Les mémoires de Tatache

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Je dédie ce livre, « Les mémoires de Tatache » à ma famille, mes enfants, petits- enfants et mes amis qui connaissaient mon projet d’écrire un jour cette histoire. J’espérais, sans trop y croire, qu’un jour, quelqu’un me l’éditerait ! Et bien, voilà ! Aujourd’hui, j’ai réalisé mon rêve secret et vous le tenez dans vos mains! Si le miracle s’est produit, c’est grâce à ma petite sœur, Suzi, qui m’a aidée et encouragée à aller jusqu’au bout ! My Moos-Jaeger

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Récit de My Moos-Jaeger

en collaboration avec Suzi Philippe-Jaeger

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PREFACE Mon amour pour les chats remonte au plus loin de mes souvenirs. Les albums de photos en sont les témoins silencieux. Il est rare de m’y voir sans être en leur compagnie. Le chat a toujours fait partie intégrante de notre famille. Ma mère, mémoire vivante de nos ancêtres, m’a souvent raconté comment son grand-père ne pouvait se déplacer sans son chat. Chose inhabituelle, dans les années 1800,où ces animaux étaient plutôt utilisés pour chasser les rongeurs qui dévastaient les greniers et les caves -Il tenait tout le temps son chat dans ses bras ou sur ses genoux me disait-elle, et le nourrissait avec soin Dans notre famille, la vénération pour les chats s’est transmise de génération en génération Aujourd’hui, mes frères et sœurs, leurs enfants et petitsenfants, tous sans exception, sont d’inconditionnels amoureux des chats Dès que j’ai eu un crayon dans les mains, j’ai dessiné et noté dans mes cahiers de classe, les petites histoires que je vivais avec eux, au grand mécontentement de ma maîtsresse qui pensait que les cahiers d’école n’étaient pas faits pour ça. Après avoir dû m’acquitter de quelques punitions, la leçon a

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porté ses fruits, et j’ai réservé un seul de mes cahiers pour écrire mes histoires. Ce cahier je l’avais escamoté en douce, en disant que je l’avais perdu. A la guerre comme à la guerre, c’était, j’en étais persuadée, pour une noble cause Bien caché sous mon matelas, je le retrouvais tous les soirs pour lui confier mes petites histoires de chats.Je ne sais pas à quel moment mon cahier c’est égaré, mais j’y pense parfois avec nostalgie, car c’est là que l’aventure merveilleuse de l’écriture a commencé pour moi.C’était donc le début d’un long parcours.J’ai rempli bien des cahiers depuis, et comme tous les amoureux des chats, j’ai dévoré moult livres relatant leurs exploits. Mais un certain Méphisto, le chat savant de l’écrivain Robert de Laroche, m’a soufflé à l’oreille l’idée d’aller jusqu’au bout. Et c’est Tatache, le chat qui partage mon existence aujourd’hui, qui allait en devenir le hérosNous nous sommes pris au jeu, lui et moi, et tout naturellement le soir avant de m’endormir, je lui lis quelques passages, et tout aussi naturellement mon chat me donne la réplique.L’idée était née. Tatache, le chat de ma vie, allait correspondre avec l’illustre Méphisto, le chat savant de Robert Delaroche Si ce manuscrit est édité, c’est avec son aimable accord

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Chapitre 1

Premier contact.

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Chapitre 1 Premier contact. Tu vois Méphisto, je suis, tout comme toi, entré dans la deuxième partie de ma vie. Tu sais l’effet que ça fait d’arriver à l’âge mûr. D’abord on n’y croit pas, puis l’évidence se pose là, cruelle ! L’échine se fait moins souple, la démarche plus raide, la vision un peu moins claire… Il y a quelque temps de là, après une blague un peu enfantine que je venais de lui faire, Eve, ma maîtresse vénérée, me dit sans ménagement : -Voyons, Tatache, ce n’est plus de ton âge, ce genre de bêtise ! Piqué dans mon orgueil, j’ai fait le tour de mon ego. Hélas, moi qui, hier encore, étais si fier de l’ébène de ma fourrure, j’ai bien dû admettre que maintenant, de sournois petits poils blancs poussaient de-ci, de-là. Alors, tout piteux, je m’en suis retourné sous son regard désolé trouver refuge dans mes appartements. C’est ainsi que, le museau lourdement appuyé sur mes pattes, j’ai médité sur les cruelles réalités de la vie. Ironie du sort, dans le lointain, les paroles d’une chanson d’Aznavour « Hier encore, j’avais vingt ans …» viennent ponctuer mon désarroi !

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Il est vrai qu’en y pensant, beaucoup de choses se sont passées en dix ans ! Et dix ans, ça compte dans la vie d’un chat qui a bien roulé sa bosse. Il y a quelque temps, Eve s’était mis en tête de parfaire mon éducation. Elle me lisait à haute voix des passages d’un livre qui la passionnait et qui relatait les aventures d’un chat très doué ! Un matou génial, qui parle et écrit ses mémoires par l’intermédiaire de son maître, un écrivain célèbre. Je ne te cacherai pas, qu’au début, ça m’agaçait un peu, d’être réveillé à tout bout de champ pour m’entendre dire : -Ecoute, Tatache ! Ce Méphisto, quel génie et il est si drôle ! Ou bien : Il est incroyable ! Dans ma tête, je me disais, en rouspétant, qu’est-ce que ça peut bien me faire, ce qu’il dit ou ce qu’il fait ! Elle ne voit pas qu’elle me dérange ! En plus, je ne le connais même pas ! A l’air ennuyé que j’affichais à chaque phrase, Eve jugea que je n’avais pas compris qui était ce fameux Méphisto. Elle posa son livre quelques instants et me caressa gentiment la tête. Elle m’expliqua que tu étais un chat, comme moi, et que tu partageais ta vie avec un maître d’une manière aussi fusionnelle que la nôtre ! Tout comme pour Bob et toi, il y a, entre ma maîtresse et moi, un lien très intense et tout à fait particulier. Rien à voir avec les rapports qu’elle entretient avec les autres animaux de la maison, ma sœur Moumoune et la chienne Fanny.

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C’est donc à ce moment-là que j’ai commencé à m’intéresser vraiment à ton histoire. Mais de prime abord, j’avoue que cela m’agaçait bougrement, ce super félin qui me volait la vedette ! Puis, de fil en aiguille, je me suis pris au jeu et j’ai ressenti de l’amitié pour toi, mon pote, car il s’agissait bien de 1 toi, Méphisto, le chat vedette ( ) Un jour, dans un des livres que tu as écrits, avec ton greffier Bob, j’ai saisi au travers de certains passages, quelques déclarations pertinentes, qui m’ont bien fait rire ! J’ai surtout apprécié le sens des dialogues que tu entretiens avec ton maître J’ai ainsi pris conscience, que mon existence, riche en aventures de toutes sortes, méritait bien qu’on s’y arrête. Alors, dans un long tête-à-tête, mes yeux de topaze plongés dans son regard tendre et attentif, j’ai persuadé Eve de me servir de greffière, tout comme ton maître l’avait fait pour toi. Si tu veux bien de mon amitié, cher Méphisto, je serais très flatté de correspondre avec toi et de te relater les événements les plus marquants de ma vie. Je te remercie d’avance d’accueillir mes confidences.

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Plus chat que moi… de Robert De Laroche. Edition l’Archipel

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Chapitre 2

Drôle de souris

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Chapitre 2

Drôle de souris ! Je te remercie pour ta dernière lettre et si j’ai un peu tardé à t’écrire, c’est que l’époque des vacances ne s’y prêtait guère. Les uns après les autres, parents et enfants sont arrivés avec leurs grosses valises. Et comme l’aurait fait une nuée de sauterelles, durant tout l’été, ils se sont installés un peu partout dans la maison. Note bien que je ne m’en plains pas ! Je les connais tous depuis toujours puisque c’est la famille de ma maîtresse. Ils adorent les animaux et respectent notre liberté. Mais pendant cette période, Eve n’est plus aussi disponible pour moi. Maintenant que tout ce petit monde est retourné chez lui, notre vie a repris sa vitesse de croisière. Comme tu l’apprendras plus tard, Moumoune m’accompagnait déjà, quand nous avons emménagé et Fanny, la chienne, a été adoptée un peu plus tard. Pour commencer, il faut que je te parle de notre maison. C’est un petit nid douillet où nous vivons paisiblement au soleil depuis plus de cinq ans. Si tu voyais notre logis ! Ce n’est pas triste ! …Son nom, d’abord, « CHAT’MAD »… C’est un nom à

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notre image ! Nos cœurs battent à l’unisson et dès que tu passes le pas de la porte, tu ne vois que des chats. Des photos, des peintures, ainsi que toutes sortes d’objets à l’effigie des félins qui envahissent l’espace. Mais le nec plus ultra, c’est la vitrine qui abrite une collection inestimable, tant il y a d’objets précieux et d’amour rassemblés. A ce jour, il n’y en a pas moins de cinq cents. De minuscules chats taillés dans des pierres fines et rares, des minets de bois précieux venus de pays lointains. D’autres en or, des îles grecques. De fragiles porcelaines. Certains encore, finement ciselés dans des métaux précieux. Et tous ces petits chatons pétris d’amour et façonnés par les petits-enfants d’Eve, au gré des saisons et des anniversaires. Cette collection est née un peu par hasard. Pour ses quarante ans, ses enfants lui ont offert, sans s’être concertés, les deux premiers de la collection. En ce temps là, j’étais bien loin de faire partie de son existence. A cette époque, elle partageait sa vie avec deux chats, fort bien nés, ma foi, puisque l’un d’eux était de race siamoise. Il s’appelait Yota. Maintenant, c’est moi, le grand chat noir et sans race, né des amours d’une chatte de ferme et d’un beau vagabond, qui ai le privilège de partager tous les instants de sa vie. Depuis qu’elle m’a promu chat de compagnie, je me suis toujours efforcé de transmettre mes pensées et mes sentiments, à coup de mimiques et de regards langoureux.

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Avec les années, nous avons établi un code confidentiel qui nous permet de communiquer à tout moment mais ceci reste notre secret Depuis toujours, ma maîtresse est passionnée par l’écriture. Au début, elle oeuvrait sur un gros bloc de feuilles vierges, et une ribambelle de crayons bien taillés, posés devant elle. Très souvent, je l’aidais, à ma façon, affûtant ses crayons émoussés à coup de dents pointues ! Mais cela ne lui plaisait pas vraiment. Pas plus que ma manière de transmettre mes pensées profondes en me couchant de tout mon long sur ses écrits. Les heures passaient et chaque nuit, c’était la même guerre pour lui faire sortir le nez de ses papiers. Je lui en ai fait voir, c’est vrai ! Je me suis mis en quatre pour la tirer de sa fièvre créatrice. Mâchouillant crayons et stylos, mettant du désordre dans ses papiers, jusqu’à ce qu’elle lève les yeux et reprenne conscience. -Tiens ! Mon Tatache, je crois qu’il est grand temps d’aller se coucher, me disait-elle, mine de rien. Et là, un peu soufflé par tant d’impudence, je l’entraînais vers le lit, lieu de délices, à une heure aussi tardive ! La vie d’un chat d’auteur n’est pas de tout repos, tu en 2 sais quelque chose, toi aussi.( ) 2

Parole de chat de Robert De Laroche édition L’Archipel.

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Aujourd’hui, c’est un peu différent. Je suis devenu plus patient, plus tolérant, Après tout, elle œuvre pour moi, puisqu’elle est devenue ma greffière, et que c’est grâce à elle que tu me lis, aujourd’hui. Je n’oublie pas que c’est toi qui m’en as donné l’idée ! Je ne t’en remercierai jamais assez ! 3 L’autre jour, Eve me lisait un passage de ton livre( ), et dans l’un de tes chapitres tu parlais d’une souris qui t’amusait beaucoup. Mes oreilles se sont dressées immédiatement, car la seule évocation du mot souris, me plonge dans un ravissement béat. Que de merveilleux souvenirs s’y rattachent ! Ces heures de guet dans les foins parfumés et l’ultime récompense, après ces longues attentes. Ces petits corps tout chauds que je dégustais en catimini, pour ne pas me faire voler ma proie… Mais ce sont des souvenirs d’avant la vie avec Eve. Elle n'a jamais toléré mon côté carnassier ! Ce fut le prix à payer, pour partager son existence, mais je n’ai pas perdu au change, malgré tout ! Parfois, il m’arrive encore de chasser dans mes rêves. Si ça ne remplace pas, c’est quand même bien agréable ! Il est vrai que depuis que nous nous sommes installés au bord de la mer, je n’ai d’autres distractions que de chasser le lézard ou quelques papillons. Ici, Toto, les souris se font rares ! Elles n’aiment pas trop l’air marin, ni les maigres ressources 3

. Parole de chat, Robert De Laroche, édition l’Archipel.

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le sable. Elles prĂŠfèrent les garrigues, les champs de cĂŠrĂŠales, les ĂŠcuries oĂš grouillent de bonnes choses Ă manger ! Les souris font partie de mon passĂŠ. BientĂ´t, je te relaterai les premières annĂŠes de ma vie. Avec ses joies et ses peines, ses drames mĂŞme. Comme cette nuit d’hiver oĂš Eve m’a retrouvĂŠ Ă moitiĂŠ mort, enfoui dans la neige. C’Êtait au bord de la route, oĂš un chauffard anonyme m’avait projetĂŠ ! Mais revenons Ă l’histoire de cette souris ! Ca m’a donnĂŠ l’envie d’en avoir une, moi aussi. J’en ai parlĂŠ Ă Eve, alors elle s’est mise Ă rire, et m’a dit : -Mon pauvre Tatache ! Cette souris-lĂ n’a rien Ă voir avec les souris de ton enfance. C’est un objet coriace et sans saveur. Si elle a, elle aussi une queue dĂŠmesurĂŠe, c’est pour rester attachĂŠe Ă son maĂŽtre, l’ordinateur. Tu n’aimerais pas son environnement ! Le cliquètement du clavier aurait tĂ´t fait de te massacrer les oreilles ! Devant mon regard interrogateur, elle complĂŠta son explication, en ajoutant, soudain agacĂŠe : -Je prĂŠfère t’avertir, Tatache, en ce qui me concerne, il n’est pas question que je me convertisse Ă ces nouvelles techniques. J’y perdrais mon latin, moi, et ce n’est pas Ă mon âge que je‌ LĂ , je ne l’ai pas laissĂŠe finir sa phrase. Je suis montĂŠ sur mes ergots, et j’ai pris des allures de ÂŤ Toto la terreur Âť, comme

Parole de chat ! Je l’ai apostrophÊe avec rudesse et lui ai dit :

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-Que me chantes-tu là ? Qui parle de son âge ! Tu ne te sens pas capable, toi ? Alors que chaque jour tu nous prouves ta volonté et ta hardiesse ! Ton audace et ta perspicacité ! Toi qui as tout quitté pour t’installer au soleil avec nous ? Ne serait-ce pas plutôt un mauvais prétexte pour me priver de ma souris ? Estomaquée par la virulence de mes propos, Eve a compris qu’elle devait relever le défi ou perdre la face. -D’accord ! M’a-t-elle répondu. Et rira bien qui rira le dernier ! A quelques jours de là, mon cher Méphisto, je n’en croyais pas mes oreilles, quand un livreur a sonné à la porte, deux gros cartons à ses pieds. Tu devines déjà ce qu’il y avait dedans… Ni une, ni deux, nous avons tous participé au déballage. Pendant qu’elle se dépêtrait avec fiches et notices, Moumoune et moi, nous nous sommes offerts une super partie de carton ! Et c’était à celui qui ferait le plus de charpie ! Là, Moumoune s’en est plutôt bien sortie. Tu sais, les nanas, quand il s’agit d’utiliser leurs ongles, elles battent tous les records ! L’euphorie retombée, j’étais un peu inquiet. Eve semblait avoir quelques difficultés. Et s’il lui prenait l’idée de tout remballer ? Cela risquerait de chauffer pour nos oreilles ! Car du côté des cartons, cela ressemblait plutôt à un gros tas de confettis. Mais mon inquiétude fut de courte durée. Ma maîtresse, opiniâtre et têtue, a tout repris depuis le début. Finalement, elle

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est arrivée au bout de ses peines. Un peu honteux d’avoir douté d’elle, je me suis approché, câlin, des sourires plein les moustaches, pour la féliciter. L’air innocent et à peine intéressé, je lui ai demandé : -Au fait, cette souris, où est-elle ? Eve se retourna vers moi, en souriant -Ah ! La souris ? Viens que je te la présente… Ah ! Mon vieux Toto, quelle déception ! Là, je me suis senti trahi ! Inerte, sans odeur et sans vie ! Eve ne m’avait pas menti ! Mais toi, Méphisto ? Pourquoi m’as-tu fais croire qu’elle t’amusait ! Tu dois avoir un secret, n’est-ce pas ? Je lui ai filé un coup de patte, histoire de donner le change. Puis, dégoûté, je suis allé m’installer dans mon fauteuil pour procéder à une minutieuse toilette. Il faut savoir donner de l’importance à ce qui le mérite ! A partir de ce jour là, la vie a changé pour Eve, et pour moi, par la même occasion. Elle découvrait un nouveau complice. Mais je te rassure, je n’ai aucune raison d’en être jaloux ! Il est temps maintenant que je te laisse, j’ai eu du plaisir à partager ces instants avec toi. A bientôt, Méphisto, je suis impatient d’avoir de tes nouvelles.

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Chapitre 3

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Chapitre 3

Maminette et le Grand Chat. Cette fois, nous y sommes ! Nous avons commencé la rédaction de mes mémoires. Je vais donc te les relater, peu à peu. Eve m’a raconté comment notre histoire a commencé, une saison avant ma naissance. Elle et son compagnon, venaient de s’installer dans un nouvel appartement, contigu à une grande ferme. La contrée était verdoyante, avec des forêts et des pâturages. Les grands champs de céréales s’étendaient à perte de vue A la même époque, un chat, nomade de son état, traversait la région. Il avait belle allure et son port altier forçait l’admiration. Sa fourrure blanche, était ponctuée de taches noires, harmonieusement réparties. Son allure était impressionnante. En apercevant la grande ferme prospère, il pensa que les greniers devaient être peuplés de souris bien dodues qui n’attendaient que lui ! La région était rude et l’hiver se profilait à l’horizon. Il pensa fort justement, qu’il était temps de faire une longue halte avant de reprendre ses pérégrinations.

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Il décida donc de poser sa besace, le temps de passer l’hiver, paisiblement. Il s’installerait confortablement auprès des vaches qui occupaient les étables, car il aimait leur chaude et odorante compagnie. En explorant les lieux, tous les sens aux aguets, le matou vagabond s’arrêta soudain, fasciné ! La plus jolie des visions s’offrait à son regard médusé. Près des écuries, appuyée au chambranle de la porte, une ravissante minette tricolore vaquait à sa toilette. Son ventre blanc était offert aux rayons du soleil levant. A petits coups de langue précis, elle lissait l’extrémité de ses pattes fines. Le tableau était si parfait, si touchant, qu’à la seconde, il en tomba éperdument amoureux. Il resta ainsi, tapi dans l’ombre, retenant son souffle. Sans faire le moindre bruit, il la contempla longuement. Elle finissait d’achever sa toilette. Quand leurs prunelles se croisèrent, les yeux dorés de mon futur géniteur et ceux de ma future maman, pétillants de malice, scellèrent mon destin à tout jamais. Sans crainte, elle se roula sur le dos en étirant ses pattes blanches dans sa direction. Elle l’invitait ainsi à s’approcher, certaine de l’avoir ensorcelé d’un seul regard. Pendant tout l’automne, les deux chats, tout à leur joie, n’ont pas vu le temps passer. Ils menaient la belle vie, chassaient, observaient les environs et folâtraient sans cesse.

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Pendant ce temps là, Eve aussi s’installait. Elle se réjouissait chaque jour de vivre ici, en communion avec la nature et les animaux. Elle remarqua très vite les deux chats de la ferme ! C’était une minette beige et rousse, au minois éclairé par des yeux orangés et agrémenté d’une adorable truffe rose. Son compagnon, un grand chat ombrageux et fier, ne la quittait jamais. La féline, curieuse et familière se rapprochait chaque jour davantage de sa maison. Quand Eve lui parlait, elle l’écoutait avec attention. Eve sentit immédiatement que le courant passait entre elles ! Il fallut peu de temps pour que s’installe une véritable complicité. Chaque jour, à la même heure, la chatte s’installait sous sa fenêtre, son compagnon, un peu en retrait. Pour la récompenser, Eve lui offrait des croquettes qu’elle gardait toujours dans ses poches et de fil en aiguille, elle leur donna de vrais repas. Plus réservé, le grand chat se tenait légèrement en arrière. Eve remarqua qu’il laissait toujours la minette se servir en premier. Elle décida donc de leur apporter à chacun leur assiette. L’habitude fut prise. Chaque jour, Eve, en revenant de son travail, ouvrait en grand ses fenêtres pour faire entrer l’air de la campagne. Elle saluait les deux chats qui l’attendaient patiemment, assis sur le muret de son jardin. Ensuite, elle descendait pour les caresser et leur donner à manger. Pour lui

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montrer leur affection et leur reconnaissance, ils s’enroulaient autour de ses jambes, glissaient leurs museaux humides dans sa main et lui donnaient de grands coups de tête affectueux. Eve avait deux chats qui, installés sur la terrasse, suivaient ces débordements campagnards avec la curiosité nonchalante de ceux qui n’on rien à envier aux autres. Ils suivaient le vol des oiseaux, de l’air placide et bienveillant des minets qui n’avaient manifestement jamais chassé pour se nourrir. Les deux chats de la ferme les surveillaient du coin de l’œil. Ils pensaient avec envie, qu’ils avaient bien de la chance d’habiter avec Eve ! Elle avait les mains si douces et le cœur si généreux ! Le temps passait, la minette et le grand chat ne se quittaient pas. Ils batifolaient et faisaient de longues siestes à l’abri des regards. Un jour, pourtant, Eve trouva que la minette avait changé. Elle devenait plus posée, plus réfléchie et elle s’arrondissait. En caressant son ventre rond, elle eut la réponse à sa question. Sans aucun doute, des petits chats étaient programmés pour bientôt ! Eve, tout émue, se tourna vers sa chatte Ciboulette, et lui demanda : -Dis-moi, Ciboulette, si tu vivais à la ferme, où irais-tu pour faire tes petits ?

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Ciboulette la regarda, perplexe, et prenant à témoin son compagnon Yota, le chat siamois, elle prit un air candide, pour lui répondre en sautant sur ses genoux, et lui fit ainsi comprendre que si telle chose devait arriver, ce serait là, dans son giron, et pas ailleurs. Il est bon d’évoquer ces jours anciens, tout en sachant qu’aujourd’hui, c’est moi le privilégié. Je parle, je parle, et soudain mon odorat est titillé par une odeur de chapon rôti ! Il est temps, cher ami, de te quitter, sinon Moumoune va brûler les étapes pour être servie avant moi. Malgré l’amitié que je lui porte, il n’est pas question que je lui cède la première place ! Je vais donc de ce pas, rejoindre mon écuelle. Je te raconterai la suite, dans ma prochaine lettre, bien sûr. A tout bientôt, cher Méphisto !

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La naissance des petits chats.

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La naissance des petits chats. Cher copain. Nous voici revenus aux jours tristes de novembre ! Dans ce petit coin du midi, malgré tout, le soleil est bien moins fainéant qu’ailleurs. Cependant les lézards jouent les invisibles, les papillons dorment dans leurs chrysalides, et la souris de l’ordinateur est toujours aussi déconcertante C’est une tradition dans la famille d’Eve d’être envahi par la mélancolie au cours de ce mois où tant de malheurs sont arrivés. Moumoune et moi, n’échappons pas à l’ambiance et nous nous morfondons en errant sans but à travers la maison. Pour chasser l’ennui, je me suis tourné vers Moumoune, lui tenant ces propos : -Depuis huit ans que nous vivons ensemble, je ne t’ai jamais raconté mon histoire ! -C’est vrai, tu as toujours été si discret, Tatache ! Je me suis souvent demandé quelle avait été ta vie, avant que je te connaisse ! -C’est vrai, chère Moumoune, et pourtant, il m’est arrivé de sacrées aventures ! -L’autre jour, je vous ai surpris, Eve et toi, en train d’élaborer un plan pour écrire tes mémoires, je crois ?

