scène et du reportage, mais elle nuance, et évoque une notion importante, celle de l’editing :
«L’édition est trop importante pour que l’on parle de reportage, de plus les lieux de prise de vue sont souvent décidés en amont. Elles me demandaient tout le temps : « tu fais une sorte de biographie
25. BARTHES Roland, La chambre claire, Mayenne, Éditions de l’étoile, Gallimard, le seuil, 1980, p. 24-25 26. VOISIN Christophe, entretien avec Lise Sarfati, 2015
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Fig.11 Lise Sarfati, Gina #24 Oakland, 2007 42
de notre vie ». Mais ce n’est pas du reportage dans la mesure ou je ne suis pas ces filles tout le temps, je ne révèle par ailleurs pas leur métier par exemple, ce qui m’intéresse c’est leur corps dans la banalité du quotidien, alors que ce n’est pas le propos d’une photo de reportage. Mais je m’éloigne aussi de la photographie mise en scène car les photographies ne sont pas réalisées à la chambre par exemple, mais à l’aide d’un petit format (24x36), il n’y a pas d’apport lumineux, je n’utilise que la lumière naturelle, de plus en exposition les tirages sont relativement petits.» 27 L’éditing serait alors trop restrictif pour que l’on parle de reportage, par ailleurs, elle insiste sur le fait qu’elle ne révèle que peu d’informations concernant ses modèles. En effet lorsque que l’on regarde la séquence d’images sous la forme de livre 28, il nous est compliqué de savoir qui est qui. La série ayant était réalisée entre 2005 et 2009, les âges se mélangent et les différences entre mère et filles s’amenuisent, Sloane a en plus l’étrange habitude de se parer de perruques, et ce n’est pas ici un choix photographique, mais bien une habitude journalière. Sarfati, pour expliquer ce sentiment de perdition utilise le terme d’hyper-réel. La photographie serait un médium hyper réel, car elle existe au delà de l’instant de la prise de vue, nous pouvons être en tout temps confrontés à une image silencieuse du passé dans laquelle nous devons projeter notre imaginaire pour en saisir la narration. La réalité serait donc une fiction que nous nous efforçons d’analyser à travers le prisme de notre connaissance ou de notre ignorance . Malgré cela, et selon la volonté de Lise Sarfati de laisser le spectateur décider de la nature de son travail, ma prise de position reste tranchée en ce qui concerne les photographies de la série « SHE », les images où l’immobilité se fait pesante et les regards fuyants, restent pour moi l’emprunte de la contrainte faite
27. Ibid 28. BAJAC Quentin, L’anti-album de famille, Sarfati Lise, She, Santa Fe, TWIN PALMS PUBLISHERS,2012
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Fig.12 Lise Sarfati, SLOANE #66 Oakland, 2009 44
au modèle. Il y a ainsi des éléments qui corroborent cette pensée dans la séquence des images, celle où le regard est face camera Fig.12. La prise en compte du fait d’être photographié est alors obligatoire, l’opérateur agit, par conséquent, même sans volonté sur le comportement du modèle, ce qui induit une mise en scène, ainsi ces regards interviennent dans l’édition comme pour faire entrer le spectateur dans leur univers. 29
29. VOISIN Christophe, entretien avec Lise Sarfati, 2015
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3. Les reconstitutions
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La première image qui me vient lorsque j’aborde le terme de la reconstitution est celle des batailles. Nous pouvons, dans ce cas, parler de reconstitutions historiques, basées sur les faits relatés dans les livres où les preuves matérielles récoltées, font appelle de manière générale à un matériel d’époque et se passent dans les lieux où l’action s’est déroulée. La reconstitution est alors un délicat mélange de réalité et de fiction. Si le travestissement est total grâce aux vêtements qui sont identiques à ceux du fait relaté, l’action est rejouée par des «comédiens». S’il y a une image qui fait écho à ces représentations ce serait bien Dead Troops Talk de Jeff Wall évoquant la guerre en Afghanistan dans les années quatrevingts. Elle comporte treize soldats de l’armée Rouge Russe et un soldat Afghan. Ce qui est frappant, et la légende de l’image nous donne cette indication, c’est que les soldats sont en pleines discussions 30. Cela pourrait sembler normal au premier abord, mais les corps décharnés laissent à penser qu’ils devraient être morts. Il est clair que Jeff Wall n’avait pas comme objectif de critiquer la reconstitution contemporaine des batailles passées, mais l’analogie est intéressante sur le fait que les soldats ne sont pas réellement morts. Mais quelle est la pertinence de la reconstitution si autant de paramètres semblent échapper à la réalité des faits ?