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-Mais oui, ce projet a enthousiasmé Eve ! Je lui avais dit que j’aimerais bien qu’elle me serve de greffière, tout comme l’a fait Méphisto avec son maître ! -C’est vrai qu’il est génial, ton copain, il t’a donné une bonne idée ! -Nous venons juste de commencer ! Pour la suite, j’aimerais beaucoup que tu te joignes à nous. Je serais flatté de ta présence ! -C’est vrai, Tatache? Moi qui croyais que tu me mettais à l’écart ! Tu ne peux pas savoir à quel point tu me fais plaisir ! -Te mettre à l’écart ? Quelle idée, ma chère Moumoune ! Bien au contraire. Tu viendras te joindre à nous. Eve a commencé à raconter mon histoire par la rencontre de mon père et de ma mère. Nous en sommes au moment où ils attendent la naissance de leurs premiers petits. -Allons-y, alors, Tatache. Je vois qu’Eve est prête et nous attend ! C’est ainsi, mon cher Toto, que nous nous sommes retrouvés en petit comité, oubliant pour quelques heures le temps maussade et les criailleries des goélands. Eux, au moins, ne craignent pas les embruns de l’automne et n’en finissent pas de se divertir. Nous voilà donc revenus dans le passé. Attendrie, Eve regardait le petit ventre s’arrondir. Elle essayait d’évaluer à quelle date nous allions montrer nos petites

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frimousses. C’était assez difficile à dire, la minette semblait si menue ! Dans ses souvenirs d’enfance, c’est toujours à l’improviste que les minettes mettaient bas. Leurs lieux de prédilection étaient les armoires, de préférence parmi les pulls et les chaussettes. Plus tard, elle a appris à reconnaître les signes précurseurs et préparait en des lieux discrets, à l’abri des allées et venues, une grande corbeille garnie de vieux draps et de tricots. A cette occasion, Eve était inquiète. La minette n’était jamais rentrée dans sa maison. Elle se demandait où elle irait, le moment venu. Si par malchance elle avait des difficultés, elle ne pourrait pas l’aider ! Mais le temps suit son cours, inexorablement. Un soir, la minette ne fut pas au rendez-vous. Seul le grand chat était assis près de la terrasse, comme à son habitude, mais son attitude était différente. Il semblait avoir grandi ! Les yeux mi-clos, la mine fière, il vint se frotter aux jambes d’Eve. Il se dressa sur ses pattes arrières pour approcher son museau de son visage et lui annoncer la bonne nouvelle : Maminette avait eu ses petits ! La brave chatte n’est pas restée longtemps avant de revenir voir si son écuelle était toujours à la même place Aussitôt qu’elle montra sa truffe rose, ce fût l’effervescence ! …Eve lui apporta un repas copieux, une bonne lampée de lait tiède et un œuf, comme elle faisait, à chaque naissance de bébés-chats. Elle lui posa bien sûr maintes

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questions, sans même attendre les réponses. La minette, complaisante, avec force miaous et ronds de jambes lui fit comprendre que tout allait bien, qu’elle n’avait pas à s’en faire. Le repas avalé, elle reprit le chemin des étables sans s’attarder davantage. Plus tard, quand la chatte venait se restaurer, le grand chat restait auprès près de ses petits, pour les protéger des prédateurs. Le lendemain, Eve suivit la minette discrètement pour savoir à quel endroit elle abritait ses bébés. Arrivée dans la grange, elle vit la chatte disparaître derrière les bottes de foin. Alors, rassurée, elle rebroussa chemin, respectant le secret de leur refuge. Quand les chatons furent plus grands, leur mère commença à leur apporter une part de ses repas dans sa gueule. Eve remarqua le nombre incroyable de trajets qu’elle faisait en aller et retour alors elle décida que désormais, elle descendrait la nourriture près des étables, à proximité de leur refuge. C’est par une belle journée de juin qu’Eve a vu, pour la première fois, les chatons de Maminette ! Les vaches étaient montées à l’alpage d’où elles ne redescendraient qu’à l’automne. Ce jour–la, Maminette eut un comportement explicite. Ondulant et ronronnant plus fort que jamais, elle incita Eve à la suivre. Curieuse et impatiente, elle l’accompagna Tant bien que mal, au mépris de sa hanche malade, elle enjamba de multiples obstacles et arriva bientôt devant des

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bottes de pailles. Soudain, Eve perdit la minette de vue. Ne pouvant la suivre plus loin, elle est restée là, sans faire de bruit. Maminette ne tarda pas à réapparaître, suivie d’une ribambelle de petits chats ! Avec des miaulements impérieux, elle rassembla sa petite troupe. A la queue leu-leu, elle les conduisit dans leur nouveau gîte. Un tas de foin accueillant les attendait. Eve, les yeux écarquillés, les admirait, tous plus mignons les uns que les autres, et en dénombra quatre. -Bravo, Maminette, tu t’es bien débrouillée ! Dit-elle, admirative. En titubant, les petites boules de poils duveteuses entourèrent leur mère qui, à grands coups de langue, les faisait tournoyer. Tout en se bousculant, les chatons cherchaient les tétines gonflées de lait. C’est là qu’Eve m’a vu pour la première fois. Et c’est à partir de ce moment que mon histoire a vraiment commencé ! Cabotin déjà, j’attendais que le calme soit revenu pour faire mon entrée ! Tenant tout juste sur mes pattes, mais déjà très sûr de mon charme, je me suis avancé fièrement, en me dirigeant tout droit vers elle -Et de cinq ! S’exclama-t-elle. Si tu n’es pas un petit gars toi, c’est que je ne m’y connais plus en chat…Viens que je te voie de tout près. Elle s’est penchée pour me prendre dans ses mains, et m’approchant de son visage me donna un baiser en murmurant :

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-Tu me plais, toi, je crois qu’on va beaucoup s’aimer ! Le lendemain était un dimanche. Eve est arrivée vers midi, un panier plein de victuailles et d’écuelles de toutes les couleurs. En premier lieu, elle les installa à proximité de notre refuge, et les remplit de nourriture : croquettes et pâté, ainsi que de l’eau et du lait, car Maminette l’aimait beaucoup. La minette qui avait reconnu le bruit familier de son pas s’est précipitée pour l’accueillir avec forces miaous, suivie de toute la smala, titubante et affamée, le Grand Chat fermant la marche. Eve s’installa dans le foin, bien à l’aise, et les chatons, déjà apprivoisés, lui grimpèrent sur les genoux. Tout en les caressant, elle entreprit de leur donner un prénom. Le joli beige, d’un tigré très viril devint Bazile, le gris clair tachetée d’anthracite s’appela Marjolaine. Celui qui avait une toison bourrue gris souris et quatre pattes blanches serait Plume et la plus petite qui ressemblait à sa mère, arborant les trois couleurs de la féminité, s’appellerait Trico. Pour moi, ce fut très facile, car déjà, à son premier regard, elle avait murmuré : -« Tatache ! »… Tant je lui rappelais son compagnon adoré, qui avait terminé sa vie à dix-huit ans, voilà quelques années déjà. Son vrai nom était Pacha, mais elle ne l’a jamais appelé autrement que Tatache. J’ai compris plus tard, quand je fus en mesure d’apprécier mon reflet dans un miroir, la raison de son

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adoration immédiate. Sans conteste et en toute modestie, j’étais et je suis encore, très beau ! J’ai un pelage noir et luisant, quatre chaussons blancs, ainsi qu’un plastron immaculé. De part et d’autre de ma truffe sombre, deux taches blanches sont disposées comme un nœud papillon. Ah ! Quand je parle de ma jeunesse, j’en oublie le temps qui passe et j’ai failli manquer l’heure du souper. Moumoune, elle, commence à bailler. -Cela manquait un peu d’action, me dira-t-elle un peu plus tard, devant nos écuelles respectives. Mais j’attends la suite avec impatience. Alors, mon cher Mephisto, en espérant t’intéresser, toi aussi, je te dis à bientôt, pour la suite de mon histoire.

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Chapitre 5

La folie des grandeurs

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La folie des grandeurs. Aujourd’hui, le temps s’est éclairci. Le soleil brille au dehors et réchauffe la véranda qui prend un petit air de printemps. Eve a pensé qu’au cœur de l’hiver, il serait réconfortant de profiter du soleil à travers les grandes baies vitrées. Nous nous sommes donc installés là pour écrire, désormais. Les nombreuses fleurs et plantes vertes qui l’habillent lui donnent des allures d’oasis. C’est un lieu propice à l’inspiration, ingrédient précieux pour un narrateur passionné comme moi. As-tu reçu ma photo, Méphisto ? Eve l’a jointe à mon précédent courrier. Tu n’as pas été sans remarquer à quel point nous nous ressemblons ! Ma maîtresse, qui me croyait unique, a été très impressionnée en voyant ton image sur la jaquette de ton dernier livre. On peut t’y voir, installé dans ton fauteuil, comme un pacha ! Ton greffier, Bob, se contente de rester assis par terre légèrement en retrait ! -Regarde, Tatache, tu es le sosie de Méphisto ! S’exclamat-elle Ah, si tu pouvais être aussi célèbre que lui ! … A-t-elle ajouté, admirative.

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-Ne t’en fais pas, moi aussi, je vais devenir célèbre ! Lui ai-je rétorqué, légèrement vexé. Ce que j’ai à raconter est très intéressant ! -Peut-être, Tatache ! Mais il faut encore le prouver et nous n’en sommes pas encore là… -Et bien, ai-je répliqué, ça ne va pas tarder! Justement, je compte sur toi : Je raconte et tu écris ! Pour lui montrer ma résolution, je me suis relevé du fauteuil où j’étais affalé, j’ai fait le dos rond, mes yeux dorés, fixés dans les siens. -Je te prouverai que j’en suis capable ! ai-je ajouté avec fougue. Je suis allé me frotter dans ses jambes, ma queue frétillait d’émotion ! Ah, Méphisto, si tu l’avais vue ! … Devant tant de véhémence, elle est restée médusée, la bouche entr’ouverte. Elle me fixait de ses grands yeux noirs, interloquée devant ma soudaine détermination à vouloir voler la vedette à Méphisto, le chat savant ! -Et bien d’accord, Tatache, nous allons essayer, je te promets de faire de mon mieux ! Depuis, j’ai l’impression d’avoir pris plus d’importance à ses yeux. Désormais, elle allait me voir sous un autre angle. Je ne serai plus seulement son chat préféré, tendre et fidèle, mais un personnage mythique, connu pour son talent ! Je figurerai sur la jaquette de mon livre et Eve sera assise près de moi, légèrement en retrait…

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Mais là, c’est moi qui rêve. Quand on a l’imagination débordante! Je me suis retourné vers Moumoune qui ne dormait que d’un œil et qui avait été le témoin muet de notre conversation. -Que dis-tu de cela, Moumoune ? Que d’émotions, n’est-ce pas ! Maintenant, un petit casse-croûte serait sûrement le bienvenu… -Sans aucun doute, cher Tatache, me répondit-elle en bâillant, c’est une excellente idée. Je te suis ! Nous sommes partis, comme de vieux complices, cahin-caha, vers la cuisine. Dans mon prochain courrier, c’est promis, Méphisto ! Je reprends la suite de mes mémoires.

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Chapitre 6

Si un oiseau m’était conté

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Si un oiseau m’était conté… Qui aurait pu le prévoir ? Hier encore, j’étais affalé sur la chaise longue en compagnie de Moumoune, le ventre offert aux rayons du soleil hivernal. Nous rêvions déjà d’un printemps précoce, et voilà qu’aujourd’hui, médusés, nous regardons tourbillonner la neige dans le ciel méridional ! C’est bien la première fois que je la vois tomber, depuis que nous avons émigré au bord de la grande bleue ! Ce matin, tout fringant, le soleil s’est levé avec armes et bagages. Cependant son apparition fut brève ! Le ciel est devenu très sombre et en quelques minutes, ce fut crépusculaire ! La température a chuté de plusieurs degrés et un grand frisson m’a secoué, du museau à la queue ! Le poil de mon échine en fut tout hérissé ! Aussi surprise que moi, Eve a tout de suite allumé le chauffage. Ouf ! On s’est tout de suite senti mieux ! J’allais donc retourner à mes occupations, quand soudain, mon regard fut attiré par une petite créature mouvante qui s’agitait au dehors, devant la grande baie vitrée. -Tiens, tiens serait-ce une souris ? Ai-je pensé, tout ému.

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Cette neige soudaine me rappelait le passé. Tout se bousculait dans ma tête ! Une vraie souris en ces lieux, c’était un cadeau inespéré ! Je me suis dit, étonné malgré tout, que le père Noël était un peu en avance ! Dès lors, plus rien d’autre ne compta ! Je ne pensais déjà plus à mon livre, ni à Eve qui me surveillait du coin de l’œil, ni à son courroux, si elle venait à deviner mes funestes pensées ! Les yeux fixés sur ma vision, je fus, soudain, saisi d’embarras. J’avais tout simplement confondu cet animal poilu et rampant avec les ravissantes proies qui sautillaient allègrement sur le gravier. Devant mes yeux inquisiteurs, s’agitaient, non pas une, mais deux fauvettes, toutes frigorifiées. Malignes, elles avaient trouvé refuge près de la voiture encore tiède de sa dernière sortie. Curieuse comme une chatte, Moumoune est venue me rejoindre. Tout excités, nous nous sommes mis au garde à vous et à frémir en chœur. Mais c’était sans compter avec Eve qui ne tolère pas nos pensées sanguinaires. Elle nous gronde rarement, mais alors là, si tu l’avais entendue ! -Graine d’assassins, petits gredins, affreux vauriens, vous n’avez pas honte ! Des petits oiseaux sans défense, tout frigorifiés ! Ah! Je reconnais bien là vos pensées malsaines ! Puis en bougonnant : - Si ça ne fait pas pitié ! Ils sont trop gâtés ces chats… Moumoune fut blessée dans son amour propre par cette algarade si peu méritée ! Elle s’en est retournée dans ses

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appartements, vexée, sa belle queue touffue agitée de petits soubresauts rageurs Conscient de la gaffe que je venais de commettre, je devais maintenant sauver la face. Eviter à tout prix qu’elle ne m’en tienne rigueur, sinon je serai privé de mes privilèges ! Je pris un air matois et mes moustaches les plus pacifiques, pour lui dire d’une voix enjôleuse : -Ma chère maîtresse, loin de moi les vilaines pensées que tu me prêtes. Ce n’est pas du tout ce que tu sembles croire ! Nous ne faisions que de complimenter ces jolis oiseaux que tu appelles fauvettes. Par égard pour toi, je n’aurais jamais osé leur faire un mauvais sort, même en pensée ! … -Faux-jeton, m’a-t-elle rétorqué, si tu t’imagines que je vais croire à tes balivernes, tu te trompes ! Vexé à mon tour, je suis parti bouder et oublier ces reproches injustifiés grâce à une bonne sieste réparatrice. Au réveil, l’orage était passé. Eve me lança un regard tendre et j’ai tout de suite compris que notre complicité restait intacte. Alors pour la remercier et parce que je l’aime avant tout, je me suis collé contre elle et j’ai ronronné très fort. Puis, je lui ai dit : - Alors, on s’y met, à l’histoire de ma vie ? Ça l’a fait rire. Ouf ! Elle n’était vraiment plus fâchée. Alors j’ai repris ma place près de la fenêtre, Eve s’est installée devant son bureau.

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Dehors, la neige avait cessé de tomber depuis un bon moment, mais le temps restait gris. Tout en observant les moindres mouvements extérieurs, on est chat ou on ne l’est pas… Je soliloquais sur ma vie pendant qu’Eve tapait sur son clavier, avec dextérité. Dans la douce chaleur de l’après midi, je m’étais assoupi un court instant. Soudain la sonnette de l’entrée tinta. Fanny, la chienne de la maison s’est mise à aboyer joyeusement. Comme tout bon toutou qui se respecte, elle adore les visiteurs. Elle profite toujours de la bonne aubaine, car Ils apportent avec eux des petits cartons de pâtisseries ! C’est alors un étalage de gourmandises, biscuits, petits fours, chocolats, qui accompagnent le thé ou le café qu’Eve aime partager avec ses amies. Remarque, je ferais peut-être comme elle, si les convives avaient le bon goût d’apporter dans leurs petits cartons, une souris ou un oiseau tout palpitants… Fanny est une petite chienne sympa, je n’ai pas à m’en plaindre. Remuante, gourmande, lèche-botte, pas fière du tout, un chien, quoi ! Je crois qu’elle a de l’amitié pour moi, mais surtout beaucoup d’admiration. Normal ! Quand je la toise de mes grands yeux dorés, elle me regarde, reconnaissante de l’intérêt que je lui porte. Les papotages vont bon train, devant les tasses de café. Je crois qu’en ce qui me concerne, je vais pouvoir me consacrer en toute impunité à une longue sieste, peuplée de petites souris et d’oiseaux tout chauds. Eve n’en saura rien !

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Alors, mon cher Méphisto, je te dis à bientôt.

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Chapitre 7

Dolce vitae

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Dolce Vitae. Après mon petit tour dans les environs, je me suis confortablement installé sur mon transat. D’un œil discret, je surveille les activités extérieures, au cas où mes petits fantasmes à plumes viendraient se balader par-là ! Heureusement, Eve ne s’aperçoit de rien, car elle s’affaire auprès de son ordinateur. La prochaine séance de mes mémoires va bientôt commencer. Nous avions arrêté d'égrener mes souvenirs d’enfance au moment où Eve nous a pris sur ses genoux pour nous attribuer nos prénoms. A la campagne, les chats restent le plus souvent anonymes. Pour nous, Eve a décidé qu’il en serait autrement ! Grâce à elle, nous avions pris des lettres de noblesse. Imagine, je me nommais « Tatache II » ! Au fil des jours, nous avions pris de plus en plus d’assurance. Nous étions tous les sept, de fidèles adeptes des heures de ripailles. C’est avec impatience que nous attendions Eve et son grand panier de victuailles. L’heure venue, les petites chattes caracolaient en tête. Moi, qui étais le seul matou de la nichée, je restais sur mes gardes, méfiant. Je ne sortais de ma

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cachette que lorsque je reconnaissais le crissement de ses pas sur la paille. Nous avons poussé ainsi, loin des regards étrangers et des dangers extérieurs. Grâce aux visites ponctuelles d’Eve, toute notre portée était robuste et vigoureuse. Nos corps de chatons avaient bien grandi. C’est ainsi, qu’un beau matin du mois d’août, nous avons affronté l’inconnu en suivant le chemin qui menait à sa maison. A dix-huit heures tapantes, nous étions tous les cinq sous sa fenêtre, entourés de nos parents, très fiers de notre bravoure ! Par la suite, nous avions pris l’habitude d’y venir chaque soir, à la même heure. Eve nous répartissait nos écuelles et nous ne tardions guère à faire table-rase des victuailles distribuées. Il fit très chaud, cet été-là. Nous passions de longues heures à faire la sieste dans des coins ombragés et discrets. La nuit venue, nos parents nous initiaient aux secrets de la chasse. Nous étions vifs comme l’éclair et très doués pour débusquer nos proies. Les pauvrettes n’avaient aucune chance de nous échapper. Maminette nous apprit très vite à les mettre KO d’un sévère coup de dent. Il faut dire qu’au début, ce n’était pas évident! Sous nos griffes, la proie affolée gigotait dans tous les sens. Déconcertés, nous ne savions plus quoi faire ! Les souris prisonnières se tortillaient pour essayer de nous mordre et de nous échapper. Notre maladresse me fait bien rire aujourd’hui !

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Puis ce fut la désalpe. Les vaches, repues de bon air et d’herbes fleuries, reprirent le chemin de la ferme. Les étables furent à nouveau emplies de la chaude odeur des génisses et de leurs meuglements D’abord, le paysan fut surpris par cette nouvelle et nombreuse famille de chats. Il connaissait Maminette, mais n’avait pas eut connaissance de ses épousailles avec le Grand Chat. Cependant le vieux était roublard et n’y vit que son intérêt : Cinq mignons petits chats bien portants, ça devait sûrement être grâce aux souris qui pullulaient autours de ses silos à grains. Jusqu’à présent, aucun chat, à part Maminette, n’avait osé tenir tête au chien de la ferme. Par chance, fugueur et détrousseur de poulaillers, ce dernier demeurait désormais à la montagne. La présence des félins était une vraie source d’intérêt pour la ferme. Un jour, il s’aperçut du manège des chats qui partaient au ravitaillement du soir. Intrigué, il les a suivis et constata de visu l’infidélité des félins à la soupe populaire qu’ils étaient censés trouver dans la grange. Furieux, il vint se plaindre auprès d’Eve! -Ce n’est pas malin de me pourrir mes chats ! Ce sont les souris qui doivent rigoler, mais moi, ça ne me plait pas du tout ! Si vous les gâtez trop, ils ne feront plus leur travail ! Borné, le pauvre homme croyait encore que seule la faim incitait les chats à chasser les souris. Mal lui en prit, car Eve,

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qui n’avait pas la langue dans sa poche, lui expliqua avec hauteur: -Alors là, vous vous trompez, ce ne sont que des idées préconçues. Contrairement aux préjugés, un chat affamé n’est pas un bon gardien de grenier ! Seul l’instinct du prédateur est en cause ! Bien nourri, il est plus patient à l’affût et plus efficace ! Vous pouvez le constater par vous-même ! Ajouta-telle, avec un grand geste de la main. Nous étions là, les yeux ronds, sans vraiment comprendre l’enjeu de cette engueulade ! Mais ce soir-là, nos parents nous ont réunis et nous ont tenu ces propos : -Maintenant, nous savons ce qu’il nous reste à faire ! Si nous voulons continuer à trouver nos écuelles bien garnies, il faut soutenir notre protectrice, et prouver au paysan qu’elle a tout à fait raison ! Le message avait bien passé ! Au matin, plusieurs souris et un gros rat gisaient près des silos à grains, en témoignage de notre efficacité. L’homme était rustre mais pas bête ! Il admit volontiers qu’Eve avait raison, car, en peu de temps, le cheptel des souris se trouva fortement diminué. La réalité lui donnant gain de cause, Eve eut, dès lors, toute autorité pour la suite des évènements. Plus rien ne s’opposait désormais à l’affection qu’elle nous portait et que nous lui rendions bien, malgré notre jeune âge et nos têtes folles. Le paysan, désormais, radouci et

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convaincu, se félicitait d’avoir sept chats contre un chien fugueur. Ah ! Comme cela me fait frissonner de bonheur, tous ces souvenirs ! Tu es bien placé pour me comprendre, mon cher Méphisto. Toi aussi, tu as connu, dans ta belle jeunesse, les moments enivrants de la chasse. Tu dois bien ressentir un brin de nostalgie à évoquer ce genre de souvenirs. Et ce goût ! Ce subtil fumet de jeune gibier ! Mais Eve me fait signe d’abréger les détails. Tu sais les humains, restent d’une sensiblerie déroutante, face à la prédation naturelle qui gère notre vie depuis sa plus lointaine origine. Mais tout ça m’a ouvert l’appétit ! J’irais bien me casser une petite graine ! Surtout que ce matin, Eve a rapporté du marché les fameuses croquettes qui, en ce moment, font un tabac à la télé. Un raminagrobis, flamboyant de santé dans sa redingote rousse, faisant l’éloge du produit qui est sensé nous garder plus jeune et plus en forme que jamais ! J’étais très tenté de les essayer, mais j’ai dû insister et argumenter, avec mon air le plus persuasif : -Maintenant que j’ai une vie cérébrale et trépidante, ne crois-tu pas qu’il serait judicieux de m’en acheter ? -Tu crois, Tatache ? M’a-t-elle répondu, avec un petit sourire narquois, ne serais-tu pas un peu m’as-tu-vu, des fois ? - Mais non ! Ai-je répliqué, vexé Imagine un peu que je devienne célèbre comme mon ami Méphisto ! On dira :

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Regardez, c’est Tatache ! Comme il est resté en forme, malgré ses années d’expérience et la vie aventureuse qu’il a menée ! -Ah ! Tu crois ? Dit-elle en riant. Au cas où on parlerait de toi, on dira plutôt, Tatache, l’ami du célèbre chat Méphisto ! J’étais vraiment mortifié et notre conversation a été des plus houleuses. Eve s’est bien aperçue qu’elle m’avait blessé gratuitement et pour se faire pardonner, ce matin, elle brandissait joyeusement un paquet de ces nouvelles croquettes responsables de tant d’agitation dérisoire ! -Tiens ! Mon bon Tatache. Et avec ça, je te fais toutes mes excuses. Célèbre ou pas, tu mérites toutes les meilleures croquettes du monde. Devant ces gentilles paroles, je ne pouvais que mettre un terme à ma bouderie et je lui ai fait l’honneur de goûter à la nouvelle friandise. Elle n’avait pas tout à fait tort, d’ailleurs, je n’avais pas encore fait mes preuves et ces croquettes, vraiment, c’était un pur délice ! Je me sens déjà tout rajeuni ! Je te quitte sur ces paroles optimistes, mon cher ami, et je vais de ce pas, entamer ma cure de jouvence !

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Chapitre 8

Les premières vacances de Maïdo

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Les premières vacances de Maïdo. Plusieurs mois se sont écoulés depuis ma dernière lettre ! Eve a été très sollicitée toute l’avant saison et les beaux jours de l’été n’ont pas été propices à l’art épistolaire! Mais au moins, l’ordinateur et sa souris ont pu prendre des vacances bien méritées ! Au mois d’avril, Eve a fait réaliser quelques travaux dans la maison! Dieu sait si je n’aime pas ça ! J’étais sans cesse sur le qui-vive ! Avec les odeurs de peinture et les ouvriers qui font du bruit…C’était le stress ! Ensuite, il y eut, tout au long de l’été, le va-et-vient continu des vacanciers. Ces péripéties mises bout à bout, nous ont gentiment conduits jusqu’à l’automne. J’aime bien cette saison où un chat comme moi, grand fervent de tranquillité retrouve ses repères ! Mais les bonnes choses ont aussi une fin. Infatigable, le manège des saisons tourne inexorablement et c’est déjà presque Noël ! Crois en mon expérience, Méphisto, les jours de folie ne font que commencer ! Ma maîtresse a déjà décoré la maison pour lui donner un air de fête. Maintenant, elle est en pleine préparation de plats gourmands et de pâtisseries. Elle attend ses amis parisiens qui arrivent demain, pour passer les vacances de Noël. Ils

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amèneront avec eux ma copine Maïdo, c’est leur chatte persane. Ah ! Si tu la voyais, mon Toto, tu serais, comme moi, à te pâmer devant elle ! Je vais essayer de t’en faire un tableau fidèle. Cette superbe féline arbore une fourrure gris-bleuté, aux poils longs et soyeux et de grands yeux orange éclairent son charmant minois. Quand elle pose son regard d’agate sur moi, mon cœur de matou amoureux est envahi de tous les mystères de l’Orient. La première fois que je l’ai vue, son petit nez court sous son front bombé m’a beaucoup intrigué ! Perplexe, j’ai demandé à ma maîtresse : - Dis-moi, Eve, se serait-elle aplati le nez en tombant ? -Pas du tout, Tatache ! M’a-t-elle répondu, d’un ton amusé. Son petit nez plat est un signe de distinction, car elle fait partie de l’aristocrate race des Persans. ! -Ah oui ! Je t’ai déjà entendue parler du chat de Perse ! -Mais non, grand nigaud, ce Shah-là est un souverain d’Iran et cela ne s’écrit pas de la même manière. Et … -D’accord, d’accord ! L’ai-je interrompue, agacé Epargnemoi tes leçons, je ne suis qu’un chat, après tout ! Tu sais, pour moi, l’orthographe, la géographie, l’histoire ! Ce sont des trucs pour les humains ! -Tu me vois consternée ! Me répondit-elle navrée, je croyais que tu voulais faire partie des chats instruits et cultivés ! Tu vois, Tatache, il faut savoir aller jusqu’au bout ! Moi aussi, j’en apprends chaque jour !

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-Bon, bon ! Lui ai-je répondu, un peu vexé ! Donc, pour faire court, disons que c’est une princesse ! -Eh bien, voilà ! Tu as tout compris. Notre première rencontre remonte à l’été de notre installation dans le Sud. Elle était encore toute jeunette et c’était son premier voyage. La première fois que j’ai vu la demoiselle, elle était assise sur le mur qui sépare sa maison de la mienne. L’air grave, elle regardait de l’autre côté, faisant mine de m’ignorer. Emu et troublé, je cherchais fiévreusement un prétexte pour l’approcher, sans l’effrayer ou éveiller son courroux. Je décidais de m’installer à l’autre bout du mur et de calquer mon attitude sur la sienne. Tout en feignant le détachement, nous sommes restés longtemps ainsi, comme seuls les chats savent le faire, impassibles en apparence, mais tous les sens aux aguets. J’ai compris alors, que l’intérêt était réciproque et que je pouvais m’avancer en toute quiétude, sans prendre le moindre risque. Je me suis alors étiré, les pattes en avant, le dos bien rond. Ensuite j’ai fait quelques pas sur le mur, exhibant mes beaux chaussons blancs, et me suis à nouveau assis en la contemplant d’un regard tendre. Elle a levé les yeux vers moi, les a fermés à demi, comme pour acquiescer et s’est levée à son tour pour s’étirer avec grâce, en bâillant. Quand elle s’est assise à son tour, nous étions face à face, ses beaux yeux orange plongés dans l’infini de mon regard, plus lumineux que jamais.

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En tout cas, c’est l’impression que j’avais. Je me sentais rayonnant et le plus heureux de la terre. Alors, j’ai rassemblé tout mon courage et lui ai dit courtoisement: -Bonjour, belle princesse, je suis ravi de faire ta connaissance ! Passes-tu de bonnes vacances? La princesse m’a répondu d’une voix mélodieuse et cristalline qui m’a chaviré le cœur : -Oui, c’est le paradis, ici. Il y a un jour à peine, j’étais encore dans la Capitale. L’été, l’air y est irrespirable ! Ma mine embarrassée en disait long sur mon ignorance, alors elle a ajouté : -J’habite à Paris, le reste de l’année ! C’est une très grande ville. Tu ne sembles pas la connaître ? … -En effet, lui ai-je rétorqué, je ne sais rien de la ville. D’où je viens, la campagne est verdoyante, la montagne, toute proche, et l’air y est très pur, toute l’année… Elle me lança un regard plein d’intérêt et je crois y avoir lu aussi du respect ! J’ai pensé que nous aurions beaucoup de choses à nous raconter, elle, sur sa vie à la ville et moi sur mes souvenirs de la campagne. De bons moments en perspective ! … Mais il se faisait tard, il était temps de rentrer. Rassuré sur nos futures relations, je lui souhaitais une bonne soirée et lui dis, le cœur battant : -A demain, j’espère !