30. FRIED Michael, Pourquoi la photographie à aujourd’hui force d’art, France, Éditions Hazan, 2013, p. 33
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Fig 13 Taryn Simon, Larry Mayes, Scene of arrest, The Royal Inn, Gary, Indiana Police found Mayes hiding beneath a mattress in this room Served 18.5 years of an 80-year sentence for Rape, Robbery, and Unlawful Deviate Conduct, 2002, Chromogenic print, 121.9 x 152.4 cm, Édition de 5 50
3.1 Taryn Simon, The Innocents
Taryn Simon, dans sa série The Innocents, photographie des personnes victime d’erreurs judiciaires. Cette série de photographies diffère des habitudes d’indexation de Simon. Ce travail est en effet issu d’une commande du New York Times qui devait comporter des vidéos et des photographies et accompagner un article 31. En marge de ce travail, elle réalise une série sur l’histoire de 44 hommes et d’une femme, victimes d’une fausse identification. Simon pose alors un questionnement sur la véracité des photographies judiciaires utilisées par la police et qui servent à la reconnaissance des présumés coupables. «La photographie a contribué à l’élaboration d’un mensonge» 32. Elle mélange ainsi la fiction du récit avec les éléments factuels de l’investigation policière. Pour cela, elle travaille sur les lieux qui ont une importance particuliaire dans l’enquête. Lieux d’arrestation, du crime ou de l’alibi et y place la personne inculpée à tort. Le réel est tout ce qui compose l’image, dans Larry Mayes, Scene of arrest, The Royal Inn, Gary, Indiana Police found Mayes hiding beneath a mattress in this room Served 18.5 years of an 80-year sentence for Rape, Robbery, and Unlawful Deviate Conduct Taryn Fig 13 Simon reproduit la scène de l’arrestation. Chaque élément présent dans l’image fait écho à la réalité des faits qui se sont déroulés dix-huit ans plus tôt. La position de l’homme est identique à celle de son arrestation alors qu’il tentait d’échapper à la police en se cachant entre deux matelas. Nous pourrions, par contre, imaginer, à la vue des nombreuses années qui séparent l’arrestation et la photographie, que l’auberge était à l’époque en état d’exploitation ce qui ne semble plus être la cas. La fiction est ici présente sous la forme d’un récit, celui qui a poussé Larry Mayes à cette situation. La reconstitution en terme de position, de lieu, de personnage, est donc totale, seule change la temporalité de l’action qui est représentée près de dix-neuf ans plus tard.
31 Site internet Taryn Simon, http://tarynsimon.com/works_innocents.php 32 Ted Talk, http://www.ted.com/talks/taryn_simon_photographs_secret_sites?language=fr, 2009
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Fig.13 Tarryn Simon, Charles Irvin Fain Scene of the crime, the snake River, Melba, Idaho Served 18 years of a death sentence for Kidnapping, Rape and murder, 2002 Chromogenic print, 121.9 x 152.4 cm, Édition de 5. 52
La série comporte alors d’autres images où la restitution des faits est bien plus aléatoire, comme pour Charles Irvin Fain, Scene of the crime, the snake River, Melba, Idaho Served 18 years of a death sentence for Kidnapping, Rape and murder Fig.14. Le personnage est représenté sur la scène de crime. Or, il n’y a jamais été présent dans les faits, mais uniquement par présomption. Nous sommes donc face à une scène qui ne représente pas ce qui s’est passé du point de vue du condamné, mais de celui de ceux qui ont mené l’enquête. L’image est donc plutôt une image prétexte et est sujette à interprétations. La légende nous donne des indications quant à la manière de décrypter les éléments de l’image. Le lieu nous est présenté comme la scène du crime, mais nous ne sommes pas dans la représentation du meurtre, étant donné que Charles Irvin Fain n’en n’est pas l’auteur. La voiture dont nous apercevons les phares représentent probablement l’enlèvement et le trajet nécessaire au meurtrier pour commettre son méfait. Cette photographie mélange donc allègrement réalité et fiction, récit et interprétations, puisqu’elle implique le véritable accusé au sein de l’environnement du meurtre, mais aussi un projection du déroulement éventuel de l’événement. Taryn Simon crée ainsi des photographies mises en scène d’événements qui découlent d’un récit fictionnel et qui retracent un instant de la vie de ces personnes comme il a été imaginé par les victimes et les témoins ou réellement vécu pas les accusés.
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«Ces photographies ont un pourvoir d’évocation multiple : elles combinent une mémoire récente, celle des actualités, avec une mémoire ancienne, plus particulièrement liée à l’histoire de l’art.»
Marion Guilmot, sur la série Périférique, http://nadour.org/fr/collection/la-republique/ 54
3.2 Mohamed Bourouissa, Périphérique
Les reconstitutions, pour nous paraître crédibles aux yeux de tous, jouent sur les codes que nous connaissons de la réalité qu’elle contient. Mohamed Bourouissa exploite très bien cela dans sa série Périphérique. Cette série de photographies a été réalisée dans différents quartiers en périphérie de grandes villes françaises. Suite aux émeutes qui secouent les banlieues en 2005 33, Bourouissa entame un travail sur la représentation de ces dernières. Il exerce dans un premier temps un important travail de repérage et lorsqu’un lieu lui convient, il rassemble des jeunes qui évoluent dans cet univers précis. La photographie, Carré rouge,Fig 1 en est un bon exemple. Elle présente une dizaine de jeunes en errance dans ce qui semble, aux vue des nombreuses boîtes aux lettres, être le hall d’entrée d’une habitation à loyer modéré. Cette image sortie de sa série pourrait être une photographie documentaire, car aucun artifice de mise en scène n’est visible. Bourouissa joue sur les stéréotypes de la banlieue. Le fait d’avoir recours à « des vrais gens du quartier » 34 lui permet de jouer sur les expressions, les regards ou les gestes. Un acteur venu de l’extérieur n’aurait certainement pas la même présence. Or Bourouissa a grandit dans ces quartiers et en connaît les codes. Il photographie des scènes de la vie des banlieues.
La République Fig 14 photographie emblématique est celle qui fait directement référence aux émeutes qui ont eu lieu en France en 2005. C’est après ces événements qu’il décide de créer cette série pour faire entrer la banlieue dans le champ de l’art. Au premier abord, il pourrait s’agir d’une photographie de reportage prise durant les incidents, car les codes qu’elle comporte se rapprochent des images vues dans la presse à ce moment là. Les éléments assemblés dans cette photographie sont tous issus du réel : les personnages, les bâtiments, le drapeau français. Le mouvement, omniprésent dans l’image par les différentes directions prises par les protagonistes, mais aussi par les gestes, sont représentés
33. Collection détentrice de La République, http://nadour.org/fr/collection/la-republique/ 34. Documentaire video: Pascal Hendrick, L’art et la manière, ARTE FRANCE, IMAGE ET COMPAGNIE,
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Fig.14 Mohamaed Bourouissa, La République, série Péripherique, photographie couleur, 2007-2008 56
au centre de l’image par un jeune homme, vêtu d’un manteau noir à capuche désignant un homme du doigt. Celui-ci, tiré par une personne coupée en deux par le cadre image, semble porter un brassard, ce qui pourrait indiquer qu’il fait partie des forces de l’ordre. Chacun de ces éléments renforce la sensation d’instantanéité. Mais une observation prolongée de l’image va nous démontrer que nous ne sommes pas face à un document journalistique mais bien à une photographie mise en scène. C’est tout d’abord la lumière qui interpelle. Si nous avions été en présence d’une photographie de reportage, il est normal de penser que le flash aurait éclairé le premier plan, mais ici la source de lumière se trouve à l’arrière d’un mur et elle n’est pas le seul point de lumière qui compose l’image. Deux autres se trouvent de manière plus frontale, à gauche et à droite à la vue des ombres