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-A demain, peut-être, m’a-t-elle répondu avec un air mutin. Je regagnais mes pénates, le cœur léger, l’esprit tranquille. Mais c’était sans compter avec la jalousie de. Moumoune ! Mon manège de joli-cœur n’était pas passé inaperçu. Ma féline amie veillait au grain ! Quand je suis passé devant elle, la démarche nonchalante, elle m’a fusillé du regard, puis elle a détourné la tête, avec insolence. Je me suis senti coupable. J’ai tout de suite compris que mon attitude de courtisan l’avait blessée. Je m’en voulais de lui avoir fait de la peine et je me promis d’être plus discret à l’avenir. Je me donnais bonne conscience en me disant, qu’après tout, Maïdo et moi n’avions échangé que des mots. Je croyais l’incident clos, mais après quelques remontrances acerbes, elle ne m’a plus adressé la parole ! Bonjour, la soupe à la grimace ! Le soir venu, je me suis approché d’elle, comme de coutume pour passer une nuit paisible et câline, mais elle m’a carrément tourné le dos ! J’étais un peu vexé, car d’habitude, je m’endors le nez dans sa fourrure, tandis qu’elle lisse voluptueusement le dessus de ma tête. Du coup, résigné, je me suis pelotonné sur le fauteuil d’à côté et je me suis mis à rêver de ma belle Persane de Paris. Au petit matin, mes premières pensées furent pour elle. Alors que le soleil montrait à peine le bout de son nez, sans faire

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de bruit, j’ai sauté de l’autre côté du mur. Mais il était bien trop tôt, la belle dormait encore. Déçu, je m’en suis retourné à la maison. Près des écuelles, Moumoune m’attendait, soupçonneuse Ses beaux yeux bleus avaient pris la couleur de l’orage. Elle ne m’a rien dit, mais veux-tu que je te dise, mon vieux Méphisto ? Je me sentais très inquiet. Bien que nous soyons, nous autres matous, moins finauds que les minettes, j’ai eu le pressentiment qu’il allait se passer quelque chose d’inhabituel. Le déjeuner était à peine terminé, quand soudain mes oreilles se sont dressées ! Une violente altercation arrivait de la terrasse. Je me suis précipité, intrigué. J’avais de la peine à reconnaître l’origine de ces feulements impressionnants. Soudain, je les ai aperçues. Quelle ne fut ma stupeur ! Les deux chattes se faisaient face ! Des cris rauques et gutturaux sortaient de leur gorge. Mes belles sylphides n’étaient plus que deux boules hirsutes qui avaient doublé de volume et qui se faisaient face, immobiles. Leurs yeux lançaient des éclairs. Puis elles projetèrent leurs pattes en avant par petites claques sèches et rapides, sans s’atteindre vraiment. Mon arrivée inopinée les stoppa net ! Elles commencèrent à faire chacune un pas en arrière, puis la pauvre petite Maïdo terrorisée, se replia jusqu’à la porte et sauta vivement par-dessus le mur. A peine revenu de mon étonnement, j’ai demandé à Moumoune :

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-Mais enfin, petite sœur, qu’est ce qui t’a pris ! Que faistu des lois de l’hospitalité ? Et d’abord, quelle est la raison d’une si grande hostilité ? Superbe, Moumoune, encore tout ébouriffée, me répondit avec aplomb: -D’abord, pour moi, c’est une inconnue ! Ensuite, elle n’avait pas à franchir le mur pour venir semer le trouble dans notre maison ! Tout en se léchant négligemment la patte, elle ajouta encore : -Tu sais Tatache que je n’aime pas partager ! Et bien maintenant, elle est avertie! Dans mon for intérieur, j’étais très fier de susciter des sentiments aussi forts ! Me voir soudain l’objet de convoitise de l’ardente Siamoise et de la douce Persane, me remplissait d’aise ! Moi, qui n’étais qu’un simple matou de la campagne, né d’une chatte prolétaire et d’un père aventurier ! Crois-moi, Méphisto, j’en suis resté sans voix… Bien sûr, mon cœur est à ma sœur Moumoune, mais j’ai déjà un penchant certain pour la jolie Maïdo. Il va falloir que je lui présente rapidement des excuses pour conserver nos bonnes relations. Cependant je le ferai très discrètement pour ne pas froisser ma vieille amie. Je bavarde, je bavarde, et comme toujours, ça creuse l’appétit… Il est temps de demander à Eve un petit en-cas !Et si tu as envie de me raconter tes aventures avec les minettes, j’en

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serais très heureux. Surtout que tout au long de ta carrière, tu as dû susciter bien des passions !

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Ce n’est pas drôle tous les jours !

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Ce n’est pas drôle tous les jours Nous ne sommes pas loin de la nouvelle année, et je profite d’une petite accalmie pour venir bavarder avec toi et te souhaiter la bonne année ! Comme tu t’en doutes, car il doit en être de même chez Bob, les préparatifs de Nouvel An battent leur plein. Eve, comme à son habitude, met les petits plats dans les grands, et prépare les festivités avec son enthousiasme coutumier. Comme chaque année, nous fêtons ce grand jour avec les amis de Paris, accompagné de Maïdo bien sûr. Ils feront ripaille et grand bruit toute la nuit, mais ce n’est qu’une fois par année ! Et par chance, ces amis là, ne sont pas fumeurs, c’est tout ça de gagné ! Même si j’en prends plein les oreilles, l’air reste respirable ! Et nous, les chats, nous en profiterons pour chaparder quelques mignardises de crevette, saumon et foie gras. Moumoune qui est très gourmande de dessert, se lèche déjà les babines en pensant à la chantilly du « Paris-Brest » et à la mousse au chocolat qui ne manquent jamais à la fête. Il va sans dire que depuis la première rencontre qui opposa Moumoune et Maïdo, les années ont passé et les esprits se sont apaisés. Une amitié complice s’est même tissée entre elles, au point que, quand elles se retrouvent, je n’existe plus.

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Mes rencontres avec la belle persane se font dans la discrétion, à l’abri du regard jaloux de ma petite sœur. Il faut savoir se tenir, dans le grand monde ! Pour les mémoires, il va falloir attendre le retour au calme, nous avons tout notre temps, après tout ! Mais je te citerais néanmoins une anecdote en rapport avec les fêtes et les gens qui fument. J’étais encore un adolescent, quand j’ai attrapé un sérieux refroidissement J’étais en compagnie de mes sœurs. La nuit était froide et humide, et nous sommes restés longtemps immobiles à traquer un terrier de souris. Au petit matin, je me suis senti patraque, mon nez et mes yeux coulaient. Soudain, le sol s’est dérobé sous mes pattes. Ma mère, qui était une chatte prévoyante, m’amena immédiatement chez Eve. Elle se mit à miauler avec insistance sous sa fenêtre car ce n’était pas une heure habituelle pour nos visites. Les chats de la maison furent sensibles au message et donnèrent l’alerte. Quand Eve nous a trouvés, je n’étais pas beau à voir, et Maminette s’est frottée longuement à ses jambes pendant qu’elle m’examinait, inquiète. La minette savait qu’elle me laissait entre de bonnes mains et qu’elle avait pris la bonne décision. -Soigne-le bien, je te le confie - pensa-t-elle. Puis rassurée, elle est retournée s’occuper de ses autres petits. Eve m’avait glissé tout tremblant dans une couverture. Des truffes humides et amicales sont venues me renifler, puis ce fut le trou noir.

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A mon réveil, je me sentais beaucoup mieux. J’avais même un peu faim ! Cependant, quand j’ai voulu me mettre sur mes pattes, je me suis senti encore très faible ! Je suis resté là, dans le couffin, regardant autour de moi, inquiet. L’environnement était inhabituel ! Tout m’était étranger. Une petite minette grise avec de grands yeux verts était assise à mes côtés et me regardait tendrement, comme le faisait ma mère. La chatte me dit : -Eh bien ! On peut dire que tu reviens de loin, toi ! Tu sais que tu as été très malade ? Tu as attrapé le coryza, et on a bien cru te perdre ! D’habitude, peu de petits chats s’en sortent ! Mais Eve t’a drôlement bien soigné, tu sais, et je t’ai veillé jours et nuits, comme si tu étais mon propre petit ! C’est ainsi que je venais de prendre conscience qu’il existait un autre monde, une autre vie. Ici, j’étais dorloté, soigné comme un coq en pâte. Cependant, au bout de quelques jours, la liberté a commencé à me manquer. Comme je m’étais bien remis de ma maladie, j’ai pu retourner vivre avec ma famille. Cependant, je savais déjà que je reviendrais souvent, et pas seulement pour les bons repas ! J’avais besoin d’être très proche d’Eve et de ses compagnons. Je sentais que j’aimerais partager leur vie. Depuis cette époque, je ne supporte pas la fumée des cigarettes, Elle me fait éternuer, tousser, et je me vois obligé de fuir, loin de ces volutes empoisonnées. Je passe pour un asocial, et c’est très déplaisant, car Moumoune, que la fumée ne gêne

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nullement, en profite pour faire sa pimbêche et récolter toutes les flatteries ! « Oh la belle chatte ! Mon dieu, ces beaux yeux bleus !» Ou encore : « Quelle belle fourrure ! Comme elle est aimable ! » J’avoue que ça me rend un peu jaloux ! Pourtant, si la fumée ne dérange que moi, il y a bien une chose qui nous dérange tous les deux. Ce sont les gens qui manifestent bruyamment, parlent fort et gesticulent comme des girouettes ! J’avoue que les gamins turbulents et imprévisibles sont aussi nos bêtes noires. Ils nous aiment à leur façon, mais nous préférons les fuir comme la peste ! Heureusement, en été, c’est au petit matin, quand se pointe le jour que le monde nous appartient. Moumoune et moi partons, clopin-clopant, faire le tour du petit lac ou baguenauder dans les jardins avoisinants. Les goélands profitent aussi de la quiétude matinale. Ils nous accompagnent dans un froissement d’ailes, en volant au-dessus de nos têtes. Quand les premiers volets claquent dans le silence du matin, c’est le signal ! Nous reprenons alors le chemin du retour. Le quartier s’éveille et nous allons nous recoucher ! Comme le temps passe vite ! Je n’ai pas vu les heures s'écouler. J’ai promis à Moumoune de l’accompagner dans sa promenade et je vois qu’elle vient de terminer sa sieste. Je vais donc aller la rejoindre avant qu’elle n’entame une interminable toilette. A bientôt Méphisto Je te souhaite une bonne année, riche en aventures de toutes sortes.

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Quelle puce me pique ?

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Chapitre 10

Quelle puce me pique ! … Cette fois, les fêtes sont bien finies et j’avoue que je suis soulagé ! J’imagine que tu sais de quoi je parle, toi pour qui la vie mondaine n’a plus de secret. Beaucoup de gens ont partagé notre vie, ces temps-ci. Ils ont mené grand tapage, avec des conversations animées et, hélas, la fumée de leurs cigarettes ! Bien sûr, il y a eu des compensations de tailles ! Nos écuelles ont connu des menus gastronomiques. Eve n’a pas manqué de nous faire participer à chaque festin… Imagine ! Des coquilles Saint-Jacques avec leur corail juste à point, du saumon frais en papillote, des magrets de canard, tendres et juteux, du poulet rôti et j’en passe ! Tout cela était divin. Plus tard, l’estomac bien calé, je me suis payé des siestes prolongées dans les profondeurs de mon armoire favorite, bien à l’abri des nuisances environnantes. Et chez toi, cher Toto, ça ne devait pas être triste, non plus. As-tu eu des obligations mondaines ? Tu dois être habitué, en tant qu’écrivain ! On a sûrement parlé de tes livres et de tes exploits ! Sans être une vedette, j’ai connu ma petite heure de gloire ! Ce n’est pas facile d’être une future star ! Il faudra que

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tu me donnes des conseils… Eve a parlé de son projet en cours, notamment d’écrire mes mémoires avec ma participation active. Flatté et curieux, j’ai laissé traîner une oreille indiscrète. J’ai ainsi surpris une conversation qui m’a laissé plutôt perplexe. Elle leur a raconté mon vif intérêt pour la souris et le clavier. Certain m’ont trouvé très dégourdi! D’autres, grincheux, ont conseillé à Eve la prudence. Ils en sont venus, toujours en parlant de moi, à évoquer aussi les puces. Ils signalaient que ces puces étaient délicates et que si je venais à les abîmer…et cetera…Je n’ai pas bien compris et cela me tracasse ! Eve me disait toujours, quand elle me voyait jouer avec des copains de passage : - Tatache, prends garde ! Tu vas attraper des puces. Tu sais ce que je dois faire, après ! Pendant dix ans de ma vie de chat, la moindre puce qui osait s’installer sur mon pelage était condamnée à être éliminée sans pitié, à coup de bombe exterminatrice et malodorante ! Et maintenant, il faudrait les ménager ! On voudrait me faire croire que je pourrais les abîmer. Rassure-moi, Toto. Le monde tourne-t-il à l’envers ? Je me doutais bien qu’un jour, toutes ces combines informatiques me causeraient des tracas, et me donneraient la migraine ! Eve, devant mon désarroi, m’a dit, -Ne t’inquiète pas, mon Tatache, c’est technique, tout ça ! Ne t’en fais pas, va.

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Je veux bien, mais le problème reste entier pour moi, je n’ai toujours pas d’explications pour ces puces… A ce propos, ceci me rappelle une histoire de mon enfance. Cela remonte juste avant mon terrible accident, dont je te parlerai bientôt. Ce matin là, nous étions tous auprès d’Eve qui remplissait nos écuelles et, nous tournions, impatients, autour de ses jambes. Soudain, le paysan qui savait la trouver là, l’interpella, un peu embarrassé : -Bonjour, dit-il, emprunté, heu… justement ! Je voulais vous parler, c’est au sujet des chats… Eve, le connaissant, resta sur ses gardes. -Bonjour, répondit-elle avec affabilité. Alors, vous êtes content ! Les chats ont fait du bon travail, n’est-ce pas ? Chaque jour, vous pouvez trouver des cadavres, gisant ici et là ! Vous avez pu remarquer qu’ils ne les mangent pas tous et que s’ils chassent, c’est bien par instinct et non par faim ! -Pour ça oui, je dois bien reconnaître que vous aviez raison ! Mais c’est pour autre chose, cette fois. Je suis embêté ! Vous savez, ces nouveaux, au village, ben, ils disent que c’est à cause d’eux que leurs animaux sont pleins de puces ! Ils disent aussi que les chats vont proliférer et que bientôt ils envahiront toutes les maisons… Ces gens des villes ! Ils s’installent à la campagne et ne supportent pas l’odeur des vaches et du fumier ! Voilà que maintenant, ils râlent après les chats !

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Effectivement, une invasion de puces avait envahi le village. Le paysan avait entendu des échos. Certaines personnes l’accusaient d’être responsable de cet assaut. -C’est à cause de tous ces chats qu’il a dans sa ferme, disaient les médisants ! Encore une affirmation stupide, énoncée par les détracteurs de la nature! -Je comprends que vous soyez irrité, lui répondit Eve, compatissante, mais pourquoi accusent-t-ils nos chats ? Nous sommes assez loin du village et ils sont plutôt sauvages avec les étrangers. Quant aux puces, vous pouvez leur dire, à ces râleurs, qu’ils n’en ont pas ! Ils ont aussi été vaccinés, vermifugés et les minettes prennent tous les dimanches, leur pilule dans une boulette de viande. Par conséquent, il n’y aura pas d’invasion de petits non plus ! Mais après tout, c’est moi qui vais aller les trouver et m’expliquer avec eux ! -Ça m’arrangerait bien ! Dit l’homme, soulagé! C’est pour cela que je suis venu vous en parler. Vous saurez défendre leur cause, au moins ! Pas courageux, le pépère! Pensa Eve en son for intérieur. Ca l’arrange que je m’occupe de tout ! Mais pour les chats, je veux bien aller affronter ces citadins mécontents. Face à l’homme, elle était restée aimable et avait gardé tout son sangfroid, mais à l’intérieur, la colère grondait.

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Tu aurais dû la voir, Méphisto. Ce jour là, elle finit de nous remplir nos écuelles tout en maugréant contre l’ineptie de certains individus. -Ils se contentent d’idées toutes faites et empoisonnent la vie des braves gens ! Ils allaient voir à qui ils avaient affaire ! Quand elle nous quitta, ce soir-là, on sentit qu’il y avait de l’orage dans l’air ! Le lendemain, en nous apportant la soupe, elle nous a dit : -Les petits, demain nous avons rendez-vous chez le vétérinaire pour le rappel des vaccins, et il est temps de s’inquiéter de vous, les filles ! Une petite opération et hop ! Plus de soucis. Tatache, je ne t’oublie pas ! Ne vous en faites pas ! Vous oublierez très vite ce petit moment désagréable, et je m’occuperai bien de vous… Mes petites sœurs n’ont rien compris à ce langage, elles étaient insouciantes et tête-en-l’air. Le cabinet du vétérinaire, elles ne le connaissaient pas encore ! Le premier vaccin, c’est Eve qui nous l’avait fait. Par conséquent, elles n’eurent pas à souffrir de l’appréhension. C’est ainsi que deux par deux, bien installés dans un grand panier d’osier, elle nous a conduits à la clinique vétérinaire. Quand vint mon tour, j’étais accompagné de Maminette. En arrivant dans cet endroit tout blanc, mille odeurs ont assailli mes sens olfactifs. J’y ai détecté d’emblée des sentiments de

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peur et d’angoisse, recouverts par les relents doucereux des médicaments. Le cœur chaviré, je me suis blotti contre le doux pelage de Maminette, mais sa propre terreur l’avait tétanisée. Elle ne me fut d’aucun réconfort. Même pas un petit coup de langue de sa part, elle qui était si cajoleuse, d’habitude ! Dans la salle d’attente, l’agitation battait son plein ! Des miaulements coléreux, d’autres, plaintifs, quelques aboiements. Maminette et moi sommes restés silencieux, intimidés par tout ce monde. La main d’Eve était doucement posée sur mon échine, pour me réconforter. L’attente ne fut pas très longue. Quand notre tour fut venu, le praticien prit la chatte pour la poser sur la table d’examen et se mit à la palper avec dextérité. Sa voix était très douce et Maminette semblait rassurée. Du coup, je me suis senti moi-même, plus détendu. Il examina encore l’intérieur de sa gueule, sembla satisfait, puis il lui fit prestement une piqûre qui envoya Maminette au pays des rêves. Ensuite, une gentille demoiselle l’installa délicatement dans une cage toute blanche. -Cette chatte est en parfaite santé, conclut-il. Pas de vermine, de très belles dents, c’est rare, chez des chats de ferme. Bravo ! Eve buvait ses paroles, savourant tous ces compliments. Mais elle les méritait bien, car sans elle, nous ne serions que des vagabonds pleins de puces, mal nourris et sauvages de surcroît !

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Puis ce fut mon tour. Eve me posa elle-même sur la table d’examens. Elle me parla doucement, me rassura ; moi je la regardais avec de grands yeux inquiets et interrogateurs. L’homme en vert se pencha vers moi et se mit à me parler : -Alors, voilà un magnifique matou ! Tu es donc le seul mâle de la nichée ? Tu sais, j’ai déjà opéré tes petites sœurs, je les ai trouvées très mignonnes, mais toi, tu es encore plus beau ! Puis se tournant vers Eve, il ajouta : -Vous avez bien fait de venir avec toute cette petite famille, vous avez pris là une sage résolution ! Cela va éviter bien des malheureux à venir. C’est dommage qu’il n’y ait pas plus de gens compatissants, comme vous ! J’ai senti une toute petite piqûre et puis plus rien. J’étais si bien tout à coup, ! J’avais l’impression de me fondre dans les nues ! … A mon réveil, j’étais installé auprès de Maminette, dans le couffin qui m’avait déjà accueilli la première fois. Ciboulette était assise, telle la déesse Bastet, les yeux mi-clos, veillant sur nous deux. Le surlendemain, comme l’avait prédit Eve, ce n’était déjà plus qu’un vague souvenir indolore. Nous étions désormais munis chacun d’un carnet de santé et notre maîtresse allait pouvoir aller le brandir avec jubilation, sous le nez de la pipelette du village, cette vieille chipie de Rita, qui irait colporter la nouvelle à tous ces gens mal intentionnés à notre égard. Le téléphone arabe irait bon train,

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et nous serions désormais réhabilités aux yeux des citoyens bien-pensants. Tu sais, Méphisto, je suis encore tout ému d’avoir évoqué ces souvenirs du temps de ma mère, la douce Maminette. Dehors, le soleil me fait un clin d’œil, il se peut bien que j’aille me faire caresser par ses rayons. Moumoune, qui m’a tenu compagnie, tout au long de cette lettre, est déjà sortie se dégourdir les pattes, et je vais de ce pas la rejoindre. A bientôt, cher copain, pour la suite, si ça t’intéresse toujours !

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Chapitre 11

L’appel des bois.

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Chapitre 11

L’appel des bois. L’avenir est à ceux qui se lèvent tôt ! Tu vois, cher ami, c’est pour cette raison que nous voilà déjà installés, Eve, la grande prêtresse, Moumoune, féale dévouée et moi, grand ordonnateur, pour te conter la suite de mes souvenirs. A cette époque, nous habitions donc à la campagne. Comme c’était un trou perdu, Eve se déplaçait beaucoup en voiture. Au village, il n’y avait qu’une laiterie, une petite épicerie, un bistrot bien sûr et un médecin. Elle avait remarqué que je n’avais manifesté aucune crainte, lors de notre équipée à la clinique. Elle décida donc de m’habituer à voyager dans son auto. Elle en profita pour m’emmener, quand elle allait faire ses achats. Pour un petit chat de ferme, comme moi, la découverte de ce moyen de transport fut impressionnante ! Mon esprit aventurier y trouva matière à fantasmer. Je trouvais très drôle cet engin à quatre roues qui filait à toute vitesse à travers les bois. Lors de ces escapades, nous prenions le chemin le plus court en traversant une immense forêt. Les grands arbres étaient si serrés que les cimes formaient une voûte touffue et enchevêtrée. Même en plein été, le soleil ne pouvait la transpercer. Nous empruntions une petite route, à peine

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carrossable et si isolée que, sur des kilomètres, on n’y rencontrait aucune habitation. La nuit, surtout, il y régnait un silence effrayant ! Eve n’aimait pas s’y retrouver seule ! Parfois, pour se faire plaisir, on s’arrêtait sur le bas côté. Eve entrouvrait sa fenêtre et je pouvais ainsi me pénétrer de tous les mystères de la forêt. Le toc-toc du pic épeiche, les cajoles du geai sitôt repris par les jacasseries de la pie, résonnaient dans le silence. Parfois un merle venait y mêler son sifflet moqueur, et j’étais pris d’une frénésie soudaine ! Si je pouvais m’évader dans l’ombre des fourrés ! … Je pourrais m’y tapir, silencieux, tous sens aux aguets, prêt à bondir sur ma proie ! … Mais Eve veillait au grain, elle connaissait déjà très bien mes penchants pour l’aventure! Alors, elle refermait vite la fenêtre, et nous repartions sur la route. Sur le trajet du retour, je restais rêveur, encore tout empreint de pensées vagabondes et de senteurs sauvages Quand je fus rentré à la ferme, une idée germa dans ma tête. J’allais organiser une virée en solitaire, dans le petit bois qui jouxtait la propriété. Je ne m’y étais encore jamais aventuré, et je devinais qu’il me réservait d’exaltantes surprises. A l’instar des loups, l’appel de la forêt résonnait en moi. J’imaginais sans peine la vie tapie sous la mousse et les feuilles qui recouvraient le sol. Sous les grands feuillus, je devinais mille cachettes secrètes où pullulaient une horde de petits rongeurs méfiants. Je me disais qu’il serait bien agréable de me

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confronter à ce nouveau gibier, de connaître ses saveurs musquées et de vivre intensément, des heures à l’affût. C’est donc par une belle journée ensoleillée que je mis mon plan à exécution : Traverser la route, et sans rien dire à personne, aller inspecter les environs. Après avoir franchi le pré, je me suis faufilé à travers une haie clairsemée et me suis retrouvé dans un sous bois aux parfums enivrants. L’odeur sauvage de la vie souterraine me tourna un peu la tête. Je n’étais encore qu’un poids-plume, pourtant mes pas légers faisaient crisser les brindilles. Ces bruits intempestifs alertèrent aussitôt les hôtes de ces bois de mon arrivée ! Résultat, je ne rencontrai âme qui vive. C’est bien plus tard que j’appris à cacher mon odeur sous le vent et à me déplacer sans faire bouger la moindre ramille. Un peu désappointé d’avoir été si vite démasqué, je m’en suis tenu là pour cette première expédition et je décidai de rentrer chez moi, content malgré tout. Je reviendrai, c’était certain ! Et tout joyeux, je pris le chemin du retour. Ma pendule interne me disait qu’il était l’heure de la soupe ! Cette escapade en solitaire avait attisé ma curiosité. Les jours suivants, je me suis enfoncé plus profondément dans le sous-bois. Personne ne semblait s’apercevoir de mes absences et j’étais sûr de me balader incognito. Pourtant, un jour, à ma grande surprise, je me suis retrouvé soudain, face au GrandChat, mon géniteur. Il me regardait arriver, flegmatique, assis sous un grand chêne centenaire. Il ne semblait pas du tout

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surpris de me voir. Je suis resté quelques instants, la patte en l’air, ne sachant si je devais faire demi-tour ou m’approcher de lui Je choisis de rejoindre mon père, un peu intimidé. Sa longue queue blanche s’est mise à battre les feuilles. Il a plongé son regard au fond du mien. J’étais déjà prêt à recevoir ses remontrances, mais ses yeux pétillaient de malice ! Il bâilla longuement et d’un air réjoui, il me dit : -Bravo, mon garçon, tu as réussi ton passage dans le monde des adultes ! Cela fait quelque temps que je t’observe, tu sais ! Tu es intrépide, courageux et je suis fier de toi. Maintenant, je peux vous quitter. Désormais, c’est toi qui seras le soutien de la famille Tu sais, je suis un matou bourlingueur. Ici, je ne suis que de passage et depuis quelque temps, je songe à reprendre la route. Il y a encore bien des campagnes à découvrir ! Puis il ajouta avec tendresse et nostalgie, aussi : Les adieux ne sont pas mon fort ! Tu diras aux petites et à ta mère que je les aime et que je ne les oublierai pas. A la saison des amours, qui sait, quand les arbres auront pris les couleurs d’une palette d’un peintre et que les vaches seront redescendues de la montagne, je reviendrai peut-être ! Sur ces paroles un peu mystérieuses, il me tapota la joue d’une patte affectueuse, puis s’en retourna et disparut à l’orée du bois. J’admirais beaucoup mon père, et je ne savais pas encore ce que signifiait la séparation. Je restai là, médusé. Après une

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courte réflexion, je décidai de rentrer annoncer la nouvelle aux minettes. Eve fut un peu triste de ne plus le voir, mais elle s’attendait à ce qu’il disparaisse aussi soudainement qu’il était apparu dans la vie de Maminette. J’étais devenu le mâle de la famille et elle pouvait compter sur moi. Je me sentais investi d’un nouveau pouvoir et je désirais être à la hauteur. Je veillais donc sur mes sœurs, et restais prévenant pour ma mère. Après des chasses fructueuses, je leur rapportais mon butin, comme un gage de tendresse familiale. Je suis retourné souvent dans le sous-bois. Parfois, mélancolique, je m’arrêtais près du grand chêne, où mon père m’avait fait ses adieux. Aujourd’hui, je me demande bien ce qu’il est devenu, car après son départ, nous ne l’avons jamais revu. Je me sens un peu triste, maintenant. Je vais en rester là, pour aujourd’hui, car pour évoquer. la suite, ceci va encore me demander beaucoup de courage.

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Chapitre 12

L’accident.