qui se composent sur le sol. Une quatrième semble subvenir à l’éclairage de quelques personnes (veste bleue et blanche) au dernier plan. Nous l’avons vu, la photographie mise en scène est étroitement liée à la peinture et Bourouissa n’en fait pas exception. C’est la représentation du drapeau français qui nous donne le référentiel principal et c’est celui du tableau de Delacroix, La liberté guidant le peuple qu’il s’est inspiré. Mohamed est un artiste pluridisciplinaire. La peinture a pour lui une importance particulière, quelle soit par des approches plus urbaines, comme le graffiti ou académique comme le dessin qu’il pratique depuis toujours. Il a, avec la série Périphérique, l’envie de laisser une trace 35. Bourouissa réalise donc des images qui font suite à des événements forts et documentés en recréant des scènes de la vie quotidienne, l’univers de la banlieue. L’utilisation du réel est alors totale, les personnages, les lieux et les actions sont assemblés de manière à créer une scène des plus plausible.
35. Interview Video, Youtube, première partie, https://www.youtube.com/watch?v=dbZuh4KJmEg
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Fig 15 Mohamaed Bourouissa, le poing, série Péripherique, photographie couleur, 2007-2008 58
Il va jusqu’à laisser apparaître des flous de bouger Fig 15, ce qui diminue la sensation d’être face à un instant figé et augmente la tension face à la photographie. Cette série amène une dimension humaine forte en ne se focalisant non plus uniquement sur la violence des banlieues, mais aussi sur les rapports humains qui la régissent, par les échanges qui s’opèrent dans les images.
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Conclusion
La photographie mise en scène même si elle englobe, la plupart des réalisations photographiques, a la capacité de définir des axes de narration précis. Chaque élément qui apparaît dans l’image donne un indice sur sa lecture. C’est là l’avantage de ce type de photographie, l’artiste a la possibilité de décider quand et comment, au travers de sa composition, il va diriger le spectateur. La largesse du champ de cette photographie est accentuée par la variété d’esthétique qu’elle comporte. Parfois exubérante comme les images de Crewdson, ou d’une appartenance saisissante à la vie réelle comme Wall, les intentions sont toujours identiques, nous sommes face à une représentation, plus ou moins romancée de la réalité. Évoquée en introduction, l’analyse de l’image focalisée sur les éléments du réel, fonctionne alors de manière différente pour chaque artiste. Si Bourouissa apparaît comme un artiste travaillant sur la mise en scène du réel, malgré le fait que certaines de ces images soit d’une apparente fausseté, elles comportent bien plus d’éléments factuels que celles de Wall. Ceci étant dû à l’utilisation de figures évoluant dans leurs propres univers. Les motivations qu’ont ces photographes à réaliser leur mises en scène sont quant à elles relativement similaires. La distinction entre réalité et fiction n’est pas à faire. Chacun d’eux construit un univers qui se compose d’éléments réels, des univers où ils ont en tout temps la possibilité d’évoluer, comme les décors de Crewdson, ou les lieux d’alibi de Simon. La sensation que procure cette photographie est alors ambigüe, sommes nous dans un voyage entre le vrai et le faux, ou plutôt entre la réalité que nous connaissons augmentée par celle de l’imaginaire du photographe ? S’il s’avère que c’est le cas, nous pouvons alors définir chaque image comme un document de l’imaginaire, un rêve, une pensée ou une idée matérialisée par le médium photographique.