Tu seras peut-être surpris de recevoir déjà la suite de mes mémoires ! Hier au soir, j’étais tellement ému à l’évocation de cette part de ma vie, que j’en ai perdu le sommeil ! J’ai tourné et retourné dans ma tête les épisodes qui ont suivi le départ de mon père et mon émancipation. Je n’avais qu’une envie, te narrer la suite au plus vite ! J’ai réussi à persuader Eve de reprendre sans tarder le cours des évènements qui ont bouleversé ma vie. Ainsi je t’envoie, sans perdre un instant, la suite de mon histoire. L’automne a perduré encore quelque temps, puis l’hiver s’est installé. Une neige épaisse recouvrit les chemins et les prés. Il devint de plus en plus difficile d’accéder à notre vieux chêne, mais l’espoir d’y retrouver mon père, me poussait à y retourner très souvent. C’est arrivé un après-midi glacial de décembre ! Alors qu’un chat raisonnable aurait choisi de rester bien au chaud dans le foin, comme toujours, intrépide et aventureux, je décidai de faire un saut jusqu’au grand chêne. La neige n’avait cessé de tomber depuis le matin. Il était plutôt hasardeux d’arpenter la

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campagne. Au moment où je m’élançai sur la route enneigée, une voiture arriva sans bruit. Un choc violent me projeta en l’air et j’atterris au milieu d’un champ, comme dans un coussin de plume. Puis l’obscurité se referma sur moi Quand je repris conscience, il faisait déjà presque nuit. Impossible de me redresser. Tout mon corps était engourdi et douloureux Je tentais de me raccrocher de toutes mes forces, mais je sentais que j’allais de nouveau sombrer dans l’inconscience. Soudain une voix familière arriva à mes oreilles, puis un crissement de pas précédé d’une odeur reconnaissable entre toutes ! Eve était penchée sur moi. Sa voix m’arrivait comme dans un brouillard cotonneux, mais bien réelle et emplie d’angoisse. Elle souleva délicatement mon corps tout refroidi et me murmura doucement : -Tatache ! Mon Tatache ! Ouvre tes yeux, dis-moi que tu m’entends, tu ne dois pas mourir ! Accroche-toi, fais un effort ! La chaleur de sa voix me sortit de ma torpeur, mes paupières se sont mises à battre et j’ai entrouvert les yeux. Quand je l’ai vue, rassuré, oubliant ma douleur, je me suis mis à ronronner. Eve n’en croyait pas ses oreilles. Elle enleva son manteau et m’y blottit, bien au chaud. Le retour fut difficile, un vrai parcours de combattant ! Il a fallu passer sous des fils de fer barbelés, elle me glissa par-dessous et essaya tant bien que mal de passer à son tour.

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Et moi, dans un état semi-comateux, je ronronnais de plus belle ! Quand nous sommes enfin arrivés à la maison, elle m’installa près du radiateur et en me palpant délicatement, elle chercha les blessures. J’avais un peu de sang qui coulait de mon menton, mais pas de plaies apparentes. Le pire pouvait se passer à l’intérieur et elle restait très inquiète. Pendant ce temps, le compagnon d’Eve téléphonait au vétérinaire. Il était déjà tard, mais il réussit néanmoins à le joindre à son domicile. Celui-ci leur donna immédiatement rendez-vous à sa clinique. La nuit était noire. La traversée de la forêt sur la route enneigée fut éprouvante pour Eve et son compagnon. Elle me tenait serré contre elle en me murmurant des paroles rassurantes. Je flottais dans une brume léthargique, tout en continuant à ronronner. Trois quarts d’heure plus tard, nous arrivions enfin. Une lumière vive traversa mes paupières fermées. J’entendis quelques palabres, des mains me touchèrent, puis ce fut le néant. Et tu vois, Méphisto, à ce stade du récit, Eve, très émue, s’est arrêtée pour se pencher vers moi. A l’évocation de ces souvenirs, ses yeux se sont emplis de larmes. Ne pouvant résister à ce chagrin subit, j’ai sauté sur ses genoux pour lui prodiguer du réconfort. Elle m’a serré contre elle, me

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murmurant des mots tendres et sans suite. Puis ses larmes se sont taries et le temps reprit son cours. Ce n’est que dix jours plus tard que je repris conscience sans le moindre souvenir. J’étais dans la maison d’Eve. Elle était penchée au-dessus de moi et me caressait doucement la tête. Les chats, Ciboulette et Yota, étaient assis à mes côtés, pareils à des anges gardiens. En émergeant du néant, je me sentis tout allégé. Un fil d’argent retenait serré la cassure de ma mâchoire. En essayant de me lever, je me suis d’abord senti tout nu. Alors, je découvris avec effarement, que tout mon côté droit était rasé et qu’une grande balafre recouvrait ma cuisse dénudée ! Il me fallut du temps avant de pouvoir me tenir sur mes pattes ! C’est après bien des efforts et une volonté opiniâtre, que je me mis enfin debout. Mais la douleur était toujours là, et je boitais bien bas Par la suite, je me suis installé près de la fenêtre, l’endroit privilégié de mes nouveaux amis. Pour eux cette liberté réduite était amplement suffisante, mais pour moi, qui observais les allées et venues de mes sœurs et de Maminette, cette captivité me pesait. Cependant, Eve jugea préférable d’attendre que mes poils repoussent, avant de me laisser partir affronter de nouveau, les frimas de l’hiver. La vie était douce ici. Ciboulette passait de grands moments à me lisser le poil à grands coups de langue râpeuse. Yota, l’air affable, restait lui aussi près de moi, les yeux mi-clos. Il émanait de lui une

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profonde sérénité qu’il transmettait autour de lui Le temps s’est écoulé ainsi, paisiblement, pansant toutes les blessures. Le grand jour arriva enfin ! Le vétérinaire m’examina sous toutes les coutures et constata, satisfait, que ma hanche s’était bien ressoudée et mon menton bien cicatrisé, grâce au fil d’argent. En arrivant à la maison, Eve me regarda d’un air mélancolique. -Voilà, mon Tatache ! Aujourd’hui, je vais te rendre ta liberté. Tu pourras de nouveau aller et venir à ta guise. Tu dois être heureux, n’est-ce pas ? Tu dois avoir envie d’aller à la chasse, maintenant que tu peux à nouveau te déplacer sans difficulté ! Tes petites sœurs vont retrouver leur compagnon de jeu ! Mais tu vas drôlement nous manquer, ajouta-t-elle, dans un soupir. Elle s’arrêta de parler, des sanglots lui nouaient la gorge. Puis elle ajouta : -Bien sûr, tu ne seras pas loin, mais ta place, sur mon oreiller, sera bien vide, désormais! Puis elle dit encore : -Reviens quand tu veux, Tatache, Tu seras toujours le bienvenu ! En franchissant la porte, je partis joyeusement sans me retourner, la liberté me tendait à nouveau les bras ! Après quelques cabrioles, je partis à l’assaut des arbres du verger. Je

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restai à l’affût de quelques oiseaux imprudents, mais sans succès. Puis, je m’avançai fièrement vers la grange. -Les souris! Ai-je clamé à la cantonade…Surveillez vos arrières ! Tatache, le sanguinaire est de retour ! Vous n’avez pas la plus petite chance, ajoutai-je, avec un rien de condescendance, car je suis de nouveau opérationnel ! Mon discours fanfaron se propagea rapidement ! Les souris prévenues se planquèrent si bien et avec tant de malice, que je rentrai, ce soir-là, bredouille à la maison. Dépité, j’allai me poster sous les fenêtres d’Eve, pour lui conter mon malheur. Ciboulette, qui observait le coucher du soleil par la fenêtre du salon, me vit arriver. Aussitôt elle alerta toute la maisonnée de mon retour. Ce n’était pas prévu que je rentre à nouveau dormir à l’intérieur, mais quand j’ai vu Eve, mon cœur n’a fait qu’un bond ! Il me paraissait soudain inconcevable de passer une nuit loin d’elle ! J’avais pris des habitudes. Je dormais sur le bord du coussin, près de son visage, et je me faisais tout petit, pour me faire oublier, car son compagnon n’appréciait guère cette intrusion dans sa vie privée ! Les hommes, tous les mêmes ! Jaloux de leurs prérogatives… Eve fut très émue de me voir. Elle ne pensait pas que je reviendrais dormir à la maison, une fois ma liberté retrouvée ! C’est certainement là que le parcours de ma vie a bifurqué. Je compris que désormais mon cœur, ma vie, ma liberté appartenaient à Eve, pour toujours.

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Elle descendit me chercher. Avec un miaou plaintif, je lui sautai dans les bras, et c’est ainsi, que, triomphant, je lui ravis le cœur à tout jamais. (Mais ça, c’est elle qui me l’a dit, plus tard !) Les autres chats de la maison ne firent aucune difficulté pour m’adopter définitivement. Ce sont eux qui me racontèrent comment, ce soir mémorable, Eve partit à ma recherche. Une voisine avait assisté, impuissante à mon accident et m’avait vu disparaître dans la profondeur de la neige. Inquiète, elle était allée avertir Eve, mais elle ne la trouva pas tout de suite à la maison. Ce n’est que plus tard, à la nuit tombante, qu’enfin avisée, elle put partir à ma recherche. L’aventure s’est bien terminée, grâce à sa ténacité, et son courage. Et surtout, j’ose l’affirmer aujourd’hui, grâce à son amour pour moi. Tous ces souvenirs m’ont épuisé, cher Toto. Je vais de ce pas reprendre quelques forces. Mon écuelle est certainement garnie de friandises.

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LE DEMENAGEMENT

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Chapitre 13

Le déménagement.

Les cartons s’amoncelaient de partout, et je ne savais toujours pas quel allait être mon sort. Je me confiais à Ciboulette et lui fis part de mon incertitude. -Veux-tu mon avis, Tatache, tu vas certainement nous accompagner dans notre nouvel appartement. Si Eve ne t’a encore rien dit, c’est qu’elle a peur que tu paniques et que tu partes te cacher dans la grange ! Quand toutes les pièces furent vides, nous nous sommes retrouvés tous les trois dans une chambre où il ne restait plus que les deux paniers d’osier destinés au transport. Ciboulette me dit : -Cette fois, ça y est ! On est sur le départ, Tatache. Pris de panique, je me mis à trembler de tout mon corps et des miaulements lugubres sortirent de ma gorge. Et si elle allait m’abandonner ? Rien n’avait encore été précisé et mon angoisse ne faisait que s’accroître. Ciboulette, maternelle, qui ne doutait de rien, m’invita à la suivre et m’installa dans un des paniers.

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-Ainsi, mon petit Tatache, tu peux être sûr qu’on ne t’oubliera pas ! Puis elle ajouta, en me gratifiant de petits coups de langue affectueux : -Allons, ne t’en fais pas, notre maîtresse n’a jamais abandonné un chat qu’elle aime ! Elle avait raison, ma copine Ciboulette ! Quand Eve vint nous chercher, elle me regarda avec amour, heureuse de mon initiative, car elle y voyait la preuve que je désirais l’accompagner dans sa nouvelle demeure. Elle nous installa dans la voiture et c’est ainsi que nous avons mis le cap sur notre nouveau logis. Au préalable, Eve avait pris soin de fournir une bonne réserve de nourriture pour Maminette et sa petite famille. Elle était contrainte, malgré elle, de les confier aux bons soins du paysan ! Elle lui fit promettre sur l’honneur, que désormais il pourvoirait à leur nourriture. Elle lui promit de venir de temps en temps aux nouvelles. Ce qu’elle fît, d’ailleurs plusieurs fois, et trouva, à chaque visite, les écuelles bien garnies. Pendant tout le voyage, Ciboulette et Yota ont somnolé, paisiblement. Moi, je n’en menais pas large. Je me sentais si petit, si vulnérable devant l’inconnu…Après un long trajet à travers la campagne, nous sommes enfin arrivés à destination. Le maître des lieux nous y attendait impatiemment. Eve arrêta la voiture à proximité d’un immeuble. Il était si haut que je n’en voyais pas le toit. Tout cela était très

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nouveau pour moi et je regardais mes compagnons avec inquiétude. Comme la situation ne semblait pas les affecter outre mesure, je décidai donc d’attendre la suite avec philosophie. Eve posa nos paniers dans une petite cage et la porte se referma sur nous. Je la vis appuyer sur un bouton et soudain, une traction soudaine nous propulsa jusqu’au quatrième étage ! J’ai senti mon cœur se soulever, mais heureusement, le voyage fut de courte durée! L’appartement était vaste et lumineux. Une fois à l’intérieur, j’ai pu sortir du panier. Encore tout étourdi par le voyage, c’est avec soulagement que j’ai pu enfin me dégourdir les pattes ! J’ai tout de suite repéré les arbres à chats, disposés de façon à nous créer un véritable parcours de jeux et d’escalades. L’accès au-dessus des meubles en était ainsi facilité. De la fenêtre, je pouvais voir la plaine. Une route à grand trafic nous séparait des champs qui s’étendaient à perte de vue. Aucune forêt à proximité ! Dans le lointain se profilaient la chaîne du Jura, où le soleil se couchait déjà, laissant des traînées de pourpre et de safran dans un ciel bleu pâle. Juste en face de l’immeuble, à cinquante mètres de là, on pouvait voir deux villas. Elles étaient entourées de jardins et d’arbres fruitiers où devaient gazouiller, sans aucun doute, une nuée d’oiseaux tapageurs. De l’autre côté, se trouvait un balcon. Quand j’ai voulu regarder en bas, je fus saisi de vertige. Le sol me sembla si loin,

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que la seule idée de devoir sauter, me fit trembler. De ce côté là, on pouvait voir des petits jardins communautaires, avec leurs cabanons. Mon esprit aventureux me souffla qu’il m’appartenait de prendre ma vie en main et d’adapter ce monde à ma convenance. En premier lieu, trouver le moyen de sortir, car ici, passer par la fenêtre était hors de question. Une fois dehors, j’irais planter mes repères et reviendrais par le même chemin. Ni vu, ni connu ! Tout cela me semblait un excellent programme ! Pourtant, Méphisto, j’étais loin de me douter des aléas de la vie en appartement ! Pour un chat de campagne, habitué aux grands espaces et à la vie sauvage, la chasse et les escapades en forêt me manquaient terriblement. La partie n’était pas gagnée ! La cage dorée était devenue une prison! Je me sens à nouveau tout angoissé à me remémorer cette partie de ma vie. Alors, cher Méphisto, tu n’y verras pas d’inconvénient, mais je vais aller regonfler mes neurones dans mon bol à croquettes.

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Chapitre 14

La fuge

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Chapitre 14

La fugue. A l’époque où j’ai choisi de suivre Eve dans sa nouvelle demeure, je m’étais promis d’être un chat modèle. Je ne voulais surtout pas qu’elle ait à regretter de m’avoir adopté ! J’étais sincère, bien sûr, mais je n’avais aucune idée de la difficulté que ça représentait ! Je ne connaissais rien de la vie en captivité, si l’on peut appeler ainsi ce paradis en cage. Tout était prévu pour qu’on y soit heureux. Ciboulette et Yota, flegmatiques, posaient un regard paisible sur le paysage. Leur bonheur se suffisait à rêver à de lointains et inaccessibles espaces. En ce temps là, notre vie était réglée sur le rythme de nos maîtres. Je devais attendre patiemment que la maisonnée se réveille pour recevoir mon petit déjeuner. Cependant, attendre n’était pas ma qualité première ! Quand le temps me semblait trop long, j’allais moi-même réveiller Eve et pour ce faire, j’avais mis au point une technique infaillible ! Je m’étirais d’abord bruyamment et sautais du lit en ne manquant pas de la piétiner au passage. Ça la faisait grogner un peu, mais si ce n’était pas suffisant je revenais à la charge. Je lui piquais délicatement le bout de son nez d’une patte légère d’où j’oubliais systématiquement de rentrer toutes les griffes. Mon petit coup d’ongle me semblait si angélique que je n’avais aucun remords !

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D’ailleurs, ce procédé était efficace, car elle se réveillait pour de bon, parfois grincheuse, mais cela ne durait pas. Je commençais à prendre de nouvelles habitudes, mais hélas, plus d’escapades au petit matin, désormais ! La seule issue pour s’évader de ce paradis, c’était la porte, mais elle restait obstinément close ! Cette porte d’entrée était dotée d’une sonnette stridente et fort désagréable. La première fois qu’elle retentit, ce fut si agressif à mes oreilles, que je fus pris de panique ! Renversant tout sur mon passage, j’ai cherché refuge dans le premier placard ouvert. Eve en profita pour se moquer de moi, mais en même temps, cela la rassurait, car mon réflexe, désormais, était de me tenir éloigné de l’entrée… Cependant, j’entrevoyais peut-être là une solution ! J’espérais bien qu’un jour cette porte demeurerait quelques instants entrouverte, sans surveillance. Je préméditais mon coup depuis quelque temps, quand soudain une circonstance favorable s’offrit à moi ! La sonnette de l’entrée vibra par trois fois et je me dis, bravant mon premier réflexe qui était de prendre la fuite. -C’est sûrement le facteur ! Ne laissons pas passer cette chance. Eve connaissait bien mon aversion à ce tapage et me croyait déjà loin de l’entrée. C’est donc sans méfiance qu’elle ouvrit la porte, ce jour-là. Elle prit le temps de signer le carnet de l’employé et d’échanger quelques mots aimables avec lui.

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Ni une, ni deux, je me suis alors glissé prestement, et j’ai franchi le pas de la porte, discrètement, silencieux comme une ombre. Quatre à quatre, j’ai descendu l’escalier qui n’en finissait pas de tourner, d’un palier à l’autre. Une fois dehors, le grand air et le bruit me frappèrent de plein fouet. Je me suis senti soudain tout étourdi. J’ai respiré un grand coup et le nez au vent, le cœur gonflé d’allégresse, je suis parti pour l’aventure ! Si j’avais deviné, rien qu’un instant les péripéties qui m’attendaient, je ne me serais pas senti aussi fanfaron ! J’aurais peut-être même rebroussé chemin, avant qu’il ne soit trop tard ! Il faisait très beau en cette fin de matinée. Eve avait servi le déjeuner près de la fenêtre pour pouvoir profiter du soleil. Son attention se dirigea vers les villas d’en face et elle se dit qu’il devait être bien agréable d’habiter là-bas. Soudain son regard fut attiré par la silhouette d’un chat noir qui grimpait allègrement le talus menant aux maisons. -C’est incroyable, tu as vu comme il ressemble à Tatache ! S’est-elle exclamée en se tournant vers son ami. Même démarche, même allure ! Cette ressemblance était si extraordinaire, que soupçonneux, il alla chercher les jumelles, pour vérifier de plus près cet étonnant sosie ! Après un long moment d’observation silencieuse, il se retourna vers elle, abasourdi. -C’est bien lui, c’est Tatache ! Ajouta-t-il, convaincu, en lui passant les longues-vues pour qu’elle constate elle-même.

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Ignorant l’objet tendu, Eve se précipita vers la chambre, grimpa prestement sur une chaise pour regarder au-dessus du meuble. C’est là que les chats s’installent toujours pour faire la sieste. Elle était sûre de l’avoir vu s’y diriger, quelques instants plus tôt. Les seuls occupants, Ciboulette et Yota, effarés, la virent surgir sous leur nez, comme un diable de sa boîte. Hélas, pas de Tatache ! … Son sang ne fit qu’un tour. Incrédule, elle venait de réaliser que c’était peut-être bien lui qui se baladait là-bas en face. Après vérification, et ne le voyant nulle part dans l’appartement, Eve prit les jumelles et se mit à observer de plus près la colline. Force lui fut de constater l'effarante vérité : Tatache, l’incorrigible vadrouilleur, avait joué la fille de l’air, et baguenaudait, maintenant, avec aplomb, dans les herbes sèches du talus. Le repas fut carrément oublié ! Sans même penser à se couvrir, ils partirent à sa recherche, espérant que d’ici là, il n’aurait pas disparu. Arrivé au bas de l’immeuble, ils durent se rendre à l’évidence. Tatache n’était plus là ! Entre temps, j’avais poussé mes investigations un peu plus loin. Je me tenais à l’affût, surveillant un groupe d’oiseaux piailleurs et écervelés. Des proies faciles, à en croire leurs jeux irréfléchis, qui ne se doutaient pas une seconde du vif intérêt que je leur portais. Mon approche inopinée les surprit et ils s’égaillèrent dans un bruissement d’ailes. Je repris l’affût. Je n’étais pas pressé de rentrer. Je n’avais plus ni foi ni loi et je me

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repaissais de la liberté retrouvée. J’ignorais les appels pressants qu’Eve me lançait d’une voix angoissée et qui semblaient venir d’un autre monde. J’avais pris mes repères et je savais qu’à la nuit tombante, comme toujours, je retrouverais mon domicile. Pourquoi Eve se fait-elle autant de souci ? Ne m’a-t-elle pas vu rentrer tous les soirs ? Mais voilà, ce n’était plus la même campagne, ni la même maison et encore moins la même vie ! J’allais bientôt déchanter. La nuit était tombée depuis peu, mais la grande porte de l’immeuble demeurait résolument fermée. Je faisais le guet depuis un bon moment déjà, mais personne n’avait l’intention d’entrer. Tapi dans l’ombre d’un bosquet, je grelottais malgré mon épaisse fourrure d’hiver. Soudain, j’entendis des pas dans l’allée. Je me suis avancé pour scruter l’ombre et me suis trouvé soudain nez à nez avec un grand chien noir. Surpris autant que moi, il n’eut qu’une idée en tête, me cavaler après en guise de représailles. Affolé, je me suis mis à détaler comme une flèche, en m’enfuyant dans le noir. J’ai couru longtemps, le chien toujours à mes trousses. Après une course échevelée, je me suis arrêté, haletant. Les lumières avaient disparu. Le chien avait abandonné ma piste depuis longtemps. On n’entendait plus que le bruit des voitures dans le lointain. Rassuré, je décidais de m’en retourner, en direction de mon logis. La truffe au vent, je marchais à vive allure, droit devant moi. Soudain, désorienté, je me suis arrêté un moment pour faire le point. J’avais beau

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scruter l’ombre qui m’entourait, le paysage m’était étranger. Je commençais à me poser des questions. -Où puis-je bien être, je ne reconnais rien ! Force me fut de constater que j’étais bel et bien perdu. A l’horizon, aucune lumière. Soudain, une cabane de jardin émergea de la nuit. Elle était posée sur des plots, et offrait sous son plancher, un abri propice. Méfiant, j’en fis le tour, mais je ne trouvais rien de suspect. Alors je me suis glissé dessous et, tournant et retournant sur moi-même, je m’y façonnais un trou pour m’y caler. Je n’ai pas tardé à m’assoupir, terrassé par la fatigue. Ma dernière pensée fut pour Eve. Demain, avec le jour, je pourrais la retrouver. Au petit matin, je me suis réveillé, avec le sentiment qu’une présence hostile m'enveloppait. Après quelques étirements, je mis le nez dehors et quelle ne fut ma surprise de me trouver face à un gros matou jaune aux oreilles découpées en dentelles ! Il était doté d’un regard si perçant que j’en eus froid dans le dos ! Derrière lui, une horde de chats de toutes tailles et de toutes couleurs étaient assis en demi-cercle. Leurs regards n’étaient pas plus rassurants que celui de leur chef. Dans un jargon inaudible, le vieux matou me fit comprendre que je n’étais pas vraiment le bienvenue ! La meute m’a détaillé sur toutes les faces et tour à tour m’a menacé à coups de pattes sales, garnies de griffes acérées. Quelques-uns, spécialement hargneux, me tournaient le dos pour m’arroser copieusement. Je tremblais de peur ! J’eus

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soudain un gros coup de blues ! J’ai pensé à Eve et à mes copains, là-bas, qui devaient m’attendre. Je ne savais pas qu’entre congénères, il était possible d’être aussi cruels. Je fus molesté à coups de griffes sur la truffe. Un gros noiraud au pelage plutôt douteux a même essayé de me mordre une oreille ! Le signal avait été donné par un grand chat malingre et vindicatif. Les poils se sont mis à voler dans tous les sens. Les matous, agressifs, se mirent à se battre entre eux, sans distinctions ! Heureusement, je me suis ressaisi. A mon tour, je me suis déchaîné. Ils voulaient la guerre ? D’accord ! Ils l’auraient. Je décidai de répondre, coup pour coup ! Ma vie à la campagne m’avait accoutumé à faire face à toutes les situations. J’étais suffisamment aguerri pour me lancer dans la bagarre, mais jamais je n’avais dû me confronter à une telle haine gratuite ! Ça allait tourner au carnage, quand soudain, les combattants, mus par un signal impératif, cessèrent subitement leurs querelles. Le vieux briscard, meneur de la bande, fit taire d’autorité cette bande hurlante. Il se dirigea ensuite vers moi, l’air malveillant, et me dit de sa voix tonitruante -C’est seulement un avertissement !Si tu ne veux pas qu’on recommence, tu as intérêt à ne pas empiéter sur nos plates-bandes ! On va te mettre à l’épreuve et selon ton comportement, un jour, tu feras peut-être partie de la bande. Mais pour l’instant, tu as intérêt à te tenir tranquille !

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Puis, il m’intima l’ordre de déguerpir au plus vite, sous peine de représailles plus sévères ! Je ne demandais pas mon reste ! Profitant de l’accalmie, je partis à reculons dans mon repaire. Je leur abandonnais volontiers ce territoire, à ces malfrats ! Je ne le revendiquais pas d’ailleurs. Malgré cela, je ne voyais pas d’issue ! Ma seule préoccupation était de réintégrer mon paradis douillet. Ah, comme je regrettais ma fugue, maintenant ! Mais il était trop tard pour pleurer sur mon sort, je devais trouver au plus vite une solution de repli. La chance n’était pas avec moi, comme pour me donner une bonne leçon. Chaque tentative pour forcer le barrage se soldait par un échec. Les chats montaient bonne garde ! Entre la meute menaçante et les chiens errants qui se baladaient dans le coin, j’étais terrorisé et restais prostré dans mon refuge de fortune. Pendant ce temps, Eve, reprenait ses recherches, tout en espérant malgré tout me trouver devant la porte d’entrée. Elle la surveillait constamment par des allers et retours fréquents. Elle avait bien essayé de la laisser ouverte, mais le concierge la refermait toujours, à cause du froid. Elle scruta longuement les champs avec ses jumelles, car elle avait l’intime conviction que je n’étais pas loin, mais qu’un état d’urgence m’empêchait de rentrer. C’étaient les vacances de fin d’année. Eve et son compagnon ont multiplié les recherches. Ils ont affiché ma photo

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dans l’entrée de chaque immeuble, longé routes et chemins avoisinants, au cas où j’aurais eu un accident. Ils sont même allés jusqu’à leur ancienne demeure, distante de plus de trentecinq kilomètres, au cas où je serais retourné là-bas. Hélas, personne ne m’avait vu ! Eve me sentait à proximité, malgré tout. Elle connaissait mon côté méfiant et sauvageon et se doutait bien que je n’oserais pas rentrer en plein jour. Chaque nuit, elle repartait donc du côté des villas où elle m’avait aperçu la dernière fois, mais revenait bredouille, désespérée. Le réveillon du jour de l’An fut un vrai gâchis. Eve n’avait pas le cœur à la fête, loin s’en faut et son compagnon, bien que très ennuyé lui aussi de ma disparition, ne comprenait pas qu’elle se mette dans un tel état. Il aurait pourtant donné n’importe quoi pour me voir réapparaître. J’en étais à mon cinquième jour de fugue. Il avait neigé dans la nuit et. Eve espéra déceler d’éventuelles traces de pattes dans l’immense tapis immaculé qui recouvrait la campagne. Armée de ses jumelles, elle observait les cabanons, quand soudain, son regard fut attiré par une forme noire qui bougeait sur ce qui semblait être un tonneau posé à l’envers. Elle sentit son cœur battre la chamade, Fébrilement, elle ajusta ses jumelles et fixa longuement l’endroit, attendant un mouvement révélateur. Soudain, elle vit un peu de blanc dans cette masse noire.