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Les choix qu’opèrent le photographe quand à la démonstration de l’artifice et lié à la place qu’il laisse au spectateur. L’artificialité assumée laissera au spectateur le choix de ce qu’il veut penser de l’image. Dans la monographie de Gregory Crewdson, il est proposé de regarder des images making off, certes elles n’apparaissent pas en exposition, mais elles me semblent intervenir comme un besoin de démonstration de prouesse technique, ce qui est une nécessité contestable. Les photographies qui sont moins démonstratives en termes d’interventions seront alors plus absorbantes. Car l’attention ne sera plus attirée sur les prouesses techniques ou de compositions mais par la cohérence du contenu de l’image et sa narration. Chaque sensibilité est différente, la mise en scène est, pour moi, le meilleur choix lorsque l’on veux être précis dans sa narration, peut importe qu’elle soit réelle ou fictionnelle. Chaque personne, nous l’avons vu, se fait sa propre analyse selon ces prismes. Ainsi les photographes choisis dans ce travail sont liés à des affinités personnelles. Tenter de se mettre en retrait de ses connaissances lors d’une analyse qui se veut factuelle n’est pas un travail évident. Il s’avère que la connaissance de la démarche d’un artiste influe d’une manière non négligeable sur le jugement que nous faisons lors de la visualisation de son travail. Il serait dès alors intéressant de faire appel à des spectateurs dont la connaissance de ces travaux n’est pas la norme et de voir quel serait leur ressenti. Ce travail soulève plusieurs questions. Est-il possible d’aller plus loin dans la photographie de mise en scène. Quelle en est la frontière? Serait-il possible de mélanger de manière factuelle des actions jouées avec la réalité ? La mise en scène malgré les moyens colossaux déployés par certains artistes et le temps nécessaire à sa réalisation, n’a semble-t-il pas encore atteint ses limites, tout comme celle du médium photographique.
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Bibliographie
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Ouvrages généraux
BUIGNET Christine, RYKNER Arnaud (dir.), Entre codes et corps, tableau vivant et photographie mise enscène, Pau, Presses Universitaires de Pau et des Pays de l’Adour, 2012. PAULI Lori (dir.), La photographie mise en scène, créer l’illusion du réel, Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada, Merrell, 2006 DUPON Valérie, TILLIER Bertrand (dir), Sociétés et représentations, Pour de faux ? Histoire et fiction dans l’art contemporain, Paris, Publications de la sorbone, printemps 2012, n°33 WALL Jeff, Jeff Wall l’édition complète, Paris, PHAIDON, 2010 FRIED Michael (dir.), Pourquoi la photographie à aujourd’hui force d’art, France, Éditions Hazan, 2013 CLAASS Arnaud, Le réel de la photographie, Lettonie, Filiganes Éditions 2012 BARTHES Roland, La chambre claire, Mayenne, Éditions de l’étoile, Gallimard, le Seuil, 1980
Monographies
DICORCIA Philip-Lorca, Streetwork, Espagne, Edicion universidad de Salamanca,1998 CREWDSON Grégory, Sous la surface des roses, Paris, Les Éditions textuel, 2008 SARFATI Lise, She, Santa Fe, TWIN PALMS PUBLISHERS, 2012 67
Interviews
VOISIN Christophe, Entretien avec Lise Sarfati, CEPV, 2015 (annexe)
Filmographie HENDRICK Pascal, L’art et la manière, Mohamed Bourouissa, Arte TV, reportage, 2008 SIMON Taryn, The Innocents, 2003
Webographie Jeff Wall Entretien entre CHEVRIER Jean-François et WAll Jeff, école supérieure des beaux-arts de Paris, 2001, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2006_num_79_1_2420, (consulté le 29 mars 2015)
Lise Sarfati Site officiel: http://www.lisesarfati.com/ Interview de lise Sarfati: http://www.americansuburbx.com/2012/02/interview-lise-sarfati-lise-sarfati-on-hollywood-2011.html (consulté le 6 avril 2015) Interview Video: https://vimeo.com/11809549 (consulté le 2 avril 2015)
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Taryn Simon Site officiel: http://tarynsimon.com/ TED talk: http://www.ted.com/talks/taryn_simon_photographs_secret_sites?language=fr ( consulté le 15 mars 2015)
Mohamed Bourouissa Site officiel: http://www.mohamedbourouissa.com/ Galerie Kamel Nemour: http://www.kamelmennour.com/artists/8/mohamed-bourouissa.works-and-projects.html ( consulté le 5 avril 2015) Site d’ARTE: http://tracks.arte.tv/fr/mohamed-bourouissa-artiste-et-fossoyeur ( consulté le 5 avril 2015) Collection Nadour: http://nadour.org/fr/artists/mohamed-bourouissa/ ( consulté le 5 avril 2015)
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Annexe
Entretien avec Lise Sarfati Mise en scène et hyper-réalité 6 mars 2015
J’aimerais que l’on parle de la série « She » car elle m’interpelle par son aspect mis en scène et son ambiguïté avec votre démarche « d’arrêt sur image » , finalement quel est votre degrés d’intervention dans ces images ? Alors moi j’ai une manière de faire particulière, je choisi des personnes réelles qui existent, je veux dire par là que ce ne sont pas des comédiens, je passe beaucoup de temps à les chercher et au moment de la découverte, ce doit être une stimulation photographique. Je pars de ces rencontres réelles et chaque personnage transporte des émotions personnelles. Je pars donc de cet élément humain particulier, et par rapport à la série « She », qui montre la vie de Christine, une femme d’une quarantaine d’année, maman de deux fille, Sloane et Sasha et de sa sœur Gina. Je voulais faire une série sur ces quatre femmes et je suis partie sur une manière de photographier particulière. Je les photographiais alors dans leur environnement ou dans leur ville, une petite ville provinciale des États-Unis. J’entrais alors dans leur univers mais le but n’était pas de raconter une histoire mais plutôt de faire une mise en rapport des images entre elles, je restais alors là, en ne demandant pas grand chose et j’essayais d’évoluer dans cette espace temps qu’était notre rendez-vous. Car contrairement à ce qui pourrait sembler je ne les suivais pas du matin au soir pour faire une édition pointue de photos de reportage. Ces personnes là, une fois que je suis chez elles, je reste très évasive et je reste là à observer leur évolution, je les regarde s’asseoir, toucher un porte… Je ne les fais pas forcément rejouer une scène cela change d’une photo à l’autre. Si je suis par exemple dans le salon avec Christine lorsqu’elle ouvre son carton de macaron et qu’elle se retourne vers moi, j’ai envie de faire cette photo. A ce moment là je lui ferais éventuellement refaire le geste. Mais lorsque Sloane est avec les vêtements de bébé nous sommes sur une photo de type snapshot. C’est un mélange de gestes de ces femmes, lorsque Gina se roule sur le lit pour prendre une cigarette c’est son geste à elle, lorsqu’elle est raide au milieu de la route c’est un geste que nous avons décidé ensemble.
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Est-ce que l’on peut alors parler d’une sorte de reportage intimiste ? Non car l’édition est trop importante pour que l’on parle de reportage, de plus les lieux de prise de vue sont souvent décidés en amont. Elles me demandaient tout le temps : « tu fais une sorte de biographie de notre vie ? ». Mais ce n’est pas du reportage dans la mesure ou je ne suit pas ces filles tout le temps, je ne révèle par ailleurs pas leur métiers par exemple, ce qui m’intéresse c’est leur corps dans la banalité du quotidien, alors que ce n’est pas le propos d’une photo de reportage. Mais je m’éloigne aussi de la photographie mise en scène car les photographies ne sont pas réalisées à la chambre par exemple, mais à l’aide d’un petit format (24x36), il n’y a pas d’apport lumineux, je n’utilise que la lumière naturelle, de plus en exposition les tirages sont relativement petits, j’ai une volonté de banalité mais aussi de précision. Ce ne doit pas être trop sophistiqué.
Mis à part les photographies en action, nous sommes confrontés dans la série à des regards caméra, ce n’en n’est pas la majorité loin de là, mais ils ont, il me semble, une importance singulière ? Ces photographies sont présentes comme elles pourraient intervenir dans un film, pour dire quelque chose comme « regardez moi, qu’est ce que je fais là ? ». Ce sont des regards désabusés. Je trouve cette ambiguïté intéressante.