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-C’est lui, j’en suis sûre, cette fois ! Dit-elle à son compagnon qui s’était approché de la fenêtre. Bouleversés ils partirent immédiatement pour venir me chercher, certains de toucher enfin au but ! Mais c’était sans compter sur la malchance qui me poursuivait ! Depuis le temps, la bande de chats qui me surveillait avait un peu relâché la pression. Je pouvais sortir de mon trou et faire quelques mètres, pas plus, histoire de me dégourdir les pattes. A proximité du cabanon, le gibier était pratiquement inexistant. J’avais manqué de peu un petit rongeur, qui passait par-là à vive allure. Et depuis, plus rien ! Pour oublier ma faim, je procédais à une minutieuse toilette. Je me suis donc roulé dans la neige pour ôter l’infamante odeur d’urine dont ils m’avaient aspergé. Puis, pour me sécher, je me suis installé au soleil, sur le tonneau, me faisant le plus discret possible. Soudain, j’entendis le bruit d’un moteur. Depuis mon accident, ce bruit me faisait très peur. Alors, paniqué, j’ai sauté prestement sous la cabane. Une porte a claqué et des crissements de pas se sont rapprochés de mon refuge. Puis soudain, je reconnus la voix d’Eve ! Sauvé ! J’allais pouvoir enfin rentrer chez moi ! Cependant, quand j’ai voulu ressortir de ma cachette, le grand matou jaune me faisait face en crachant. Il avait cherché refuge, lui aussi sous la cabane et sa présence menaçante m’interdisait toute sortie. Eve s’était munie d’un paquet de croquettes, le secouant à tout va, pour m’alerter de son arrivée. Toujours coincé, face à l’escogriffe qui me tenait en respect, je

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n’osais bouger une oreille ! D’entendre Eve tout près et de ne pouvoir lui faire savoir que j’étais là me torturait. Du temps a passé. Ne me voyant pas, elle disposa une bonne quantité de croquettes à proximité du tonneau où elle m’avait aperçu, espérant bien que je comprenne le message. Déçue, elle est repartie tristement. La connaissant bien, je savais qu’elle allait revenir. Le lendemain matin, je restais sur mes gardes, bien décidé à ne pas laisser passer ma chance. J’étais sorti de dessous la cabane, guettant le moindre bruit. La veille, Eve avait bien remarqué les allées et venues des chats et elle ne mit pas longtemps à comprendre dans quelle posture je me trouvais ! C’est pourquoi ce matin, elle avait apporté avec elle des provisions qu’elle déposa ici et là assez loin du lieu où elle pensait me trouver. Ainsi elle éloignerait pour un moment la bande de gueux qui semblait faire la loi. L’idée fut excellente ! A peine avait-elle tourné les talons, qu’ils se sont précipités sur les victuailles. Ce n’était que des chats, affamés et crédules. Ils m’oublièrent pour un moment. Quand je l’ai enfin aperçue, la voie était libre et je me suis précipité pour la rejoindre. Les retrouvailles furent bouleversantes. Au retour, je suis resté cramponné à elle, ne voulant plus la lâcher. Heureusement, le trajet était court, car cela ne lui facilitait pas la conduite, ce matou scotché sur ses genoux !

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Mon retour au bercail fut dignement fêté. Eve remplit mon écuelle de mes gâteries préférées. Ciboulette, maternelle, me laissa à peine le temps de me restaurer, que déjà elle s’activait, à grands coups de langue râpeux, procédant à un grand nettoyage……………………….. ……..D’où sors-tu pour sentir aussi mauvais ? Me dit elle offusquée, tout en redoublant d’efficacité. Je leur contais par le menu, ma déconvenue, face à la dure loi de la jungle. Comment, dans une bagarre effrénée j’avais chèrement défendu ma peau, alors que la bande de zonards ne comptait pas me faire de cadeau, puis comment je m’en suis sorti en devenant quasi transparent ! Yota, bougon, y alla d’un brin de morale que j’acceptai, la tête basse. J’étais bien conscient que ma mauvaise conduite leur avait fait vivre sept jours d’enfer. Mais je l’avais payé en retour de sept jours de cauchemar. Dans la paix et la sérénité retrouvées, enfin je me laissais aller à dormir profondément et sans rêve. Tu vois, cher Méphisto, l’histoire s’est bien terminée et encore une fois, grâce à Eve et son amour pour moi...A bientôt, cher ami, après une si longue histoire, je vais aller prendre un peu de repos bien mérité !

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Chapitre 15

Les souvenirs de ciboulette

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Chapitre 15

Les souvenirs de Ciboulette.

Le dernier épisode de mes mémoires m’avait complètement épuisé. Je suis donc parti faire une sieste pour me remettre de mes émotions. Cependant j’ai eu du mal à trouver le sommeil ! Ce retour dans le passé m’a rappelé les évènements qui suivirent peu de temps après et cela a ravivé une profonde tristesse En repensant à ma douce Ciboulette et mon cher Yota, aujourd’hui disparus, je ressens encore un profonde émotion. Même belle, la vie d’un chat n’est pas éternelle. Quelque temps après ma fugue, Yota tomba gravement malade. Il venait d’avoir douze ans ans. Alors, avec Ciboulette nous avons voulu rester à son chevet, comme elle l’avait fait pour moi si souvent. Yota avait été si beau et si grand ! Et maintenant, il était couché sur le flanc, tout petit au milieu de son grand panier. Il vivait probablement ses dernières heures. Nous étions tout proches de lui, comme pour lui communiquer un peu de notre chaleur. C’est durant cette longue veillée que Ciboulette me raconta leur histoire. Pendant ces instants, la magie du récit nous transporta loin de la triste réalité.

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Voilà l’histoire, telle que Ciboulette me l’a contée. Ma mère était certainement un chat haret et ses ancêtres avaient dû connaître bien des aventures. Elle vivait de chasse et de rapines. Tout comme tu me l’as raconté, pour ton père, nous étions de la race des aventuriers. En prévision de notre naissance, elle installa ses quartiers, assez près d’une grande maison isolée. A proximité, se trouvait le chenil où les deux gros chiens qui gardaient la maison, recevaient chaque jour, une copieuse nourriture. Il lui était facile d’y dérober sa part, car les chiens en laissaient toujours un peu. C’est par une belle journée de printemps qu’elle nous a mis au monde, sur un tapis de mousse et de brindilles, à l’abri d’un grand arbre creux. Je me souviens à peine de ce temps là, mais nous étions beaucoup à nous agripper à ses tétines gonflées de lait et je me souviens combien il était difficile de s’y frayer une petite place. Cependant, par la suite, nous n’étions plus que tous les trois, ma mère, mon frère et moi. Peut-être que les autres n’avaient pas survécu ! Quand son lait se fit rare, elle nous apporta le fruit de sa chasse ainsi que de la nourriture dérobée dans la gamelle des chiens. Dès que nous avons eu suffisamment de force pour la suivre, elle nous conduisit près de la maison, en prenant garde de nous laisser de l’autre côté de la barrière. Elle allait chaparder des reliefs de repas, laissés là pour les oiseaux, et nous les rapportait. Puis vint le jour où elle n’eut plus du tout de lait. C’est à ce moment là qu’elle entreprit de nous faire

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remarquer. Son manège n’avait pas tardé à intriguer Eve. Ma mère filait à toute vitesse devant elle, sans s’arrêter, au moment où elle portait à manger aux chiens. Courageusement, plusieurs jours de suite, la chatte répéta sa tactique, mais sans jamais se laisser approcher, la pauvrette était bien trop craintive. Eve comprit que la sauvageonne cherchait à lui faire passer un message. Dans la matinée, notre mère nous fit passer la barrière et nous guida le plus près possible de la maison. Puis elle s’éloigna, silencieusement. Nous ne nous sommes pas inquiétés, la chatte nous laissait très souvent seuls. Nous avons joué comme des fous, faisant des cabrioles, nous amusant à qui mieux-mieux en nous mordillant les oreilles. Plus tard, fatigués, nous avons cherché notre mère des yeux. Mais pas de minette à l’horizon ! Nous avons commencé à paniquer et à miauler à perdre haleine ! Eve qui passait justement par-là, nous a tout de suite repérés. Elle accourut pour venir à notre secours. Quand elle nous vit, si petits, si vulnérables, elle tomba tout de suite sous notre charme. Deux petites boules de poils laineux, soudain silencieuses, la regardaient avec de grands yeux étonnés. Emue, elle nous prit dans ses mains comme un trésor et nous porta à ses lèvres. -Vous devez avoir très faim, pour miauler ainsi, nous ditelle, gentiment. Et votre maman vous manque, sûrement ! Où est-elle, en ce moment ?

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Un peu plus tôt, elle avait aperçu la minette près du chenil et l’avait surprise à guetter ses faits et gestes. Eve, qui connaissait bien la gent féline, savait qu’il était fréquent qu’une chatte errante, à l’époque du sevrage, amenât ses petits près des habitations pour leur trouver de la nourriture ou pour les faire adopter. Après avoir bien vérifié que la mère-chatte ne rôdait plus dans les environs, elle nous emporta dans sa maison. Elle décida de nous donner à manger, ensuite, elle aviserait ! Après nous avoir déposés devant une coupelle de lait tiède, elle nous a regardés l’engloutir, avec émotion. Cela ressemblait un peu au bon lait de notre maman, tari depuis longtemps, malheureusement. Comme nous avions très faim, nous n’avons pas hésité à en réclamer encore. Avec délice, nous avons fait connaissance avec une nourriture pleine de saveur et d’abondance. Il y avait tant de choses à découvrir autour de nous ! Nos pattes s’enfonçaient délicieusement dans les grosses boucles du tapis de laine qui recouvrait le sol. Nous ne connaissions que les tapis de mousse humide et froide du petit bois. Nous avons été soudain envahis d’une douce torpeur. Nous n’avons pas tardé à nous endormir, terrassés par la fatigue et les émotions. Rien n’est venu troubler notre sommeil ! De légers bruits environnants et les murmures de voix nous enveloppaient d’une douce quiétude. Nous ne connaissions rien des humains, et pourtant, nous nous sentions déjà en sécurité !

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La journée avait été douce et le soleil commençait à se cacher derrière la colline. Eve nous réveilla délicatement et nous installa dans un grand panier, bien calés dans un vieux pull-over. A côté de nous, elle avait préparé une assiette et des barquettes de nourriture pour chat. Elle pensait que la chatte devait nous chercher, maintenant. Pour elle, cela ne faisait aucun doute ! Nous étions les petits de la sauvageonne qui, depuis quelque temps se faisait voir de façon si étrange. Nous avons fait le chemin à l’inverse, retournant à l’endroit où elle nous avait trouvés. Tout en marchant, elle l’appelait doucement : -Minette, petite minette ! Je t’ai ramené tes petits, montre-toi ! La tombée de la nuit s’avançait et toujours pas de minette ! Nous sommes restés longtemps à l’attendre. Nous commencions à avoir froid, et nous nous sommes mis à miauler très fort ! Malgré ces appels déchirants, la chatte ne s’est pas manifestée. Eve ne savait pas trop ce qu’elle allait faire de nous. Résignée, elle déposa quand même la nourriture, à l’endroit où elle nous avait trouvés la veille. Comme elle n’avait pas le cœur de nous laisser là, tout seuls, elle nous remit dans le panier et nous rapporta dans sa maison. Elle revint ainsi régulièrement à l’endroit de sa découverte, accompagnée des petits, mais la mère ne s’est plus jamais manifestée. Pourtant, il lui semblait bien l’avoir aperçue, et chaque fois la nourriture, disparaissait, comme par enchantement.

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C’est ainsi que mon frère, qu’on prénomma Titi et moi, avons pris place dans sa maison. Nous avons grandit ainsi, douillettement, heureux, même si pour notre sécurité, nous n’avions pas la liberté d’aller gambader à l’extérieur. La grandroute passait au pied de la propriété et les chats pouvaient s’y faire écraser sans crier gare. Nous étions chanceux, car nous disposions d’une grande terrasse avec des arbres et de grands bacs où nous pouvions jouer à cache-cache. Il y avait aussi un toit peu pentu, où nous faisions de grandes randonnées. Notre grande complicité dura trois belles années. Puis, sans savoir pourquoi, mon frère Titi est tombé gravement malade. Une malformation au niveau des reins l’avait emporté en quelques jours. Malgré les soins intensifs qui lui furent prodigués, il n’avait pu être sauvé. Je ne comprenais pas pourquoi il n’était plus là et j’étais très triste. Si triste que j’en avais perdu l’appétit ! Pour me consoler, Eve s’est alors mise en quête de me trouver un nouveau compagnon. C’est ainsi que Yota allait entrer dans ma vie. Ce jour-là, pressée, Eve déboula dans l’escalier, sans rien dire, attrapant son manteau au vol et fit démarrer sa voiture sur les chapeaux de roue. Tant d’agitation laissait prévoir un événement de taille ! L’attente me sembla interminable. Environ une heure plus tard, elle gara sa voiture dans un grand crissement de

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pneus et remonta les marches aussi vite qu’elle les avait descendues, en m’interpellant, joyeusement : -Ciboulette, ma jolie, vient voir ce que je t’amène ! Elle tenait dans ses mains une boîte en osier dont elle extirpa une petite boule de poils blancs qu’elle déposa devant moi, triomphante. -Regarde, ma minette, je t’apporte un nouveau compagnon ! Je me suis approchée, intimidée et émue. Un chaton, presque tout blanc, avec le nez et le bout des pattes teinté de brun me regardait de ses grands yeux bleus. Le coup de foudre fut immédiat ! J’ai posé ma truffe humide sur son nez minuscule en le gratifiant de petits coups de langue affectueux, l’entourant d’attentions comme l’aurait fait sa mère et tout ce rituel le mit en confiance. Quel bonheur d’avoir de nouveau à s’occuper de quelqu’un! Désormais, il me considérait comme sa maman et me suivait pas à pas. J’entrepris alors de lui faire visiter la maison. Il trouva la caisse à sable à son goût et se mit à y gratter avec entrain, avant d’y faire un petit pipi, tout fier de son exploit. Eve, mine de rien, nous surveillait d’un œil attendri. Nous étions très heureux de la présence de ce bout de chou !. Elle avait choisi ce petit siamois de pure race, en pensant que ses origines de chat d’appartement s’adapteraient facilement à notre vie. Cependant, il nous a vite donné du souci. Il n’avait pas beaucoup d’appétit et semblait de santé fragile.

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Les années qui suivirent nous ont rapprochés de plus en plus. Nous avons tout partagé, les petits bonheurs, comme les tristesses. Les jours de maladie ou d’incertitude, quand Eve était malheureuse, nous étions toujours ensemble pour nous réconforter. Voilà, mon cher Tatache, toute notre histoire ! Après ce long récit, le silence s’est installé, pesant. Le présent nous rattrapait en force ! J’étais très ému. Celle qui m’avait toujours protégé, encouragé, était si triste, maintenant, que j’eus envie, à mon tour, de la consoler. Je me suis approché d’elle et elle s’est pelotonnée tout contre moi.. Au petit matin, elle s’est levée soudain, et avec douceur, a longuement léché ce pauvre Yota. Il pouvait à peine soulever sa tête et la regardait comme pour lui dire adieu. Puis il s’est éteint doucement. Eve était présente et de grosses larmes coulaient sur ses joues. J’étais si bouleversé que je me suis serré contre elle, pour réunir notre chagrin. Ciboulette restait inconsolable. Quelque temps plus tard, elle tomba malade à son tour. Elle refusait de manger, elle refusait de guérir, elle n’avait plus goût à rien. J’étais désespéré de ne rien pouvoir faire pour elle, alors qu’elle m’avait si souvent soigné. Elle est partie à son tour, en dormant. Eve m’a dit qu’elle s’était laissée mourir de chagrin. Elle avait juste quinze ans. C’était trop de tristesse ! Il fallait au plus vite combler ce vide insupportable.

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Signe du destin ? Dans un autre foyer, Moumoune devenait orpheline de sa maîtresse, une charmante vieille dame qu’Eve connaissait et qui avait, comme elle, un amour démesuré pour les chats. Elle lui avait promis, quand elle disparaîtrait, de s’occuper de sa chatte qu’elle aimait tendrement. C’est ainsi que la vieille dame rassurée, partit, l’âme tranquille. Un jour, au retour des commissions, Eve rapporta dans son panier, une ravissante demoiselle aux yeux bleus et aux longs poils soyeux. Quand elle ouvrit le cabas, la chatte sauta près de moi. Nos regards se sont croisés, éblouis ! Ce fut comme si nous nous connaissions depuis toujours. Désormais, nous faisions partie de la même famille Nous sommes devenus des complices inséparables. Nous avions le même âge. Cela fait huit ans, maintenant que je veille sur elle et qu’elle prend soin de moi. Tous ces souvenirs évoqués me rendent soudain sentimental. Je crois que je vais aller me faire un peu dorloter près de Moumoune, et enfouir mon museau dans sa douce fourrure. A bientôt Méphisto ! Pour la suite de l’histoire !

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Mais où est donc passé Moumoune ?

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Chapitre 16

Mais où est donc passé Moumoune. Après t’avoir raconté ma fugue dramatique, je me suis souvenu que Moumoune, s’en était offert une, elle aussi ! Je ne sais pas si cela t’est déjà arrivé de t’échapper de la maison, mais dans mon proche entourage, j’en connais plusieurs à avoir tenté l’aventure ! Et chaque fois, ça s’est soldé par des mésaventures ! Pour Moumoune, cela s’est passé quand nous vivions de nouveau à la campagne. Entre temps, nous avions, encore une fois, déménagé. Je vais te relater l’histoire. Eve ne supportait plus de vivre captive, dans cette tour de quatre étages, et moi de même ! Elle avait la possibilité de s’installer dans la maison familiale, située dans un petit village où sa fille résidait aussi. Après nos deux années vécues là-haut, dans les nuages, nous avons poussé un grand ouf de soulagement ! L’emménagement s’était passé sans encombre, Eve était bien rôdée ! A peine arrivés, nous avons fait la connaissance de notre cousin, Dynamite le bien nommé -appelé aussi Didy-, tant il avait une énergie débordante ! C’était un superbe chat aux longs poils cuivrés qui était arrivé un jour, sans crier gare. Il avait trouvé, chez la fille d’Eve, gîte et couvert de premier choix, ainsi qu’une liberté d’action totalement préservée. Il avait alors décidé de s’y installer à demeure.

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Il nous fit un accueil chaleureux. Moumoune, gracieuse et avenante lui fit beaucoup d’effet ! Assurément, Didy en mordait pour le bleu profond de ses prunelles ! Elle, la charmante, fut captivée et éblouie par ce séduisant félin ! Quand il venait la chercher pour faire une balade, tu aurais dû les voir, Méphisto. Lui, l’allure chaloupée, roulant les mécaniques et elle, se tortillant, comme si elle était perchée sur des talons aiguilles, ses longs poils beiges flottant au vent. Ils échangeaient parfois des regards langoureux. Ce qui faisait dire à Eve, quand elle les voyait minauder, qu’ils lui faisaient penser à ce couple mythique du cinéma4. Quand la belle, en admiration devant son grand brun, l’écoutait lui murmurer : -« T’as de beaux yeux, tu sais ! » Moumoune faisait découvertes sur découvertes. Elle qui ne connaissait rien à la vie campagnarde, s’initia aux délices de la chasse. Cela grâce à Didy, pour qui les planques à souris n’avaient plus de secrets. Tous les jours, il venait la chercher pour courir les champs. Ici, c’était un village entouré d’une belle campagne, avec des vaches dans les prés et des petits oiseaux plein les arbres ! Au début, nous partions souvent tous les trois, mais, ensuite, je fis de nouvelles connaissances, des chattes charmantes et des mauvais garçons. Parmi eux, se trouvait un drôle de fusil, plutôt sympa, dont les longs poils avaient dû être 4

Michèle Morgan et Jean Gabin, dans « Quai des brumes .»

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blancs, autrefois. C’était un chat angora, mais malgré sa noble lignée d’aristocrates, il n’était pas bêcheur pour un sou ! Très vite, nous sommes devenus de bons copains. Mais comme il n’était pas du tout pote avec Didy, nous partions chasser de notre côté. Nous restions à l’affût de longues heures et quand nous rentrions, tard dans la nuit, le pauvre trouvait, chez lui, porte close ! Les jours de mauvais temps, je l’invitais à partager ma chambrée. Il n’était pas rare que le matin, Eve nous trouve, tous les deux, bien au chaud, sur le duvet de la chambre d’ami. Un soir, je l’attendais pour partir en tournée, quand soudain, je le vois s’approcher en rasant les murs. J’avais peine à le reconnaître ! On aurait dit un lion en miniature ! Complètement rasé, il ne lui restait de poilu, que la tête et la queue ! Il n’en menait pas large et se sentait tout penaud. Devant ma mine déconfite, il m’expliqua : -J’avais trop de nœuds et ma fourrure était plus feutrée qu’un vieux pull, lavé à l’eau bouillante ! Chaque année, ma maîtresse me mène chez le toiletteur pour me faire tondre. Mais tranquillise-toi, il m’endort pour que je ne souffre pas ! Il rouspétait quand même un peu, ce pauvre chat, car il faisait encore très froid dehors et son manteau s’était fait plutôt léger ! Quant à moi, ça me révoltait, car je savais bien qu’il dormait toujours dehors. Qu’en penses-tu Méphisto ? Sa maîtresse ne méritait vraiment pas d’avoir un chat, puisqu’elle était incapable de bien s’en occuper !

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Moumoune et Didy étaient devenus inséparables. Ils avaient élargi leur territoire et on pouvait les croiser assez loin, dans les champs de blé ou de maïs. Ils revenaient tard dans la nuit et parfois même, au petit matin, leurs longs poils pleins de brindilles et tellement crevés qu’ils dormaient toute la journée. Puis, le soir venu, aux heures propices pour la chasse, dans le silence de la nuit, ils repartaient, allègrement. A l’époque, Moumoune était déjà bien organisée pour ne manquer les heures de repas, sous aucun prétexte ! Ce jour-là, Eve, ne la voyant pas s’affairer devant son écuelle, s’inquiéta un peu de son absence. Elle a commencé à l’appeler, secouant la boîte de croquettes pour la faire sortir de l’armoire où elle se plaisait à dormir, mais sans résultat. Après le repas de midi, Eve passa chez sa fille pour voir si elle l’avait aperçue. Didy dormait sur sa peau de mouton. Le paresseux était rentré plus tard que d’habitude, paraît-il, mais Moumoune n’était nulle part ! De retour à la maison, Eve me dit : -Alors, Tatache, tu n’as pas une petite idée où elle aurait pu se cacher ? Je l’ai regardée, l’air déconfit et me suis mis à tourner comme une hélice autour de ses jambes, l’encourageant à continuer les recherches. Nous avons inspecté tous les placards, ouvert toutes les portes, nous l’avons encore cherchée dans le poulailler, bien qu’elle ait une sainte horreur des poules ! Rien ! A la nuit tombée, Didy arriva, comme chaque soir, pour venir la

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chercher. Il l’attendit un moment, puis philosophe, ne la voyant pas, il partit chasser tout seul. La nuit fut longue, à attendre ! Eve s’est levée au moins dix fois, croyant l’entendre miauler. Nous sommes restés ainsi, morts d’inquiétude, plusieurs jours durant. Nous avons visité les fermes du village, fouillé les granges, nous l’avons appelée aux quatre vents, mais Moumoune restait introuvable. Cinq longs jours s’étaient écoulés pendant lesquels nous avions sillonné tous les environs, sans succès. Quand soudain, sur le coup de seize heures, on vit arriver Didy, tout agité. C’était une heure inaccoutumée pour lui, car il attendait toujours les enfants à la sortie de l’école, histoire de partager leurs friandises. Son comportement nerveux m’intriguait, il me fit signe de le suivre ! J’alertais aussitôt Eve qui, par chance, était dans les parages Le chat roux marchait devant nous à toute allure, comme s’il avait le diable à ses trousses. Il passa la dernière maison du village et se dirigea du côté du cimetière. Au pied de la colline se trouvait, un peu en retrait, une villa aux volets clos. La vérité surgit comme un trait de lumière. La clé de l’énigme était trouvée : Moumoune, fouineuse, comme ce n’est pas permis, avait dû se faire enfermer ! Didy se dirigea directement vers le garage et se mit à gratter avec insistance. Eve, tout émue, se mit à l’appeler : -Ma Moumoune, où es-tu ?

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Un petit miaou tout faible est arrivé à nos oreilles. Sauvée ! Enfin, elle était là, on l’avait retrouvée. Après cinq jours de diète, elle devait être affaiblie et mourir de soif ! Maintenant, il s’agissait de trouver un moyen d’ouvrir cette porte. Une dame, au bout du chemin, s’approcha de nous, inquiète de tout ce remue-ménage autour de la maison. Eve lui expliqua ce qui nous avait menés là. Elle lui demanda si elle connaissait quelqu’un de proche qui pourrait nous aider. La dame, soulagée, se fit rassurante : La fille des propriétaires devait passer aujourd’hui, pour s’occuper du jardin ! L’attente nous parut longue. Didy restait campé devant la porte du garage, impassible, moi, par contre, je tournais et retournais, impatient, miaulant à qui mieux-mieux. Eve, ne cessait de lui parler à travers la porte pour la rassurer. Il était dix-huit heures, quand une voiture s’arrêta. Une dame en est descendue, tout étonnée de cette animation. Eve s’approcha, un peu confuse, et lui expliqua brièvement le pourquoi de notre présence. Elle s’empressa d’ouvrir le garage. Tapie derrière la porte, Moumoune, toute tremblante, nous regardait de ses grands yeux bleus, désespérée. Eve la prit dans ses bras pour la porter jusqu’à la maison, la chatte, rassurée, reconnaissante, se faisait toute molle et ronronnait d’aise. Arrivée à la maison, elle reçut du jambon coupé menu. C’était sa friandise des jours de fête et après avoir bu, longuement, elle s’est endormie comme une masse.

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Depuis ce jour-là, elle n’a plus quitté la maison et s’est contentée du jardin, qui était suffisamment peuplé d’oiseaux et de souris, pour vivre les moments excitants de la traque. Didy venait souvent la voir, mais elle, prudente désormais, ne l’accompagna plus jamais dans ses randonnées. Que d’émotions ! Pourtant je n’étais pas au bout de mes peines ! Quelques mois après cette escapade, qui par bonheur, s’était bien terminée, c’est mon bon copain qui s’est envolé au paradis des chats ! Lors de sa séance de rasage annuelle, il ne s’était pas réveillé de la narcose ! Depuis, tout comme Moumoune, j’ai perdu le goût d’aller folâtrer, loin de la maison. Voilà, mon cher Méphisto, cet épisode n’était pas mal non plus pour alimenter la nostalgie. Mais ça fait du bien de pouvoir s’épancher dans l’oreille amicale de son meilleur ami. Moumoune, qui est restée là pendant tout le récit est bien de cet avis. Un bouquet de tendresse, un brin de nostalgie, tout cela creuse l’appétit ! J’invite Moumoune à m’accompagner, pour partager le goûter. Avec elle, il n’y a jamais de refus !

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Chapitre 17

Départ pour le Sud

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Chapitre 17

Départ pour le Sud.

A l’époque où nous habitions dans la maison familiale, Eve nourrissait un rêve secret : Retourner vivre un jour dans son pays natal, le pays des cigales! Elle désirait plus que tout, retrouver ce Sud, âpre et chantant, avec ses chemins entre thym et lavande, mangés par soleil ! C’est à l’occasion de vacances dans la région où nous sommes aujourd’hui, qu’Eve est tombée amoureuse de cet endroit ! La mer et ses longues plages de sable y côtoient la garrigue et les vignes, au pied des falaises des Corbières. Un jour, au cours d’une promenade, elle découvrit un lotissement de jolies petites résidences, à une centaine de mètre de la mer. Les façades pimpantes aux couleurs locales, une foison de lauriers et les grands pins maritimes lui ont plu d’emblée. Son cœur s’est mis à battre la chamade ! -Cet endroit est fait pour moi, dit-elle, en s’extasiant ! Puis se tournant vers son compagnon : Je suis sûre qu’une de ces maisons n'attend que ma venue ! Tu m’imagines, ici, avec mes chats ? Toute l’année, la mer, le soleil ! … Il y a si longtemps que j’attends ce moment

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Elle se renseigna aussitôt sur les maisons à vendre, fit des démarches, contacta diverses personnes. Plusieurs possibilités s’offraient à elle ! Désormais rien ne l’arrêterait ! Ce projet était devenu sa priorité. Elle allait pouvoir enfin concrétiser son rêve. De retour de vacances, elle ne parlait plus que de ça ! -Qu’en penses-tu, mon Tatache ? Je sais que tu commences à devenir frileux, et que tu n’aimes plus tellement te balader sous la pluie ! Sais-tu que là-bas, on compte près de trois cents jours de soleil ? Je me demandais pourquoi elle cherchait tant à me convaincre. Elle savait bien que de toute façon, je la suivrais partout ! Mais elle n’en finissait pas de me décrire notre futur paradis terrestre ! -Tu verras, Tatache ! Les hivers sont si doux, qu’en février, déjà, les amandiers fleurissent ! Et leurs silhouettes blanches et roses se découpent sur l’ocre du paysage et le bleu du ciel. Leur parfum est si enveloppant qu’on se croirait dans un pot de miel ! Viennent ensuite les genêts ! Leurs buissons recouvrent toute la colline d’or et leur fragrance domine la région. Eve se laissait emporter dans un grand courant de Tramontane, et racontait sans se lasser, le Midi, la mer et le soleil ! Cet été-là, nous n’avons plus vu le jardin de la même façon ! A l’endroit où le rosier rouge tapissait la façade, elle me

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faisait imaginer des bougainvilliers flamboyants, à la place des hortensias, elle dessinait des plumbagos au bleu délicat, et la bordure de buis devenait une luxuriante haie de lauriers roses. Elle s’était bien gardée de me dire que les grandes étendues d’herbe, si propices à la chasse aux rongeurs, étaient quasi inexistantes ! Tout comme l’odeur des foins, et une multitude de petites choses qui remplissent la vie des chats helvètes. Il faut dire aussi, que ces choses-là ont moins d’importance pour elle ! J’avais de la peine à la suivre, et je ne comprenais qu’une chose, nous allions de nouveau déménager et quitter ces lieux que j’affectionnais. Ici, je disposais d’un grand jardin et aux alentours, les champs étaient peuplés de milliers d’oiseaux et de rongeurs de tous poils. J’avais tout pour être heureux et bientôt, il allait falloir tout abandonner ! Cependant, je faisais confiance à Eve, elle ne quitterait pas la proie pour l’ombre ! De toute façon, elle n’avait plus que cette idée en tête ! Il valait mieux se faire une raison et se préparer à déménager ! Quelques mois plus tard, nous assistions, Moumoune et moi, à la mise en cartons des choses qui allaient nous suivre làbas. Nous avons voulu participer activement, mais Eve n’a pas vraiment apprécié nos talents d’emballeurs déballeurs ! Le jour du départ était fixé pour le treize mars. L’air glacial, recouvrait de givre les vitres des voitures. Dans le petit matin, le jardin semblait maussade dans sa tenue hivernale. Sûrement qu’il nous en voulait de notre départ ! Le gros camion

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de déménagement était prêt à partir, emportant meubles, cartons et valises. Moumoune et moi attendions dans la chambre vide, selon le protocole habituel. Avec habileté, Eve nous a glissé une pilule entre les dents, nous laissant juste boire de l’eau. -Ne vous en faites pas, les Loulous, vous n’allez vous apercevoir de rien. Dans un moment, vous aurez trop sommeil pour vous inquiéter de ce qui se passe ! Installez-vous confortablement dans la corbeille, je m’occuperai de tout ! Passivement, nous lui avons obéi. Une langueur nous a envahis doucement, et Moumoune s’est allongée près de moi, sa tête posée sur mon ventre. Ma dernière vision fut très floue, et je me suis endormi. Eve nous installa à l’arrière de la voiture. Les sièges arrière étant rabattus, elle y disposa la grande corbeille ainsi qu’une caisse de sable pour nos besoins, quand on se réveillerait. Tout était prêt pour le grand départ. La moitié du trajet s’est passé sans encombre. Je somnolais depuis un moment, remettant à plus tard l’envie d’ouvrir les yeux pour voir ce qui se passait. Soudain un miaulement sinistre, aussi lugubre qu’un appel d’outre-tombe, m’a sorti de ma léthargie. Eve a sursauté, inquiète, et s’est arrêtée sans plus attendre sur une aire de repos. C’était Moumoune, encore ahurie, qui semblait tombée d’une autre planète ! Elle me murmura, hagarde :

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-Tatache, où sommes-nous ? Je ne reconnais rien ici, je crois que j’ai fait un cauchemar ! Et puis j’ai un peu mal au cœur ! Compatissant, je me suis mis à la lécher pour la réconforter. Mais j’étais si fatigué que je fus reconnaissant à Eve de prendre la relève. Elle prit la chatte dans ses bras, et sortit faire quelques pas pour lui faire prendre un peu l’air et la rassurer. En ouvrant la porte de la voiture, Eve fit rentrer une bouffée de chaleur ! Le soleil brillait comme en été. La nature avait changé de couleur et d’odeur. Ce n’était pas encore le Midi, mais on s’en rapprochait de plus en plus ! Moumoune, ragaillardie, avala sans broncher une demi-pilule qui lui permettrait de terminer le voyage, sans inquiétude. Nous avons encore roulé longtemps, le paysage changeait au fur et à mesure. Eve fit encore une petite halte. Elle nous cajola et nous donna à boire. Elle en profita pour avaler un sandwich, à l’ombre d’une pinède. Sitôt après avoir lapé un peu d’eau fraîche, nous nous étions rendormis comme des bienheureux. L’après midi touchait à sa fin, quand nous sommes arrivés à destination. Notre première étape fut la maison de Jean, l’ami d’Eve. Il s’était installé depuis quelques mois, déjà et il nous recevrait le temps d’emménager et de tout installer dans notre propre maison. Mais ça, je l’ignorais encore ! Comme tu vois, le temps de la sagesse était enfin venu et ils avaient décidé

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de vivre tout proches, mais chacun sa vie et chacun son chez soi, désormais. L’appartement de Jean était situé dans une petite ville, ses fenêtres donnaient sur le port. Une animation plaisante y régnait. Le va et vient des bateaux dans le port, les badauds qui déambulaient, les pêcheurs qui s’interpellaient entre eux ! Le Midi était là, sonore et grisant, avec ses étals de poissons, ses terrasses ombragées qui sentaient l'anisette et cet accent chantant qui fleurait bon le soleil. Je me retrouvais soudain tout désorienté ! Encore engourdi par le voyage, je titubais comme un chat soûl, ouvrant tout grands les yeux et les oreilles sur l’animation bruyante du port. Jean descendit à notre rencontre et nous aida à monter jusqu’à son appartement. Arrivés sur le pallier, nous avons tous poussé un ouf de soulagement. Nous allions enfin nous détendre ! Le logis était vaste, il y avait plusieurs pièces et au salon, un grand canapé confortable. Quand Eve eut déposé notre caisse de sable dans les toilettes, je me suis empressé d’y faire une étape ! Moumoune qui m’avait suivi, se mit à fureter avec sa curiosité toute féminine, elle était désormais bien réveillée ! Nous avons fait ensemble le tour du propriétaire, satisfaits de se dégourdir les pattes. Puis nous avons mangé un bon repas que Jean nous avait préparé tout exprès ! Repu et content, je me suis installé sur le rebord de la fenêtre et j’ai regardé les grands oiseaux blancs voler dans le ciel. Je voyais la mer qui s’étendait à perte de vue, et des bateaux nonchalants qui se balançaient dans le port. Tout cela

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était bien beau, mais j’aurais préféré voir tout cela de plus près, humer les nouvelles odeurs ! Mais comment faire pour rejoindre la terre ferme ? Nous étions au troisième étage et la porte d’entrée était assurément bien fermée ! Eve connaissait trop bien mes envies de promenades et ne voulait pas prendre le risque de me perdre ! Je pensais, cafardeux, à l’absurdité de la vie ! Faire tant de kilomètres pour se retrouver emprisonné dans un appartement ! Ça suffisait à me rendre grognon ! Eve m’auraitelle menti ? Elle m’avait promis monts et merveilles, un jardin, la belle vie ! Et au lieu de cela, je me retrouvais enfermé entre quatre murs, tout en haut d’un immeuble ! Je me suis mis à tourner comme un ours en cage, essayant de trouver une bonne occasion de manifester ma désapprobation ! Je cherchais comment prendre ma revanche. Je me suis dit que si je me cachais, ils me chercheraient et se feraient du souci ! A chacun ses tracas, n’est-ce pas ! Je repérais des planques possibles à la salle de bain. Il y avait bien ce rideau ridicule, tendu autour de la baignoire, mais il suffisait de le tirer pour me découvrir. Soudain j’aperçus dans un coin sombre, un drôle de trou à mihauteur, qui ne semblait intéressant. D’un bond souple, je sautai à l’intérieur. Il n’y avait pas d’issue, mais je pourrais m’y dissimuler facilement. Je n’avais plus qu’à patienter… L’attente ne fut pas longue ! Eve, ne me voyant pas répondre à son appel commença à me chercher dans toutes les pièces. La panique s’entendait dans sa voix. J’avais un peu

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honte d’avoir provoqué ce désarroi, mais je restais rancunier, il fallait qu’elle comprenne que nous ne pouvions pas rester ici ! Qu’il y aurait toujours le danger que je m’échappe ! Eve était certaine que je n’avais pas pu sortir, mais ce n’était pas la première fois que ça arrivait et elle commençait à avoir des doutes. Je l’avais déjà trompée, une fois ! Peut-être était-ce les souvenirs pénibles de ma célèbre fugue qui remontaient à la surface, mais le ton a commencé à monter, entre elle et Jean. Elle lui demanda d’un ton soupçonneux : -Tu es bien sûr qu’il n’a pas pu te passer entre les jambes ? Malgré ses dénégations, Eve n’était pas rassurée. Cependant, elle décida de me laisser le temps de refaire surface, au cas où je me serais caché ! Moumoune qui se réveillait d’une longue sieste, s’est étirée en bâillant et soudain, réalisa que je n’étais pas à ses côtés. Avec son flair infaillible, elle eu tôt fait de me démasquer ! Je lui fis signe de ne rien dire, mais elle s’empressa de signaler ma présence, allant de l’un à l’autre en miaulant, et les conduisit directement à ma cachette ! Quand Eve me découvrit enfin, je refusai de sortir de mon trou, vexé d’avoir été trahi. Fatiguée par le voyage, lassée par mes caprices, elle me laissa ruminer tout seul et partit se coucher. Au matin, elle m’avait trouvé lové à son côté, comme si de rien n’était. Après nous avoir donné notre déjeuner, elle se pencha vers moi pour une brève caresse et me dit :

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-A tout à l’heure, Tatache ! J’ai encore quelques installations à faire dans notre maison, mais ne te fais pas de souci, nous pourrons y emménager bientôt ! Avais-je bien compris ? Ce n’était donc pas dans cet appartement que nous allions vivre désormais ! Et moi qui avais mis en doute sa parole ! Inutile de te dire, Méphisto, à quel point le remords me rongeait ! Penaud, je suis allé me coucher sur son oreiller, comme pour me faire pardonner ma sottise. Une semaine après notre arrivée, nous reprenions la route, mais pour un court trajet, cette fois. A notre arrivée, le soleil illuminait une jolie maison aux murs ocres, et mes yeux éblouis découvraient le jardin ! Rassuré sur notre avenir, j’acceptais de bonne grâce la captivité des premiers jours dictée par la sagesse ! Eve nous surveillait étroitement. Elle ne me faisait plus tellement confiance et je ne pouvais l’en blâmer. Elle connaissait mes talents de fugueur ! Nous avons abordé notre nouvel environnement peu à peu. Eve avait raison, mars était radieux, le soleil et les amandiers étaient au rendez-vous. En compagnie de Moumoune, j’ai peu à peu découvert les jardins environnants. Désormais, tout idée de fugue m’était sortie de l’esprit et Eve le savait bien ! Elle nous laissait désormais aller et venir à notre guise. J’avais regagné sa confiance en répondant toujours présent, à chacun de ses appels. Cette année-là, ma vie avait pris une nouvelle direction ! Oubliées, les grandes étendues d’herbe et les virées nocturnes à

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traquer les souris ! Désormais, j’allais de découvertes en découvertes, les copains au clair de lune, les parfums enivrants de la garrigue. Puis un peu plus tard, la belle Maïdo ! Mais je vois Eve qui me fait signe que nous allons terminer la séance ! Ce retour en arrière m’a tellement captivé que j’en aurais oublié le goûter ! Alors, à bientôt, mon cher Méphisto ! Je t’envoie toutes mes amitiés.

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Chapitre 18

Message d’Eve

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Message d ‘Eve. Très cher Méphisto. Il est temps qu’à mon tour, je vienne parler un peu avec toi. Tu devines qui je suis, n’est-ce pas ? Et bien oui, c’est moi, Eve. Tout comme Robert, ton maître, le fait avec toi, je prête une oreille attentive aux récits de Tatache et mes doigts les transcrivent fidèlement. Ces moments-là font partie d’un rituel auquel nous tenons beaucoup, l’un et l’autre. Tatache commence par faire son tour de jardin. Il inspecte avec minutie les alentours. Rassuré, il va faire ensuite une régalade de croquettes et il termine par une petite sieste. Alors seulement, l’esprit détendu, il vient me chercher et nous nous installons devant la boîte magique munie de la souris, qui à son grand dam, s’est avérée sans saveur et sans âme. Pauvre Tatache, sa curiosité et sa gourmandise le perdront un jour ! Car il ne faut pas oublier que sa convoitise, à l’évocation de la souris nous a menés très loin ! Mais pour l’instant, nous ne pouvons que nous en réjouir.

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Il n’a pas voulu t’avouer notre code secret pour communiquer, mais sans le trahir, je peux te dire que ça se passe tout naturellement. Tatache s’installe sur la petite table adjacente, près de mon ordinateur. Il prend d’emblée son air de professeur et dirige vers moi ses prunelles ambrées. Je connais tout de ses yeux. Sa façon de les bouger, de les fermer à demi ou de les cligner à plusieurs reprises. Chaque expression a une signification et ce sont ces messages que je retranscris fidèlement. Il passe une telle complicité entre nous que certaine personne de mon entourage en a pris ombrage. Les chats m’ont accompagnée durant toute mon existence, avec les bonheurs et les contraintes, les chagrins aussi. Il y a eu des nuits blanches, des voyages repoussés, et malgré tout, beaucoup de joie mêlée à ma vie, grâce à leur présence. Un de mes proches amis m’a dit un jour : -J’aimerais bien être ton chat, tant il a de l’importance à tes yeux ! C’est vrai qu’ils m’ont apporté le réconfort total et inconditionnel que j’attendais et que nul humain n’a su m’apporter, hélas ! Cet amour attentif et profond que je voue à Tatache, aujourd’hui est l’aboutissement d’une vie, aujourd’hui plus calme. Les enfants sont grands, je n’ai plus besoin de travailler à l’extérieur. Je peux ainsi jouir de mon temps comme ça me chante.

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Il y a quelques années de cela, j’ai dû me résoudre à vivre sans chat. Ceci arrangeait mon compagnon qui voulait qu’on fasse des voyages. Il était surtout jaloux de l’intérêt que je leur portais ! Un an plus tard, le manque était si flagrant que ma santé s’en est ressentie. Je me suis mise à déprimer. Mon ami a compris qu’il devrait accepter le partage ! Et la vie a repris de plus belle. Entourée de nouveau de mes chats, j’ai retrouvé mon équilibre et ma joie de vivre ! Maintenant, je partage mon temps entre le soleil du midi et mes animaux. Grâce à ton inspiration, Méphisto, j’ai découvert le privilège de m’associer à Tatache, pour que cette histoire existe. Voilà ! Ces confidences sont très personnelles. Mon chat ne sait pas que je te les ai faites et je ne sais pas si je vais le lui dire… Après tout, nous pouvons avoir nos petits secrets ! Ah, je le vois qui arrive, en se léchant les babines ! Il est temps que je te quitte. Dis à ton maître Robert que j’aime beaucoup ce qu’il écrit, son style et son humour me touchent, ainsi que sa grande connaissance des chats. A bientôt, cher Méphisto. Tendresses. Eve.

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Chapitre 19

Les petits mensonges

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Chapitre 19

Les petits mensonges.

Je crois bien qu 'Eve a des secrets pour moi. Je la soupçonne de t’avoir écrit sans me le dire. Ai-je tort ? Méphisto. Elle a lâché une petite phrase qui m’a intrigué. Nous avions prévu de nous mettre à la rédaction d’un nouveau chapitre, quand Eve a laissé échapper cette phrase sibylline : -Je l’écrivais justement à Méphisto, tout à l’heure… Alors, elle s’est interrompue, un peu gênée. Je l’ai regardée avec des yeux ronds et lui ai demandé, soupçonneux : -Attends ! Mais, aujourd’hui, nous n’avons pas encore écrit ? A moins que je ne perde la mémoire ! Certes, je vieillis un peu chaque jour, comme toi, d’ailleurs ! Mais de là à ne plus me rappeler ce que j’ai fait tout à l’heure ! … -Mais non, gros bêta ! Que vas-tu imaginer ? Par discrétion, je n’ai pas insisté. De toute façon, elle ne t’a certainement dit que du bien de moi ! J’ai pris un air entendu, et lui ai dit -Bon, je veux bien te croire, pour cette fois !

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C’est ainsi, que par une belle journée de mai, nous sommes là, en train de t’écrire. J’ai surpris une conversation téléphonique entre Eve et la maîtresse de Maïdo. Elle disait que tout serait prêt, comme convenu et qu’elle les attendait avec impatience. J’étais tout réjoui à la pensée de revoir bientôt ma petite princesse persane ! J’ai tout de suite fait mes recommandations à Moumoune : -Tu sauras te tenir, n’est-ce pas ! Lui ai-je dit, aimablement. Je veux pouvoir lui faire mes amitiés sans que tu fasses d’esclandres. -Pas de problème ! M’a-t-elle répondu d’un air narquois. Mais après les embrassades des retrouvailles, tâche de te tenir à carreau ! J’ai obtempéré, magnanime, sachant que je ferais comme à l’accoutumée mes visites dans la plus totale discrétion. Ces adorables chattes méritaient bien un petit effort de ma part ! Au petit matin, alors que tout le monde gisait encore au fond des plumes, je me glissai sans bruit entre les volets croisés. Je sautai allègrement sur le mur que le soleil levant caressait de ses rayons. En l’attendant, je procédai à une minutieuse toilette. J’étais là, le nez au vent. Des senteurs de genêt embaumaient son jardin. Soudain, le parfum capiteux de ma belle persane, arriva jusqu’à moi, bien avant que je ne l’aperçoive.

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Quelle joie de se retrouver ! Maïdo frotta son joli petit nez humide contre mes vibrisses et je me sentis transporté de bonheur ! Je me sentis comme un jeune matou, plein d’énergie et de feu pour ses beaux yeux orange ! Après les effusions des retrouvailles, nous avons échangé des propos sur notre vie, elle à Paris et moi, au soleil du midi. Je lui ai raconté mes exploits d’écrivain en herbe et mes chasses aux mirages. Elle était en admiration devant moi et je ne voyais qu’elle. Le soleil commençait à chauffer maintenant. Il était temps d’aller, chacun de son côté, retrouver les nôtres pour partager le rituel du déjeuner.. -------------------------------------A plus tard, mon cher Tatache, me dit Maïdo . Et n’oublie pas de faire mes amitiés à ta soeur Moumoune ! Je m’en suis bien gardé, tu penses ! A quoi bon attiser les jalousies ? D’ailleurs, dans la journée, les demoiselles se retrouvèrent et se congratulèrent chaleureusement, oubliant ma présence discrète. Ah, Méphisto ! Tu peux me comprendre ! Toi aussi, tu as dû connaître les ivresses de l’amour. Quand j’ai pris le chemin du retour, ma queue me servait de balancier, pour que je ne perde pas l’équilibre, sur le mur qui sépare nos deux maisons. A bientôt, cher ami. Je te promets de ne rien te cacher sur ma vie sentimentale ! Car à mon avis, l’ été sera chaud !

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Chapitre 20

Les dangers de la pluie

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Chapitre 20

Les dangers de la pluie. Ah ! Il faut que je te raconte ma dernière aventure ! Comme tu le sais, ma maîtresse n’aime pas que je m’approche trop près des oiseaux. Pourtant, tu me connais ! Mon grand bonheur serait de m’en mettre un sous la dent ! Si toi, tu me comprends, Eve, elle, ne transige pas ! Pour bien des choses, ici, c’est moi le patron. Mais si je veux m’assurer ma gamelle journalière ainsi que les petits superflus, j’ai quand même intérêt à ne pas la contrarier. C’est pourquoi parfois, je dois faire des concessions. Cependant, hier, justement, j’ai outrepassé les règles ! Mais aussi… Avait-elle besoin de m’oublier dehors ! La journée avait mal commencé. Au lieu du soleil annoncé, c’est la pluie qui vint au rendez-vous. Du coup, ma petite balade avec Maïdo risquait d’être fort compromise. En effet, j’ai attendu la belle en vain. Maïdo déteste la pluie ! En ce qui me concerne, je l’affronte en rasant les murs, nez au vent, avec un soupçon de nostalgie, car cela me rappelle mon enfance campagnarde ! Mon poil lustré ne craint pas de se faire un peu

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mouiller ! Tandis que ma citadine amie, se secoue à la moindre goutte et elle part vite se mettre à l’abri. Déçu, je suis rentré bredouille à la maison. Je me suis installé dans mon armoire préférée et j’ai piqué un long somme. Au réveil, ma mauvaise humeur avait presque disparu. Je décidais donc de sortir faire un tour. Le temps restait maussade, mais il ne pleuvait plus. J’ai gambadé de-ci, de-là, musardant, pas pressé. Pendant ce temps, Eve s’apprêtait à emmener Fanny chez la toiletteuse. Tu connais les filles, Méphisto ! Elles feraient n’importe quoi pour plaire. En partant, Eve ferma la porte à double tour, l’esprit tranquille. Elle me croyait encore en train de me prélasser dans l’armoire. Elle était loin de se douter que son Tatache était encore dehors ! Sur le moment, j’étais un peu vexé. Puis soudain la pluie s’est mise à tomber en trombe. Du coup, je me suis senti carrément en colère. J’ai couru me mettre à l’abri en rouspétant. Cinq minutes s’étaient à peine écoulées qu’il faisait de nouveau grand soleil ! Ouf ! Je m’apprêtais à sortir de mon abri, quand soudain, un bruit léger stoppa mon élan. Juste au-dessus de ma tête, un petit oiseau gracile sautait de branche en branche. Son dernier bond l’amena sur la table du jardin où quelques miettes du déjeuner avaient été oubliées. -Te voilà bien hardi ! Ai-je pensé en mon for intérieur. Tu ne perds rien pour attendre! Je suis resté sans bouger, les vibrisses en avant, l’observant dans le plus grand silence.

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Il ne se doutait pas de ma présence. Il picorait allègrement çà et là et, d’un petit coup d’aile, s’envola et se posa sans vergogne sur le bord de mon écuelle d’eau. Puis il sauta dedans, s’ébrouant bruyamment. -Ah, s’en est trop, petit impudent ! Tu vas payer le prix de ma mauvaise humeur ! Tout à sa toilette, il ne m’a pas entendu arriver ! Je m’étais rapproché, silencieux, mon ventre rasant le sol et… Paf ! D’un coup de patte assassine, mes griffes se sont abattues sur sa frêle petite tête. Devant moi, l’oiseau gisait sans vie. Le remords m’effleura un très court instant, en pensant à la colère d’Eve. Puis mon instinct reprit le dessus et je l’ai lancé en l’air, plusieurs fois. Ses effluves chauds me montaient à la tête et sans plus aucune retenue, j’ai déchiqueté l’oiseau à belles dents ! J’étais redevenu le sauvageon de ma jeunesse, si vorace et si fou que je n’ai pas entendu la voiture arriver ! Eve se trouva soudain en face de moi ! Devant les reliefs de mon festin, ses yeux lancèrent des éclairs. Avant qu’elle eût le temps de dire un mot, je l’ai regardée, les oreilles basses et la mine contrite. Je lui ai dit, penaud : -Ce n’est pas de ma faute, mais tu m’avais oublié dehors ! -Ah, c’est ainsi ! Maintenant, c’est moi la responsable de tes méfaits? Puis elle me lança un regard horrifié :

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- Mais tu t’es vu ? Ton museau de sanguinaire est encore tout barbouillé du sang de ta victime ! Elle a continué ainsi, très en colère. Voyant que je n’obtiendrai pas son pardon sur de simples paroles, je marchais derrière elle, la queue basse, en bougonnant un peu. C’est alors qu’elle m’a dit : -Et voilà! En plus, tu me réponds ! Alors là, mon ami, tu peux aller te coucher, sans passer par le resto ! Surtout, j’espère que les plumes de l’oiseau te resteront sur l’estomac ! Pourtant, Méphisto, je n’ai jamais si bien dormi ! J’étais content de moi, je n’avais pas perdu le coup de patte et je savais bien qu’Eve n’était pas rancunière. Après la pluie, le beau temps ! Je resterai quand même son minet préféré !

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Chapitre 21

Tentatives infructueuses

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Chapitre 21

Tentatives infructueuses. Ma dernière aventure avait laissé des traces dans mon esprit ! Pas de celles dont Eve avait l’espoir, non. Bien au contraire. J’avais repris goût à la délicate chair des petits oiseaux et je mijotais déjà un plan pour déjouer la surveillance assidue de ma maîtresse L’occasion allait bientôt se présenter où je pourrais donner libre cours à mes tendances sanguinaires. Mais ne te méprends pas, Méphisto, toutes ces cachotteries ne sont là que pour ménager la sensibilité d’Eve. Je m’absous d’avance de toute faute, car pour nous, les chats, quoi de plus naturel que de se nourrir du produit de notre chasse ! Ce n’est pas de ma faute, si Eve fait dans la sensiblerie ! D’autant plus qu’elle ne se prive pas du poulet fermier du samedi, et ceci sans aucun remord ! Ma chère maîtresse devait s’absenter quelques jours, histoire d’aller voir sa famille et nous laissa aux soins de Jean, son compagnon. Avant de partir, elle nous fit ses dernières recommandations :

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-Demain, je pars pour quelques jours ! Tâchez d’être sages et de ne pas faire de bêtises, comme chaque fois que je m’en vais ! Nous apprécions beaucoup ces jours-là, car nous en profitions pour faire nos meilleures bêtises ! De plus, Jean est une super nounou. Comme il est très gourmand et qu’il s’ennuie un peu tout seul, il nous invite à sa table. Il faut voir comme il nous gâte ! Poissons tout frais pêchés, coquelet grillé, bœuf mitonné, et j’en passe, le tout finement découpé pour nos museaux délicats. Nous ne lui ménageons pas nos câlins de reconnaissance. Pourtant, nous agissons parfois de manière un peu désinvolte avec lui ! Il n’ose pas nous gronder, alors nous en profitons. Je n’obéis pas toujours à ses appels et j’adore le faire courir en tout sens quand il veut me faire rentrer ! Ça le fait bougonner et moi, ça m’amuse beaucoup. Moumoune est moins cruelle avec lui, elle se montre plus conciliante. Fanny, elle, reste sage et obéissante. C’est une chienne de tout repos ! J’avais donc décidé de mettre à profit cette absence pour mettre au point un guet-apens. Tous les matins, les oiseaux viennent picorer les miettes du petit déjeuner. Ils prennent un malin plaisir à me narguer, derrière la fenêtre de la véranda où je me trouve momentanément reclus, précisément à cette heurelà. J’ai donc ressorti tout mon savoir-faire. Je me suis arrangé pour disparaître au jardin, histoire de me faire oublier.