Ambiguïté, voilà quelque chose qui, il me semble revient souvent dans cette série. Je prends pour exemple les perruques que portent les jeûnes femmes. Ce travestissement, s’il n’avait pas été leur choix aurait eu une tout autre influence, quelle est son importance ? Les perruques j’aurais pu les créer, mais ça aurait était ennuyeux à mes yeux. Cela ne m’intéresse pas, je serais tombé dans le langage de la mode. Est je ne veux vraiment pas ça, je trouvais incroyable que des filles si jolies puissent porter des perruques. Pourquoi se cachait-elle. Pour moi c’est comme si je faisais
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de l’anti photo de mode à ce moment, d’ailleurs pour m’éloigner un peu plus de cela j’ai arrêté de photographier des femmes par la suite, je ne trouvais plus la frontière entre autobiographie et l’intérêt que j’avais pour elles. Je n’ai jamais voulu que mes photos de femmes soient perçues d’une manière mode ou excitante sexuellement pour des hommes, je ne suis pas dans la représentation de la femme.
Vous avez évoqué un terme hors entretiens que je trouve intéressant, Hyper-réel. Vous qui êtes dans le faux voyage, la fausse figure, est-ce que la réalité est dépassée ? L’hyper-réel n’est pas lié à la mise en scène pour moi, ce n’est pas quelque chose de fantastique. Je pense que la réalité est une fiction, nous voyons des images avec nos yeux mais pas seulement d’une manière mécanique, nous voyons les choses à travers un prisme, nous analysons les choses par rapport à notre mémoire. Par exemple si je regarde par la fenêtre je pourrais dire que je vois un Monnet, ce ne sont pas que des références culturelles, ce sont les millions d’images que nous avons en nous. Par ailleurs la photographie est pour moi Hyper réelle, même si je photographie cet arbre, il y a déjà un cadrage, et je ne pourrait en tirer qu’une image qui n’a rien a voir avec la réalité, ce n’est qu’un bout de papier avec un contour, de surcroîts silencieuse. Cette chose la en soit est pour moi hyper réel, mais elle va au delà car elle existe « après ». Polanski disait que la réalité est plus fictionnelle que la fiction, les gens qui essaye de faire des fictions sont plus mauvais que ceux qui veulent pas en faire, il prenait l’exemple de Kafka qui donnait tellement de détails dans ces livres que ça devenais fictionnel. Il ne faut pas se bloquer sur le réel.
La photographie mise en scène à pour moi plusieurs branches d’action, par exemple nous pouvons avoir de la mode mise en scène comme les travaux de
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commande de Grégoire Alexandre, du réel mise en scène, ( presque documentaire) de Jeff Wall, ou des mise en scène de l’imaginaire, métaphysique, comme Crewdson. La photographie n’existe pas tant que personne ne la regarde, la photographie à son propre langage. Ce n’est pas à la personne qui fait la photo de la définir. Une photo de mode est une photo qui dégage le langage de la mode, par les codes qu’elle comporte (la pose, les vêtements, les personnes). Lorsque je regarde un travail d’étudiant j’ai tendance à enlever ce qui connote mode, pour les amener autre part. Crewdson je ne connais pas bien son travail, mais pour moi cela se rapporte plus au fantasme qu’à la réalité.
La série « She » que nous avons évoqué, une fois le travail terminé et le recul nécessaire acquis, est ce pour vous une bonne représentation des personnes que vous avez photographiées ? Je ne pense pas du tout à elles quand je vois cette série, je vois une séquence un rythme, les erreurs volontaires. Je ne suis plus dans la représentation des personnes mais dans ce que renvoie cette série de personnage vacant. C’est le manque qui est important, l’accumulation de personnages féminins dans les décors, la contradiction entre les espaces et les figures. La perte de repère qui s’opère le long de la série. C’est plus un ressenti social qu’une prouesse photographique, la performance m’importe peu, je veux ressentir les photographies.
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Merci à Ariane Pollet qui a dirigé ce mémoire, à Nassim Daghighian pour ses pistes de réflexions et ses conseils, ainsi qu’aux personnes de mon entourage qui ont rendu possible ce travail.