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Je suis resté tapi, immobile, prêt à bondir. Soudain, l’occasion se présenta. A la guerre, comme à la guerre ! Avec la souplesse d’un jeune chat, j’ai bondi sur ma proie ! Je n’avais pas perdu la patte, crois-moi ! En une seconde, le bel oiseau était entre mes griffes ! C’était un rouge-gorge, c’est le hasard qui en avait décidé ainsi. Mais avant d’avoir eu le temps de l’assommer, la porte de la véranda s’est soudain ouverte. Alors, profitant de l’aubaine, je m’y suis engouffré. Voilà une belle occasion de montrer à Moumoune ce dont j’étais capable. Mais c’était sans compter avec la vigilance de l’ami Jean ! Quand il a vu l’oiseau dans ma gueule, il a commencé à me courir après en criant. J’ai slalomé ainsi entre les meubles, l’oiseau toujours entre les dents. J’ai bien tenté de m’échapper au dehors, mais Jean réussit à me saisir avant que je n’arrive à sortir. Alors j’ai desserré la mâchoire et l’oiseau s’est envolé, un peu sonné, mais intact. Le plus décevant, Méphisto, c’était le regard narquois que m’a lancé Moumoune, témoin muet de ma mésaventure. Oh, cruel constat ! Je voulais l’éblouir et je n’avais réussi qu’à me rendre ridicule ! Je pouvais bien rouler des mécaniques, maintenant ! Elle avait assisté à ma déconfiture. Je ne sais pas si je pourrai jamais m’en remettre ! … Le pire restait à venir, pourtant. Jean ne manquerait pas de faire son rapport. J’imaginais déjà les réprimandes de ma maîtresse adorée, au lieu des effusions du retour ! Là, j’avais vraiment des remords !

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Quand elle est rentrée, deux jours plus tard, je me suis empressé de lui faire la grande scène des retrouvailles. Avec câlins, ronrons et amitiés de toutes sortes, j’ai forcé ses sentiments et elle n’a pas eu le cœur de me gronder. Malgré tout, elle me dit, avec un petit air de reproche : -Alors, mon Tatache, on m’a raconté une drôle d’histoire ! Tu n’as pas pu t’empêcher de faire des bêtises, hein ? Tu as de la chance, tu sais ! Car aujourd’hui, je n’ai pas le cœur de me fâcher. Je suis trop contente de te retrouver ! Mon stratagème avait réussi, j’avais su gagner l’impunité !Aujourd’hui, le soleil brille. Je vais aller recharger mes accus à ses rayons ! A bientôt, Méphisto, promis, je vais me tenir à carreau pendant quelque temps ! PS : Pourtant les moustaches me démangent ! A deux pas de moi, une volée de moineaux se chamaille à qui mieuxmieux…Restons zen… Eve aussi les a vus et elle m’a à l’œil !

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Chapitre 22

Performances informatiques

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Chapitre 22

Performances informatiques. Il y a dix jours, ma maîtresse nous a de nouveau abandonnés aux bons soins de notre nounou préférée ! Cette fois, ce n’était pas pour prendre du bon temps loin de nous, non ! Elle a dû subir une intervention à la main. Aujourd’hui, elle est enfin de retour et si tu voyais, Méphisto, je ne la reconnais plus ! Elle a le bras en écharpe et la main dans le plâtre. Heureusement, elle peut toujours me caresser avec l’autre, mais pour le reste ? Je sens que l’ami Jean va être encore de corvée pour quelque temps. Je me suis aussi posé la question : Qui allait pouvoir me servir de greffière, ces prochains jours ? Comment allait-elle se servir de son ordinateur, désormais ? Là, mon petit Tatache, ai-je pensé, à toi de jouer ! J’ai décidé d’aborder le problème à sa racine : Aller voir de plus près l’instrument qu’elle utilise, ensuite tirer des plans pour m’en servir à sa place ! Cela ne doit pas être très compliqué. D’un bond souple, j’ai sauté sur la chaise du bureau. Je me suis trouvé nez à nez avec le clavier et, à moins de l’utiliser

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avec mes moustaches, j’avais intérêt à me hisser plus haut ! Par chance, l’ordinateur était ouvert sur une lettre déjà commencée. J’ai posé ma patte experte sur le clavier et, oh miracle ! Des hiéroglyphes farfelus, se sont mis à défiler à toute vitesse. En bougeant ma patte de place, les formes changeaient. En peu de temps, tout l’écran s’est recouvert de la plus belle écriture ! Je n’étais pas peu fier ! Après tout, pour un premier essai, c’était réussi et cela méritait bien quelques encouragements. Je décidais d’attendre le retour d’Eve et comme ma performance m’avait un peu fatigué, je me suis endormi. Une patte posée sur la souris et la joue appuyée sur le clavier, désormais immobile. Les babines légèrement retroussées dans un sourire, je rêvais de gloire et j’étais un héros ! J’étais bien, le soleil me chauffait les pattes. Je somnolais depuis longtemps, quand un clic, suivit d’un petit bruit de moteur me réveilla en sursaut ! Eve venait de me prendre en photo et me dit d’un air enjoué : -Je viens d’immortaliser la paresse en plein travail ! Je me suis assis sur mon séant, j’ai bâillé longuement, je l’ai regardé les yeux mi-clos et d’une patte nonchalante, je lui ai montré l’écran généreusement décoré. Sa réaction fut immédiate ! Mais au lieu des félicitations attendues, ce sont des reproches qui ont déferlé sur moi. C’était comme une pluie printanière, soudaine et imprévisible ! -Oh ! Mais, ce n’est pas vrai ! Tatache, qu’as-tu fait là ? Je veux bien que tu participes oralement à tes mémoires, mais

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pour ce qui est de l’écriture, tu n’es pas autorisé à venir mettre le fouillis dans mes dossiers ! Regarde un peu ce que tu as fait ! Tout est décalé, maintenant… Eve s’affairait fiévreusement, faisant défiler à l’envers, les lignes sur l’écran. -Te rends-tu compte, Tatache, de l’ampleur de ta sottise ? Me dit-elle Ce sont des heures de travail qui risquent d’avoir disparu ! Tu imagines, Méphisto ! Ce flot violent de reproches m’a laissé coi ! Elle a continué, ainsi, sans reprendre son souffle, égrenant toutes les catastrophes auxquelles je l’avais exposée. Elle s’arrêta, à bout d’arguments. Mais en fait, c’était surtout faute de combattant ! Mortifié, incompris, j’avais tourné les talons depuis belle lurette, Moumoune tout interloquée par l’algarade m’avait suivi dans le jardin où j’étais parti, panser mes blessures. L’orage passé, Eve, le cœur bourrelé de remords vint m’apporter mon écuelle près du bougainvillée où je m’étais réfugié. Elle y avait découpé des petits morceaux de dinde, tièdes et parfumés et me les a tendus de sa main valide. -Tiens, Mon Tatache ! J’ai eu si peur d’avoir perdu mon histoire ! Ça m’a rendue injuste et dure envers toi. Peux-tu me pardonner ? J’ai levé mon regard vers elle, en y mettant toute la tristesse du monde… On n’est pas comédien pour rien ! Et je me suis laissé caresser, tout remué malgré tout. Maintenant, tout

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est rentré dans l’ordre. Jean nous fait la cuisine et j’adore cela. Eve s’en sort bien en ne tapant que de la main gauche. La vie a repris son cours. Les beaux jours sont de retour, cher Méphisto ! Vas-tu, avec ton cher Bob, parcourir les routes de France ou visiter d’autres cieux ? Nous, nous restons là ! Car ce sont les vacances toute l’année, dans le midi.

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Chapitre 23

Chats des villes

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Chapitre 23

Chats des villes… . Comme chaque année, les beaux jours nous ont ramené le cortège des vacanciers ! Commence alors un grand branle-bas de combat ! Chacun y met du sien pour envahir la ville. Ils se répandent sur les plages pendant la journée, remplissent les restaurants le soir et font la fête toute la nuit. Moumoune et moi passons nos journées à dormir à l’ombre, en retrait du bruit et des allées et venues. Mais le soir venu, je m’éclipse en douce, pour retrouver une bande de chats des quartiers environnants. Certains sont là aussi en vacances. Nous échangeons, tout excités, des confidences au clair de lune. Certains ont bien roulé leur bosse et parmi eux, des citadins aux exploits inénarrables ! Un vieux matou me racontait comment il s’y prenait certains soirs, pour aller voir sa bien-aimée. Méphisto, toi qui connais Paris, tu n’aurais pas été étonné par certains récits ! Mais moi, qui dans ma jeunesse, n’escaladais que les grands arbres des forêts, j’étais tout ébloui d’apprendre qu’on pouvait se déplacer dans Paris en courant sur les toits ! Un vieux routard qui venait de prendre la parole, nous assura :

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-C’était beaucoup plus dangereux de marcher sur les trottoirs que de courir sur les toits ! Il nous a raconté qu’un soir, alors qu’il longeait le bascôté, une voiture est arrivée à toute allure et a fini sa course dans un réverbère après avoir percuté une poubelle. -Seules ma vigilance et une ouïe bien aiguisée m’ont sauvé la vie, ce soir là ! Je me suis enlevé d’un bond fantastique qui m’a catapulté par dessus la voiture folle. Ensuite, je n’ai eu que le temps de sortir le train d’atterrissage et de m’arrêter pile de l’autre côté de la rue ! Cette nuit-là, il s’en est fallu d’un poil pour que je ne passe sous les roues du tacot ! C’est ça, la ville ! Ah ! J’en ai perdu des copains qui traversaient sans regarder ! Puis il a ajouté, en hochant la tête, l’air entendu : -Mais des chats tombés des toits, je n’en ai jamais entendu parler ! Son récit m’a fait froid dans le dos, car j’imaginais déjà Maïdo, ma belle parisienne, cheminant sur les toits, en équilibre au bord du vide ou longeant les trottoirs empuantis de la grande ville… -Quand tu viens en vacances par ici, ce doit être une vraie cure de repos ! l’interrompit Moumoune qui m’avait accompagné ce soir là. Cela ne te donne pas envie de rester par ici, avec nous ? -Oui et non, lui répondit-il. Tu sais, à Paris, j’y ai mes habitudes. Mes copains, mes rendez-vous au clair de lune avec

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ma dulcinée ! Se balader sur les toits procure aussi un sentiment de liberté inégalable ! Tu vas rire, Méphisto, mais quand il a parlé de sa chère et tendre de Paris, j’ai tout de suite pensé à Maïdo, ma belle Persane ! Et aux mille et une nuits de pleine lune que l’on pourrait se faire sur les toits! Mon cœur s’est mis à battre. Je lui demandais, naïvement : -Tu connais Maïdo ? Une belle chatte persane grisargenté ! -Maïdo ? Non. Pas du tout ! Ma copine, elle, s’appelle Pomponette ! C’est une pur-sang « gouttière », et la nature l’a gratifiée de belles taches de couleurs, marron, jaune et noir et son ventre est d’un blanc immaculé ! L’année dernière, elle m’a fait une belle portée de chatons. Il y en avait deux gris-bleu avec des yeux orange, comme moi et une petite tricolore, comme elle ! -Tu en as de la chance ! Lui ais-je rétorqué, admiratif, en pensant à mon propre père, si fier de nous. Puis j’ajoutais, avec un peu de mélancolie : -Moumoune et moi n’aurons jamais ce bonheur, car notre maîtresse nous a fait opérer quand nous étions tout petits. Pendant ce discours, Moumoune se laissait conter fleurette par un splendide mâle gris, qui prit à son tour la parole. -Eh bien moi! Dit le Chartreux, de sa belle voix grave, il y a quelques années, pendant les vacances, j’avais fais la conquête

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d’une belle du midi, et j’ai eu envie de rester avec elle. Alors j’ai fait une fugue ! Moumoune, très impressionnée par l’attitude majestueuse du conteur, s’était rapprochée, pour ne pas en perdre une miette. -Je n’avais pas envie de remonter à Paris ! Ce qui m’ennuyait le plus, ce sont ces centaines de kilomètres à tourner en rond dans mon panier ! Et puis, j’avais pris goût à cette vie de bohème ! Ici, je peux sortir et rentrer comme je veux, tandis qu’en ville, pour aller me dégourdir les pattes, je dois attendre le retour de ma maîtresse qui ne rentre que le soir. -Eh alors ? Demanda-t-elle, en se trémoussant d’impatience. -J’ai pensé que ma maîtresse, ne me trouvant pas à l’heure du départ, prendrait la route sans moi. Je suis donc parti en catimini et me suis caché, loin de la maison. A moi l’amour, la liberté, les chasses nourricières! Je pourrais mener la belle vie toute l’année ! Je pourrais toujours retrouver ma maîtresse aux prochaines vacances ! -Et alors ? Avons-nous réitéré en chœur ! -Tout s’est passé comme je l’espérais ! Après de vaines recherches, elle s'est résolue à me laisser là. Elle demanda aux proches voisins de prendre soin de moi, s’ils m’apercevaient. Elle leur laissa son numéro de téléphone, en leur promettant de venir me chercher aussitôt !

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Captivé par son histoire, moi qui avais vécu un souvenir analogue, je lui posais la question : -A partir de quel moment, as-tu commencé à regretter ta fugue ? -Oh ! Cela n’a pas tardé ! Je vis une lueur passer dans son regard, à l’évocation de ces souvenirs. Ses yeux orange se mirent à briller d’émotion. -Je vois que tu as déjà vécu semblable histoire, Tatache, pour me demander cela ! Il est vrai que les premiers jours, la liberté était enivrante. Je me suis nourri d’un oiseau ou deux, mais très vite, ma pâtée et mes croquettes me manquèrent. J’ai eu la nostalgie des jours anciens et des câlins de ma maîtresse. Désemparé, j’ai erré de-ci de là, mendiant de la nourriture. Puis, je me suis rapproché de notre maison. Soulagée, la voisine a téléphoné à ma maîtresse et s’est occupée de moi, en attendant son retour. Je pouvais manger et dormir chez elle, mais le cœur n’y était plus. J’ai pensé : Plus jamais de fugue ! Quand le dimanche suivant, elle vint me rechercher, elle m’a serré dans ses bras avec une telle fougue que j’ai compris, que pour elle, cela avait été vraiment très dur ! Je me suis blotti contre elle, en lui demandant pardon ! Puis il a ajouté, avec une sincérité touchante : -A cette époque, j’étais encore jeune, inexpérimenté… et surtout très bête ! Nous étions tous très émus, à l’écoute de ses confidences ! Son histoire avait ravivé en moi des souvenirs cuisants

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-Je suis d’accord avec toi, lui ais-je dit, sincère. J’ai connu aussi l’ivresse de la fugue, puis la peur et la solitude ! Quant aux retrouvailles, je ne te dis pas ! … Je n’ai rien connu de plus fort… Et moi aussi, j’ai fais une promesse : Jamais plus ! La nuit étant déjà très avancée, nous avons encore échangé quelques blagues de chats, puis nous nous sommes séparés en nous promettant de nous revoir bientôt Voilà, cher Toto, quelques extraits de notre vie ici, en été. La semaine a très vite passé et demain, nous attendons l’arrivée de nos ‘’p’tits Suisses’’ ! Ne t’inquiète pas si les nouvelles sont rares ! Eve aura beaucoup de bouches à nourrir et par conséquent, pas beaucoup de temps à consacrer à l’écriture !

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Chapitre 24

Nuit de poisse !

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Chapitre 24

Nuit de poisse ! La mésaventure que je vais te raconter m’est arrivée à la fin des vacances. Toute la maisonnée retentissait de cris et de rires. L’été battait son plein. Cet après-midi-là, comme à l’accoutumée, j’ai fait une sieste prolongée et dès le soir venu je suis parti faire une virée. Ce soir-là, je choisis de me balader dans une nouvelle direction. J’ai sauté par-dessus le mur, traversé une petite route et me suis enfoncé dans la verdure luxuriante d’un jardin voisin. Tout était calme. Une brise légère m’apportait des parfums de jasmin. Près d’un massif de lavande, un bruit léger parvint soudain à mes oreilles. Je me suis glissé en dessous pour faire le guet un instant. Rien ne me pressait. L’endroit, incitant à la paresse, je me suis assoupi. La nuit était tombée depuis peu. Je décidais de continuer ma randonnée un peu plus loin. Après avoir traversé plusieurs propriétés, je me suis trouvé, sans m’en rendre compte, près de la mer. Le bruit du ressac était couvert par le brouhaha d’un manège d’où s’élevaient les cris perçants des gamins. Il était urgent de quitter ces lieux bruyants et peu accueillants pour un chat en maraude ! J’allais faire demi-tour,

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quand soudain, un imprévu se dressa devant moi. Cet imprévu avait pris l’apparence d’un chien énorme ! Il ne m’avait pas encore vu, mais je le voyais flairer mes traces et se rapprocher dangereusement! Avant qu’il ne réagisse, je pris de l’élan et d’un bond prodigieux, sautais sur le mur ! Grâce au ciel, j’avais encore beaucoup de puissance dans les pattes, car ce mur était assez haut. Perché sur mon abri précaire, j’entendais le molosse renifler de colère, longeant le mur, impuissant. Fort de la situation, à petits coups de langue, je remis de d’ordre, dans mon poil ébouriffé. Redressant la tête, je sautais de l’autre côté et repartis hardiment vers ma demeure. Je n’étais plus très loin, maintenant. Au-dessus de moi, les chauves-souris faisaient du rase-mottes, tout en m’évitant de justesse. Indifférent, je n’avais plus qu’une idée en tête, arriver à destination, me glisser en catimini dans la maison et gagner ma couche pour un repos bien mérité. Hélas, ce soir-là, la malchance me poursuivait! J’ai senti le danger avant de le voir. Un lourd parfum d’hostilité planait sur la nuit ! Un grand matou pelé, le regard malveillant, me guettait sournoisement. Avant que j’aie pu détaler, le hargneux me sauta dessus, m’écrasant de tout son poids. Nous avons roulé l’un sur l’autre, toutes griffes dehors, mais j’ai réussi à lui échapper de justesse, avant qu’il ne me plante ses crocs dans le cou. Je me précipitai à l’assaut du pin qui m’offrait son tronc salvateur et me réfugiai dans ses branches, encore haletant. De

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mon promontoire, je pouvais voir sa silhouette vigilante, totalement immobile. Il resta longtemps assis au pied de l’arbre, m’interdisant ainsi toute retraite ! Du temps a passé, sans que je n’ose redescendre. Au loin, j’entendis Eve m’appeler avec insistance. J’imaginais sans peine son angoisse qui n’avait d’égale que la mienne Et là en bas, ce foutu matou qui ne relâchait pas sa garde, comme si sa vie en dépendait ! Tout d’un coup, je vis le gredin s’enfuir, comme s’il avait le diable à ses trousses ! Puis un bruit de pas, et la voix d’Eve qui m’appelait doucement. Je sautai à ses pieds, délivré, reconnaissant, fou de bonheur. Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre ce qui s’était passé. Une fois encore, elle m’avait sorti d’un mauvais pas. A quelques jours de là, alors qu’Eve effectuait mon brossage quotidien, une petite touffe collante s’accrocha à sa brosse. Croyant qu’il s’agissait d’un peu de résine, elle décolla délicatement le petit amas de poils de ma peau. Quelle ne fut sa surprise quand elle mit à jour un trou tout purulent ! -Eh bien ! Tatache, la bagarre a laissé des traces, je vois ! Ne t’en fais pas. Je vais te soigner ! Il m’est arrivé très souvent de soigner Tatache Premier, pour ce genre de blessure. C’était un fervent chasseur de rats et ces bestioles ne font pas dans la dentelle, tu sais ! Pourtant, il adorait ces bagarres féroces! Le vétérinaire de l’époque m’avait donné un bon produit pour réduire l’infection et c’est toujours le même que j’utilise !

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En inspectant plus à fond l’état de mon pelage, elle découvrit d’autres abcès qu’elle s’empressa de soigner. -Tu sais, a-t-elle ajouté, plus à elle-même qu’à moi, ce Tatache, dont je t’ai donné le nom, a vécu plus de dix-huit ans avec moi ! C’était un âge plus que respectable, à cette époque, car on ne vaccinait pas couramment les chats, à la campagne. Les petits du mois d’août comme lui, étaient sensés être plus fragiles encore ! Quand je l’ai recueilli, petit chat abandonné, il était tout chétif et je ne donnais pas cher de sa peau… Tu vois, mon cher Méphisto, cette fois encore, Eve a donné la preuve qu’elle serait toujours mon ange gardien.

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Chapitre 25

Déclaration d’amour

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Chapitre 25

Déclaration d’amour. Voilà le temps béni où on se repose enfin des vacances ! Comme chaque année, ils sont tous venus, les jeunes et les moins jeunes, leurs valises remplies de rires et de cris, de fêtes et de soleil. Les années passant, je me montre un peu plus sociable avec les gens ! Au lieu de raser les murs et de plier le dos pour esquiver les caresses, cette année, j’ai accepté leur hommage. Tout en restant très vigilant, me suis laissé caresser la tête. C’était supportable, dans la mesure où cela n’allait pas plus loin. Il m’est même arrivé de trouver cela plaisant, parfois. Moumoune n’avait pas tort, en disant que ça pouvait être agréable, et même avoir quelques avantages. Côté cœur, tout va très bien aussi. J’ai eu, comme chaque été, le privilège de côtoyer ma douce princesse aux yeux d’agate. Elle m’a confié qu’elle pensait souvent à moi, pendant les longs jours qui nous séparent, entre deux périodes de vacances. Comme tout bonheur a une fin, Maïdo est repartie vers Paris, mais avant de me quitter, elle m’a glissé un regard

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langoureux et m’a chuchoté dans le creux de l’oreille : -C’est promis, je rêverai de toi en comptant les jours qui nous séparent des prochaines retrouvailles! Quand je suis au dixhuitième étage de ma tour, derrière les grandes baies vitrées qui font face à la Tour Effel, je songe aux moments merveilleux que nous partageons en vacances. Le souvenir de notre coin secret, au fond du jardin, dans le parfum capiteux des genêts, me plonge dans la félicité ! Les yeux mi- clos, je peux percevoir ta présence tout proche, rien qu’en y pensant. Alors, Méphisto ? Que penses-tu de tout ça ? N’est-ce pas une belle déclaration d’amour ! Alors, comme preuve d'attachement, je lui ai promis d’aller chaque jour sous le genêt pour rêver d’elle. Ne crois pas que je fasse pour autant des infidélités à Moumoune ! Comme tu le sais, je la considère comme ma sœur et nous sommes très attachés l’un à l’autre. Maïdo, c’est un peu mon rêve de jeune matou, l’amour chimérique et impérissable ! Pour l’instant, c’est auprès de ma fidèle Moumoune que je vais aller m’étendre. Et là, elle va me faire des tendresses, me materner amoureusement jusqu’à ce que le sommeil la gagne à son tour.

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Chapitre 26

Petit traité de philosophie

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Chapitre 26

Petit traité de philosophie. Nous voilà presque à Noël. Les jours se sont raccourcis et nous passons la plus grande partie de notre temps à paresser, bien au chaud, à la maison. L’autre soir, Eve me lisait un passage de ton livre et je me laissais bercer par sa voix. Soudain, je dressais l’oreille ! Il s’agissait de ce chapitre si émouvant où ton cher Bob écrit pour toi le passage sur la mélancolie. Je me retrouve tellement bien dans cette citation, quand elle parle du chat, « mangeur de chagrin » ! Ou celle où tu relates le processus de notre déclin. C’est tellement vrai, que j’aurais voulu l’avoir écrit moi-même ! Je me sens tout nostalgique à penser au temps qui défile derrière nous, sans que rien ne puisse arrêter sa course ! Le passage qui m’a aussi, beaucoup touché, et surtout réconforté c’est ce paragraphe où tu dis : Je cite :

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(5)…Le cap des vingt ans commence à ne plus nous effrayer et certains d’entre-nous l’atteignent dans une belle forme ! A nous, les belles années. Merci Méphisto, pour ton optimisme et quel talent ! Je voudrais tellement t’égaler un jour… Aujourd’hui, bien calé dans mon fauteuil, je prends mon temps. Je relativise l’urgence de mes actes. Je suis devenu plus serein et plus philosophe. Je n’ai plus les même sensations d’impatience qui me faisaient frémir, des moustaches à la queue, chaque fois qu’un oiseau frondeur venait me défier derrière la baie vitrée. L’année passée, encore, je tremblais d’excitation en poussant des petits miaulements nerveux ! Aujourd’hui, je soulève à peine un œil quand je les entends piailler dehors, autour des miettes de pain. Et je les regarde d’un air indifférent quand je les vois barboter et s’ébrouer dans mon écuelle d’eau. Je sais, simplement, que le moment n’est pas venu de s’exciter, chaque chose en son temps. Quand le moment viendra, je serai prêt ! Un autre exemple, encore qui prouve à quel point je prends la vie comme elle vient, sans impatience. Le matin, je ne vais plus réveiller Eve par des petits coups de patte griffue, le jour peut se lever sans moi. Désormais, je préfère traîner au lit ! Bien sûr, le temps d’hiver n’incite pas aux balades du petit 5

Extrait de Parole de Chat ! De Robert de Laroche, édit. L’Archipel.

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matin ! Bien qu’ici, dans le Midi, l’hiver reste agréable. Sa divinité Râ, y brille plus souvent. « Râ ou souris ? Pour un chat, quelle ironie ! » Mais trêve de plaisanterie ! Je n’oublie pas pour autant mes devoirs de chat ! Quand le jour s’est bien installé, Eve m’ouvre la porte de la véranda et je vais m’asseoir sur le mur, à deux pas du resto des oiseaux. Je reste alors immobile, semblable à une statue d’ébène. Les oiseaux pas très futés semblent s’y laisser prendre. Mais je ne me fais pas d’illusion. Eve est tout près et veille au grain ! Je m’en voudrais de la provoquer ! C’est pourquoi je prends simplement un air blasé, tout en narguant moineaux et sansonnets, du haut de mon piédestal ! Hier encore, j’avais moins de scrupules ! Au dehors, le soleil brille de tout son éclat, mais le froid persiste. Il n’y fait guère plus de trois degrés. Cependant, derrière les baies vitrées, il fait bon se prélasser, tout en sacrifiant au rituel d’une longue et minutieuse toilette. Moumoune prendra le relais, plus tard. L’ouvrage, pour elle, n’est pas totalement terminé, tant qu’elle n’y a pas mis son grain de sel ! Elle a besoin d’exprimer ainsi son instinct maternel, et dépose un dernier apprêt sur mon poil lustré ! Il est vrai que je suis très fier de ma fourrure ! Toujours d’un noir parfait, elle me donne un aspect fringant de jeune chat ! Cela me rassure, car je viens d’apprendre que Maïdo va venir passer le nouvel an dans le Sud ! je tiens à rester sur mon

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trente et un ! Je me sens tout ragaillardi par ce projet. C’est bon signe, n’est-ce pas ? Je ne cesse de me répéter : -Tatache, tu n’es pas si vieux que ça ! … Tu vois, cher Méphisto, le moral est au beau fixe, et je te souhaite la pareille.

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Chapitre 27

Rendez-vous manqué !

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Chapitre 27

Rendez-vous manqué ! Aujourd’hui, c’est avec le cœur gros que nous prenons la plume, Eve et moi. Elle n’aime pas me voir aussi triste. Alors elle pense que si je t’en parle, cela allègera ma peine. J’avais fait des plans sur la comète, pour les fêtes de fin d’année. J’attendais l’arrivée de Maïdo ces prochains jours et j’avais même, pour cette occasion, passé commande de nos gourmandises préférées au père Noël, pour que nous puissions fêter dignement nos retrouvailles. C’était sans compter avec des évènements inattendus qui sont venus bouleverser mes projets. Le jour de Noël, nous sommes allés dans la maison voisine pour allumer le chauffage, enclencher le chauffe-eau, le réfrigérateur, mettre quelques guirlandes de bienvenue, comme chaque fois que nos voisins viennent en vacances. Vigilant, je la suivais pas à pas, mettant mon grain de sel partout. J’ai bien essayé de montrer à Eve qu’elle oubliait de mettre le sable dans la caisse de Maïdo, mais rien n’y fît ! Elle qui comprenait si bien mes mimiques, cette fois, elle n’en tînt pas compte. Le surlendemain matin, je surprends Eve en train de s’habiller pour sortir, déjà toute pomponnée. Je pensais, intrigué :

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-Tiens ! Elle ne sort jamais si tôt le matin ! Je n’étais pas revenu de ma surprise quand elle nous interpella : -Les loulous, je vais chercher Natacha à la gare (c’est la maîtresse de Maïdo) je reviens tout de suite ! Quinze minutes plus tard, la voiture se parquait devant la maison de ma princesse. J’étais très impatient de la voir et je faisais les cent pas depuis un moment, en roulant les mécaniques ! Si tu m’avais vu ! J’étais beau comme un dieu ! Le poil noir et lustré, les yeux étincelants, les moustaches bien lissée, je m’apprêtais à recevoir Maïdo, comme elle le méritait ! Quand la porte s’est ouverte, je me suis précipité à leur rencontre, mais la déception fut rude, pas de Maïdo ! Natacha était là, toute seule, avec sa valise. Je ne pouvais y croire. J’ai cherché parmi les sacs, les bousculant de la tête. Puis j’ai manifesté ma déception par de longs miaulements lugubres. Eve tenta en vain de me consoler. Elle savait déjà avant de partir à la gare que la chatte ne serait pas avec sa maîtresse. Elle ne m’en avait rien dit, pour me ménager. Il serait bien assez tôt le moment venu. -Natacha est venue en train, Tatache, me dit Eve en m’embrasant entre les oreilles. C’est pourquoi elle n’a pas pris Maïdo avec elle. Cette fois, elle est restée à Paris avec son maître.

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J’écoutais ses explications, les oreilles en arrière, ma queue balayait l’air dans tous les sens, je n’étais pas content du tout ! Et je le faisais savoir. -Et pourquoi Natacha est-elle venue sans Greg ? Ai-je demandé, déconcerté. Mais personne ne s’est donné la peine de me répondre. Question trop personnelle, peut-être ! La matinée était à peine entamée. Un bon café fumait dans les tasses, d’ordinaire cette odeur caractérisait la quiétude, le moment parfait. Prélude au brossage et au méga câlin, ces instants me réjouissaient le cœur. Pourtant, ce matin, tout était différent ! Les deux amies étaient installées devant leur tasse et discutaient d’un ton confidentiel, comme si ce qu’elles se disaient était trop douloureux pour le dire à haute voix. J’ai même surpris des larmes dans les yeux de Natacha. Je suis allé me frotter à leurs jambes, tout compatissant, mais toujours sans rien comprendre. Comme cela me tracassait, j’ai décidé d’aller y réfléchir tranquillement en me réfugiant dans mes appartements. Je ne savais pas à qui en parler. Moumoune, de son côté, se désintéressait de la situation. Je restais donc seul avec mes sombres réflexions. Quand je me suis réveillé, un peu plus tard, les choses me parurent soudain plus claires. J’avais déjà vécu semblable situation où Eve en était le principal personnage. N’en ai-je pas essuyé, à grands coups de tête affectueux, des larmes

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identiques ? Ce jour-là, l’homme qu’elle aimait était parti avec ses valises ! Le rapprochement fut facile. Les larmes, Greg qui n’était pas là… Natacha expliquait tout émue à Eve, qu’elle devait choisir. En attendant la conclusion de l’histoire, deux innocents chats allaient souffrir de séparation involontaire. Ma chère Maïdo, que va-t-il advenir de nous ?C’est vrai que ça m’a fait du bien d’en parler, tout espoir n’est pas perdu ! Il ne me reste plus qu’à attendre les prochaines vacances. L’espoir fait vivre.

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Souvenirs. .

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Chapitre 28

Souvenirs. Ceci s’est passé, il y a quelque temps déjà. A l’époque où Eve a commencé à me lire, chapitre après chapitre ton édifiante histoire. Après des semaines de recherches, elle avait enfin trouvé ton livre 6) « Parole de chat » ! Depuis qu’elle avait lu le précédant 7) « Plus chat que moi… », elle a fait des pieds et des mains pour trouver celui qui avait été édité auparavant. Pour mettre toutes les chances de son côté, elle a navigué sur Internet et visité toutes les bouquineries et bibliothèques à disposition. C’est après bien des recherches qu’elle a enfin mis la main sur l’objet si convoité ! Ah, quelle récompense ! C’était en pleine nuit, je dormais déjà du repos du juste, quand Eve a soudain poussé un youpi délirant ! -Tatache, réveille-toi ! Je l’ai enfin trouvé ! Les moustaches en bataille, les yeux à demi ouverts, j’émergeais péniblement d’un rêve captivant. J’étais à deux doigts d’attraper le rongeur que je pourchassais !

6

De Robert Delaroche, édit. L’Archipel 1998.

7

De Robert Delaroche, édit. L’Archipel 2000.

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-Enfin, Eve ! Je dors, moi ! Lui ai-je dit d’un ton exaspéré. Tu fais fort, tu sais ! Même si ce n’est que dans mon rêve que je chassais, tu t’es encore arrangée pour saboter mon coup! Mais elle ne tînt pas compte de ma mauvaise humeur et m’expliqua sa trouvaille avec son entrain habituel, malgré l’heure tardive. -J’ai enfin mis la main sur « Parole de chat » ! Tatache ! Depuis qu’elle a sa machine infernale, c’est encore pire que quand elle écrivait à la main ! Elle m’avait mis en garde, d’ailleurs. Cependant, je ne pensais pas que ça l’accaparerait pareillement ! En plus de raconter mon histoire, elle correspond avec dix fois plus de personnes qu’avant ! Sa famille, ses copines… Et ses recherches sur Internet, n’en parlons pas… Qu’il est loin le temps où elle avait peur de l’ordinateur ! … Aujourd’hui, c’est tout juste si elle ne dort pas avec. Tu vois, Méphisto, cela tient à peu de chose, le destin ! Si je n’avais pas insisté lourdement auprès d’Eve pour connaître cette souris mythique, peut-être que je me serais simplement régalé de la souris qui détalait dans mon rêve ! Deux jours plus tard, le livre était dans notre boîte ! Moumoune et moi avons passé de longues heures de bonheur à écouter Eve nous lire le récit de tes frasques! Vous vous y entendez, Bob et toi, pour vous donner la réplique! Eve était très étonnée de constater qu’un homme pouvait être aussi sentimental avec son chat ! D’ordinaire, c’est le privilège des femmes, de donner libre cours à leur tendresse

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et de l’exprimer sans retenue. Un homme se doit de montrer son côté viril et donne en général sa préférence au chien. Cet animal est plus apte à des jeux vigoureux ou à des preuves de puissance. Contrairement à une femme, un homme n’avouera pas qu’il fait une pose-câlin avec son chat, en rentrant de son travail pas plus qu’il n'admettra qu’il dort dans son lit ! Tu vois, Méphisto, pourquoi Eve est si attachée aux récits de ton maître, Robert ! Nous avons été très émus quand vous avez évoqué la vieillesse des chats. C’est vrai que ce n’est pas une sinécure, pour nous les mâles. Cela nous fait un peu peur, notre museau blanchit, notre ventre devient mou et pendouille un peu. Notre silhouette perd de sa superbe. Mais ça m’a mis du baume au cœur quand vous décrivez tous les deux le troisième âge du chat en nous trouvant encore plus émouvants ! Eve avait les larmes aux yeux et moi, je me suis serré tendrement contre elle, offrant mon ventre à ses caresses et la gratifiant de mes plus chaleureux ronrons. Nous étions en osmose et tu aurais pu voir un rictus de bonheur me remonter les babines. Que de nostalgie à l’évocation de nos lointains souvenirs ! Il est bien loin cet automne où, tout petit, tu as surgi d’un nuage de brume pour rentrer dans la vie de ton maître ! Elles sont si lointaines ces balles de foin où je faisais des cabrioles avec mes petites sœurs et Maminette ! Le soir nous faisions cercle autour d’Eve qui nous faisait la lecture. Bien installés sur son canapé, nous riions de tes frasques et de vos échanges verbaux qui ne

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manquaient pas de sel. Moumoune, qui ne loupait jamais un rendez-vous, s’est exclamée à l’évocation de ton oncle Bidule. -Voilà un chat qui a bien du mérite de porter un nom aussi ridicule ! Ainsi, je me sens moins seule ! Pauvre Moumoune, elle a toujours été agacée de porter un nom aussi commun ! C’est une belle siamoise à longs poils et aux yeux bleus presque violet. Une si jolie chatte aurait mérité un nom plus exotique ! Je lui ai dit pour la rassurer : -Tu sais, je trouve ton nom plaisant et il va bien avec le mien ! Et puis, un nom c’est un nom, ai-je ajouté. Que ce soit Moumoune, Tatache, Méphisto, Mélusine ou Bidule, l’important, c’est l’être qui le porte ! Elle m’a lancé un regard reconnaissant et, entre deux bâillements de satisfaction, elle m’a dit : -Merci, mon Tatache, tu es toujours aussi galant ! Dis-moi, Méphisto, es-tu déjà allé à Venise, avec ton maître ? Puisqu’il voyage beaucoup, tu dois l’accompagner ! Je me suis laissé dire que c’était une ville pleine de mystères et de légendes. Il y a de l’eau tout autour des maisons et même, qu’elles ont les pieds dedans. Alors, ce qui m’intrigue, c’est comment font les chats pour se rendre visite ? Ont-ils aussi le droit de circuler en gondoles ? Tu sais, je me vois bien, assis sur son avant recourbé, Maïdo à mes côtés, entonnant en chœur une sonate au clair de lune…. Voilà, Méphisto ! L’évocation de ces souvenirs encore proches m’a aiguisé l’appétit ! Je vais aller faire un petit tour du

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côté de « Gamelle et compagnie », ainsi qu’au jardin, pour y laisser quelques signatures, histoire de rester le maître chez moi !

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Lettres à mon pote

Chapitre 29

Triste début d’année

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My Moos-Jaeger


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Chapitre 29

Triste début d’année ! Quel plaisir de pouvoir enfin reprendre la vie du bon côté ! Aujourd’hui, c’est le printemps. Le jardin pimpant et coloré a chassé la grisaille de l’hiver. Pas mal de temps s’est écoulé, depuis ma dernière lettre! Quand nous voulons nous conduire comme les humains, notre légendaire indépendance en prend un sacré coup, admettons-le ! Pour communiquer avec toi, Eve m’est indispensable et elle n’a pu me servir de greffière tout au long de ces derniers mois. Aujourd’hui, par bonheur, tout est rentré dans l’ordre et je vais pouvoir te raconter en détail toutes les épreuves que nous avons traversées ! Quelque temps après les vacances de Noël, notre vie a basculé d’une façon assez soudaine ! J’avais bien remarqué qu’Eve n’était plus aussi alerte! Ses promenades avec la chienne étaient de plus en plus courtes. Fini aussi le tour du quartier en famille, moi en tête, évidemment, suivi de Moumoune, trottinant en balançant sa belle queue touffue. Venait ensuite, rongeant son frein, la chienne Fanny, tenue en laisse, par prudence ! Il n’aurait pas fallu qu’elle me vole la vedette, celle-là, elle le savait ! Elle l’avait déjà payé d’un impérieux coup de patte sur la truffe.

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Notre petite parade insolite amusait beaucoup les gens du quartier ! Puis il y eut de moins en moins de petits moments intimes, devant son ordinateur. Un matin, j’ai vu la valise de la séparation refaire surface ! Cependant, je voyais bien que le cœur n’y était pas. En tendant l’oreille, j’ai compris pourquoi Eve ne se réjouissait pas de partir, elle devait subir une nouvelle intervention chirurgicale ! J’étais inquiet. Dans quel état allait-elle nous revenir ? Le jour du départ, le cœur gros, nous nous étions assis côte à côte, chien et chats, unis dans le même désarroi. Eve nous dispensa ses dernières recommandations : -Les loulous, je compte sur vous pour être bien sages avec votre nounou Jean ! Pas de bêtises, je le saurai de toute façon ! Des sanglots lui nouaient la gorge, mais elle ajouta, d’un ton faussement enjoué : -Je ne pars que quinze jours, vous n’aurez même pas le temps de vous en apercevoir ! Ce que nous ignorions tous à ce moment-là, c’est que ces quinze jours allaient durer trois longs mois… Au début, nous étions tous les trois en forme, chahuteurs et joyeux. Nous faisions honneur aux petits plats que notre nounou nous préparait avec amour, selon son habitude, blanc de poulet, filets de poisson cru. C’était un peu comme des vacances ! Puis le temps a commencé à se faire long, les jours passaient, les nouvelles n’étaient pas bonnes. Un matin, Jean,

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nous annonça, maussade, qu’Eve devrait subir une nouvelle intervention ! La mélancolie régnait dans la maison. Nous avions perdu l’appétit et notre nounou errait comme une âme en peine, entre deux visites à la clinique. Puis, le grand jour des retrouvailles est enfin arrivé ! Même si elle devait s’appuyer sur des béquilles, Eve était enfin de retour ! Nous formions de nouveau une famille au complet. Nous nous sommes un peu chamaillés, au début, pour savoir qui irait se lover sur ses genoux, mais les esprits se sont calmés peu à peu. Elle n’a pas tardé à s’installer devant son ordinateur et nous avons repris nos précieux conciliabules. Nous voici aujourd’hui à quelques jours de Pâques. Et la bonne nouvelle est tombée ! Natacha, Greg et Maïdo allaient descendre tous les trois pour passer les fêtes dans le midi ! Ils semblaient bien avoir réussi à régler leurs différends. C’est tout joyeux que j’ai accompagné Eve à la maison voisine, pour ouvrir les fenêtres aux rayons du soleil et laissant entrer l’air revigorant de cette belle matinée d’avril. Nous avons préparé l’arrivée de nos amis, et quand j’ai vu la caisse de Maïdo installée à sa place, il n’y avait plus aucun doute ! J’ai poussé un grand ouf de soulagement, ce qui n’a pas échappé à la sagacité de ma maîtresse ! Elle s’est tournée vers moi et d’un petit air malicieux me dit : -Alors, mon Tatache, heureux ? Cette fois, tu y crois ?

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Et voilà, dans quelques jours nos retrouvailles ne seront que meilleures, après toutes ces épreuves ! Quand on a passé tout près du malheur, on apprécie d’autant plus ces petits moments de bonheur. Une brise légère agite les tulipes multicolores du jardin, le soleil les rend encore plus lumineuses. Bien que ce ne soit pas vraiment permis, je vais y aller de ce pas ! Une bonne nouvelle se fête, tu ne penses pas ? A bientôt pour la suite.

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Chapitre 30

Amour, toujours

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Chapitre 30

Amour toujours ! Tu as certainement dû te demander pourquoi je ne te donnais pas de nouvelles depuis si longtemps ? J’ai eu de gros ennuis de santé et ma chère Eve s’est fait bien du souci! C’était un bel après-midi d’été et les vacances battaient leur plein. Je me tenais un peu à l’écart, loin des allées et venues des enfants, quand soudain je fus pris de malaises. Des douleurs me tiraillaient le ventre et je me mis à vomir tripes et boyaux. Pourtant, pour le repas de midi, je n’avais mangé qu’un morceau de blanc de poulet, rien de trop lourd, tu vois ! Je suis parti me réfugier sous l’olivier, mon refuge, en cas de coup dur. Puis, je suis resté là, immobile, en attendant que ça passe. Je n’avais pas envie d’inquiéter ma maîtresse pour si peu ! Tu es bien placé pour savoir, Méphisto, comment nous les chats, nous gardons nos petites misères secrètes! Aux environs de dix-huit heures, Eve s’est inquiétée de mon absence. Elle connaît bien mes habitudes! Durant la journée, elle me voit aller et venir, mille fois, pour lui faire un câlin ou pour lui rappeler que je suis là. J’en profite pour taquiner Fanny, aussi, pour qu’elle ne s’imagine pas qu’elle puisse étendre son territoire à mes dépens ! C’est ainsi qu’Eve, accoutumée à me voir fréquemment, commença à se faire du

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souci. Elle a tout de suite compris qu'il se passait quelque chose d'anormal ! Je l’entendis m’appeler, mais impossible de lui répondre, j’étais comme paralysé ! Un poids immense m’écrasait la poitrine ! N’obtenant pas de réponse, elle se dirigea vers mon endroit de prédilection et c’est là qu’elle me retrouva, tapi sous l’olivier, dans un piteux état ! Quand j'ai senti les premières coliques, j’ai pensé quelles étaient dues à mon incorrigible gourmandise, alors je me suis promis simplement de manger un peu moins goulûment la prochaine fois. Il est vrai que depuis quelque temps déjà, la nourriture est devenue une obsession. Vorace, certes, je l'ai toujours été, mais ces derniers temps, c’était devenu un peu inquiétant. Le bruissement du papier d’emballage, le claquement de la porte du réfrigérateur, le moindre fumet me mettaient en transe ! Tout me faisait saliver ! ... Un jour même, pendant qu'elle préparait le déjeuner, Eve m’a surpris en train de m’étirer de tout mon long pour saisir d’une patte preste, le morceau de viande posé sur la table. Elle m’a grondé, interloquée ! -Voyons Tatache ! Qu'est-ce qui te prend ? Cela n ’était encore jamais arrivé ! Tu es donc tellement affamé que tu sois obligé de chaparder ? Ma parole, ironisait-elle, tu dois être malade ! ... Elle ne croyait pas si bien dire ! C’étaient là les premiers symptômes de la maladie qui incubait en moi. Cependant, rien

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ne la laissait présager. A vue de nez, je semblais toujours vigoureux et en bonne santé. Quand elle m’a vu là, tout gémissant, Eve pensa d’abord à un empoisonnement ! Au moment où elle se pencha sur moi, un râle plaintif m’échappa ! J’endurai mille tourments. Très inquiète, elle me prit dans ses bras et tout en me disant des mots sans suite, elle me ramena à la maison. Elle me déposa avec précaution sur le fauteuil et prit son téléphone, pour appeler le vétérinaire. Malgré l’heure tardive, il accepta de nous recevoir tout de suite ! Une fois entre ses mains, j'ai très vite sombré dans le néant. Ma température était beaucoup trop basse. J’ai un vague souvenir de l'homme en bleu qui disait : « Il est brave ce chat, il se laisse bien faire sa prise de sang ! » Puis, je suis retombé dans le cirage ! Quand je me suis réveillé le lendemain matin, mon regard s’est trouvé cerné de barreaux blancs ! J'étais dans une cage, dans un lieu inconnu. Des odeurs de désinfectant faisaient ressurgir de tristes souvenirs. Je me suis senti soudain abattu et très seul… Je me demandais ce que je pouvais bien faire dans cet endroit… Et pourquoi Eve n’était-elle pas là ? Une dame me parlait avec des mots réconfortants. Ses longs cheveux flamboyants effleuraient ma tête fatiguée. Je reconnus l'homme qui était à ses côtés et qui m’avait soigné, une ou deux fois, depuis notre arrivée dans le Sud. Il me parlait avec patience:

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-Allez Tatache, réveille-toi ! Essaye de boire un peu ! Tu vas t'en sortir, le plus dur est passé. Je n’y comprenais rien et mes souvenirs restaient flous. Je me complaisais dans mon engourdissement, quand soudain, une voix familière m’a tiré de ma torpeur. C'était Eve qui arrivait enfin. Je senti une grande angoisse dans sa voix. - Cette nuit devait être décisive, m’aviez-vous dit ! Alors, qu’en est-il, ce matin ? En entrant dans la pièce, Eve m'a vu réveillé, ses yeux s’emplirent de larmes et l'espoir s’est mis à renaître dans son cœur. -Dieu Merci, dit-elle d’une voix où perçait le soulagement ! Il a donné le tour ! Je n'étais pas guéri, loin s'en faut, mais néanmoins, tout danger était écarté pour l’instant et je pouvais rentrer chez nous. Au cours du trajet qui nous ramenait à la maison, elle me jetait des regards rapides, sa main posée sur ma fourrure. Elle se voulait rassurante et le murmure de sa voix m’enveloppait d’un engourdissement apaisant. Eve me disait : -Ah mon Tatache, tu m’as fait tellement peur ! Mais je vais bien te soigner ! Je compte sur toi pour y mettre du tien ! Tu verras, bientôt, ce ne sera plus qu’un mauvais souvenir ! Elle n’était pourtant pas rassurée du tout. Cependant, grâce aux médicaments, ma température était remontée à la

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normale, mais je restais faible sur mes pattes ! Les analyses n’étaient pas rassurantes, elles avaient révélé une pancréatite ! Je la laissais parler, encore trop fatigué pour prendre part à la conversation. Mes yeux restaient à demi-clos. Quand la voiture s'est arrêtée et que mon panier fut posé sur le sol, j’en sortis en titubant, mais bien déterminé à rentrer tout seul dans la maison ! Jean, Moumoune et Fanny, la mine compatissante, m’attendaient à la porte, soulagés de me voir rentrer au bercail! Une fois à l’intérieur, fièrement, j’ai balayé l’espace d’un regard panoramique! Rien n'avait changé durant mon absence ! Rassuré, je repris possession des lieux et me dirigeai séance tenante vers mon écuelle ! Eve n'en revenait pas ! Elle la remplit aussitôt avec les croquettes spéciales que le vétérinaire m’avait prescrites ! Tu peux me croire Méphisto, même si ces croquettes avaient un arrière-goût de médicament, je les ai mangées avec appétit ! Après quelques bonnes lampées d'eau fraîche, je me suis dirigé vers ma caisse. Tout ce rituel m’a très vite épuisé ! Eve, prévenante, me porta dans notre chambre. Il faisait très chaud, ce jour-là, car la canicule était annoncée. Arrivé dans mon petit paradis, je me faufilai sous le lit, bien au frais, et y dormis une bonne partie de la journée. Ce n'était pas encore gagné, mais j'étais vivant, et j'avais de plus en plus envie de vivre ! Les jours suivants, furent éprouvants. Je mis toute ma bonne volonté pour avaler un peu de nourriture, mais je n’avais pas d’appétit ! Malgré mes efforts, je perdis beaucoup de poids ! Pour faire plaisir à Eve, j’ai avalé potions et pilules, mais

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la diarrhée persistait et la nourriture spéciale fut changée plusieurs fois, sans succès. Puis le temps a passé et les choses se sont remises en place, petit à petit. Je ne vais pas te raconter toutes les misères que j’ai supportées, ni les jours d'inquiétudes dans lesquels s’est retrouvée ma chère maîtresse, car il s'en fallut de peu que je ne retombe au plus bas ! Cela prit du temps, même si je ne suis pas très vieux, à treize ans, je ne suis plus tout jeune non-plus ! Si le mal est enrayé, aujourd’hui, je reste très fragile et je vais devoir vivre avec des contraintes médicales pendant encore un bon bout de temps ! Eh oui, mon vieux, c’est la cruelle réalité ! Mais c'est la vie, et nous autres chats ne faisons pas exceptions à la règle ! Alors finies les gourmandises du samedi, finis aussi les petits plats mijotés de notre nounou Jean. Finis aussi les petits suppléments de bœuf mironton ou de bifteck bien saignant ! Mais tant pis après tout, maintenant je vais bien, je suis toujours le maître respecté de la maisonnée. Il faut voir Fanny, se faire toute petite, sans bouger une oreille, quand par taquinerie, je la lèche sous le ventre, alors qu’elle s’exhibe, pattes en l’air! A-t-elle besoin aussi de prendre ces poses provocantes ? Moumoune a soigneusement lustré ma fourrure ! Même si mon manteau est devenu un peu grand, à cause des kilos que j'ai perdus, il est toujours resté brillant, malgré la maladie qui m’a terrassé. Mais il y a aussi la présence de Maïdo qui a contribué à mon rétablissement. Elle est arrivée pendant ma convalescence, pour passer quelques jours de vacances et c’était formidable d’être ainsi chouchouté

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par mes deux félines préférées qui ont su mettre entre parenthèse leurs divergences. Elles se sont relayées pour s’occuper de moi ! Plus la moindre once de jalousie ! C’était à celle qui se montrerait la plus attentionnée ! J'étais heureux dans mon harem ! Si tous les chats du monde pouvaient avoir ma chance, ce serait le paradis sur terre pour eux aussi ! Tu sais bien ce que c’est, Méphisto. L'affection, tu ne dois pas en manquer non plus avec toutes tes ferventes admiratrices qui doivent se pâmer d’amour pour toi ! …Il n’y a pas à dire, Méphisto... elle est trop belle, la vie ! Mais mine de rien, je suis arrivé au terme du récit de mes mémoires ! C’est là que le passé rejoint le présent. Mission accomplie. Un jour peut-être que je te rejoindrai sur le podium des chats célèbres ? Mais en attendant, cher Méphisto, je me suis bien amusé à me remémorer tous ces souvenirs, quelquefois bouleversants, parfois pittoresques mais la plupart du temps, tout simplement joyeux.

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EPILOGUE

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Epilogue Bien cher Méphisto. Cela fait quelques mois déjà que je pense à t’écrire, car ce long silence du Sud doit commencer à t’inquiéter ! Mais le courage me faisait défaut car Eve restait prostrée dans son chagrin. Notre Tatache a été vaincu par sa maladie et nous a quittés pour toujours. Il est toujours très difficile de parler de ceux qu’ on aime au passé et il faut du temps pour l’accepter ! Dans son dernier message il te parlait de sa maladie soudaine, mais il minimisait la gravité de son état et nous faisions semblant d’y croire aussi ! Hélas, si les traitements nous donnaient l’impression qu’il allait un peu mieux, grâce à eux, il était devenu bien frêle, tout fragile et si vulnérable… Bien sûr, Eve n’était pas dupe ! Elle avait bien remarqué que le mal persistait. Et malgré les soins qu’elle lui prodiguait, elle savait que ce ne serait qu’un maigre sursis dans le cours inéluctable du destin.

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J’ai veillé près de lui, triste et impuissante. Un matin il m’a confié un ultime message, son regard noyé de détresse : -Ma chère Moumoune, je veux que tu me promettes de consoler Eve de ton mieux, quand je ne serais plus là ! Elle aura autant de chagrin que moi de devoir la quitter si tôt, et c’est peu dire. Je laisserai un grand vide dans son cœur. A toi de le combler au mieux ! Puis le matin du 24 août, après une nuit angoissante, ils sont partis chez le vétérinaire, pour une dernière consultation. Eve serra tendrement contre son cœur son Tatache, si faible, fragile mais confiant. Son cœur palpitait encore tout doucement, laissant passer son ultime message, un message que seuls deux êtres de grande complicité pouvaient comprendre : - Aide moi à partir, c’est le moment . Eve ne retenait plus ses larmes. Un grand désespoir l’envahit car le moment des adieux était arrivé. Elle l’a tenu contre son cœur, retenant son souffle, quand délicatement, l’homme a fait passer dans ses veines l’injection libératrice.

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Tatache, son chat tant aimé, les yeux clos s’est laissé aller sereinement. Il s’est endormi doucement. Eve ne l’a pas senti partir, elle l’a gardée ainsi, longtemps contre elle. Maintenant, il repose au pied de l’olivier, sous une jolie pierre en marbre rose gravée de son nom et surmontée d’une petite sculpture à son effigie. Aujourd’hui, le temps a passé, c’était le moment de réaliser le rêve secret de Tatache, l’aider à devenir célèbre un jour, comme toi, Méphisto, en publiant ses mémoires et en redonnant vie à son existence aventureuse, parfois hardie et audacieuse ! Une vie de chat, quoi ! Eve l’a enfin fait publier et moi, je me contente d’être présente, douce et tendre. Le soir, je me glisse délicatement près de son oreiller. La journée, je m’allonge près d’elle pour regarder la télévision juste à l’endroit ou il aimait s’installer. Maintenant, les lézards courent effrontés sans craindre le chat noir qui n’est plus là pour les attrape. Les petits oiseaux se promènent hardiment près de la gamelle d’eau pour s’y ébrouer sans complexes, et moi, je regarde tout cela sans bouger une moustache, la chasse, c’est bien trop fatigant !

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Voilà cher Méphisto je suis ravie d’avoir aussi contribué à ces « Lettres à mon Pote » en écrivant l’épilogue ! J’espère que ça le rend heureux de là-haut, au royaume des chats ! Amicalement. Moumoune

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